M. René-Paul Savary. Qui a prétendu cela ?
M. Gérard Larcher. Personne !
M. Didier Guillaume. En tant que président de conseil général, voilà dix ans que j’entends l’Assemblée des départements de France pleurnicher. Le compte, nous dit-on, n’y est pas ; depuis 2004, date du transfert des allocations individuelles de solidarité, l’État ne paie pas ses dettes. Une vingtaine ou une trentaine de départements sont en faillite ou au bord de la faillite. Et vous affirmez que tout va bien ?
Tous les départements expliquent que leur autofinancement est en baisse et qu’ils doivent réduire leurs investissements.
M. Éric Doligé. À cause de qui ?
M. Didier Guillaume. Et pensez-vous que, pour les régions, tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes ? L’importance et le PIB varient d’une région à l’autre, et certaines n’ont plus aucune autonomie fiscale !
M. Christian Bourquin. Mais non ! Venez donc en Languedoc-Roussillon !
M. Didier Guillaume. Les régions n’ont plus d’autonomie fiscale, mon cher collègue.
M. Christian Bourquin. Faux !
M. Didier Guillaume. Et que dire des intercommunalités ou des commissions départementales de la coopération intercommunale, dont nous avons largement parlé dans le cadre de la loi de 2010 ? Là encore, cela ne va pas dans le bon sens.
Sommes-nous prêts à faire des constats objectifs et à reconnaître qu’une clarification s’impose ?
M. Philippe Bas. Oui, mais pas celle-là !
M. Didier Guillaume. Comme cela a été souligné tout à l’heure, nous en sommes aujourd'hui non pas à une énième loi de décentralisation, mais à l’an I de la clarification !
M. Éric Doligé. L’an I de la recentralisation, plutôt !
M. Didier Guillaume. Non, justement, cher collègue ! Nous ne voulons pas de recentralisation. Nous voulons une clarification.
Il faut permettre aux collectivités locales, qui ont du talent, de s’exprimer pleinement et d’innover. Cela fait des années qu’on en parle. Passons aux actes !
Pensez-vous vraiment qu’il n’y ait pas de doublons ? Dans mon département, pour la seule ville de Valence, il y a trois autorités organisatrices des transports : la région, le département et l’agglomération. Il faudrait continuer comme cela ? On ne pourrait pas améliorer le système, faire des gains de productivité, économiser de l’argent ? (M. Gérard Longuet s’exclame.)
De même, les villes, les agglomérations et les départements font quasiment la même politique en matière sociale. Là encore, il ne serait pas question d’avancer ?
À mon sens, la clarification répond à une triple nécessité. Nécessité démocratique d’abord : les élus doivent prendre leur destin en main. Nécessité économique ensuite : ce qui compte, c’est évidemment le développement économique. Nécessité financière enfin : à terme, il faudra réaliser des économies.
Quelle pourrait être notre vision de la France des territoires ?
Pour nous, et cela a été rappelé par presque tout le monde, c’est d’abord le service public. Le service public, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Il est essentiel et doit être rendu auprès de nos concitoyens. Il faut le défendre et le promouvoir. L’important n’est pas de savoir qui en a la responsabilité ; l’important, c’est que cela marche !
M. René-Paul Savary. Vous avez changé de discours !
M. Didier Guillaume. Peu importe qui détient la compétence des transports ; ce qui compte, c’est qu’il y ait un bus pour emmener les enfants au collège. Peu importe qui paie les aides familiales aux personnes âgées ; ce qui compte, c’est que le service soit rendu. Peu importe qui organise les plans d’aides aux personnes handicapées ; ce qui compte, c’est qu’ils soient opérationnels. Replaçons le service public au cœur de nos dispositifs.
Cela repose sur quatre points : la solidarité, la proximité, l’efficacité, et la diversité.
Oui, il faut de la solidarité territoriale, de la solidarité entre les plus riches et les plus pauvres, de la solidarité entre les territoires éloignés et ceux qui sont au cœur des villes. La solidarité, c’est indispensable.
De même pour la proximité. Je ferai des propositions tout à l’heure. On gère mieux à proximité qu’à distance.
M. René-Paul Savary. Et l’expertise ?
M. Didier Guillaume. L’efficacité du service public aussi est une nécessité ; j’en parlais à l’instant.
Enfin, il faut respecter la diversité de nos territoires. Paris, Lyon ou Marseille, ce n’est pas la Lozère, le Cantal ou Drôme ! Quand reconnaîtra-t-on enfin qu’il n’est pas possible d’administrer de la même manière des zones rurales, des territoires de montagne et des grandes métropoles ?
Telle est notre vision de la France des territoires. Oui à de grandes régions ! C’est ce que vous avez prôné dans votre rapport, cher Jean-Pierre Raffarin. Peu importe qu’il y en ait huit, dix ou quatorze !
Voilà vingt ans que l’on parle des grandes régions. Allons-nous enfin les faire ? Allons-nous enfin instituer des eurorégions fortes et compétitives à l’échelle européenne ?
M. Christian Bourquin. Mais venez sur le terrain ! Vous verrez que cela existe déjà !
M. Didier Guillaume. Je connais un peu les régions, mon cher collègue !
M. Christian Bourquin. Pas beaucoup, manifestement !
M. Didier Guillaume. Toutes ne sont pas comme cela.
M. Christian Bourquin. Je vous invite en Languedoc-Roussillon !
M. Didier Guillaume. Il faut des régions stratèges, qui s’occupent de l’emploi, du développement économique, de l’aménagement du territoire et qui gèrent les fonds européens. C’est un bouleversement, une révolution.
À l’autre bout de la chaîne, nous avons besoin des communes et des intercommunalités, qui sont la cellule de base. Entre les grandes eurorégions, d’une part, et les communes et intercommunalités, d’autre part, il faut garder un échelon intermédiaire, faute de quoi on oubliera bien des choses. Comme le soulignait hier Bruno Retailleau, la mise en réseau des collectivités locales est absolument indispensable.
Je souhaite remercier M. le Premier ministre, qui nous a répondu tout à l’heure sur les départements et sur la spécificité de la ruralité lors des questions au Gouvernement. Mes remerciements s’adressent également à M. le ministre de l’intérieur, qui a ouvert le débat sur le sujet tout à l’heure. La question essentielle est de savoir si nous sommes capables d’avancer ou pas.
Mes chers collègues, parce que nous avons le temps de débattre, le groupe socialiste vous propose un socle territorial commun pour l’avenir de la France et des territoires. Nous sommes capables de le dessiner ici, au Sénat de la République, la chambre des territoires. Ce socle se fonde lui-même sur le travail de la commission spéciale et il est organisé autour de quatre axes. Je pense que nous pourrions nous rejoindre à cet égard sur la quasi-totalité de nos travées.
Le premier axe est celui des régions. Prenons le temps du débat. Peu importe qu’il y en ait huit, dix, douze ou quatorze. Toutefois, nous ne serions pas capables de dessiner ici, au Sénat, les nouvelles régions du XXIe siècle, celles de la compétitivité ?
M. Jacques Mézard. Pas d’ici à demain soir !
M. Éric Doligé. Pas en quarante-huit heures !
M. Didier Guillaume. Cela fait vingt ans qu’on en parle ! Pourquoi ne serions-nous pas capables de les faire ? Je pense que nous pourrions trouver une majorité au Sénat sur le nombre de régions.
M. Philippe Kaltenbach. On en a bien trouvé une en commission spéciale !
M. Didier Guillaume. À moins qu’il n’y ait quelques arrière-pensées…
Ne sommes-nous pas capables de trouver une majorité sur le nombre d’élus régionaux, notamment pour indiquer qu’il est inacceptable que les petits départements soient représentés par un ou deux conseillers régionaux ? Ne sommes-nous pas capables de dire que les grandes régions ne doivent pas être pénalisées, avec moins de cinquante conseillers régionaux ?
Nous pouvons, je le crois, trouver une majorité pour que les petits départements soient mieux représentés et que les grandes régions ne soient pas sous-représentées !
M. Jean-Léonce Dupont a évoqué le droit d’option des départements, c'est-à-dire la possibilité pour un département de voter pour le rattachement à une autre région, sous réserve d’un vote de la région de départ et de la région d’accueil. Ne sommes-nous pas capables de trouver une majorité sur le sujet ? Accorder un tel droit aux départements, n’est-ce pas choisir la cohérence et l’efficacité ? À moins, là encore, qu’il n’y ait quelques arrière-pensées…
J’en viens maintenant au maintien des conseils départementaux en zone rurale. Pour des raisons constitutionnelles, d’abord, il n’est pas possible de supprimer purement et simplement les conseils généraux, sinon nous l’aurions certainement fait.
M. Christian Cambon. Bravo, monsieur le président de conseil général ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Didier Guillaume. Dans les zones rurales, toutefois, cela aurait été une erreur ! Je ne suis favorable ni à la suppression pure et simple des conseils généraux ni au maintien de leurs compétences actuelles. Pour moi, ils ont fait leur temps dans ce périmètre de compétences, malgré les améliorations que nous y apportons, les uns et les autres.
M. René-Paul Savary. Pour nous aussi !
M. Didier Guillaume. C’est la raison pour laquelle, à la suite du colloque organisé à Nevers sur les nouvelles ruralités et du travail réalisé par tous ceux qui vivent dans la ruralité, nous pouvons sans doute nous accorder sur la nécessité pour les conseils généraux d’évoluer. Sont-ils nécessaires dans les grandes métropoles et les grandes agglomérations ? Ne serait-il pas plus efficace de transférer leurs compétences aux métropoles, aux agglomérations, aux grandes communautés de communes ?
M. Philippe Bas. Et la solidarité des territoires, alors ?
M. Didier Guillaume. La solidarité est très facile à mettre en place ! Prenons un exemple : les parents d’élèves de l’Ariège, un département pauvre, payent les transports scolaires au prix fort, quand ceux qui se trouvent à un kilomètre de l’autre côté de la limite, en Haute-Garonne, ne les payent pas car ils sont gratuits !
M. René-Paul Savary. Mais cela coûtera encore plus cher après la réforme !
M. Didier Guillaume. La république est une et indivisible ! Elle n’est pas divisée entre les riches, qui s’offrent ce qu’ils désirent, et les pauvres, qui se débrouillent ! (M. Claude Dilain applaudit.) C’est pourquoi nous devons inventer de nouvelles solidarités, avec une nouvelle fiscalité locale. Nous devons engager ce travail ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Il fallait commencer par là !
M. Didier Guillaume. En écoutant ce qui se dit dans toutes les instances, en étant le plus objectif et le plus calme possible, il me semble que, sur ces sujets, il y a mieux à faire que de pleurnicher et de critiquer continuellement.
M. Éric Doligé. Nous ne pleurnichons pas ! Vous-même mettez à terre le texte du ministre !
M. Didier Guillaume. Je ne parle pas de vous, mes chers collègues ! (Ah ! sur les travées de l'UMP. – M. René-Paul Savary s’exclame.)
M. Philippe Kaltenbach. Ce sont des postures électoralistes, parlons plutôt du fond !
M. Didier Guillaume. Quand la droite était au Gouvernement, j’étais membre du bureau de l’assemblée des départements de France et nous passions notre temps à attaquer le Gouvernement, quand vous, cher collègue Savary, passiez le vôtre à le défendre ! Aujourd’hui, nous sommes à front renversé.
C’est une chose de débattre à front renversé et d’être un nouveau converti, c’en est une autre d’avancer à présent dans une discussion sereine. Nos concitoyens voient cela aussi ; nous devons être capables de nous parler.
Mon dernier point touche aux expérimentations, que plusieurs d’entre vous ont évoquées. Ne pouvons-nous pas expérimenter ? Sommes-nous obligés de conserver cent deux départements ? Ne pourrait-il pas y en avoir seulement cinquante, ou soixante ?
La Drôme et l’Ardèche travaillent ensemble depuis huit ans, par exemple, par délibérations communes, en assemblée bidépartementale, sur beaucoup de sujets. Ces délibérations ne sont pourtant pas valables, et nous sommes contraints de délibérer à nouveau, chacun dans notre propre instance, selon un processus complètement technocratique.
Oui, nous avons besoin de faire évoluer l’architecture territoriale, de la moderniser et de la clarifier. Nous devons dire très clairement que nous défendons la ruralité, que nous la soutenons, que nous la promouvons et qu’il n’est pas possible de la laisser aller à vau-l’eau.
En conclusion, mon sentiment est que le Sénat doit prendre ses responsabilités vis-à-vis de ce texte. Un vieux dicton affirme que lorsque l’on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage. Il existera toujours des raisons de ne pas avancer, de ne pas débattre : « Il aurait fallu plus de temps, nous n’en avons pas assez » ou « On a mis le deuxième projet de loi en premier, il fallait faire l’inverse et commencer par les compétences ! »
M. Gérard Larcher. Comme vous dites !
M. Didier Guillaume. Non ! Aujourd’hui, mes chers collègues, en tant que membre d’une assemblée responsable, en tant que sénateurs responsables, nous devons faire mouvement et avancer. Si cette réforme territoriale devait être votée sans l’apport du Sénat, cela pourrait fournir une réponse à ceux qui s’interrogent sur l’utilité de notre assemblée.
M. Patrice Gélard. Quel chantage !
M. Didier Guillaume. Je souhaite que la réforme des collectivités territoriales soit guidée non pas par l’Assemblée nationale, mais par le Sénat. Si aucun texte ne sortait de nos délibérations d’ici à demain, à après-demain ou dans les jours suivants, cela constituerait un échec collectif vis-à-vis de cette réforme et une remise en cause profonde de la légitimité de la Haute Assemblée.
Mes chers collègues, le Sénat ne peut pas passer son tour sur la réforme territoriale. Nous devons prendre nos responsabilités, nous devons être dans le mouvement, à la hauteur des enjeux des territoires.
Je le disais tout à l'heure : nous ne nous divisons pas entre ceux qui ont raison sur un sujet ou sur un autre et ceux qui ont tort, ou entre ceux qui défendent la France et ceux qui ne la défendent pas.
Mme Jacqueline Gourault. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. Nous devons nous battre au nom des enjeux du territoire et nous devons être à la hauteur des enjeux de la France.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Très bien !
M. Didier Guillaume. Il nous revient donc d’avancer, de moderniser, de clarifier, et de montrer à nos concitoyens que la vie politique française n’est pas figée, que nous savons inventer de nouvelles solidarités, de nouvelles proximités, de nouvelles ruralités, que nous savons innover en fonction des moyens dont nous disposons aujourd’hui et de l’avenir que nous souhaitons pour notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui et les conditions de préparation et d’examen de ce texte me semblent illustrer à quel point le Sénat, représentant des collectivités territoriales et le Parlement dans son ensemble sont finalement assez peu respectés.
Il m’est toutefois venu une question en écoutant le président Guillaume, que je souhaite poser à la fois au président du Sénat et au ministre. M. Guillaume nous a parlé de compétences et de connaissance de la fiscalité, accréditant ainsi l’idée que ce texte était examiné à l’envers. Nous commençons par la cartographie, avant de connaître les objectifs, les moyens et les compétences que nous souhaitons voir exercer par les uns ou par les autres.
Dès lors, après avoir entendu ces propos de la bouche du président Guillaume, faut-il continuer à examiner ce texte ? Rappelons que la nouvelle majorité de l’automne 2011 s’est d’abord attachée à démolir la loi de 2010,…
M. Philippe Bas. Immédiatement !
M. Gérard Larcher. … et à la démolir systématiquement ! Le point le plus remarquable, j’allais dire le plus comique, c’est la question de la compétence générale.
M. Gérard Longuet. Oh oui !
M. Gérard Larcher. Nous avons successivement voté que nous la réservions aux communes, puis nous l’avons supprimée, puis nous l’avons rétablie le 19 décembre dernier – ce n’est pas si loin ! –, pour considérer aujourd’hui qu’elle doit être redéfinie.
Mme Jacqueline Gourault. C’est ridicule !
M. Gérard Larcher. Nous avions achevé l’intercommunalité, renforcé le concept de métropole et, au fond, nous nous inscrivions dans l’esprit de la décentralisation, comme le disait Jean-Pierre Raffarin.
Or aujourd’hui, monsieur le ministre, si l’on en croit votre communication de mercredi dernier où, pour reprendre la formule de M. Vallini, après avoir « dévitalisé » les départements vous revitalisiez les préfets de département, vous êtes en train de mener une recentralisation. Vous allez remplacer les élus départementaux par les préfets ; voilà votre vision de la décentralisation ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Kaltenbach. C’est un discours de campagne électorale !
M. Gérard Larcher. Je voudrais rappeler mon appartenance à cette mission sur la décentralisation conduite par Jean-Pierre Raffarin, dont vous avez tenté d’instrumentaliser assez grossièrement les conclusions.
Sur la question du nombre de régions et de départements, nous n’avions pas limité nos conclusions aux seuls départements ruraux. Nous réfléchissions à l’articulation entre départements et métropoles, en cherchant à éviter de dessiner une France partagée entre un no man’s land rural et des métropoles actives et attractives. Ce n’est pas ainsi, en effet, que nous voyons la France.
M. Didier Guillaume. Nous non plus !
M. Gérard Larcher. Sur le plan politique, mes chers collègues, réfléchissons aux résultats électoraux obtenus récemment dans les territoires ruraux.
Observons, monsieur Delebarre, les résultats des élections dans les communes rurales de moins de 1 000 habitants du Pas-de-Calais : un parti populiste, extrémiste, a obtenu plus de 40 % des voix.
Observons les résultats dans un département qui n'avait jamais connu cette tentation, le Cantal : dans les communes de moins de 1 500 habitants, le Front national a fait plus de 32 %. N’est-ce pas là le symptôme d’une France qui se sent abandonnée, exclue, de cette France des invisibles dont parlait hier Bruno Retailleau ?
M. Alain Néri. Et vous, qu’avez-vous fait ? Vous avez été dix ans au pouvoir ! Vous avez été ministre, monsieur Larcher ! Qu’avez-vous donc fait ?
M. Gérard Larcher. Je reviens sur le mépris du Parlement que révèlent les conditions d’examen de ce texte, en procédure accélérée.
Monsieur Didier Guillaume, comment voulez-vous que nous examinions vos quatre axes dans le délai qui nous est imparti et dans les conditions qui nous sont réservées ?
Parmi ces quatre propositions, j’ai entendu des choses intéressantes. Encore faut-il que nous ayons les moyens de les examiner. Comment, par exemple, appréhender la question du personnel territorial ?
M. Daniel Dubois. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Je rappelle que, dans le budget d’un certain nombre de collectivités territoriales, cette ligne représente plus de la moitié des dépenses. D’une manière générale, elle atteint plus de 30 %.
M. Didier Guillaume. Et 60 % dans les départements !
M. Gérard Larcher. Comment traiter cette question sans disposer d’une étude d’impact sur le sujet, alors même que c’est sans doute là que se jouera la maîtrise éventuelle des dépenses publiques ?
Dans l’exemple de la fusion entre Cherbourg et Octeville, vous avez ainsi appliqué l’un des principes du gouvernement Fillon, le « un sur trois ». Aujourd’hui, vous comptez appliquer le principe du « deux sur trois », que vous avez tant combattu ! Encore faut-il en mesurer l’impact et les conséquences sur les personnels, et associer les partenaires sociaux à cette réflexion sur le sujet majeur de la fonction publique territoriale.
Revenons sur la dimension politique de notre décision : vous semblez ne plus faire confiance à l’élu local. Celui-ci serait redondant et dépensier, il faudrait l’éloigner chaque jour davantage des citoyens. C’est inadmissible dans une démocratie en crise !
Mme Éliane Giraud. Ce discours n’est pas le nôtre !
M. Didier Guillaume. Cela, c’est ce que dit M. Sarkozy. Nous, nous disons l’inverse !
M. Gérard Larcher. C’est en cela que le rôle constitutionnel dévolu au Sénat de représenter les territoires est indispensable à l’équilibre de notre République. C’est la légitimité et la force du Sénat de représenter le peuple et le sol de France, au-delà du nombre – et je le dis alors que je suis moi-même élu d’un département densément peuplé –, dans toutes ses dimensions territoriales, métropolitaines, urbaines ou rurales, la France prospère et entraînée dans le flux de la mondialisation comme la France frappée par la crise et plongée dans un désespoir que nourrit le sentiment d’être délaissée.
Voilà à mon sens l’enjeu de la représentativité du Sénat : elle ne s’attache pas seulement à la France des métropoles, pas seulement à la France rurale, mais bien à toute la France. Telle est notre responsabilité !
M. Philippe Kaltenbach. Vous enfoncez des portes ouvertes, tout cela est évident !
M. Gérard Larcher. Ce n’est pas le maillage démocratique de nos territoires qui constitue un handicap, mais, d’abord, l’enchevêtrement des compétences. Voilà le sujet central.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Gérard Larcher. Préservez le maillage démocratique de nos territoires, préservez la proximité, en ces temps de doute où, chaque jour, un nombre important de nos concitoyens s’éloigne des valeurs de la République qui nous rassemblent. Faites très attention à ne pas laisser sur le bord de la route certains territoires, et ceux qui les habitent, qu’ils soient ruraux ou urbains !
M. Didier Guillaume. Il faut nous mettre en mouvement !
M. Yannick Vaugrenard. On ne peut pas ne rien faire !
M. Gérard Larcher. Lorsque l’on habite à vingt kilomètres de Trappes, en effet, on sait ce que « territoire délaissé » veut dire.
Aussi, mes chers collègues, amender, peut-être, revoir entièrement la copie, sans doute, voilà ce à quoi nous allons nous atteler, ensemble ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après avoir entendu les « poids lourds » du Sénat (Sourires.), je veux faire entendre la voix de la modération, dont Albert Camus disait qu’elle était radicale.
Je ne rappellerai pas de nouveau les conditions difficiles dans lesquelles nous examinons le texte qui nous est soumis. Cependant, je regrette de voir notre discussion porter aujourd'hui sur le texte du Gouvernement.
M. Philippe Kaltenbach. La faute à qui ?
M. Henri Tandonnet. L’important travail de la commission spéciale réalisé la semaine dernière n’a pas pu aboutir, alors même que nous avions proposé une nouvelle carte et fait adopter bon nombre d’amendements, afin de redonner la parole aux territoires.
Au vu des votes intervenus sur l’ensemble du texte en commission, force est de constater que le groupe UDI-UC est le seul à vouloir réellement examiner le projet de loi.
M. Philippe Kaltenbach. Non, nous aussi !
M. Henri Tandonnet. À mon sens, la Haute Assemblée, chambre des territoires, doit s’emparer de ce texte et mettre de côté les stratégies d’échec purement politiciennes.
M. Philippe Kaltenbach. Tout à fait !
M. Henri Tandonnet. Même s’il est clair que le texte n’est pas acceptable en l’état actuel et nécessite un travail important, nous ne pouvons laisser l’Assemblée nationale, seule, déterminer les contours d’une véritable réforme territoriale.
M. Philippe Kaltenbach. C’est une évidence !
M. Henri Tandonnet. Se pose, tout d’abord, un problème de méthode.
Nous faisons aujourd’hui face à une absence criante de méthode et de cohérence du Gouvernement dans sa manière d’appréhender la réforme territoriale. On nous avait promis un acte III de la décentralisation ; on pourrait plutôt parler d’un acte manqué !
En effet, nous avons adopté, en décembre dernier, le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Et, six mois plus tard, nous redécoupons les régions. Demain, nous étudierons la taille des intercommunalités et les compétences de chaque collectivité. Cela n’a pas de sens !
Au lieu de s’appuyer sur la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010, qui visait principalement à réorganiser les collectivités autour de deux pôles – « départements-régions » et « communes-intercommunalités » –, à simplifier et à achever la cohérence intercommunale, le Gouvernement a préféré, par pur dogmatisme, détruire ce qui avait été fait par la majorité précédente.
Je pense, notamment, au rétablissement de la clause générale de compétence qu’on nous promet de supprimer, ou encore à la naissance du conseiller départemental à deux têtes, en remplacement du conseiller territorial, une mesure qui est complètement déconnectée de l’échelon intercommunal, puisque la nouvelle carte cantonale ne tient absolument pas compte de ce critère pourtant généralisé depuis le 1er janvier 2014.
Une réforme efficace est avant tout une réforme pensée globalement, et non à l’emporte-pièce. Je m’interroge donc beaucoup sur la solidité de l’équilibre territorial qui sera trouvé.
Au-delà des problèmes de méthode que je viens d’évoquer, mon second point porte sur le redécoupage des régions prévu dans le texte, un redécoupage, hélas, tributaire d’opportunités politiques.
Pourtant, la pertinence des territoires doit reposer sur les pratiques des habitants, le fonctionnement des entreprises et des acteurs économiques, ainsi que sur les projets qui façonneront l’avenir, afin d’atteindre un maximum de complémentarités, de cohérence et d’efficacité économique au sein des futures régions.
Malheureusement, il me semble que la notion de bassin de vie est totalement absente de l’essence même de ce texte, alors que les outils statistiques existent et sont faciles à consulter ; je pense, notamment, aux travaux de l’INSEE.
Le redécoupage proposé par le Gouvernement est fondé sur des régions de base liées à de grandes métropoles, ce qui est justifié. Toutefois, l’erreur commise est de vouloir regrouper des régions intermédiaires, qui ne disposent pas d’une véritable métropole et ne peuvent donc constituer une future région cohérente. On le voit bien avec la région Centre-Limousin-Poitou-Charentes ou encore avec la Picardie, regroupée avec la Champagne-Ardenne.
Il aurait donc fallu introduire un peu plus de nuance et de compréhension du territoire et accepter un raisonnement à l’échelle des départements et non pas seulement par blocs régionaux figés. Cela aurait permis d’éclater les départements de ces régions intermédiaires vers leur véritable capitale régionale et sociale.
À l’évidence, ce redécoupage aurait également nécessité des concertations et un dialogue avec les collectivités territoriales, afin de bien saisir les enjeux de tous les territoires; qui, ne l’oublions pas, seront les acteurs de cette réforme.
Souhaitant redonner la parole aux élus, le groupe de l’UDI-UC a souhaité faciliter l’expression des territoires, en apportant de la souplesse dans certains mécanismes. C’est pourquoi, j’ai, notamment, redéposé deux amendements, qui ont d’ailleurs été repris par M. le rapporteur et d’autres groupes parlementaires, visant à permettre qu’un département et deux régions contiguës puissent demander une modification des limites régionales, afin d’inclure le département dans le territoire d’une région qui lui est limitrophe sans autre condition, c'est-à-dire sans référendum. Nous demandons qu’il en soit de même pour la fusion de deux régions.
Si l’objet de la réforme est de faire des économies, il faut qu’il y ait un minimum d’affectio societatis pour rechercher des outils mutualisés et partager des projets communs.
Si l’on peut imaginer facilement de redonner la responsabilité du versement du RSA, le revenu de solidarité active, à l’État, pour une meilleure solidarité nationale, que ne peuvent plus assurer les départements, notamment ruraux, et une gestion administrative par la CAF, la caisse d’allocations familiales, il en va différemment pour ce qui concerne les stratégies de développement économique attachées à la diversité des territoires, qui exigent un consensus des collectivités.
Enfin, je dirai quelques mots sur les territoires ruraux.
Certes, je soutiens l’idée de régions plus vastes et cohérentes, qui permettraient de mettre en synergie des dynamiques économiques et de transport. Je pense à l’action que pourrait mener le grand Sud-Ouest avec son industrie liée à l’aérospatiale, à l’agroalimentaire de qualité ou encore à l’aménagement des infrastructures, avec le TGV Bordeaux-Toulouse.
Cependant, le constat est aujourd’hui terrible : les régions actuelles n’ont pas permis d’arrêter la fracture qui s’est aggravée entre les métropoles et les zones rurales quant au développement et à l’emploi. Aussi, parier sur des grandes régions et des intercommunalités plus fortes pose la question des territoires ruraux et de la solidarité qui doit être réorganisée à leur bénéfice pour empêcher que les besoins en infrastructures, qui sont de plus en plus forts dans ces métropoles, ne laissent pour compte ces territoires. L’échelon territorial qu’est le département et la nécessaire solidarité qui l’accompagne ne peuvent donc pas être supprimés d’un trait de plume.
Or, à ce jour, aucune solution n’est proposée. C’est pourquoi nous sollicitons une meilleure représentation de la ruralité au sein des conseils régionaux.
Malgré les défauts de méthode que j’ai évoqués, nous souhaitons entrer dans le débat, en proposant des solutions qui s’inscrivent dans la continuité du mouvement de la décentralisation engagé depuis 1982.
Oui à un rapprochement des régions et des départements. Non à la suppression des départements sans solution préalable. Oui à une intercommunalité correspondant à un bassin de vie, outil mutualisé aux services des communes.
Nous pouvons compter sur notre assemblée pour poursuivre une décentralisation tournée vers l’avenir, mais qui reste cependant conditionnée, monsieur le ministre, à votre volonté d’accepter l’assouplissement des mécanismes de rapprochement des territoires, tel que nous le proposerons dans nos amendements. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)