Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 va nous permettre de dresser de nouveau un bilan de l’action menée par le Gouvernement en matière de finances sociales.
Le déficit du régime général de la sécurité sociale en France s’aggraverait pour atteindre 10 milliards d’euros en 2015, sans nouvelle mesure d’économies, indiquait, il y a quelques semaines encore, la Commission des comptes de la sécurité sociale, ajoutant que l’objectif d’un retour à l’équilibre des comptes sociaux, qui, rappelons-le, reste un impératif, est repoussé au-delà de 2017. Pourtant, le Gouvernement visait un retour au quasi-équilibre des régimes de base de la sécurité sociale en 2017. Cette trajectoire est donc plus que compromise.
Depuis 2010, année où le fameux « trou de la sécu » avait atteint 23,9 milliards d’euros, le déficit a diminué chaque année. Mais la Cour des comptes vient de sonner l’alerte : si la réduction des déficits de la sécurité sociale s’est poursuivie en 2013, elle a eu tendance à marquer le pas, en raison, probablement, de la conjoncture économique.
Or tout système de santé doit viser une dépense de soins efficiente, assise sur un financement équitable. Le Gouvernement, à l’instar d’autres avant lui, a bâti le projet de loi de financement de la sécurité sociale en se fondant sur des hypothèses économiques pour le moins optimistes : il a fixé l’objectif de croissance du PIB à 1 % et l’évolution de la masse salariale à 2 %, ce qui, comme le considère le Haut Conseil des finances publiques, semble peu réaliste. Or c’est à partir de l’estimation de la croissance qu’ont été indexées les prévisions de la dette.
La première question, toute simple, que nous devons tous nous poser est la suivante : quels sont les leviers d’amélioration ?
Pour diminuer le déficit, le premier levier à actionner consiste à augmenter les recettes. Faute de croissance, cela passerait par l’augmentation et la multiplication des taxes. Or même la Commission européenne estime qu’il y a trop d’impôts en France, la ligne rouge ayant été dépassée en matière de fiscalisation. Les contribuables français paient trop d’impôts. Par ailleurs, s’attaquer délibérément à l’esprit d’entreprise en ciblant les entreprises, les PME et leurs dirigeants n’est pas non plus la solution.
La deuxième possibilité réside dans la limitation des dépenses.
Je le concède, les économies sont difficiles à trouver. Madame la ministre, vous avez vous-même annoncé qu’il n’y aurait pas de déremboursement de médicaments ni de gel des prestations familiales en 2015. Toutefois, certaines aides seront revues à la baisse, par exemple au travers de la modulation des allocations familiales en fonction du revenu, une mesure adoptée, il y a quelques jours, par l’Assemblée nationale et qui a provoqué la colère de nombreuses familles et des associations familiales. En effet, ces dernières estiment que cette nouvelle disposition, qui s’ajoute à la réforme du congé parental et à la baisse du quotient familial, marque un tournant historique pour notre pays en matière de politique familiale.
Pour que la sécurité sociale mette en œuvre des principes de solidarité adaptés aux enjeux des sociétés actuelles, il est plus que temps, pour beaucoup, de s’interroger sur les redistributions effectives du système, en corrigeant les composantes qui apparaissent parfois profondément injustes. Une meilleure focalisation des prestations de protection sociale, visant à aider en priorité ceux qui sont en réalité les plus nécessiteux, serait de nature à contenir les besoins de financement.
Mme Michelle Meunier. C’est ce que nous faisons !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Une telle évolution permettrait de ne pas augmenter les prélèvements sociaux et éviterait, ainsi, de pénaliser l’emploi.
Si l’urgence budgétaire nous impose d’engager une telle réflexion à marche forcée, il s’agit aussi, pour nous tous, mes chers collègues, d’une formidable occasion de revendiquer que des réformes répondent aux enjeux contemporains de la solidarité.
Or, avec les seules réformes, plutôt marginales, qui nous sont proposées, on ne saurait, me semble-t-il, prétendre réduire durablement la dette de la sécurité sociale au cours des années à venir, d’autant que le contexte actuel est tendu.
Les décisions budgétaires imposent de faire des choix ; ceux-ci peuvent être audacieux et traduire une véritable volonté politique. La protection sociale, dans son intégralité, mérite une telle volonté. Comment imaginer que l’organisation de la protection sociale, dont l’architecture générale a été pensée au lendemain de la guerre, puisse encore être adaptée aux défis des sociétés contemporaines ? (M. Jean Desessard s’exclame.)
Vous le savez, mes chers collègues, l’assurance maladie est un chantier permanent. Pour s’en tenir à l’histoire récente, depuis le plan Barre de 1976, pas moins de vingt réformes se sont succédé en moins de quarante ans, pour des résultats qui n’ont pas toujours été à la hauteur de nos attentes ni de nos espérances.
Certaines solutions consensuelles ont déjà été mises en œuvre par des gouvernements de tout bord : réduire les remboursements de médicaments, favoriser le recours aux produits génériques, accroître l’efficacité de la médecine en engageant des campagnes de prévention ou une rationalisation de la carte hospitalière...
Ces propositions sont, on le sait, largement insuffisantes. Il faut aller plus loin, ne l’oublions pas, d’autant que le système de santé français est l’un des plus coûteux au monde : les dépenses de santé représentent près de 12 % de notre PIB.
Toutes les études s’accordent à expliquer que notre système est difficilement soutenable à long terme. Dès lors, comment garantir à tous un système de santé de qualité, dont le financement serait pérenne, alors même que nous savons que nos dépenses de santé augmentent plus rapidement que notre PIB ?
Mes chers collègues, la sécurité sociale aura soixante-dix ans en 2015. L’assurance maladie s’est construite depuis 1945 sur trois principes fondamentaux : l’égalité d’accès aux soins, la qualité des soins et la solidarité. Elle permet ainsi à chacun de se faire soigner selon ses besoins, quels que soient son âge et son niveau de ressources. Aujourd’hui, elle garantit l’accès aux soins à plus de 55 millions de personnes.
Pourtant, la notion de « santé » n’est pas statique : elle évolue constamment en fonction des maladies, des épidémies, des conditions de vie, de l’alimentation, des progrès médicaux, des relations avec d’autres sociétés. Elle répond aux perpétuels changements auxquels est soumis l’individu. On vit plus vieux en France, mais on vit aussi plus longtemps malade. La santé reste considérée comme un bien collectif. C’est pourquoi les individus attendent de l’État une politique et des actions susceptibles de préserver la santé et de l’améliorer.
Le retour indispensable à l’équilibre des comptes passe, d’abord, par une progression des ressources. Priorité doit être donnée à la remise en cause des niches sociales. Ces niches – l’ensemble des exonérations, réductions ou autres abattements qui s’appliquent aux cotisations et contributions sociales – créent un manque à gagner pour la sécurité sociale.
M. Jean Desessard. Oui !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. D’ailleurs, en matière de finances publiques, la Cour des comptes estime que ces dispositifs coûtent entre 67 milliards et 73 milliards d’euros…
M. Jean Desessard. Oui !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. … si l’on additionne les exonérations de cotisations et leur compensation, soit bien plus que les quelque 40 milliards d’euros évoqués dans les rapports officiels.
Même si la Cour des comptes salue les efforts réalisés au cours de ces dernières années pour réduire ces niches, en tenant compte des mesures annoncées dans le cadre de la réforme des retraites, elle exhorte le Gouvernement à les « prolonger avec plus de vigueur ».
Côté dépenses, les pistes d’économie pourraient concerner, d’abord, les hôpitaux. Les établissements doivent accroître la productivité et adopter des mesures d’organisation et de restructuration, car les efforts de redressement paraissent lents. Il est nécessaire de poursuivre le mouvement engagé, de réorganiser et de restructurer les choses pour voir où nous pourrions réaliser des économies et trouver certaines marges de manœuvre.
En termes d’organisation d’abord, l’une des premières faiblesses du système de santé français reste les coûts administratifs particulièrement élevés. Une meilleure coordination entre la médecine de ville et l’hôpital semble nécessaire.
Par ailleurs, avec une dépense de santé plus élevée que dans nombre de pays développés, les performances françaises en matière de santé sont plutôt bonnes, mais révèlent des inégalités sociales particulièrement marquées.
Aussi, afin d’améliorer l’efficacité du système de santé dans son ensemble, deux pistes me semblent intéressantes.
Tout d’abord, il conviendrait d’allouer davantage de moyens aux agences régionales de santé, les ARS, et de les impliquer plus activement dans le pilotage des politiques de santé. Elles auraient la faculté de répartir au mieux l’enveloppe entre la médecine ambulatoire, l’hôpital et le secteur médico-social. Elles auraient aussi la maîtrise des conventionnements et des modalités de rémunération des professionnels de santé. Mettre ces agences au centre des dispositifs de pilotage permettrait de mieux adapter l’offre de soins aux besoins de chaque région et d’optimiser les moyens pour l’ensemble des modes d’intervention.
Ensuite, il faudrait favoriser la montée en puissance des systèmes d’information de santé afin d’en tirer parti, à l’image de ce qui s’est fait pour le dossier médical personnel, qui existe depuis plusieurs années. Cet outil, visant à regrouper les données médicales de chaque patient dans un dossier individuel, a pour objet d’améliorer la communication entre les professionnels de santé et d’éviter les examens redondants ou inutiles.
Qu’il s’agisse de mesurer la qualité des soins, de fixer les modes de rémunération en s’appuyant sur une connaissance plus fine des pratiques médicales ou encore d’évaluer plus précisément les médicaments et les technologies médicales, nous devons engager une évolution profonde des systèmes d’information, car ces derniers permettront de réaliser rapidement non seulement des gains en matière de qualité de soins, mais aussi de substantielles économies.
En termes d’économies financières, ensuite – dans ce secteur, le champ d’intervention est très vaste –, il faudra aller plus loin encore en ouvrant probablement des débats, que je sais par avance passionnés, sur un retour aux 39 heures, une proposition que certains jugent explosive ; l’instauration d’une seconde journée de solidarité – la journée de solidarité mise en place rapporte environ 2 milliards d’euros par an ! – ou encore le retour d’un jour de carence pour l’ensemble des salariés du secteur public, supprimé dans le cadre de la loi de finances pour 2014, avec un renforcement du contrôle du bien-fondé des arrêts maladie.
Parmi les pistes que nous pourrions examiner, et pour n’en prendre qu’une, nous pourrions tout simplement nous demander comment réguler l’offre et la demande de soins.
Pour répondre à cette question et pour être le plus précis possible dans cette réflexion, il est souhaitable de se positionner du côté, d’une part, du patient et, d’autre part, du médecin.
Concernant les patients, le challenge est de trouver le bon équilibre entre la responsabilisation des individus et la prise en charge des besoins réels. Ainsi, les termes de l’arbitrage principal du côté de la demande de soins sont relativement clairs. L’assurance vise à transférer du pouvoir d’achat à des individus lorsqu’ils sont victimes d’un risque. Lorsque ce transfert prend la forme d’une indemnisation forfaitaire, le mécanisme d’assurance n’entraîne pas de distorsion des incitations. Toutefois, lorsqu’il passe par une réduction du prix acquitté pour les soins, l’assuré pourra être incité à consommer davantage, tant en quantité qu’en qualité.
M. Gilbert Barbier. C’est évident !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Lors d’une maladie, si l’assuré peut connaître le diagnostic, l’assureur, quant à lui, n’est informé que des soins prescrits et consommés.
Comme le souligne l’Institut Montaigne, cette asymétrie d’information, qui pèse moins dans le cas de soins hospitaliers, contraint tout mécanisme d’assurance santé à choisir entre une couverture plus générale, bonne en termes d’accès aux soins, mais favorisant la consommation excessive, et une couverture moindre qui, par la responsabilisation du patient, pourra conduire ce dernier à une modération vertueuse au prix d’une moins bonne prise en charge, y compris pour ce qui concerne les dépenses correspondant à un indubitable besoin de soins.
Ainsi, les termes de l’arbitrage plaident pour une bonne couverture des soins très coûteux, dont la mise en œuvre résulte davantage d’une décision des professionnels de santé que du choix des patients eux-mêmes. À l’inverse, en ce qui concerne les dépenses de faible ampleur, il est à peu près équivalent qu’elles soient payées sous la forme d’une cotisation plus onéreuse ou lors de la consultation médicale.
Tournons-nous maintenant du côté des médecins. Il faut reconnaître que l’organisation de la médecine peut paraître encore archaïque, du fait principalement du maintien de la rémunération à l’acte des médecins. Dès lors, comment s’étonner qu’avec une valeur basse de ce tarif certains médecins cherchent à multiplier le nombre de consultations en diminuant le temps accordé à chaque patient, quitte à l’inviter à revenir ?
Peut-être pourrions-nous nous orienter, comme le propose Pierre-Yves Geoffard et à la suite d’autres pays européens, vers une formule de paiement à la performance. Dans un tel modèle, la politique de santé publique reposerait sur la définition de missions de service public et sur leur délégation selon des critères de performance, déclinés en termes de rémunération ; par ce mécanisme, elle irriguerait l’ensemble de la population à travers les cabinets médicaux.
Je pense que des évolutions sont également nécessaires en matière de retraites. De fait, nous savons que le système français des retraites par répartition accuse lui aussi un déficit important. Nombreux sont ceux qui pensent que la retraite à soixante ans, instaurée en 1983, porte une grande responsabilité dans les problèmes actuels ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) Le déficit que nous constatons aujourd’hui est la conséquence de l’obsolescence de notre système, tout à la fois archaïque, opaque et inégalitaire.
Pourtant, il est possible de retrouver l’équilibre. Pour y parvenir, nous pouvons d’ailleurs nous inspirer d’autres pays, qui, eux, ont réussi des réformes structurelles.
Trois principes fondateurs de notre pacte républicain devraient guider une réforme des retraites. Ce sont les trois idéaux réunis par la devise de notre République : liberté, fraternité et égalité.
Aujourd’hui, le système français des retraites est en mauvaise posture à court terme ; à long terme, les perspectives sont encore pires. De plus, il y a peu à attendre des autres branches de la protection sociale : l’assurance maladie est fortement déficitaire, tandis que l’assurance chômage doit faire face à une situation de l’emploi dégradée, sans parler des dépenses relatives à la dépendance, qui ont les plus grandes chances d’augmenter.
L’État finance par l’emprunt plus du tiers de ses dépenses. Quant au Fonds de réserve pour les retraites, ses recettes ont été attribuées à la sécurité sociale et ses avoirs seront dépensés progressivement, sans que ce sacrifice ne change sensiblement la donne.
Dès lors, il faut soit se résigner à continuer d’emprunter pour équilibrer le budget, ce qui conduirait la dette du système des retraites à dépasser une année de PIB, soit prendre de nouvelles mesures efficaces pour amener les retraites à l’équilibre financier, en ayant le courage de procéder à une réforme structurelle d’envergure du système actuel de retraites par répartition. Je rappelle d’ailleurs que le principe d’une telle réforme systémique, nécessaire et réalisable à long terme, a été inscrit dans la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites sur l’initiative de notre assemblée.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. Mais avec quelles suites ?
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Nous ne pouvons plus nous contenter d’agir sur les seuls paramètres de la durée d’assurance de référence et de la fourchette des âges légaux de départ à la retraite. Il importe d’aboutir à un régime unique, moderne, dans lequel les droits à pensions se calculeraient en points – une idée chère à Mme la présidente – et dans lequel la retraite se prendrait à la carte, avec possibilité de liquidation fractionnée et rétractable. La neutralité actuarielle et le respect de l’équité intergénérationnelle y seraient de rigueur, et le recours à la solidarité n’y serait pas moindre, mais plus intelligent et mesurable.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. En vérité, il faut réfléchir à une réforme structurelle assurant l’équilibre financier grâce à la création d’une variable de commande qui fait aujourd’hui défaut, et qui miserait sur la liberté responsable en donnant à chacun le choix soit de partir tôt avec une pension modeste, soit plus tard avec une pension plus confortable.
Il faudra rapidement songer à mettre en place une réforme structurelle d’envergure, qui devra tenir compte de l’adoption du principe de contributivité et du principe des cotisations définies. Elle devra aussi énoncer une règle de l’équilibre budgétaire des retraites et instaurer une retraite à la carte avec neutralité actuarielle. Il faudra également opérer la fusion de tous les régimes de retraite par répartition au sein d’un régime national unique fonctionnant par points ou encore mettre en place une garantie de pension inspirée du dispositif du RSA.
Enfin, il est un autre sujet auquel nous devons tous réfléchir : la nécessaire réforme du financement de la protection sociale.
Sur quelle base repose vraiment le financement de la protection sociale ? Avant tout, sur les salaires. En effet, les trois quarts des ressources sont constituées de prélèvements assis sur les revenus d’activité : les cotisations sociales, bien sûr, qu’elles soient patronales ou salariales, mais aussi la CSG. Aujourd’hui, donc, le financement de la protection sociale repose encore largement sur les revenus du travail.
Or un mode de financement de la protection sociale fondé sur des cotisations assises sur les salaires présente le triple défaut de peser sur les coûts de production des entreprises, de taxer davantage le travail que le capital et de ne pas être redistributif. C’est pourquoi il importe de réfléchir à un nouveau mode de financement, plus légitime, qui vise non seulement la neutralité économique, mais aussi une plus grande solidarité sociale.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes tous convaincus qu’il faudra une volonté audacieuse et combative pour mener à bien les nouvelles réformes qui apporteront les changements nécessaires.
Du moins les principes qui sous-tendent ces réformes sont-ils simples : une définition collective, transparente et démocratique des priorités de santé publique ; une déclinaison de ces priorités par des délégations de service public associées à des modes de rémunération cohérents ; la responsabilisation des acteurs individuels et collectifs, du côté tant de la demande que de l’offre de soins ; une évolution du système d’information qui soutienne l’ensemble des réformes.
J’ai tenu à présenter ces observations avant le début de l’examen des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont certaines mesures susciteront de longs débats, s’agissant aussi bien des recettes que des dépenses. En tout état de cause, je reste persuadé que des modalités de construction plus rigoureuses sont indispensables pour peser plus réellement et plus efficacement sur nos dépenses, au sein desquelles les marges d’économies sont considérables ; ces marges, il nous appartient de les trouver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à écouter Mme la ministre et vous-même, monsieur le secrétaire d’État, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes…
M. Gilbert Barbier. … et vous seriez sur la bonne voie pour faire disparaître les déficits sociaux à un horizon tout proche, retardé tout de même, si j’ai bien compris, de deux années supplémentaires. Selon vous, nous aurions le meilleur système de santé possible et un accès aux soins de qualité serait garanti à tous.
Quel dommage, ce langage de circonstance ! Quel dommage de ne pas reconnaître, ici ou là, quelques graves insuffisances. Car si tout n’est certes pas tout noir, tout n’est pas non plus tout blanc !
Je n’ignore pas les contraintes du moment ; mais sont-elles une raison pour ne pas s’attaquer à des réformes profondes propres à apporter des solutions pérennes à un système à bout de souffle dans de nombreux domaines ?
À cet égard, j’ai observé que Mme la ministre avait utilisé l’expression de « réformes structurantes », alors que M. le secrétaire d’État a parlé de « réformes structurelles ». J’avoue qu’il y a là une distinction qui m’échappe un peu et au sujet de laquelle il serait utile que nous obtenions quelques éclaircissements.
Vous me répondrez, monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’avez fait devant l’Assemblée nationale, que la majorité précédente est responsable de la situation présente. Certes, elle n’est pas exempte de reproches, mais l’argument est un peu dépassé : il n’est plus audible, il lasse et il ne convainc plus. À la vérité, nous serions en droit d’espérer d’autres réponses au bout de trois ans de gestion.
D’autant qu’il y a urgence à lancer de véritables réformes, « des réformes structurelles seules à même d’infléchir durablement l’évolution tendancielle des dépenses », comme le signale la Cour des comptes. Il y a urgence à traiter les déficits chroniques de l’assurance maladie et de l’assurance vieillesse, ce qu’on ne fera pas en se contentant de manier ce magnifique instrument qu’est le rabot.
Or, cette année comme les précédentes, vous avez raboté. À la vérité, vous rabotez toujours un peu plus et toujours les mêmes : les retraités, la médecine de ville, l’industrie pharmaceutique, les médecins. Cette année, de surcroît, vous avez choisi de vous en prendre plus particulièrement à la politique familiale.
D’ailleurs, s’agissant des médecins, Mme la ministre va réussir le tour de force de rassembler contre son projet de loi relatif à la santé la quasi-totalité des syndicats médicaux, sans compter l’Académie de médecine – exploit qui n’a que peu de précédents !
En ce qui concerne les articles d’équilibre, nous avons besoin de patience, de persévérance et d’une bonne dose de paracétamol pour pouvoir nous y retrouver. La Cour des comptes n’a-t-elle pourtant pas demandé au Gouvernement d’« assurer une information appropriée du Parlement sur la formation des soldes retracés par les tableaux d’équilibre, en mettant fin aux contractions injustifiées de produits et de charges » ?
N’a-t-elle pas aussi signalé, entre autres défis, ceux « des lois de financement à moderniser », « des dépenses de ville à réguler beaucoup plus vigoureusement » et « des gains d’efficience à mobiliser plus fermement à l’hôpital » ?
Les économies évoquées par le Gouvernement n’existent que par rapport à un tendanciel plus théorique que réaliste. Il serait tellement plus clair pour tout le monde de présenter l’évolution des dépenses et des recettes en valeur absolue !
Cette année, comme nous l’avons fait en 2013 et comme certainement nous le ferons en 2015, nous allons transmettre aux générations futures une dette supplémentaire de 15 milliards d’euros, contractée pour couvrir ce qui n’est, comme cela a été signalé, que le fonctionnement au jour le jour de notre système. Madame la ministre, s’il y a une politique inique, je crois bien que c’est celle-là ! Vous entendez d’ailleurs créer quelques dépenses supplémentaires, comme le tiers payant généralisé. Dormez, bonnes gens, vous serez soignés gratis et vos enfants paieront !
Pour m’en tenir seulement à la santé publique, malgré vos paroles lénifiantes, le constat est alarmant : notre système de santé, quoi que vous en disiez, se dégrade, et notre système de soins est malade. Ainsi, un constat s’impose avec de plus en plus d’évidence : des distorsions considérables existent en matière d’accès à des soins de qualité dispensés avec une sécurité assurée.
Nos hôpitaux généraux sont en grande difficulté et les faits malheureux d’Orthez ne sont que la manifestation d’un mal lancinant. Alors que les vacances de postes médicaux se multiplient, les établissements ont recours à des personnels dont il serait indispensable de vérifier la formation, la compétence et l’équivalence des diplômes. Il serait également nécessaire d’encadrer les abus de certaines officines pourvoyeuses de personnel de remplacement.
En 2008, une étude de l’Inspection générale des affaires sociales a dénombré près de cent trente plateaux techniques qui fonctionnaient de manière insuffisante, voire dangereuse. Les évolutions ayant été peu nombreuses depuis cette date, il serait urgent, madame la ministre, de faire à nouveau le point sur la question. Le problème réside dans le trop grand nombre d’établissements et de services. Il faudrait donc, comme vient de le souligner M. le président de la commission des affaires sociales, rationaliser les structures et en reconvertir, voire en fermer certaines.
Nos concitoyens ont le droit de bénéficier, quelle que soit leur situation sociale ou géographique, de soins de qualité optimale. On ne peut pas faire tout partout, et tout bien !
Les évolutions de la médecine conduisent à une plus grande spécialisation, et c’est bien ainsi. Seulement, une médecine à deux vitesses s’installe : d’un côté, les patients qui savent et se renseignent, de l’autre ceux qui ont encore une confiance aveugle dans le système. Vous le savez, madame la ministre, et je comprends que cela vous gêne. À tel point que vous prévoyez, dans votre projet de loi relatif à la santé, de verrouiller les données épidémiologiques et statistiques sur la morbidité des établissements et des services.
Ces paroles peuvent paraître brutales, mais il convient de rappeler la réalité de cette dégradation quotidienne.
La restructuration est un sujet bien sûr déplacé, c'est un tabou auquel vous n’osez pas toucher. Le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie, la CNAM, que j’interrogeais il y a un an, avouait qu’il s’agissait d’un mur infranchissable. Pourtant, il y a là un gisement d’économies importantes et un facteur d’amélioration de la qualité des soins. Il est temps d’admettre que les emplois hospitaliers ne peuvent être la variable d’ajustement de la désindustrialisation locale.
J’en viens à un sujet que vous avez évoqué, celui de la prévention et de la politique vaccinale. En septembre dernier, le président du Haut Conseil de la santé publique a fait part de son inquiétude et de son agacement devant la politique vaccinale, la taxant de politique « illisible, complexe et inégalitaire ». Il demandait que le programme 2012-2017 soit effectivement mis en œuvre. Cette insuffisance générale se retrouve dans la couverture vaccinale contre la rougeole, les infections à méningocoques, les papillomavirus, l’hépatite B, sans parler de la grippe endémique.
Sans vous inspirer des déboires de votre prédécesseur, vous envisagez de demander aux pharmaciens de vacciner. La malheureuse expérience de l’épidémie H1N1 devrait, à mon humble avis, vous inspirer la plus grande prudence. Ne vaudrait-il pas mieux, autant que faire se peut, éviter de court-circuiter les médecins dans ce domaine ?
Un autre sujet d’inquiétude est l’allongement important des délais pour obtenir un examen en IRM, ce qui entraîne une dégradation patente des soins. J’ai pris bonne note de vos promesses. Mais en attendant, je citerai les propos du président de la Fédération nationale des médecins radiologues : les délais d’attente sont devenus insupportables pour les patients en 2014, la pire année depuis onze ans ; le délai moyen est passé de 30,5 jours en 2013 à 37,7 jours en 2014. Cette personne est sûrement très mal intentionnée, toujours est-il que les conséquences de cet état de fait en pathologie tumorale sont particulièrement préjudiciables. Le raccourcissement des délais à vingt jours en moyenne n’était-il pas l’un des objectifs du troisième Plan cancer ?
Que dire des incidences en matière d’accidents vasculaires cérébraux et de pathologies intracrâniennes ? On opère en urgence des patients qui n’auraient pas forcément eu besoin de l’être si l’on avait pu pratiquer cet examen.
Le directeur général de la CNAM a soulevé le problème, mais vous craignez, madame la ministre, une augmentation trop rapide du nombre d’examens et vous voulez maîtriser les coûts en limitant les autorisations.
Il serait pourtant plus logique, selon moi, de réduire ou de supprimer les remboursements en pathologies traumatiques musculaires et ostéoarticulaires, pour lesquelles on pratique des examens à tout-va, avec de véritables abus. Pour commencer, cela libérerait des plages pour les malades chez qui l’on suspecte un cancer du sein ou de la prostate… Mais là aussi, vous préférez sortir le « rabot » et interdire les installations !
J’en viens au médicament qui est j’en conviens, la variable d’ajustement traditionnelle. Une fois de plus, vous faites peser sur lui l’essentiel des mesures d’économies sans trop de discernement : 1,1 milliard d’euros d’économies à faire, je crois. À la limite, pourquoi pas encore cette année ? Je pense qu’il faudrait faire preuve de plus d’acuité en ajustant le remboursement là où l’efficacité est prouvée.
Je l’ai répété maintes fois : notre système de commissions et d’agences est d’une complexité sans nom. Force est de constater qu’il faudra, là encore, beaucoup de persévérance pour s’y retrouver. Les nouvelles dispositions contenues dans ce projet de loi ne traduisent pas la simplification administrative annoncée…
Aussi, à ce stade de la discussion, n’évoquerai-je que quelques points dont nous pourrons débattre au moment de la discussion des articles. Parmi les dix blockbusters représentant près de 6 milliards d’euros, pourquoi continuer à rembourser certains d’entre eux, alors que leur amélioration du service médical rendu, ASMR, est classée en catégorie V ?
Pourquoi continuer à rembourser les médicaments en sus de tarification ayant des équivalents en autorisation de mise sur le marché, AMM, si ce n’est pour faire glisser des dépenses hospitalières vers la médecine de ville ? (Mme Catherine Génisson acquiesce.)
Madame la ministre, s'agissant des médicaments traitant de la dégénérescence maculaire liée à l’âge, la DMLA, où en sont les négociations promises il y a plus d’un an ? Je ne suis pas le seul à insister sur ce point, le rapporteur de l’Assemblée nationale vous a interpellé plusieurs fois à ce sujet, et il y a des économies importantes à la clé…
Autre question que pose ce budget : les cotisations dues avec l’application du fameux W sont-elles cumulatives avec celles dues au titre du nouveau L ? Je n’ai pas trouvé la réponse ! (Sourires.)
Je pourrais poursuivre sur les remises, les rétrocessions, les ruptures d’approvisionnement, les génériques, les « biosimilaires », sans parler des produits de santé. Je m’interroge également sur ce revirement incompréhensible s’agissant du plasma industriel importé, qui remet très sérieusement en cause la collecte sanguine et suscite l’inquiétude légitime des associations.
Tous les acteurs du secteur du médicament, du fabricant au patient, et principalement ce dernier, ont besoin de clarté, de transparence. Or certaines dispositions de ce texte ne vont malheureusement pas dans ce sens.
Pour conclure sur la transparence prônée par le président de la commission des affaires sociales, à quand l’open data à la CNAM ? La caisse détient les données nécessaires pour savoir qui fait quoi et comment. Elles permettraient de traiter directement les problèmes qui minent notre système. Alors, pourquoi ne pas ouvrir cette base de données ? Le directeur général de la CNAM nous a expliqué qu’il faudrait une loi pour cela…
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, nous sommes tous attachés à notre système de protection sociale. Je ne fais pas de procès d’intention, mais pour le conserver, il faudrait au moins abandonner la solution du rabot et agir avec plus de finesse, en commençant par engager une vraie concertation avec tous les acteurs de la santé publique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)