M. Jean-Pierre Caffet. Et au-delà !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Nous avons bien sûr examiné cette hypothèse dans la perspective de la création de grandes régions,…
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. … qui aggravera nécessairement la sous-représentation des petits départements. Il faut donc faire quelque chose. Deux conseillers régionaux pour représenter un département, même s’il est petit, c’est tout de même peu, monsieur Guillaume ! Bientôt, certains départements compteront plus de députés que de conseillers régionaux. (M. Jacques Mézard acquiesce.) Avouez que ce serait paradoxal !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’amendement n° 28 rectifié tend à garantir à chaque département une représentation minimale de cinq élus au conseil régional. Vous êtes très attaché à cette disposition, monsieur Mézard, pour des raisons qui tiennent à la crainte de voir les départements ruraux des grandes régions sous-représentés et, par conséquent, relégués.
Je comprends parfaitement cette préoccupation. Toutefois, l’adoption de votre amendement poserait, en l’état actuel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un problème très concret, car le juge constitutionnel ne tolère pas un écart de représentativité supérieur à 20 % par rapport à la moyenne régionale des départements.
Dans ces conditions, nous ne pouvons émettre un avis favorable sur cet amendement, pour des raisons tenant, je le répète, à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et non à la volonté politique du Gouvernement. Dans un esprit d’ouverture, je vous propose cependant, monsieur le sénateur, de procéder à quelques analyses juridiques complémentaires d’ici à la deuxième lecture, de manière à confirmer ou non cet avis défavorable du Gouvernement. Pour l’heure, compte tenu de la position retenue par le Conseil constitutionnel jusqu’à présent, nous ne croyons pas possible d’accepter la solution que vous préconisez.
Le Gouvernement est par ailleurs favorable à l’amendement n° 132, sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 169, et défavorable à tous les autres amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote sur l’amendement n° 28 rectifié.
M. Jacques Mézard. J’ai bien entendu votre proposition, monsieur le ministre, de procéder à des analyses juridiques complémentaires, mais il n’y a pas d’autre solution que de changer le système électoral ou de démontrer au Conseil constitutionnel que trop, c’est trop !
Pour nous, en tout cas, ce point n’est pas négociable, pour deux raisons.
La première raison, c’est que la représentation d’un territoire au conseil régional sera inéluctablement condamnée si elle se limite à un ou deux élus. En effet, même avec deux élus, outre l’inconvénient relatif à la parité qu’a relevé avec justesse M. Guillaume, les différentes sensibilités politiques ne seront pas représentées. Il faut aussi que le Conseil constitutionnel applique la Constitution. Parfois, on se demande si c’est le cas ! Ces propos figureront au Journal officiel.
L’alinéa 3 de l’article 4 de la Constitution dispose en effet que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation ». Comment le pluralisme sera-t-il garanti si certains départements ne comptent qu’un seul représentant ?
La seconde raison, c’est que l’absence de représentation des territoires soumettra les départements peu peuplés à la loi du plus fort, à la loi des départements à forte démographie et de la métropole régionale. Je rappelle que, aux termes de votre projet de loi, la métropole de Lyon aurait, à un ou deux sièges près, autant de représentants dans la future grande région Rhône-Alpes-Auvergne que toute l’actuelle région Auvergne !
Telles sont les aberrations de ce texte du point de vue de la représentation démocratique. Il appartient tant au Parlement qu’au Gouvernement d’expliquer au Conseil constitutionnel que ces errements démocratiques ne sont pas acceptables : nous ne pouvons en aucun cas y consentir ! Nous ne sommes pas du tout dans la même situation que pour les élections cantonales : les arguments qui nous ont alors été opposés pour justifier le nouveau système électoral départemental ne valent pas ici.
Monsieur le ministre, je maintiens ma proposition : cinq sièges pour un département, c’est le minimum vital. Je connais la position des présidents de région, quelle que soit leur sensibilité – aujourd’hui, ils sont majoritairement socialistes. Six d’entre eux se sont exprimés devant la commission des lois avant d’être entendus par la commission spéciale. Nous avons tous été frappés par le fait qu’ils n’avaient qu’un mot à la bouche : puissance, puissance, puissance… Quand on ne pèse rien politiquement face à ces nouveaux grands féodaux, on se fait marcher dessus !
Au nom de tous les territoires ruraux, je demande au Sénat de marquer fortement sa volonté de garantir l’expression démocratique.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Mézard, si j’étais un grand féodal, cela se verrait ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Je ne fais pas la confusion !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je peux donc entendre aisément votre argumentation.
Tentons de cheminer ensemble. Votre raisonnement est le suivant : si nous n’accroissons pas le nombre de représentants des sections départementales au profit des petits départements, ces derniers seront sous-représentés au conseil régional et se trouveront relégués, d’autant que les régions sont appelées à s’agrandir. Sans doute avez-vous à l’esprit le cas de votre département.
Votre préoccupation est tout à fait légitime, mais d’où partons-nous ? Le mode de scrutin actuel ne garantit même pas que les petits départements des grandes régions compteront au moins un élu au conseil régional ! A contrario, l’article 7 du présent texte assure au moins un représentant par section départementale.
Vous jugez que cela n’est pas suffisant et qu’il faudrait aller plus loin. Je souhaite simplement que l’on n’impute pas au dispositif de ce projet de loi le risque de sous-représentation des départements ruraux au sein des régions, puisqu’il offre une garantie qui n’existe pas actuellement.
En tout état de cause, nous ne pouvons pas accepter des amendements dont nous savons qu’ils sont anticonstitutionnels, car s’ils sont adoptés, leurs dispositions seront infailliblement censurées par le Conseil constitutionnel.
Tel est mon raisonnement. Il ne repose pas sur une opposition politique ou sur une quelconque pusillanimité à l’égard du Conseil constitutionnel, mais en adoptant ou en approuvant des mesures que nous savons anticonstitutionnelles, nous ne ferons que renforcer la détermination de ce dernier à les censurer.
Je vous propose simplement, monsieur Mézard, d’examiner ensemble jusqu’où la Constitution nous permet d’aller sur ce point, en menant toutes les analyses complémentaires nécessaires. C’est une proposition loyale que je vous fais : je ne suis pas animé par une volonté de fermeture. Je le répète, à quoi servirait-il d’adopter des amendements dont on sait qu’ils sont anticonstitutionnels ? À rien ! Ils sont voués à être censurés par le Conseil constitutionnel.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas favorables au mode de scrutin qui s’appliquera pour les prochaines élections régionales. Avec la création du conseiller territorial, nous avions prévu un mode de scrutin territorialisé, uninominal, majoritaire. Il s’agissait d’un dispositif clair, permettant d’assurer la représentation des territoires et de leur population.
Le système dont nous discutons, en revanche, n’est pas bon, car il ne garantit pas l’ancrage territorial des conseillers régionaux. Surtout, il s’agit d’un système byzantin : la répartition des sièges s’opère de manière totalement opaque. Personne n’y comprend rien ! Les électeurs, au lendemain du scrutin, sont tout surpris de voir comment les sièges ont été attribués. Nos débats illustrent à quel point ce mécanisme est pervers.
Monsieur le ministre, s’agissant de la représentation des départements ruraux, je vous sais gré de votre signe d’ouverture, mais vous nous proposez de mener des analyses juridiques au cours de la navette afin de déterminer s’il ne serait pas possible d’introduire davantage de souplesse, alors que vous semblez pourtant formel quant à l’inconstitutionnalité de l’amendement n° 28 rectifié…
Cela étant, pourquoi pas, mais, dans l’attente de cet approfondissement de la réflexion gouvernementale, il n’y a aucun inconvénient à adopter ce soir l’amendement n° 28 rectifié, qui est celui qui va le plus loin en matière de garantie de représentation des territoires ruraux. Si son dispositif était appelé à subsister dans le texte qui sera finalement adopté par le Parlement, son éventuelle censure par le Conseil constitutionnel nous donnerait une raison supplémentaire de demander une révision profonde de ce mode de scrutin régional qui, je le répète, est très mauvais !
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Bas, je voudrais simplement rappeler d’où vient ce mode de scrutin.
M. Didier Guillaume. Oui ! Quand même !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En effet, il ne faudrait pas que l’on puisse croire que nous l’avons inventé à l’occasion de l’élaboration de ce projet de loi et qu’il est imputable à la seule majorité actuelle !
Ce mode de scrutin a été adopté en 2003 par le Sénat, sous une autre majorité et sur l’initiative d’un gouvernement aux orientations très éloignées des nôtres. Je n’ose imaginer ce qu’auraient été nos débats si nous avions proposé, outre une nouvelle carte régionale et une clarification de la répartition des compétences, une modification du mode de scrutin ! Aux grandes démonstrations quant à l’inopportunité du redécoupage des régions et de la nouvelle répartition des compétences se seraient ajoutées des accusations de « tripatouillage » électoral !
Notre intention est non pas de recourir à de mauvais procédés, mais de faire une bonne réforme. Monsieur Bas, si vous considérez que ce mode de scrutin n’est pas bon, ce que je peux tout à fait concevoir, je vous invite à faire passer ce message à votre éminent collègue Jean-Pierre Raffarin, qui était Premier ministre en 2003 ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Depuis le début de ce débat, on refait tout, on récrit tout, on réinvente tout, sur tous les sujets… Ce mode de scrutin est ce qu’il est. D’autres seraient sans doute meilleurs, mais c’est celui qui est en vigueur.
Je voudrais m’exprimer de nouveau sur la ruralité.
Monsieur le ministre, je soutiens le Gouvernement. J’approuve ce projet de loi, et je regrette que nous n’ayons pu adopter un texte sur la nouvelle carte régionale, pour des raisons tenant à l’approche des élections sénatoriales…
Mme Éliane Assassi. Il ne s’agit pas que de cela !
M. Didier Guillaume. Non, mais pour certains, c’est la principale motivation !
Je pense que le Sénat, la chambre des collectivités territoriales, se tire une balle dans le pied en se montrant incapable de dresser une carte des régions : franchement, ce n’est pas glorieux ! Mais l’Assemblée nationale va s’en charger, et nous verrons si le résultat nous convient ou non.
J’entends bien votre argumentation relative à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, monsieur le ministre. J’ai moi-même déposé, au nom du groupe socialiste, un amendement tendant à garantir au moins deux sièges au conseil régional par section départementale, pensant qu’une telle proposition pouvait être acceptée par le juge constitutionnel
Cela étant, au-delà de toutes considérations constitutionnelles, c’est un signal politique que nous voulons envoyer ce soir. C’est pourquoi, avec mes collègues Jean-Jacques Lozach, président du conseil général de la Creuse, et Michel Boutant, président du conseil général de la Charente, auxquels on pourrait associer, parmi beaucoup d’autres, Alain Bertrand, président du conseil général de la Lozère, je vais voter l’amendement de M. Mézard, tendant à fixer la représentation minimale des départements à cinq conseillers régionaux.
M. Jacques Mézard. Ah !
M. Didier Guillaume. Je le répète, les motivations de ce vote sont uniquement politiques. Notre message est le suivant : ne laissons pas des territoires à l’abandon ! Il existe, au-delà du périphérique, des territoires où l’on vit ! Comme vous l’avez dit il y a quelques instants, monsieur le ministre, depuis des années, la ruralité est bafouée, les services publics la désertent. La révision générale des politiques publiques lui a fait un mal terrible.
Mme Éliane Assassi. Cela n’a rien à voir avec les sénatoriales !
M. Didier Guillaume. Nous voulons lancer un appel fort, s’inscrivant dans une perspective purement politique. Je l’assume totalement ! On ne peut accepter qu’un département soit représenté par un seul conseiller régional !
J’ai longuement évoqué ces questions avec le président Bel, qui est un acteur de la ruralité. Il considère lui aussi que, au rythme où vont les choses, la France ne sera bientôt plus qu’urbaine et métropolitaine. Certains s’en réjouiront, mais la ruralité, c’est notre ADN, notre patrimoine, notre culture, notre histoire, qu’il faut défendre !
Aussi prenons-nous nos responsabilités. Je retire l’amendement n° 132, tendant à fixer à deux sièges la représentation minimale des départements au conseil régional. C’était pourtant sans doute la proposition la plus acceptable par le Conseil constitutionnel, mais qu’importe, au point où nous en sommes ! Nous débattons d’amendements se référant à une carte régionale qui n’existe plus, nous avons échoué à en établir une. Eh bien, continuons, faisons de la politique ! La ruralité existe. Nous verrons bien quel sera en définitive le seuil de représentation minimale des territoires ruraux !
Mme la présidente. L’amendement n° 132 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 169 n’a plus d’objet.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Guillaume, je vous l’avoue, je suis très préoccupé de la tournure que prend ce débat.
Mme Éliane Assassi. Il y a de quoi !
M. Didier Guillaume. Nous aussi !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je comprends que l’on veuille faire de la politique. Cet exercice n’a en soi rien de malsain et peut être inspiré par des préoccupations légitimes, mais on ne saurait, ce faisant, entrer en complète contradiction avec les principes du droit constitutionnel !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Cela peut se discuter !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je ne le crois pas, car en procédant ainsi, on ne fait pas de la politique : bien au contraire, on remet en cause ce que la politique peut avoir de meilleur lorsqu’elle est rigoureuse et réaliste.
Je le redis, je suis prêt à étudier, avec les sénateurs qui le souhaiteront, toutes les voies de droit afin d’élaborer le dispositif le plus recevable possible sur le plan constitutionnel en vue d’une amélioration de la représentation des territoires ruraux. Cette préoccupation est parfaitement légitime, mais le Gouvernement ne peut approuver une disposition dont toutes les analyses disponibles amènent à conclure qu’elle est anticonstitutionnelle. Ce ne serait ni responsable ni convenable de ma part !
M. Guillaume, en cette fin de soirée, propose de pousser l’absurdité à son paroxysme. J’estime quant à moi que nous ne devons pas nous engager sur cette pente. Continuons à travailler avec sérieux, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, et n’invitons pas le Sénat à adopter des amendements dont nous savons qu’ils sont anticonstitutionnels.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote sur l’amendement n° 28 rectifié.
M. René-Paul Savary. Monsieur le ministre, je suis surpris de vous entendre évoquer un climat d’absurdité. Si nous débattons depuis des heures pour tenter de faire avancer les choses, c’est parce que nous croyons à ce que nous faisons ! Nous ne sommes pas des empêcheurs de tourner en rond, nous ne sommes pas plus imbéciles que les autres !
Les élus locaux et leur action ne sont pas toujours pris en considération au travers de ce texte. Est-il absurde de nous préoccuper du destin de la France rurale et urbaine ? Si tel est le cas, je m’interroge sur l’intérêt de notre débat de ce soir, monsieur le ministre.
La discussion de cet amendement montre bien le degré d’impréparation du projet de loi que vous nous soumettez. Les conséquences de l’application du scrutin proportionnel régional au nouveau découpage n’ont pas été mesurées. On voit bien que plus les régions sont grandes, moins les territoires ruraux sont représentés.
Jusqu’à présent, le problème ne s’était pas posé, notamment parce que les conseils généraux assumaient les compétences de proximité. Vous proposez de confier aux régions la compétence pour la voirie et les collèges : demain, ce seront donc les conseillers régionaux qui iront siéger dans les conseils d’administration de ceux-ci. Dans les petits départements, ils seront deux ou trois pour une vingtaine de collèges, sept ou huit lycées et 2 000 à 4 000 kilomètres de routes départementales ! Comment feront-ils ?
Nous gagnerions tous à avoir des arguments supplémentaires pour expliquer cette réforme à nos concitoyens et les convaincre de son bien-fondé. Dès l’instant où les préoccupations des territoires ruraux seront mieux prises en compte, ce texte sera mieux compris.
Par ailleurs, monsieur Guillaume, ne reprochez pas aux autres d’être préoccupés par les prochaines élections sénatoriales : vos propos montrent de façon éloquente que vous l’êtes aussi. Cela est d’ailleurs tout à fait légitime. Nous pouvons tous reconnaître que ce projet de loi est présenté dans un contexte électoral particulier, comme l’avait souligné M. Gélard lors de la discussion générale. C’est la raison pour laquelle il convient d’être prudents.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Lozach. Je voudrais abonder dans le sens de Didier Guillaume.
J’entends bien les arguments relatifs à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, au respect du principe de l’égalité des citoyens devant le suffrage, etc., mais soyons concrets et pragmatiques.
Mettons-nous dans la peau d’un conseiller régional élu dans un département rural faiblement peuplé qui, demain, sera intégré dans une très grande région : comment va-t-il pouvoir accomplir son mandat ? À moins que l’on ne précise très clairement que, dans ces départements-là, le conseil régional ne sera plus représenté au sein des conseils d’administration des établissements scolaires…
Tout le monde est d’accord, me semble-t-il, pour reconnaître que, demain, la compétence prioritaire d’un conseil régional sera le développement économique et l’aménagement du territoire, en particulier l’aide aux entreprises. On me dira que, à l’ère du numérique, l’instruction des dossiers doit se faire en ligne, mais, dans les petits départements, le conseiller régional devra être, au quotidien, l’intermédiaire entre les entreprises de son territoire et le conseil régional. Sera-t-il en mesure de jouer efficacement ce rôle, s’il est seul ou presque pour représenter son département ? Dans les départements faiblement peuplés, le conseil régional sera-t-il encore perçu comme une collectivité territoriale ? Non seulement leurs représentants auront du mal à se faire entendre au sein des conseils régionaux, mais ils rencontreront au quotidien des difficultés considérables pour assumer leur mandat.
Il y a quelques décennies, nous sommes passés d’un établissement public administratif régional à une collectivité locale de plein exercice, ce qui représentait une avancée démocratique significative. Je crains que l’on n’assiste maintenant, notamment en raison de ces problèmes de représentation des départements ruraux, à une sorte de régression.
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Namy, pour explication de vote.
M. Christian Namy. Je voudrais simplement dire combien j’ai apprécié les propos de Didier Guillaume sur les départements ruraux. Étant moi-même président du conseil général d’un département rural, la Meuse, on comprendra que je sois sensible à cette défense de la ruralité.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Monsieur le ministre, je comprends votre position. Nous essayons de respecter le carcan de la Constitution et, pour chaque type d’élection, le même problème se pose : le principe de l’égalité des citoyens devant le suffrage prévaut.
Or le tableau figurant à l’article 6 du projet de loi nous apprend que le conseil régional de La Réunion comptera quarante-cinq membres, pour vingt-quatre communes et 800 000 habitants, ce qui représente la population d’un département moyen. De même, la Guadeloupe, qui compte 400 000 habitants, aura quarante et un conseillers régionaux. On m’opposera qu’il s’agit de territoires spécifiques, mais cette situation n’est pas tout à fait normale. Si La Réunion ne désignait que cinq conseillers régionaux, ceux-ci seraient-ils en mesure d’exercer l’ensemble de leurs compétences ? Dans nos départements, cela ne sera pas possible.
Monsieur le ministre, puisque le Conseil constitutionnel a été capable de rendre en vingt-quatre heures sa décision sur l’étude d’impact du projet de loi, peut-être pourrait-il nous indiquer d’ici à demain s’il est constitutionnellement acceptable de fixer à cinq le nombre minimal de représentants d’une section départementale au conseil régional ? Sinon, nous pourrions peut-être déposer une question prioritaire de constitutionnalité. Nous sommes tout prêts à vous aider, monsieur le ministre, en recourant à certaines tactiques parlementaires…
Enfin, je félicite notre collègue Didier Guillaume, qui a entrepris sous nos yeux une campagne assez exceptionnelle en vue des élections sénatoriales. Il nous a expliqué qu’il valait mieux, politiquement, fixer un minimum de cinq représentants par section départementale pour les territoires ruraux, afin de montrer à ceux-ci que la gauche s’intéresse à eux ! Remonter le seuil permettra de mieux vendre la réforme sur le terrain… Il s’agit bien, comme l’a dit lui-même M. Guillaume, d’une démarche purement politique !
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Boutant, pour explication de vote.
M. Michel Boutant. Un élu territorial est, d’une certaine manière, l’incarnation d’un territoire ; je le dis avec toute la modestie possible. Si, demain, les grandes régions se dotent de compétences nouvelles, au détriment par exemple des départements, comment un nombre restreint de conseillers régionaux représentant une section départementale feront-ils face à ce surcroît de compétences ? Au-delà de l’aspect politique se pose, selon moi, un problème humain : comment faire face à un alourdissement de la charge de travail en étant moins nombreux ?
Vous ne nous avez rien dit de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités, messieurs les ministres, parce qu’elle fera l’objet d’un autre projet de loi, mais il faudra bien admettre, le moment venu, qu’elle doit obligatoirement s’opérer en fonction de l’effectif des élus qui seront appelés à exercer ces compétences.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. M. le ministre nous a expliqué que nous étions à la lisière de l’inconstitutionnalité, et même de l’absurde. Je ne crois pas que ce soit le cas. Article après article, nous prenons la mesure des difficultés que soulèvent ce projet de loi et celui, relatif à la répartition des compétences, qui l’accompagnera. En effet, ces textes vont provoquer une révolution dans la gestion des collectivités territoriales.
Je suis convaincu que nous allons devoir faire preuve d’imagination et laisser beaucoup de place à l’expérimentation pour trouver des réponses à toutes ces difficultés. Il est évident que si les compétences des régions sont étendues et si certaines sections départementales ne disposent plus que de deux, trois, quatre ou cinq représentants au conseil régional, la présence sur les territoires sera difficile à assurer. Il est tout aussi évident que l’on ne va pas établir une représentation proportionnelle en fonction du plus petit des départements, sauf à tomber dans une autre impossibilité.
Le groupe écologiste, après avoir mené une réflexion en profondeur, a avancé l’idée d’une forme de bicamérisme régional. La commission spéciale a écarté rapidement notre proposition, estimant qu’elle n’avait pas grand sens et que nous étions par trop en avance sur notre temps. Cependant, dès lors que les régions seront de plus en plus puissantes et dotées de schémas prescriptifs – les écologistes soutiennent cette évolution –, il faudra organiser, d’une part, l’expression des territoires, et, d’autre part, celle des élus au suffrage universel direct.
Proposer que l’on approfondisse la réflexion sur le bicamérisme, y compris pour répondre à la question de la représentation des territoires, ne me semble pas hors sujet. Cela n’empêche pas de considérer qu’il serait bon d’augmenter le nombre minimal d’élus au conseil régional par section départementale. En tout état de cause, eu égard au bouleversement que vont engendrer les deux textes précités, il va vraiment falloir faire preuve d’imagination et savoir innover, en recourant à l’expérimentation. La proportionnelle ne suffira pas à régler les problèmes.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Je rappelle que la commission spéciale a émis un avis favorable sur l’amendement n° 28 rectifié. Heureusement que la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne s’applique pas au traité de Lisbonne ! Sinon, comment Chypre ou le Luxembourg pourraient-ils disposer chacun de six sièges au Parlement européen, quand la France en compte soixante-quatorze pour plus de 60 millions d’habitants ? Si l’on raisonne ainsi, on finit par tomber dans l’absurde !
Nous le savons, il faut une représentation minimale des territoires. Mes chers collègues, oserais-je vous rappeler que nous avons vécu, à cet égard, une expérience intéressante avec la création du conseiller territorial ? Aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, chaque département devait compter au moins quinze conseillers territoriaux. Et certains trouvaient que ce n’était pas assez !
Si l’on supprime les départements, la situation en matière de représentation des territoires ruraux sera dramatique ! Déjà, dans les grands départements comprenant des territoires ruraux, aucun conseiller régional n’est issu de ceux-ci : tous les conseillers régionaux viennent des métropoles, des villes, des villes nouvelles. (Mme Cécile Cukierman le conteste.) En Seine-et-Marne, ma chère collègue, c’est comme cela ! Chez vous, il n’y a que des territoires urbains, ce n’est pas pareil.