M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. J’ai bien entendu les propos de M. le secrétaire d’État et les compléments d’information qu’il a apportés s’agissant des conditions dans lesquelles le fonds peut octroyer des aides.
Mais nous avions complété le passage à 55 % d’une protection supplémentaire relative au niveau des indemnités par rapport aux recettes de fonctionnement des collectivités. Pour cela, nous nous sommes fondés sur des exemples locaux dont nous avons constaté qu’ils ne trouvaient pas de résolution.
Les conditions dans lesquelles la SFIL est en train de renégocier les prêts avec un certain nombre de collectivités m’inquiètent. Les indemnités de renégociation me paraissent beaucoup trop élevées par rapport aux capacités de ces collectivités. Je le disais lors de mon intervention liminaire, nous sommes actuellement dans une période où les collectivités doivent faire face à des demandes d’indemnités très lourdes, alors même que leur capacité à répondre aux remboursements très élevés qui leur sont demandés pour sortir de ces emprunts structurés ne cesse de diminuer.
Il importe de regarder comment sont véritablement impactées les collectivités territoriales. En effet, certaines se sont retrouvées, ou vont se retrouver, pour celles d’entre elles qui commencent à négocier, dans des situations proches de la faillite financière. Il faut examiner la situation avec réalisme.
Nous maintenons notre amendement parce qu’il est important, même si nous savons qu’il sera rejeté.
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par Mme Beaufils, MM. Bocquet, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 235 ter ZE du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au III, le taux : « 0,539 % » est remplacé par le taux : « 0,968 % » ;
2° Le IV est ainsi rédigé :
« La taxe fait l’objet de deux versements le 30 avril et le 30 octobre de l’année civile. » ;
3° Le VI est ainsi rédigé :
« Le montant dû en application du III n’est pas déductible de l’impôt sur les sociétés. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Cet amendement complète celui que nous venons de défendre sur l’intervention du fonds de soutien et participe, par ailleurs, de notre position de principe sur le sujet.
Dans les faits, nous souhaitons accroître les ressources de ce fonds par une augmentation de la contribution des établissements de crédit. Il y va d’ailleurs, en cette matière, de l’intérêt bien compris des finances publiques.
Accroître la contribution du secteur financier à la résolution des problèmes que les agissements de Dexia et de quelques autres établissements ont créés n’est pas scandaleux. C’est même, à nos yeux, tout à fait logique.
On nous objectera peut-être que cela revient, en portant à 600 millions d’euros l’apport des établissements de crédit au fonds de soutien, à demander aux établissements non fautifs de payer pour les « mauvais élèves de la classe ». Or, mes chers collègues, le principe des mécanismes de solidarité, comme celui qui est défini dans le cadre de l’union bancaire, ne participe-t-il pas de cette même responsabilité collective des secteurs financiers en cas de défaillance de l’un d’entre eux ?
La mutualisation des ressources ainsi mise en œuvre dans le fonds de soutien n’est pas plus scandaleuse que celle qui préside à la constitution progressive du fonds créé dans le cadre de l’union bancaire.
Je ferai une autre observation, qui est parfaitement essentielle et qui procède en particulier de notre interprétation de la crise des subprimes nord-américains.
Qu’on le veuille ou non, les activités de l’ensemble des établissements de crédit sont interagissantes, systémiques. Quand Dexia attend d’une collectivité locale le remboursement d’un emprunt en capital et en intérêts, un autre établissement de crédit, sollicité pour apporter les fonds levés par Dexia, attend, lui aussi, le retour des sommes concernées.
Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser qu’un contrat de swap notionnel proposé par Dexia à ses débiteurs ait été, en amont, revendu par les propres créanciers de Dexia, et diffusé encore à d’autres, notamment par le biais d’une opération, devenue assez banale, de titrisation.
Il y a donc une solidarité systémique clairement établie entre Dexia, la plus exposée des banques ayant distribué des emprunts structurés, et les autres établissements de crédit.
Par parallélisme des formes, nous ne pouvons donc que vous proposer l’expression la plus parfaite de cette solidarité « de place », « systémique ».
Toute autre considération, et notamment l’absence de relèvement de la contribution des banques au règlement de la situation créée, reviendrait, comme le texte nous y conduit, de gré ou de force, à ajouter à l’amnistie bancaire le scandale de la déresponsabilisation pure et simple des acteurs !
Évoquons quelques chiffres : on rappellera, pour souligner le poids terrible de l’augmentation que nous préconisons, que 0,039 % des fonds propres exigés des établissements de crédit suffiraient pour recueillir 50 millions d’euros. Par conséquent, moins d’un demi-point de ces fonds propres exigés suffirait à alimenter le fonds au niveau où nous le souhaitons.
D’ailleurs, aux dernières nouvelles, la santé économique de nos établissements bancaires peut faire rêver. Un article d’un grand quotidien du soir paru le 5 février dernier indiquait le montant des bénéfices réalisés par les deux premières banques françaises. Pour la première d’entre elles, le montant – impressionnant ! – des bénéfices est de 4,830 milliards d’euros ; pour la deuxième, il s’établit à 2,2 milliards d’euros.
Vous le voyez bien, mes chers collègues, nous ne faisons pas preuve de dogmatisme idéologique ; nous soutenons une solution pragmatique et réaliste – pour utiliser un mot très en vogue par les temps qui courent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Germain, rapporteur. Je reprendrai l’un des arguments avancés par M. Bocquet : effectivement, on ne peut pas demander à des banques n’ayant pas délivré de prêts toxiques d’aller au-delà de ce que nous considérons comme une solidarité. Là, nous franchissons un seuil extrêmement important, sur lequel chacun porte sa propre appréciation. La mienne n’est pas la même que celle de notre collègue Bocquet.
Par ailleurs, l’amendement prévoit que la taxe systémique ne serait pas déductible de l’impôt sur les sociétés, ce qui porterait la contribution du secteur bancaire non pas à 600 millions d’euros, mais à 1,2 milliard d’euros par an ; dans les circonstances actuelles, cela me semble exagéré.
Aussi, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage, là encore, l’avis de M. le rapporteur. Il a opportunément rappelé que le fonds est abondé par l’ensemble du secteur bancaire – cela avait d’ailleurs été un point de débat –, par le biais de la taxe systémique, alors même que certaines banques n’avaient pas commercialisé de produits toxiques.
Nous avons considéré que les établissements financiers devaient être solidaires, ne serait-ce que parce que le risque qui pèserait sur l’un d’entre eux pourrait créer un risque systémique sur l’ensemble du dispositif.
J’ajoute que le principe de la parité entre les banques et l’État est respecté par les taux que nous avons prévus, en tout cas pour ce qui concerne la part systémique, le reste relevant de la SFIL et des contributions volontaires.
Donc, il me semble qu’il n’y a pas lieu de modifier ce point, en tout cas pas pour les motifs avancés par les auteurs de l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement nous conduit à revenir sur le problème des responsabilités, dont nous aurons l’occasion de reparler tout à l’heure.
Qui est responsable ? Ceux qui ont laissé installer ce système, qui se trouve à la merci d’un jugement d’un TGI ! Les gouvernements qui se sont succédé depuis une trentaine d’années dans notre beau pays.
Sont également responsables, peut-être, ceux qui sont chargés du contrôle de légalité. Nous savons tous ici que l’on est suffisamment embêté pour les cinquièmes chiffres après la virgule. On pourrait peut-être regarder les chiffres avant la virgule.
Sont aussi responsables les banques et les collectivités. Certes, mais pas à 50 % !
J’ai lu le rapport de la Cour des comptes de 2011. Elle a épinglé les prédécesseurs de notre collègue qui, entre deux tours d’élections municipales, faisaient notamment du trapèze pour sauver la face. Mais ça, c’est l’arbre qui cache la forêt ! La Cour des comptes dit les choses clairement – je vous citerai tout à l’heure des extraits de son rapport puisque j’aurai l’occasion de revenir sur cette question.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’on demande aux établissements financiers de participer ! Je trouve quelque peu surprenant ce discours sur la solidarité : on ferait payer les pauvres malheureux qui n’auraient rien fait. Car, comme l’a dit Éric Bocquet, tout cela fait système ! Si cela ne faisait pas système, il n’y aurait pas de risque systémique, et s’il n’y avait pas de risque systémique, nous ne serions pas là aujourd’hui.
En quoi est-il scandaleux de demander au système bancaire de participer ? Votre raisonnement est le suivant : si l’on ne vote pas le présent projet de loi, nous risquons de faire chuter la SFIL, ce qui reste de Dexia, et donc l’ensemble du système, y compris ceux que vous défendez, qui seraient les pauvres malheureux mis à contribution.
Franchement, je trouve cette argumentation quelque peu légère et c’est pourquoi je voterai cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je voudrais répondre à l’intervention de M. Collombat.
L’argumentation du Gouvernement n’est pas de dire qu’il s’agit de prémunir le système bancaire d’un risque systémique.
M. Pierre-Yves Collombat. Si, c’est dans la loi !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Non ! Monsieur le sénateur, si vous le permettez, je peux sans doute parfois un peu mieux que vous transcrire la pensée du Gouvernement.
Ce que veut le Gouvernement, c'est protéger les intérêts de l’État. Or, en cas de défaillance de la SFIL, nous évaluons le risque pesant sur l’État autour de 17 milliards d’euros. Il ne s’agit pas de protéger qui que ce soit. La SFIL, ce n’est pas un OVNI venu d’ailleurs ! Elle est garantie à 75 % par la participation directe de l’État, et pour le reste par un engagement de l’État à couvrir la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale. Donc, le risque est supporté par le budget de l’État.
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent, pour explication de vote.
M. Maurice Vincent. Cet amendement soulève la question du jugement sur les responsabilités. Même si je n’étais pas présent lors de la discussion générale, on m’en a fait un résumé duquel il ressort qu’un large consensus s’est dégagé pour reconnaître que la responsabilité était partagée entre les banques et les collectivités territoriales. Je crois que cette synthèse qui m’a été faite est fidèle aux propos qui ont été tenus.
À titre personnel, cela n’a jamais été mon point de vue : je reste absolument convaincu de la responsabilité majeure des banques et du système financier, parce qu’ils étaient « les sachants » dans cette affaire.
Pour autant, je suis ennuyé que cet amendement, qui est similaire à un amendement que j’avais déposé il y a quelques mois, conduise à rediscuter du fonds de soutien. Ce dernier a déjà été acté à hauteur de 100 millions d’euros sur quinze ans. Un décret d’application a été pris ; le fonds devrait entrer en vigueur le plus rapidement possible pour être utile aux collectivités territoriales.
Je ne voterai donc pas cet amendement par pragmatisme, mais je partage l’analyse qui le sous-tend. Je persiste à penser que les banques ont une responsabilité primordiale. Peut-être devrons-nous compléter le fonds de soutien dans un an ou deux ; à ce moment-là, il nous faudra aller dans la direction qui nous est proposée dans cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Je ne partage pas les propos de M. le secrétaire d’État. Je comprends que la responsabilité de l’État est aujourd’hui engagée en raison des conditions – que nous connaissons bien – dans lesquelles la SFIL a été mise en place. Pour autant, c'est bien le système bancaire et ses modalités de conception – c'est la raison pour laquelle j’ai fait un rappel historique précédemment – qui constituent le véritable problème. C’est le fait que l’on ait obligé les collectivités à se financer sur le marché et la façon dont les banques ont toutes ensemble décidé de répondre à cette demande qui ont conduit à la situation actuelle.
Il me paraît tout à fait légitime de solliciter davantage les banques pour mieux répondre à la crise dans laquelle on a mis les collectivités à cause de ce système. Il s’agit non pas de mettre l’État en plus grande difficulté, mais, bien au contraire, d’apporter une source de financement permettant de mieux répondre aux besoins des collectivités, lesquelles sont en situation de fragilité lors des renégociations, y compris avec la SFIL.
C’est pourquoi notre amendement nous semble pertinent.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
(Non modifié)
Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, est validée la stipulation d’intérêts prévue par tout écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, en tant que la validité de cette stipulation serait contestée par le moyen tiré du défaut de mention, prescrite en application de l’article L. 313–1 du code de la consommation, du taux effectif global, du taux de période ou de la durée de période, dès lors que cet écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant indique de façon conjointe :
1° Le montant ou le mode de détermination des échéances de remboursement du prêt en principal et intérêts ;
2° La périodicité de ces échéances ;
3° Le nombre de ces échéances ou la durée du prêt.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de traiter de l’objet spécifique du projet de loi, ce que je ferai en défendant mes amendements, je veux rappeler que, si nous en sommes encore à coller des rustines sur Dexia, la fatalité n’y est pour rien. C’est uniquement la conséquence d’une politique menée opiniâtrement par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis une trentaine d’années, politique dont l’objectif était de rendre les marchés libres de l’allocation de la ressource financière, et donc maîtres de l’économie.
Appliquée au système de financement des collectivités territoriales et du secteur public, cette « modernisation » s’est résumée à remplacer un système public et parapublic assis sur l’épargne et sur des circuits spécialisés et organisé autour de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, par un système assis sur l’appel généralisé aux marchés financiers et totalement privé. Tel a été le sens de la mutation du « système CDC », qui a abouti à CAECL, puis à Dexia, le tout au nom de l’optimisation de l’allocation des ressources, du moindre coût et de l’efficacité. L’ascension de la maison Dexia, pilotée par l’État et la CDC, puis sa chute sont le produit de ce processus.
Or il ne semble pas que l’on ait tiré les leçons de cette chute, puisque, crise – financière, sociale, et maintenant politique – ou pas, nous en sommes toujours au même point : face au risque d’une crise systémique. Contrairement à ce que l’on a pu nous dire, la loi de séparation et de régulation des activités bancaires n’apportera pas de solution au problème.
Le temps qu’il a fallu pour réagir à cette situation de fragilisation globale est tout à fait frappant. En effet, tous ces produits exotiques ont été créés dans les années quatre-vingt-dix. Ils ont apparemment très bien marché pendant un certain nombre d’années, mais, dès 2005, on a commencé à réaliser qu’il y avait « le feu au lac », comme on le dit en Suisse.
En 2007, dans un article devenu célèbre, Michel Klopfer évoquait déjà des « bombes à retardement » ; mon collègue Éric Bocquet l’a indiqué tout à l'heure. Cependant, tout cela a continué.
En 2008, les États français, belge et luxembourgeois sont intervenus massivement pour sauver Dexia de la faillite. On a alors pu découvrir quelle était l’étendue des dégâts.
Pour autant, que s’est-il passé ? Pas grand-chose. On a nommé un « médiateur », en la personne d’Éric Gissler, auquel on doit la mise en place d’une Charte de bonne conduite entre les établissements bancaires et les collectivités locales. Cependant, on ne s’est doté d’aucune norme contraignante. Le problème était censé se régler tout seul.
Il aura fallu attendre la conclusion judiciaire des conflits en cours pour que l’État commence à bouger, d’abord à pas comptés et, maintenant, en recourant à la procédure accélérée. En bref, il a mis en place un fonds, initialement doté de 50 millions d’euros par an, qui a été porté, dans la loi de finances pour 2014, à 100 millions d’euros. Le Conseil constitutionnel ayant censuré les II et III de l’article 92, il a déposé un projet de loi tendant à revenir sur les décisions de justice qui ont été rendues.
Résultat : le nouveau système est aussi exposé que l’ancien au risque de crise systémique. En effet, et je veux insister sur ce point, quand on a mis en place, sur les ruines de Dexia, un nouveau système de financement des collectivités territoriales, on n’a rien trouvé de mieux que d’installer au cœur du système les emprunts toxiques, ces bombes à retardement héritées de Dexia. Cependant, on a construit un système de financement des collectivités territoriales qui est aussi vulnérable à la crise que l’ancien ! Cette manière de procéder ne me paraît pas du tout extraordinaire.
On attendait que les banques négocient. Elles ont refusé de le faire à des conditions acceptables. Dès lors, il a été fait appel au juge, lequel a rendu des décisions qui, apparemment, ne conviennent pas au Gouvernement.
En somme, on en est là parce qu’on a trop tardé à agir. Or je crains que l'on ne continue à tergiverser, alors même que le risque de faillite du dispositif n’a pas disparu ! (Très bien ! sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Collombat.
L'amendement n° 11 est présenté par Mme Beaufils, MM. Bocquet, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Pierre-Yves Collombat. Selon moi, quatre raisons militent en faveur de la suppression de l’article 1er, comme, d'ailleurs, de l’article 2 et, au-delà, du projet de loi.
Premièrement, cet article vise à modifier la législation à la suite de décisions de justice qui ne conviennent ni au Gouvernement ni aux banques, alors même que des recours ont été formés sur la base de la législation existante et ne sont pas encore passés en force de chose jugée. Les effets de la loi seront donc rétroactifs ! De telles pratiques n’ont pas leur place dans un État tel que la France.
Deuxièmement, cette mauvaise manière envers la justice est aussi un coup bas porté aux collectivités et aux organismes publics, qui se trouvent ainsi privés, en plein contentieux, de leur principal argument face à des banques qui ont tout intérêt à gagner du temps.
D’aucuns ici ont affirmé que les collectivités pourront continuer à ester en justice et à demander réparation. Sauf que, chers collègues, l’un des arguments essentiels qui pourraient permettre de leur donner raison aura disparu ! On ne peut régler les problèmes réels que rencontre l’État sur le dos des collectivités, en les privant d’un argument essentiel dans leur recours devant les tribunaux. Ce point me paraît fondamental.
Au reste, le dispositif de l’article 1er est porteur d’une autre injustice : les collectivités et organismes responsables, qui « se sont mis dans le pétrin » sont considérés de la même façon que ceux qui ont été abusés par la banque, par défaut de conseil ou, parfois, par une présentation biaisée de la situation.
Troisièmement, si le but avoué de ce projet de loi est de pousser à une renégociation et à sortir du conflit, ce n’est pas en désarmant presque totalement l’une des parties que l’on y parviendra.
Quatrièmement, l’un de mes collègues a tout à l'heure fait une remarque tout à fait pertinente, réflexion que l’on retrouve dans le rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale : il semblerait que les autres banques ont été moins dures dans leurs négociations que Dexia ou la SFIL, alors même qu’elles n’ont pas été sauvées par l’État ! Cette attitude de Dexia ou la SFIL me semble tout à fait irrecevable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour présenter l’amendement n° 11.
Mme Marie-France Beaufils. L’article 1er présente toutes les caractéristiques d’un simple article de validation législative, avec les défauts inhérents à l’exercice.
Il serait sans doute trop long de rappeler la jurisprudence du juge constitutionnel en la matière, les articles de validation s’attirant assez souvent les foudres de celui-ci, quel que soit le texte concerné.
Il convient tout de même de revenir quelques instants sur les considérants de la décision qui avait censuré l’article 92 du projet de loi de finances pour 2014. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, je considère que les éléments ayant justifié la censure de cet article justifient également la censure du présent texte.
Mes chers collègues, permettez-moi de vous donner lecture des considérants 76 et 77 de la décision.
« Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution " ; que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu’en outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu’enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie. »
« Considérant que l’article L. 313–2 du code de la consommation dispose que le taux effectif global déterminé comme il est dit à l’article L. 313–1, doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt régi par ce même article ; que la mention du taux effectif global dans le contrat de prêt constitue un élément essentiel de l’information de l’emprunteur ; qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’exigence d’un écrit mentionnant le taux effectif global est une condition de la validité de la stipulation d’intérêts et qu’en l’absence de stipulation conventionnelle d’intérêts, il convient de faire application du taux légal à compter du prêt. »
Ces considérants avaient suffi au Conseil constitutionnel pour censurer les paragraphes II et III de l’article 92. Ils gardent pleine valeur aujourd'hui !
Nous sommes en présence d’un article qui tente d’empêcher l’éventuelle généralisation d’un cas d’espèce – la première décision rendue, dans l’affaire opposant la Seine-Saint-Denis à Dexia.
Où est l’intérêt général ? On peut se le demander ! D’ailleurs, cette question a été soulevée dans le rapport présenté par Jean Germain.
L’intérêt général deviendrait-il incompatible avec celui des habitants de la Seine-Saint-Denis, mais aussi de l’ensemble des communes et départements concernés, dont les impôts locaux pourraient ainsi croître du poids des remboursements de la dette structurée ? Devrait-il s’opposer à l’intérêt des autres localités confrontées aux mêmes difficultés financières ? Se résumerait-il à assurer l’équilibre des finances de l’État et le respect de ses engagements, et à assurer l’extinction en bon ordre de Dexia ? Ne devrait-il pas se préoccuper aussi de l’intérêt des collectivités territoriales, qui assument quand même une responsabilité vis-à-vis de la population de notre pays ?
Pour notre part, nous avons une autre conception de l’intérêt général. C’est pourquoi nous ne pouvons pas adopter l’article 1er du projet de loi et vous en proposons la suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Germain, rapporteur. Comme je l’ai indiqué tout à l'heure, le vote d’une loi de validation est évidemment un acte grave, puisqu’il met en cause le principe de non-rétroactivité des lois, qui, normalement, ne disposent que pour l’avenir – à l’exception, justement, des lois de validation.
Or, si la loi pénale ne peut être rétroactive que si elle accorde des conditions plus favorables aux personnes concernées, le principe de la rétroactivité en matière civile est accepté, et depuis longtemps. Il n’entame pas le principe de la séparation entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif.
Mais il y a bien sûr des bornes – vous les avez rappelées, madame Beaufils – : le contrôle du juge constitutionnel ainsi que celui de la Cour européenne des droits de l’homme. Et, il y a trois mois, le juge constitutionnel a durci les conditions de cette rétroactivité en exigeant un motif d’intérêt général impérieux, et non plus seulement un juste intérêt général.
Je l’ai dit tout à l’heure, la commission considère que 17 milliards d’euros de risque est un intérêt général impérieux. Je ne suis donc pas d’accord avec la présentation qui vient d'être faite.
Par ailleurs, je pense que les collectivités territoriales conservent, après cette validation législative, la possibilité d’introduire des instances judiciaires pour tout motif, hormis l’absence du TEG ou son irrégularité. On en verra certainement l’illustration.
Vous l’aurez compris, l’avis de la commission sur les amendements nos 1 et 11 est donc défavorable.