M. Éric Doligé. Il faut sortir des mots et passer à l’action !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui, comme vient de le rappeler M. le ministre de l'économie, pour nous atteler à une tâche essentielle pour l’économie de notre pays : donner corps par les mesures qui vous sont proposées, éventuellement amendées par la Haute Assemblée, à une politique permettant aux entreprises de se concentrer sur ce pourquoi elles sont faites, à savoir créer de la valeur pour elles-mêmes et leurs salariés, ainsi que pour notre économie.
Il s’agit de permettre aux entrepreneurs de développer, demain, dans un cadre réglementaire et fiscal les investissements nécessaires à la croissance. Plus généralement, il convient de stabiliser un environnement réglementaire qui, à force d’être trop souvent bousculé, insécurise. Bref, nous sommes ici pour faire un véritable travail collectif, afin de traduire dans la réalité un certain nombre d’engagements sur lesquels je reviendrai ultérieurement.
Plus encore que le contenu de ces engagements, c’est l’esprit même de cette politique de simplification que nous devons au préalable partager.
Il faut bien sûr rétablir la confiance entre les entreprises et l’administration, faire de la simplification un outil au service de la croissance et, plus généralement, faire évoluer, dans notre pays, le rapport entre la sphère publique, qui définit, édicte et adopte les normes, et les acteurs de la société. Il convient de créer entre eux une synergie mutuellement profitable, au service de la qualité, de l’efficacité de la loi et de la norme et, bien évidemment aussi, du développement des entreprises.
Ce travail, qui est, en somme, un travail de réconciliation, nous l’entreprenons sans naïveté aucune, mais avec la conviction farouche de servir ainsi un nouvel intérêt public. Son point de départ, que M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique vient d’exposer, est l’idée simple, mais fondatrice, que simplifier n’est pas déréglementer. Il est très important que nous nous accordions sur ce principe, car l’examen du travail accompli dans les pays étrangers ces dernières années montre que c’est de lui qu’ont procédé les succès les plus éclatants.
En vérité, simplifier ne consiste pas à croire que moins il y a de règles, plus facile est la vie des affaires. Au contraire, simplifier suppose de reconnaître que les imperfections des marchés et la complexité de nos sociétés rendent les normes, les règles et les lois nécessaires, mais que celles-ci doivent être claires, lisibles et applicables. Surtout, elles doivent dispenser les plus faibles de nos entreprises – les petites entreprises – comme les plus faibles de nos salariés, mais aussi les plus faibles de nos entrepreneurs de déployer des trésors d’énergie ou de moyens pour faire valoir leurs droits.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la simplification est un combat que l’on mène au nom du droit, d’un droit effectif et réel, et non pour réduire les droits !
Si ce travail, gigantesque, a été amorcé voilà quelques années, au cours de la législature précédente, ce n’est faire ombrage à personne que de reconnaître qu’il a été accéléré par la volonté, manifestée par le Président de la République en 2013, de provoquer un « choc de simplification ». (M. Charles Revet s’exclame.) Je ne fais en cet instant que rappeler des faits connus de chacun.
Reste que nous n’avons pas à tirer de cette politique le moindre motif d’orgueil. Au contraire, nous devons convenir avec une très grande humilité que l’effort mené par la France aujourd’hui est la session de rattrapage d’un travail que les autres grands pays européens ont entrepris voilà plus de dix ans. (Mme Nicole Bricq acquiesce.) Songez que l’Allemagne l’a entamé en 1999, le Royaume-Uni en 2000 et les Pays-Bas dès 1994.
D’une certaine manière, quand on considère, d’une part, la perte de compétitivité de notre économie et, d’autre part, les coûts induits par l’hypercomplexité réglementaire et le temps qu’elle fait perdre, on peut se demander pourquoi ce « choc de simplification » a été lancé si tardivement dans notre pays.
Les plus optimistes – il y en a sur toutes les travées de cet hémicycle, tant mieux ! – verront dans ce retard à l’allumage une chance qui nous permet de mettre les bouchées doubles pour rattraper notre retard. De fait, la méthode qui fonde le travail proposé procède d’une analyse très précise, réalisée des mois durant, de toutes les expériences menées à l’étranger, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, mais aussi en Belgique et au Danemark.
Nous avons examiné très concrètement les outils mis en place, les méthodes employées et les cibles prioritaires définies pour la simplification par l’ensemble de ces pays. Ce faisant, nous avons réalisé ce que les Français ont parfois un peu de prévention à effectuer : nous avons copié, reproduit ce qui marchait ailleurs, notamment en ce qui concerne la méthode de simplification. Cette méthode, qui a présidé à la préparation du présent projet de loi, tient en trois principes.
Premièrement, il s’agit d’une méthode authentiquement collaborative : les objectifs prioritaires de simplification sont définis non plus par l’administration seule, mais par des groupes de travail composés de représentants d’entreprises et de hauts fonctionnaires ; une fois les cibles fixées, ces mêmes groupes proposent des mesures, notamment à caractère législatif.
Deuxièmement, les propositions présentées relèvent davantage du plan d’action que de la bonne intention. Ainsi, chacune des propositions avancées par le Conseil de la simplification pour les entreprises, désormais coprésidé par un chef d’entreprise, Guillaume Poitrinal, et un parlementaire, Laurent Grandguillaume, est accompagnée d’un calendrier précis de mise en œuvre.
Troisièmement, un bilan très précis de l’application des mesures annoncées est établi tous les six mois, ainsi qu’une évaluation quantitative, souvent indépendante, de leurs effets. Depuis dix-huit mois que le choc de simplification a été lancé, les gains résultant pour notre économie des premières dispositions mises en place sont estimés à 2,4 milliards d’euros ; cette évaluation a été réalisée selon la méthode du standard cost model, utilisée depuis des années en Allemagne et en Grande-Bretagne, par exemple – je le précise à l’intention des experts qui siègent dans cet hémicycle, sur toutes les travées.
M. Jean-Claude Lenoir. Il n’y a ici que des experts ! (Sourires.)
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Pour les trois années à venir, notre objectif est de faire gagner 11 milliards d’euros à notre économie, grâce aux mesures déjà adoptées, à celles qui figurent dans le présent projet de loi et à d’autres qui seront prises dans le cadre d’un certain nombre de grands chantiers dont je reparlerai. C’est dire si l’enjeu est considérable et doit susciter notre adhésion au-delà des clivages politiques.
Le texte dont le Sénat commence l’examen s’inscrit ainsi dans une démarche de longue haleine, qui a déjà conduit, depuis 2013, à la mise en place de plusieurs dispositions. Je pense en particulier aux ordonnances visant à faciliter la densification urbaine en autorisant des dérogations aux règles des plans locaux d’urbanisme et à raccourcir les délais de modification des plans et schémas susceptibles de faire obstacle aux projets de logements et d’immobilier d’entreprise. Je pense également à la règle du « un pour un », inspirée du système britannique, en vertu de laquelle l’édiction de tout décret nouveau créant une charge pour les entreprises doit être compensée par le retrait d’un décret à charge équivalente. Je n’oublie pas non plus les « tests PME ». Des outils existent donc déjà sur lesquels notre politique s’appuie.
Le présent projet de loi tend à compléter cette batterie d’outils. Il comporte, depuis sa version initiale, des mesures en matière de droit du travail, comme l’harmonisation sémantique d’un certain nombre de notions du code du travail. Par ailleurs, il renforce la sécurité juridique du rescrit, qui est un outil très important de développement et de sécurisation de l’environnement des entreprises.
En outre, il modifie substantiellement un certain nombre de règles administratives, notamment en instaurant la fameuse règle du « silence vaut accord », qui s’appliquera, à partir du 12 novembre prochain, à 1 800 démarches administratives accomplies par les particuliers ou les entreprises, soit deux tiers du total des démarches : désormais, lorsque l’administration ne répondra pas, elle sera présumée adopter une position favorable, créatrice par conséquent de droits pour le pétitionnaire.
Le projet de loi comporte aussi des mesures de simplification relatives aux procédures de construction, afin de venir en aide à un secteur qui en a bien besoin. Il comprend enfin des mesures favorables aux projets de production d’énergies renouvelables et d’autres touchant aux actes commerciaux et aux marchés publics.
Quels que soient la nature des textes envisagés et le calendrier parlementaire, nous nous retrouverons tous les six mois environ pour examiner un nouveau paquet de mesures de simplification. D’ores et déjà, M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, avec ses services, les services de la mission Simplification et évaluation et ceux de mon secrétariat d’État, prépare le prochain paquet de mesures, qui sera compris dans le futur projet de loi pour l’activité et l’égalité des chances économiques, que l’on surnomme « loi Macron ».
D’autres dispositions encore sont envisageables, auxquelles nous travaillons dès maintenant. Je pense en particulier à des mesures fiscales, qui ne réduiront en rien les recettes publiques – c’est la charte de notre travail. En effet, il est à la fois possible et indispensable de rendre le droit fiscal plus juste, plus lisible et plus efficace. Il y va de notre démocratie et de l’aptitude des Français à comprendre comment la puissance publique, au moyen de la fiscalité, fait œuvre de redistribution.
Les rendez-vous qui nous réuniront très régulièrement nous donneront l’occasion de débattre de ces diverses mesures. Ils nous permettront aussi d’aborder d’autres questions, comme la déclaration sociale nominative grâce à laquelle nos entreprises gagneront l’équivalent de huit euros par salarié et par mois, ce qui fait quatre-vingt-seize euros par an à multiplier par 21 millions de salariés, soit un enjeu supérieur à 2 milliards d’euros pour notre économie ; les outils nécessaires sont en train d’être progressivement conçus et cette déclaration sera en usage à compter du 1er janvier 2016.
Nous aurons aussi à débattre de la nouvelle fiche de paie qui, pas plus que les autres dispositions que nous prenons, ne vise à supprimer le moindre droit. Elle permettra de mesurer très simplement et très concrètement les efforts fournis tant par les salariés que par l’entreprise, à travers leurs cotisations respectives, pour financer les retraites et l’assurance maladie. Toutes ces informations seront transparentes et la traçabilité des droits sera assurée, de sorte que les salariés pourront, à tout moment, connaître l’ensemble des cotisations. Pour cet outil comme pour les autres, le travail de préparation se déroule de manière collaborative avec tous les syndicats, du patronat et de salariés ; il aboutira au 1er janvier 2016.
De très nombreuses autres mesures sont envisagées ; nous aurons l’occasion de les aborder.
Pour l’heure, mesdames, messieurs les sénateurs, il ressort des différents travaux et débats que vous avez menés en commission, et dont j’ai lu avec grand intérêt les comptes rendus, que deux questions se posent, à propos desquelles je veux, pour conclure, vous apporter des éclaircissements : pour quelle raison le Gouvernement entend-il recourir à des ordonnances et quel est l’intérêt d’un projet de loi qui, s’il couvre un certain nombre de pans de notre activité économique, n’est finalement qu’un petit caillou sur la longue route de la simplification ?
Si le Gouvernement désire procéder par ordonnances, c’est que, dans les matières dont nous parlons, la difficulté consiste dans la mise en œuvre des mesures. En effet, vouloir adopter un dispositif législatif et renvoyer pour son application à des décrets, élaborés souverainement par l’exécutif, revient probablement à sous-estimer la difficulté qu’il y a à s’assurer que les dispositions législatives et réglementaires s’incarnent très concrètement dans la réalité et sont mises en œuvre conformément aux orientations fixées par la loi.
C’est pourquoi le Gouvernement sollicite du Parlement, et en cet instant du Sénat, l’autorisation de légiférer par ordonnance. Au demeurant, nous avons pris l’engagement tout à fait formel d’associer à la rédaction des ordonnances les parlementaires qui le souhaiteront, notamment M. le rapporteur ; nous pourrons ainsi vérifier ensemble que les ordonnances respectent pleinement l’esprit de la décision prise par le Parlement.
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Quant à savoir pourquoi le projet de loi traite de sujets aussi différents et variés, de l’urbanisme au rescrit en passant par l’emploi, notamment le titre emploi-service entreprise, il faut garder à l’esprit que notre politique est conçue à partir des priorités exprimées par les entreprises, telles qu’elles sont définies par les dix groupes de travail qui ont été constitués. Chacun de ces groupes de travail, parmi lesquels figurent le groupe « Créer son entreprise », le groupe « Importer et exporter » et le groupe « Faire face aux obligations fiscales et réglementaires », détermine ce qui lui semble le plus important.
Je le répète, selon nous, la vie publique connaîtra un renouveau et un surcroît de richesse si l’on accepte l’agenda de celles et de ceux pour qui la politique est faite. En l’occurrence, ce n’est pas nous qui fixons l’agenda, ce sont les entreprises.
Ainsi, ces dernières ont soulevé la question des congés d’été des boulangers. Le compte rendu des travaux de la commission rapporte que certains ont un peu souri. Seulement, un jour, un boulanger est venu devant l’un de ces groupes de travail, auquel je participais, et nous a expliqué qu’il avait dû payer soixante-quinze euros d’amende parce qu’il avait oublié de déclarer ses congés d’été. C’est comme cela que nous avons appris l’existence du problème.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le secrétaire d’État, la commission vous soutient sur ce point !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Si j’insiste, monsieur le président de la commission des lois, c’est que le procès-verbal fait état de quelques sourires, que, du reste, je comprends tout à fait. Toujours est-il que les boulangers nous ont expliqué combien cette règle était aujourd’hui aberrante et méritait d’être supprimée : imaginez qu’elle date de 1790, lorsque n’existaient ni surgelés, ni grandes surfaces, ni stations-service vendant du pain !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Heureuse époque ! (Sourires.)
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Ainsi, notre agenda est calé sur les besoins de respiration exprimés par les entreprises. C’est la raison pour laquelle nous aurons le plaisir de nous retrouver régulièrement pour débattre de ces questions.
Pour ce qui concerne les sujets qui ont été soulevés en commission par voie d’amendement, et qui vont être remis en débat en séance publique, je vous invite, à la suite de M. le ministre de l’économie, de l'industrie et du numérique, à garder la ligne de la simplification dans le respect du droit existant, sans rien supprimer de ce droit. Par exemple, remettre en cause le compte pénibilité ou certaines dispositions de la loi Hamon revient à supprimer du droit existant ; ce n’est pas ce qu’il faut faire. (Mme Annie David acquiesce.)
Peut-être le Parlement, à un autre moment, décidera-t-il de réexaminer ces mesures, même si, personnellement, je ne le crois ni ne le souhaite. Probablement voudra-t-il en compléter, en préciser et en améliorer la mise en œuvre. Tant mieux !
En tout cas, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, à rester soudés, comme l’ont été les députés qui ont adopté ce projet de loi à l’unanimité, pour simplifier au nom du droit. Si vous y parvenez, je ne doute pas de la qualité de vos travaux, ni de l’intérêt de la contribution du Sénat à l’œuvre de simplification ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entendons tous ce constat formulé par nos concitoyens : la loi est trop complexe, trop souvent illisible.
Ce constat, certes basique, est tellement vrai ! La complexité croissante de notre droit ne contribue qu’à l’insécurité juridique, qui nous pénalise tous. Il convient donc de balayer notre arsenal législatif, afin d’en extraire l’inutile et de se recentrer sur l’essentiel : tel est le principe même d’un texte de simplification.
Déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 25 juin dernier, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a été adopté par nos collègues députés le 22 juillet suivant. Une nouvelle fois, nous sommes donc face à un texte destiné à simplifier le droit applicable aux entreprises, véritable « rituel parlementaire », pour reprendre les termes employés par Bernard Saugey en 2010.
Plus de dix années se sont ainsi écoulées depuis l’examen de la première loi explicitement qualifiée de loi de simplification. En tant que rapporteur, j’ai fort naturellement souhaité me placer dans la continuité des travaux de mes prédécesseurs, Bernard Saugey et Thani Mohamed Soilihi, rapporteurs de plusieurs lois de simplification au cours de ces dernières années, dans une démarche constructive. Toutefois, je ne peux qu’exprimer une certaine déception face au présent texte, car il me paraît manquer d’ambition et héberger de nombreuses dispositions sans lien direct avec son intitulé et qui ne concernent pas, en réalité, les entreprises.
Compte tenu des opérations de reconstitution des instances du Sénat à la suite des dernières élections sénatoriales, nous n’avons disposé que d’un temps très limité pour préparer l’examen de ce projet de loi, la conférence des présidents l’ayant inscrit à l’ordre du jour à une date fort précoce, ce qui nous a privés de la possibilité de mieux le structurer. Avec plus de temps, à n’en pas douter, nous aurions pu l’enrichir, ce qui aurait sans doute donné davantage de travail au Gouvernement !
En dépit de ces limites, la commission des lois a examiné ce texte dans un esprit très constructif, considérant que la simplification du droit des entreprises était aujourd’hui un objectif politique partagé et que la plupart des avancées et des améliorations rendues possibles par ce projet de loi, aussi modestes soient-elles, méritaient d’être approuvées.
Comme elle en a l’habitude lorsqu’elle est saisie d’un pareil texte, la commission des lois a délégué l’examen au fond des articles qui ne relèvent pas de sa compétence aux commissions saisies pour avis. Je tiens d’ailleurs en cet instant à remercier très sincèrement mes collègues rapporteurs pour avis de leur contribution à l’amélioration et à la clarification du présent projet de loi.
La commission des lois a conservé l’examen des articles relevant de sa compétence au titre du droit des sociétés, mais aussi du droit administratif, du statut de la copropriété, du droit de la consommation, du droit de la commande publique, ou encore du droit des collectivités territoriales, excusez du peu !
Avant même d’analyser le contenu de ce projet de loi, je tiens à souligner que nous approuvons la poursuite du processus de simplification du droit qui constitue un impératif pour la compétitivité de nos entreprises. Je voudrais d’emblée me féliciter que cet objectif de simplification ait été considéré comme une priorité par les gouvernements successifs, car c’est une bonne nouvelle pour nos entreprises. Alors que la compétitivité-coût de notre pays n’est pas excellente, la simplification de l’environnement juridique des entreprises est un élément, parmi d’autres bien sûr, qui contribue à faciliter les conditions d’exercice de leur activité et donc à soutenir leur compétitivité, en allégeant leurs contraintes.
Les personnes que j’ai entendues en audition ne s’y sont pas trompées, qu’il s’agisse de membres des organisations représentant les entreprises ou les professionnels qui accompagnent les entreprises au quotidien. Tous ont souligné combien il était important que le processus de simplification se poursuive et se pérennise, de façon à être une préoccupation permanente des pouvoirs publics. Le présent projet de loi fait donc l’objet d’une approbation de principe des acteurs concernés.
La recherche de règles plus simples et mieux adaptées aux réalités de la vie économique ne doit toutefois pas faire oublier d’autres exigences, tout aussi nécessaires pour les entreprises, que sont la stabilité de leur environnement juridique et la prévisibilité des normes qui leur sont applicables – je sais que notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui fut longtemps président de la commission des lois, y est particulièrement sensible.
Le présent projet de loi est le cinquième depuis 2012 à afficher pour objectif exclusif la simplification du droit. Il s’inscrit dans le programme de modernisation de l’action publique et de simplification du droit engagé par le Gouvernement, dans la continuité des travaux conduits par le gouvernement précédent.
Je rappellerai ainsi la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, sans oublier la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, dont le présent projet de loi est la suite, ainsi que le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, encore en cours de navette.
Depuis 2012, ces trains successifs de simplification ont pris le relais des quatre propositions de loi de simplification, adoptées lors de la précédente législature sur l’initiative de notre collègue député Jean-Luc Warsmann – la commission des lois a beaucoup critiqué la méthode suivie à l'époque, ce qui me permettra d’être critique sur la méthode actuelle –, faisant elles-mêmes suite à deux projets de loi adoptés lors de la législature antérieure.
Pour autant, l’examen de la noria de textes de simplification demeure un exercice parlementaire difficile, tant la diversité et l’inégale importance des sujets abordés ne favorisent pas toujours un débat éclairé sur les enjeux des mesures envisagées. Le débat est d’autant plus difficile lorsque le texte est constitué pour l’essentiel d’habilitations à légiférer par ordonnance, comme c’est le cas en l’espèce. Aussi la commission des lois a-t-elle régulièrement appelé de ses vœux des lois de simplification plus brèves et construites autour de thèmes circonscrits, de façon à permettre un authentique débat de fond.
À cet égard, je tiens à saluer l’initiative de Thani Mohamed Soilihi, qui a récemment déposé, dans le prolongement de ses travaux de rapporteur de la loi du 2 janvier 2014, une proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du code de commerce, clairement délimitée à un champ particulier du droit des entreprises, ne visant qu’un seul code dont elle passe en revue un certain nombre de chapitres, permettant un examen nettement plus rationnel et méthodique.
À titre personnel, j’estime, mon cher collègue, que cette proposition de loi mériterait d’être inscrite prochainement à l’ordre du jour du Sénat. Je vais même vous faire une confidence : je souhaitais reprendre l’une ou l’autre des dispositions de votre texte, mais je me suis rendu compte que je ne ferai que déstructurer davantage le présent projet de loi. Au moment, où j’appelle le Gouvernement à nous présenter des textes mieux construits, vous comprendrez donc que je m’en sois abstenu !
Enfin, en dépit de cette continuité politique qu’il convient de saluer dans le domaine de la simplification du droit, je déplore que ce sujet donne parfois lieu à des annonces qui tardent à se concrétiser dans la vie des entreprises, ce qui ne peut être qu’une source de confusion et de méfiance des entrepreneurs à l’égard du discours politique sur la simplification.
On peut, de ce point de vue, citer deux mesures ambitieuses annoncées lors des Assises de la simplification du 29 avril 2011 et qui n’ont donné lieu à ce jour à un aucun résultat tangible – vous pouvez constater, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que je ne réserve pas mes critiques à un gouvernement plus qu’à un autre ! Ces deux mesures ambitieuses ont un nom : il s’agit de la création d’un « coffre-fort numérique », destiné à conserver les informations déclarées aux administrations par les entreprises pour éviter à ces dernières d’avoir à les fournir à plusieurs reprises, et de la simplification tant attendue du bulletin de paie.
D’une part, le « coffre-fort numérique » a fait l’objet d’une habilitation donnée au Gouvernement par l’article 62 de la loi du 22 mars 2012, mais l’ordonnance n’a jamais été prise – exemple à ne pas suivre ! Le programme « Dites-le nous une seule fois », engagé par l’actuel gouvernement, prend le relais de ce projet abandonné, en cherchant, plus modestement et peut-être plus pragmatiquement, à réduire les redondances dans les informations demandées aux entreprises. En tout état de cause, il est indispensable d’avancer sur ce dossier, peu importe comment vous l’appelez, monsieur le secrétaire d'État !
D’autre part, le chantier de la simplification du bulletin de paie, ouvert par l’article 51 de la loi du 22 mars 2012, ne semble pas avoir progressé non plus. Certes, il ne faut pas en sous-estimer la complexité, dès lors qu’il s’agit non seulement de simplifier la lisibilité du bulletin de paie pour le salarié, mais surtout d’en faciliter l’établissement par l’employeur. La loi précitée comportait une habilitation en vue de simplifier le calcul des charges sociales, mais, là non plus, aucune ordonnance n’a été prise. J’ai bien entendu les nouvelles annonces faites jeudi dernier par le Gouvernement en matière de simplification, mais sur la question du bulletin de paie, permettez-moi d’être encore sceptique. Peut-être en reparlerons-nous à l’occasion de l’examen d’un prochain projet de loi de simplification... J’aimerais tant pouvoir en être le rapporteur au cours de mon mandat, monsieur le secrétaire d’État – je vous rappelle que je viens d’être élu et que vous disposez donc de quelques années !
Fort heureusement, cette absence de résultat tangible n’affecte pas tous les chantiers de simplification. Ainsi, prévue par l’article 35 de la loi du 22 mars 2012, la déclaration sociale nominative doit en principe s’appliquer à toutes les entreprises au 1er janvier 2016. Cette déclaration unique, censée remplacer toutes les déclarations que les employeurs sont tenus de transmettre aux organismes sociaux, reçoit assurément les suffrages des représentants des entreprises que j’ai entendus.
Dans ces conditions, l’effort de simplification ne doit pas être relâché. Or le risque de procéder trop systématiquement par la voie des ordonnances peut conduire à se priver de l’appui des parlementaires pour accentuer cet effort, et donc à s’en tenir à un processus de simplification plus administratif que réel, ne visant pas toujours les principales causes de complexité dans la vie des entreprises et produisant, parfois, des simplifications pour l’administration plutôt que pour les entreprises.
Concernant le contenu du projet de loi qui nous est soumis, constitué pour l’essentiel d’habilitations à légiférer par ordonnance, chacun a pu constater son caractère particulièrement composite. Je vous fais part en cet instant, de nouveau, de ma déception.
Je ne saurais reprendre l’expression qu’employa voilà quelque temps notre collègue Bernard Saugey d’« assemblage hétéroclite de “ cavaliers législatifs ” en déshérence » pour caractériser une proposition de loi de simplification particulièrement disparate. Force est cependant de constater que le présent projet de loi est loin de se concentrer sur la vie des entreprises. Il me semble que la loi du 2 janvier dernier était, elle, bien plus centrée sur la vie des entreprises. C’est d’ailleurs ce qui explique que la commission des lois ait décidé, sur ma proposition, de compléter l’intitulé du projet de loi que nous examinons aujourd’hui, pour rendre compte de sa véritable nature. J’espère que vous avez apprécié le clin d’œil, monsieur le secrétaire d’État !
En effet, de nombreuses dispositions ne concernent pas les entreprises, ou alors de façon indirecte, voire sont des mesures de simplification pour l’administration, ou encore sont non pas des mesures de cette nature, mais des dispositions diverses qui ont trouvé, avec ce projet de loi, un réceptacle bien commode. Ce texte n’évite ainsi ni l’écueil du « fourre-tout », si vous me passez cette expression, ni celui du recours aux ordonnances sur des aspects substantiels.
Ainsi, alors que l’article 6 vise à supprimer la réglementation des congés des boulangers par les maires et les préfets, l’article 26 tend à simplifier les conditions de désignation des commissaires aux comptes des établissements publics et l’article 34 procède, sans aucun rapport lui non plus avec la simplification de la vie des entreprises, à diverses mesures d’adaptation dans le code de la consommation, oubliées voilà quelques mois, à l’occasion de l’adoption de la loi du 17 mars dernier relative à la consommation.
De surcroît, l’approche du projet de loi paraît parfois très pointilliste, ce texte comportant des mesures ponctuelles ne traduisant pas une réelle vision d’ensemble ou une démarche globale de simplification. Ainsi, en matière de droit des sociétés, l'article 12 vise à réduire, par ordonnance, le nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées. Outre que la mesure est loin de faire l’unanimité, s’il faut évidemment simplifier le régime de la société anonyme, la demande réside plutôt dans la mise en place d’un régime globalement simplifié pour les petites sociétés non cotées, de sorte que l’enjeu dépasse alors de loin la simple question du nombre d’actionnaires. La commission des lois a donc décidé de supprimer cette disposition.
Par ailleurs, près de la moitié des articles du projet de loi sont en réalité des habilitations à légiférer par ordonnance, avec des champs très larges dans certains cas, alors que les articles modifiant directement le droit en vigueur ont le plus souvent une portée extrêmement modeste.
À titre d’exemple, l’article 4 du texte reprend à l’identique une habilitation supprimée conforme par les deux assemblées lors de l’examen du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, notamment en raison de son grave manque de précision.
Il s’agit de donner habilitation au Gouvernement en vue de simplifier ou de supprimer tous les régimes d’autorisation ou de déclaration préalable concernant les entreprises, sans aucun encadrement. Nous avons supprimé cette habilitation en commission et je regrette, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement demande, par le biais d’un amendement, son rétablissement pur et simple, sans prendre en compte, dans la rédaction de ce dernier, les demandes de garanties que nous avions réclamées, alors que nous n’avons, je suis bien obligé de le dire, pas d’opposition de principe à cette démarche.
L’article 27 prévoit, quant à lui, la transposition par ordonnance des deux directives du 26 février 2014 relatives aux marchés publics. Il vise également la rationalisation par ordonnance des différents textes traitant de la commande publique, y compris les contrats de partenariat, dans la perspective, à laquelle on ne peut que souscrire, de l’élaboration à terme d’un vrai code de la commande publique.
Nous avions des interrogations sur le champ de cette habilitation, de sorte que la commission des lois a préféré le restreindre à titre conservatoire. Cette fois, le Gouvernement, qui a compris notre point de vue, nous soumet un amendement que nous approuvons et dont la rédaction permet également d’intégrer les préoccupations de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli sur les contrats de partenariat. Vous me permettrez, monsieur le secrétaire d’État, de regretter que le même dialogue n’ait pas eu lieu au sujet de l’habilitation de l’article 4 dont je viens de parler. Et ce n’est pas faute d’avoir fait des appels du pied !
Il est vrai que nous étions dans des délais contraints, mais recevoir des amendements à vingt-deux heures, alors que l’on doit les examiner le lendemain matin, peut poser un problème. Cependant cette situation ne nous aurait certainement pas empêchés d’en discuter !
Pour autant, le présent projet de loi n’inspire pas que des critiques, loin de là. Vous le savez, des mesures intéressantes et de portée significative y figurent, en effet, par exemple, à l’article 3, l’extension de la procédure du rescrit à d’autres domaines de l’action administrative…