Mme Catherine Procaccia. Pas bassiné, quand même !
M. René-Paul Savary. … vous m’avez répondu, à juste titre, que la réforme territoriale s’accompagnerait d’une réorganisation des services de l’État.
Tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez dit de ne pas nous inquiéter, parce qu’on ne toucherait pas à l’organisation territoriale. Il vous faudra donc rassurer vos fonctionnaires, les fonctionnaires de l’administration d’État, qui se demandent si demain, ils iront à Amiens, ou peut-être à Strasbourg, ou bien à Metz, à moins qu’ils ne restent dans la Marne…
Y aura-t-il oui ou non une réorganisation qui a des conséquences primordiales ?
En conclusion, tant que nous ne savons pas précisément qui fait quoi et quelles compétences seront dévolues à ces futures régions, nous ne disposons pas des arguments pour aller dans le sens de l’histoire.
Si chacun fait un pas, s’efforce de se comprendre, si l’on peut examiner conjointement les compétences des régions, leurs moyens et la carte territoriale – cela pourrait se produire au moment de la deuxième lecture du présent texte simultanée à la première lecture du second projet de loi –, recueillir plus de précisions et amender vos propositions, nous pourrions peut-être nous entendre.
Il faut effectivement que cette carte résulte d’une consultation locale, comme l’a fort bien indiqué Jean-Pierre Raffarin, qu’elle vienne de la base et remonte, en quelque sorte, vers le pouvoir central. C’est la façon dont je conçois la décentralisation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.
M. François Grosdidier. Il existe deux écoles : la première préconise le rapprochement des départements et des régions, la seconde prône la création de grandes régions et le maintien des départements.
Cette discussion est quelque peu ubuesque, car même ceux qui, au sein de cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, pourraient partager l’idée de grandes régions, soutiennent le maintien des départements que vous avez décidé de supprimer dans la séquence suivante, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État.
La simplification, la clarification, la rationalisation et l’optimisation, pour que nous soyons plus efficaces en dépensant moins, plaident, selon moi, plutôt pour le rapprochement entre le département et la région, un strict partage des compétences, la fin des doublons, une parfaite coordination qui ne peut être mieux assurée que par un élu unique, bref, pour le conseiller territorial issu de la réforme Sarkozy-Fillon.
Seulement voilà, comme pour la réforme territoriale, comme pour la TVA sociale et l’écotaxe, en l’espèce, vous avez commencé par défaire ce qui avait été fait, en niant la nécessité de la réforme, puis, devant la réalité de cette nécessité, encore plus impérieuse et urgente que voilà quelques années, vous essayez de faire la même chose tout en faisant croire le contraire.
En réalité, vous tentez d’atteindre le même objectif tout en faisant moins bien, mais différemment, ce dans la confusion et souvent dans la contradiction, donc forcément dans l’incompréhension. C’est un non-sens que de dessiner ces grandes régions en annonçant la fin des départements. Ainsi, il n’y aurait plus rien entre l’intercommunalité et la grande région. Ce n’est pas viable !
Vous nous expliquez que les régions actuelles n’ont pas la taille adéquate pour soutenir la comparaison avec les autres régions européennes et que la compétition interrégionale en Europe impose de les fusionner. C’est une vision superficielle et parisienne.
Pendant dix ans, j’ai été vice-président de ma région, la Lorraine, sous l’autorité du président Longuet ; j’ai été chargé de la formation, de la reconversion, de la réindustrialisation, et je tire de mon expérience une tout autre vérité.
Le Land de Sarre, avec moins de un million d’habitants, est beaucoup moins peuplé que le département voisin de la Moselle et, par conséquent, que la région Lorraine. Toutefois, en concentrant les compétences et les budgets des départements, de la région et même d’une partie de l’État central, ce Land dispose de moyens d’action considérablement supérieurs, et je ne vous parle pas de notre autre voisin, le Luxembourg, trois fois moins peuplé que notre département, mais dont la puissance est tout autre !
M. Jacques Chiron. C’est un paradis fiscal !
M. François Grosdidier. Une Lorraine forte à côté a certes besoin de coopérer avec l’Alsace et la Champagne-Ardenne – nous n’avons pas attendu ce gouvernement pour organiser la grande région –, mais elle a d’abord besoin de ses départements pour exister à côté du Luxembourg, de la Sarre et du Land de Rhénanie-Palatinat.
M. Jacques Chiron. Bien sûr !
M. François Grosdidier. C’est l’importance des prérogatives et la concentration des moyens qui donnent la force aux leviers de l’action publique. Cette force se perdra dans d’immenses régions sans identité, sans légitimité et qui nourriront des antagonismes internes – ce phénomène apparaît déjà avec le choix des capitales régionales –, qui éloigneront le pouvoir territorial du terrain, qui justifieront le maintien et même le renforcement des départements, dont vous annoncez pourtant la suppression.
La comparaison si parisienne et si technocratique entre notre carte régionale et celle de nos voisins européens ne tient pas compte de notre histoire, et moins encore de notre géographie.
En la matière, comparaison n’est pas raison.
La densité de notre pays est plus faible. La France compte 100 habitants au kilomètre carré, alors que l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas en comptent respectivement 230, 370 et plus de 400 !
Le découpage est déraisonnable dans son principe. Il l’est plus encore dans ses modalités : il a été décidé en une après-midi au Château. En quelques heures, des régions entières ont vu leur destin basculer. Les hauts cris des gens bien en cour ont été entendus. Mmes Royal et Aubry, tout comme M. Le Drian, ont été satisfaits. Ceux qui sont tombés en disgrâce, comme M. Ayrault, ont prêché dans le désert. Nantes restera coupée de la Bretagne. La Rochelle, Bourges et Tulle seront dans la même région. Le plateau de Langres disposera, contrairement à Paris, d’une façade maritime avec la baie de Somme.
La France ne peut pas être redécoupée dans une telle irrationalité, au seul motif de faire une réforme pour la réforme qui ne soit pas la réforme antérieure.
C’est pourquoi la raison nous commande de rejeter l’article 1er.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l’article.
M. Jacques Mézard. Je partage tout à fait, ainsi que les membres de mon groupe, les propos de M. Raffarin.
M. Roger Karoutchi. C’est la raison !
M. Jacques Mézard. Effectivement, mon cher collègue.
Une grande majorité de sénatrices et de sénateurs ont un objectif commun eu égard à la réforme territoriale.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Jacques Mézard. Ce sont les méthodes que vous avez utilisées, monsieur le ministre, qui justifient la situation actuelle. Le titre du journal Le Monde paru cet après-midi Au Sénat, UMP, PCF et radicaux de gauche sabordent la réforme territoriale traduit une vision boboïste parisienne tout à fait évidente.
Mme Éliane Assassi. C’est exact !
M. Jacques Mézard. Paris n’est pas la France ; je dirai même que Paris n’est plus la France, et que cette vision technocratique des médias parisiens ne correspond plus du tout à ce qui se passe au sein de nos territoires.
M. Philippe Bas. Vous avez raison, mon cher collègue !
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, vous êtes un homme de parole, donc vous ne péchez pas par commission ; vous ne le faites que par omission. À ce propos, je constate une distorsion, que je comprends, entre le discours que le Premier ministre a prononcé hier lors de la séance de questions d’actualité, les propos qu’il a tenus sur France 3, et votre réponse d’hier soir. En fait, vous n’avez répondu précisément à aucune de nos questions, car vous n’avez pas voulu, me semble-t-il, nous tromper ultérieurement, et je vous en sais gré.
En effet, nous n’avons obtenu aucune précision sur la position réelle du Gouvernement concernant l’évolution de la carte - pourtant vous-même en avez une –, sur les raisons qui ont incité tant le Président de la République que le Premier ministre à changer totalement de stratégie après le discours de Tulle du 19 janvier 2013.
Nous n’avons pas non plus obtenu de réponse précise sur la possibilité d’opter pour les départements immédiatement. On l’accepte ou on, mais il faut l’exprimer clairement.
Aucune réponse non plus ne nous a été donnée sur une éventuelle modification du système électoral. Or, je vous l’ai dit hier, le régime actuel que vous étendez à de très grandes régions emportera des conséquences très graves, au premier chef, du fait de l’élimination des sensibilités politiques minoritaires, l’arrivée, en position de force, de l’extrême droite dans toutes les grandes régions. Je ne pense pas que vous ayez mesuré l’importance d’une telle décision. Quoi qu’il en soit, je vous le répète très clairement, nous ne pouvons consentir à notre élimination de cette manière.
Nous n’avons pas obtenu plus de réponses sur la représentation des départements à faible démographie et sur leur élimination quasi totale des conseils régionaux. Êtes-vous favorable à mon amendement visant au maintien de cinq conseillers régionaux issus des sections départementales au minimum ?
S’abriter derrière le Conseil constitutionnel, c’est un peu trop facile. Le Gouvernement, en garantissant un seul élu de nos départements sur les 150 que comprendront les conseils régionaux, fait preuve d’un mépris absolu, définitif à l’égard de nos territoires !
Nous n’avons pas eu plus de réponses sur le maintien ou non des conseils départementaux. À cet égard, un amendement a été déposé par le groupe socialiste – il a d’ailleurs été cité dans la presse de cet après-midi. S’il s’agit simplement d’un instrument destiné à préparer les élections sénatoriales qui se tiendront au mois de septembre prochain, il faut le dire clairement !
M. Didier Guillaume. Merci de ces amabilités !
M. Jacques Mézard. J’ai l’habitude de dire les choses, mon cher collègue ! Et en l’occurrence, il ne s’agit pas d’amabilités, car je souscris totalement à cet amendement. Mes griefs ne vous sont pas adressés. Je demande simplement au Gouvernement, puisque j’ai voté cet amendement et que je le soutiendrai, de nous dire clairement s’il l’approuve. Certains de nos collègues l’ont qualifié hier d’amendement d’appel. La raison d’être d’un amendement de cette nature est de provoquer une réponse.
J’espère que cette mise au point vous convient, monsieur Guillaume.
M. Didier Guillaume. D’accord !
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, j’ai une autre question qui appelle une réponse : oui ou non allez-vous dévitaliser les conseils départementaux ? Les propos tenus par M. le Premier ministre hier ne sont guère explicites sur ce sujet. En outre, quelle est la position du Gouvernement concernant le transfert des personnels des départements ruraux vers les métropoles régionales ?
Ces questions précises justifient des réponses précises. Cela étant, le présent projet de loi fera l’objet d’une deuxième lecture. Dans cette perspective, les membres du RDSE sont prêts à la concertation, comme ils l’ont fait sur tant de textes depuis deux ans, sous réserve d’une réelle volonté en ce sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bourquin, sur l’article.
M. Christian Bourquin. Mon intervention s’’inscrit dans le droit fil des précédentes, notamment de celles de M. Raffarin et de M. Mézard.
Je souhaiterais saisir cette occasion pour ouvrir une parenthèse à propos du match de football qui aura lieu en fin d’après-midi.
Que les uns et les autres regardent le match retransmis à la télévision, soit, mais faire une communication sur ce point ne me semble pas du tout judicieux pour la notoriété de notre institution, le Sénat, au sein duquel je siège et je travaille ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Mon cher collègue, je ne sais pas à qui s’adresse votre remarque. Je précise que je n’ai fait aucun communiqué sur l’événement dont vous avez parlé.
M. Christian Bourquin. Je ne vous mettais aucunement en cause, monsieur le président. Je m’adressais aux sénateurs, majoritaires ici, qui se sont exprimés sur cette question. Ce n’était pas de bon goût.
Je le dis clairement, nous, les élus, nous avons d’autres messages à envoyer à nos concitoyens.
Cela étant, nous devons donner de la légitimité à toutes nos actions.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce matin comme cet après-midi, nous avons travaillé très calmement pour essayer de déterminer une carte, mais sans en présenter une réellement. En effet, nous le savons bien, c’est à l’automne que le vrai texte et la véritable carte seront proposés. En outre, le bras exécutif du Gouvernement s’appelle l’Assemblée nationale. Le Sénat est la chambre de réflexion qui a permis aujourd’hui de lever quelques ambiguïtés.
Comme l’a dit M. Mézard, certaines réponses font défaut. Néanmoins, on a travaillé et on prend conscience que, pour ce qui concerne les conseils généraux, il convient de considérer le milieu urbain et rural. Or, pour l’instant, on ne sait pas déterminer où s’arrête l’urbain et où commence le rural. Un travail énorme devra être mené sur ce point. Et de quel rural s’agit-il ? Est-ce celui où les vaches broutent ou celui des constructions secondaires ?
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Christian Bourquin. Ensuite, nous avons balayé cette référence au poids de la population, à la surface terrienne d’une région. Je pense fermer le ban, et je m’en réjouis. Je note que personne aujourd’hui, alors que tel était le cas jusqu’à présent, ne s’est référé aux autres régions de l’Europe. Or l’Europe n’est pas constituée uniquement de grandes régions ; elle en compte également de petites qui fonctionnent – je vous les citerai volontiers, mes chers collègues, mais mon temps est limité. On en trouve en Espagne, en Italie…
M. André Reichardt. En Allemagne !
M. Christian Bourquin. Pour l’heure, seules les grosses régions ont été évoquées. Certes, elles sont nécessaires, c’est évident, et il faut faire la réforme pour elles, mais il y a de la place pour les plus petites ; c’est la vie, c’est notre vie !
Nous avons également beaucoup avancé sur les questions de personnel : nous avons exigé que l’État et les collectivités associent les agents concernés à une concertation, et qu’ils instaurent un suivi, pour apaiser les graves inquiétudes exprimées, surtout au sein des conseils généraux et régionaux.
Jusqu’à présent, ces personnels sont restés sur la réserve. Mais prenons garde que la bombe ne nous éclate à la figure ! Nous n’en sommes pas très loin, tout peut évoluer très vite. Pour l’heure, la situation est calme, mais à l’image d’un dormeur qui peut à tout instant s’éveiller en sursaut !
Cela étant, mes chers collègues, il me semble que nous avons bien avancé ce matin. Je le dis à l’instar de Jacques Mézard : on lit dans la presse, on entend dans les médias des propos lamentables, qui ne reflètent nullement le travail mené par le Sénat. Ainsi, la France peut se faire une fausse idée des débats de la Haute Assemblée. Notre message est pourtant clair et il me semble audible, étant donné la communauté de vues très large qui s’observe au sein de cet hémicycle : elle va du groupe CRC au groupe UMP en passant par l’UDI-UC et le RDSE. Au demeurant, nous ne sommes pas en l’espèce les représentants d’une famille politique ou d’une autre : nous sommes des sénateurs réformateurs, soucieux d’améliorer la situation.
On ne mesure pas l’ampleur de l’incendie qui couve, notamment dans ma région. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à M. le ministre…
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Christian Bourquin. J’en termine, monsieur le président. Mais je rappelle que j’ai consacré une partie de mon propos au football, ce dans l’intérêt collectif !
La presse l’a relayé hier : il y a le feu en Languedoc-Roussillon plus que dans toutes les autres régions de France. Les sondages en font foi : aujourd’hui, 56 % des habitants de mon territoire me suivent, et je suis, pour ma part, leur relais – je ne rouvrirai pas l’éternel débat de la poule et de l’œuf !
Les professionnels, les acteurs de l’économie, tous ceux qui créent de la richesse nationale sont en première ligne : si 30 000 nouvelles entreprises s’installent désormais chaque année dans ma région – il s’agit du record national ! –, c’est bien qu’il s’y passe quelque chose.
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur Bourquin.
M. Christian Bourquin. En conclusion, certaines régions méritent d’atteindre une taille européenne. Parallèlement, des territoires comme le Languedoc-Roussillon sont tout à fait fondés à refuser des fusions. Je tiens à ce que la presse le relève !
Mme Jacqueline Gourault. La commission spéciale l’a approuvé !
M. Christian Bourquin. La population de ma région y est favorable à 56 % ! La commission a voté cette mesure. J’espère que le Gouvernement relayera cette revendication au sein de l’Assemblée nationale, pour que des régions de taille moyenne puissent, elles aussi, exister. Dans la structure régionale comme dans notre population, il faut accorder une place aux moyens ! (M. Jacques Mézard et plusieurs sénateurs de l’UMP applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, sur l’article.
M. Éric Doligé. Mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites, et je ne formulerai donc, pour ma part, que quelques remarques. Cela étant, je constate que la réflexion avance d’un bon pas.
M. Reichardt vient de parler de la crise, de l’emploi et de l’économie en général. Là est, bien entendu, l’essentiel de notre préoccupation actuelle. Je vous rappelle que, hier, le FMI a réduit la prévision de croissance de la France de 1 % à 0,7 %, ce qui devrait tout de même nous alerter.
On nous affirme que cette révision de la carte régionale engendrera des économies, mais celles-ci seront-elles dégagées à court terme ? Permettront-elles d’améliorer notre situation économique ? Je ne le crois pas. Au reste, M. Vallini nous a déclaré que, en matière de personnel, la réforme entraînerait finalement un coût, estimé à 20 millions d’euros.
M. René-Paul Savary. Minimum !
M. Éric Doligé. Certains de mes collègues ont ajouté qu’il manquait un zéro ! Et, de fait, il en manque au moins un. De notre côté, nous avons réalisé nos propres estimations au sein de nos départements et nous obtenons des montants beaucoup plus élevés, transposés au niveau national.
Bref, monsieur le ministre, si vous avez des chiffres, donnez-les-nous, d’autant que nous ne disposons pas d’étude d’impact ! Ces quelques éléments nous permettraient d’avancer.
J’ajoute que nous avons besoin d’investissements et que, parallèlement à l’inquiétude des personnels des collectivités, il faut prendre en compte l’inquiétude des élus, notamment des conseillers régionaux. Que va-t-il advenir, par exemple, des contrats de projets État-région ? (M. Roger Karoutchi opine.) Quant aux départements, ils s’interrogent sur les investissements qu’ils pourront assumer. Les intercommunalités elles-mêmes sont concernées ! J’ai entendu dire qu’il fallait s’attendre à de mauvaises surprises très prochainement sur le front de l’emploi, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Mme Isabelle Debré. Bien sûr !
M. Éric Doligé. Cette réforme régionale va malheureusement aggraver une situation qui est déjà tout à fait dramatique.
Cela étant, discutons de la carte, puisque tel est l’objet du présent article !
Comme vient de le rappeler Jean-Pierre Raffarin, nous sommes tous favorables à la définition d’une nouvelle carte régionale. La France a besoin d’une telle réforme ! Le seul problème, c’est que l’on n’a pas la capacité, aujourd’hui, de définir un redécoupage.
À première vue, l’article 1er semble assez anodin. Sont placées, en regard, les colonnes regroupant les anciennes et les nouvelles régions. Regardons, au hasard, la région Centre ! (Sourires.) Je vois du côté des nouvelles régions « Centre-Limousin-Poitou-Charentes » et, du côté des anciennes, « Centre, Limousin, Poitou-Charentes ».
Pour le citoyen lambda, tout cela se ressemble : la seule différence, c’est que des tirets ont remplacé des virgules ! Mais, en réalité, il s’agit de modifications profondes. Rendez-vous à l’article 6, vous y trouverez la liste des départements concernés : l’ancienne région en comptait six, la nouvelle en dénombre treize ! Sur 150 élus – je crois qu’il s’agit d’élus, jusqu’à preuve du contraire –, la Creuse en comptera 6, et les deux extrémités de la région seront distantes de 600 kilomètres ! Puis, si vous jetez un œil à l’article 12, vous constatez qu’il n’y aura plus de départements !
Ainsi, au lieu d’avoir cinquante élus pour un département, à savoir les conseillers généraux et régionaux, on en comptera cinq ou six. Cette perspective nous conduit à nous interroger.
Tentons, malgré tout, d’aller un peu plus loin, de faire preuve de bonne volonté, et redessinons la carte. On peut, par exemple, regrouper le Centre et les Pays de la Loire, et associer par écrit ces deux régions avec un tiret. Soit ! Ce regroupement fonctionne, il nous satisfait. Mais, hier, trois représentants des Pays de la Loire nous ont déclaré qu’ils souhaitaient être réunis non au Centre mais à la Bretagne !
Monsieur le ministre, comment allons-nous faire ? Pensez-vous réellement que, aujourd’hui ou demain, au cours des vingt-quatre ou quarante-huit heures de débats qu’il nous reste, exception faite des deux heures de match, nous sommes en mesure de nous entendre, ce sur le dos, soit dit en passant, de nos collègues qui ne peuvent prendre part à ce débat ?
M. Roger Karoutchi. Non !
M. Éric Doligé. J’ai entendu, dans les couloirs entourant l’hémicycle, les conversations des uns et les autres. Je discutais encore de cette question voilà un instant avec mon excellente collègue Jacqueline Gourault. Elle suggérait que, finalement, il ne serait pas idiot de constituer une grande région de l’ouest, regroupant le Centre, les Pays de la Loire et la Bretagne. Pourquoi pas ?
M. Jean-Pierre Sueur. D’Orléans à Brest ?
M. Éric Doligé. C’est vrai que l’on aboutirait à un ensemble encore plus grand…
M. Jean-Pierre Sueur. Sans compter que les Bretons ne seront pas d’accord !
Mme Jacqueline Gourault. Certes !
M. Éric Doligé. Voilà qui supposerait de raisonner à l’échelle de très grandes régions, sur une base plus proche du rapport de MM. Raffarin et Krattinger, que l’on ne peut manquer de citer, et ce dans chacune de nos interventions. Ces vastes ensembles auraient le mérite de conforter les départements, qui pourraient, à leur niveau, être eux aussi regroupés.
Il est impossible de recomposer un ou plusieurs tableaux aujourd’hui même, en déplaçant ainsi les régions d’une colonne à l’autre.
M. Christian Bourquin. Voilà !
M. Éric Doligé. Remarquez, c’est un peu ce qui s’est passé un certain dimanche : prenons les régions, remuons le tout et dressons des listes ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mieux vaut nous donner du temps, pour aboutir à un accord. Je le sais, l’un des problèmes du Gouvernement, c’est le temps. C’est pourquoi il a présenté ce projet de loi en premier, dans l’espoir d’en obtenir l’adoption avant que nous n’entrions dans l’année précédant les élections régionales.
Mme Jacqueline Gourault. Eh oui !
M. Éric Doligé. Mais nous ne sommes tout de même pas à trois mois près ! Si vous nous donnez du temps, je peux vous assurer que nous aboutirons à un accord presque unanime, et que nous dessinerons une carte de qualité, répondant aux besoins des entreprises, des citoyens, des élus et des fonctionnaires de nos collectivités.
Enfin, vous serez si heureux d’avoir abouti à l’adoption d’un bon texte que votre patience sera bien récompensée ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, sur l’article.
M. Jean-Claude Lenoir. Mes chers collègues, je commencerai, pour ma part, par relever un paradoxe.
Nous sommes nombreux, au sein de la Haute Assemblée, à souhaiter une réforme territoriale. À preuve : des travaux ont été conduits sous d’autres majorités, aboutissant à la conclusion qu’il fallait réformer l’organisation administrative de la France.
Toutefois, nous sommes confrontés à une difficulté qui est largement due au choix, opéré par le Gouvernement, d’élargir le périmètre des régions.
Je le dis avec beaucoup de force : dès lors qu’il effaçait progressivement les départements, et les conseils généraux en particulier, le Gouvernement aurait dû s’en tenir au critère énoncé par Condorcet dès 1788. Rappelons-nous que, pour fixer le périmètre des circonscriptions administratives, Condorcet privilégiait le temps nécessaire pour se rendre du chef-lieu aux extrémités du ressort !
Monsieur le ministre, le Gouvernement aurait dû avoir la sagesse de s’en tenir aux régions actuelles, quitte à étendre certaines d’entre elles. Mon département, l’Orne, est situé en Basse-Normandie et, vous le savez, je souhaite comme beaucoup la réunification des deux Normandie. Peut-être d’autres ajustements se seraient-ils révélés utiles et souhaitables. Malheureusement, vous avez fait un autre choix qui, je le crois, plombe quelque peu votre réforme.
À ce paradoxe s’ajoute une contre-vérité, exprimée via certains organes de presse.
Je le dis avec beaucoup de solennité : on ne peut pas accuser qui que ce soit dans cette assemblée d’avoir voulu retarder les débats (Protestations sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Didier Guillaume. Oh !
M. Jacques Chiron. C’est pourtant le cas !
M. Jean-Claude Lenoir. … ou d’avoir employé des procédures, que vous nous avez d’ailleurs enseignées lorsque vous étiez dans l’opposition, chers collègues de la majorité,…
Mme Isabelle Debré. Exactement ! Nous avons été à bonne école !
M. Jean-Claude Lenoir. … pour repousser l’issue des discussions !
Je note à ce propos que nos débats se déroulent dans le cadre temporel fixé, voilà quinze jours, par la conférence des présidents. Nous n’accusons donc aucun retard.
De surcroît, je regrette que des membres de la Haute Assemblée aient pu, en dehors de cet hémicycle, relayer l’idée que certains souhaitaient absolument retarder voire saborder cette réforme.
M. Jacques Mézard. C’est dans la presse !
M. Jean-Claude Lenoir. J’en viens à présent au fond de ce débat.
Concernant les régions, nous devons prendre le temps nécessaire à la réflexion.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce temps est utile au Gouvernement. En effet, imaginons un seul instant que le Sénat adopte le présent projet de loi, et que, dans quinze jours, conformément au calendrier prévisionnel des séances, l’Assemblée nationale le vote à son tour. Ce texte serait adopté rapidement, avant la fin du mois de juillet. Mais, sitôt soumis à l’examen du Conseil constitutionnel, il serait censuré, pour la simple et bonne raison que le second volet de la réforme, qui dépend du premier, n’a même pas été présenté devant le Parlement !
Le report des élections locales, départementales et régionales, ne se justifie que par la refonte des régions, et partant par un transfert de compétences.
Au surplus, ce temps est nécessaire à la représentation nationale.