M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Rémy Pointereau. Monsieur le ministre, permettez-moi, avant toute chose, de vous féliciter de votre reconduction en tant que ministre de l’agriculture. (Mme Sophie Primas applaudit.)
Comme mes collègues UMP ont eu l’occasion de l’évoquer largement avant moi, ce texte contient beaucoup de déclarations d’intention, mais est décevant sur les vrais sujets. Il manque surtout d’ambition, d’audace et de concret.
Il ne prévoit rien sur la compétitivité de notre agriculture, rien sur l’innovation et la recherche, rien sur la baisse des charges et la réduction des normes qui pèsent sur notre agriculture ! Je me demande, d’ailleurs, en quoi ce texte est un projet de loi d’avenir (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) …
M. Bruno Sido. Très juste !
M. Rémy Pointereau. … quand j’entends parler d’agriculture vivrière comme autrefois, de limitation des surfaces, sans se préoccuper des zones intermédiaires, ou quand j’entends dire que, même avec 150 hectares, un agriculteur doit travailler seul sur l’exploitation et que son épouse doit avoir un emploi à l’extérieur pour que le ménage puisse s’en sortir !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. Certes, nous devons dépasser les oppositions systématiques entre les différentes filières de l’agriculture – le bio et le conventionnel, l’élevage et les céréales, les circuits courts et les circuits longs, l’agriculture de montagne et les grandes cultures – et promouvoir une approche faisant de notre diversité une richesse, un facteur d’excellence, en recherchant le meilleur pour chaque filière, sans les opposer les unes aux autres.
La seule question que nous devons nous poser aujourd’hui est la suivante : voulons-nous continuer à avoir une agriculture dynamique, exportatrice, qualitative, qui puisse enrichir la balance commerciale française, ou voulons-nous continuer à perdre des parts de marché ?
Voilà trois ans, nous étions le premier producteur-exportateur européen et le troisième producteur-exportateur mondial. Nous sommes aujourd’hui respectivement en deuxième et en cinquième positions.
Une dimension fait défaut à ce projet de loi : celle de la stratégie que nous souhaitons mettre en place pour la « ferme France » et pour chacune de ses filières.
On a l’impression, avec ce texte, que, sans l’agroécologie, point de salut ; qu’il suffit d’ajouter partout le « e » du mot environnemental – bail environnemental, groupement d’intérêt économique et environnemental – pour faire croire que cela va régler tous les problèmes. C’est finalement un projet de loi rédactionnelle, de sigles, un repli sur soi, un projet de loi « small is beautiful ».
M. Roland Courteau. Oh là là !
M. Rémy Pointereau. C’est un projet de loi dénué de bon sens. Ce que veulent les agriculteurs, c’est que vous veilliez à ce que toutes les normes environnementales adoptées en France correspondent strictement aux textes européens, ni plus ni moins, sans chercher à les anticiper, ni à les durcir sur le plan national.
Je prendrai un seul exemple, récent, tiré de mon département du Cher, celui d’agriculteurs qui ne peuvent même plus entretenir leurs cours d’eau, leurs fossés, après cet hiver humide, pour assainir leurs champs sous peine de voir débarquer les agents de la police de l’eau, l’ONEMA, l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, colts à la ceinture,…
M. Bruno Sido. Des cow-boys !
M. Rémy Pointereau. … pour les sanctionner, en leur délivrant des amendes exorbitantes, comme de vulgaires malfrats.
M. Bruno Sido. Exact !
MM. Charles Revet et Gérard Bailly. Tout à fait!
M. Rémy Pointereau. Les agriculteurs ne supportent plus d’être des suspects permanents aux yeux de certaines administrations.
Vous en rajoutez encore une couche avec ce texte : alors qu’ils tiennent un carnet d’épandage d’engrais et de produits phytosanitaires, vous demandez aux organismes stockeurs de vous indiquer les quantités vendues de ces engrais par bassins versants au cas où les agriculteurs tricheraient.
M. Gérard César. Voilà !
M. Rémy Pointereau. Concernant les groupements d’intérêt économique et environnemental, grâce aux efforts des agriculteurs, la pratique de l’agriculture raisonnée progresse d’année en année, avec l’arrivée des GPS, des cartographies des sols, où les dosages des engrais et des produits phytosanitaires sont réalisés à la bonne dose là où il faut, sans les excès d’autrefois.
Ces agriculteurs, vous l’avez dit, monsieur le ministre, sont déjà organisés avec les CUMA, les coopératives d’utilisation de matériel agricole, les GIE, les groupements d’intérêt économique, les groupements d’employeurs, pour mener des projets, mutualiser des moyens, acheter au meilleur prix, et n’ont pas attendu qu’on ajoute un « e » pour plaire à nos amis écologistes.
M. Joël Labbé. Oh !
M. Rémy Pointereau. Pourquoi créer ce nouvel instrument qu’est le GIEE, avec une définition beaucoup trop floue pour être efficace ?
L’installation des jeunes devrait être le point essentiel de ce projet de loi, car, aujourd’hui, on le voit bien, cette installation est toujours aussi complexe et difficile sur le plan financier, que ce soit dans le cadre familial ou en dehors.
Dans ce texte, on ne voit pas véritablement de volonté politique pour encourager l’installation de nos jeunes.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Ce n’est pas ce que disent les jeunes agriculteurs !
M. Rémy Pointereau. Rien sur la simplification des dossiers, véritable parcours du combattant pour nos jeunes ! Et j’en parle en connaissance de cause, puisque je suis en train d’installer un jeune en ce moment.
Les aides sont insuffisantes au regard des investissements lourds nécessaires pour reprendre une exploitation, avec un retour sur investissement au bout de douze à quinze ans au minimum. Les taux d’emprunt des prêts jeunes agriculteurs sont finalement les mêmes que ceux du marché.
S’agissant de l’accès au foncier, je ne suis pas sûr que ce soit en donnant des pouvoirs exorbitants aux sociétés d’aménagement foncier que vous allez donner envie aux propriétaires de favoriser l’installation des jeunes, au contraire !
Les SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, ont certes joué un rôle très important depuis leur création, en 1961, par Edgar Pisani, alors ministre de l’agriculture, jusqu’à ce jour. Elles ont permis d’aider au remembrement et à l’aménagement foncier des exploitations, à leur restructuration, ainsi qu’à l’aménagement du territoire dans le cadre de grandes infrastructures routières et ferroviaires.
Aujourd’hui, elles jouent toujours un rôle très important pour les collectivités locales lors de l’aménagement des zones d’activité, mais il faut qu’elles restent dans le cadre de leurs missions régaliennes. De grâce, elles n’ont pas vocation à devenir des offices fonciers tout-puissants, à l’image de ce qu’on a pu voir dans certains pays, où tout serait contrôlé et fiché, où tous les transferts de parts sociales de sociétés et de biens familiaux devraient passer sous leurs fourches caudines.
Tout en étant attaché à une agriculture familiale et à taille humaine, je considère qu’il faut, au contraire, lever un certain nombre de difficultés, en améliorant le revenu du foncier, en facilitant la mise en place de groupements fonciers agricoles privés moins contraignants et plus avantageux fiscalement, et ainsi faciliter l’accès des jeunes au foncier.
Tels sont les éléments de réflexion que je voulais vous livrer, monsieur le ministre. Ce qu’attendent les agriculteurs, c’est que vous vous battiez davantage pour porter la voix de la France au sein de l’Europe,…
M. Didier Guillaume, rapporteur. On a réussi, quand même !
M. Rémy Pointereau. … que vous soyez plus combatif devant l’Organisation mondiale du commerce pour préserver les intérêts de la France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume, rapporteur. Avec l’héritage !
M. Rémy Pointereau. L’agriculture ne doit pas être la variable d’ajustement des négociations internationales.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Absolument !
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Rémy Pointereau. C’est là que se joue l’avenir de l’agriculture française ; ce n’est pas dans ce projet de loi, que je ne voterai pas, à moins que nos amendements ne soient largement retenus.
M. Philippe Bas. Ah oui !
M. Didier Guillaume, rapporteur. Autrement dit, faire une autre loi !
M. Rémy Pointereau. Donnez aux agriculteurs les moyens de se battre à armes égales avec leurs concurrents ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. Charles Revet. M. Courteau va nous parler du vin ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. Ça se pourrait bien ! (Mêmes mouvements.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains d’entre vous se sont dits sceptiques, perplexes et même pessimistes.
À ceux-là, je rappellerai les propos du philosophe Alain : « Le pessimisme est d’humeur, »…
M. Bruno Sido. Oui !
M. Roland Courteau. … « l’optimisme est de volonté. » (M. Didier Guillaume, rapporteur, et M. Joël Labbé applaudissent.)
M. Philippe Bas. C’est bien trouvé !
M. Roland Courteau. Notre collègue Jean-Jacques Mirassou cite d’ailleurs très souvent ce propos. (Sourires.)
Je dirai donc à mes chers collègues pessimistes du moment que ce texte nous donne les moyens d’être optimistes pour l’avenir de notre agriculture.
Il est en effet vrai que ce projet et de loi, comme l’a rappelé l’un de nos collègues, ajouté aux nouvelles orientations de la PAC que vous avez initiées, monsieur le ministre – et je vous en félicite, car ce n’était pas acquis –, apporte une vision et définit un cap.
Ce texte fixe notamment une véritable priorité : la mutation de nos modèles de production vers l’agroécologie.
J’apprécie d’autant plus que la dimension écologique est, en effet, un élément de compétitivité, qui, de surcroît, va rendre ses lettres de noblesse à l’agriculture. (M. Joël Labbé applaudit.)
Je note que, pour la première fois, un ministre de l’agriculture fait de l’agroécologie un objectif majeur de sa politique.
J’apprécie, monsieur le ministre, que vous ayez voulu que cette agroécologie ne s’impose pas d’en haut, mais vienne du terrain, de la base et des projets collectifs.
Je pense à la création des groupements d’intérêt économique et environnemental, qui est l’une des principales innovations de ce projet. En offrant un cadre souple et institutionnel aux exploitants qui s’engagent collectivement, ils permettront de reconnaître et d’encourager les innovations, afin de concilier performance environnementale et performance économique, tout en mutualisant les risques et en luttant contre le phénomène d’isolement qui touche les agriculteurs.
J’apprécie donc que vous engagiez l’agriculture française dans une transition permettant son développement, sa compétitivité, tout en respectant l’environnement.
Transition ! Le mot est lâché. Je note sur ce point que le texte qui nous est soumis, à la suite de l’adoption d’un amendement de Delphine Batho à l’Assemblée nationale, conforté utilement par la commission, engage l’agriculture dans la transition énergétique.
Certes, l’agriculture n’a pas pour vocation de produire de l’énergie. Aussi, en matière de méthanisation, nous devrons éviter certaines dérives telles que la ferme dite « des mille vaches ». (M. Daniel Dubois s’exclame.)
Cela étant précisé, s’il y a en effet la possibilité de valoriser certains sous-produits, dans une logique d’économie circulaire, et s’il y a la possibilité, par la production d’énergie, d’apporter un complément de revenus, alors oui, n’en privons pas l’agriculture française !
Mes chers collègues, l’agriculture et l’alimentation, c’est l’image de la France. Mais l’image de la France dans le monde, ce sont aussi le vin et la viticulture (Exclamations sur les travées de l'UMP.) ; le vin qui assure le rayonnement de notre pays dans le monde.
M. Philippe Bas. In vino veritas ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. Le vin, c’est la France, c’est notre histoire. Le vin, produit millénaire, est d’une certaine manière l’identité de la France. Il fait partie du repas gastronomique français, lequel a été inscrit par l’UNESCO sur la liste représentative du patrimoine culturel et immatériel de l’humanité.
M. Bruno Sido. C’est la plus saine des boissons ! (Sourires.)
M. Philippe Bas. Avec le lait ! (Nouveaux sourires.)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Et aussi avec modération ! (Mêmes mouvements.)
M. Roland Courteau. N’oublions pas, par ailleurs, que l’école française d’œnologie rayonne, elle aussi, dans le monde entier.
Voilà pourtant un produit trop souvent maltraité, voire diabolisé. C’est pourquoi je remercie le rapporteur Didier Guillaume, ainsi que la commission des affaires économiques, d’avoir adopté à l’unanimité notre amendement visant à reconnaître que le vin, produit de la vigne,…
M. Philippe Bas. Et du travail des hommes ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. … et les terroirs viticoles font partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France.
Cet amendement faisait suite à une proposition de loi que j’avais déposée en avril 2011 avec mes collègues Jean-Jacques Mirassou,…
M. Bruno Sido. Encore lui ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. … Claude Bérit-Débat et Marcel Rainaud et réactivée en octobre dernier.
À la suite d’une erreur de dactylographie, le qualificatif « protégé », qui concernait ce patrimoine culturel, gastronomique et paysager, a disparu de l’amendement que j’avais déposé en commission en février. Je propose donc, par voie d’amendement, de réintroduire ce mot dans le texte.
Avant de conclure, je voudrais faire une remarque, monsieur le ministre, à propos de l’élevage.
J’apprécierais que l’on prenne en compte les exploitations de petite taille, au cheptel très restreint. Ces exploitations de moins de dix vaches allaitantes maintiennent la vie des hommes sur certains territoires difficiles, et il existe un indéniable risque de les voir disparaître si elles demeurent exclues du versement de la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes.
Bien évidemment, je soutiendrai ce texte, qui impulse une nouvelle dynamique et de nouveaux moyens de développement à l’agriculture. Il y a là véritablement une rupture, c'est-à-dire une rupture pour une très grande mutation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, permettez au Vendéen que je suis d’adresser ses félicitations au Sarthois que vous êtes d’avoir été reconduit dans ses fonctions.
Je salue également le président de la commission des affaires économiques et les rapporteurs, qui ont fait un travail important, ainsi que l’ensemble de mes collègues.
Je veux dire à mon ami Roland Courteau qu’un pessimiste, comme dirait quelqu’un, c’est aussi un optimiste qui a un peu d’expérience.
En un peu moins de quinze ans, nous en sommes à la quatrième loi prétendant offrir un horizon à l’agriculture. C’est beaucoup.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Cela veut dire que cela n’a pas toujours marché !
M. Bruno Retailleau. Ce peut être un signe négatif ou … positif et rassurant si l’on considère que cela témoigne de l’importance qu’on accorde à l’agriculture française : l’agriculture, ce sont à la fois des racines et l’avenir.
Ce peut être aussi un signe inquiétant parce que la bougeotte législative, c’est de l’instabilité. C’est en même temps le symptôme d’un mal français que l’on connaît bien : à force de modifier les textes, on change perpétuellement un environnement qui, par ailleurs, dans la compétition mondiale, ne cesse de bouger.
Pourquoi ce projet de loi, et quels effets en attend-on ? Monsieur le ministre, si votre objectif est d’aider les agriculteurs à relever les défis de la modernité du XXIe siècle, je doute que le texte que vous nous soumettez ne parvienne à surmonter trois des plus grandes contradictions dans lesquelles nos agriculteurs se débattent au quotidien.
La première contradiction, c’est que jamais il n’y a eu autant de concurrence, de dumping social, fiscal et environnemental à l’extérieur, avec une Europe toujours plus ouverte aux quatre vents, une passoire, disent certains. À l’intérieur, jamais nous n’aurons eu autant de contraintes, d’obligations, de normes imposées aux agriculteurs. C’est un dilemme d’incompatibilités pour les agriculteurs. Il faudra bien sûr réviser ce logiciel d’une ultraconcurrence.
De ce point de vue, c’est fondamental, vous devrez, me semble-t-il, informer le Parlement des discussions qui se déroulent actuellement – elles sont importantes pour notre agriculture – entre les États-Unis et l’Europe sur l’accord de libre-échange. (M. le ministre acquiesce.)
D’un côté, à l’extérieur, toujours plus d’ouverture, toujours plus de concurrence, et, de l’autre, à l’intérieur, toujours plus de tracasseries administratives.
J’ai du respect pour vous, monsieur le ministre, pour le travail que vous faites, pour votre tempérament, mais, je suis désolé de vous le dire, ce texte ajoute de la complexité à la complexité (M. le ministre fait un signe de dénégation.) …
M. Gérard César. Oui !
M. Bruno Retailleau. … de nouvelles contraintes,…
M. Rémy Pointereau. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. … telles que l’étatisation de la politique d’installation, la transmission des données, les nouvelles obligations déclaratives pour les engrais azotés, etc. Moins de simplicité, plus de complexité : voilà la première contradiction.
Deuxième contradiction, jamais, dans le monde, le niveau des risques n’aura été aussi élevé ; jamais les outils de régulation n’auront autant manqué pour faire face à une telle situation.
On ne peut pas parler d’avenir de l’agriculture, mes chers collègues, sans regarder lucidement ce qu’est le monde. Or le monde qui s’offre à nous présente deux grandes mutations : le réchauffement climatique et la mondialisation.
Lisez les conclusions de l’Organisation météorologique mondiale, qui fait référence depuis 1850 : parmi les quatorze années les plus chaudes, treize appartiennent au XXIe siècle, qui n’a que quatorze ans ! En Vendée, nous en savons quelque chose avec la tempête Xynthia ! Les risques naturels et sanitaires se sont donc amplifiés.
J’en viens à la mondialisation : elle engendre une plus grande interdépendance et amplifie les événements, avec ce que l’on appelle l’effet papillon. La sécheresse en Australie, l’actualité en Ukraine ou aux États-Unis ont des effets dans le quotidien de tous nos territoires.
Qu’y a-t-il en face ? Moins de moyens de régulation ! Les outils dont s’était dotée jadis la politique européenne ont quasiment tous été abandonnés. Quel régime assurantiel pour les agriculteurs ? Le Farm Bill, Jean Bizet l’évoquait, c’est encore plus d’argent américain pour moins d’aides directes, mais plus de soutien assurantiel.
Chez nous, en Europe, le régime assurantiel est lié au stockage de l’eau, qui a permis la grande révolution néolithique. Il y aura des années de plus en plus sèches. Vous le savez très bien, pour ce qui concerne les retenues collinaires, qui sont pourtant la meilleure des assurances récoltes, les agriculteurs rencontrent d’immenses difficultés. Ce texte ne leur apporte aucune réponse.
Troisième contradiction, jamais la France n’aura autant dégringolé dans les palmarès internationaux.
M. Gérard César. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Les Pays-Bas nous ont doublés, alors que les deux tiers de son territoire sont situés sous le niveau de la mer ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Renée Nicoux. Cela ne date pas d’hier !
Mme Bernadette Bourzai. Grâce à qui ?
M. Bruno Retailleau. Ma chère collègue, tout cela, ce n’est ni la gauche ni la droite ! Tout cela, c’est l’agriculture, c’est la France.
Mme Renée Nicoux. C’est facile !
M. Bruno Retailleau. On vous attend aujourd'hui au tournant. Jamais la France n’aura autant dégringolé, jamais vous n’aurez autant affaibli la compétitivité par des contraintes administratives, par le matraquage, l’assommoir fiscal. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Vous avez supprimé les allégements de charges pour les travailleurs agricoles, …
Mme Sophie Primas. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. … ainsi que la TVA sociale, qui était une membrane protectrice. (M. Gérard Larcher applaudit.)
Vous avez évoqué le discours de politique générale de Manuel Valls. Toutefois, permettez-moi de vous l’indiquer, les Allemands, en instaurant un SMIC, auront sans doute fait beaucoup plus pour la compétitivité de l’agriculture française …
Mme Bernadette Bourzai. Grâce à qui ?
M. Bruno Retailleau. … que l’addition de toutes les mesures annoncées ici ! (M. Jean-François Husson applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Bien sûr, nous sommes rassurés, il y a l’arme atomique, votre botte secrète, à savoir le GIEE. Nous verrons ce que cela donne !
Pour conclure, je veux souligner que les agriculteurs veulent, bien sûr, concilier développement et environnement. Citez-moi une seule profession qui, en quelques années, ait fait autant d’efforts ! Didier Guillaume l’a très bien dit, et je lui en rends hommage. Mais les agriculteurs ne veulent plus être pointés du doigt ; ils en ont assez d’être traités comme des boucs émissaires ; ils veulent participer à la prospérité de la France, retrouver une fierté, celle de leur beau métier. Si tel est le cas, vous verrez que des vocations naîtront et que nous parviendrons alors à relever le grand défi de l’installation de nos jeunes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord rendre hommage au travail réalisé sur ce texte par M. le ministre, ainsi que par M. le rapporteur Didier Guillaume et l’équipe 100 % féminine des chefs de file, Bernadette Bourzai et Renée Nicoux. Qu’ils en soient tous remerciés.
Dernière intervenante dans la discussion générale, j’ai choisi, monsieur le ministre, de m’intéresser, en quelques mots, à un angle particulier de ce projet de loi, qui me tient tout particulièrement à cœur. Comme son nom l’indique, ce texte est tourné vers l’avenir, notamment vers l’avenir de la jeunesse, celui des jeunes agriculteurs. Nous le savons bien, c’est une priorité affirmée, depuis deux ans, par le Président de la République que l’on retrouve donc ici. Elle transparaît nettement dans le travail qui a été mené, et je m’étonne que ce point n’ait pas été davantage souligné.
Tout d’abord, il s’agit des profondes modifications apportées à la formation et à l’enseignement agricole, orientés vers les objectifs de performance écologique et économique, ce qui n’est, je le rappelle, absolument pas incompatible, contrairement à ce que j’ai pu entendre dans les rangs de la droite, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.
L’acquisition progressive des diplômes par un dispositif de validation des compétences ou encore l’alignement des conditions générales d’attribution des bourses sur le régime de l’enseignement général constituent des mesures fortes, qui auront un impact direct et rapide sur le quotidien des futurs agriculteurs.
Pour aller encore plus loin, le texte prévoit la remise d’un rapport destiné à permettre le développement, nécessaire, des formations biqualifiantes dans l’enseignement agricole, notamment en zone de montagne.
De nouvelles missions, plus larges et plus étendues, seront également attribuées à l’enseignement agricole : je veux parler du développement durable et de la coopération scientifique, pour ne citer que ces deux exemples.
La création d’un institut agronomique vétérinaire et forestier de France est également prévue, et je vous en remercie, monsieur le ministre. Il ne s’agit pas d’un « non-sens scientifique ou d’une menace pour les établissements d’enseignement et de recherche », comme j’ai pu l’entendre lors des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale. Bien au contraire, une telle mesure vise à permettre une meilleure coopération entre les acteurs de la recherche et de la formation. C’est fondamental pour favoriser la transmission d’un savoir le plus complet possible aux étudiants. En réalité, dans un monde économique et environnemental sans cesse en évolution, cet institut viendra actualiser l’enseignement agricole, pour prendre en compte l’ensemble des évolutions et avancer en matière de recherche et d’innovation.
Ce texte s’engage énergiquement en faveur de nos jeunes agriculteurs. Cet aspect est encore un peu plus perceptible si l’on considère la vraie politique d’installation qu’il vise à mettre en place.
Pour apporter une touche d’optimisme, qui dénotera sans doute avec ce que j’ai entendu, j’évoquerai mon département, les Pyrénées-Atlantiques, …
M. Didier Guillaume, rapporteur. Très beau département !
Mme Frédérique Espagnac. … aujourd’hui le premier en nombre d’installations de jeunes agriculteurs, avec 139 installations en 2013, soit une augmentation de 30 %, ce qui constitue une première en France. Avec 52 % d’installations en zone de montagne, ce sont des jeunes de plus en plus formés – certains ont même eu des parcours professionnels auparavant – qui s’installent, à un âge moyen de 29 ans. À noter, 30 % d’entre eux sont des femmes, et un quart des nouveaux venus ont une formation post-bac. Il convient, je crois, de saluer une telle évolution. Par ailleurs, sur ces 139 installations, 69 ont intégré la volonté de participer aux circuits courts de distribution des produits agricoles.
Monsieur le ministre, vous le savez, les parcours, les expériences, les profils, sont aujourd’hui très divers. Même si 70 % des porteurs de projets sont issus du milieu agricole, cette proportion n’a cessé de diminuer depuis une dizaine d’années. Tout l’enjeu était donc de parvenir à créer un cadre juridique susceptible d’accueillir tous ces profils différents. Des réponses concrètes ont donc été apportées et les parcours simplifiés, contrairement à ce que j’ai pu entendre.
Je pense à l’accès au foncier, qui reste, on le sait bien, l’une des premières difficultés lors d’une installation, et à la mise en place du dispositif d’installation progressive ou de couverture sociale pour toute personne encore en stage ou en formation, mais dont l’objectif est de s’installer.
Il s’agit également, comme l’a souligné mon collègue Jean-Jacques Mirassou, de l’extension du contrat de génération jusqu’à trente ans, afin de faciliter la transmission. Tout cela constitue des avancées majeures.
D’un point de vue peut-être plus technique mais tout aussi important, ce projet de loi place l’installation au cœur des objectifs de clarification du contrôle des structures. La consolidation des exploitations est bien sûr d’un intérêt crucial, mais lutter plus efficacement contre les contournements de la réglementation, c’est d’abord et avant tout permettre à des jeunes de s’installer plus facilement.
Toujours dans le souci constant de s’adresser aux jeunes générations, ce texte vise à supprimer purement et simplement le critère unique de la surface minimum d’installation, qui constituait une contrainte importante dans certains départements, pour intégrer la notion, plus juste, de temps de travail. Une telle mesure était demandée de longue date par les jeunes agriculteurs, mais c’est bien notre majorité – et vous-même, monsieur le ministre – qui la met en œuvre.
Un projet de loi comme celui-ci, tourné vers les jeunes, l’agroécologie, la compétitivité et la modernisation de notre agriculture, est en réalité, je tiens à le dire, un beau texte ambitieux.
Ma conviction est que, dans les moments économiques difficiles comme ceux que nous traversons actuellement, les territoires ruraux, et le domaine agricole en particulier, ont tant de choses à nous apporter. Dans les Pyrénées-Atlantiques, ce sont 30,5 millions d’euros en un an qui ont été investis dans des entreprises qui ne se délocaliseront pas, comme se plaisent à me le rappeler les jeunes agriculteurs que je côtoie sur le terrain. À ce jour, ils font de plus en plus le choix de la qualité, s’inscrivant dans des démarches de reconnaissance en AOP. Vous le savez, le Pays basque en revendique l’une des plus belles reconnues en Europe et en Asie, celle du piment d’Espelette.
En conclusion, permettez-moi de saluer la décision très importante de renforcer le droit d’opposition de l’INAO, l’Institut national de l’origine et de la qualité, sur le dépôt de marques commerciales.
L’agriculture est une vraie filière d’avenir, mais c’est surtout et avant tout une filière à laquelle les Françaises et les Français sont profondément attachés. Je suis convaincue que, par ce projet de loi, vous les aiderez. C’est la raison pour laquelle nous serons derrière vous et voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Yvon Collin applaudit également.)