M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier les membres du groupe du RDSE d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. Il est important que nous nous saisissions de façon récurrente de cette thématique liée à l’aménagement du territoire, et en particulier à la ruralité.
Notre rôle, au sein de la chambre des territoires, est non pas d’être misérabilistes ou en demande permanente, mais bien de trouver des solutions pour les citoyens qui vivent dans des zones définies comme hyper-rurales.
Les territoires ruraux sont une richesse pour notre pays, en termes non seulement d’espace et de qualité de vie, mais également de développement économique et de vie sociale.
L’hyper-ruralité est une problématique fondamentale pour les élus que nous sommes. Elle est à la source d’inégalités profondément injustes. Le Sénat doit retrouver toute sa place dans les territoires, en particulier dans ceux qui sont ruraux et hyper-ruraux.
Ce débat est pleinement d’actualité. Après le rapport rendu en juillet dernier par notre collègue Alain Bertrand, fruit d’un très bon travail d’analyse, après la campagne sénatoriale, qui a été l’occasion, dans les départements ruraux, d’entendre tous les élus qui animent notre territoire, notre assemblée doit faire entendre sa voix, alors que se déroulent les assises des ruralités.
Le Sénat doit être le garant de l’égalité territoriale. Parce que les difficultés rencontrées sont les mêmes dans les banlieues des métropoles et dans les zones les moins denses de notre pays, nous devons proposer des solutions qui soient à la hauteur des attentes des citoyens.
Le sentiment d’abandon est de plus en plus présent parmi les habitants et les élus locaux de ces territoires, entre la disparition de services publics, la suppression parfois de gendarmeries et de sous-préfectures, le développement de la délinquance, l’apparition de déserts médicaux, l’inégalité devant la mise en place de la réforme des rythmes scolaires, la suppression de l’ATESAT – l’assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire aux communes –, la fin de l’instruction des permis de construire par les services de l’État ou la diminution des dotations aux collectivités.
La situation se dégrade fortement depuis plusieurs mois.
L’État ne fait pas confiance aux élus ruraux, alors que le dynamisme des communes rurales repose sur une politique d’aménagement du territoire volontariste de l’État et la mobilisation de tous, collectivités locales, acteurs économiques, sociaux ou associatifs.
Il est indispensable que les pouvoirs publics accordent leur confiance aux élus de proximité, qui connaissent parfaitement les besoins de leurs concitoyens.
Il faut accorder plus de souplesse aux élus pour discuter, réfléchir et définir, au sein d’un cadre général, les conditions les plus favorables à une meilleure organisation de l’administration territoriale. La France est multiforme, tant sur le plan géographique que sur celui de la densité de population. Vouloir imposer le même cadre structurel à tous est un non-sens. Il faut au contraire que soient privilégiés les accords locaux chaque fois que cela est possible. La réforme territoriale devrait respecter ce principe essentiel.
L’un des sujets majeurs, pour l’avenir de l’hyper-ruralité, c’est le développement du numérique. Couvrir l’ensemble du territoire en infrastructures de télécommunications est un objectif essentiel. L’accès à internet n’est plus seulement un facteur d’attractivité pour ces territoires ruraux ; il devient une condition essentielle de la vie de nos communes.
Les usages des outils numériques se développent et les territoires ruraux sont sans doute ceux qui pourraient le plus en bénéficier. C’est la garantie du maintien des populations, mais aussi des bases économiques. Dans cette perspective, l’État ne doit pas asphyxier les communes.
Dans mon département du Doubs, le conseil général vient de lancer un plan de déploiement du réseau optique, qui nécessitera un investissement de 184 millions d’euros sur quinze ans. Les communes devront apporter une forte contribution. Comment pourront-elles le faire, à un moment où leurs budgets sont très contraints, où l’État, le Gouvernement se désengagent chaque jour un peu plus ?
Madame le ministre, c’est un cri d’alarme que nous voulons pousser : il ne faut pas laisser mourir les communes comme vous le faites. Nous sentons s’installer une situation de blocage et d’incompréhension entre le Gouvernement et les élus locaux. La semaine prochaine, lors du congrès de l’Association des maires de France, j’espère que le Gouvernement saura entendre ceux qui se dévouent pleinement pour améliorer la vie quotidienne des Français.
Un autre sujet d’inquiétude touche à l’accès aux services publics.
C’est un aspect déterminant de la politique d’aménagement du territoire, qui ne peut être sacrifié. Il faut mettre un terme au délitement et à l’éloignement des services publics qui constituent l’armature de nos territoires.
Maintenir une présence de proximité est impératif : on ne peut pas déshumaniser le service public dans les territoires pour des raisons budgétaires. Le service public a un coût, qu’il faut assumer si l’on veut maintenir une égalité entre les citoyens et leur permettre de vivre en milieu rural. L’État doit en être le garant.
En conclusion, je dirai que nos 30 000 communes rurales et hyper-rurales sont l’avenir de la France. Ce n’est pas là un langage convenu, c’est l’affirmation que notre pays doit exploiter l’atout considérable constitué par son vaste territoire, le plus étendu de l’Union européenne. Il faut le rééquilibrer et faire en sorte que les communes rurales soient au cœur de la relance économique et sociale de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, jamais autant que ces derniers mois je n’avais entendu évoquer avec une telle acuité le sujet de la ruralité en France et du déséquilibre croissant entre territoires ruraux et territoires urbains.
Jamais je n’avais entendu autant de cris d’alerte, d’alarme, des maires et des élus ruraux devant ce qu’ils perçoivent comme la dissolution de leurs collectivités dans une organisation territoriale qui leur fait de moins en moins de place.
Comme la moitié d’entre vous, mes chers collègues, candidats de droite ou de gauche à l’élection sénatoriale, je suis allé, ces dernières semaines, à leur rencontre, aux confins de nos territoires. Vous avez entendu comme moi les cris d’alerte, parfois de révolte, lancés par ces élus, si nombreux mais si fragiles, qui nous demandaient instamment de relayer leurs préoccupations à Paris, et plus particulièrement ici, au Sénat, l’assemblée des territoires, le représentant institutionnel des collectivités locales.
C’est dire combien ce débat, proposé par le groupe du RDSE, me paraît opportun pour tenter de trouver des pistes de réponse et d’apaisement à ces préoccupations venant « d’en bas », qui sont globalement de deux natures.
Elles tiennent, d’abord, au fait que la voix, la représentation des petites communes dans les instances décisionnaires s’affaiblit, voire s’éteint, au fil des décisions législatives successives en matière d’organisation territoriale.
Je pense à l’application de plus en plus stricte de la doctrine du Conseil constitutionnel, qui tend à ne prendre en compte que les critères démographiques pour la représentation proportionnelle dans les assemblées délibérantes.
C’est ô combien vrai en ce qui concerne les futurs conseils départementaux, car la taille moyenne démographique des cantons ne permettra plus, bientôt, de représentation rurale en leur sein.
C’est aussi vrai pour les intercommunalités, malgré l’adoption récente et utile par notre assemblée de la proposition de loi sur la représentation des communes dans les conseils communautaires.
C’est également vrai ici, au Sénat, où, on le sait, à chaque élection, on accroît le poids des grands électeurs supplémentaires désignés par les conseils municipaux dans les grandes communes. À cela s’ajoute une pratique politique qui conduit, lors des élections à la proportionnelle, à ne placer en position éligible sur les listes que des candidats urbains, susceptibles de recueillir un plus grand nombre de suffrages.
Les préoccupations des élus ruraux tiennent ensuite au découragement qui s’amplifie parmi les élus, le plus souvent bénévoles, des petites communes devant les difficultés grandissantes pour boucler leur budget, dans un contexte de crise budgétaire générale.
La baisse drastique des dotations de l’État aux collectivités locales entraîne en cascade l’affaiblissement des solidarités départementale et régionale, elles-mêmes fragilisées par les charges croissantes pesant sur les collectivités. Je pense à la réforme des rythmes scolaires et à l’application de normes parfois exorbitantes.
Ajoutons à cela le retard pris dans le développement d’équipements modernes en milieu rural, comme la couverture en très haut débit, retard technique qui accroît le fossé, déjà psychologiquement profond, entre territoires urbains et territoires ruraux.
Pourtant, cela a été dit et répété, il ne faut pas opposer le monde rural et le monde urbain. Ces deux mondes, imbriqués l’un dans l’autre, doivent au contraire ressentir et organiser leur complémentarité, être convaincus de la nécessité d’avoir des échanges harmonieux.
Notre pays a, en effet, une forte tradition rurale. La complémentarité entre le rural et l’urbain fait partie de la culture française et nous ne devons pas prendre le risque, dans le souci d’une rationalisation et d’une optimisation par trop technocratiques, de rompre cet équilibre.
J’en appelle aux témoignages de deux anciens Présidents de la République, l’un de gauche, l’autre de droite, pour ne pas faire de jaloux !
Qui ne se souvient de la superbe affiche louant, en 1981, la « force tranquille », et créée par le communicant Jacques Séguéla ? On y voyait un visage, un slogan et un paysage, celui d’un village, choisi volontairement en plein cœur de la France. Le candidat François Mitterrand voulait ainsi montrer que la France, c’était aussi la ruralité profonde.
Qui ne se souvient du discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 11 octobre 2011, à l’occasion d’un déplacement dans la Creuse ? Devant les élus locaux, il déclara alors : « La ruralité, c'est l'avenir de la France, à une condition, c'est que cet avenir conjugue vos traditions et la modernité. […] Le développement de la France passe autant par le développement de nos campagnes que par le développement de nos villes. […] La question […] n’est pas celle de l’assistanat. […] La question, c’est celle du développement économique. »
Le temps semble venu de passer des paroles aux actes et de concrétiser quelques idées-forces.
Tout d’abord, la représentation des territoires ne doit pas avoir pour seul critère celui de la démographie. En effet, cette interprétation stricte de l’égalité des citoyens porte désormais en elle les germes d’une autre injustice, d’une nouvelle inégalité.
En outre, trois axes de développement doivent être pris en compte par la communauté nationale.
Premièrement, l’agriculture et le pastoralisme de proximité doivent être de nouveau développés en monde rural, l’opinion publique étant désormais prête à la consommation de proximité.
Deuxièmement, la couverture numérique en très haut débit doit progresser de manière simultanée dans les territoires urbains et dans les territoires ruraux, une péréquation s’imposant en ce domaine.
Troisièmement, le tourisme culturel doit être soutenu, via la mise en valeur des immenses richesses patrimoniales des territoires ruraux. Ce thème me paraît porteur pour les années à venir, compte tenu de l’engouement des populations pour cette forme de tourisme.
Chacun de ces trois axes – on en a cité d’autres : le désenclavement, les transports, l’accessibilité – mérite d’être pris à bras-le-corps par notre communauté nationale tout entière, dans une perspective de reconquête d’un équilibre fragilisé et, pour les élus ruraux, de fierté retrouvée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier le groupe du RDSE d’avoir saisi le Sénat de la question de la ruralité, envisagée dans sa dimension la plus large. Ce sujet préoccupe nos nombreux concitoyens qui vivent la ruralité au quotidien, sur une part importante de notre territoire.
La France traverse une crise qui n’épargne pas les territoires ruraux. Cette crise, économique, sociale et sociétale, a affecté et affecte encore aujourd’hui la capacité des politiques publiques à répondre aux problèmes que rencontre le monde rural.
Je veux rappeler que, pour garantir la cohésion territoriale, on ne peut permettre ni accepter que des citoyens soient déconnectés du reste de la société. Il y va de l’unité de notre République, une unité qui doit aussi respecter la diversité.
Cette cohésion implique la connexion des territoires entre eux. Ces deux notions sont essentielles, car elles sont les ferments de la solidarité qui doit justifier nos choix collectifs. La connexion passe, notamment, par l’accès aux différents réseaux d’information.
Prendre en considération ces territoires ruraux dépourvus totalement ou partiellement de certains services, c’est aussi prendre en considération ceux qui y vivent, c’est-à-dire les citoyens ruraux français. Si l’accès aux services publics est indispensable à la qualité de vie de ces derniers, il est tout aussi déterminant pour garantir l’attractivité économique des territoires ruraux.
Certes, on ne peut nier que le monde rural ait évolué, et l’on doit être conscient de la diversité des problématiques, en particulier de celles qui concernent les zones soumises à des contraintes géographiques et environnementales fortes. Il est ainsi impossible de faire de la ruralité une lecture unique et uniformisée, qui mènerait à des réponses standardisées.
Mais, au-delà de ces spécificités, il est indéniable, madame la ministre, que l’on assiste depuis plusieurs années, au sein des territoires ruraux, à un retrait progressif de l’État et des services. Je pense, en particulier, au phénomène de la désertification médicale, à la disparition des bureaux de poste ou à la réduction des services de transport, pour ne parler que de ce qui apparaît le plus criant.
Le retrait de l’État, de l’action publique peut aussi s’illustrer par la suppression d’un nombre important de centres d’information et d’orientation, ou CIO. Prenons l’exemple de l’académie de Rouen, que je connais bien : dix des dix-sept CIO y ont été fermés, ce qui porte un préjudice grave à des centaines de jeunes à la recherche de conseils en matière d’orientation et crée une véritable discrimination entre les urbains et les ruraux.
Au travers de cet exemple se pose la question de l’augmentation des inégalités à l’échelle des territoires. Celles-ci s’accentuent gravement, provoquant une accumulation de handicaps de plus en plus difficile à surmonter. C’est pourquoi il faut agir rapidement, en mettant en place des actions efficaces.
La première de ces actions consiste à renforcer l’intercommunalité, notamment en donnant aux territoires ruraux les moyens de leur développement. Mais, s’il faut renforcer l’intercommunalité, il faut le faire en engageant des démarches d’aide et d’accompagnement à la mutualisation de proximité, par exemple en favorisant des initiatives en matière de création de crèches, de centres de loisirs ou encore de garderies périscolaires mutualisés.
Je voudrais insister sur le fait que l’intercommunalité doit être choisie, et non subie : aucun seuil arbitrairement défini ne doit être imposé ; au contraire, il doit être tenu compte des spécificités des territoires, en particulier du critère géographique. Il faut permettre à tous les membres de l’intercommunalité d’être des acteurs de celle-ci, et non de simples spectateurs, organiser la représentation des communes rurales et traiter les problématiques qui leur sont propres.
Une deuxième action doit viser à la redynamisation de ces communes. Leur revitalisation passe par un renouveau de l’activité économique de proximité. Ainsi, la réintroduction de commerces et de services peut être repensée dans son organisation et dans sa forme. Il peut paraître intéressant de travailler en lien avec le secteur de l’économie sociale et solidaire, de favoriser les productions locales et les circuits courts, dans des démarches de développement durable.
Enfin, il faut encourager les initiatives locales, qui peuvent trouver des réponses adaptées à des situations spécifiques et élaborées avec les acteurs de terrain, notamment le milieu associatif. Je pense, par exemple, à l’aide et aux services à la personne.
Cet ensemble d’initiatives, s’il participe au développement économique du monde rural, ne dispense pas d’évoquer la cruelle carence dont souffre ce dernier : l’absence d’une couverture numérique digne de ce nom. Rendre accessibles les services numériques, notamment l’internet haut débit et la téléphonie mobile, c’est permettre, par exemple, le développement du télétravail et rendre possible, pour ceux qui voudraient en faire le choix, de venir s’installer dans des communes rurales pour y travailler, ce qui n’est pas envisageable aujourd’hui.
Il faut aussi aider à la valorisation du patrimoine construit et naturel et soutenir les projets d’accueil et d’hébergement touristiques. Cette activité non délocalisable est créatrice d’emplois de proximité. Or, là encore, l’absence d’une couverture numérique satisfaisante constitue un handicap.
La troisième action porte sur l’amélioration de l’accès aux services. Cela suppose de redéployer ces derniers sous des formes nouvelles. Je pense notamment aux stations-service, évoquées dans quelques rapports, ou aux points poste. De la même manière, il est primordial de permettre l’accès aux administrations, par des services de transport à la demande, par exemple. En effet, un certain nombre de démarches ne peuvent évidemment se concevoir en dehors des relations avec les centres urbains, et il est fondamental que les territoires, comme leurs habitants, ne soient pas déconnectés les uns des autres au sein de la République.
Madame la ministre, mes chers collègues, en intervenant dans ce débat, je souhaite interpeller le Sénat, ainsi que le Gouvernement, sur les problèmes auxquels sont confrontées les ruralités au sein de notre territoire. La République étant une et indivisible, il ne peut y avoir de territoires laissés pour compte !
Ainsi, garantir l’accès aux services à l’ensemble de nos concitoyens sur tout le territoire national doit être un enjeu prioritaire pour le Gouvernement, au nom du principe républicain d’égalité. L’État doit impérativement donner les mêmes chances à tous les Français, quels que soient leurs lieux de naissance, de résidence ou de travail. Il doit également pratiquer une politique d’équilibre entre les territoires et veiller à une efficace complémentarité entre eux.
Je pense, madame la ministre, que vous partagez cette analyse, et je sais que vous mettrez en place des actions concrètes pour atteindre les objectifs que j’ai énoncés. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’intitulé de l’introduction du rapport d’Alain Bertrand est clair : « pas de sous-territoires, pas de sous-citoyens ! » Les choses sont dites comme elles doivent l’être, ce qui ne me surprend pas du tout de la part de notre collègue.
Je veux saluer l’initiative du groupe du RDSE, qui a inscrit le présent débat à l’ordre du jour. Je salue aussi celle du Gouvernement, qui a confié à Alain Bertrand la rédaction du rapport que je viens de mentionner et dont je veux souligner l’excellente qualité et l’approche fine. Il faut dire que notre collègue, qui ne manque jamais une occasion de nous rappeler l’existence de ceux que l’on oublie trop souvent, connaît particulièrement bien le sujet !
Avant de vous livrer mon point de vue sur ce rapport, je voudrais déplorer une nouvelle fois la segmentation croissante de nos réflexions politiques : politique de la ville, politique des banlieues, politique des zones prioritaires… Cette sectorisation grandissante participe d’une approche purement urbaine. Sans vouloir accuser qui que ce soit, je considère qu’il est nécessaire de définir également une approche de la ruralité.
D'ailleurs, des assises des ruralités se tiennent actuellement dans nos territoires, sur l’initiative du Premier ministre, qui a voulu adresser un signal fort aux collectivités, aux acteurs économiques et aux territoires ruraux en général. Ainsi, hier, quatre membres du Gouvernement, dont notre ministre bretonne Marylise Lebranchu, ont participé à une réunion à Plélan-le-Petit, au cœur de la Bretagne profonde, pour bien montrer la volonté de l’exécutif de prendre en compte les problématiques de la ruralité.
Toutefois, cela ne suffit pas, puisque ce que l’on appelle désormais l’« hyper-ruralité » est apparu.
En fait, nous nous trouvons obligés de segmenter nos politiques pour contrer les effets néfastes de notre mode de développement – celui d’un grand marché libéral débridé, déséquilibré, non modéré et non régulé, où la complémentarité et la solidarité ont laissé place à la concurrence et à la compétitivité –, qui s’accélèrent de manière insensée.
Devant ce constat, nous souhaitons que des perspectives soient redonnées à notre pays.
Au fil des pages du rapport d’Alain Bertrand, on relève que l’État, au sens large et noble du terme, n’a pas pu ou su jouer pleinement son rôle au cours des dernières décennies.
L’hyper-ruralité, telle que définie dans le rapport de notre collègue, représente 250 bassins de vie, près de 3,5 millions d’habitants et 26 % du territoire. Il s’agit bien d’une composante importante de notre pays. Dès lors, nous ne pouvons nous affranchir d’une réflexion éclairée sur le sujet. Dans son rapport, Alain Bertrand nous livre une analyse fine, accompagnée de nombreuses propositions.
Ce que l’on appelait, à une époque, la « diagonale du vide », qui traversait la France du Sud-Ouest au Nord-Est, était une notion bien trop imparfaite, car elle négligeait les espaces hyper-ruraux des Alpes, de la Corse, mais aussi du centre de la Bretagne ou de la Normandie profonde.
Mme Nathalie Goulet. L’Orne !
M. Joël Labbé. Ces espaces se caractérisent par une population vieillissante et de faible densité, ainsi que par un enclavement important et un éloignement des pôles d’emploi et de services.
Les propositions contenues dans le rapport de notre collègue sont variées. Beaucoup relèvent du simple bon sens et de la bonne gouvernance. Je pense, en particulier, à la rénovation du foncier bâti pour revivifier les bourgs ou au renforcement de l’attractivité des postes de fonctionnaire dans les zones hyper-rurales. En lisant le rapport, j’ai appris que les primes versées à certains fonctionnaires étaient moindres en milieu rural que dans les métropoles : c’est absolument anormal, et je pense même que ce devrait être le contraire.
Je mentionnerai aussi la refonte de la péréquation financière – bien évidemment – et la révision de la fiscalité des entreprises en zone rurale, ainsi que le guichet unique et l’implantation des services de l’État dans les territoires ruraux.
D’autres propositions méritent que l’on prenne des précautions. À ce titre, la fixation à 20 000 habitants du seuil de population des intercommunalités dans les zones hyper-rurales, préconisée dans le rapport, risquerait de brouiller le lien entre l’EPCI, son bassin de vie et son bassin d’emploi, sous réserve, bien sûr, que ce dernier existe encore… Il semble risqué de fixer arbitrairement un seuil aussi élevé. Il est préférable de déterminer un certain nombre de critères à respecter, les seuils étant conservés uniquement comme des objectifs auxquels il ne faudrait pas hésiter à déroger si l’EPCI ne correspond plus à une réalité tangible sur le territoire.
Vos services nous ont d’ailleurs confirmé, madame la ministre, que des dérogations seront par exemple permises pour les îles. Il s’agissait là d’une demande forte de la part des îliens. Nous tenons donc à saluer cette réponse et à vous remercier de votre écoute sur le sujet.
Dans la même logique, si l’on reprend la définition des territoires hyper-ruraux, un rapide calcul montre que les 250 bassins de vie répertoriés comptent, en moyenne, 13 600 habitants. Nous sommes bien loin du seuil de 20 000 habitants ! On peut bien évidemment marier, dans un EPCI, un bassin de vie, un bassin d’emploi, une petite ville, mais un tel écart de population avec le seuil proposé appelle à la prudence.
Toujours au sujet des EPCI, il est proposé « d’étudier de nouveaux modes de gouvernance pour les EPCI comportant de nombreuses communes, comme la création d’un organe exécutif distinct de l’assemblée plénière, où toutes les composantes seraient représentées (à l’image de la collectivité territoriale de Corse) ». Je vous signale, mes chers collègues, que cette proposition a déjà été avancée par les écologistes dans le cadre de l’examen d’un texte de loi.
Le maintien ou, souvent, le retour des services publics dans les territoires ruraux constitue une nécessité pour restaurer une forme d’égalité des territoires. Nous savons depuis un certain temps que des lignes de chemin de fer ne sont plus exploitées au motif qu’elles sont considérées comme non rentables. Il y a lieu de revenir sur ce sujet.
Nous apprenons également, grâce au rapport, que la création de pôles multimodaux est conditionnée au respect d’un seuil financier de 5 millions d’euros. C’est tout à fait exagéré par rapport aux besoins de certains territoires ! Là encore, il convient de rectifier le tir.
En conclusion, on ne peut que souscrire à la proposition d’un pacte national pour l’hyper-ruralité, ayant – je cite le rapport – « pour vocation de permettre que s’exprime cette mise en commun des intelligences, dans le cadre de relations empreintes de maturité ». Au nom des écologistes, je soutiens cette proposition, et je me régale à l’avance de ce débat ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe du RDSE s’est fait une spécialité d’inscrire à notre ordre du jour, tous les six mois environ, un débat sur l’égalité des territoires. Nous l’en remercions, puisque le Gouvernement nous invite précisément à travailler sur les territoires.
Le débat de ce jour fait suite à la remise, le 30 juillet dernier, du rapport sur l’hyper-ruralité – une notion émergente – élaboré, à la demande du Premier ministre, par notre collègue Alain Bertrand et dont les conclusions doivent servir de base de réflexion aux assises des ruralités. Celles-ci, me semble-t-il, sont pratiquement terminées.
M. Jean-François Husson. Pas tout à fait !
Mme Évelyne Didier. Par ailleurs, un travail également fort intéressant a été mené au sein de l’Assemblée des départements de France, à la fin de l’année dernière, sur la question des nouvelles ruralités.
Tous ces éléments doivent nous permettre, à terme, de formuler des pistes d’évolutions législatives. Au vu du consensus qui semble se dégager dans le présent débat, nous ne devrions pas rencontrer trop de difficultés pour adopter les mesures qui ne manqueront pas de nous être proposées.
Faut-il le rappeler, une loi sur la ruralité est annoncée depuis maintenant deux ans, sans que cette annonce ait pour l’heure trouvé la moindre traduction concrète. Nous espérons donc que les assises des ruralités, ainsi que nos débats, permettront de passer de la parole aux actes !
Nous partageons le constat dramatique dressé dans le rapport de notre collègue quant au renforcement des inégalités territoriales en défaveur des territoires très ruraux, tout comme l’idée selon laquelle ces territoires sont pourtant une richesse pour le pays et disposent de nombreux atouts. L’abandon dont ils sont victimes étant particulièrement inquiétant, une réponse politique s’impose. Elle est même tout à fait attendue !
La question est de savoir si les solutions préconisées sont à la hauteur du problème.
Pour notre part, nous estimons que le principe de compétitivité des territoires a conduit à développer la concurrence, à créer des mastodontes institutionnels absorbant les savoirs et les pouvoirs. C’est avec cette conception, sous-tendue par la réforme territoriale, qu’il faut en finir, si l’on veut faire émerger un aménagement du territoire équilibré et maîtrisé, fondé sur la coopération, et non sur la compétition économique entre territoires.
Les élus ruraux sont aujourd’hui très inquiets de la suppression annoncée des départements. Il est d’ailleurs assez étonnant que le présent rapport n’en fasse pas mention ; mais peut-être y a-t-il une raison à cela… Certes, le discours a changé, et il semblerait que se profile une forme de maintien de cette collectivité. Il faut espérer que nous en saurons bientôt plus sur le sujet, car une inconnue subsiste quant aux contours futurs des missions des départements.
Les moyens des politiques publiques et des collectivités constituent un autre motif de scepticisme. Le rapport appelle à une « non-décroissance du signal républicain » à destination des territoires hyper-ruraux.