M. Jean-Claude Carle. Absolument !
Mme Évelyne Didier. On peut ramener cette jolie formule à l’exigence du maintien des services publics sur l’ensemble du territoire. Une chose est sûre, cela nécessite des moyens, compte tenu de la croissance de la population, de l’émergence de nouveaux besoins et, d’une manière générale, de l’augmentation des coûts.
La perte de ressources des collectivités aura des conséquences d’autant plus dramatiques que les territoires seront isolés et enclavés.
Par ailleurs, il est faux de dire que c’est la décentralisation qui aurait conduit à la création de ces déserts territoriaux, en permettant à l’État de se dispenser d’avoir une vision de l’aménagement du territoire. Traditionnellement, comme l’ont permis les lois de 1982, la décentralisation doit s’accompagner d’une déconcentration. Or, depuis 2004, décentralisation rime non plus avec déconcentration, mais avec désengagement de l’État au sein des territoires !
M. Jean-Claude Carle. Eh oui !
Mme Évelyne Didier. Voilà ce qui a conduit à l’apparition de ces déserts !
Ce phénomène s’est doublé d’un changement de politique en matière de présence des services publics, fondé non pas sur la volonté de répondre aux besoins, mais sur le souci de mesurer l’efficacité selon des critères de rentabilité économique. À ce jeu, les territoires ruraux ne seront jamais rentables ! Alain Bertrand évoquait une politique du chiffre : nous y sommes !
Par exemple, la réforme de La Poste a conduit à supprimer un grand nombre de bureaux de poste. La privatisation de France Télécom a engendré des zones blanches, dans lesquelles, faute de rentabilité, les investissements du secteur privé sont inexistants. Pourtant, si France Télécom n’avait pas été privatisé, la rente du cuivre aurait sans doute permis de financer le développement de la fibre sur l’ensemble du territoire national.
Ainsi, investir dans les réseaux de transport ou le numérique, garantir la maîtrise publique des secteurs clefs de l’économie, ce n’est pas une question de rentabilité ! Il s’agit plutôt d’assurer un maillage du territoire par des infrastructures nécessaires au développement économique. Mes chers collègues, les territoires ruraux veulent simplement être sur la toile, et non dans ses creux !
Parallèlement, ce désengagement a également pris la forme d’une baisse des dotations aux collectivités et des moyens accordés aux services déconcentrés de l’État, notamment au travers de la révision générale des politiques publiques – la RGPP –, devenue aujourd'hui la modernisation de l’action publique, la MAP. Or, en privant les collectivités à la fois de ressources et d’assistance, on les a privées de la capacité même de conduire les politiques nécessaires à la satisfaction des besoins de leur population.
Vous l’aurez compris, pour nous, il ne saurait y avoir d’avenir pour les territoires ruraux sans remise en cause des politiques d’austérité imposant la réduction de la dépense publique et, par conséquent, des politiques de libéralisation. Mutualiser, inventer, encourager la sobriété, bien sûr ; priver de moyens, non !
Enfin, permettez-moi une remarque sur le vocabulaire utilisé. Aujourd'hui, il est question non plus de « services publics », mais de « services au public » ou de « services essentiels », non plus d’« intérêt général », mais d’un « intérêt national » qu’il reste encore à définir… Ces glissements sémantiques sont l’illustration d’autres glissements, bien plus politiques !
En ce qui concerne le logement, il est évidemment indispensable de mener une politique offensive de réhabilitation des centres-bourgs. Ayant autrefois conduit de tels projets dans ma commune, je ne vous dirai pas le contraire, madame la ministre ! Mais les communes ne pourront assumer seules cet effort. On nous annonce le déblocage de 40 millions d’euros dès cette année, mais nous avons cru comprendre, à la lecture des « bleus » budgétaires, que les crédits de paiement prévus pour 2015 atteignent seulement 6,5 millions d’euros. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce propos ?
Nous partageons bien évidemment l’exigence, affirmée dans le rapport, de péréquation entre les collectivités. Nous avons d’ailleurs présenté, voilà maintenant une année, une proposition de loi visant à rétablir l’équilibre dans les dotations de fonctionnement aux collectivités. M. Eckert a lui-même reconnu que personne ne comprend plus rien à la manière dont ces dotations sont attribuées, et je veux bien le croire ! Malheureusement, nous n’avons pas été suivis…
Quant au problème du manque d’ingénierie territoriale, également soulevé dans le rapport, l’importance du rôle des départements n’est plus à démontrer. Ils savent faire : pourquoi donc ne pas leur permettre de continuer ?
L’adoption de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », a conduit à limiter l’ATESAT. De plus, nous savons qu’il est prévu de mettre fin purement et simplement à ce service dans les années à venir. Devant cette situation, le rapport préconise la mise en place de guichets « ruralité ». Cette solution nous semble moins intéressante que la poursuite du travail des départements. Pour nous, les guichets de la ruralité, ce sont les sous-préfectures et les préfectures.
Par ailleurs, nous ne jugeons pas pertinente la proposition tendant à constituer un corps spécifique de la fonction publique pour la ruralité. En effet, rompre avec l’unicité de la fonction publique territoriale reviendrait à rompre avec l’égalité républicaine !
Mes chers collègues, en entendant certaines personnes s’exprimer sur la ruralité – je préfère pour ma part le terme « province », bien plus joli – sans vraiment la connaître, j’ai la sensation que l’on nous traite presque comme des animaux de zoo, observés à distance. Il convient d’être extrêmement attentif au vocabulaire que l’on emploie pour parler des territoires ruraux.
Quant à la fixation d’un seuil de population de 20 000 habitants pour les intercommunalités, comment croire que les regroupements d’une centaine de communes que cette mesure induira pourront satisfaire les besoins de nos concitoyens ? S’il faut effectivement favoriser la constitution de collectivités plus importantes en secteur rural, il ne faut pas, parallèlement, supprimer les services.
En conclusion, pour penser l’avenir des territoires ruraux, il est d’abord nécessaire d’entendre ce que leurs élus et leur population ont à dire et de connaître leurs besoins. Voilà par quoi il nous faut commencer pour rétablir la confiance. Les assises des ruralités ont engagé ce travail. La critique systématique des élus locaux, considérés comme trop dépensiers, manquant de savoir-faire ou que sais-je encore, traduit une volonté de les remplacer par des experts « efficients », au détriment de la démocratie et du vivre ensemble. Nous avons besoin d’accompagnement, pas de dénigrement ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, du RDSE et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Alain Bertrand a exposé avec compétence et passion sa vision de ce qu’il a dénommé « l’hyper-ruralité », représentant 5 % de la population et 20 % du territoire national. Le plus souvent, il s’agit de territoires à la démographie déclinante, vieillissante, où le sentiment d’abandon est aujourd’hui prégnant, où le sentiment d’injustice croît terriblement, où, d’ailleurs, les premiers signes de révolte sont visibles et augurent de lendemains douloureux si l’État ne réagit pas promptement.
Nous savons, madame la ministre, votre attachement à nos territoires. Nous comptons donc sur vous pour convaincre vos collègues du Gouvernement de la nécessité d’agir vite !
M. Jean-Claude Carle. Ce ne sera pas facile !
M. Jacques Mézard. Pourquoi en est-on arrivé là ? Alors que la IIIe République avait amené les services publics, notamment l’école, dans toutes les communes, avait donné à chacun sa chance, quel que soit son département de résidence, la Ve République s’est illustrée par une politique de déménagement du territoire, faute de planification.
Déterminer les causes de cette fracture territoriale avant de proposer les remèdes, telle est la démarche rationnelle.
Sortons tout d’abord du débat simpliste opposant l’urbain et le rural : il est des territoires ruraux riches et des territoires urbains en crise ! Il s’agit non pas de se lamenter, mais de prendre rapidement des décisions.
Les territoires concernés par le présent débat sont essentiellement ceux dans lesquels le poids de l’agriculture fut fondamental, un exode de la population découlant de la diminution considérable du nombre d’exploitations et de travailleurs agricoles.
Ce sont aussi, le plus souvent, des territoires plus enclavés que les autres, par rapport à Paris et aux métropoles régionales.
Ce sont des territoires dont les pôles urbains fragiles le sont devenus davantage encore du fait de la décentralisation et de la régionalisation.
Soyons clairs, les métropoles régionales – et ce sera encore pire avec le projet de réforme territoriale, qui provoquera une deuxième onde de choc – ont aspiré une grande partie du sang administratif, économique et humain des villes et agglomérations moyennes et des zones rurales, celles qui maintenaient jusqu’alors un certain équilibre territorial. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas construire des métropoles fortes – notre groupe a voté en faveur de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles –, mais il faut instaurer un véritable équilibre.
Dans nombre de ces territoires, on constate une forte diminution de la population des villes-centres, même en Corrèze, madame la ministre, département pourtant largement désenclavé par deux Présidents de la République… (Sourires.) En Auvergne, toutes les villes moyennes ont perdu de la population, sauf Vichy, qui se situe de fait dans l’agglomération clermontoise.
Cette captation de la substance vitale de ces départements apparaît de manière évidente au travers du renforcement du personnel des préfectures de région, au détriment des autres préfectures, ou de la concentration des sièges régionaux de banques, d’assurances, de structures administratives variées – SNCF, EDF, agences et associations parapubliques diverses – au sein de la ville métropole régionale. Nous assisterons, dans les quelques années à venir, à une nouvelle migration vers les supermétropoles régionales.
C’est grave, parce que c’est souvent de la matière grise qui quitte nos territoires : fonctionnaires, enseignants, cadres du privé, professions libérales… Cela entraîne des conséquences en chaîne, et il faudra d'ailleurs faire attention aux incidences que pourrait avoir, dans les zones rurales les plus fragiles, la réforme des professions réglementées envisagée par le ministre Macron.
Les décentralisateurs pourfendaient le jacobinisme ; ils l’ont en réalité décliné et aggravé à l’échelon de chaque métropole régionale, créant des hiérarques dont la soif de pouvoir les amène aujourd'hui à revendiquer le transfert par l’État d’un pouvoir réglementaire. Ce jour, s’il arrive par malheur, sera celui de la fin de la République une et indivisible. Quand on voit, mes chers collègues, les usines à gaz que sont devenus les contrats et actions menés par les régions, la complexité de leurs mécanismes dispendieux, on peut être inquiet.
M. Jean-Claude Carle. C’est tout à fait vrai !
M. Jacques Mézard. Hyper-ruralité, territoires à faible démographie : comment inverser la tendance à la création d’espaces sans développement, sans vie ? Ce n’est certainement pas, madame la ministre, en multipliant les colloques, souvent destinés à compenser médiatiquement des annonces toujours plus pénalisantes pour ces départements, tels les projets de réforme territoriale.
Le diagnostic est connu. Ce qui manque, c’est le remède. Une fois ces territoires identifiés, il convient de déterminer, pour chacun d’eux, les handicaps insurmontables par les seuls moyens locaux et ensuite de prendre les mesures adéquates. Pour cela, nous avons besoin d’une vraie volonté politique.
Je vais prendre l’exemple que je connais le mieux, celui du territoire que j’ai l’honneur de représenter ici. Comment voulez-vous faire du développement, en particulier économique, lorsque vous êtes à treize heures de Paris aller-retour par le train, à onze heures par la route, avec un seul vol à l’horaire chaotique par jour, sauf samedis et congés, sachant que nous serons demain la préfecture la plus éloignée d’une métropole régionale à laquelle rien ne nous lie ? Comment attirer et conserver de nouveaux habitants, lorsque les services publics rétrécissent toujours ? Le Gouvernement a annoncé, par la voix du Premier ministre, un renforcement des services de l’État dans nos préfectures, mais continue à nous supprimer, ces dernières semaines encore, gendarmeries et trésoreries. Comment conserver de nouveaux habitants, disais-je, alors que les jeunes sont attirés nombreux par les pôles universitaires importants, que les déserts médicaux s’installent, que les réseaux de téléphonie mobile et internet dysfonctionnent – Alain Bertrand l’a souligné avec humour, mais aussi avec beaucoup de sagesse –, qu’à capital foncier égal nos concitoyens paient cinq à dix fois plus d’impôt local que les Parisiens ? Voilà quelle est la réalité de la République version 2014 ! La responsabilité de cette situation incombe à tous les gouvernements successifs, quelle que soit leur sensibilité.
La définition d’une politique d’aménagement du territoire au niveau de l’État est indispensable pour éviter que la concentration urbaine ne s’aggrave encore, surtout dans les périphéries métropolitaines. C’est avec raison qu’Édith Cresson avait lancé une politique de délocalisation, mais elle a été, hélas, largement brocardée.
L’État a un devoir et une mission : assurer à chaque citoyen, quel que soit son lieu de résidence, un accès le plus proche possible à l’éducation, à la santé, au logement, à l’emploi. Ce n’est plus le cas. Nous attendons non pas la charité, madame la ministre, mais la justice territoriale. Nous attendons du Gouvernement qu’il identifie dans chaque territoire les problèmes les plus cruciaux et planifie leur résolution. Madame la ministre, nous avons confiance en vous pour améliorer la situation : il y a une véritable urgence ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un thème qui peut sembler récurrent, mais qui est, plus que jamais, au cœur de l’actualité et de nos préoccupations.
Je remercie à mon tour nos collègues du RDSE de l’inscription à l’ordre du jour de ce débat nécessaire sur le devenir de nos territoires. Je salue en particulier le travail d’Alain Bertrand, auteur du rapport intitulé « Pour le développement et la mise en capacité des territoires hyper-ruraux », remis à Mme la ministre l’été dernier et dans lequel est défini le concept d’hyper-ruralité.
Ce travail, qui s’inscrit dans une démarche de réflexion plus générale sur la ruralité, me semble nécessaire, et ce pour plusieurs raisons.
Il est nécessaire, tout d'abord, au regard de l’évolution très préoccupante de l’hyper-ruralité : désertification, déprise des territoires, abandon des services publics. Cette évolution, dramatique dans certaines régions, décourage l’installation de jeunes couples et conduit à des situations de non-retour. Je me permets d’insister sur cette notion de non-retour, qui doit toujours être présente dans nos esprits.
Il est nécessaire, ensuite, au moment où se discute l’organisation territoriale de notre pays. Je reviendrai sur ce point, en regrettant que le rapport ne fasse aucune référence, ce qui me paraît extrêmement fâcheux, au débat engagé sur la réforme territoriale.
Il doit, enfin, permettre d’affranchir l’hyper-ruralité d’une tenace image passéiste, voire « ringarde », marquée par l’absence d’avenir.
Le moment est venu d’insister sur le rôle de l’hyper-ruralité dans notre société. Je ne pense pas que nous fonderons l’avenir de l’hyper-ruralité sur des solidarités empreintes de nostalgie, des reproductions à l’identique d’un passé révolu ou des obligations citoyennes non approuvées.
Il s’agit donc de faire entrer l’hyper-ruralité dans le monde contemporain d’une façon pragmatique, réaliste, mais aussi imaginative et dynamique. Il faut mettre en lumière la contribution de l’hyper-ruralité à notre société.
Nous en voyons déjà poindre quelques aspects fondamentaux.
La première contribution de l’hyper-ruralité est, de mon point de vue, de nature environnementale. Je me permets de mettre en parallèle les débats récents sur le prélèvement d’espaces utiles à la biodiversité – j’évoquerai le barrage de Sivens, par exemple – et l’importance des immenses espaces concernés par l’hyper-ruralité. Les équilibres environnementaux subtils, façonnés par des siècles de vie rurale, entre la nature, l’homme et ses activités, sont d’une richesse sans commune mesure avec quelques événements récents très médiatisés qui, eux, défrayent la chronique. Je considère que la contribution environnementale de l’hyper-ruralité doit être reconnue par la collectivité nationale.
L’hyper-ruralité apporte ensuite une contribution économique. Ces dernières années, grâce à l’action exceptionnelle de nombreux acteurs locaux, des productions agricoles de qualité se sont développées, à un moment où se pose justement la question de la qualité des produits alimentaires. L’hyper-ruralité, c’est dans beaucoup de cas le dernier rempart protégeant de nombreuses productions de qualité.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Lasserre. L’exploitation de la forêt et l’avenir prometteur de la filière bois, le renouveau d’une forme de tourisme de plus en plus recherchée sont des facteurs encourageants.
Enfin, l’hyper-ruralité apporte une contribution sociétale au monde contemporain, en maintenant un milieu intéressant et particulier par son mode de vie, ses systèmes économiques, ses relations citoyennes. Cette contribution sociale peut également tendre vers une offre originale, dans une société qui s’éreinte à trouver ses marques et ses modèles.
Le présent débat vient donc à point nommé. L’instauration d’un pacte national est une idée à retenir. Ce débat doit mettre en évidence la question fondamentale des services publics. Les conséquences de la RGPP, la recherche permanente d’économies, l’évolution des techniques dans de nombreux domaines ont souvent été la cause, parfois le prétexte, d’un retrait des services publics. M. Bertrand a raison lorsqu’il préconise l’arrêt de ces abandons.
Je me permettrai d’insister sur quelques points également mentionnés dans le rapport, concernant les domaines prioritaires pour le maintien des services publics.
Nous venons de parler du maintien de l’ingénierie territoriale.
S’agissant du maintien des écoles et des collèges, nous savons combien l’offre scolaire est un élément déterminant pour inciter les jeunes couples à rester en zone rurale. Le maintien des écoles, des collèges, ne peut être décidé en fonction des ratios habituellement utilisés par l’éducation nationale.
Je salue les préconisations du rapport de M. Bertrand sur la politique du logement et de restauration des bourgs et des villages. Les politiques habituelles dédiées à l’habitat doivent être totalement revues pour être adaptées à cette problématique spécifique.
Enfin, le point le plus important, à mes yeux, c’est le raccordement au très haut débit. Il s’agit de l’enjeu majeur pour les dix prochaines années. L’offre d’équipement sera déterminante. Je pense, comme la plupart d’entre nous, qu’il y a urgence dans ce domaine. En effet, les constats suivants s’imposent : le coût du très haut débit est très élevé en zone rurale, l’investissement par abonné pouvant être multiplié par cinq, voire par dix dans certains cas ; les programmes d’équipement actuels privilégient invariablement les zones offrant un retour sur investissement. Il faut donc agir rapidement, sous peine de voir disparaître les solidarités ou péréquations souhaitables.
Eu égard à l’importance que prendra le très haut débit, on peut considérer que les projets actuels, leur localisation, seront un élément d’accélération des concentrations urbaines. L’intervention publique est donc urgente, et devra dépasser le cadre des communes, même regroupées. Le rôle des départements est, à cet égard, évident.
Je voudrais à présent évoquer un point crucial pour la ruralité qui n’est pas abordé dans le rapport de M. Bertrand, que nous avons, au demeurant, énormément apprécié : l’utilisation de la réforme territoriale.
La responsabilité de l’État doit être évoquée. Les dernières initiatives gouvernementales ont eu les effets que l’on connaît : l’un des plus fâcheux, conséquence du découpage cantonal, est la perte d’influence de la ruralité dans la gouvernance des départements.
La loi relative à la répartition des compétences devra réellement prendre en compte le dossier de l’hyper-ruralité. Les contrats de plan État-région devraient à mon sens obligatoirement comporter un volet consacré à l’hyper-ruralité.
Le rôle des départements tiendra, qu’on le veuille ou non, une place primordiale dans ce débat. M. Valls nous l’a confirmé, en citant deux domaines : les solidarités, humaines et territoriales, et l’aménagement du territoire. Ce sujet devra être abordé lors des débats sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Il conviendra, mes chers collègues, de bien préciser les responsabilités des conseils généraux en matière de voirie départementale, d’intervention en faveur des collectivités locales, de déploiement du très haut débit.
En conclusion, nous sommes, de toute évidence, très nombreux à être sceptiques quant à la fixation d’un seuil de 20 000 habitants pour les EPCI, dont le respect nécessiterait des regroupements d’espaces considérables.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Jean-Jacques Lasserre. Le rassemblement de nombreuses collectivités, souffrant toutes d’une insuffisance avérée de moyens financiers, ne donnera jamais des communautés riches, pouvant peser sur les investissements et le développement.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Évidemment !
M. Jean-Jacques Lasserre. La règle des 20 000 habitants doit s’effacer devant d’autres critères plus objectifs et plus pragmatiques.
Nous attendons beaucoup, je le répète, des débats sur le projet de loi NOTRe pour régler en grande partie les problèmes évoqués aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UDI–UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France a besoin de ses territoires ruraux et de ses territoires de montagne.
Je souhaite rappeler ici l’impérieuse nécessité de refaire de l’aménagement du territoire une priorité, de remettre les zones rurales et de montagne au cœur de nos politiques publiques, pour répondre aux attentes de ceux qui y vivent et aux aspirations de ceux, toujours plus nombreux, qui souhaitent s’y installer.
Le monde rural français a connu de profondes mutations ces dernières décennies, dont une majeure et inattendue : un renouveau démographique, essentiellement lié à une inversion des flux migratoires.
Depuis 1975, plus de 2,5 millions de personnes ont quitté les villes pour s’installer à la campagne, et, depuis 1999, la croissance démographique en zones rurales est plus forte qu’en zones urbaines, même si ce constat recouvre des situations très diverses qu’il faut, j’en ai pleinement conscience, prendre en compte.
Sur les 20 millions de Français vivant en milieu rural, plus de 5 millions résident dans les zones de montagne. Il faut aujourd’hui infléchir nos politiques publiques pour tenir compte de cette évolution, ainsi que du regain d’intérêt des Français pour le milieu rural.
Il s’agit donc de repenser la politique d’aménagement du territoire afin qu’elle accompagne ces évolutions et nouvelles aspirations, à rebours d’un modèle de concentration urbaine qui a montré ses limites.
Dans le même temps, nous devons mettre en œuvre des politiques différenciées pour les zones de montagne, qui ont besoin de réponses spécifiques.
Si la France a besoin de réformes, leur mise en œuvre exige une approche territoriale des politiques publiques, que ce soit en matière de services publics, d’organisation des territoires ou de politique agricole. Il s’agit avant tout d’un enjeu de société, les zones rurales et de montagne pouvant apporter des réponses aux attentes de nos concitoyens comme aux nouveaux défis de nos sociétés.
Il convient d’engager un vaste programme de reconquête des territoires ruraux et de montagne pour donner un nouvel espoir à ceux qui y vivent et adresser un message positif à ceux qui aspirent à un nouveau choix de vie.
Une telle politique serait sans aucun doute plébiscitée par de nombreux Français et ne serait en rien contradictoire avec les actions conduites en faveur de l’urbain ou du périurbain, dans la mesure où la ruralité apporte des réponses à de nombreux problèmes économiques et sociaux de notre pays.
Élu de Haute-Savoie depuis plus de trente ans, je sais – tout comme vous, madame la ministre – que l’on ne traite pas la montagne comme les autres territoires. Chez nous, la neige et le relief changent tout, les distances comme les coûts : routes, services publics, infrastructures, tout coûte plus cher.
Reconnaître avec équité ce qu’est la montagne, c’est comprendre qu’elle doit être traitée de façon différente. La montagne est une chance pour la République.
M. Loïc Hervé. Bravo !
M. Jean-Claude Carle. Nous sommes des territoires vivants. Nous avons des projets, et il faut juste donner à la montagne les moyens de ses ambitions.
En matière d’aménagement numérique du territoire, de larges secteurs des zones rurales risquent d’être exclus de l’accès à un réseau structurant et d’avenir.
Aujourd’hui, les opérateurs du très haut débit sont essentiellement attirés par les territoires urbains à forte concentration démographique, gage de rentabilité assurée à court ou moyen terme.
À l’opposé de cette logique, nous, élus de montagne, ne voulons pas être les spectateurs passifs du déploiement du très haut débit dans les seules zones denses et rentables à court terme. Nous revendiquons donc l’accès au très haut débit pour nos territoires, à égalité avec les autres.
Au nom de l’équité territoriale et de la solidarité nationale, il y a urgence à imposer des solutions adaptées afin que tous les foyers français, où qu’ils résident, bénéficient du niveau de débit correspondant à leurs besoins. Aucune zone géographique n’a vocation à être durablement condamnée à un internet au rabais, sauf à cautionner la fracture numérique du territoire.
L’école est un autre sujet qui nous importe et auquel je suis particulièrement attaché.
L’école est un service public à la fois essentiel et stratégique pour la montagne et son avenir. C’est la raison pour laquelle nous devons préserver le maillage du service public de l’éducation, ainsi que le taux d’encadrement par élève des écoles et collèges en zones de montagne et les moyens affectés au suivi des enfants en difficulté ou au remplacement des enseignants.
La présence d’une école, vitale pour le développement local et l’aménagement du territoire, détermine le choix d’une famille de s’établir dans une commune. Disposer d’une école vivante, c’est une perspective d’avenir et l’assurance de la présence d’une population jeune contribuant à l’économie locale. L’école rurale est un rempart contre la désertification de ces territoires.
Nous devons appliquer des seuils d’ouverture – ou de réouverture – de classes adaptés aux réalités montagnardes, notamment à travers la prise en considération des évolutions démographiques à moyen terme, traduisant un regain d’intérêt pour nos territoires.
Cependant, les caractéristiques de ceux-ci, tels le relief et le climat, influent directement sur l’accès des enfants à l’école et justifient une approche toute particulière, notamment en termes de transport scolaire. La santé des enfants impose que le temps de ce transport quotidien ne dépasse pas certaines limites.
Enfin, et de manière plus générale, nous devons assurer aux citoyens habitant ces territoires ruraux et de montagne un accès équitable aux services publics, faute de quoi la vie y sera menacée et, par là même, l’avenir et l’identité de la France se trouveront remis en cause.
Notre pays, s’il comporte un certain nombre de faiblesses par rapport à ses voisins, dispose de deux atouts majeurs : le renouvellement de sa population et son espace. Sachons les valoriser pour mettre en place une politique qui n’oppose pas l’urbain au rural, mais qui, au contraire, conjugue population et territoire. Il s’agit, avec l’emploi, du grand défi, madame la ministre, que nous devons relever.
Je remercie Alain Bertrand et le groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI–UC et du RDSE.)