M. François Zocchetto. Depuis la loi de 2010, treize fusions de communes ont été réalisées. Cela signifie que treize communes nouvelles sont nées. Ce bilan est trop modeste : nous devons continuer. La proposition de loi déposée par Jacques Pélissard doit permettre aux élus de saisir plus facilement cette opportunité.
Il y va de même à l’échelle départementale : dans notre conception, si les conseils départementaux veulent fusionner, nous devons faciliter ces rapprochements, grâce à un cadre législatif souple.
Dans un autre domaine, vous nous proposez de remettre à plat la carte de l’intercommunalité. L’article 14 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République propose – je cite l’exposé des motifs – « une nouvelle orientation de la rationalisation de la carte intercommunale resserrée autour des bassins de vie ». Cette notion de bassin de vie, entendue comme élément structurant de l’intercommunalité, nous y sommes favorables. Le problème, c’est que cet article 14 ne s’arrête pas là : il implique surtout une augmentation de la taille minimale des intercommunalités, de 5 000 à 20 000 habitants.
Monsieur le Premier ministre, nous avons bien entendu l’appréciation très nuancée que vous avez émise il y a quelques instants, et nous serons très vigilants, car nous sommes fermement opposés à une application généralisée de ces seuils de 20 000 habitants. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Bravo !
M. François Zocchetto. En la matière également, universalité ne signifie pas uniformité.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Mais c’est ce qu’a dit le Premier ministre !
M. François Zocchetto. Oui à des intercommunalités fortes et spatialement cohérentes, non à des rassemblements artificiels sur la base du seul critère des 20 000 habitants !
Je conclurai en évoquant le calendrier électoral.
Quelle confusion en la matière ! Autant d’atermoiements sur un sujet aussi important, ce n’est pas sérieux.
Monsieur le Premier ministre, vous avez été élu local, et je crois que vous le savez au fond de vous : on ne peut pas gérer des collectivités avec des calendriers chaque jour modifiés. Pensez-vous que l’on puisse rendre confiance aux citoyens et aux électeurs en procédant ainsi ?
Si j’ai bien suivi, les élections départementales auront finalement lieu en mars 2015. Soit ! Nous en prenons acte. Cependant, je me permettrai une remarque : si nous voulons des conseils départementaux qui fonctionnent normalement, il faut que le mandat de leurs membres atteigne l’échéance des six ans, c’est-à-dire qu’il dure jusqu’à l’année 2021. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. François Zocchetto. Il n’est pas concevable que ce mandat subisse une exception.
En venant vous exprimer devant le Sénat, vous rendez hommage au travail de notre assemblée, et notamment à celui qui va s’accomplir au cours des mois à venir. Le Sénat est le représentant constitutionnel de nos collectivités territoriales, et il entend pleinement jouer ce rôle. Nous voulons, avec sa nouvelle majorité, rendre toute sa force à la voix du Sénat.
Chers collègues, le Sénat doit apporter de nouveau sa plus-value et son expertise. Celle-ci est notamment assurée par des élus enracinés dans leur territoire, et elle se traduit, lors du vote de divers textes, par la confrontation de sa vision et de celle de l’Assemblée nationale.
Évidemment, monsieur le Premier ministre, ce Sénat-là, celui des élus enracinés dans leur territoire, nous avons bien compris que vous n’en vouliez plus,…
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
M. François Zocchetto. … et ce depuis la loi relative au non-cumul des mandats, laquelle est également applicable au Sénat. Nous le regrettons, mais nous continuerons, tant que c’est encore possible, à défendre notre vision des territoires et à porter la voix de leurs élus. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe UMP.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d’ouvrir mon propos en saluant l’initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, qui a invité le Premier ministre à remettre en perspective cette réforme. Je remercie également le Premier ministre d’avoir accepté cette invitation ; j’espère qu’il ne le regrette pas… (Rires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Roger Karoutchi. Pas encore !
M. Bruno Retailleau. Cette remise en perspective était doublement nécessaire : d’abord, parce que tous, qui que nous soyons, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes désireux de replacer le Sénat au cœur de cette réforme ; ensuite, et plus encore, parce que ce travail était nécessaire pour sortir de la confusion. En effet, cette réforme est née dans la panique après les dernières élections municipales et elle est marquée du double sceau de l’improvisation et de la contradiction.
M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !
M. Bruno Retailleau. Une carte régionale dessinée sur un coin de table, des économies que l’on proclame sans jamais en fournir la moindre justification – et pour cause ! –,…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Exact !
M. Bruno Retailleau. … voilà pour l’improvisation. S’y ajoutent les contradictions : on a commencé avec le discours prononcé par le Président de la République, en Corrèze, par lequel il proclamait son amour pour les départements – et je ne parle pas de l’engagement n° 54, énoncé au cours de la campagne présidentielle ! – ; on a poursuivi par la suppression des départements, pour arriver, désormais, à un département à trois vitesses. Où est la logique ? J’ajoute que, pendant tout le temps au cours duquel on débattait d’une suppression des départements, se poursuivait le grand remembrement, le grand redécoupage de tous les cantons de France.
Il fallait sortir de cette improvisation et de ces contradictions. Au reste, j’en suis persuadé, cette confusion a été sanctionnée dans les urnes, le 28 septembre dernier.
M. Éric Doligé. Et ce n’est pas fini !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, est-ce à dire qu’aujourd’hui on ne doit rien faire ? Est-ce à dire qu’aujourd’hui la nouvelle majorité sénatoriale doit se présenter devant vous totalement bloquée dans une posture pavlovienne de l’opposition ? Tel n’est pas notre état d’esprit. Nous voulons que le Sénat puisse imprimer sa marque, mais pas à n’importe quel prix. Les conditions que nous fixons sont au nombre de deux.
La première est que nous ne nous contenterons pas de paroles. Les amendements que j’ai examinés, notamment ceux qui ont pour objet la carte régionale, ont produit sur moi le même effet que sur notre collègue Jacques Mézard. Pourtant, je vous ai entendu affirmer votre volonté de dialogue. Vous dites ne pas souhaiter la confrontation, mais si vous escomptez seulement entendre cette assemblée débattre sans retenir aucun de nos amendements, vous serez confronté, croyez-moi, à un Sénat de combat ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Notre feuille de route, c’est le rapport Krattinger-Raffarin, avec toute sa logique et l’ensemble des conséquences qu’il emporte. N’essayez pas de nous le vendre à la découpe !
Notre ouverture est subordonnée à une deuxième condition : il vous revient non seulement de donner du sens à ce projet, mais aussi de l’inscrire dans une vision. Vous avez commencé à le faire, même si c’est encore imparfait. Vous devrez donc trancher, non seulement dans le discours mais aussi dans les actes.
Ce projet de loi souffre de plusieurs contradictions fondamentales. Tend-il à la recentralisation ou à la décentralisation ? Vous avez évoqué l’histoire de France, revenons-y. La France, c’est l’obsession de l’unité : unité capétienne, unité impériale, unité de la République, une et indivisible. Au fil du temps, pourtant, il est apparu que, dans un effort permanent de synthèse entre unité et diversité, l’unité nationale exigeait une forme de respiration territoriale : les provinces sous l’Ancien Régime, les communes et les départements sous la République.
Cette perspective historique multiséculaire a produit une vision politique, qui ne date pas des trente dernières années. Dès le XIXe siècle, les grandes lois de liberté communale et départementale en ont été le fruit. Pensons également au dessein du général de Gaulle dans sa tentative de régionalisation, définissant les régions comme la puissance économique de demain.
Monsieur le Premier ministre, vous avez cité François Mitterrand. Pourtant, vous nous proposez une rupture, un recul, au regard de son héritage.
M. Didier Guillaume. C’était il y a trente ans !
M. Bruno Retailleau. C’était le cas, au moins, jusqu’à votre dernier discours, dont je ne sais s’il marque un énième virage ou une véritable inflexion. Le texte qui nous est présenté, jusqu’à maintenant, est un texte de recentralisation. Celle-ci apparaît d’abord dans la méthode, puisque la carte, dans laquelle l’Île-de-France n’était pas modifiée,…
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. … a été dessinée non pas avec les provinciaux mais bien avec les féodaux !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Son tracé est intervenu, en outre, avant même que ne s’engage la réflexion sur les compétences. C’était une grave erreur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Vous avez ainsi pris le risque d’ouvrir la boîte de Pandore, de déconnecter les communautés d’appartenance, tournées vers les héritages historiques, plutôt que de favoriser les communautés de projet et de destin, tendues vers l’avenir.
M. Jérôme Bignon. Absolument !
M. Bruno Retailleau. Au final, vous avez renforcé le communautarisme territorial.
À cette recentralisation dans la forme s’ajoute une recentralisation sur le fond : en sus du jacobinisme parisien, vous introduisez un nouveau jacobinisme régional. De grandes régions qui absorbent toutes les compétences, y compris celles de proximité exercées par les départements, des schémas prescriptifs qui s’imposent en cascade à toutes les autres collectivités : voilà également une forme de recentralisation.
M. Christian Cambon. Eh oui !
M. Bruno Retailleau. Je m’interroge ainsi quand je lis, dans un quotidien régional, que le président de l’Association des régions de France, l’ARF, dit avoir honte à chaque fois qu’il intervient avant le préfet de région. Mais où est-on ? La France n’est pas un pays de tradition fédérale ! (MM. Jacques Mézard et Michel Mercier opinent.) C’est pourquoi mon groupe s’opposera toujours aux tentatives de démembrement dissimulées derrière un régionalisme plus ou moins assumé.
La République française est une et indivisible. Nous sommes une communauté nationale ! Si nous acceptons les grandes régions, c’est à la condition que les compétences soient justement partagées, faute de quoi nous risquerions de créer des mammouths.
Vous avez dit tout à l'heure, avant même d’évoquer le sort des départements, que vous entendiez renforcer le rôle de l’État à cet échelon, confortant ainsi les déclarations de votre ministre de l’intérieur dans un quotidien du soir, sur la place des préfets. C’est là encore un signe de recentralisation.
Cela étant, en évoquant le deuxième projet de loi, vous avez enfin ouvert une porte sur l’emploi et l’économie. Toutefois, jusqu'à présent, vous n’avez remis en cause aucun des grands doublons existant aux niveaux régional et départemental. Je pourrais pourtant vous présenter une longue liste de domaines dans lesquels l’État est le doublonneur en chef : aides à la pierre, logement, économie, emploi, eau, etc. Il est stupéfiant d’entendre aujourd’hui ce doublonneur en chef reprocher leurs doublons aux collectivités. Avant une telle mise en cause, il faudrait remettre un peu d’ordre dans les compétences de l’État ! (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
Monsieur le Premier ministre, en vous montrant jusqu’à présent incapable de penser conjointement la réforme territoriale et la réforme de l’État, vous vous trouvez impuissant à réaliser le moindre euro d’économie, et vous condamnez toute véritable réforme de l’État.
Dès le deuxième projet de loi, nous vous proposerons une répartition adaptée des compétences entre les régions, les départements, les communes et les intercommunalités. Nous souhaitons en outre recevoir une information claire sur les compétences de l’État susceptibles d’être transférées. Ainsi, ce texte pourra être conforme au grand mouvement de décentralisation que notre pays, vous l’avez rappelé, connaît depuis plusieurs dizaines d’années. Permettez-moi de vous rappeler cette superbe phrase de Lamennais : « La centralisation, c’est l’apoplexie au centre et la paralysie dans les extrémités ». C’est là, selon moi, le cœur du débat.
Si nous préférons la décentralisation à la recentralisation, c’est parce que nous préférons la proximité à l’éloignement. Or la réforme que vous portez depuis des mois prévoit de grandes régions emportant l’effacement des départements et de grandes intercommunalités entraînant, après-demain, voire dès demain, l’affaiblissement des communes. Une telle bureaucratisation de la France ne peut pas fonctionner. De grandes administrations régionales concentrant toutes les administrations départementales seraient lourdes de milliers et de milliers d’agents territoriaux. Ce n’est pas ce que nous souhaitons. En outre, cette déterritorialisation ne saurait participer de la solution que nécessitent les trois grandes crises françaises.
La première est celle de la démocratie nationale, qui fonctionne mal. Les Français perdent confiance en leurs élus, mais maintiennent le lien avec leurs représentants locaux. Or vous avez oublié la dimension humaine de cette réforme, et cette simple loi : une institution proche est aimée, quand une institution lointaine est crainte. La démocratie nationale se reconstruira donc par la démocratie locale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) En affaiblissant les liens entre les citoyens et leurs élus, vous ne parviendrez pas à revigorer la démocratie nationale. C’est la grande leçon que nous ont léguée les Grecs : leur jeune démocratie était imparfaite, mais elle est née dans un espace à taille humaine, la cité.
La deuxième crise est la fracture territoriale, que vous avez évoquée. Je suis un lecteur de Christophe Guilluy. Les métropoles en prise avec la mondialisation sont importantes, et nous avons souhaité les conforter. Toutefois, il existe également une France périphérique, la France invisible des oubliés, la France des fragilités sociales, une France qui se sent abandonnée.
Mme Éliane Assassi. Vous l’avez oubliée pendant des années !
M. Bruno Retailleau. En supprimant les départements, qui assurent la cohésion territoriale, vous renforcerez le sentiment d’abandon de cette partie du pays. Et ne nous demandez pas d’attendre encore cinq ans pour déterminer l’avenir du département, car il sera trop tard ! Vous ne pouvez pas entretenir encore une telle inquiétude, après avoir, avec la baisse des dotations, provoqué une instabilité fondamentale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Mes chers collègues, il ne s’agit pas seulement de 11 milliards d’euros. En cumul entre la fin de 2013 et la fin de 2017, il manquera 28 milliards d’euros, ce qui entraînera une terrible ponction sur l’investissement. Contre la fracture territoriale, les départements sont un remède.
La troisième crise, j’y insiste, est économique. Je viens d’évoquer la baisse probable des investissements. Assimiler taille et puissance, masse et agilité, relève d’une conception fausse de la modernité. Il serait absolument incohérent de conférer aux grandes régions toutes les compétences, par exemple le transport scolaire, comme l’a évoqué un orateur précédent. Si vous souhaitez élargir leur périmètre, voyez plus loin et confiez-leur des prérogatives programmatiques et seulement quelques attributions stratégiques. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.) Alors, plutôt que des mammouths, elles deviendront des tigres !
Croyez-moi, la croissance de demain ne naîtra pas seulement des métropoles, mais aussi des territoires, qui portent à la fois l’innovation et les facteurs de production. Notre président a dit un jour que ces territoires étaient ce que la France avait en plus. Je le rejoins dans ce constat. Ils sont désormais un facteur de compétitivité, à Paris et dans l’Île-de-France, bien sûr, mais aussi partout en France. Faites-leur confiance, monsieur le Premier ministre, plutôt que d’essayer d’imposer des découpages venus d’en haut.
Vous mettez en avant la question des rythmes scolaires, alors que l’on ne saurait trouver plus mauvais exemple (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) que cette réforme, décidée à Paris, qui impose de payer aux provinciaux et aux maires des petites communes. C’est un contre-exemple !
Je termine par une autre contradiction dont est porteur votre projet : préfère-t-on la diversité ou l’uniformité napoléonienne ? Nous répondons, bien sûr, la diversité.
Prenons l’exemple du seuil des 20 000 habitants pour l’intercommunalité. La loi du nombre, c’est la loi de l’idiotie ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Rien n’est plus bête qu’un nombre : il ne raisonne pas, il n’a pas visage humain, alors que nous devons restaurer la dimension humaine de cette réforme territoriale. Ainsi, 20 000 habitants en ville, c’est trop peu, alors qu’en montagne, ou dans les zones d’hyper-ruralité, c’est beaucoup trop ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. Le Premier ministre a déjà répondu à cela !
M. Bruno Retailleau. Oui à la diversité ! Pourquoi ne pas autoriser des territoires à choisir leur organisation ? Oui à la fusion des départements ! Oui aux territoires qui souhaitent fusionner la région et les deux départements !
Mme Fabienne Keller. Très bien !
M. Claude Bérit-Débat. C’est ce qu’a dit le Premier ministre !
M. Bruno Retailleau. Voilà aussi la modernité !
Réformer le territoire, ce n’est pas se livrer à un exercice de géométrie euclidienne, c’est au contraire fixer un objectif pour permettre à la France de se réinventer.
Monsieur le Premier ministre, au-delà de nos divergences – elles existent, vous en conviendrez –, nous convergeons sur un point : cette réforme est la mère de toutes les réformes.
Parce que les territoires sont le visage de la France, parce que les territoires sont la force de la France,…
Mme Catherine Tasca. Ce ne sont que des mots !
M. Bruno Retailleau. … parce que vous ne ferez pas de réforme de l’État sans une vraie réforme territoriale, vous le savez, vous ne pouvez pas faire cette réforme sans le Sénat, contre les élus locaux.
Mlle Sophie Joissains. Absolument !
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, le Sénat vous offre son expertise et, plus encore, sa passion de la question territoriale, ainsi que sa capacité à dépasser les clivages. L’intérêt supérieur de la France est en jeu !
Notre vote sur ce texte dépendra de l’ouverture dont le Gouvernement saura faire preuve à l’égard de nos amendements. Au-delà des discours, nous attendons des actes. Il y va de nos territoires, de la République et de la France ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP ainsi que plusieurs sénateurs de l’UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le Premier ministre, je tiens, à mon tour, à saluer votre présence dans cet hémicycle, sur l’invitation du président Larcher, pour le débat sur la réforme territoriale. Je vous remercie de la qualité de votre intervention, qui pourrait s’apparenter à un discours de politique générale sur les collectivités territoriales, et je me félicite des avancées dont vous nous avez fait part.
Pour ce qui me concerne, je me contenterai d’aborder le texte qui est en cours de discussion et non le contexte, contrairement à nombre d’orateurs qui se sont exprimés précédemment. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Didier Guillaume. Ce que vous proposez, monsieur le Premier ministre, c’est de s’appuyer sur l’intelligence des élus locaux et des territoires, rejoignant en cela les propos de notre collègue Bruno Retailleau.
La décentralisation – un beau vocable –, cette grande réforme mise en place par François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy, remonte à 1982.
Mme Annie Guillemot et M. Jean-Jacques Filleul. Vous étiez contre !
M. Jean-François Husson. Nostalgie !
M. Didier Guillaume. Non, je ne suis pas nostalgique, mon cher collègue, car les choses ont évolué depuis trente-deux ans. Tout a bougé autour de nous ! Pourquoi les collectivités locales ne devraient-elles pas évoluer à leur tour ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Au contraire, nous devons les engager dans cette voie ! C’est une nécessité, et ce à plusieurs titres.
Tout d’abord, il s’agit d’une nécessité démocratique. Nos concitoyens ne comprennent plus ce qui se passe dans nos collectivités. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. Ensuite, il s’agit d’une nécessité économique. Les entreprises demandent de l’investissement dans les territoires. (Eh oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
Enfin, il s’agit d’une nécessité financière : on constate depuis longtemps – et non pas depuis un ou deux ans ! –, gouvernement après gouvernement, une diminution des dotations accordées aux collectivités locales.
Oui, les réformes sont difficiles ! L’un des orateurs a indiqué précédemment que la droite avait retrouvé la majorité au Sénat parce que la réforme territoriale n’avait sûrement pas été assez bien expliquée.
Un sénateur du groupe UMP. Il n’y a pas que cela !
M. Didier Guillaume. Mais je me souviens aussi de ce que vous disiez en 2011, mes chers collègues de la majorité actuelle, voilà seulement trois ans, lorsque vous aviez perdu la majorité au Sénat : votre échec tenait au fait que vous aviez proposé une réforme mal comprise, à savoir la création du conseiller territorial, avec la fusion des régions et des départements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’était une bonne réforme !
M. Didier Guillaume. Mes chers collègues, essayons tout simplement de nous accorder sur l’essentiel ! Certes, on peut faire peur en disant qu’on va supprimer les départements. Mais tout le monde a proposé cette suppression ! Le président Sarkozy lui-même ! M. Fillon, voilà encore quelques jours !
M. Bruno Sido. Mais non !
M. Didier Guillaume. Bien sûr que si !
M. Jean-Jacques Filleul. Et même la suppression des communes !
M. Didier Guillaume. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas provoquer de rupture dans la décentralisation, comme l’a dit Bruno Retailleau, ni, surtout, revenir à une recentralisation, car ce serait mortifère pour nos collectivités territoriales.
Au contraire, il faut engager une réforme à l’instar de celle que présente le Gouvernement et que le Parlement, je l’espère, adoptera. Il convient de mettre en place une réforme permettant de rendre les collectivités territoriales plus utiles. Car fonctionnent-elles si bien que cela ?
M. Bruno Sido. En tout cas, pas si mal que cela !
M. Didier Guillaume. Depuis des années et des années, j’entends les présidents de conseil général se plaindre que l’État ne paie pas ses dettes,…
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. … s’agissant du RSA, de l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, de la PCH, la prestation de compensation du handicap. C’est une catastrophe depuis 2004.
J’entends les présidents de conseil régional dire qu’ils n’ont plus du tout d’autonomie fiscale et financière : …
M. Roger Karoutchi. Ça, c’est vrai !
M. Didier Guillaume. … ils ne vivent que de dotations. C’est la réalité !
J’entends également les maires de nos communes – j’étais en campagne lors des dernières élections sénatoriales – se plaindre de ne plus avoir les moyens d’investir parce que l’État leur serre trop la ceinture ! Voilà la réalité !
M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Didier Guillaume. Mais cette situation ne date pas de six mois, d’un an ou de deux ans ; elle existe depuis des années !
Alors, essayons d’avancer ensemble pour redonner de l’oxygène aux régions (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.), de véritables responsabilités aux départements et des moyens aux communes pour qu’elles puissent – enfin ! – de nouveau investir.
Toutefois, pour réussir la réforme – j’ose le dire à cette tribune ! –, il ne faut pas mettre en cause les élus. Les élus sont les hussards de la République.
Mme Sophie Primas. Même ceux de droite !
M. Didier Guillaume. Tous les jours dans les petites communes, comme dans les départements et les régions, ils répondent aux demandes de leurs concitoyens. Chaque fois que l’on mettra les élus en cause, on attaquera la République. Que la gauche ou la droite soit au pouvoir, nous devons toujours les soutenir et les défendre (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Bruno Sido applaudit également.), car ce sont eux qui font vivre le service public dans nos territoires.
Mais ne cédons pas non plus au conservatisme. Il nous faut avancer. Nous ne sommes pas des conservateurs. D’ailleurs, il n’y en a pas dans cette assemblée,…
M. Bruno Sido. Non !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Si, à droite !
M. Didier Guillaume. … où ne siègent que des sénateurs et des sénatrices qui veulent faire bouger les choses !
Enfin, nous nous retrouvons tous sur ce point, mes chers collègues, n’opposons pas – n’opposons jamais ! – le monde urbain et le monde rural, les villes et les campagnes. La ruralité est une chance pour notre pays. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Sophie Primas applaudit également.)
La ruralité est un joyau, qui recèle de l’activité économique, de la culture, de l’artisanat, du tourisme. Oui, prenons en compte cette réalité ! Les campagnes sont une chance pour notre pays, à l’image des villes, avec leur densité. Faisons-les avancer ensemble !
M. Éric Doligé. Il faut tout garder !
M. Didier Guillaume. Faisons confiance aux territoires : c’est grâce à eux que la réforme se fera, et ce à trois conditions.
Il convient de clarifier, tout d’abord, les compétences – M. le Premier ministre l’a proposé –, puis, les structures, qui doivent évoluer, et, enfin, les financements, car les collectivités rencontrent quelques difficultés en la matière.
Pour ce faire, le groupe socialiste se fonde sur des principes fondamentaux assez clairs.
Le premier d’entre eux est la solidarité : la solidarité entre les citoyens et entre les territoires, car celle-ci est indispensable.
Un autre principe fondamental est la proximité.
Vous avez raison, mes chers collègues, nous aurions pu perdre en proximité si d’autres projets avaient vu le jour. Mais, M. le Premier ministre l’a souligné dans son discours, la proximité sera préservée : elle est indispensable pour que nos concitoyens retrouvent confiance en la République. En effet, à l’heure actuelle, ceux-ci ne croient plus en la politique, en la société, en la nation, parce qu’ils sont isolés, notamment de l’emploi, et que les services publics ont déserté nos territoires.
La proximité est aussi indispensable pour mettre en avant le professionnalisme des fonctionnaires territoriaux, qui constituent un lien essentiel entre les élus et les territoires.
Enfin, le dernier principe a trait à la clarté. Le Premier ministre nous a rassurés, il nous propose de la clarté et de l’efficacité.
Dans ces conditions, nous pouvons, me semble-t-il, nous mettre d’accord sur un socle territorial commun si nous considérons le texte qui nous est soumis et non le contexte. Bien sûr, nous aurons des débats politiques, et nous nous opposerons sur de nombreux sujets. Mais le socle que propose le groupe socialiste est assez clair.
Tout d’abord, nous voulons constituer de grandes régions stratèges,…
M. Roland Courteau. Très bien !