Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Madame la secrétaire d’État, les conditions d’examen en deuxième lecture de ce projet de loi laissent à désirer : voté à l’Assemblée nationale jeudi 10 juillet, nous avons eu un samedi, un dimanche et un 14 juillet pour travailler, le délai limite pour le dépôt des amendements étant fixé au mardi 15 juillet à quatorze heures. Dans une telle précipitation, comment apprécier ou contester les modifications apportées au texte par l’Assemblée nationale ? Et quelles conditions de travail aussi pour les administrateurs de la commission et les collaborateurs de nos groupes parlementaires ! Je souhaite que vous fassiez savoir au Gouvernement que nous condamnons cette façon d’agir : soit cette loi n’est pas essentielle, et nous pouvons effectivement la bâcler, l’expédier – choisissez le verbe que vous voulez –, soit elle est importante et, dès lors, ne laissons pas au Sénat que deux jours ouvrables pour réfléchir et faire des propositions et vingt-quatre heures seulement pour déposer des amendements en séance publique. L’agriculture mérite mieux que ça !
Loi d’avenir, ai-je entendu, pour adapter ce secteur économique aux grands défis de demain. De grands défis en effet, puisque l’agriculture mondiale devra, en 2050, nourrir 2,3 milliards d’habitants de plus, dont ceux de l’Union européenne, qui voit sa population augmenter de 1,7 million d’habitants par an. Notre pays doit y prendre une part active tout en préservant au mieux son environnement. Aujourd’hui déjà, la FAO estime à plus de 840 millions le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde. Peut-on y rester insensible ? Certainement pas !
Notre agriculture nationale a su, après le conflit de 1939-1945 et durant les années cinquante et soixante, accroître ses productions afin de pallier tous les manques de produits alimentaires, devenant même rapidement excédentaire, et ce tout en améliorant la qualité. Pourquoi n’en irait-il pas de même aujourd’hui afin que notre agriculture contribue aussi dans les années qui viennent à remplir ce grand objectif d’apporter l’alimentation nécessaire aux humains de notre globe ? L’aide alimentaire, ne l’oublions pas, peut être capitale. Peut-on parler de stabilité dans les pays où le peuple a faim ? II suffit de regarder ce qu’il se passe en Afrique.
Mais revenons en France, où nous assistons à une baisse importante des surfaces agricoles liée à l’urbanisation et la forêt qu’on laisse progresser. Je rejoins sur ce point les propos de notre collègue Leroy, qui évoquait ces massifs où la forêt ne cesse de s’étendre. Je regrette que l’Assemblée nationale soit revenue sur un amendement que j’avais déposé concernant les secteurs boisés à plus de 70 %.
Développement de l’urbanisation, de la forêt, baisse des intrants, baisse des rendements liée à une moindre utilisation de pesticides et insecticides, baisse des volumes produits en agriculture biologique : la ferme France produira-t-elle autant demain ? C’est bien la question que je vous pose, madame la secrétaire d’État, et que j’espère pouvoir poser demain à M. Le Foll, car, bien qu’être en votre compagnie soit un plaisir, cela prouvera qu’il n’a eu qu’un petit incident de santé. Je lui souhaite donc moi aussi un prompt rétablissement.
Je constate déjà que nos productions animales connaissent une baisse très significative pour ce qui est des ovins, des bovins et des volailles. Cette loi d’avenir va-t-elle nous apporter la fameuse boîte à outils qui permettra d’inverser ces tendances ? Personnellement, je ne le pense pas. Je ne dis pas cela par idéologie ou par simple désir de m’opposer, mais par réalisme. Ce seront encore des exigences, des contraintes supplémentaires. Qu’aurons-nous simplifié dans la vie quotidienne des agriculteurs lorsque cette loi sera appliquée ? Je voudrais dire à notre ami Didier Guillaume que je ne pense pas que la vie des agriculteurs s’en trouvera améliorée. Disposerons-nous des outils et des mesures pour leur éviter de subir les aléas si nombreux qui mettent à mal tant d’exploitations, les obligeant parfois, comme l’on dit, « à mettre la clef sous la porte » ?
Je pense plus particulièrement – et cela a été dit par l’orateur précédent – aux aléas climatiques, de plus en plus nombreux, dus en partie au réchauffement de notre planète : tempêtes, grêle, sécheresses. Je pense également aux épidémies dans les cheptels, à la volatilité des prix qui fluctuent en permanence en fonction de ces aléas climatiques, bien sûr, mais surtout en fonction des marchés mondiaux et de la mauvaise habitude de la grande distribution d’aller s’approvisionner là où les prix sont les plus bas, même si les garanties sanitaires sont moindres et les obligations environnementales quasi inexistantes. Que fait-on face à cela ? Aujourd’hui, vous avez pu voir les manifestations qui ont lieu sur notre territoire et, je pense que vous en conviendrez tous, la bagarre entre les grandes et moyennes surfaces se fait aujourd’hui sur le dos des producteurs.
Le premier reproche que nous pouvons adresser à ce projet de loi est tout d’abord son silence sur de nombreux sujets. En matière de recherche, par exemple, comment se satisfaire des dispositions soumises à notre examen ? La partie relative à l’enseignement technique ou supérieur agricole est bien mince. Quant à l’article 23 relatif à la maîtrise des produits phytosanitaires ne va-t-il pas freiner la recherche ?
Nous avons aussi des interrogations sur la transparence des GAEC – pour avoir suivi les débats à l’Assemblée nationale, je peux dire que nous ne sommes pas les seuls –, notamment sur le dispositif reposant sur la base des 52 hectares dont bénéficieront les agriculteurs. Malgré maintes questions posées au ministre, cela mérite encore d’être clarifié. C’est du moins ce qui est souhaité par la profession.
En fin de compte, la seule véritable innovation réside dans la création des groupements d’intérêt économique et environnemental, dont les bénéfices me semblent encore incertains. On nous parle de majorations dans l’attribution des aides publiques dont pourraient bénéficier ces exploitants agricoles, mais avouez que l’article 3 est assez succinct.
Quant aux questions relatives au partage de la valeur ajoutée, l’article 7 va certes venir renforcer le rôle du médiateur des contrats, mais celui-ci ne pourra pas « trancher en cas de litige entre les parties ». Au final, le texte ignore donc les questions contractuelles que le Gouvernement nous promettait d’aborder.
Plus inquiétant sans doute, le projet de loi est inspiré par un concept, celui de l’agroécologie. La définition soumise à notre examen évoque « une diminution de la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques ».
Au final, ce texte ne projettera pas l’agriculture française dans l’avenir et ne permettra pas de s’attaquer aux difficultés qui minent la profession, à savoir, comme je l’ai dit précédemment, le partage de la valeur ajoutée. Ne sommes-nous pas en train d’accrocher de nombreux boulets à notre système agricole déjà en souffrance ? Et le premier de ces boulets, ce sont toutes ces considérations environnementales qui, lorsqu’elles ne sont pas justifiées, conduisent à des aberrations !
L’examen en première lecture au Sénat a mené à l’adoption d’un amendement du rapporteur Didier Guillaume, qui vise heureusement, et je l’en remercie, à n’étendre le bail environnemental que s’il s’agit, pour le bailleur, de pratiques déjà existantes. Mais dès lors qu’il s’agira de nouveaux preneurs, les exploitants seront dans l’obligation de s’aligner sur des clauses qui leur sont jusqu’à présent étrangères et, de fait, ils ne seront pas toujours en mesure de satisfaire aux clauses présentes dans le bail, même si celles-ci ont été respectées par un autre exploitant. À l’évidence, certains exploitants qui se seront engagés à respecter des clauses très contraignantes se retrouveront enfermés dans un modèle économique qui n’est pas le leur et seront incapables de viabiliser leur exploitation.
Pour conclure sur l’article 4, et j’espère que vous m’excuserez de ne pas m’étendre sur l’obligation de déclaration annuelle des quantités d’azote à usage agricole vendues ou cédées, je dirai que, malgré des améliorations substantielles apportées par notre assemblée, mon groupe et moi-même ne pouvons adhérer au bail environnemental.
Dans un esprit identique, on notera, en cas de vente, la préférence des SAFER pour les exploitations biologiques. J’espère aussi que cette disposition introduite par l’article 13 ne se soldera pas par une restriction de l’accès au foncier pour de jeunes agriculteurs ou pour des exploitants qui ne font pas d’agriculture biologique mais sont en besoin de terres.
J’ajouterai un mot sur l’article 23 et les nombreuses craintes qui s’expriment quant aux épandages près des lieux d’habitation. Vous nous avez rassurés tout à l’heure. L’examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale a permis de parvenir à une rédaction plus satisfaisante de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, dans la mesure où la décision d’interdiction ou de restriction est à nouveau confiée à l’autorité administrative, et non au ministre de l’agriculture. L’autorité administrative pourra, de surcroît, mettre en place des mesures de protection. Mais si de telles mesures ne peuvent être prises, elle pourra déterminer une distance minimale adaptée, en deçà de laquelle il sera interdit d’utiliser ces produits à proximité de ces lieux d’habitation. L’application du présent article est fixée par voie réglementaire. Le dispositif adopté nous paraît donc plus équilibré que celui élaboré en première lecture.
L’une des dispositions phare de ce projet de loi réside en l’introduction à l’article 6 de clauses miroirs. Ainsi, l’alinéa 14 dispose que, pour les sociétés coopératives agricoles, l’organe chargé de l’administration détermine les critères relatifs aux fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires affectant significativement le coût de production de ces produits. Nous étions en première lecture opposés à ce dispositif qui ne fournit aucune garantie et n’avons pas changé d’avis.
Toujours en matière de répartition de la valeur ajoutée, vous consacrez à l’article 7 le médiateur des contrats et des médiations obligatoires en cas de conflit. Mais avec quel pouvoir final ? Pour l’instant, la lecture des dispositions sur le sujet ne nous permet pas d’entrevoir de réelles avancées.
Au-delà des critiques, nous avons quelques positions positives. Ainsi, nous sommes favorables à l’interdiction de la publicité pour les produits phytosanitaires. Encore faut-il veiller, comme cela a été dit en première lecture, à ce que, si cette interdiction de publicité pour les produits phytosanitaires protège les exploitants agricoles d’une information d’ordre promotionnel, elle leur permette toutefois de bénéficier d’une information sur les bonnes pratiques d’usage, les conditions de stockage et de manipulation de ces produits.
Malgré tout, nous avons obtenu quelques satisfactions. J’évoquerai ici l’article 10 bis, qui prévoit que les organismes chargés de la protection d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique peuvent demander au directeur de l’Institut national de l’origine et de la qualité d’exercer le droit d’opposition à l’enregistrement d’une marque dès lors que se dessine un risque d’atteinte au nom, à l’image, à la réputation ou à la notoriété de l’un de ces signes. Étant d’un département qui recense de nombreux produits d’appellation, vous comprendrez que j’y sois très sensible.
Nous nous réjouissons d’une telle mesure, tout comme nous nous réjouissons de l’article 10 bis A relatif à la classification du vin et des boissons spiritueuses comme faisant partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France.
Voilà pour les satisfactions !
En première lecture, j’avais proposé un amendement visant à faire bénéficier les exploitants d’une déduction fiscale pour aléas, pour l’acquisition, le stockage de fourrage et l’achat d’aliments pour le bétail ou des frais de remise en état en cas de perte de récolte sur prairies, liés à une calamité – par exemple, les campagnols – ou à un risque sanitaire ou environnemental. Cet amendement a été refusé par le Gouvernement. Je le regrette d’autant plus que, ce matin, dans le journal Le Progrès, je lisais qu’un récent sondage réalisé auprès d’agriculteurs montrait que 40 % de ceux qui avaient été interrogés pourraient bien cesser leur activité avant l’âge de la retraite pour des raisons financières. Cela a aussi été dit par certains de nos collègues.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Bailly. La discussion, quoique très précipitée, peut-elle encore permettre des améliorations pour que cette loi ne soit pas seulement une loi d’ajustement ou d’adaptation, mais vraiment une loi d’avenir, et pour donner davantage de visibilité et de garanties à cette profession très vulnérable ? En tout état de cause, nous ne refuserons pas les amendements qui iront dans ce sens.
À l’occasion de l’examen en première lecture du projet de loi, mon collègue Gérard César avait conclu son intervention par cette formule quelque peu sévère : « Il s’agit d’une loi d’accompagnement et non d’une loi d’avenir ». Pour ma part, je ne m’éloignerai pas de ce constat. Je suis donc beaucoup moins optimiste que Didier Guillaume. Je voudrais malgré tout saluer son travail et celui réalisé par Philippe Leroy. Nos deux rapporteurs ont procédé à de nombreuses auditions pour élaborer leur rapport, même si les problèmes de fond n’ont pas été abordés. (M. le président de la commission des affaires économiques proteste.)
Cette écologie, nous n’avons eu de cesse de le répéter, mais également de mettre en pratique cette préconisation lorsque nous étions aux responsabilités, doit être incitative, et non punitive. C’est parce que, justement, les défis qui se dressent devant notre modèle agricole ont été identifiés par tous, y compris par le Gouvernement, que nous éprouvons beaucoup de déception devant ce texte. En effet, il ne permettra d’assurer de meilleures conditions de vie aux agriculteurs ni de nourrir convenablement la planète.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Si !
M. Gérard Bailly. Hier, le Tour de France traversait le Jura : les agriculteurs du département avaient réalisé une magnifique fresque pouvant être vue du ciel, qui représentait les différentes composantes de l’agriculture et lançait aux spectateurs : « Vous pouvez compter sur nous ! »
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. Gérard Bailly. Vous l’aurez compris, je ne pense pas que ce texte mette tous les atouts du côté de l’agriculture. C’est pourquoi, et probablement sans surprise, le groupe UMP ne le votera pas, du moins dans sa rédaction actuelle.
M. Didier Guillaume, rapporteur. C’est dommage !
Mme la présidente. La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, je voudrais saluer le ministre de l’agriculture après le petit incident qu’il a connu aujourd’hui et lui souhaiter un prompt rétablissement. J’espère qu’il pourra être demain parmi nous, et en pleine forme !
C’est avec le sentiment du devoir accompli et dans un climat de dialogue, me semble-t-il, que nous poursuivons la discussion du projet de loi, qui a été enrichi et peaufiné par les deux assemblées, afin de préparer la transition souhaitée vers un nouveau modèle agricole, pour l’avenir de notre pays. En effet, les modifications issues du travail parlementaire ont été nombreuses, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. L’adoption du projet de loi en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, et en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, s’est accompagnée du vote d’un grand nombre d’amendements.
Cette consolidation du texte initial est d’autant plus satisfaisante que les orientations premières de la loi sont préservées et ses grands équilibres défendus. Ainsi, sa vocation initiale – fournir un cadre législatif permettant à nos agricultures et au secteur forestier d’assurer leur développement économique, tout en prenant en compte la dimension écologique de leurs activités – a toujours guidé le travail des sénateurs. Les outils proposés pour atteindre cet objectif ont évolué, sans pour autant perdre leur fonction d’impulsion en faveur du changement de pratiques, souhaité pour notre agriculture. Cette incitation vertueuse doit permettre de nous diriger vers un système de production agroécologique.
À ce titre, il me paraît essentiel de souligner que ce projet de loi fait entrer le concept d’« agroécologie » dans le vocabulaire français et dans l’actualité de notre économie. Avec cette nouvelle orientation de l’agriculture, la priorité est donnée à des systèmes qui privilégient l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité. Cette amélioration, d’ailleurs, ne se réalisera qu’en diminuant la consommation d’énergie, d’eau, d’engrais, de produits phytopharmaceutiques ou de médicaments vétérinaires et en mettant en œuvre de nouvelles pratiques culturales.
Ce concept d’agroécologie doit aussi prendre en compte l’emploi et les conditions de travail des agriculteurs ; il doit donc permettre d’aller vers une meilleure performance sociale. C’est le modèle dans lequel la France entend s’engager dès à présent, et dont ce texte est le socle.
Dans le texte issu des travaux du Sénat en première lecture, l’objectif de la triple performance – écologique, économique et sociale – était assigné à l’agroécologie. Une nouvelle écriture de son article 1er à l’Assemblée nationale a fait disparaître cette mention. La commission des affaires économiques a décidé de la réintroduire, en adoptant un amendement déposé par M. le rapporteur Didier Guillaume. Il convient en effet de conserver cette approche du développement des filières agricoles.
Par ailleurs, les GIEE, dont l’objectif est d’allier la compétitivité économique à la compétitivité environnementale de notre agriculture, constituent l’outil emblématique du projet de loi. Ce regroupement des exploitants agricoles, soutenu par des aides publiques spécifiques, a pour objectif de modifier durablement les systèmes de production, de développer l’entraide et l’expérimentation, de faciliter la commercialisation des produits et d’apporter une réponse pertinente au problème de l’isolement en milieu rural.
Le Sénat en a précisé ses contours en autorisant, d’abord, la participation de personnes physiques ou morales, privées ou publiques ; je pense notamment aux collectivités territoriales ou aux chambres d’agriculture, qui sont en mesure de collaborer à des projets innovants sur leur territoire, tout en garantissant une majorité d’agriculteurs au sein des instances décisionnelles.
Il l’a fait, ensuite, en offrant la possibilité aux agriculteurs membres d’un GIEE d’échanger leurs semences sans passer par un organisme collecteur agréé, ce qui facilite l’entraide entre les agriculteurs.
Toutefois, l’échange entre agriculteurs ne concerne que les semences non protégées par un certificat d’obtention végétale, ou COV, c’est-à-dire des petites quantités. Aussi, il nous semble important de permettre aux membres d’un GIEE de vendre leurs semences sans passer par un organisme stockeur lorsque cette transaction est effectuée au sein même du GIEE. Cette disposition initialement prévue par le texte de loi issu du Sénat devrait pouvoir être maintenue. C’est pourquoi le groupe socialiste propose un amendement la rétablissant.
Autre avancée de ce texte : l’amélioration de la transparence des formes sociétaires déjà existantes. Il sera dorénavant plus facile de constituer un groupement agricole d’exploitation en commun, puisque les procédures d’agrément et d’instruction de demande d’aide économique seront fusionnées et prises en charge par une même autorité administrative compétente. La garantie d’une transparence économique pour les GAEC totaux constitue également un apport de cette loi. Les parlementaires se sont attachés à apporter des précisions utiles sur les possibilités offertes pour les associés de se livrer à des activités extérieures au groupement, sans porter atteinte au caractère total du GAEC.
Enfin, le Sénat a entendu faciliter la transformation en GAEC des exploitations agricoles à responsabilité limitée, les EARL, notamment entre époux, ce qui leur permettra de bénéficier du principe de transparence. Ainsi, les contours des formes sociétaires que peuvent prendre les activités agricoles sont redessinés et clarifiés.
Par ailleurs, une meilleure identification de la population agricole sera permise par la mise en place d’un registre des actifs agricoles. Tout a été fait pour rendre ce registre le plus opérationnel possible. La progression du travail parlementaire a permis d’aboutir à un dispositif sécurisé où les chambres d’agriculture et la MSA se partagent les rôles.
De son côté, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, l’APCA, a la charge de regrouper la base de données à partir des informations détenues par leurs centres de formalités des entreprises. Du leur, les caisses de la Mutualité sociale agricole restent propriétaires et responsables de ces informations. Le Sénat a largement contribué à façonner ce dispositif, en donnant une définition claire de ce que doit être un actif agricole.
La commission des affaires économiques du Sénat a effectué un travail de qualité, qui a permis de faire évoluer le texte dans de nombreux domaines et d’apporter des réponses adaptées aux attentes de la profession. Pour ne citer que quelques dispositions emblématiques, ce fut le cas, par exemple, pour le bail environnemental, qui soulevait beaucoup d’inquiétudes avant le passage au Sénat et dont la rédaction actuelle, proposée par M. le rapporteur, semble faire consensus. Ce fut aussi le cas de la clause miroir pour les coopératives agricoles. La communication aux associés des procédures de négociation des prix dans le cadre du rapport annuel d’activité de la coopérative semble répondre aux exigences d’information et de transparence.
Beaucoup d’autres points sont à mettre à l’actif de ce projet de loi ; je ne les citerai pas tous, car ils sont trop nombreux. Je relèverai simplement l’importance que revêtent l’amélioration de l’enseignement agricole, la maîtrise des produits phytosanitaires, les mesures en direction de la protection du foncier agricole, l’élargissement du rôle des SAFER, la création du fonds stratégique pour la forêt et la prise en compte des spécificités de la montagne. À ce propos, je voudrais aborder un dernier point, qui me tient particulièrement à cœur. Il relève des dispositions relatives à la forêt, même si je laisse à Bernadette Bourzai le soin de parler plus globalement des avancées significatives introduites dans ce texte pour le secteur forestier.
Il s’agit du cas particulier des communes excessivement boisées en zone de montagne, qui doivent faire l’objet de mesures adaptées à leur aménagement. Les sénateurs, par le biais d’un amendement du rapporteur Philippe Leroy, avaient introduit la possibilité, pour les communes boisées à plus de 70 % de leur superficie, de pratiquer des coupes afin d’ouvrir les paysages et de permettre la réaffectation des parcelles concernées par ce défrichement à un usage agricole. Cette disposition ayant été supprimée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, nous avons réaffirmé le besoin de prendre en compte les contraintes particulières qu’un tel taux de boisement entraînait pour ces territoires. Dès lors, nous avons rétabli ce droit de déboisement. M. le rapporteur Philippe Leroy l’a fort bien rappelé il y a un instant, la fermeture des paysages est peu propice au maintien de la population et entraîne la désertification de ces territoires. Qui a envie de vivre sans horizon ou bien avec pour seul horizon les barreaux immenses d’une prison verte ? En Limousin, nous utilisons une expression qui traduit bien cette situation : nous disons des personnes qui la vivent qu’elles sont « enfermées dehors ».
Mes chers collègues, nous arrivons aux termes de la discussion d’un texte qui, contrairement à ce que l’on peut entendre sur certaines travées, est riche d’innovations et fondateur d’un nouveau cadre.
Notre commission a apporté quelques modifications supplémentaires au texte issu de l’Assemblée nationale, contribuant ainsi à amender encore ce projet de loi qui, si l’on en croit les déclarations de certains dirigeants agricoles, et grâce aux compromis trouvés sur ses dispositions phare, fait l’objet d’un assentiment général. À ce titre, il devrait trouver, dans cet hémicycle, une large majorité pour son adoption en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en croisant ce matin le ministre de l’agriculture à l’aéroport, où nous avons échangé sur le débat qui nous réunit ce soir, je n’imaginais pas un seul instant qu’il manquerait ce rendez-vous. Je lui adresse donc à mon tour mes vœux de prompt rétablissement.
Je voudrais dire combien j’ai apprécié la façon dont les travaux ont été menés au sein de la commission des affaires économiques. C’est bien entendu grâce à son président,…
M. Didier Guillaume, rapporteur. Cela va de soi !
M. Jean-Claude Lenoir. … mais aussi à son animateur qu’a été Didier Guillaume. Nos échanges ont été très pragmatiques, chacun ayant le souci d’apporter des réponses concrètes à de graves préoccupations, que nous connaissons bien car elles s’expriment dans nos départements.
J’ai noté un certain nombre d’avancées avec beaucoup de satisfaction, monsieur le rapporteur. J’en prends acte, car je fais partie de ceux qui préfèrent regarder le verre de cidre ou de poiré…
M. Jean-Jacques Mirassou. Ou d’armagnac !
M. Jean-Claude Lenoir. … à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Voilà pourquoi je veux d’abord souligner les aspects positifs que je retire de nos débats au sein de la commission des affaires économiques, qui augurent bien du texte sur lequel nous pourrions, au moins en partie, nous retrouver.
Pour autant, si je m’exprime depuis cette tribune, ce n’est pas pour entrer dans le détail des différents articles qui ont été discutés ou des amendements que nous avons soutenus, dont certains ont été retenus et d’autres écartés. Je conçois plutôt mon rôle comme celui d’un porte-voix des agriculteurs de mon département.
En ces temps de comices agricoles, qui sont des moments privilégiés de rencontre avec les paysans, je tiens à dire que le monde agricole a le sentiment d’être encerclé : les règlements sont parfois appliqués de façon tatillonne, l’opinion accuse les agriculteurs d’être des fauteurs de troubles qui contribuent à polluer les territoires et à en écarter des personnes voulant vivre en toute quiétude dans leur propriété. Songez à la folle rumeur des « 200 mètres » ! Bien sûr, les réseaux sociaux l’ont amplifiée, mais les agriculteurs ont fini par penser qu’il y avait une part de vrai dans ce qui leur était reproché. Les uns et les autres, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous nous sommes employés à démentir cette rumeur. Malgré tout, il en reste quelque chose, je l’ai encore observé voilà quelques jours.
Les agriculteurs ont également le sentiment d’être encerclés, parce que leur avenir se rétrécit. Je suis frappé de voir le nombre de jeunes qui se détournent de cette profession, qui était celle de leurs parents, de leurs grands-parents et de leurs aïeux. Ce découragement touche plus particulièrement les éleveurs.
Élu d’un département connu pour la qualité de ses espèces animales – je rappelle à cette occasion que les jeux équestres mondiaux auront lieu en Basse-Normandie, j’allais dire en Normandie, mais n’anticipons pas ! (Sourires.), aux mois d’août et septembre –, je sais que les éleveurs bovins, disons-le clairement, sont aujourd'hui menacés. Il faut dire que leur activité est très contraignante : tous les jours sont des jours de travail, leurs marges se rétrécissent, alors que leurs charges s’alourdissent considérablement. Leur labeur n’est pas récompensé.