M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
M. Jean-Pierre Vial. … au moins sur la plus grande partie du territoire national, si ce n’est dans son intégralité.
Les faits sont là : en dehors du domaine des déplacements et des transports, et encore, le seul traitement des EPR consistera demain en un volume équivalant à ce qui a été traité à ce jour.
Selon une estimation faite auprès de plusieurs départements, plus particulièrement de mon département de Savoie où j’ai pu apprécier la qualité et le professionnalisme du service mis en place au sein de la chambre de commerce et d’industrie, au regard de la capacité de traitement de ces deux dernières années, le stock ne pourra pas être absorbé en moins de six ans.
Cela ne saurait davantage écarter les dossiers de dérogation qui ne peuvent résulter que d’un diagnostic préalable.
C’est la raison pour laquelle, au nom du principe de réalité, il est proposé d’assouplir le calendrier en permettant au préfet de prolonger les délais après avis de la CCDSA.
Cette nécessité d’assouplissement des délais vaut davantage encore pour les délais de réalisation de l’agenda proposé et accepté.
Comment ne pas prendre en compte la situation économique des collectivités dont l’épargne brute a baissé en 2013 pour la deuxième année consécutive, et avant même que la diminution des dotations d’État d’au moins 10 milliards d’euros n’ait produit son effet, sans parler des 32 000 communes, sur les 36 000, de moins de 2 000 habitants, soit le quart de la population nationale, aux capacités techniques quasi inexistantes ?
Or les besoins d’investissement des seuls départements s’élèvent à au moins 1,5 milliard d’euros pour les ERP et 15 milliards d’euros pour les transports collectifs.
Cette capacité de prolonger les délais de mise en œuvre du plan doit être à la disposition des préfets, après avis de la commission départementale, qui paraît indispensable.
J’évoquerai un dernier chantier, celui de l’expérimentation.
Ce sujet, je le sais, est loin d’être soutenu par tous. Il pourrait cependant apparaître, lui aussi, paré des vertus de la transparence et d’une démarche tendant à organiser le meilleur service.
Cette proposition, qui avait été avancée dès 2005 par la profession hôtelière, nous aurait permis de disposer aujourd’hui du retour d’expérience nécessaire si elle avait été acceptée et engagée.
Or, nous le savons, dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, une très grande majorité d’établissements se trouvent dans une situation financière difficile et le taux de fermeture est particulièrement élevé. La situation est simple, madame la secrétaire d’État : soit vous vous réfugiez derrière le caractère dérogatoire qui peut être donné à ces établissements, et l’accessibilité sera alors écartée ; soit les dérogations ne sont pas obtenues, et un grand nombre d’établissements seront contraints de disparaître.
L’expérimentation a donc une double vertu : permettre le maintien d’une activité d’hôtellerie et de restauration dans des secteurs qui peuvent être difficiles et, de surcroît, travailler à l’aménagement d’une accessibilité adaptée.
Cette expérimentation encadrée et appuyée sur un dispositif de type AFNOR permettrait de plus d’associer l’ensemble des acteurs à une telle démarche expérimentale.
Oui, madame la secrétaire d’État, nous naviguons aujourd’hui entre Charybde et Scylla, le récif des normes d’un côté, et le récif de la situation financière et économique de l’autre. Selon le principe in medio stat virtus – la vertu est entre les extrêmes –, il nous faut effectivement passer entre ces deux écueils.
La situation qui nous est présentée ne nous permettra pas d’atteindre les objectifs fixés. Aussi, je le dis très sereinement, les propositions qui vous seront soumises dans un instant par voie d’amendement seront pour nous l’occasion d’apporter notre soutien à ce projet d’ordonnance – même si, je vous l’ai dit, il n’a pas notre approbation spontanée –, à condition que ces assouplissements soient retenus. Autrement, le Gouvernement aura à supporter seul la responsabilité d’un texte qui est aujourd’hui purement et simplement inacceptable et inapplicable dans les délais retenus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, j’aborderai le texte dans sa globalité, puis j’évoquerai quelques éléments plus précis.
S’agissant en premier lieu de la globalité, je veux d’abord dire mon profond accord sur les objectifs, la finalité de la loi de 2005 par conviction, pour des raisons éthiques et de responsabilité.
La question, c’est bien sûr celle de la faisabilité technique et financière de l’accessibilité. On peine à évoquer la question sous ce jour, mais il convient d’intégrer cette réalité. L’ambition était colossale, juste, mais difficilement réalisable, d’où le débat d’aujourd’hui.
Ce texte nous est soumis à quelques mois d’une échéance couperet, puisqu’elle expose potentiellement à des sanctions pénales. Il intervient donc en urgence, en nous demandant d’autoriser le Gouvernement à procéder par ordonnance, et dans des délais qui frisent l’indigence. C’est presque un débat escamoté que vous organisez. Or il est bien dommage que le Sénat se prive du délai minimal nécessaire à la prise en compte des rapports et propositions,…
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. Vincent Capo-Canellas. … je pense en particulier aux suggestions de la délégation aux collectivités territoriales qui viennent d’être exposées à l’instant par M. Vial. (Mme Isabelle Debré applaudit.) Tout cela est regrettable. Cependant, puisque nous y sommes, n’esquivons pas le débat.
Ce texte est issu d’une concertation approfondie et d’un travail de proposition qu’il faut saluer et mesurer à sa juste valeur. Une large part en revient à notre collègue Claire-Lise Campion.
Il donne un cadre législatif renouvelé, auquel s’ajoutera un cadre réglementaire rénové.
Il faut tenter d’apprécier le tout dans sa globalité. C’est à un équilibre d’ensemble que vous nous conviez. On y trouve une part législative par voie d’ordonnance et cela nous irrite, une part réglementaire future et ce futur nous laisse naturellement circonspects, une recherche de compromis que nous saluons, un sens de la simplification, enfin, qui nous laisse clairement sur notre faim.
Au départ, le constat est évident : le manque d’information et de prise de conscience sur la réalité de la loi de 2005 est patent. Les collectivités n’ont ainsi pas entendu qu’elles s’exposaient à des sanctions. Peu d’élus le mesurent aujourd’hui encore ; beaucoup l’ignorent. Le bruit de fond a été « l’objectif est inatteignable, chacun le sait ». Ce bruit de fond a rendu par avance l’échéance de 2015 presque théorique : « elle sera repoussée », entendait-on. C’est malheureux, mais c’est ainsi !
Bien sûr, les collectivités ont fait preuve de réalisme : la loi est une obligation. Toutefois, le terme a paru inatteignable. Chacun a fait autant qu’il le pouvait, en fonction de ses moyens, pas seulement financiers, surtout techniques.
Je prendrai quelques exemples : installer un ascenseur dans un hôtel de ville suppose que la mise aux normes électriques et incendie soit faite. Ainsi, l’accessibilité s’inscrit le plus souvent dans des stratégies patrimoniales d’ensemble. Rendre accessible une église classée, c’est plus de trois ans de procédure, et après seulement viennent les travaux.
J’ai entendu la critique légitime des associations de handicapés, qui nous disent : « Vous trouvez bien les moyens pour les énergies renouvelables ou les tableaux numériques ». À cela je répondrai que les élus partagent leurs exigences et leurs attentes ; nous mesurons clairement combien, lors d’une manifestation ou d’un mariage, être confronté à des locaux inaccessibles est choquant.
C’est bien, pour les élus, un constat qui oblige – nous l’avons tous en tête. D’où le besoin d’un nouveau souffle.
Ce qui vient naturellement compliquer le sujet, c’est le fait que le rappel salutaire de l’exigence d’accessibilité que contient ce projet de loi d’habilitation intervient à un moment où les collectivités voient leurs ressources baisser, où les rythmes scolaires compliquent encore la marche des projets et où la question du devenir des villes et des départements est posée – différemment, mais elle l’est.
Voilà donc le dilemme et l’extrême difficulté devant lesquels nous nous trouvons.
J’ajoute que l’on nous parle de simplification et qu’il n’est pas sûr que le présent texte y contribue. Je pense même, à bien des égards, le contraire. J’ai déposé quelques amendements que l’on pourrait qualifier de « poil à gratter » pour le souligner.
Dernier point, ce texte n’explore pas assez la piste intercommunale. Pourtant, par la voie simple des groupements de commandes, une piste pourrait être explorée pour les petites communes. Nous mesurons l’exigence que nous leur imposons et la faiblesse de leurs moyens.
Car l’important, l’essentiel est : comment faire les travaux lorsque, comme c’est le cas dans certaines communes, l’on ne compte ni ingénieur ni technicien supérieur dans sa collectivité et que ses travaux sont par définition complexes ?
De ce point de vue, j’ai lu avec intérêt que l’État devrait renforcer ses moyens, et je rappelle que les collectivités devront relever le défi sans en avoir les moyens.
J’arrête la critique d’un projet qui, malgré tout, redonne une perspective tant aux associations qu’aux collectivités et propriétaires d’ERP ou gestionnaires de transports, et qui a en outre le grand mérite de garder chacun dans une logique de travail collectif et partagé.
Je veux donc dire mon accord et celui de mon groupe sur ce sujet, accord assorti des réserves que je viens d’évoquer, accord par réalisme.
Mon mot d’ordre sera : simplifiez ! Donnez-nous vraiment les moyens de produire de l’accessibilité. Ne privilégiez pas la méthode sur l’objectif. Prenez garde à ce travers traditionnel de notre administration : ne donnons pas la priorité à la manière d’arriver à l’objectif, donnons-la à la réalisation de cet objectif. De grâce, ne privilégions pas la procédure !
Si je devais vous faire une critique, je vous dirais : entre la demande d’Ad’AP, la mise en concurrence pour un bureau d’études, la reprise des travaux de diagnostic antérieurs, la réalisation de l’Ad’AP, nous allons passer de douze à dix-huit mois à ne produire que de la procédure et à ne pas faire pendant ce temps les travaux attendus.
Bref, simplifiez, arrêtez de modifier les commissions que nous venons à peine de renouveler après les élections municipales, arrêtez d’ajouter des membres, de changer les dénominations, arrêtez les délais papier, la réunionite et la comitologie !
Mme Catherine Procaccia. Il a raison !
M. Vincent Capo-Canellas. Privilégiez les travaux et l’évaluation simple : y a-t-il une progression ou pas ? Il faut évaluer chaque collectivité à cette aune simple : progressez-vous en accessibilité et le faites-vous de manière claire et volontaire ? Mais ce serait bien sûr beaucoup demander que de lutter contre le penchant naturel de notre beau pays à tout régler par la contrainte et la complexité administrative.
Les élus vont découvrir ce texte et le trouver à bien des égards plus complexe que le précédent. Ils vont découvrir qu’il résout un problème pénal, certes, mais qu’ils avaient a priori oublié, et ils vont devoir se confronter à un nouveau mode d’emploi complexe. C’est une bonne nouvelle, mais vous conviendrez qu’elle est tout de même relative.
L’analogie avec le processus de sanction et de carences de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU, n’est guère enthousiasmante quant aux résultats à attendre. Aussi ai-je regardé avec intérêt les amendements de notre collègue Jean-Pierre Vial et de la présidente Jacqueline Gourault, qui ont eu le grand privilège de se pencher avant nous sur le sujet au titre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.
Il y a là de sérieuses pistes. Puissiez-vous les entendre et veiller dans la rédaction des ordonnances à ce mot : simplicité. Il rime souvent avec efficacité. La cause est noble ; elle le mérite.
Cela posé, j’en viens maintenant aux dispositions du projet de loi de façon plus détaillée.
La démarche et le texte se veulent pragmatiques. Ils le sont pour une bonne part ; pas assez sans doute. Tout part du constat peu glorieux que nous ne serons pas au rendez-vous de 2015. L’étude d’impact du présent texte l’explique très bien : c’est la mesure de l’impact financier et technique sur les maîtres d’ouvrages qui n’a pas été suffisamment prise en compte.
Ces maîtres d’ouvrages, ce sont en particulier les collectivités, que nous représentons ici, parce que leurs ERP représentent une part non négligeable de ceux qui doivent être mis en conformité. Elles cofinancent l’accessibilité des transports.
Si beaucoup reste à faire, il ne faut pas oublier que beaucoup a été fait. Dans quelles proportions, voilà qui est bien difficile à dire. Selon l’Association des paralysés de France, l’APF, seulement 15 % des ERP seraient aux normes d’accessibilité, tandis que l’administration en compterait au moins 30 %. Au moins y a-t-il maintenant une vraie dynamique et une vraie volonté politique… à conforter.
Il s’agit à présent de répondre concrètement à des besoins tout aussi concrets. C’est ce qu’entend faire le texte qui nous est soumis en tâchant de déterminer un équilibre entre maintien des objectifs de la loi de 2005 et moyens donnés pour les atteindre.
En matière de bâti, les ERP devront bien être accessibles. C’est le calendrier de la mise en accessibilité qui sera susceptible d’évoluer grâce à ce nouvel outil qu’est l’agenda d’accessibilité programmée, l’Ad’AP. Toutefois, en l’absence d’Ad’AP, la date du 1er janvier 2015 est maintenue, de même que les sanctions associées.
Pour ce qui est des transports, la priorisation des points d’arrêt à aménager est compensée par l’obligation de mettre en place des moyens de substitution pour tous les autres points d’arrêt. J’oserais dire que l’on a été plus pragmatique en matière de transports qu’on ne l’a été lorsqu’il s’est agi des collectivités.
Les objectifs de la loi de 2005 semblent donc bien confirmés. Mais, en contrepartie, plus de souplesse est donnée aux maîtres d’ouvrages et aux organisateurs de transports, toujours dans le cadre de l’Ad’AP. Cette souplesse sera-t-elle suffisante ? Là réside selon nous la question centrale soulevée par le projet de loi d’habilitation.
La procédure de dérogation pour raisons financières est un élément encourageant du nouveau dispositif, et même un élément clé, parce que l’horizon financier des collectivités est aujourd’hui à la fois incertain et dégradé.
Il faut ainsi rattacher notre débat au contexte général des finances locales. La mise en accessibilité doit être programmée à l’heure où les dotations aux collectivités ne cessent de diminuer.
À cela, il faut ajouter la réforme des rythmes scolaires et sans doute bientôt les mesures relatives à la transition énergétique.
Les collectivités sont aujourd’hui corsetées dans un écheveau d’agendas qui leur interdit de s’engager dans un programme pluriannuel, ou en tout cas qui les invite à le faire avec prudence. Or la pluriannualité est le socle et la raison d’être de l’Ad’AP, d’où le doute qui nous étreint.
Et encore, il n’y a pas que la question financière. Il y a aussi celle, capitale, de l’expertise technique. C’est le problème de la simplification. Le dispositif proposé n’est-il pas d’une extrême complexité, bien trop complexe pour beaucoup de collectivités, notamment les plus petites d’entre elles ?
La question est traitée pour ce qui concerne le plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics, le PAVE, que les plus petites communes ne seront pas tenues d’élaborer ou pourront faire en forme simplifiée. Encore vaudrait-il mieux que le projet de loi d’habilitation précise les seuils démographiques au-dessous desquels les communes bénéficieront de ces allégements. Le Sénat gagnerait à être éclairé sur ce point, et nous défendrons un amendement en ce sens.
Mais qu’en sera-t-il pour les ERP ? Comment une petite commune peut-elle faire face à son obligation de mise en accessibilité ? Comment dispose-t-elle de l’expertise technique lui permettant de se mettre en conformité ?
C’est un problème majeur, dont l’État a d’ailleurs parfaitement conscience puisque l’étude d’impact fait état de la nécessité d’un renfort administratif pour l’instruction des Ad’AP au profit des commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité, les CCDSA.
Ce qui est vrai des CCDSA l’est à plus forte raison des petites communes. Or rien n’est prévu pour cela. Vous évoquerez les financements de la Banque publique d’investissement et de la Caisse des dépôts et consignations, mais je parle d’un point de vue technique.
Certes, la procédure d’Ad’AP sera simplifiée pour les ERP de cinquième catégorie, qui constituent la grande majorité des ERP, et nous ne pouvons que nous en réjouir. D’un autre côté, la procédure de suivi de l’Ad’AP nous semble extrêmement lourde et pour tout dire quasiment bureaucratique.
Il va falloir rendre compte périodiquement de l’état d’avancement des travaux, c'est-à-dire dépenser son temps, son énergie et ses moyens à de nouvelles formalités administratives au lieu de les consacrer à avancer plus vite. C’est de nature à faire perdre de vue l’objectif pour se concentrer sur la méthode. Je préfère que l’on privilégie l’objectif plutôt que la méthode.
À l’issue des Ad’AP, il y a bien des sanctions. Les maîtres d’ouvrages le savent ; ils sont responsables. Il faut donc les laisser libres d’organiser leur mise en conformité. En un mot, communiquons plus sur l’accompagnement et sur l’objectif à respecter et moins sur la façon d’y parvenir !
Aussi déposerons-nous des amendements visant à supprimer les obligations d’information incombant au maître d’ouvrage sur la mise en œuvre de l’Ad’AP.
En effet, en l’état actuel du dispositif, comment voulez-vous que la durée moyenne des Ad’AP ne soit que de trois ans ? Il faut regarder les choses en face : entre la saisine d’un bureau d’études après mise en concurrence, la désignation de la maîtrise d’œuvre, la validation par l’autorité préfectorale, le délai d’appel d’offre pour travaux, les arbitrages et les travaux eux-mêmes, les trois ans sont vite passés.
En l’absence d’assouplissement authentiquement pragmatique, nous courons le risque de n’avoir fait que répondre à une incantation par une autre incantation, ce dans quoi pourraient nous précipiter les délais envisagés pour les engagements d’Ad’AP et leurs dépôts.
Il est ainsi prévu que ces engagements devront intervenir avant le 31 décembre 2014, ce qui paraît très tendu. J’ose le dire, pour une ordonnance publiée pendant l’été, ce n’est qu’à la rentrée que les communes prendront pleinement conscience de cet engagement et de la nécessité d’y avoir souscrit avant la fin de l’année.
Madame la secrétaire d’État, les ordonnances seront-elles publiées dès le mois de juillet ? Y aura-t-il une information claire pour tout le monde ? À partir de cette publication, les maîtres d’ouvrages n’auront que quelques mois pour s’engager dans un Ad’AP. Pourriez-vous nous préciser sous quelle forme ? On nous parle d’un CERFA…
Ensuite, les maîtres d’ouvrages auront un an pour établir l’Ad’AP à partir de la publication desdites ordonnances. N’est-ce pas un délai extrêmement court ?
Comme vous pouvez le constater, madame la secrétaire d’État, si nous saluons le pragmatisme global de la démarche, il fallait bien en sortir ; en un mot, sa mise en œuvre nous semble encore poser d’importantes questions, et pas des moindres, auxquelles nous attendons des réponses.
Notre « oui » de principe, qui est un « oui » franc et clair pour l’accessibilité, pour une cause que nous partageons, mériterait d’être conforté par des assouplissements dans la discussion qui va débuter. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 a été un marqueur politique majeur pour les personnes en situation de handicap et pour les associations qui les accompagnent.
En effet, cette loi a été perçue comme une véritable loi d’égalité sociale, comme la reconnaissance par la République, enfin, des besoins spécifiques que rencontrent les personnes en situation de handicap pour vivre pleinement leur vie dans la cité, et ce de manière paradoxale puisque en réalité, dès 1975, notre législation faisait référence au principe d’accessibilité.
J’y vois pour ma part, et je voudrais y associer mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, plusieurs éléments d’explication qui se conjuguent.
Tout d’abord, à la différence de la loi de 1975, celle de 2005 a une portée universelle en ce sens qu’elle traite tout à la fois du handicap moteur comme des handicaps mentaux ou psychiques, ou encore cognitifs.
Elle est universelle, aussi, car elle a vocation à s’appliquer à tous les domaines de la vie, qu’il s’agisse du logement, du transport, du travail, de l’accès aux lieux culturels, de loisir, ou encore à l’école.
Elle est universelle, enfin, et c’est un fait nouveau, parce que l’adaptation de notre société à des besoins initialement définis pour le domaine du handicap s’avère pertinente dans d’autres situations.
Abaisser les trottoirs, prévoir des pentes douces pour accéder aux bâtiments, installer des ascenseurs ou aménager les transports en commun, c’est répondre tout à la fois aux besoins des personnes en situation de handicap permanent ou provisoire, comme à ceux des parents avec poussettes, ou encore à ceux des personnes âgées qui, restant à leur domicile, souhaitent pouvoir rester le plus longtemps possible indépendantes. Il s’agit en quelque sorte d’une transversalité des besoins qui appelle une réponse commune. Nous en reparlerons sans doute à l’occasion du projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement de la population.
Je vois aussi dans l’attachement porté à cette loi une explication complémentaire, et sans doute centrale : pour la première fois, la loi avait un cap, un objectif palpable : 2015. Aujourd’hui, force est de le constater, cet objectif ne sera pas atteint, et ce pour différentes raisons : les délais de publication des décrets, une mauvaise évaluation des délais de mise œuvre, mais également, parfois, un défaut de portage politique.
Ainsi, comme le relèvent l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle, l’Obiaçu, ainsi que les rapports établis par Claire-Lise Campion et Isabelle Debré dès 2012, bien que ne disposant pas d’outils d’évaluation précise et nationale permettant de mesurer l’application réelle de la loi de 2005, tous les observateurs s’accordent à dire que les retards sont immenses.
Selon l’Association des paralysés de France, seuls 15 % des établissements recevant du public seraient aujourd’hui en conformité avec la loi. Je sais que les chiffres du ministère diffèrent, mais il n’empêche que beaucoup reste à faire !
Là encore, nous y voyons plusieurs raisons, à commencer par le fait que la loi de 2005, juste dans sa portée universelle, n’est pas exempte de toute critique. La première est de taille puisque, malgré l’ambition légitime portée dans la loi du 11 février 2005 de transformer le bâti pour le rendre accessible, aucun financement spécifique n’avait été prévu pour accompagner les collectivités locales et territoriales dans ce chantier d’ampleur.
La question centrale de l’absence de moyens financiers, notamment pour soutenir l’effort des collectivités, avait d’ailleurs amené mon groupe à se prononcer contre le projet de loi en 2005. Nous alertions alors sur le risque d’échec si l’État ne les aidait pas. Aujourd’hui, malheureusement, le faible bilan de réalisation des mises aux normes nous donne raison.
Cela est d’autant plus regrettable qu’en réalité ce sont les communes et les départements qui ont le plus investi en faveur de leurs concitoyennes et de leurs concitoyens, qui ont le plus étendu le champ de l’action publique, et ce alors même que les collectivités locales et territoriales voient leurs ressources diminuer. Elles diminueront d’autant plus, au lendemain du discours de politique générale du Premier ministre, que les dotations à l’égard des collectivités locales sont appelées à être réduites dans des proportions jamais atteintes.
Il faut le dire aussi, certains responsables publics, comme des acteurs privés, n’ont pas fait de l’accessibilité universelle une priorité.
Trop nombreux sont restés attentistes, beaucoup arguant des coûts induits par la mise en accessibilité des équipements, alors qu’ils ne se posent pas la question de l’utilité sociale de nombre d’autres réalisations. Certains, qui ne voient pas « l’intérêt » de cette mise en accessibilité, ont même parié sur un recul du législateur ; je vous renvoie, mes chers collègues, à la proposition de loi dite Paul Blanc, laquelle prévoyait des dérogations inacceptables, il est vrai invalidées en partie par le Conseil constitutionnel. Je vous renvoie également aux différentes mesures proposées en matière de simplification des normes, certaines ne constituant qu’un recul manifeste en matière d’égalité.
M. Capo-Canellas évoquait la simplicité qui rime avec efficacité. Or l’efficacité de la loi de 2005, pourtant simple, reste à prouver puisqu’elle n’est pas appliquée à ce jour. (Mme Isabelle Debré s’exclame.)
Aussi, j’entends et je comprends la crainte exprimée aujourd’hui par les associations de voir de nouveaux délais non tenus et de nouveaux engagements non garantis.
Il me semble néanmoins pouvoir dire, sans vouloir minimiser les craintes exprimées, que ce projet de loi repose sur une tout autre logique : l’objectif de 2015 est maintenu et le non-respect de l’échéance reste passible de sanctions, comme vous l’avez rappelé il y a quelques instants, madame la rapporteur.
De manière pragmatique est mis en place un agenda d’accessibilité programmée, ou Ad’AP, offrant la possibilité, à celles et ceux qui accusent un retard, de se mettre en conformité avec la loi. Il s’agit donc, comme le constate le Conseil national consultatif des personnes handicapées, le CNCPH, après trente-huit années d’attente, d’une initiative intelligente décrivant les modalités des processus de mise en accessibilité réclamées depuis des décennies et absentes des lois de 1975 et 2005. Ces Ad’AP sont en quelque sorte un outil de remobilisation des acteurs par des engagements fermes.
Nous souscrivons pleinement à cette logique d’accompagnement, qui présente l’avantage d’inscrire les gestionnaires d’établissements recevant des publics, personnes morales de droit public comme de droit privé, dans une dynamique vertueuse.
Pour autant, tout n’est pas satisfaisant dans ce projet de loi et les associations qui ont participé à la concertation ne manquent pas de nous le rappeler.
Sur la forme tout d’abord : il s’agit d’un projet de loi d’habilitation qui, en autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance, retire au Parlement sa capacité à jouer pleinement son rôle, à commencer par notre capacité à amender réellement, ce qui n’est pas acceptable pour mon groupe, au nom de la démocratie et de la souveraineté populaire.
Je vous ai bien entendue, madame la secrétaire d’État – Mme la rapporteur également –, sur la nécessité et l’urgence à prendre ces mesures, ce dont nous sommes bien conscients. Néanmoins, nous aurions préféré pouvoir débattre ensemble d’un véritable projet de loi.