M. le président. Il faut vraiment conclure, madame Cayeux !
Mme Caroline Cayeux. Le Sénat, qui « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », avait adopté cette motion référendaire, motion qui a bien sûr été balayée par l’Assemblée nationale, comme nous pouvions, hélas ! nous y attendre. (Protestations de plus en plus vives sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, si la mission de représentation des collectivités territoriales par notre assemblée signifie encore quelque chose à vos yeux, nous vous demandons d’entendre la voix du Sénat, d’entendre la voix des territoires de France ! Je demande donc au Gouvernement de retirer son projet de loi, de prendre le temps de la nécessaire concertation et de construire un texte fédérateur.
En conclusion (Ah, tout de même ! sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Claude Dilain. Tout arrive !
Mme Caroline Cayeux. … je vous laisse méditer cette phrase d’Alexis de Tocqueville : « Le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai été frappé par les interventions, ce soir, d’un certain nombre de nos collègues socialistes qui, en définitive, nous adjurent d’adopter un texte.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous voulons surtout qu’on puisse en débattre !
M. Patrice Gélard. Je veux bien que l’on adopte un texte, mais à condition de nous en laisser le temps, et sous réserve que l’on démarre sur des bases autres que celles qui nous sont proposées.
Après tout, si nous sommes presque tous d’accord quant à la nécessité de revoir nos structures territoriales, nous n’avons pas le couteau sous la gorge, nous ne sommes pas obligés d’aller trop vite. D’ailleurs, à l’heure actuelle, nous ne sommes peut-être pas assez imaginatifs.
M. Philippe Kaltenbach. Ça, c’est bien vu !
M. Patrice Gélard. Je veux d’abord relever que la situation dans laquelle nous nous trouvons à l’égard de ce texte est parfaitement incongrue. En effet, compte tenu de la période durant laquelle il vient en discussion, nous sommes amenés à l’examiner alors que la moitié des sénateurs vont être, dans quelques semaines, soumis à renouvellement : ceux qui ne se représenteront pas et ceux qui ne seront pas réélus n’auront donc pas à l’appliquer eux-mêmes. Ce sont les nouveaux sénateurs qui appliqueront le texte et, avant cela, l’examineront en deuxième lecture.
En outre, ceux qui seront chargés de mettre en œuvre cette réforme n’auront pas eu à en discuter puisque les conseillers régionaux et les conseillers départementaux ne seront élus qu’en décembre 2015.
Par conséquent, les principaux intéressés ne sont pas dans le coup !
M. Philippe Kaltenbach. C’est le propre de presque toutes les réformes !
M. Patrice Gélard. Au-delà de cette incongruité, je veux relever quelques errements qui apparaissent dans l’étude d’impact.
Tout d’abord, je voudrais enfoncer, non pas une porte ouverte, mais une contre-vérité…
M. Alain Néri. C’est plus facile !
M. Patrice Gélard. … que l’on développe à longueur de temps sur le prétendu modèle européen régional.
Il n’y a pas de modèle européen régional.
M. Philippe Bas. Très juste !
M. Patrice Gélard. Il est absurde de vouloir comparer le découpage territorial français avec celui de la République fédérale d’Allemagne, celui de l’Italie, celui de l’Espagne ou celui de la Belgique. Pourquoi ? Parce que, dans certains cas, il s’agit d’États fédéraux et, dans d’autres, d’États où le régionalisme est constitutionnalisé : nous ne sommes pas en présence d’États centralisés ou déconcentrés comme le nôtre. Quant au Royaume-Uni, il est sui generis, et les counties y ont moins d’autonomie que nos régions. Certes, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ont un statut particulier qui s’apparente au fédéralisme. Mais comme de toute façon la France n’est pas un État fédéral, la situation n’est pas transposable.
Par ailleurs, comment peut-on comparer la situation de nos régions françaises à celle des régions d’États récemment admis au sein de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la Slovénie ou de l’Estonie ? Les trois régions imposées à la Slovénie par Bruxelles pour la répartition des crédits européens correspondent à peine à quelques intercommunalités françaises.
Et que dire du Luxembourg, sinon qu’il est l’équivalent d’un département ? Que dire de la Sarre ou des villes-États allemandes ?
Bref, il n’existe pas de modèle européen et, en tout état de cause, chaque pays fait comme il l’entend.
Mais ce qui m’interpelle surtout, c’est notre manque d’imagination en la matière. On aurait très bien pu concevoir de ne pas imposer une réforme identique à toutes les régions et de ménager des dispositions spécifiques à telle ou telle.
M. André Reichardt. Comme l’Alsace !
M. Patrice Gélard. L’Alsace ne pourrait-elle pas disposer d’un statut spécial, comme la Catalogne ou le Trentin–Haut-Adige ?
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. Et la Bretagne ?
M. Christian Bourquin. Parlons du Languedoc-Roussillon !
M. Philippe Kaltenbach. Mais la France est un État unitaire !
M. Patrice Gélard. Certes, monsieur Kaltenbach, mais ce mode d’organisation n’interdit nullement les régimes spéciaux ! La Corse ne dispose-t-elle pas d’un statut particulier ?
M. Didier Guillaume. En plus, Philippe Kaltenbach adore la Corse ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Ensuite, il convient à mon sens de nous appesantir sur la question du Grand Paris, idée très intéressante sur laquelle s’est penché M. Domenach et qu’a reprise M. Attali. Comment ce projet sera-t-il articulé avec le découpage territorial que l’on nous prépare ? Il n’y aura plus de Grand Paris puisqu’il n’y aura plus d’ouverture sur la mer. Ce ne sera pas la peine : des régions seront là pour cela !
Plus largement, c’est tout un ensemble de projets en cours, toute une série de contractualisations déjà engagées qui devront être abandonnés, et ce au profit d’un système qui ne correspond pas à la réalité. (M. Gérard Larcher acquiesce.)
Enfin – je serai bref, car je ne voudrais pas excéder mon temps de parole –, deux imperfections de l’étude d’impact nous interpellent directement.
Premièrement, croyez-vous que, dans chacune de ces grandes régions, on maintiendra deux ou trois rectorats ?
M. Didier Guillaume. Certaines régions comptent déjà deux rectorats !
M. Patrice Gélard. Croyez-vous que, dans chacune de ces grandes régions, on maintiendra deux ou trois cours d’appel, deux ou trois tribunaux administratifs ? Non ! Ces services feront évidemment l’objet de regroupements.
Plusieurs rectorats ont été créés lors de la mise en œuvre des régions actuelles, par exemple celui de Rouen, dont le ressort relevait précédemment de Caen. À ce titre, cette réforme entraînera un retour en arrière. Il est évident qu’un recteur placé à la tête d’une grande région ne pourra pas se charger des problèmes de la rentrée scolaire, notamment au sein des départements éloignés de son chef-lieu.
M. Didier Guillaume. Il y a bien longtemps qu’ils ne s’occupent plus de cela !
M. Patrice Gélard. Je le sais bien, cher collègue, mais ce sont tout de même les recteurs qui arbitrent lorsque des difficultés surviennent, et Dieu sait s’il y en a !
Deuxièmement, telle qu’elle est envisagée dans le présent projet de loi, la création des régions aurait dû prendre en compte le problème des personnels. Nombre d’agents seront contraints de déménager. S’ils refusent, il ne sera pas possible de les y contraindre. Il faudra donc les mettre en congé, et ce sera à la charge des départements ou des régions ! Rien n’est prévu à cet égard.
Mes chers collègues, on nous a proposé de construire la maison avec les matériaux que l’on nous a donnés. Mais ces matériaux sont de si mauvaise qualité,…
M. Didier Guillaume. Ils sont renouvelables !
M. Patrice Gélard. ... les bases sont si fragiles, le terrain sur lequel on nous demande de bâtir est si friable, que l’on ne peut pas, à mon sens, engager un tel chantier. Il faut reprendre le débat depuis le début et chercher véritablement, cette fois-ci, s’il n’existe pas une autre solution que celle qui nous est proposée aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – MM. Jacques Mézard et Christian Bourquin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
M. Jean-Pierre Raffarin. Ah ! La grande Aquitaine !
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la redéfinition du périmètre des régions, principal objet du présent texte, ne suscite ni mon opposition ni celle des sénateurs du groupe socialiste. En tant que tel, ce programme ne se heurtait pas non plus, me semble-t-il, à l’hostilité de la plupart des membres du Sénat : à preuve le rapport de MM. Raffarin et Krattinger,…
M. Didier Guillaume. Le fameux rapport !
M. Christian Bourquin. Mais M. Krattinger n’est pas là !
Mme Nicole Bonnefoy. … qui proposait une réduction encore plus drastique du nombre des régions !
Toutefois, nous en conviendrons tous, si un redécoupage est engagé, il est indispensable qu’il soit mené selon un double principe de cohérence territoriale et de respect des attentes des citoyens. Or la carte qui nous est proposée ne répond pas à cet impératif.
En effet, la région « Grand Ouest » ne correspond à aucune réalité humaine, économique ou naturelle, et n’emporte pas l’approbation des citoyens et des élus concernés. Je le constate dans mon département, la Charente. La mobilisation y est forte, comme dans la grande majorité des territoires de la région Poitou-Charentes, pour demander un rapprochement avec l’Aquitaine. Cette piste est plus que jamais pertinente à l’heure où la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique, la LGV SEA, nous rapproche encore davantage de Bordeaux.
M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo !
Mme Nicole Bonnefoy. Il est impensable de rompre ces liens naturels au profit d’une région difforme, qui, de plus, serait dépourvue de métropole identifiée. Voilà pourquoi les communes, par leurs délibérations successives et concordantes, les départements, les acteurs de la société civile, du monde économique et associatif et les citoyens, lorsque leur avis est sollicité, émettent tous ce message fort : leur avenir doit se dessiner en direction de l’Aquitaine.
Un tel mouvement s’observe également en Limousin, en faveur d’une grande région du sud-ouest bordant la façade atlantique.
M. Jean-Pierre Raffarin. Pour le moment, c’est parfait ! Il n’y a rien à redire !
Mme Nicole Bonnefoy. Cet ensemble s’organiserait naturellement autour de la métropole bordelaise et ferait fructifier les liens économiques, historiques, humains, culturels et géographiques qui les rapprochent l’un de l’autre.
M. Philippe Kaltenbach. Voilà une approche constructive !
Mme Nicole Bonnefoy. J’ajoute que ce souhait d’un rapprochement de l’Aquitaine et des régions Limousin et Poitou-Charentes est également exprimé par un grand nombre d’élus aquitains.
Il est donc important de redessiner en ce sens cette partie de la carte : c’est l’objet d’un amendement que j’ai déposé, avec mes collègues du groupe socialiste.
Il est tout aussi important de travailler sur le reste du projet de loi pour défendre au mieux les intérêts des territoires. Tel est le sens des amendements du groupe socialiste qui visent à donner aux départements un droit d’option quant à leur région d’appartenance et à maintenir les conseils départementaux dans les zones rurales après 2020.
Aussi, je tiens à le dire, tout particulièrement à nos collègues du groupe UMP et à leurs alliés de circonstance : vous n’êtes pas les seuls dépositaires de l’intérêt des territoires. Le Gouvernement a eu le mérite de proposer une carte servant de point de départ aux travaux et aux débats parlementaires. Il s’est engagé à nous laisser la redessiner. En refusant d’assumer la tâche qui nous incombe, vous dessaisissez le Sénat de son rôle de représentant des territoires et, en définitive, vous déléguez l’intégralité du pouvoir législatif à l’Assemblée nationale.
L’obstruction inlassablement menée depuis des jours, par l’emploi de tous les artifices de procédure, est en totale contradiction avec votre revendication : pouvoir travailler correctement cette carte,...
M. Jean-François Husson. Mais c’est à cause de groupes de votre majorité !
Mme Nicole Bonnefoy. … dans le cadre d’une commission spéciale, que vous avez appelée de vos vœux, puis à présent, en séance publique.
Cessons l’obstruction, assumons nos responsabilités et travaillons sur ce texte !
M. Philippe Kaltenbach. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. Travaillons sur ce socle territorial commun que Didier Guillaume a évoqué précédemment et que le Sénat est parfaitement capable de déterminer.
Je m’adresse plus encore aux sénateurs UMP des régions Poitou-Charentes et Aquitaine : il ne suffit pas d’exprimer une revendication au sein de nos territoires pour la voir aboutir. Il faut la défendre au Parlement, lorsque ce dernier a le pouvoir d’agir, et cela passe par un travail et un vote responsables !
Mme Dominique Gillot. Et voilà !
M. Philippe Kaltenbach. Les discours et les actes !
Mme Nicole Bonnefoy. Sortons des manœuvres ! Seule une attitude constructive permettra de dresser une carte répondant aux attentes des citoyens, notamment avec la création, que beaucoup souhaitent et que j’appelle de mes vœux, d’une grande région du sud-ouest regroupant le Poitou-Charentes, le Limousin et l’Aquitaine ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Delebarre, rapporteur. Tout est dit !
M. Éric Doligé. Et le Centre, il restera tout seul ?...
M. Jean-Pierre Raffarin. Mettez de l’ordre dans votre majorité et il n’y aura pas de problèmes !
M. Alain Néri. Parce que, à l’UMP, vous n’en avez pas, des problèmes ?
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons tous des problèmes…
M. Jean-Pierre Raffarin. Non ! Nous, nous n’en avons pas ! (Rires.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à vous dire tout simplement pourquoi je m’oppose à ce projet de loi.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Parce que vous êtes de droite ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas. Je vois au moins six raisons. Cela fait beaucoup !
M. Michel Delebarre, rapporteur. Cela fait cinq de trop ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)
M. Philippe Bas. Premièrement, le Gouvernement ne respecte pas l’une des règles de base de la démocratie : en régime démocratique, l’électeur, lorsqu’il désigne son représentant, sait pour combien de temps celui-ci assumera son mandat et à quel moment il pourra exercer son contrôle démocratique sur celui qui a été précédemment élu.
M. Philippe Kaltenbach. La droite n’a donc jamais reporté les élections ?
M. Alain Néri. Et M. de Villepin n’a jamais préconisé la dissolution ?
M. Philippe Bas. Or l’actuelle majorité a déjà reporté d’un an les élections locales. Elle les reporte à présent d’une seconde année. Pourquoi est-elle contrainte d’agir ainsi ? Parce qu’elle n’a pas de suite dans les idées !
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
M. Philippe Bas. Elle s’était engagée dans une voie, mais elle a bifurqué et elle se lance à présent dans une autre direction. Le premier report ne suffit plus : il faut en ajouter un second ! Ce procédé n’est pas convenable, il n’est pas respectueux de nos règles démocratiques.
Deuxièmement, je suis, pour ma part, insensible au fétichisme de la taille critique des régions qui inspire votre projet.
M. Jean-Pierre Sueur. Sur ce point, vous avez raison !
M. Philippe Bas. Et je ne crois pas au mirage des « euro-régions ».
M. Philippe Kaltenbach. Qui parle d’euro-régions ?
M. Philippe Bas. Patrice Gélard vient de le dire : les régions d’Europe sont toutes ancrées dans des réalités historiques. Elles sont de tailles très diverses, et il n’est venu à l’esprit de personne, où que ce soit dans l’Union européenne, de créer de toutes pièces des régions par voie d’autorité.
Ce qui importe, pour une région, c’est que sa taille soit en adéquation avec ses pouvoirs et qu’elle soit ancrée dans une réalité culturelle permettant à ses habitants de s’identifier profondément à elle.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Philippe Bas. C’est à ces conditions qu’une région peut incarner une ambition soutenue par ses habitants.
Troisièmement, je m’oppose à ce projet parce que, en réalité, il tourne le dos à trente ans de décentralisation, un mouvement qui a été encouragé par tous les gouvernements qui se sont succédé au cours de cette période.
Que seront donc ces régions paralysées par leurs pouvoirs de gestion s’apparentant à des semelles de plomb, sinon des entités recentralisant un grand nombre des missions assumées, à l’heure actuelle, par les départements, au plus près possible des habitants ? Le centralisme régional n’a rien à envier au centralisme d’État ! En tant que défenseur des libertés locales, je m’y oppose, comme je m’oppose à la fin de la proximité et au mépris exprimé envers les territoires ruraux.
Quatrièmement, cette réforme dénature la vocation des régions. Le Gouvernement crée des ensembles régionaux qui seront des colosses aux pieds d’argile, enlisés dans les responsabilités quotidiennes, alors qu’ils devraient se consacrer à l’animation économique, à la planification des grandes infrastructures et aux équipements publics majeurs. Créer des régions de gestion en lieu et place de régions de mission, c’est tout simplement méconnaître ce qu’est la vocation des régions françaises !
Cinquièmement, ce projet entrave le mouvement de mutualisation : les compétences départementales seront démutualisées et éclatées. Les départements seront vidés par le haut, avec les régions, et par le bas, avec les intercommunalités. C’est la collectivité de proximité qui s’en trouvera déstabilisée. Or cette collectivité de proximité est, en même temps, la collectivité de l’égalité des territoires. Les conséquences seront particulièrement nocives pour les Français vulnérables, car c’est au département qu’il revient de défendre l’égalité en matière sociale.
En vérité, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État et vous-mêmes, chers collègues socialistes, vous n’assumez pas vos responsabilités jusqu’au bout, vous ne respectez pas les intentions proclamées. Après avoir déclaré, en janvier dernier, son attachement profond aux départements, le Président de la République annonce leur suppression ! Puis, trois semaines plus tard, les constitutionnalistes lui ayant expliqué que l’article 72 de la Constitution s’opposait à une telle mesure, il déclare qu’il les conservera jusqu’en 2020, tout en les vidant entièrement de leur substance.
Cette démarche n’est pas loyale. Comme nombre de nos collègues, je ne peux l’accepter.
Sixièmement, enfin, votre action souffre d’une profonde incohérence.
Incohérence dans le temps, cela a été amplement démontré : vous faites exactement le contraire de ce que vous avez entrepris de prime abord. Vous avez commencé par rétablir la clause de compétence générale et, à présent, vous la supprimez.
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Philippe Bas. Si vous avez mené une réforme des cantons, c’est bien parce que vous comptiez sur l’avenir des départements. Et maintenant, je le répète, vous proposez de les supprimer !
Incohérence aussi dans le contenu, car il y a deux manières d’approcher la réforme territoriale : la bonne, qui consiste à spécialiser les collectivités et à les articuler harmonieusement entre elles, la région avec les départements et les intercommunalités avec les communes ; la mauvaise, qui consiste à déséquilibrer profondément notre système territorial, en enflant démesurément les régions, en déplaçant vers elles des compétences qui doivent s’exercer dans la proximité, comme celles qui concernent les routes départementales, le transport scolaire ou le tourisme, de telle sorte que les départements deviennent des entités négligeables, des coquilles vides.
Un tel système territorial est profondément déséquilibré, d’autant qu’il n’est pas corrigé par la territorialisation, pourtant nécessaire, des élus régionaux.
Si vous compromettez durablement le succès de la réforme territoriale dans notre pays et l’adhésion des Français aux évolutions nécessaires, c’est parce que vous vous y êtes pris de la mauvaise façon. Nous ne pouvons donc que nous opposer à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Didier Guillaume. Voilà la parole du terrain !
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accélération des réformes nécessaires au pays devait également concerner l’architecture territoriale de notre République.
La mutation de nos modes de vie, une nouvelle gestion de l’espace-temps, les évolutions technologiques, les difficultés de compréhension du système actuel, les enjeux territoriaux de la mondialisation : tous ces éléments justifient une réforme territoriale, une réforme de réajustement entre des pouvoirs anciens, établis, installés – communes, départements, État – et des pouvoirs nouveaux, émergents – intercommunalités, régions, Europe.
C’est la cohérence de ces pouvoirs qu’il s’agit de réorganiser. Mais l’importance et la sensibilité du sujet nécessitent doigté, méthode et diplomatie, autant d’ingrédients facteurs d’efficacité.
Nous débattons du calendrier électoral. Chaque rendez-vous avec les électeurs doit avoir un sens, un fondement démocratique, une signification pour les candidats et le corps électoral. Le rendez-vous de décembre 2015 doit être perçu comme une invitation à se projeter vers une situation institutionnelle nouvelle, qui contribuera au progrès de notre pays. S’il n’en est rien, il se traduira par un nouveau malentendu entre la population et sa représentation.
À la difficulté d’approfondir la décentralisation dans une période de croissance économique faible s’ajouterait alors un manque d’adhésion de nos concitoyens.
Vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, la peur du décrochage ruine certains territoires ; vous l’avez encore rappelé cet après-midi dans votre propos liminaire.
Or c’est notamment par l’investissement public que l’on redonnera de la confiance à ces espaces qui craignent la relégation. Si, demain, il n’y a plus rien entre de grandes régions et l’intercommunalité, que deviendront les projets et les investissements de nature intermédiaire, ceux qui correspondent aujourd’hui aux initiatives à caractère départemental ou interdépartemental ? Il est illusoire de penser qu’ils seront portés par des communautés de communes de l’espace rural, car leur capacité d’investissement – même si le seuil de population est relevé à 20 000 habitants – restera très insuffisante : elle sera de l’ordre de 2 à 3 millions d’euros par an, pas plus, d’où la profonde inquiétude du secteur du BTP, mais aussi d’autres domaines de l’activité économique.
En un mot, simplification ne signifie pas nécessairement suppression. Sur ces sujets, faisons preuve de discernement : le conseil général est vécu comme une réalité dans nos espaces ruraux ; il n’en est pas de même dans les secteurs fortement urbanisés.
Ne faisons pas de la métropolisation une idéologie ni des grandes régions la finalité unique et ultime du développement local. L’avenir de conseils départementaux modernisés peut et doit, sur certains espaces, être une condition du succès des grandes régions. Leurs intérêts peuvent se rejoindre si la synergie de leur fonctionnement et la complémentarité de leurs rôles s’harmonisent. Ne raisonnons pas en termes d’institutions superposées, mais en termes de fonctionnement d’instances territoriales placées au service de nos concitoyens.
Dans ce nouveau paysage, l’échelon départemental peut être celui qui met de l’huile dans les rouages et crée de la dynamique, à partir de son expérience de solidarité sociale et territoriale. Mais si l’on en reste à une vision figée de simple soustraction de strates, on connaîtra une régression en matière de lisibilité de l’action publique, de liens entre les élus et les électeurs, de soutien aux plus démunis, de qualité des services à la population ou bien encore d’efficacité économique.
C’est ainsi que l’avenir de la ruralité est en grande partie conditionné par le maintien d’une instance départementale. C’est notamment l’un des postulats exprimés par le mouvement « Nouvelles ruralités », mentionné, à mon grand plaisir, par Didier Guillaume cet après-midi.
Le maintien d’un conseil départemental dans une vision redéfinie permettrait de réduire les risques que comporte le paysage institutionnel aujourd'hui envisagé : risque de tutelle des régions sur les communautés de communes, consécutif au déséquilibre financier, risque d’un poids croissant de la technocratie administrative des grandes régions, risque de cloisonnement des collectivités par manque de coopération entre les territoires, risque de perte de projets innovants, risque d’un niveau élevé de projets orphelins, risque de normalisation des performances avec perte de vue des réalités du terrain.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré : « L’objectif n’est pas de faire des régions identitaires, mais des régions économiques puissantes ». Votre ambition de croissance et d’emploi est parfaitement légitime, mais force est de constater que, généralement, les régions les plus performantes économiquement sont celles qui présentent une identité culturelle forte. Il est difficile de dissocier les deux, comme il peut être préjudiciable de casser des processus en cours. Je pense notamment à l’affirmation de l’identité du Massif central, dont la montée en puissance, ces dernières années, concomitante d’une organisation spatiale autour d’un axe routier majeur tel que la RCEA, la route Centre Europe Atlantique, pourrait justifier une région Poitou-Charentes-Limousin-Auvergne. Pour beaucoup d’élus, les choix d’adhésion deviennent actuellement des choix par défaut.
Toutefois, l’essentiel est sans doute non pas le redécoupage, mais les compétences exercées et les moyens disponibles. L’essentiel, c’est surtout le contenu des politiques publiques portées par les futures régions, leurs priorités en termes d’équipement, d’infrastructures et de politiques territoriales, la relation entre le centre et la périphérie, la répartition équilibrée des richesses. L’essentiel, c’est aussi la capacité, pour un élu, de se faire entendre et d’exprimer ouvertement les intérêts, les attentes et les aspirations d’un territoire et de sa population.
Comment sera perçue une politique régionale dans des départements qui seront représentés par un ou deux élus régionaux, d’autant que ces mêmes départements ont déjà vu le nombre de leurs députés réduit en 2012 ? Va-t-on réhabiliter l’action publique en effaçant les acteurs de celle-ci, émanation du suffrage universel ?