M. Gérard Bailly. Exact !
M. Jean-Claude Lenoir. Quand les troupeaux diminuent, quand les élevages laitiers régressent, les conséquences ne sont pas seulement agricoles, elles sont aussi environnementales. Nous le voyons, les paysages, la nature changent.
Dans une région comme le Perche, où l’élevage est une tradition – on y trouve beaucoup de chevaux, mais aussi des normandes –, si les paysages changent, c’est parce que les prairies sont en train d’être retournées : des terres jusqu’alors consacrées à l’élevage sont mises en culture. Voilà encore quelques jours, je me trouvais à un comice agricole : peu d’animaux étaient présents ; en revanche, on pouvait découvrir d’énormes machines agricoles, qu’on n’avait jamais vues, destinées non pas à l’élevage, mais à la culture.
Le découragement des agriculteurs est d’autant plus grand qu’ils savent que les règles ne sont pas respectées en Europe. Des pays comme l’Allemagne font appel à une main-d’œuvre moins coûteuse, en provenance des pays de l’Est. Dans les années quatre-vingt, nous nous inquiétions à juste titre du devenir d’un certain nombre de cultures après l’élargissement de l’Europe à l’Espagne et au Portugal, du fait d’une main-d’œuvre meilleur marché. À l’heure actuelle, le phénomène est tout à fait différent : qui aurait pu imaginer qu’un pays au niveau de vie élevé comme l’Allemagne produise du lait compétitif par rapport au lait français ?
Madame la secrétaire d’État, en suppléant le ministre de l’agriculture, vous êtes tout à fait à votre place. Je rappelle en effet que vous étiez chargée des questions agricoles au parti socialiste.
M. Didier Guillaume, rapporteur. Elle y était excellente !
M. Jean-Claude Lenoir. Je lisais récemment l’un de vos derniers communiqués en tant que députée. Vous saluiez les incontestables efforts accomplis par le Gouvernement en matière de politique agricole commune. Vous souligniez que c’était une chance pour l’élevage, en particulier l’élevage familial, puisque les avancées en question permettaient de soutenir les troupeaux de 70 à 80 animaux. Êtes-vous toujours convaincue, maintenant que vous êtes au Gouvernement, de la pertinence de la vision qui était la vôtre à la fin du mois de mai ?
M. Didier Guillaume, rapporteur. Encore plus !
M. Jean-Claude Lenoir. Enfin, l’inquiétude de nos agriculteurs porte sur leurs relations avec la grande distribution. Là, vraiment, c’est toujours la lutte du pot de terre contre le pot de fer ! Car ce sont eux les grands perdants, ils en ont chaque jour la démonstration. Quels que soient les mécanismes mis en place – je pense notamment aux initiatives visant à l’instauration d’une médiation –, ils se révèlent inopérants.
Face à cette situation, le Gouvernement dépose un projet de loi. Or, depuis que je suis parlementaire, j’en ai connu quelques-uns, toujours présentés avec un lyrisme extraordinaire. Il faut le reconnaître, nous avons toujours eu de très bons ministres de l’agriculture. Quels que soient les gouvernements, ils étaient enthousiastes et volontaristes. Si seulement c’était une loi qui permettait de redonner espoir aux agriculteurs, il faudrait en voter une tous les ans ! Malheureusement, la réalité est un peu différente. En effet, de plus en plus, c’est au Gouvernement de répondre à leurs préoccupations, car c’est lui qui en a les moyens, tant par les mesures qu’il peut prendre au plan national que par celles qu’il peut suggérer au niveau européen.
Sachez, madame la secrétaire d’État, que l’inquiétude dont je viens de vous faire part est particulièrement forte. Il y a aujourd'hui un silence qui ne doit pas tromper. C’est celui de gens qui travaillent très durement, ne sont pas récompensés de leur travail et découragent leurs enfants de choisir un métier qui a pourtant fait la fierté de nombreuses générations. Faisons en sorte de modifier une telle situation, à défaut de pouvoir profondément la changer. Même les petits pas qui auront été accomplis seront salués. En tout cas, tel sera le sens que je donnerai à mon vote, comme je l’avais fait en première lecture. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l’équilibre global de ce projet de loi, très bien décrit précédemment par mon collègue Jean-Jacques Lasserre, sauf pour dire que, contrairement à son titre, ce texte échoue tout de même à tracer des perspectives d’avenir pour notre agriculture.
Il s’agit d’un projet de loi d’adaptation concernant un secteur économique qui en a cruellement besoin. Toutefois, je crains, avec mes collègues centristes, qu’il soit insuffisant pour rassurer nos agriculteurs, nos producteurs et les jeunes qui s’engagent dans cette voie, notamment dans le cadre de l’enseignement agricole, que je connais bien.
Nous sommes loin du travail fourni par Edgard Pisani, qui influence encore aujourd’hui l’organisation de l’agriculture française.
L’agriculture est à la fois l’un des secteurs les plus traditionnels de notre pays et un domaine porteur d’avenir, fleuron de notre économie, qui évolue en permanence. Ce paradoxe est sans doute à l’origine de notre attachement aux agriculteurs et agricultrices, qui font vivre tout un pays, et même plus.
En France, avec plus d’un million d’actifs, l’agriculture est avant tout une activité économique. C’est une richesse pour notre pays, car elle représente à elle seule 19 % de la production européenne et constitue un secteur clé de notre économie. La diversité et la qualité des productions, alliées au professionnalisme des agriculteurs, en font une filière d’avenir. C’est parce que l’agriculture est un domaine d’avenir que j’aimerais aborder deux points précis, qui constituent des piliers pour le futur : la compétitivité et l’enseignement.
Il faut être extrêmement vigilant s’agissant de la compétitivité. Des pays voisins, comme l’Allemagne – Jean-Claude Lenoir vient de le rappeler –, sont en train de nous dépasser progressivement. La main-d’œuvre y est globalement 20 % moins chère qu’en France. Cette différence atteint même 50 % dans les fruits et légumes. Ce n’est pas une question de revenus, car le niveau de rémunération des agriculteurs est déjà trop faible. Il s’agit plutôt de mieux faire correspondre le coût du travail et la rémunération des producteurs. Pour améliorer la compétitivité de notre agriculture, il faut réduire les coûts du travail et simplifier les normes administratives.
Je tiens à rappeler ici le travail, en première lecture, de mon collègue Daniel Dubois s’agissant de la question de la création d’un observatoire de la compétitivité de l’agriculture française et des distorsions de concurrence imposées aux agriculteurs par l’application des directives communautaires et des normes françaises. Toutes les règles pesant non seulement sur les entreprises françaises mais aussi et surtout sur les agriculteurs leur sont devenues insupportables.
Je rappelle que le Sénat, et en particulier M. le président de la commission des affaires économiques, s’était engagé à créer un groupe de travail pour étudier la simplification des normes en matière agricole, ce qui permettrait notamment d’étudier les distorsions entre normes européennes et normes nationales. J’espère que ce groupe verra vite le jour.
La compétitivité de l’agriculture passe aussi par celle de l’industrie agroalimentaire. Il ne faut évidemment pas opposer les deux. Au contraire, ce sont des secteurs phare à valoriser et à mettre en avant pour notre économie.
J’en viens à la seconde partie de mon propos, qui portera sur l’enseignement agricole.
Je vous le disais en première lecture, les travaux préparatoires au présent texte permettaient de nourrir de bons espoirs sur cette problématique.
Le Gouvernement affiche l’ambition de faire de la France un leader en matière d’agroécologie. Il s’agit de tout mettre en œuvre pour produire au mieux, en relevant un double défi : répondre à la demande mondiale en matière d’alimentation et respecter les écosystèmes, dans le cadre d’un développement durable reposant sur une moindre utilisation d’intrants, la préservation de la ressource en eau et la lutte contre le gaspillage du foncier. Mais l’agriculture n’existant pas sans l’enseignement agricole, je souhaitais que celui-ci, qui prépare les professionnels de l’agriculture et du monde rural et paysager de demain, trouve toute sa place dans ce texte.
L’Observatoire national de l’enseignement agricole a remis en 2013 un rapport présentant de nombreuses préconisations et inscrivant la formation des futurs acteurs du monde rural dans une agriculture du XXIe siècle. Je pensais qu’il serait le socle, la force de propositions, sur lequel ce projet de loi pourrait s’appuyer. Je ne retrouve malheureusement pas dans ce texte les perspectives dessinées par ce rapport, pourtant très fourni ! Où sont les transcriptions des sept recommandations ?
Ce rapport aurait pu être une source dense d’inspiration. Malheureusement, le projet de loi est passé à côté. On ne relève aucune avancée concernant les cinq missions dévolues à l’enseignement agricole, qui constituent un atout essentiel pour l’agriculture du futur. Il manque également l’articulation de l’autonomie des établissements avec un pilotage et un cadrage national. J’ai d’ailleurs redéposé un amendement en ce sens.
Pourtant, l’enseignement agricole, qui présente un modèle de coopération entre le système productif et le système éducatif, mériterait une forte implication des professionnels de l’agriculture et de leurs organismes.
En définitive – je regrette vraiment de devoir faire ce constat –, nous sommes face à un texte témoignant d’un rendez-vous manqué avec l’enseignement agricole. Une nouvelle organisation ancrée dans les régions et les territoires, orientée vers des spécialisations et des voies d’excellence, impliquant tous les acteurs de la filière dans un même acte partenarial, n’a pas su être mise en œuvre dans le cadre de ce travail législatif.
Je crains que notre agriculture ne souffre plus tard de ne pas avoir formé des professionnels capables de répondre et de s’adapter aux questions agronomiques. Je souhaitais d’ailleurs rappeler au ministre de l’agriculture son engagement à remettre en place l’Observatoire national de l’enseignement agricole, qui en est panne depuis plus d’un an maintenant. C’est une instance importante, qui permet d’appuyer les politiques menées et, surtout, d’être au plus près des nécessaires évolutions de l’enseignement.
Au cours de la première lecture, j’avais tenté de déposer certains amendements, sans grand résultat pour la plupart d’entre eux. C’est pourquoi je vous représenterai quelques propositions que je ne détaillerai pas maintenant. J’espère rencontrer cette fois un peu plus de succès !
Au-delà de ces quelques remarques de fond, je tiens tout de même à saluer le travail des rapporteurs, qui ont su trouver des compromis s’agissant de nombreux articles adoptés en commission. Je les félicite de leur sens politique et de leur connaissance du sujet, qui rattrapent quelque peu les insuffisances de fond du texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que nous examinions aujourd’hui, en deuxième lecture, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, permettant ainsi à ce texte très attendu d’aboutir avant l’automne. Certes, cela nous oblige à un calendrier un peu contraint, mais, comme vous l’avez indiqué, madame la secrétaire d’État, ce projet de loi a fait l’objet d’une large et longue concertation. En effet, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, à qui je souhaite un prompt rétablissement, a effectué en amont un travail considérable avec tous les acteurs professionnels et syndicaux du monde agricole. Ce travail de concertation s’est prolongé dans les deux assemblées, avec des débats parlementaires qui se sont déroulés dans un climat serein et constructif, permettant ainsi l’élaboration d’un texte enrichi. Que nos deux rapporteurs, Didier Guillaume et Philippe Leroy, en soient remerciés et félicités !
Comme l’a indiqué le rapporteur Didier Guillaume, nous avons là un bel exemple de coconstruction d’un texte, dont l’enjeu est majeur. Il s’agit effectivement de donner à l’agriculture française les moyens et les outils lui permettant de relever les grands défis de l’avenir. Cela signifie améliorer l’autonomie alimentaire de notre pays et du continent européen, ce dernier, il faut le savoir, dépendant de l’étranger à hauteur de 35 millions d’hectares, et contribuer, au travers de nos exportations, à l’alimentation de pays déficitaires. Cela étant, mon cher Gérard Bailly, il ne s’agit pas de nourrir la planète. Ce serait une très grande ambition !
La première lecture a permis l’adoption de plusieurs mesures fondamentales pour réorienter l’agriculture vers un nouveau modèle de production, l’agroécologie, avec l’ambition de concilier compétitivité, tant de notre agriculture que de notre filière bois, et engagement de la France sur la voie de la transition écologique, le tout en cohérence avec les orientations de la politique agricole commune et le verdissement décidés par l’Union européenne. Je précise que, pour la première fois, ces politiques ont fait l’objet d’une décision conjointe du Conseil des ministres et du Parlement européen et ne sont pas issues de propositions de la seule Commission européenne.
Je me réjouis que les députés aient conservé une bonne partie des enrichissements que nous avions apportés à ce projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur les mesures relevant plus particulièrement du domaine agricole, qui ont déjà été évoquées par Didier Guillaume et Renée Nicoux, et j’orienterai mon intervention sur le titre V, c'est-à-dire les dispositions relatives à la forêt.
Des décisions fondatrices pour ce nouveau modèle ont été confortées pendant la navette. Je citerai, entre autres mesures, la reconnaissance de la multifonctionnalité des forêts et de leurs fonctions d’intérêt général, ce qui ouvre la possibilité d’une rémunération de ces aménités environnementales, ainsi que la mise en place d’outils de gestion collective et de dynamisation foncière forestière avec les groupements d’intérêt économique et environnemental forestier, les GIEEF. Cette dernière disposition vise à mieux organiser l’exploitation de la forêt française, mieux mobiliser la ressource, mais aussi à améliorer les relations entre forestiers et collectivités locales, qui ne sont pas toujours au beau fixe.
La première lecture au Sénat avait été l’occasion d’apports importants. L’adoption d’amendements du groupe socialiste avait ainsi permis de maintenir le droit de préférence des communes en cas de vente de parcelles forestières de moins de 4 hectares, afin de favoriser les regroupements, et de prendre en compte les spécificités des zones de montagne pour les seuils nécessaires à la constitution des GIEEF, afin d’adapter cet outil aux conditions physiques montagnardes.
À ce titre, si je souscris tout à fait aux propos du rapporteur Philippe Leroy sur la nécessité de procéder à une déforestation de certains territoires, principalement de montagne, qui sont surboisés, je pense qu’il sera nécessaire de débattre de la création de sections spécialisées forestières.
Ce projet de loi tend aussi à lutter contre l’importation de bois illégal, en autorisant les saisies immédiates de produits incriminés à titre conservatoire, en prévoyant des sanctions pour leur mise sur le marché et en offrant la possibilité aux associations environnementales de se constituer partie civile à l’encontre des contrevenants. Toutes ces dispositions ont été reprises à l’Assemblée nationale et, pour certaines, enrichies ou précisées.
Le Sénat a également permis de progresser dans la recherche d’un équilibre entre les activités des forestiers et celles des fédérations de chasse. Nous avons réussi, me semble-t-il, à consolider le dialogue sylvo-cynégétique…
M. Didier Guillaume, rapporteur. Exactement !
Mme Bernadette Bourzai. … et à trouver les modes de conciliation des intérêts tant des chasseurs que des forestiers. Jean-Jacques Mirassou et Philippe Leroy ont œuvré à ce compromis, et je tiens à les en remercier.
Le groupe socialiste a ainsi introduit des dispositions créant une instance de dialogue : un comité paritaire composé de représentants des propriétaires forestiers et des chasseurs, rattaché à chaque commission régionale de la forêt et du bois. Ce comité devra élaborer chaque année un programme d’actions permettant de favoriser l’établissement d’un équilibre sylvo-cynégétique dans les régions les plus affectées par les dégâts de gros gibier.
Par ailleurs, l’adoption de plusieurs amendements portés par les sénateurs socialistes a permis d’assurer la représentation des fédérations de chasseurs au sein des CDPENAF, du conseil d’administration des SAFER et de la commission régionale de la forêt et du bois et limité la responsabilité des chasseurs sur le plan sanitaire aux espèces de gibier dont la chasse est autorisée.
Tout cela va dans le sens d’une gestion durable et « pacifiée ». Mais il faut aussi répondre aux enjeux économiques et permettre à la France de mieux valoriser son potentiel forestier. L’aspect économique constitue effectivement un enjeu majeur, car, comme le rapporteur Philippe Leroy l’a souligné, la forêt française est la troisième forêt européenne et, malgré cela, la balance commerciale de la filière bois est déficitaire de 6 milliards d’euros. Aussi l’instauration dans la loi, dans un objectif de rééquilibrage, du fonds stratégique de la forêt et du bois représente-t-elle une avancée fondamentale, ce fonds constituant le point de départ de toute politique forestière.
C’est pourquoi, à l’instar du rapporteur Philippe Leroy, je plaiderai pour qu’une solution garantissant à long terme le financement de l’investissement forestier soit trouvée, l’Assemblée nationale ayant supprimé le compte d’affectation spéciale que nous avions adopté. Nous voulons être assurés que le fonds stratégique, créé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, sera convenablement doté et abondé pour encourager le reboisement, lequel est en attente dans de nombreux secteurs, voire en déshérence à la suite des différentes tempêtes.
Ce texte marque aussi une étape importante dans la prise en compte des attentes de la société, et le second point de mon intervention portera donc sur le titre III du projet de loi, visant à progresser en matière de santé animale et végétale et de sécurité sanitaire de l’alimentation.
Certaines des orientations retenues dans ce cadre visent à limiter l’utilisation des produits phytosanitaires, mais également à envisager les moyens d’une réduction de l’usage des antibiotiques en élevage. Nous savons tous que l’antibiorésistance progresse dans notre pays et qu’il est nécessaire de lutter contre cette situation, causant 25 000 décès par an dans l’Union européenne.
Les mesures visant à mieux contrôler l’usage des antibiotiques et limiter celui des produits phytosanitaires constituent une avancée réelle, mais je serai un peu plus mesurée sur les exigences introduites en matière de recours aux pesticides. Comme en première lecture, et en accord avec notre collègue Nicole Bonnefoy, qui fut, en 2012, rapporteur de la mission d’information sur les pesticides et leur impact sur l’environnement et la santé, je plaiderai pour des mesures plus ambitieuses encore en matière de réduction de l’utilisation des pesticides et de limitation de leur impact sur l’environnement et les riverains.
Le projet de loi tend à promouvoir des méthodes alternatives, notamment le biocontrôle. Je tiens à en féliciter M. le ministre de l’agriculture, qui a pris l’initiative de réunir au printemps les professionnels concernés par ce secteur, afin de lancer une dynamique porteuse d’innovation, de développement et d’emplois. Sur ce sujet, je me réjouis particulièrement des dispositions, validées à l’Assemblée nationale, visant à sécuriser l’utilisation des préparations naturelles peu préoccupantes, dites PNPP.
Dans le rapport de la mission précédemment citée, le Senat avait plaidé pour l’utilisation et le développement de ces PNPP. On ne peut que se féliciter que ce travail collectif et constructif ait permis de sortir par le haut d’une situation en apparence bloquée, dont dépendait la mise en œuvre de pratiques alternatives sécurisées et accessibles à tous, particulièrement dans certains secteurs à l’économie fragile, dont le maraîchage, l’horticulture et d’autres encore.
En ce début de seconde lecture, je souhaite que nous ayons des débats riches et constructifs, à l’image de ce qu’ils ont été jusqu’à présent, et que nous maintenions l’objectif de permettre à notre agriculture de remplir ses missions d’alimentation, de production et de durabilité. II en résultera, j’en suis persuadée, quelques améliorations, et le texte issu des travaux du Sénat sera encore renforcé. Cela donnera au ministre de l’agriculture toutes les assurances pour conduire sa mise en œuvre et redonner à notre agriculture et à nos agriculteurs confiance en l’avenir. Moi aussi, monsieur Lenoir, je fréquente les comices agricoles et, dans ce cadre, je tente d’apporter des réponses positives aux questions qui me sont posées, y compris en m’appuyant sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt !
M. Didier Guillaume, rapporteur. Très bien !
Mme Bernadette Bourzai. Madame la secrétaire d’État, vous pouvez donc compter, tout comme M. le ministre de l’agriculture, sur le soutien du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de mêler ma voix à celle de mes collègues qui ont précédemment adressé un message de sympathie et de prompt rétablissement au ministre de l’agriculture, M. Stéphane Le Foll.
Le hasard a permis votre présence parmi nous ce soir, madame la secrétaire d’État, mais vous êtes tout à fait à votre place. En effet, parmi les différents dossiers dont vous avez la charge, se trouvent ceux du commerce et de la consommation. Or, comme un certain nombre de nos collègues précédemment, nous avons quelques messages à vous délivrer sur ces sujets.
Le projet de loi d’avenir que vous nous invitez à examiner en seconde lecture au Sénat, ce soir, appelle de ma part un certain nombre de commentaires.
Tout d’abord, ce texte est clairement orienté vers des préoccupations que je considère plutôt franco-françaises et n’appréhende l’avenir qu’au travers du prisme de ses fonctions environnementales et sociétales.
Répond-il aux défis du futur traité transatlantique ? Non ! Or, du côté américain, on s’est doté avec le farm bill d’une force de frappe économique importante, fondée sur une garantie de revenus face aux aléas climatiques, sanitaires ou liés à la volatilité des prix.
Répond-il à la baisse tendancielle des fonds communautaires ? Non ! La politique agricole commune, à mon grand regret d’ailleurs, fédère de moins en moins les différents États membres.
Répond-il à la fluctuation des revenus de nombreux agriculteurs français ? Non ! Ces revenus sont directement impactés par les aléas climatiques, sanitaires ou géopolitiques, auxquels ils sont pourtant régulièrement confrontés, et subissent les conséquences des rapports difficiles entretenus avec la grande distribution. Cette dernière n’a pas compris que sa pérennité repose également sur celle des producteurs et des transformateurs. Les uns comme les autres doivent dégager des marges financières pour pouvoir se restructurer et évoluer. À ce propos, le cas de l’Allemagne est souvent cité : au cours des huit ou dix derniers mois, ce pays a effectivement accepté une progression de près de 9 % du prix du lait, évolution rendue possible par une pratique de la concertation, qui, même entre producteurs, transformateurs et grande distribution, s’opère avec une certaine harmonie.
Le projet de loi d’avenir n’a donc d’avenir que le nom ! Il ne prépare pas l’agriculture française aux grands défis de demain, et je le déplore.
Lors de l’examen de la nouvelle politique agricole commune, telle qu’elle nous était parvenue de Bruxelles après le vote du Parlement européen, j’avais dénoncé une dérive identique au niveau de la politique européenne. L’Europe est à contre-courant des stratégies agricoles déployées outre-Atlantique. Les pays de cette zone seront donc beaucoup mieux armés qu’elle ne le sera pour profiter de la future augmentation de la demande alimentaire mondiale. Alors que la demande en protéines végétales et animales va croissant à l’aube de ce XXIe siècle, l’Europe et la France ne participeront que marginalement à cette évolution.
J’avais imaginé que notre pays, au lendemain du vote de cette politique agricole commune et grâce à ce projet de loi d’avenir, aurait pu redevenir le « fer de lance » de l’agriculture européenne. Malheureusement, il s’est fait distancer par les Pays-Bas et par l’Allemagne, et ses industries agroalimentaires sont directement menacées par un déficit de restructuration. Certaines d’entre elles, notamment dans la filière des viandes blanches, sont très fragiles. Je vous concède, madame la secrétaire d’État, que nous ne sommes pas parvenus à ce résultat en un jour. Soyons honnêtes ! Mais la situation s’aggrave de jour en jour...
Il ne reste plus aux agriculteurs qu’à subir sur le terrain une administration plus « tatillonne » que jamais, des exigences « environnementalistes » toujours plus lourdes et sans contrepartie financière et une difficulté croissante à obtenir un partage équitable de la valeur ajoutée face à une grande distribution dont l’avidité en termes de profits est sans cesse plus grande.
Face à ces dérives, je ne vois pas de volonté politique forte pour « produire plus et mieux », comme M. le ministre de l’agriculture l’avait pourtant annoncé, le 27 mai dernier, lors d’une session du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire. Cet engagement, je l’avoue, m’avait rassuré et avait rassuré ma famille politique.
Produire plus et mieux est pourtant la seule voie possible, car l’acte de production a pour corollaire la transformation, au sein de nos PME, de nos grandes entreprises de l’agroalimentaire, qui animent et structurent nos territoires ruraux. Malheureusement, à leur tour, je le déplore, ces entreprises se fragilisent, parce qu’elles ne dégagent plus suffisamment de marges pour pouvoir se moderniser, à l’image des entreprises de transformation agroalimentaire des autres pays de l’Union européenne.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi quatre dernières remarques.
Le GIEE est une mesure sympathique s’il en est. Je crains toutefois que ce concept ne soit pas à la hauteur des enjeux et, pis encore, qu’il soit source de complication administrative supplémentaire. Ce n’est sans doute pas la volonté du législateur, ni celle des rapporteurs de ce texte, mais il faut admettre que les agriculteurs sont soumis à une complexité administrative croissante qui les décourage.
Le transfert à l’ANSES de la compétence de délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires et des matières fertilisantes est à mon sens irrationnel ; je me suis déjà exprimé sur ce sujet en première lecture. Je considère en effet que les fonctions d’expertise et de délivrance doivent être clairement séparées. Les plus anciens parmi nous se souviennent des débats qui avaient été initiés par nos collègues Claude Huriet et Charles Descours en copiant un petit peu ce qui avait été fait autrefois par la Food and Drug Administration. Je regrette que nous nous soyons un peu éloignés de cette architecture. Nous verrons comment cela fonctionnera dans l’avenir…
La modification du code civil en vue d’y intégrer le statut de l’animal, classé actuellement par le code rural et le code pénal comme un « être vivant et sensible », serait un geste « loin d’être banal et anodin », pour reprendre l’expression de la garde des sceaux, qui souligne également que « le statut de l’animal a son poids, sa signification et surtout ses conséquences ».
Madame la secrétaire d’État, ces conséquences seraient dévastatrices dans les filières d’élevage et ouvriraient la porte à tous les contentieux qu’un juge pourra engager en donnant libre cours à tous les fantasmes ou interdits. Je m’étonne qu’un ancien ministre de l’agriculture, remarquablement intelligent, fin et pertinent, se soit prêté à cet exercice sans en mesurer pleinement les dérives juridiques potentielles.