M. Jacques Mézard. Monsieur le Premier ministre, je tiens en premier lieu à vous remercier au nom de mon groupe d’avoir participé à l’éloge que vient de rendre le Sénat à notre regretté collègue et ami Christian Bourquin.
Le plus bel hommage que nous pouvons rendre au président Bourquin, c’est, en nous souvenant du combat qu’il menait encore ici même en juillet lors des questions d’actualité et dans sa chère région, de voter le rejet de la fusion de Languedoc-Roussillon avec Midi-Pyrénées. Tout ce qu’il a exprimé avec tant de conviction et tant d’arguments économiques, géographiques, historiques, nous le partageons. Nous savons que Montpellier et Toulouse sont deux capitales régionales construites par de nombreux siècles, beaucoup de souffrances mais aussi d’expériences, et que l’une ne saurait effacer l’autre.
Lors de la réunion de la commission spéciale il y a quelques jours, le Sénat a entendu le message du président Bourquin et de la quasi-unanimité de son conseil régional. Il vous appartient d’entendre le message du Sénat et de restaurer le Languedoc-Roussillon dans sa plénitude.
Vous nous avez dit – j’ai entendu votre discours avec intérêt – qu’il fallait que nous travaillions ensemble pour améliorer ce texte. Je regrette donc qu’il y ait quelques minutes à peine, le Gouvernement ait déposé un amendement, que j’ai ici, visant à revenir strictement à la carte des régions votée par l’Assemblée nationale. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Le Gouvernement est à l’écoute…
M. Jacques Mézard. Cela limite tout de même considérablement la possibilité de dialogue et de débat.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jacques Mézard. « Réformer », il n’est de gouvernement ou de candidat à la gouvernance qui n’use et n’abuse de ce verbe, dont le dictionnaire, mes chers collègues, donne une définition que nous pourrions méditer : « Rétablir dans sa forme primitive une règle qui s’est corrompue ». (Sourires.)
En fait, les mutations technologiques, sociologiques, économiques que nos sociétés connaissent ces dernières décennies imposent des évolutions législatives plus rapides dans de nombreux domaines. Nous en sommes les premiers convaincus. De là à modifier l’architecture des collectivités locales et les systèmes électoraux après chaque alternance – donc, tous les cinq ans – il y a un fossé... Pour nous, une réforme n’a de sens que si elle améliore la situation existante. Est-ce le cas de la réforme territoriale que vous nous proposez, monsieur le Premier ministre ? Nous ne le croyons pas, et chaque semaine qui passe nous confirme dans cette appréciation.
Manifestement, les gouvernements successifs ne font pas confiance à l’intelligence territoriale : le rapport Belot ne prévoyait aucunement le conseiller territorial ; le rapport Raffarin-Krattinger ne pouvait sérieusement être le précurseur des deux projets de loi validés le 19 juin dernier par le conseil des ministres.
Depuis deux ans, et plus d’ailleurs, quel salmigondis de textes mal préparés, parfois contradictoires ! L’exemple malheureux du rétablissement de la clause générale de compétence, puis de sa suppression (Eh oui ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.), n’était qu’une péripétie d’un ensemble où personne, et surtout pas un élu local, n’y trouve cohérence ou vision d’ensemble.
M. Alain Fouché. Absolument !
M. Jacques Mézard. Un jour blanc, un jour noir pour une réforme tout en gris, un chemin chaotique vers des lendemains instables…
Mme Fabienne Keller. Bravo !
M. Jacques Mézard. Je n’ai strictement rien à retrancher à ce que je disais à cette même tribune le 3 juillet dernier. Nous avions raison de considérer que ce projet de loi ne reposait pas sur une véritable étude d’impact, qu’il n’était le produit d’aucune concertation, d’aucune consultation des collectivités régionales concernées,...
M. Roger Karoutchi. Il ne reposait sur rien !
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. ... dont plusieurs, bien que très majoritairement dirigées par vos proches, ont exprimé très fortement leur opposition.
Comment comprendre la finalité réelle de ces projets quand on les compare – je l’ai fait ces derniers mois – aux discours du Président de la République avant et après son élection – j’y étais – et à vos déclarations ici même lorsque, ministre de l’intérieur, vous défendiez devant nous le projet du binôme. Je vous cite : « Certains continuent de croire que moderniser la vie politique locale, c’est supprimer un échelon. » (Rires sur les travées de l'UMP.) Vous poursuiviez : « Le département est un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence. […] on n’améliore pas l’efficacité des politiques publiques en éloignant les citoyens des décisions ». (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
M. Roger Karoutchi. Parfait !
M. Jacques Mézard. Commencer par découper des régions avant de parler des compétences des collectivités et de leurs ressources, c’est surréaliste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Pourtant, c’est ce que vous faites. Or on ne peut impunément découper les régions comme la France découpait ses colonies sur la base des ego de « grands élus » selon l’arbitraire de l’exécutif,…
M. Michel Bouvard. Ça, c’est vrai !
M. Jacques Mézard. … petites régions au Nord, grandes régions au Sud. Faut-il pour l’exemple rappeler les déclarations du maire de Tulle indiquant lors de sa campagne sénatoriale comment il avait obtenu du Président de la République le changement de région du Limousin vers l’Aquitaine ? Le maire de Tulle peut obtenir le changement de région, pas le président de l’agglomération d’Aurillac… (Mlle Sophie Joissains s’esclaffe.)
Je vous ferai grâce des déclarations sur le terrain de nombre de nos collègues candidats aux élections sénatoriales, toujours adeptes du cumul et détracteurs de votre réforme territoriale. Dans le Limousin, par exemple, c’est exemplaire… Néanmoins, vérité sur le terrain n’est pas forcément vérité à Paris !
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Une carte régionale déconnectée des grands bassins de vie, des flux économiques, démographiques, ce peut-être le retour – cela commence – des irrédentismes régionaux au mépris de la construction de la nation…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. … et l’aggravation des inégalités territoriales.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Jacques Mézard. Nous avons été nombreux dans cet hémicycle à partager les conclusions du rapport Raffarin-Krattinger, qui n’ont que peu de choses en commun avec les deux projets de loi, ce qu’a d’ailleurs confirmé avec force notre ancien collègue Yves Krattinger en juillet à la commission spéciale.
Ce rapport, en dix axes, vise à redessiner la carte des régions en huit à dix régions dotées de compétences stratégiques, à donner un nouvel avenir au département, avec un espace adapté à l’expression démocratique de la ruralité et un espace fédérateur des intercommunalités, à garantir la présence de l’État avec une répartition plus claire des compétences État-collectivités, à rendre obligatoire un schéma d’accessibilité des territoires, notamment les plus enclavés, aux services publics...
On est loin de ces objectifs ! On pouvait penser que ce projet de loi avait pour objet de trouver les économies nécessaires au respect des critères imposés par l’Europe. M. le secrétaire d’État avait annoncé rapidement de très grandes économies.
M. Roger Karoutchi. Dix milliards !
M. Jacques Mézard. Aujourd’hui, on nous dit qu’elles viendront dans un avenir indéterminé. En outre, vous le savez bien, le meilleur moyen de pousser les collectivités à des économies de gestion, c’est de couper leurs dotations,…
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jacques Mézard. … en leur supprimant, en 2017, 6 % de leurs recettes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe CRC.) Je ne dis pas que c’est mal, c’est juste un constat.
Notre désaccord porte autant sur la méthode que sur le fond. C’est d’autant plus regrettable qu’il existe une grande majorité d’élus pour moderniser l’organisation territoriale autour de grands thèmes : simplification et clarification des compétences avec la suppression de la clause générale de compétence ; développement de l’intercommunalité avec contrainte et bonification financière lorsqu’il y a mutualisation ; bonification pour la création de communes nouvelles – voilà l’avenir – ; diminution et suppression de nombre de structures interstitielles : les pays, beaucoup de syndicats mixtes, d’agences, d’associations parapubliques ; enfin, diminution des normes, qui sont insupportables pour les collectivités – vous l’avez souvent dit, à juste titre, mais il ne suffit pas de le dire, il faut le faire.
M. Jean-François Husson. Voilà !
M. Jacques Mézard. Il existe encore des contre-exemples comme de nouvelles obligations inscrites dans la loi ALUR pour la création du schéma de cohérence territoriale, le SCOT... Les maires n’en peuvent plus – nous l’avons vécu lors de ces élections sénatoriales – de recevoir sans fin des courriers de l’État leur imposant constamment de nouvelles contraintes alors qu’ils ont d’abord besoin d’assistance dans leur mission. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC, de l’UMP et du groupe CRC.)
Je dirai un mot des territoires dits ruraux, expression ambiguë, car il est des territoires ruraux riches et d’autres fragiles de par leur éloignement des centres de décision,…
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jacques Mézard. … des pôles économiques, de par leur démographie déclinante et vieillissante. Ces projets de loi vont – je me trompe peut-être, monsieur le Premier ministre – accentuer ce déséquilibre territorial, cette fracture.
Comment voulez-vous que ces territoires soient entendus dans de grandes régions alors que, pour certains, ils n’auront que deux conseillers régionaux sur 150 ou 208 ? Vous vous retranchez derrière la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à tort, comme vous l’avez fait pour le binôme. C’est en tout cas un traitement injuste que vous infligez à ces territoires. Et ce ne sont pas les Assises de la ruralité qui changeront le problème !
M. Éric Doligé. En effet !
M. Jacques Mézard. Faire des états généraux de la démocratie territoriale ou des assises de la ruralité, c’est aussi productif que d’enterrer les problèmes en créant des commissions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.) En outre, c’est bafouer l’expression de sensibilités politiques diverses pourtant consacrée par le texte même de la Constitution. Pour certains territoires comme celui que je représente, nous allons vivre non une fusion, mes chers collègues, mais une annexion (Mlle Sophie Joissains applaudit.) d’autant plus insupportable que la voix de nos deux représentants sera étouffée, au mépris de notre histoire, de la géographie, de la proximité. J’aurai le privilège de représenter le département le plus enclavé de France, tant par rapport à Paris qu’à la future métropole régionale, à onze heures de train et neuf heures de route aller-retour.
De tout cela, je ne saurais vous remercier, et je ne puis que vous adresser du haut de cette tribune une protestation solennelle. Ce texte est mortifère pour le territoire qui est le mien et la sensibilité politique à laquelle je suis profondément lié.
Monsieur le Premier ministre, j’ai respect et estime pour vous (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Roland Courteau. Heureusement !
M. Jacques Mézard. … mais, pour tout cela, je continuerai à combattre votre projet de loi. (Applaudissements prolongés sur les travées du RDSE et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, n’ayant que cinq minutes pour intervenir, j’irai à l’essentiel.
J’ai été obligé de préparer mon intervention, monsieur le Premier ministre, sans savoir ce que vous alliez dire. J’en avais bien une petite idée, mais sait-on jamais : depuis Darwin, nous savons que nous sommes le fruit de l’évolution... (Sourires.)
Le Sénat, en son temps, a voté à l’unanimité le principe des grandes régions. Il semble que, depuis, certains aient pensé que grande région voulait dire deux départements. Je regrette que l’Alsace n’ait pas compris qu’elle pouvait parfaitement réussir sa nouvelle entité tout en étant dans une grande région.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Philippe Adnot. Je me souviens encore des trémolos pour nous attirer dans un grand Est qui justifiait le financement du TGV Est jusqu’à Strasbourg.
Grande région, cela veut dire capacité de gérer les grands dossiers, les grandes infrastructures. Je ne savais pas que les transports scolaires, les routes départementales, la gestion des collèges en faisaient partie. Rendez-vous donc pour le texte sur les compétences des départements.
Il nous reste à vous démontrer que vous faites fausse route et que d’économies, il n’y en aura point, de gabegie, il y en aura sûrement, de favoritisme pour les grands groupes, assurément : tous les grands marchés seront pris par les grandes entreprises, les PME locales de nos territoires ne seront plus que des sous-traitantes.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Philippe Adnot. Monsieur le Premier ministre, il est de bon ton de répéter « réforme, réforme ». Pour autant, cette incantation a-t-elle de la valeur ? En médecine, un bon traitement exige un bon diagnostic. Votre diagnostic est que, pour régler les problèmes budgétaires de la France, il suffit de pressurer les collectivités locales, responsables de tous les maux.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Philippe Adnot. Peut-être que, pour les régions, leur diminution sera efficace si vous arrivez à les cantonner dans des missions qui demandent du recul, de la dimension et l’acceptation d’un principe : la subsidiarité.
Au sujet du département, ce que vous avez proposé, le transfert des routes, des collèges et des transports scolaires, est une fausse piste. Il s’agit là de politique de proximité qui ne créerait aucune économie. On voit bien que ceux qui le proposent n’ont jamais géré de transport scolaire en milieu rural. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
Je vous le dis, quoi que vous fassiez, il y aura toujours autant de TOS, les techniciens, ouvriers et de service, et de budgets de fonctionnement dans les collèges, il y aura toujours autant de kilomètres de voiries départementales, autant d’agents pour entretenir ces routes et autant de distances à parcourir pour rassembler les collégiens.
Pour conclure, je voudrais vous alerter sur le formidable gâchis d’emplois dans le domaine du bâtiment et des travaux publics que vous allez créer.
Les intercommunalités, dans leur diversité, étaient en train de s’organiser à partir de la dernière carte, en fonction de leurs compétences et de leur périmètre. Votre projet – 20 000 habitants minimum – est une folie, car il ne tient pas compte de la diversité de la France, de sa démographie, de sa géographie. Vous devez d’ores et déjà en mesurer les conséquences pour les trois ans qui viennent : plus rien ne sera entrepris, car les communes ne savent plus quelles sont leurs compétences, les intercommunalités ne savent plus avec qui elles vont se regrouper et, je vous le dis, durant cette période, le secteur du BTP connaîtra un arrêt total de son activité et des suppressions d’emplois colossales. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
Monsieur le Premier ministre, vous vous en doutez un peu, puisque vous avez prévu un fonds de soutien pour l’investissement de 450 millions d’euros. Toutefois, ce fonds, vous avez prévu de l’alimenter non par des recettes de l’État, comme cela a été indiqué lors de la discussion à l’Assemblée nationale, mais par la suppression du FDTPT, qui alimente les recettes des communes défavorisées. Voilà qui est original ! On dit qu’on va aider les communes à investir et, pour cela, on supprime ce qui leur revenait à partir des fonds d’écrêtement de la taxe professionnelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Cela résulte du vote d’un amendement du secrétaire d’État chargé du budget. Vous avez en cela renié la parole de l’État qui, lorsqu’il y avait un établissement exceptionnel, par exemple une centrale nucléaire,…
M. Michel Bouvard. Ou un barrage !
M. Philippe Adnot. … devait organiser des retombées positives pour l’ensemble des communes défavorisées d’un département.
C’est grave, très grave ! Je sais que vous avez prévu d’abandonner le nucléaire, mais vous devrez, un jour, démanteler les centrales. Je vous le dis, si ce reniement de la parole de l’État concernant les FDTPT devait perdurer, alors, il vous faudra chercher ailleurs les gogos qui pourraient croire en la parole de l’État. Je vous en parle savamment, car vous avez prévu d’instaurer cela dans notre département.
Je veux croire que vous reviendrez sur ce mauvais coup porté à la parole de l’État. La France a besoin d’autre chose que de ce genre de mesures. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, que j’assure de ma sympathie, pour le groupe UDI-UC.
M. François Zocchetto. Monsieur le Premier ministre, je tiens en premier lieu à saluer votre venue devant notre assemblée. C’est une excellente chose que vous ayez répondu positivement à l’invitation de M. le président Larcher. Pour être directs, nous pensons qu’il aurait fallu venir un peu plus tôt, car je ne suis pas certain que les Français aient réussi à suivre les multiples revirements des derniers mois. Les grands électeurs ont à l’évidence peu apprécié cette confusion. Leur message a été clair : il est grand temps de remettre un peu de perspective et de bon sens dans la démarche !
En second lieu, je dirai que, à l’issue de votre intervention, je ne suis pas certain d’être sorti du brouillard.
Je ne saisis toujours pas vos objectifs. Pour nous, il en est deux, majeurs, qui s’imposent. Le premier est de redonner de la lisibilité à cette organisation territoriale dans laquelle les Français se perdent. Le second est la fameuse question, lancinante, de la réduction du déficit des finances publiques. Où sont ces deux objectifs dans votre projet de loi ?
M. Gérard Longuet. Nulle part !
M. François Zocchetto. Plutôt que de renforcer la lisibilité, ce texte accroît encore la complexité. Vous avez d’ailleurs été assez discret au sujet de cette nouveauté de l’été, qui consisterait à scinder les départements en trois catégories.
M. Gérard Longuet. Première, deuxième et troisième classe…
M. François Zocchetto. Comment avez-vous procédé ? Sur quels critères concrets vous êtes-vous fondé et quelle est la faisabilité constitutionnelle ?
M. Éric Doligé. On ne sait pas !
M. François Zocchetto. Je rappelle qu’il s’agissait, il y a tout juste six mois, de supprimer purement et simplement les conseils départementaux.
Pour ce qui est des économies, permettez-moi de vous le dire, nous sommes dans l’illusionnisme : aucune étude d’impact ne vient démontrer que l’adoption des textes que vous présentez permettra de réduire les dépenses.
Comment esquiver ces réformes une fois de plus ? Vous nous proposez aujourd’hui une fausse réforme structurelle qui consiste à redécouper les régions. On fait croire aux Français qu’en divisant par deux le nombre d’hôtels de région, en diminuant le nombre des élus, supposés trop coûteux, on réalisera des économies spectaculaires.
C’est vrai qu’avec une carte facile à reproduire dans les journaux on fait semblant de réformer tout en laissant sous le tapis les véritables défis qui gênent…
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est bien là le problème !
M. François Zocchetto. Et, quitte à abuser les esprits, vous n’avez pas craint de tomber dans l’incohérence, avec cette stupéfiante manière de découper la réforme en deux textes, en présentant d’abord le contenant et ensuite le contenu ! Peut-être les experts en communication ont-ils constaté qu’il était plus facile de vendre une jolie carte en couleur que de fastidieux transferts de compétences ? (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC.) Je vous le dis, en donnant l’illusion du mouvement et en commençant par ce qu’il y a de plus aguichant, on passe à côté de la véritable réforme.
Nous, centristes, sommes convaincus qu’un minimum de rationalité ne nuit pas à l’action publique. Redécouper les régions avant de décider ce qu’elles devront faire est un non-sens. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l’UMP.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Eh oui !
M. François Zocchetto. Votre démarche s’apparente à celle d’un architecte qui commencerait à construire un bâtiment sans savoir ce que ses clients veulent en faire.
M. Roger Karoutchi. On fait le toit en premier !
M. François Zocchetto. Avouez que les risques de déboires sont élevés.
Ce faisant, vous nous placez face à une alternative pénible. Soit nous nous rebellons contre la méthode : dans ce cas, la majorité socialiste à l’Assemblée nationale, même réduite, fera seule le texte, et vous en profiterez pour décrire le Sénat comme une assemblée d’inénarrables conservateurs.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. François Zocchetto. Soit nous tentons de limiter les dégâts – c’est ce que nous allons faire, en votant un texte amendé –, mais, dès lors, vous tenterez de faire de nous les complices de cette réforme à l’envers.
Dans ce difficile exercice, à travers les débats, nous allons tenter de surmonter l’obstacle.
C’est sans doute tactiquement bien joué pour vous, mais c’est dommage pour notre pays. En effet – vous l’avez dit vous-même en concluant votre propos –, cette réforme ne mérite pas un combat caricatural et, vous le savez, nous souhaitons ardemment avancer sur ce dossier. Nous en avons terriblement besoin.
Puisqu’il est question de besoins, puisque nous voulons faire des économies, j’ai quelques suggestions à vous adresser. Pour économiser, par exemple, 200 millions d’euros dès l’année prochaine,…
M. Roland Courteau. Ah !
M. François Zocchetto. … rétablissez le jour de carence dans la fonction publique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme Cécile Cukierman. Supprimez plutôt le CICE !
M. François Zocchetto. J’y ajoute une autre suggestion, qui représente, elle, plusieurs milliards d’euros : revenez aux 39 heures dans la sphère non marchande ! (Mêmes mouvements.)
M. Dominique Watrin. Et aussi la retraite à soixante-dix ans !
M. François Zocchetto. Troisième suggestion : assouplissez le statut de la fonction publique territoriale ! Avons-nous besoin d’un régime ultraverrouillé, identique à celui qui protège les agents des impôts ou les magistrats, pour un ingénieur territorial ou un gardien de musée municipal ? Si vous pensez que tel n’est pas le cas, s’il vous plaît, donnez de l’oxygène aux collectivités territoriales, laissez-les respirer ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
J’en reviens à notre vision de l’architecture territoriale.
Chacun, dans cette assemblée, connaît notre attachement à la décentralisation. Je le réaffirme, nous sommes favorables à une poursuite de la réforme des collectivités. En dépit de ses imperfections, la loi de décembre 2010 a permis de nombreuses avancées. Tout le monde le reconnaît maintenant. Mais ce texte n’a jamais eu vocation à clore le débat.
Nous sommes pour la réforme. Oui, il faut s’attaquer au millefeuille territorial ! À cet égard, nous prônons une carte comptant un nombre réduit de régions, entre huit et dix, disposant de compétences stratégiques et s’appuyant sur un département profondément rénové. Ce modèle, le Sénat le connaît bien, puisque c’est celui qu’ont défendu ici même nos collègues Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin.
M. Daniel Dubois. Tout à fait !
M. François Zocchetto. D’ailleurs, vous avez présenté à plusieurs reprises votre réforme en vous appuyant sur leur rapport.
M. Alain Gournac. Oh !
M. François Zocchetto. Toutefois, vous avez oublié un aspect fondamental : de grandes régions ne seront efficaces que si elles sont assorties d’un échelon départemental,…
M. Didier Guillaume. Le Premier ministre l’a dit !
M. François Zocchetto. … à l’exception, nous en convenons, des aires urbaines très denses.
Nous pensons également que, dans un État unitaire décentralisé, un pouvoir d’adaptation doit s’exercer au niveau local. Nous militons donc pour l’adoption de lois-cadres autorisant l’exercice d’un pouvoir réglementaire décentralisé. À nos yeux, il s’agit d’un excellent moyen de maîtriser la dépense publique.
Par exemple, essayons de décliner un principe nouveau concernant le revenu de solidarité active. Pourquoi le montant du RSA serait-il le même en Lozère ou en Mayenne et à Paris ? Puisque vous nous avez dit que l’universalité n’était pas l’uniformité, essayons de réfléchir un peu plus loin.
Mme Évelyne Didier. Bref, s’en prendre aux fonctionnaires et aux chômeurs !
M. François Zocchetto. Laissez aux conseils départementaux volontaires la capacité de tenir compte de l’adaptation nécessaire.
Enfin, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur le nombre de communes, et vous l’avez dit.
Oui, la commune doit rester l’échelon de base dans notre organisation territoriale ! Mais cela ne signifie pas qu’il soit satisfaisant de conserver des communes comptant quarante, trente ou vingt habitants, parfois moins. Au niveau communal comme pour les échelons supérieurs, le principe de base doit être le même : inciter les élus à proposer la modernisation et la rationalisation de leurs collectivités. En un mot : faites confiance aux élus ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. François Zocchetto. Nous devons être ici, en tant que législateurs, des facilitateurs de ces évolutions imaginées au niveau local. Une réforme territoriale qui fonctionne, ce n’est pas et ce ne sera jamais une réforme imposée depuis Paris. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Mlle Sophie Joissains. Bravo !
M. François Zocchetto. À cet égard, je citerai brièvement l’exemple d’une mauvaise initiative : les dispositions législatives relatives à la métropole d’Aix-Marseille-Provence, votées par le Parlement avant la réalisation de l’étude d’impact et sans concertation avec les élus locaux.
Mlle Sophie Joissains. Eh oui !
M. François Zocchetto. Les communes des Bouches-du-Rhône ont conçu un projet équivalent à celui de l’Île-de-France, et elles demandent à être entendues comme le sont celles du Grand Paris.
Mlle Sophie Joissains. Très bien !
M. Philippe Dallier. Ah ça…
M. François Zocchetto. Nous devons proposer des solutions innovantes en matière de fusion de communes.
M. Roger Karoutchi. Très bien !