M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, de nombreuses questions ont été abordées depuis le début de nos débats, hier après-midi. Le Premier ministre s’est longuement exprimé. À la suite de son discours et de mon intervention, de nombreux sénateurs et de nombreuses sénatrices ont à leur tour pris la parole pour nourrir la discussion générale.
Avant tout, je tiens à adresser mes sincères remerciements à l’ensemble des élus du Sénat, quelle que soit leur sensibilité, en saluant leur apport à ce débat. Cette contribution est élevée, et ce quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. Les discours auxquels j’ai pu assister, après les questions au Gouvernement organisées hier à l’Assemblée nationale, m’en ont convaincu, comme ils en ont convaincu André Vallini.
Je le répète à l’intention de tous les intervenants, et en particulier de M. Joyandet, qui a appelé à la discussion et au dialogue : nous abordons ce débat de manière ouverte, avec le souhait que chacun soit écouté et que nous puissions, dans la mesure du possible, dans la dynamique du débat et dans l’esprit que les uns et les autres ont rappelé, aboutir à des compromis.
Par ailleurs, au nom du Gouvernement, je remercie très vivement M. le rapporteur et M. le président de la commission spéciale des travaux qu’ils ont accomplis. M. le rapporteur les a menés avec une grande exigence et une grande rigueur, et je souligne leur qualité.
Je tiens à apporter, de manière extrêmement synthétique, un certain nombre de réponses aux diverses interrogations qui ont été émises, en les examinant successivement. Ce faisant, je répondrai non seulement aux divers orateurs, mais à la Haute Assemblée tout entière.
Premièrement, a été évoquée la nécessité de dégager des économies grâce à la réforme territoriale, dans un contexte où – il faut bien le reconnaître – d’importants efforts sont demandés aux collectivités locales.
Nous avons la volonté de redresser les comptes de notre pays et de maîtriser notre dépense publique. À cet égard, je rappellerai quelques chiffres illustrant l’ampleur des efforts engagés, que l’Union européenne a reconnue au cours des échanges que nous avons pu nouer avec ses représentants dans le cadre du semestre européen.
Entre 2002 et 2012, les dépenses de fonctionnement ont crû en moyenne de 2 % par an – cette progression annuelle s’est élevée à 1,7 % entre 2007 et 2012. Le budget pour 2014, que j’ai eu l’honneur de présenter à la Haute Assemblée en tant que ministre délégué chargé du budget, présentait, quant à lui, un taux d’augmentation de 0,9 % et réduisait ainsi de moitié l’allure d’évolution des dépenses. Enfin, MM. Michel Sapin et Christian Eckert présentent, pour 2015, un budget fondé sur une évolution des dépenses publiques de l’ordre de 0,2 %.
Dans le temps long de l’histoire budgétaire de la Ve République, on mesure ce que cet effort de maîtrise de la dépense publique a d’exceptionnel !
Quel que soit le gouvernement chargé de la direction du pays, cet effort doit être accompli. Or, étant donné la structure de la dépense publique, ce chantier ne peut aboutir si les efforts se limitent à l’État. Les collectivités territoriales doivent donc être mises à contribution, ce qui est impossible – c’est là tout l’enjeu de cette réforme – si leurs structures restent inchangées.
Compte tenu du poids des autorités décentralisées dans la dépense publique globale, pour obtenir des économies réelles et soutenables, ainsi qu’une maîtrise de la dépense publique, il faut transformer la structure des collectivités territoriales. À ce titre, il s’agit de mutualiser au maximum les dépenses de fonctionnement, afin de préserver des marges de manœuvre pour l’investissement.
J’ai entendu nombre d’interventions, notamment celles de MM. Mézard, Joyandet, Retailleau et Guillaume, qui évoquaient la soutenabilité de cet effort budgétaire. La fusion des régions permettra-t-elle de garantir des économies de fonctionnement ? J’en suis convaincu, d’autant que je m’appuie sur des informations documentées.
Toutefois, il ne suffit pas de décréter les économies pour qu’elles se réalisent. Parallèlement, il faut expliquer comment les construire et les rendre possibles sans altérer la qualité du service public. À mon sens, ces économies sont possibles grâce à un regroupement de la politique des achats, notamment par l’effet de la clarification des compétences.
Une grande collectivité territoriale, disposant par exemple d’un ensemble de compétences en matière scolaire, peut procéder à une concentration de la politique d’achats et ainsi dégager des économies significatives. C’est la logique que nous avons suivie au sein de l’appareil d’État au cours des deux dernières années. Ce faisant, nous avons réalisé près de 2 milliards d’euros d’économies au titre des achats.
Citons un autre cas : deux collectivités différentes comprennent deux services des ressources humaines, deux services financiers, deux services de maintenance des moyens automobiles ou des bâtiments. Lorsque ces structures sont regroupées, les économies ne s’observent peut-être pas dès la première année. Toutefois, par un effet de mutualisation, on s’épargne le remplacement systématique des départs en retraite dans ces services.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. C’est un gain négligeable…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. On dégage par conséquent de nouvelles marges de manœuvre pour l’investissement. (M. Jacques Mézard manifeste son scepticisme.)
Monsieur Mézard, c’est ainsi que nous avons procédé en fusionnant la commune de Cherbourg et celle d’Octeville, dont j’étais à l’époque le maire. M. Godefroy n’est pas présent en cet instant dans cet hémicycle, mais il pourrait en témoigner. Pour ma part, je vous l’affirme : cette initiative a eu l’effet que je viens d’indiquer. Elle a réduit les coûts de fonctionnement d’environ 20 %.
M. Jacques Mézard. Mais ces deux communes étaient limitrophes !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Certes, monsieur le sénateur, mais il existe également une continuité territoriale entre les régions que l’on fusionne : nous ne proposons pas de réunir l’Alsace et la Bretagne, le Languedoc-Roussillon et la Normandie ! À vous entendre, le Gouvernement a parfois des idées baroques. Néanmoins, ce n’est pas au point de fusionner des régions qui n’ont aucune frontière commune… (Sourires.) Voilà pour les économies.
Deuxièmement, je tiens, au titre de ma contribution à la réflexion collective, à insister sur la cohérence de la réforme.
J’entends bien ce que dit l’opposition, qu’il faut toujours écouter avec la plus vive attention quand elle exprime des interrogations. À ses yeux, cette réforme n’est pas la bonne et ne présente pas la cohérence exigée. Cette carte des régions n’est pas celle qu’elle souhaiterait voir prévaloir.
J’admets volontiers ce discours, mais il faut le soumettre au débat. Or celui-ci m’inspire deux constats.
D’une part, on ne peut se contenter de parler de la réforme : tôt ou tard, il faut la faire.
M. Gérard Longuet. Nous l’avions faite, en 2010 !
M. François Grosdidier. Et vous, vous l’avez défaite !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà des années que l’on évoque une grande réforme des collectivités. Je ne nie nullement qu’un effort ait été tenté avec le conseiller territorial. Cependant, cette réforme ne supprimait aucun niveau de collectivités…
M. Gérard Longuet. Celle-là non plus !
M. Alain Fouché. Parce que les collectivités doivent assumer les missions de l’État !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En l’espèce, nous procédons à des fusions de régions et nous proposons de faire monter en puissance les intercommunalités. Partout où il est possible de le faire, nous permettons la fusion des départements avec des grandes agglomérations et des grandes métropoles, dont la loi MAPAM a créé les conditions d’émergence.
Par conséquent, le Premier ministre l’a dit hier, nous ne perdons pas des années à concevoir cette réforme, depuis si longtemps attendue : nous la faisons ! Et nous sommes animés par un souci de cohérence.
Tout d’abord, nous créons de grandes métropoles, pour doter la France d’ensembles urbains à même d’investir dans la recherche, le transfert de technologies, les pôles de compétitivité, la transition énergétique ou encore les transports de demain. Au demeurant, les initiatives menées à Lyon sont emblématiques de l’atout que représentent les grandes métropoles sur le territoire national.
Ensuite, au travers du présent projet de loi, nous souhaitons former de grandes régions, qui soient elles aussi en mesure d’investir. Par ailleurs, nous tenons à clarifier les compétences entre les niveaux de collectivités territoriales et à faire monter en puissance l’intercommunalité.
Enfin, nous voulons que l’État soit plus fort au sein des territoires, d’où la réforme de l’administration territoriale de l’État, permettant de garantir la proximité. Voilà pour la cohérence.
Troisièmement, et avant de conclure, j’évoquerai la carte territoriale et je répondrai en quelques mots à la très belle intervention que M. Doligé a consacrée au calendrier des élections. La réplique doit, par sa précision, être à la hauteur de l’attaque.
M. Éric Doligé. Et pour ce qui est des attaques, ce n’est pas fini ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je n’ai aucun espoir que ces offensives auxquelles vous concourez cessent un jour, monsieur Doligé. Soyez rassuré, je n’ai pas la moindre illusion à cet égard ! (Sourires.)
Je comprends parfaitement les débats que la carte régionale suscite. Depuis le début de la discussion générale, j’ai entendu répéter la même formule, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale : le Gouvernement aurait redécoupé les régions nuitamment, « sur un coin de table ». Il aurait dressé une mauvaise carte, alors qu’il en existerait une bonne, qui, avec un peu de bon sens, aurait prévalu.
Toutefois – dois-je le répéter ? – j’ai vu autant de cartes pertinentes qu’il existe de parlementaires ! (M. Gérard Longuet proteste.) En effet, leur composition est guidée par des enjeux locaux, en général arrimés à des considérations électorales qui ne sont pas illégitimes – certaines peuvent être comprises et entendues. Elle procède parfois de considérations territoriales tenant à l’identité, ou à la conception que l’on peut en avoir, d’un certain nombre de régions.
À ce titre, je le dis à l’intention de M. Dantec : je ne juge pas cette approche illégitime. Je souligne simplement qu’il n’existe aucune contradiction entre la prise en compte de la diversité, la reconnaissance des identités et le respect de l’unité de la République.
M. Ronan Dantec. C’est également ce que j’ai dit !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’en suis certain, cet équilibre peut être atteint grâce à la carte dont nous débattons.
Par conséquent, étant donné que toutes ces perspectives se croisent, chacun, en partant du lieu d’où il regarde la France dans sa diversité et son unité, défend une vision singulière et personnelle de ce qu’est la carte pertinente. On l’observe au sujet de l’Alsace. Il y a quelques instants, Gérard Longuet a défendu la cohérence d’une région Grand Est. Ses propos sont tout aussi légitimes que ceux des sénateurs issus des départements alsaciens.
De tels débats illustrent combien le compromis est délicat à atteindre : c’est dans le dialogue, dans l’échange, dans les garanties données que nous pourrons atteindre ce but. Je forme le vœu que la discussion des amendements le permette.
Enfin, je reviendrai sur le calendrier électoral et sur les remarques formulées hier, à ce sujet, par M. Doligé.
Monsieur le sénateur, si j’ai bonne souvenance – j’espère ne pas trahir votre pensée –, votre argumentation était la suivante : le Gouvernement a affirmé, au cours des débats de l’été, qu’il était constitutionnel de regrouper les élections départementales et régionales à la fin de l’année 2015. Ainsi – vous le déduisez assez habilement –, il serait à nos yeux inconstitutionnel d’organiser les élections départementales en mars prochain.
Or cette conclusion ne correspond nullement à ma pensée. Qui plus est, ce n’est pas du tout ce que j’ai dit ! J’ai indiqué, cet été, qu’il était constitutionnel d’organiser ce scrutin à la fin de l’année, compte tenu des considérants du Conseil constitutionnel – le regroupement de ces scrutins aurait pu relever de l’intérêt général, dans la mesure où les sorts de ces niveaux de collectivités étaient liés, notamment du fait d’une suppression des départements. Ce constat ne signifie pas du tout que leur dissociation serait anticonstitutionnelle,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Pas du tout !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … d’autant que l’avenir des départements est reconsidéré, au terme des discussions que nous avons menées avec la représentation nationale. Je prends acte de votre argumentation, j’en mesure l’habileté, mais je souhaite y répondre en droit, de la façon la plus précise possible, afin qu’entre nous il ne subsiste aucune ambiguïté.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter à vos différentes interventions.
J’ajoute, à l’endroit de Mme Éliane Assassi, dont j’ai écouté l’intervention avec beaucoup d’attention, comme toujours, que cette réforme ne nous est dictée ni par Maastricht ni par l’Europe.
Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pourtant pas les seuls à le penser !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je le sais bien, madame la sénatrice. Toutefois, sans vous offenser, ne pas être les seuls à le penser ne vous donne pas nécessairement raison !
Mme Éliane Assassi. Démontrez donc que nous avons tort !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Votre argumentation part de l’existence de l’Europe, ainsi que du capitalisme, avec tous ses travers, et postule que le Gouvernement a trop cédé à certaines pentes et s’est livré à des réformes pour plaire aux capitalistes et à l’Europe. Or tel n’est pas le cas : nous les avons engagées parce qu’il nous semble que la France en avait besoin,…
Mme Éliane Assassi. Parce qu’elles correspondent aux recommandations de la Commission européenne !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … parce que nous avons besoin de territoires plus forts, capables d’investir dans les services publics, dans la transition énergétique, dans les transports de demain, dans les pôles de compétitivité.
Telles sont les considérations qui président à notre réforme. La discussion des articles sera l’occasion d’évoquer, ensemble, tous ces sujets. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Mesdames, messieurs les sénateurs, en quelques mots, je me réjouis, avec Bernard Cazeneuve, de la tonalité tout à fait positive et constructive du débat auquel nous participons.
Même les partisans les moins chaleureux, pour ne pas dire les adversaires les plus résolus, de cette réforme territoriale ont fait assaut d’idées, de propositions, d’objections qui sont toutes très intéressantes et dont nous ferons bien sûr notre miel lors du débat sur les articles de ce projet de loi, ainsi que lors du débat suivant, relatif aux compétences.
La discussion de ce prochain texte est intimement liée à celle d’aujourd’hui, et j’ai bien noté les propositions, les approbations, les inquiétudes également que certains d’entre vous ont exprimées à ce propos, au sujet des futures régions. Celles-ci seront agrandies, c’est une chose, mais surtout elles verront leurs compétences renforcées dans le domaine économique. Cela me semble d’ailleurs faire l’objet d’un consensus.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Oui, c’est certain !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Vous aurez noté que, hier, le Premier ministre a fait une annonce importante en proposant de confier dans les mois et les années qui viennent le service public de l’emploi aux régions. Cette avancée considérable, qui va dans le sens de la décentralisation, n’a pas été relevée comme elle aurait dû l’être par la presse, mais nous aurons l’occasion d’y revenir en décembre prochain.
Concernant les intercommunalités, j’ai entendu les craintes que certains d’entre vous ont exprimées et je les partage. Élu de l’Isère, un département très urbain autour de Grenoble, Vienne, Bourgoin et L’Isle-d’Abeau, près de Lyon, mais également très rural et montagnard au sud, je sais bien que le seuil de 20 000 habitants est raisonnablement impossible à atteindre dans cette partie du département, comme dans la plupart des départements, même avec une métropole.
M. Gérard Dériot. Mais alors il ne fallait pas le fixer !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Là encore, le Premier ministre a été très clair : ce seuil est un objectif à atteindre et il pourra être assoupli en fonction des spécificités de chaque département.
Enfin, il a été rassurant concernant les départements, en précisant que les conseillers départementaux renouvelés en mars prochain conserveront leurs deux compétences majeures au moins pour les cinq années qui viennent : la solidarité sociale, envers les personnes âgées ou handicapées, les familles en difficulté, l’enfance en danger, ainsi que la solidarité territoriale, pour continuer à aider les communes et les intercommunalités dans leurs projets.
Mon dernier mot, toujours au sujet des départements, concerne les personnels. Permettez-moi encore de faire référence à mon département : nous avons réuni en deux fois tous les personnels du conseil général pour les rassurer sur leur avenir et saluer leur dévouement et leur professionnalisme. Aucun d’entre eux, aucune d’entre elles, ne perdra son emploi. Les garanties statutaires étant ce qu’elles sont en France, personne n’a d’inquiétude à se faire.
Sur le plan géographique, la plupart d’entre eux ne bougeront pas. Les fonctions de support et de direction seront sans doute centralisées dans les nouvelles capitales, mais cela ne touchera qu’une infime partie des personnels départementaux.
M. Jacques Mézard. Oui, la matière grise !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Les personnels des collèges resteront dans les collèges, les personnels des routes sur les routes, et les personnels des transports continueront à conduire les cars partout dans chaque département.
M. François Grosdidier. Et vous ne ferez donc aucune économie !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais dire à ce point du débat.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Favier et Le Scouarnec, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 72.
Cette motion est ainsi rédigée :
À l'article 1er :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable l’article 1er du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (n° 43, 2014-2015).
L’article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat dispose que, sauf lorsqu’elle émane du Gouvernement ou de la commission saisie au fond, l’exception d’irrecevabilité ne peut être opposée qu’une fois au cours d’un même débat et, en tout état de cause, avant la discussion des articles.
Cette règle s’applique bien sûr aux exceptions concernant l’ensemble du texte, mais également aux exceptions partielles portant sur des articles. Telle est la raison pour laquelle le Sénat examine maintenant la motion du groupe communiste républicain et citoyen.
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Christian Favier, pour la motion.
M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le fait de changer les limites des territoires de nos régions relève bien de la loi. Nous avons donc toute légitimité pour le faire.
Encore faut-il respecter les règles fixées par le législateur, qui ont été codifiées par la loi n° 96-142 du 21 février 1996 relative à la partie législative du code général des collectivités territoriales, en application de l’article 2 de la loi n° 72-619 du 5 juillet 1972, et modifiées par la loi d’avril 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
Les procédures ont donc été fixées dès les lois de décentralisation de 1982, qui faisaient des régions de nouvelles collectivités territoriales de plein exercice, et nous sommes dans l’obligation de les respecter.
Or, comme nous venons de le voir, si l’article L. 4122-1 précise bien en son premier alinéa que « les limites territoriales des régions sont modifiées par la loi », il poursuit, au même alinéa et dans la même phrase, par les mots : « après consultation des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés. » Dès la première lecture, j’avais attiré l’attention sur ce point, considérant que, tant que la loi n’était pas adoptée, il était encore temps de procéder à cette consultation.
Notre rapporteur d’alors, notre collègue Michel Delebarre, avait relevé lui aussi cet écueil dans la procédure législative. C’est la raison pour laquelle il avait alors écrit aux présidents de régions et de conseils généraux intéressés par ces modifications de délimitations régionales, afin de leur demander leur avis, qu’il nous avait transmis, y compris au cours de nos débats en séance.
Force est pourtant de constater que tous les présidents n’ont pas répondu à cette sollicitation et que la plupart des réponses n’exprimaient souvent que leur propre avis, et non celui de leurs assemblées. Rares sont les régions et les départements intéressés à avoir formellement délibéré à ce sujet. Certes, des débats ont eu lieu dans la plupart de ces assemblées et certaines réponses de président, trop peu nombreuses, étaient des comptes rendus de séance.
Hormis au travers de cette démarche qui est volontaire, bien qu’elle soit partielle, de notre rapporteur, que nous devons saluer, l’avis des conseils régionaux et généraux n’a pas été réellement sollicité ni recherché.
Il nous semble même que, compte tenu de cet article du code général des collectivités territoriales, le résultat de cette consultation obligatoire aurait dû figurer dans l’étude d’impact accompagnant ce projet de loi, sur l’indigence de laquelle il est préférable de ne pas revenir.
Nous n’avons finalement pas obtenu les avis exhaustifs de toutes les collectivités, départements et régions susceptibles d’être affectés par ces modifications territoriales.
Il nous semble donc que c’est à bon droit que nous déposons cette motion d’irrecevabilité sur l’article 1er, qui tend à modifier le périmètre de certaines régions, afin que cette consultation, prévue dans notre code, puisse se dérouler avant que cet article ne revienne devant nous. Il n’en sera peut-être pas modifié, mais sa justification sera enrichie du résultat de ces consultations.
Si les pouvoirs publics et le législateur ne respectent plus la légalité des procédures, il ne faut plus s’étonner du développement de la crise de la représentation politique qui sévit dans notre pays. Le Parlement n’est pas un appendice du pouvoir exécutif. Il est le législateur, et sa mission est aussi de rappeler à l’exécutif, quand c’est nécessaire, l’obligation de respecter les lois.
La semaine dernière, du haut de cette tribune, le président du Sénat a rappelé la place et le rôle de notre Haute Assemblée. Il a particulièrement insisté sur sa mission spécifique de représentation des collectivités territoriales. Notre Sénat est donc particulièrement bien placé pour rappeler le droit attaché à celles-ci, quand un texte ou une procédure s’en affranchit.
Adopter cette motion, qui tend finalement à ce que les collectivités territoriales soient respectées dans leurs missions et leurs prérogatives, serait une bonne manière de passer de la parole aux actes !
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat, contre la motion.
M. François Patriat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir écouté tout le monde, il apparaît clairement que nous sommes tous des réformateurs ! Tout le monde est d’accord pour réformer. On observe toutefois trois catégories de réformateurs.
Il y a, tout d’abord, ceux qui affirment qu’il faut réformer, mais qui ne veulent rien changer, qui soutiennent que nous vivons dans un nirvana de collectivités, où chacune a sa place : le hameau, la section de commune, la commune, le département, l’intercommunalité, les SIVOM ou syndicats intercommunaux à vocations multiples, les régions, bref, où tout va bien. On veut bien réformer, mais, surtout, ne touchons à rien !
M. François Grosdidier. C’était votre discours il y a deux ans !
M. François Patriat. Vous m’avez mal entendu, cher collègue ! D'ailleurs, vous n’avez pas, comme moi, suivi ces questions depuis l’époque du comité Balladur.
Il y a ensuite ceux qui veulent réformer, mais qui pensent que ce n’est pas la bonne réforme et qu’une autre est nécessaire. Ceux-là sont favorables à une réforme, pourvu que c’en soit une autre…
Enfin, il existe une troisième catégorie, rassemblant ceux qui veulent vraiment réformer, et qui savent que, pour cela, il faut décider, choisir, prévoir, avancer. C’est la méthode qu’a choisie le Gouvernement.
Mme Éliane Assassi. Oui, on connaît l’argumentation ! Il y a les archaïques et les autres…
M. François Patriat. Si nous en sommes là aujourd’hui, mes chers collègues, ce n’est pas à cause des gouvernements successifs, quels qu’ils aient été, mais bien parce que chacune des associations de collectivités de notre pays n’a jamais voulu bouger un instant de son pré carré, de ses prérogatives, de ses compétences et de ses actions.
M. Alain Fouché. C’est l’État tout seul qui a transféré les compétences !