M. Jean-Jacques Hyest. Vous avez raison !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous remercie, monsieur le sénateur ! Hier soir, un député UMP a pourtant essayé de me chercher querelle sur ces amendements !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est parce qu’il n’y a pas eu de navette !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces amendements sont également souhaités par le ministère de l’intérieur. L’Assemblée nationale les ayant repoussés, le Gouvernement ne peut donc les défendre aujourd'hui devant le Sénat.
Mais, s’agissant de la géolocalisation, des écoutes et de la généralisation de la surveillance judiciaire, le texte comprend tout de même quelques dispositions suscitant des craintes de notre part.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même si le texte n’était pas déféré au Conseil constitutionnel, nous ne serions pas à l’abri d’une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité. Je n’insiste pas, le débat ayant eu lieu hier soir à l’Assemblée nationale.
L’essentiel des travaux de cette commission mixte paritaire ayant été présenté par vos soins, monsieur le rapporteur, je n’irai pas plus loin.
J’évoquerai simplement la décision prise de ne pas supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, par laquelle vous avez terminé votre intervention. Vous avez rappelé l’engagement du Gouvernement – je précise qu’il s’agit bien d’un engagement du Gouvernement, et non simplement de la garde des Sceaux – de présenter une réforme de l’ordonnance de 1945 au cours du premier semestre 2015. Le Gouvernement, qui ne souhaitait pas que des dispositions relatives aux mineurs soient inscrites dans ce projet de loi ne les concernant pas, marque ainsi son respect à l’égard du Parlement.
Je conclurai, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous exprimant à nouveau ma gratitude pour la qualité tant de nos débats et de nos travaux, que du texte de loi issu des discussions en commission mixte paritaire.
Ma gratitude est plus profonde encore pour ces deux années au cours desquelles nous avons eu à traiter de toutes les questions de justice. Je pense notamment aux questions concernant la justice civile, à laquelle vous êtes aussi extrêmement sensibles, ou encore à celles qui portent sur la proximité territoriale de la justice, ce dernier point témoignant de votre très grand attachement à la présence de sites judiciaires au niveau des territoires, et donc à leur accessibilité à tous les citoyens, où qu’ils se trouvent.
Votre mobilisation permanente et constante sur les textes de loi relevant du domaine de la justice conforte le travail des magistrats, des greffiers, des personnels pénitentiaires, des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce n’est donc pas la seule gratitude de la garde des sceaux ou du Gouvernement que j’exprime devant vous ; c’est celle de l’ensemble des personnes qui font vivre ce beau service public de la justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la garde des sceaux, il vous aura fallu beaucoup de ténacité, de courage, d’obstination et de volonté pour parvenir à ce 17 juillet, à ce jour où, nous l’espérons, sera votée cette réforme pénale que, malgré les critiques, les caricatures, les insultes, vous avez menée avec beaucoup de force et, également, un sens du dialogue et de l’écoute digne d’être souligné.
Il est rare, voire, me semble-t-il, sans précédent, qu’un texte de loi de cette importance soit précédé d’une concertation longue de dix-huit mois.
Il y a d’abord eu un groupe de travail présidé par Mme Nicole Maestracci, puis cette grande conférence de consensus au cours de laquelle tous les professionnels de la justice – magistrats, avocats, greffiers –, ainsi que les représentants de l’administration pénitentiaire, de la police et de la gendarmerie se sont exprimés. Toutes celles et tous ceux qui ont participé à ces deux jours de rencontre en ont été marqués ! Les détenus ont également été entendus, tout comme, bien sûr, les victimes. Enfin, un grand débat national, organisé au siège de l’UNESCO, a permis d’aborder diverses questions : le sens de la justice, son but, son efficacité, les attentes de nos concitoyens à cet égard…
C’est donc au travers de ce parcours tout à fait remarquable et sans précédent, je le redis, que ce texte de loi a été préparé.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que je tienne également à rendre hommage à mon collègue et ami Jean-Pierre Michel.
Je lisais ces jours derniers un nombre conséquent d’articles sur ce très vieux thème – cette littérature, vous le savez, est ancienne comme le Sénat – de l’utilité de la Haute Assemblée. Celle-ci joue un rôle éminemment important car, sans bicamérisme, il n’y a pas d’écriture de la loi : ni la navette ni ce travail collectif par lequel, progressivement, mot après mot, phrase après phrase, la loi s’élabore ne sont possibles !
Le Sénat démontre son existence quand, en son sein, des paroles fortes sont entendues, et c’est pourquoi je veux rendre hommage à Jean-Pierre Michel. Son rapport, j’en ai la conviction, était totalement fidèle à l’esprit de la loi. Il tirait les conséquences du texte, mais indiquait aussi avec netteté ce qui avait motivé son élaboration, quel était l’objectif attendu et pourquoi, en particulier, il convenait de revenir sur le sens de la peine et de créer de nouvelles peines, bien définies.
Aux caricatures qui, il est vrai, ont été brossées, vous avez, cher Jean-Pierre Michel, répondu avec beaucoup de talent. En un sens, celles-ci vous honorent ! Vivre, c’est lutter, à en croire Victor Hugo, qui avait bien raison de le penser !
Le Sénat est donc fort quand des paroles fortes s’énoncent en son sein. Ce fut très souvent le cas, beaucoup plus qu’on ne le prétend, et nous sommes honorés que notre rapporteur ait su, comme vous-même, madame la ministre, défendre l’esprit de cette loi.
La commission mixte paritaire est donc parvenue à un accord, dans des conditions que vous connaissez, mes chers collègues, celles d’un dialogue, parfois sans concession, parfois difficile, avec des demandes, des exigences, des compromis, et des points auxquels nous étions profondément attachés.
Je tiens à en citer trois.
Tout d’abord, la contrainte pénale est une vraie peine. M. le rapporteur avait proposé que cette peine fût la seule possible pour un certain nombre de délits. Ce ne sera pas le cas, conformément à l’accord que nous avons passé avec l’Assemblée nationale. Mais, à l’occasion de l’extension du dispositif à tous les délits, qui, selon les termes du projet de loi, aura lieu dans quelques années, on s’interrogera sur la possibilité de reprendre cette idée. C’est une des conclusions de la commission mixte paritaire.
Par ailleurs, le travail accompli par le passé, en particulier par Jean-René Lecerf, ayant été cité, je souligne quel a été notre extrême attachement à ce que l’on ne revînt pas sur les décisions prises lors du vote de la loi pénitentiaire et sur les aménagements de peine pour les non-récidivistes et les récidivistes.
Nous savons bien – on nous l’a suffisamment répété – qu’un arbitrage, pour reprendre le terme habituellement employé, a été rendu voilà quelque temps, mais nous considérons que le Parlement doit faire la loi. Le fait que le Sénat ait unanimement voté ces aménagements de peines et le renouvellement, voilà quelques semaines, de ce vote unanime constituaient de puissants arguments. Il y a donc eu un accord sur cette question, le Gouvernement ayant aussi marqué son accord.
C’est un point très important car, tout le monde le sait, une volonté d’en finir avec les sorties sèches est affichée dans ce projet de loi. Or, en finir avec les sorties sèches, cela signifie préparer et aménager la sortie de prison, de sorte qu’un individu, après six, sept, huit, dix ans de détention, ne se retrouve pas un beau matin sur le trottoir, sans attache familiale, sans environnement social, sans logement, sans travail.
La prison est une institution nécessaire et forte de la République. D’ailleurs, madame la ministre, je me réjouis que vous veniez très bientôt en inaugurer une dans le département du Loiret. Ces établissements pénitentiaires ont trois missions, toutes absolument indispensables : protéger la société, punir et préparer la réinsertion. La préparation de la sortie de prison est donc une dimension très importante de ce projet de loi, à laquelle il faudra consacrer des moyens, et nous serons très vigilants, sur toutes les travées, à cette question des moyens, qui sont véritablement essentiels.
Enfin, le dernier point auquel nous étions très attachés concerne la justice des mineurs. , vous savez mieux que personne, madame la ministre, combien il fallut parfois discuter et convaincre pour parvenir au communiqué que vous avez bien voulu publier un lundi, à dix-sept heures, alors que la commission mixte paritaire se déroulait le mardi à dix heures trente.
Envers et contre tout, en dépit des démagogies et des polémiques, nous considérons que les mineurs sont des êtres en devenir et nous restons fidèles à l’ordonnance de 1945, même modifiée trente-sept fois, car c’est un texte qui peut toujours être amélioré. Nous estimons donc que l’engagement, pris par vous-même, madame la ministre, et, comme vous venez de l’indiquer à la tribune, par l’ensemble du Gouvernement, d’organiser au cours du premier semestre de l’année 2015 un débat autour d’un projet de loi sur la justice des mineurs et les tribunaux correctionnels pour mineur est un engagement très fort.
Nous sommes parvenus à un accord sur de nombreux autres sujets, que Jean-Pierre Michel a évoqués. Effectivement, les discussions fructueuses avec Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, que je tiens à saluer, avec Dominique Raimbourg, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, qui partage avec notre rapporteur une même passion pour la justice, ont été précieuses, tout comme les dialogues constants avec l’ensemble des membres du Gouvernement, les équipes de Matignon et celles de la Présidence de la République ayant suivi ce dossier. Je tiens à le préciser, et chacun se reconnaîtra.
L’histoire le dira, mais cette date du 17 juillet 2014 pourrait être importante dans l’histoire de notre justice, car ce projet de loi a pour philosophie de rompre avec le « tout carcéral ». Il s’agit d’affirmer que nous voulons l’impunité (Mme la garde des sceaux s’étonne.)… Pardonnez ce lapsus : nous voulons lutter contre l’impunité, comme le demandent aussi, à juste titre, tous les citoyens, toutes les victimes, ce qui exige des peines diversifiées et individualisées.
Nous voulons aussi de la rigueur, au niveau tant de la détention, qui doit préparer la réinsertion, que de la contrainte pénale, qui doit être une vraie peine, préparée, accompagnée et suivie.
Pour conclure, mes chers collègues, je tiens à tous vous remercier d’avoir contribué à l’élaboration de ce projet de loi. J’y insiste, celui-ci marquera un changement de culture – je l’espère en tout cas – quant à notre façon d’appréhender la loi pénale et l’idée que nous nous faisons de la justice dans ce pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Notre groupe ne veut pas l’impunité pour les délinquants, monsieur le président de la commission des lois !
M. Bruno Sido. Très bien ! Nous non plus ! Merci, monsieur Mézard !
M. Jacques Mézard. Nous avons l’habitude d’être cohérents.
Mme Esther Benbassa. Cela dépend… (Exclamations.)
M. Jacques Mézard. Oh, madame Benbassa, cela commence très mal ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pardonnez ce lapsus !
M. Jacques Mézard. J’espère que c’en était un !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais oui !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le vrai débat, la question de fond qui resurgit constamment depuis de longues années, c’est le surpeuplement qui affecte nos prisons,…
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jacques Mézard. … dans des conditions qui sont absolument détestables et intolérables par rapport aux valeurs de tous ceux qui sont présents dans cette assemblée.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. Pour autant, on sait bien – pour reprendre d’autres propos qui ont pu être tenus dans certains journaux ou à l’Assemblée nationale – que la construction immédiate de 20 000 places de plus, d’une part, n’est pas possible et, d’autre part, ne résoudra pas le problème.
Telle est la réalité de fond, qui vous a certainement amenée, en même temps que d’autres arguments, madame la garde des sceaux, à proposer ce texte.
Le « tout carcéral » a longtemps été présenté comme la solution universelle à tous les maux de la délinquance.
Le projet de loi modifié par le Sénat redonnait un fil d’Ariane à notre politique pénale dans le labyrinthe législatif où elle s’était souvent perdue.
Cher rapporteur, vous avez parlé des attaques injustes que vous avez subies. Je ne sais pas si l’on peut vous pardonner le fait d’avoir contribué à la création du syndicat de la magistrature (Sourires.) mais, pour le reste, je ne puis que louer vos qualités. Je crois quand même que, à défaut d’avoir mangé votre chapeau, vous avez avalé pas mal de couleuvres.
Nous avons refusé la rétention de sûreté, les peines planchers ; notre groupe avait d'ailleurs déposé deux propositions de loi sur ces sujets. Nous avions aussi souvent contesté les lois pénales réactives aux médias ; dire cela n’est pas faire preuve de laxisme ; c’est simplement témoigner un attachement aux valeurs fondamentales de la République.
D’un commun accord, les peines planchers ont été supprimées de ce texte, comme la révocation automatique des sursis pour les récidivistes déjà plus lourdement condamnés.
La contrainte pénale, mesure phare de ce texte, a été conservée dans la version de l’Assemblée nationale. Mais cette version, nous l’avons quant à nous peu appréciée.
Le texte qui nous est aujourd’hui proposé – même si, monsieur le président de la commission des lois, vous considérez comme une réussite le simple fait qu’une commission mixte paritaire ait abouti, et nous connaissons votre enthousiasme constant pour tous ces grands succès – a perdu une part de la cohérence qui lui avait donnée lors de l’examen par le Sénat.
Nous avions prévu que la contrainte pénale devenait la peine principale pour une liste limitative de délits excluant les atteintes aux personnes. La Haute Assemblée, dans sa grande sagesse – et nous pourrions dire aux députés qui nous qualifient de « majorité ringarde » que nous n’avons guère de leçons à recevoir d’eux en la matière –…
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. … avait estimé qu’il fallait, avant son extension à tous les délits en 2017, susciter un nouveau débat autour de son évaluation.
Dans sa version actuelle, cette contrainte pénale pourrait s’apparenter à une énième sanction pénale parmi les innombrables autres qui existent déjà dans l’arsenal juridique.
Madame la garde des sceaux, vous aviez raison de poser le problème de la hiérarchisation des sanctions et de leur cohérence avec l’organisation judiciaire. Ce débat ne pourra pas être différé trop longtemps, car il y a là un véritable problème.
L’option choisie aboutit à une peine en milieu ouvert plus contraignante que le sursis avec mise à l’épreuve – il n’est pas supprimé –, pour un panel de délits moins graves.
Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’elle sera appliquée par les juges, tant du fait de son manque de lisibilité qu’en raison surtout, et nous le savons tous, du manque de moyens financiers et humains. Les gouvernements successifs, quels qu’ils soient, persistent et signent dans des réformes qui sont parfois trop superficielles hors de la réalité pénale : surpopulation carcérale, je l’ai dit, désocialisation des petits délinquants, inefficacité des processus d’insertion et de réinsertion, inexécution des peines, qui est aussi l’un des gros problèmes de notre système actuel, et, au bout de tout cela, épuisement des professionnels.
Le texte issu de la commission mixte paritaire a rétabli une disposition, supprimée par la Haute Assemblée, confiant aux officiers de police judiciaire le pouvoir de transiger sur certaines infractions, sur le modèle anglo-saxon. Quel est là le signal envoyé à nos concitoyens ? Quel est ce mauvais mélange de genres qui ne respecte pas les prérogatives de l’autorité de poursuite qu’incarne le procureur de la République ?
Nous regrettons que l’on aille vers de telles dispositions au mépris des grands principes de notre droit pénal.
À ce titre, il était essentiel que le suivi pénitentiaire des personnes placées sous suivi judiciaire reste une prérogative des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, et ne soit pas partagé avec des acteurs non régaliens, à la légitimité plus que floue.
Le Gouvernement s’étant engagé à déposer au début de l’année 2015 – vous l’avez d’ailleurs rappelé – un texte portant réforme de l’ordonnance de 1945, la commission mixte paritaire n’a pas conservé la disposition introduite par le Sénat qui supprimait les tribunaux correctionnels pour mineurs ; nous le regrettons. Dont acte. Je rappelle aussi que c’était un engagement de campagne du Président de la République.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jacques Mézard. Il y a les engagements tenus, ceux qui posent problème et ceux qui ne sont pas tenus, et qui devraient l’être. Mais c’est un autre débat…
Mme Catherine Tasca. Ils sont tous bons !
M. Jacques Mézard. Vous le savez, ces formations posent aujourd'hui plus de difficultés qu’elles n’en résolvent, et je suis heureux que vous ayez annoncé qu’on reviendra, dans quelques mois, sur ces textes.
Le texte que nous nous apprêtons à voter devrait être le symbole du refus du populisme pénal qui a trop longtemps présidé à l’élaboration de la politique pénale. Nous ne voulons pas qu’il devienne, madame la garde des sceaux, un simple texte d’opportunité ; nous souhaitons au contraire qu’il fasse l’objet d’une application forte.
Pour terminer, je souhaiterais – même s’il s’agit d’un cavalier dans le débat qui nous occupe – faire une très brève observation.
Nous avons entendu les déclarations de M. Arnaud Montebourg, ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, sur les professions réglementées. Il serait important, madame la garde des sceaux, que vous puissiez rassurer au moins la profession des avocats, en particulier dans les petits et moyens barreaux : ce sont en effet eux qui assument souvent la charge de la défense pénale, et il faut veiller à ne pas les fragiliser plus que ce n’est le cas actuellement.
M. Yvon Collin. Fort bien !
M. Jacques Mézard. Dans ces conditions, la majorité de mon groupe apportera son soutien à ce texte et approuvera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive, selon l’intitulé adopté par le Sénat. Je veux le dire d’emblée – je serai bien sûr un peu moins critique que M. Mézard (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) –,…
M. Roger Karoutchi. Dommage !
Mme Esther Benbassa. … ce texte est une source de grande satisfaction pour le groupe écologiste.
D’une part, il constitue un véritable tournant pour la justice de notre pays. En effet, sans éluder la souffrance et la place des victimes ni céder à un quelconque laxisme, il instaure de véritables alternatives à l’incarcération dont on sait qu’elle est bien souvent à l’origine de la récidive.
La contrainte pénale, disposition phare du projet de loi, qui se déroulera en milieu ouvert, est ainsi une peine à part entière, une peine dont la finalité est de responsabiliser et de réinsérer dans notre société le condamné.
Nous souhaitons d’ailleurs avec force que cette nouvelle peine trouve rapidement toute sa place dans le système pénal, qu’elle soit véritablement appliquée et ne soit pas considérée par les magistrats comme une simple alternative au sursis avec mise à l’épreuve.
D’autre part, en élaborant un véritable texte de gauche, le Sénat a montré une fois de plus qu’il était capable non seulement d’esprit de consensus mais aussi d’ambition et de liberté.
Le succès de la commission mixte paritaire était nécessaire pour que les avancées introduites par le Sénat soient maintenues et défendues. Cela a été le cas, et le texte que nous examinons aujourd’hui nous paraît faire preuve d’équilibre.
Je veux ici saluer votre travail, madame la garde des sceaux, votre ténacité et votre engagement au service de cette réforme ambitieuse.
Nous regrettons, bien entendu, que la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, adoptée sur l’initiative des écologistes et de M. le rapporteur, n’ait pas été maintenue. Mais nous nous félicitons de l’engagement pris de la présentation, au premier semestre 2015 – nous comptons sur vous, madame la garde des sceaux –, d’un projet de loi de réforme de la justice des mineurs et nous serons vigilants quant à la tenue de cet engagement.
Si nous déplorons également l’abandon de certaines mesures comme l’abrogation de la rétention de sûreté, que nous appelions de nos vœux, nous partageons l’esprit de cette belle réforme.
Nous saluons, en premier lieu, le rétablissement d’une véritable individualisation des peines, qui passait par la suppression des mécanismes entravant la liberté d’appréciation des juges. Il était temps, mes chers collègues, de mettre fin à cette aberration que sont les peines planchers (Oh ! sur les travées de l’UMP.) ainsi qu’à la révocation automatique du sursis simple et du sursis avec mise à l’épreuve.
Au groupe écologiste, nous ne sommes ni dans l’idéologie (Rires sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)…
M. Jacques Mézard. C’est la meilleure !
M. Bruno Sido. Première nouvelle !
M. Jacques Mézard. C’est de l’humour !
Mme Esther Benbassa. … ni dans l’angélisme. (Mme Esther Benbassa est prise de quintes de toux.)
M. Roger Karoutchi. C’est l’émotion !
Mme Esther Benbassa. Pour une fois que je suis contente d’une loi… J’en suis émue ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Vous vous en étranglez…
Excusez-moi… (Mme Esther Benbassa ne peut poursuivre son intervention.)
M. le président. Madame Benbassa, je vous propose de laisser pour l’instant la place à la tribune à l’orateur suivant, le temps que vous retrouviez votre voix.
Mme Esther Benbassa. Merci ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Il est regrettable que Mme Benbassa ait dû interrompre son propos : peut-être faudrait-il lui donner un peu de miel du Gâtinais de la région Centre, qui est – pour l’instant ! – assez isolée, n’est-ce pas, monsieur Sueur ? (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dès lors qu’elle ne s’appellera plus « Centre », elle sera forte ! Non à l’absorption !
M. Jean-Jacques Hyest. Elle va devenir la plus petite région de France, c’est formidable ! Avant, il y avait le Limousin…
Cela étant, j’ai assisté, avec grand intérêt, à la commission mixte paritaire qui s’est mise d’accord sur le texte du projet de loi relatif à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, puisque tel est désormais son titre.
Madame la garde des sceaux, je le répète et vous l’avez d’ailleurs évoqué, une navette aurait été préférable. Sur un certain nombre de sujets, notamment sur la question de la géolocalisation, le texte pose toujours problème, même après la commission mixte paritaire. Je persiste à penser que la commission des lois avait eu raison de supprimer cette disposition, laquelle a ensuite été rétablie. Nous avons essayé de l’encadrer, mais cela ne me paraît pas suffisant.
À mes yeux, et après avoir entendu ce qui a été dit particulièrement sur les sorties sèches, il suffirait d’appliquer la loi pénitentiaire, en y mettant tous les moyens nécessaires.
M. Bruno Sido. Tout simplement !
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. La situation est tout de même extraordinaire. Pour que la prison ne soit pas uniquement un lieu d’enfermement, nous avons voté une loi qui prévoyait que la réinsertion commence – nous l’avons dit et répété – dès le premier jour d’incarcération.
M. Bruno Sido. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Vous faites figurer dans le texte des dispositions sur la lecture. C’est très bien, mais ce que le gouvernement précédent avait fait voter n’a déjà pas été appliqué. Depuis deux ans, on ne peut pas considérer que les choses ont vraiment progressé dans ce domaine.
Ajoutons que la prison continue à être la cour des miracles. On y mélange grands délinquants en attente de placement dans un établissement pour peine et prévenus. Les maisons d’arrêt ne devraient pas servir à cela. Si l’on ne trouve pas de moyens, je peux vous assurer que l’on ratera cette réforme aussi, qu’elle ne changera strictement rien.
M. André Reichardt. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne soyez pas si pessimiste !
M. Jean-Jacques Hyest. Quand on a cru à quelque chose et que l’on y croit toujours, je me demande pourquoi on fait une nouvelle réforme que l’on n’appliquera pas plus que les autres…
M. Bruno Sido. Voilà !
M. André Reichardt. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Madame la garde des sceaux, j’ai tout de même maintenant – hélas pour moi ! – une certaine expérience du fonctionnement de la justice.
M. Jean-Jacques Hyest. On prend des mesures qui sont peut-être utiles pour réduire l’enfermement, mais pas la récidive. Néanmoins, ce n’est pas, me semble-t-il, la question !
M. Jean-Jacques Hyest. On a voulu inventer la contrainte pénale, qui est née dans la confusion : dans sa conception initiale, elle était une peine alternative à l’emprisonnement.
M. Jean-Jacques Hyest. Pas tout à fait, je vous l’accorde, et justement, je vais y venir.
Le juge pouvait choisir de recourir à la peine d’emprisonnement ou à la contrainte pénale, qui est une sorte de « super sursis avec mise à l’épreuve », applicable tant par le juge prononçant la peine que par le juge d’application des peines.
Ce dispositif avait été approuvé par l’Assemblée nationale moyennant une évolution dans le temps. Souhaitant en faire une peine autonome, je salue la logique de notre rapporteur, car il y en a bien une !,…
M. Roger Karoutchi. N’en faites pas trop !
M. Bruno Sido. C’est une logique différente !
M. Jean-Jacques Hyest. Attendez la suite, cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec lui !