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Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Madame la présidente, je désire vous faire part, au nom du groupe socialiste, de trois rectifications relatives au scrutin sur l’ensemble du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
MM. Roland Courteau, Marcel Rainaud et Jean-Noël Guérini ont été portés comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’ils souhaitaient voter contre.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.
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Réforme ferroviaire – Nomination des dirigeants de la SNCF
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
Mme la présidente. Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme ferroviaire et de la proposition de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la nomination des dirigeants de la SNCF.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Louis Nègre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, enfin ! Enfin, monsieur le secrétaire d’État, car le projet de loi que vous nous présentez est issu d’une lente, trop lente maturation. (Mmes Évelyne Didier et Mireille Schurch le contestent.) En vérité, nous savons tous, depuis de très nombreuses années, que le système ferroviaire fonctionne de moins en moins bien.
Mme Mireille Schurch. Et alors ?
M. Louis Nègre. Il était la fierté de la France,…
M. Roger Karoutchi. Quand ? Du temps de la Résistance !
M. Louis Nègre. … il devient l’un de ses soucis ! (Murmures sur les travées du groupe CRC.)
Le constat est inquiétant : par exemple, malgré les plans qui se sont succédé, l’activité du fret a notablement diminué en France, alors qu’elle progressait dans plusieurs autres pays européens.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme Isabelle Pasquet. À qui la faute ?
M. Louis Nègre. Autre alerte, dès 2005, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, le rapport Rivier, suivi en 2012 par le rapport Putallaz et la Cour des comptes, nous confirmaient que le réseau classique était en voie d’effondrement.
Autre clignotant à l’orange qui vire au rouge, le matériel des trains d’équilibre du territoire est obsolète et fatigué, vous l’avez souligné tout à l'heure. Il ne correspond plus au service qu’il doit à sa clientèle. Il est donc urgent que les nouvelles rames arrivent sur le terrain, monsieur le secrétaire d’État.
M. Roger Karoutchi. Qui les paient ?
M. Louis Nègre. Il n’est pas jusqu’au TGV qui commence à son tour à avoir des problèmes d’équilibre financier, sans oublier l’accident dramatique de Brétigny-sur-Orge.
Dans ce paysage qui s’assombrit d’année en année, seule l’action déterminée des régions et leurs investissements massifs ont apporté une bouffée d’oxygène au ferroviaire, avec à la clé une très forte augmentation du nombre de passagers. Le rail continue en effet à être un moyen de déplacement des plus moderne et efficace.
Dans cette morosité ambiante, ce dernier exemple montre bien le rôle irremplaçable du ferroviaire pour les transports du quotidien,…
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Louis Nègre. … la transition énergétique et l’aménagement du territoire.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Louis Nègre. C’est ce constat aigre-doux, cette dégradation lente qui m’avait amené, dès octobre 2010, à réclamer à mon gouvernement, du haut de cette tribune, un « Grenelle du ferroviaire ». Il m’a fallu plus d’un an…
M. Roger Karoutchi. Et de la persévérance !
M. Louis Nègre. … pour l’obtenir à travers les Assises du ferroviaire.
Aujourd’hui, après des années de tergiversations, vous nous présentez l’aboutissement de ces discussions et réflexions dans le cadre de ce projet de loi « portant réforme ferroviaire ».
Mon analyse de ce texte me conduit à un triple constat.
En premier lieu, je ne peux que me féliciter du fait que les fonctions de gestionnaire d’infrastructure du réseau ferré national, aujourd’hui réparties entre RFF, SNCF Infra et la DCF, soient unifiées. Cette mesure était attendue et a fait l’unanimité auprès de tous les acteurs. Elle permettra, sans aucun doute, un meilleur fonctionnement du système et une plus grande sécurité.
Vous redonnez à l’État, grâce à ce projet de loi, un rôle d’État stratège bienvenu pour fixer les priorités et la cohérence du système ferroviaire.
J’ai bien noté en ce sens que l’État assurerait également le pilotage de la filière industrielle ferroviaire, dont le plan de charge, vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, est en diminution dramatique à court terme. De même, à travers le schéma national des services de transport, les orientations de l’État pourront s’afficher clairement.
Cette démarche s’accompagne par ailleurs d’une mobilisation positive du Parlement, qui aura à connaître les dossiers les plus importants du système ferroviaire, mais a priori, à ma surprise, sans vote.
J’ai donc proposé en commission d’aller plus loin et de voter une grande loi de programmation ferroviaire. Je pense que le Parlement doit en débattre librement et s’engager par un vote. Ainsi, nous pourrons associer toute la nation à la définition des objectifs que doit atteindre le système ferroviaire.
De même, après un impair incompréhensible dans le texte initial, vous avez accepté l’avis conforme de l’ARAF et avez même augmenté fort justement – grâce à l’Assemblée nationale, d’ailleurs – ses possibilités d’intervention.
Dans le cadre que vous avez choisi d’une entreprise intégrée verticalement, un régulateur fort est absolument indispensable ; je suis d’accord, sur ce point, avec le rapporteur.
Enfin, je note avec satisfaction que ce texte devrait permettre de définir des objectifs de performance et de productivité tout en maîtrisant les dépenses à travers une règle d’or. Toutefois, j’ai également entendu le rapporteur pour avis de la commission des finances – qui parlait d’or, c’est le cas de le dire… – indiquer que, si tout va bien, nous n’atteindrons que 60 milliards d’euros de dette en 2025 ! C’est donc un vrai problème.
Ces éléments positifs étant actés, je fais un deuxième constat qui, lui, m’interpelle quant à la lisibilité du système. Sa complexité, telle qu’elle apparaît à travers ce projet de loi, me plonge dans un océan de perplexité. En effet, en dehors des spécialistes, la plupart des interlocuteurs que j’ai rencontrés ont eu des difficultés à comprendre qui faisait quoi.
Au départ, nous avons un EPIC mère avec deux EPIC fille dont l’un dispose d’une entité autonome « Gares & Connexions ». Mais ces établissements sont à leur tour accompagnés par une véritable nébuleuse à travers l’existence d’un conseil de surveillance, lui-même ayant un rôle différent du Haut Comité du système de transport ferroviaire qui ne recouvre pas les missions du comité des opérateurs du réseau…
M. Frédéric Cuvillier, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Heureusement !
M. Louis Nègre. … dont le rôle est bien sûr différent de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires qui ne doit pas se confondre avec l’Établissement public de sécurité ferroviaire,…
M. Louis Nègre. … sans compter, monsieur le secrétaire d’État, la commission des sanctions, la commission de déontologie et le Haut Comité de la qualité de service dans les transports, qui tous concourent, à des degrés divers, au fonctionnement du système ferroviaire français.
Dans le système précédent, après des années, on ne savait toujours pas à qui appartenaient les quais, d’une part, et les bordures de quais, d’autre part ! (M. Roger Karoutchi opine.) Le système actuel n’est malheureusement pas plus lisible.
M. Roger Karoutchi. Effectivement !
M. Louis Nègre. Cette organisation, qui ressemble fort à une usine à gaz, est difficilement compréhensible pour le commun des mortels.
Malheureusement, monsieur le secrétaire d’État, je fais un troisième constat qui, lui, est beaucoup plus grave. En effet, il y a toute une série de points sur lesquels je ne partage pas votre philosophie et votre vision de l’avenir. Je me situe même à l’opposé de votre démarche politique, et vous n’en serez pas étonné.
M. Louis Nègre. J’en veux pour preuve plusieurs éléments, avec deux séries de réactions de plus en plus négatives de ma part.
M. Vincent Capo-Canellas. Quelle déception !
M. Didier Guillaume. C’était pourtant bien parti !
M. Louis Nègre. Je suis un sénateur libre et honnête : je dis ce que je pense. Je souligne les points que je trouve positifs, tout comme ceux qui me paraissent négatifs !
M. Didier Guillaume. Parfait !
M. Louis Nègre. C’est l’honneur de la Haute Assemblée que de pouvoir s’y exprimer ainsi.
Une première série de désaccords porte notamment sur trois points. Le premier concerne le commissaire du Gouvernement auprès de l’ARAF, dont l’utilité m’échappe. En effet, le Gouvernement peut très bien transmettre ses analyses directement à l’ARAF, sans avoir besoin d’un commissaire, qui fait penser plutôt à un commissaire politique…
M. Roger Karoutchi. Allons bon !
M. Louis Nègre. Nous nous sentons d’autant plus en droit de faire cette remarque, monsieur le secrétaire d’État, que dans le cadre de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, en 2011, cette même manie gouvernementale avait été retoquée par la Commission européenne.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Louis Nègre. Le deuxième point a trait à la gestion des gares. Le rapport du 22 avril 2013 de Jacques Auxiette, bien connu sur les travées de gauche, avait préconisé de regrouper au sein de SNCF Réseau l’ensemble du patrimoine foncier ferroviaire. (M. Roger Karoutchi opine.) Cela paraissait on ne peut plus logique !
Dans le même sens, l’Autorité de la concurrence, dans son avis du 4 octobre 2013, juge elle aussi nécessaire que soit garantie « la neutralité concurrentielle des gares de voyageurs » pour ne pas entraver un développement effectif de la concurrence. Cet avis ne souffre pas d’interprétation. Il est très clair. Je ne peux donc, monsieur le secrétaire d’État, que regretter votre position.
Enfin, le troisième point est relatif aux matériels roulants régionaux. Là encore, monsieur le secrétaire d’État, je suis en totale opposition avec l’article 5 bis de votre projet de loi.
M. Roger Karoutchi. Évidemment !
M. Louis Nègre. En effet, il est incompréhensible pour tout être normalement constitué (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) que les régions, qui ont financé avec les deniers publics des contribuables locaux l’intégralité des rames, n’en soient pas propriétaires.
M. Roger Karoutchi. C’est incroyable !
M. Louis Nègre. Sur ce point, dans le cadre de la commission du développement durable, grâce à son président et à son rapporteur, nous cheminons vers une solution qui nous paraîtrait plus cohérente.
Je me demande donc pourquoi vous avez inscrit cette mesure aussi étrange qu’illogique, monsieur le secrétaire d’État.
Mais, s’il n’y avait que ces remarques : hélas, trois fois hélas, il y a encore plus grave ! Il s’agit, à mes yeux, de trois points fondamentaux qui ne sont pas traités, au mieux tout juste abordés.
Le premier point porte sur la dette. De l’avis général, la situation est gravissime. Aujourd’hui, elle explose à plus de 40 milliards d’euros ; elle entraîne une charge financière de près de 1,5 milliard d’euros par an. Ce problème essentiel dans le cadre d’une vraie réforme ferroviaire ne fait l’objet que d’approches qui ne sont pas à la hauteur du problème.
Il est significatif que le Gouvernement n’ait prévu qu’un simple rapport « sur les solutions qui pourraient – au conditionnel – être mises en œuvre », et ce dans deux ans !
Cette situation est ancienne et chaque année un peu plus alarmante. Votre proposition, à la différence des mesures drastiques et douloureuses qu’ont prises les Allemands en leur temps, consiste à repousser à plus tard l’assainissement des comptes.
C’est d’autant plus incompréhensible qu’Eurostat, l’INSEE et la Cour des comptes ont confirmé qu’il était dès aujourd’hui possible de transférer plus de 10 milliards d’euros à l’État, ce qui permettrait en deux ans de soulager le système ferroviaire de 1 milliard d’euros de charges de la dette. Alors qu’il y a le feu à la maison, on regarde ailleurs, et ce problème gravissime plombe l’ensemble du système ferroviaire !
M. Roger Karoutchi. Oh oui !
M. Louis Nègre. Et je ne reviendrai pas sur l’avis de la commission des finances…
La commission n° 3 des Assises, auxquelles je vous renvoie, a d’ailleurs confirmé cette analyse en son temps en précisant que la seule clé de désendettement du secteur était la résorption du déficit structurel.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Louis Nègre. Nous en sommes loin !
M. François Patriat, rapporteur pour avis de la commission des finances. Quelle solution proposez-vous ?
M. Louis Nègre. Ce qui nous amène à un deuxième point fondamental de votre réforme, à savoir l’absence – je dis bien : l’absence – d’ouverture à la concurrence.
En 2009, mes chers collègues, mon premier amendement déposé à la Haute Assemblée était consacré à une ouverture maîtrisée à la concurrence. Je crois profondément, quant à moi, que ce mécanisme s’avérerait extrêmement bénéfique pour la SNCF et pour les usagers.
Mais, au lieu d’aborder franchement cette question et de passer à l’offensive, nous reculons à nouveau. En effet, la commission n° 1 des Assises du ferroviaire, présidée par Gilles Savary, qui n’était pas encore rapporteur à l’Assemblée nationale, avait déclaré en 2011, il y a quatre ans déjà, que le principe d’une ouverture à la concurrence était acté pour les autorités organisatrices qui le souhaiteraient.
Malheureusement, en 2014, il n’en est toujours rien. Bien au contraire, le texte n’en parle même pas !
À l’image de l’urbain, la concurrence – instaurée, je vous le rappelle, par Michel Sapin en personne – permettrait pourtant de développer l’emploi au sein de la SNCF, d’augmenter l’offre pour les usagers, mais aussi de réaliser des économies substantielles, de l’ordre de 15 % à 20%, ce qui est considérable.
Les 870 millions d’euros par an ainsi économisés permettraient soit de procéder à des investissements supplémentaires, soit de diminuer la charge financière des collectivités et donc des contribuables.
C’est d’autant plus regrettable que la SNCF, libérée à l’international, est tout à fait capable de conquérir, vous l’avez dit, sans aucun dumping social, des parts de marché et de promouvoir avec une grande efficacité la marque « France ».
Enfin, le dernier point, qui s’inscrit dans la logique qui est la vôtre et que je récuse totalement, va entraîner le verrouillage complet du système ferroviaire national.
À travers le caractère indissociable et solidaire des trois entités, à travers la création d’un seul comité central du groupe public, à travers un délégué syndical central, à travers toutes ces dispositions de dernière minute qui fleurent bon le centralisme démocratique, nous en revenons à la SNCF de grand-papa !
C’est un retour en arrière complet. Si l’on ajoute l’intangibilité des statuts et leur inadaptation à un monde qui évolue, si l’on ajoute le décret-socle qui fera disparaître le peu de concurrence qui existait, on aboutit encore une fois au syndrome de la ligne Maginot.
Rester autant sur la défensive, s’enfermer sur les droits acquis, en bref, ne pas bouger, ne pas évoluer, entraînera malheureusement un affaiblissement du système ferroviaire susceptible à terme de mettre en cause son existence même. Votre « modèle », pour reprendre votre terme, monsieur le secrétaire d’État, n’est pas le nôtre.
Le cas dramatique de la SNCM devrait pourtant nous alerter sur la nécessité pour la France de développer des entreprises compétitives, aptes à gagner la bataille de l’emploi, plutôt que de se recroqueviller sur elle-même.
M. Louis Nègre. En définitive, monsieur le secrétaire d’État, votre projet de loi se limite à une réforme institutionnelle. Il ne touche pas les problèmes principaux – j’insiste sur ce qualificatif – qui grèvent l’avenir du rail et ne les traite donc pas au fond.
Comparaison n’est pas raison, mais après l’exemple allemand, je peux aussi citer l’Italie où le président du Conseil, Matteo Renzi, lance une réforme structurelle par mois ! C’est l’opposé de cette approche étriquée et de ce manque de vision.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Louis Nègre. Cette réforme n’engage pas les réformes de structures absolument indispensables. Elle n’est pas la loi « fondatrice » du ferroviaire attendue depuis 2011. C’est donc une mini-réforme, suivie à l’Assemblée nationale d’une contre-réforme, et cet ensemble conduit à un texte baroque qui n’est absolument pas à la hauteur des enjeux. En conséquence, le groupe UMP votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission du développement durable, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le système ferroviaire français est constitutif de notre identité.
Il fait, je ne parle pas au passé, la fierté de notre pays, malgré les difficultés. La fierté des cheminots, d’abord, fierté légitime, et celle de nos compatriotes. Nous aimons les chemins de fer. Pour autant, nous devons donner un nouveau départ au modèle ferroviaire français. Ce modèle ferroviaire, c’est une vision de la France, de la mobilité, des territoires. On sait combien cela compte, en particulier ici, au Sénat.
La SNCF, dans l’histoire, nous a montré combien elle savait être au rendez-vous. Nous devons, nous aussi, être au rendez-vous pour franchir une étape indispensable au renouveau du chemin de fer français.
Nous mesurons l’enjeu : permettre au système ferroviaire français d’assurer son avenir. L’enjeu, c’est à partir de cette histoire, de cette tradition française, avec les cheminots, de redonner au système ferroviaire français un cadre clair, qui lui permette de se développer.
Pour perpétuer cette tradition, pour la renouveler, il faut changer. Changer, car la situation actuelle ne peut durer. Changer, car les cheminots eux-mêmes appellent à plus d’efficacité. Il faut redonner au système ferroviaire français une ambition, non pas qu’il en manque aujourd’hui, mais la question posée est celle des moyens.
Je crois que le système ferroviaire français est à un tournant. Ce moment est sans doute un moment clé. Il faut changer, certes : changer pour « mieux » de ferroviaire.
Au départ, il y a plusieurs constats : la complexité du système actuel ; le besoin de modernisation du réseau ; l’impasse financière, qui malheureusement s’accroît. Une question aussi, celle de la hiérarchisation des priorités : quel réseau, comment l’entretenir ?
Face à ces constats, notre ambition est de renouveler le système ferroviaire français. Il est bon que l’État se dote enfin d’une stratégie en matière ferroviaire. Il est inutile de développer plus longuement les maux de notre système, car de nombreux orateurs, comme à l’instant Louis Nègre, les ont soulignés : la spirale de l’endettement ; un réseau vieillissant et dégradé dont de multiples rapports ont fait le constat – nous avons bien évidemment une pensée émue pour les victimes de l’accident de Brétigny-sur-Orge au moment où le rapport consacré à ce drame vient d’être publié – ; un système pas assez compétitif – c’est une réalité qu’il convient de voir en face –, avec un coût supérieur de 30 % à celui de nos voisins, et qui se trouve aujourd’hui concurrencé par d’autres modes de transport.
Le projet de loi élaboré par le Gouvernement, avec les acteurs du ferroviaire – je le dis dans cet ordre, sans malice, croyant ne pas me tromper –, ce projet de loi, gouvernemental, donc, s’inscrit dans le cadre de la réflexion lancée par le précédent gouvernement au travers des Assises du ferroviaire. Il y a une forme de continuité, au moins dans l’intention de départ.
L’équation de départ est simple, les intentions étaient claires : reconstituer un gestionnaire d’infrastructure unifié – ce point faisait et fait toujours consensus –, mais aussi adapter le système ferroviaire français aux exigences d’aujourd’hui, ce qui est plus douloureux. Ça l’a été au départ et ça le sera toujours ; les grèves récentes ont montré l’inquiétude des cheminots et la difficulté de la tâche.
Parmi les exigences d’aujourd’hui auxquelles il faut savoir s’adapter, je voudrais citer cinq axes de travail. Premièrement, la qualité de service aux voyageurs : nous la devons aux usagers, elle existe, elle doit s’améliorer pour plus de régularité. Deuxièmement, la sécurité : chacun conviendra de l’importance de cet enjeu, à quelques jours de l’anniversaire de la catastrophe de Brétigny-sur-Orge. Troisièmement, parce qu’il faut voir les problèmes en face, le coût du système aujourd’hui trop élevé est aussi une exigence qu’il faut relever. Quatrièmement, la nécessaire inclusion des chemins de fer dans une stratégie globale de mobilité, avec la concurrence et la complémentarité des autres modes de transport s’impose également à nous. Cinquièmement, enfin, la concurrence, mot tabou mais réalité de demain à laquelle nous devrons nous confronter pour en ressortir vainqueurs, doit être regardée en face. Nier la perspective n’est pas la solution.
Face à ces différents enjeux, le projet de loi soumis à la Haute Assemblée souffre, selon nous, de trois insuffisances.
En premier lieu, le système mis en place est complexe, avec trois EPIC imbriqués. L’eurocompatibilité que vous revendiquez restera à confirmer avec la nouvelle Commission et le nouveau Parlement européen. Attention à l’adoption du « quatrième paquet ». Quelques points majeurs restent à signaler. L’accès équitable au réseau, le rôle du régulateur, la place prépondérante de l’opérateur historique, l’endogamie du système, dans la version initiale du texte, restaient des questions assez mal traitées et demeurent encore à améliorer.
En deuxième lieu, votre réforme me paraît insuffisamment financée et ne traite pas assez de la dette ferroviaire, qui atteint 44 milliards d’euros et progresse de 1,5 milliard d’euros par an. Elle devrait atteindre 60 milliards d’euros dans quelques années et 70 milliards d’euros en 2025. Une réforme sans la dette est-ce une réforme ?
Enfin, en troisième lieu, le projet de loi se concentrant essentiellement sur les questions de gouvernance, il contourne la question principale de la modernisation du système ferroviaire, de l’amélioration de la qualité de service, de la productivité et de l’adaptation à la concurrence. Cette réalité est pourtant devant nous.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Vincent Capo-Canellas. Cela étant dit, le travail de l’Assemblée nationale a permis des avancées.
Un premier pas, trop timide, a été fait en direction des régions, avec plus de transparence des comptes, une liberté tarifaire à peine esquissée, la question du matériel roulant abordée imparfaitement, mais abordée, le chef de filât pour les gares d’intérêt régional. Je crois que les régions seront les moteurs de la rénovation du système. Elles n’en ont pas encore les moyens. Un premier pas a été fait en leur direction. Ce pas est, selon nous, beaucoup trop timoré. La seule avancée notable concerne la transparence des comptes des lignes TER que réclament légitimement les régions. Le chef de filât leur a été reconnu uniquement pour les gares d’intérêt régional. Quant à la question du matériel roulant, elle ne me paraît pas suffisamment bien réglée.
Des améliorations ont été apportées sur la gouvernance et les pouvoirs de l’ARAF, le régulateur. Ce point mérite lui aussi d’être renforcé. Nous estimons que ces améliorations sont encore insuffisantes, et qu’il faut encore renforcer l’étanchéité entre les différents EPIC et assurer l’indépendance de l’autorité de régulation afin de garantir la non-discrimination entre opérateurs.
S’agissant de la dette, la règle prudentielle a été seulement esquissée. En aucun cas les économies d’échelle attendues ne permettront de réduire le stock de dette. Ce point est majeur. Les promesses d’économies ne sont pas des économies. Et il en est ici comme du budget de l’État, malheureusement.
Le cadre social a été complété, certes, pour rassurer les cheminots, qui doivent accompagner la réforme et être les véritables acteurs du changement.
Ces avancées, issues de la discussion à l’Assemblée nationale, on pourrait les résumer en deux temps : une part de réalisme – les régions, l’ARAF –, il s’agit de premiers pas à conforter ; une part de dialogue social renforcé.
Gageons que le cadre social amélioré sera demain un élément positif et non un élément de blocage. Du moins, souhaitons-le !
Cette réforme peut encore être améliorée. Il y a, et j’ai entendu Louis Nègre à l’instant, deux attitudes possibles : ou bien condamner la réforme – mais n’est-ce pas condamner le système ferroviaire ? A-t-on le temps ? – ; ou bien faire le pari du pragmatisme et construire pas à pas, mais en accélérant, donc choisir d’améliorer le texte.
Nous choisirions volontiers le pragmatisme s’il était réciproque. Je crois que faire de ce sujet un combat idéologique, ce ne serait pas un service à rendre au système ferroviaire. Il y a des réalités et des urgences.
La réforme telle qu’elle est proposée aujourd'hui, malgré les travaux de la commission du développement durable, et je salue le président Raymond Vall et le rapporteur Michel Teston, est largement imparfaite. Notre volonté est de regarder comment l’approfondir en allant plus loin dans l’adaptation au quatrième paquet ferroviaire, en préparant progressivement l’ouverture à la concurrence.
Ici, il me faut m’adresser à vous, monsieur le secrétaire d'État : il y a une ambiguïté dans votre réforme et vous devez la lever. Soit c’est la politique de l’autruche et nous connaîtrons pour le trafic voyageurs ce que nous avons connu pour le fret. Soit c’est un pas pour adapter réellement le système ferroviaire aux réalités d’aujourd’hui. Si, comme je le souhaite, la seconde hypothèse est la bonne, vous devez accepter ici de faire bouger les curseurs.
J’entends bien que le cadre social doit être respecté. Je comprends que l’architecture institutionnelle du projet peut difficilement, à ce stade, évoluer considérablement. Mais, je dois ici le rappeler, autant nous sommes d’accord avec la constitution d’un gestionnaire d’infrastructure unifié – c’est d’ailleurs l’une des conclusions des Assises du ferroviaire –, la réforme de 1997 ayant montré ses limites, autant le pôle public intégré nous laisse dubitatif.
Sur les autres points, l’économie, le régulateur, la dette, le pouvoir des régions, il faut, je crois, savoir aller plus loin, franchir le pas qui fera de cette réforme une adaptation nécessaire et utile, plutôt qu’un élément destiné à éviter de voir les réalités.
Notre guide dans la discussion des articles et des amendements sera simple. Nous amenderons sur des points précis. Certains, d’ailleurs, ont été évoqués par Louis Nègre, parce que nous avons bien sûr un certain nombre d’axes communs. Nous viserons plusieurs objectifs. J’en rappellerai rapidement cinq.
Le premier objectif, c’est d’inscrire la stabilisation, voire la diminution, de la dette comme priorité de cette réforme ferroviaire. Encore une fois, une réforme sans la dette, c’est repousser à demain le plus important.
Le deuxième objectif, c’est de préparer le système ferroviaire au « quatrième paquet » et à l’ouverture à la concurrence en permettant, par exemple, aux régions d’expérimenter les délégations de service public. (M. Louis Nègre opine.) Il peut y avoir plusieurs façons d’y arriver, mais l’intention et le réalisme doivent être là.