M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. La position de M. le rapporteur général et de M. le secrétaire d’État me semble être la bonne. C’est pourquoi je voudrais remettre un peu de cohérence dans le débat. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Francis Delattre. C’est une plaisanterie ?
Mme Nicole Bricq. Je parle de cohérence de part et d’autre de l’hémicycle.
M. Francis Delattre. Vous sortez à peine du Gouvernement et vous venez donner des leçons de cohérence ? La soupe n’était pas bonne là-bas ?
Mme Nicole Bricq. Je sais que, depuis le début de l’examen du projet de loi de finances rectificative, on assiste à des combinazione assez curieuses, mais je voudrais que chacun sache raison garder.
Je rappelle que le budget de la formation professionnelle s’élève à 32 milliards d’euros. Ce seul chiffre prouve bien que le problème ne tient pas seulement aux aides fiscales, mais qu’il est aussi culturel. Il est sans doute compliqué pour des entreprises, notamment les plus petites, de prendre des apprentis, car cela suppose d’organiser un tutorat. C’est l’esprit du contrat de génération, mais il n’est pas évident de dégager du temps pour prendre des jeunes sous son aile. Nous avons pourtant tous vécu le moment terrible du mois de septembre où nous voyons arriver dans nos permanences, accompagnés de leurs parents, des jeunes qui n’ont pas trouvé de contrats en alternance, alors que 800 000 emplois ne sont pas pourvus à l’heure actuelle.
M. Charles Revet. Simplifions les procédures !
Mme Nicole Bricq. En tout état de cause, il est quand même curieux de soutenir un amendement qui tend à créer une nouvelle niche fiscale en faveur des entreprises, après nous avoir expliqué, il y a quelques minutes, la nécessité de contraindre les entreprises qui bénéficiaient de 41 milliards d’euros de soutien de l’État, consentis par l’ensemble de la nation.
M. André Gattolin. Nous n’y adhérons pas, parce que ce n’est pas ciblé !
Mme Nicole Bricq. Je n’arrive pas à comprendre cette contradiction.
Monsieur Gattolin, vous voulez reprendre la main sur le CICE, que vous n’admettez pas fondamentalement ; vous refusez donc que nous donnions cet oxygène aux entreprises et, là, vous dépensez les milliards sans compter.
M. André Gattolin. Nous sommes pour l’offre différenciée !
Mme Nicole Bricq. Nous avons essayé, avec le Gouvernement, de défendre une équation qui consiste à donner un peu d’oxygène aux entreprises, tout en les mettant devant leurs responsabilités. Dans notre esprit, on ne peut pas accepter de tels gestes de l’État sans s’engager sur des résultats. Tel est le sens du pacte de responsabilité.
M. Francis Delattre. Oh !
Mme Nicole Bricq. Si vous n’y croyez pas,…
M. Francis Delattre. On n’y croit pas du tout !
Mme Nicole Bricq. … vous ne croyez pas en l’action politique, ce qui est dommage, car les parlementaires doivent être des acteurs politiques. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce n’est pas possible d’entendre cela !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Essayons de retrouver de la cohérence.
M. Francis Delattre. Ah oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il s’agit de la politique d’emploi des jeunes. Interrogeons-nous sur les voies les plus efficaces pour accompagner ceux-ci vers l’emploi. N’est-il pas vrai que l’apprentissage et l’alternance ont de meilleures chances, statistiquement, de déboucher sur l’emploi que la plupart des contrats aidés ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. C’est évident !
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Notre raisonnement consiste à regarder, de manière équitable, équilibrée, les mérites des différents dispositifs. À cet égard, il est bon de rappeler, mes chers collègues, que la loi de finances pour 2014 a diminué de moitié les incitations financières à l’apprentissage et à l’alternance, alors que nous savons qu’il est particulièrement difficile de trouver des emplois pour les alternants. Nous en faisons tous l’expérience lorsque nous recevons du public, puisque c’est l’une des demandes les plus fréquentes qui nous est faite.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Or il est bien clair que, dans la conjoncture actuelle, les entreprises auraient eu besoin d’être aidées, comme elles l’ont été dans le passé. Pourtant, je le répète, la majorité a divisé par deux l’aide qui leur était apportée,…
M. Charles Revet. Et voilà !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … alors qu’une entreprise a besoin de dégager du temps pour accompagner un alternant ou un apprenti, un temps qui est sans doute un peu moins productif que celui qui est habituellement consommé par les salariés de l’entreprise.
J’ai entendu tout à l’heure une appréciation positive sur l’action de l’ancienne majorité en la matière. Je trouve vraiment très dommage que, pour des raisons ne relevant pas de l’intérêt général, l’actuelle majorité ait ainsi démantelé, ou en tout cas affaibli, un régime efficace. Pour le remplacer par quoi ? Par différentes catégories de contrats aidés, dont on a majoré l’enveloppe de 300 millions d’euros par rapport à 2013. J’entends dire qu’il est peut-être question d’accroître encore cet effort…
Bien entendu, lorsque l’on est maire et que l’on reçoit des gens qui cherchent un emploi et une chance d’être réinsérés par le travail, il va de soi – si l’on en a la possibilité – qu’on facilite leur accès à telle ou telle catégorie d’emploi aidé. Il n’en reste pas moins que, si l’on s'interroge sur l’efficacité de la réinsertion sociale par l'entreprise, c'est quand même bien l’alternance et l'apprentissage qu’il faudrait davantage favoriser. Et cette seule considération me conduira, une fois n’est pas coutume, à voter un amendement de notre collègue Marie-Noëlle Lienemann ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Le parcours vers l’emploi comprend un volet « insertion sociale », aujourd'hui dévolu au département, et un volet « insertion professionnelle et formation », confié, lui, aux régions. Je suis tout à fait d’accord avec M. le président de la commission des finances pour dire que l’alternance et l’apprentissage sont de meilleures voies d’entrée dans l’emploi que l’insertion professionnelle ou les contrats aidés, lesquels coûtent particulièrement cher. C’est pourquoi il serait bon que, dans le cadre de la réforme territoriale, on bouge le curseur, en replaçant véritablement le parcours vers l’emploi au cœur du dispositif.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez remis l’apprentissage dans le domaine de compétence des régions. Par ailleurs, on sait que les régions ont fait du bon travail en matière de formation : elles ont montré leur savoir-faire et leur expertise. Demain, il faudra aller encore plus loin ! C’est la raison pour laquelle j’aimerais savoir ce que feront les conseils régionaux à partir du 1er janvier 2015…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Rien ne presse ! (Sourires.)
M. René-Paul Savary. … ou plutôt, en effet, à partir du 1er janvier 2016. Se pencheront-ils sur la politique de l’apprentissage ou réfléchiront-ils à la façon dont ils pourront s'organiser dans le cadre des fusions de régions ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faudra qu’ils choisissent un chef-lieu et un hôtel de région…
M. René-Paul Savary. Il y aura deux types de régions : celles qui ne fusionneront pas – les grandes régions que sont le Nord-Pas-de-Calais ou l’Île-de-France, par exemple – et celles qui fusionneront. Les premières continueront à exercer leur savoir-faire et auront donc de l’avance sur les autres. De plus, si des compétences telles que les routes et les collèges sont confiées aux nouvelles régions, celles-ci seront obligées de gérer le personnel transféré, soit 10 000 à 20 000 agents selon les cas.
M. Bruno Sido. Cela n’arrivera jamais !
M. René-Paul Savary. Pendant ce temps-là, elles ne seront pas entièrement disponibles pour conduire les politiques en matière d’apprentissage, d’emploi ou de formation. Pourtant, si l’on veut développer l’attractivité du fait régional, il faudra bien leur confier plus de responsabilités, particulièrement dans le domaine de l’emploi, qui est complémentaire de la formation et de l’apprentissage. On voit bien les difficultés qui vont surgir de la réorganisation territoriale par rapport à la formation de nos jeunes.
Voilà pourquoi je considère que cet amendement, qui donne un signal fort en faveur de l'apprentissage, est important pour nos entreprises et pour nos jeunes. Je tiens à le soutenir afin de promouvoir ce principe de la primauté de la formation, qui est largement reconnu par tous.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. À ce stade du débat, tout a été dit. Je serai donc brève.
La Normandie, demain réunifiée – cette fusion ne pose pas tant de difficultés chez nous –, est déjà fortement impliquée dans la formation.
C’est vrai que les entreprises ont du mal à prendre un apprenti en ce moment. C’est pour elles une responsabilité et il faut lui consacrer du temps, comme l’a dit Philippe Marini.
Cela étant, nous soutiendrons cet amendement, qui est un placement pour l’avenir des jeunes, ce qui est toujours bon.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Une fois n’est pas coutume, je suis conjoncturellement et ponctuellement d’accord avec notre collègue Marini (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.),…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On peut faire un bout de chemin ensemble… (Sourires.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … mais pas sur l’ensemble de son raisonnement.
Je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle l’alternance est une meilleure voie vers l’emploi que les autres.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est l’une des voies !
M. Bruno Sido. Toutes sont bonnes à prendre !
M. Charles Revet. Elle est en tout cas très efficace !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans bien des cas, l’alternance est opérationnelle, mais, dans d’autres cas, pour les jeunes qui connaissent des difficultés extrêmes, les emplois aidés sont bien plus efficaces. En effet, vous le savez bien, ces jeunes ne sont pas toujours prêts à entrer en apprentissage. Par ailleurs, il existe une voie qu’il faut continuer à soutenir, c'est celle de l’enseignement professionnel, qui, comme l'apprentissage, connaît, lui aussi, une chute massive.
M. René-Paul Savary. Absolument !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Or si nous voulons réussir la réindustrialisation de la France et doper notre capacité productive, nous avons besoin de l’ensemble de ces formations professionnelles.
Dans cette perspective, les engagements de François Hollande me paraissaient parfaits : les contrats d’avenir, les contrats de génération – difficiles à réussir mais représentant un défi tout de même important puisque se profile une perte massive d’actifs liée au départ à la retraite des générations du baby-boom – et, par ailleurs, 500 000 contrats d’apprentissage. Or nous n’y sommes pas !
Il ne s'agit pas de prendre à l’un pour donner à l’autre, il faut relever tous ces défis, parce que ce sont nos priorités. J’entends bien, monsieur le secrétaire d’État, que notre mesure coûte cher. Avec mes collègues à l’Assemblée nationale et au Sénat, nous sommes prêts à considérer que l’ensemble de nos propositions sur les contrats aidés et sur l'apprentissage correspondent au plus à une dépense de 2 milliards d’euros. Or, vous le savez, plusieurs d'entre nous ont fait des contre-propositions au Gouvernement : nous avons ainsi chiffré le gain pour l’État s'il conditionnait la baisse de l'impôt sur les sociétés au réinvestissement de plus de 90 % des bénéfices.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Là, je suis un peu moins d’accord !
Mme Nicole Bricq. Vous auriez dû le voter cet amendement, monsieur Marini !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je n’ai parlé que d’un bout de chemin…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les aides aux entreprises ne sont utiles que si elles débouchent sur de l’emploi, de la formation ou de l’investissement. Nous avons toujours dit que ces aides étaient valables si elles étaient conditionnées et ciblées.
Madame Bricq, proposer d’économiser sur les baisses de l'impôt sur les sociétés qui ne vont pas à la formation, à l’investissement ou à l’emploi et d’injecter de l’argent pour permettre aux entreprises d’accueillir des apprentis, ce qui correspond à l’un des éléments du dispositif pour l’emploi des jeunes, c’est cohérent !
Par ailleurs, on nous explique que les régions peuvent payer. Il se trouve que j’ai été vice-présidente de la région Nord-Pas-de-Calais, chargée de la formation professionnelle, et que je travaillais en lien étroit avec ma collègue chargée de l'apprentissage. Quel était l’obstacle majeur au recrutement d’apprentis ? Ce n’était pas de trouver des jeunes ou même des places en centre de formation des apprentis ou en lycée professionnel – je vous rappelle que l'éducation nationale fait de l’alternance et de l’apprentissage –, c'était de trouver des entreprises !
M. Éric Doligé. Bien sûr !
M. Charles Revet. Le système est trop complexe !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les entreprises nous expliquaient que l’activité du tuteur représentait une véritable charge de travail et qu’elle prenait du temps.
M. Jackie Pierre. Exact !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il faut donc trouver des aides pour compenser cette charge.
M. Jean-Pierre Caffet. Il faut des aides pour tout !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Écoutez, 20 milliards d’euros pour le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ce sont bien des aides !
M. Jean-Pierre Caffet. Justement, ça suffit !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Or là, vous n'avez pas d’états d’âme sur les contreparties !
Nous, nous proposons que, sur les 41 milliards d’euros, on puisse dégager 1 milliard à 2 milliards d’euros en faveur de l’apprentissage plutôt que de distribuer de l’argent sans condition.
Les régions n’ayant pas la compétence fiscale, elles ne peuvent pas baisser les impôts. C’est du ressort de l’État, de la loi. Elles ne peuvent pas non plus verser directement des aides aux entreprises, sinon elles contreviendraient au droit européen. Les marges de manœuvre des régions pour permettre aux entreprises d’accueillir plus d’apprentis ne sont donc techniquement pas grandes. On a essayé dans la région Nord-Pas-de-Calais, mais on a rencontré des difficultés.
La mesure que nous proposons, nous y avons réfléchi depuis longtemps. Elle n’est pas révolutionnaire, elle est simplement cohérente avec l’idée que les aides publiques massives versées aux entreprises méritent une contrepartie : recruter un grand nombre d’apprentis. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour explication de vote.
M. Jean-Vincent Placé. Je ne vais pas cacher que l’intervention de Mme Bricq m’a singulièrement agacé. Ce n'est déjà pas facile de soutenir ce gouvernement (Exclamations amusées sur plusieurs travées de l'UMP.),…
M. Roger Karoutchi. Ah ça…
M. Jean-Vincent Placé. … mais si, en plus, les anciens ministres nous donnent des leçons de cohérence, d’efficacité et de vista politique et économique une fois revenus sur ces travées, cela devient intenable.
Marie-Noëlle Lienemann et André Gattolin l’ont dit très clairement : nous n’avons pas de leçons à recevoir ! Heureusement que le soutien que l’on apporte ou non au pacte de compétitivité ou au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi n’est pas le marqueur de l’appartenance à la majorité, sinon il n’y aurait plus grand monde…
Cela fait deux ans que nous déplorons que ces 20 milliards d’euros aient été décidés sans mise en perspective politique, sans hiérarchisation des priorités économiques. Les effets d’aubaine sont parfois tels qu’ils font sourire celles et ceux qui reçoivent les chèques. On a même vu un restaurateur comparer sa situation à celle de Mme Bettencourt, en référence aux dispositions fiscales dont elle avait bénéficié lors du précédent quinquennat.
M. Henri de Raincourt. Cette fiscalité, c'est de la cuisine, en effet !
M. Jean-Vincent Placé. Tout ce que nous disons relève du bon sens. Par exemple, le crédit d’impôt recherche, qui existe toujours, pourrait être affiné, voire plafonné pour les grandes entreprises. Il faut avoir une vision en matière d’innovation et de recherche.
C’est la même chose en matière d’exportations. Il faut essayer de cibler, de prioriser, de thématiser. Avec la Banque publique d’investissement, privilégions les entreprises dans des secteurs porteurs. Pour notre part, nous sommes particulièrement attachés à la transition énergétique, mais il existe bien d’autres secteurs : le numérique, la santé, l’agroalimentaire, etc. Ce n’est pas très compliqué de prendre les six ou sept postes qui développent le commerce extérieur de notre pays et de les aider plutôt que de soutenir la grande distribution ou même La Poste, qui n’avait rien demandé.
Au sein de la Haute Assemblée, tout le monde est à peu près d’accord pour dire que l'apprentissage et la formation professionnelle sont des sujets éminemment importants. Alors, on s'interroge : pourquoi le Gouvernement n’écoute-t-il pas ? Pourquoi a-t-on l’impression que la discussion devient interne à la majorité, avec des élus frondeurs ou écologistes, contre la majorité socialiste ? Cela n’a pas de sens ! À quoi sert le Parlement ? À quoi sert le bicamérisme ? À quoi sert-il que nous fassions des propositions qui nous tiennent particulièrement à cœur ?
Pour atteindre l’objectif de 500 000 apprentis, qui est une priorité, il faut améliorer l’environnement des entreprises. La fiscalité et la réglementation doivent donc être stabilisées pendant trois, quatre ou cinq ans et une perspective quinquennale doit être donnée à l'apprentissage, à la formation, aux chercheurs et aux universitaires. Voilà ce qu’on attend de la Haute Assemblée !
Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous aimerions pouvoir soutenir l'amendement de notre collègue Marie-Noëlle Lienemann sans, de grâce, recevoir de leçons ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Le conseil régional de Bourgogne, le 30 juin dernier, a voté, sur ses ressources propres, 4 millions d’euros de rallonge pour soutenir l'apprentissage.
M. Francis Delattre. C’est bien !
M. François Patriat. Pour ce faire, il a réduit un certain nombre de crédits sur d’autres secteurs pouvant apparaître comme prioritaires.
J’entends bien le discours de toutes les pleureuses autour de l’apprentissage. Certains se font plaisir un peu par démagogie, d’autres pensent que la solution passe par l’octroi d’une aide supplémentaire de 500 euros…
La disparité des aides qu’accordent les régions avec des crédits de l’État est très importante : certaines donnent 1 800 euros aux employeurs d’apprentis dans les secteurs prioritaires, d’autres 1 400 ou 1 000. Or, sur les trois dernières années, quel que soit le montant de ces aides, la baisse du nombre d’apprentis dans toutes ces régions a été uniforme, oscillant entre 2 % et 7 %. Voilà la vérité !
M. Jacques Chiron. Absolument !
M. François Patriat. L’année dernière, je me suis opposé à la mesure du Gouvernement qui visait à économiser 500 millions d’euros par la suppression de l’indemnité compensatrice de formation, au prétexte qu’un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances soulignait qu’elle ne procurait aucun effet levier.
Je ne suis pas sûr que cette indemnité induise un effet levier, mais les difficultés de l’apprentissage tiennent à un certain nombre de raisons sans lien avec l’existence d’une niche fiscale ou d’une aide ponctuelle : il s’agit d’abord du bac professionnel en trois ans, qui dissuade beaucoup d’artisans de prendre des apprentis ; il s’agit ensuite de la faiblesse structurelle, redondante, des centres de formation d’apprentis, dont beaucoup sont en difficulté et que les régions soutiennent du mieux possible ; il s’agit encore, bien entendu, de la conjoncture économique, mais aussi de l’orientation. S’agissant de cette dernière difficulté, il faut arrêter de présenter l’apprentissage, non pas comme la voie de l’échec, mais comme une voie secondaire qui ne permet pas de réussir tous les jours.
La réussite de l’apprentissage ne tient donc pas à 300 ou 500 euros supplémentaires. Je le dis à ma collègue : ce n’est pas en créant une nouvelle niche fiscale que l’on sauvera l’apprentissage. Beaucoup d’entreprises ne sont pas aujourd’hui en mesure de prendre des apprentis, faute de moyens, faute de temps et faute de marché.
M. Charles Revet. Et parce que les procédures sont trop complexes !
M. François Patriat. Il faut se pencher sur l’ensemble des facteurs qui nuisent au développement de l’apprentissage.
Nous sommes tous d’accord – le précédent gouvernement l’était également – pour augmenter le nombre de contrats d’apprentissage. En région Bourgogne, nous avions passé des contrats d’objectifs et de moyens avec Mme Morano, qui voulait que l’on porte le nombre d’apprentis à 15 000. À l’époque, je lui ai répondu qu’arriver à 12 000 serait déjà bien ; nous sommes restés à 10 000, alors que nous étions montés jusqu’à 12 500 les années précédentes !
L’adoption de cet amendement, qui laisse croire qu’en faisant cet effort supplémentaire on changerait la donne, enverrait peut-être un signal… Toutefois, madame Lienemann, le signal à envoyer doit être beaucoup plus large et englober l’orientation, l’accompagnement, les CFA et le soutien aux collectivités.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est un premier pas !
M. François Patriat. Je ne pense pas que cet amendement puisse résoudre le problème de l’apprentissage à lui tout seul.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Cet amendement, qui part d’une louable intention, pose une véritable question. Pour notre part, nous avons quelques réserves.
Je ne pense pas qu’il soit possible ni souhaitable d’évacuer le sujet de la formation initiale, dont on connaît les difficultés aujourd’hui. De nombreux lycées professionnels souffrent, il convient de les soutenir ardemment et avec vigueur. Les crédits qui nous sont présentés aujourd’hui prévoient, par exemple, une diminution de 3 millions d’euros pour l’enseignement technique agricole. Cela participe en partie de notre questionnement sur la formation initiale, qui doit rester le socle de la formation. En effet, nous le savons tous, les apprentis sont parfois des élèves, des étudiants qui ont connu l’échec scolaire en amont et qui, in fine, en viennent à choisir cette voie, laquelle peut bien évidemment s’avérer positive.
Dans nos collectivités, nous sommes régulièrement sollicités pour accueillir des jeunes. Or nous ne disposons pas forcément des capacités pour le faire. Je rejoins en cela notre collègue François Patriat, qui a souligné la nécessité de mobiliser des encadrants qualifiés, motivés, disponibles pour assurer un accompagnement véritable et permettre l’acquisition d’un savoir-faire, d’un métier au cours du processus.
Pour ces raisons, nous nous abstiendrons sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je me réjouis de ce débat. Je voudrais simplement rectifier un certain nombre de points, madame la sénatrice de Paris. Quand vous siégiez au conseil général du Nord…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Au conseil régional ! Même vous, vous les confondez ! (Sourires.)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous avez fait allusion à un certain nombre d’expériences menées lorsque vous étiez au conseil régional du Nord. Le sénateur François Patriat, quant à lui, vient de faire état d’autres expériences et a mis en évidence des causes probablement différentes.
Ce que j’ai envie de vous dire, avec beaucoup d’humilité, c’est que vous avez adopté, cette nuit, un amendement dont le coût est de 1,7 milliard d’euros. En cet instant, nous discutons d’un amendement dont le coût est probablement supérieur à 1 milliard d’euros, vous l’avez vous-même admis, et je passe sur le coût de 40 millions d’euros du timbre fiscal du passeport qui semble assez marginal en regard des montants dont nous discutons…
Notre responsabilité collective est d’avoir une vision d’ensemble, de savoir comment financer ces mesures. C’est bien de dire qu’il faut réduire les charges – j’entendais tout à l'heure que l’on prévoyait de réduire l’impôt sur les sociétés de quelques milliards d’euros –, mais quelles sont les propositions de financement ? Certains de ceux qui soutiennent cet amendement veulent moins de contrats aidés au motif que l’apprentissage serait plus efficace.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faut gager !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne suis pas sûr, madame Lienemann, pour avoir participé à l’intégralité des débats à l’Assemblée nationale et pour avoir examiné les amendements dont l’objet était proche du vôtre, que leurs auteurs réclamaient plus de contrats aidés. D’ailleurs, M. Marini en veut moins.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous avons tous nos différences !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. D’autres proposent, pour financer ce type de mesures, de diminuer les aides aux entreprises. Parmi ceux-là, certains visent la C3S, d’autres préfèrent diminuer le CICE… En tout cas, les mêmes qui défendent des dépenses supplémentaires pour l’apprentissage veulent des dépenses supplémentaires pour les contrats aidés ou des réductions d’impôt pour les entreprises.
La position du Gouvernement n’est pas sérieuse, monsieur Karoutchi ? Je crois pourtant que vous avez fait partie d’un gouvernement qui a doublé la dette ! (Protestations sur les travées de l'UMP.) C’est une réalité !
M. Francis Delattre. Vous oubliez qu’il y avait la crise !