Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaire :
M. Claude Dilain.
2. Décisions du Conseil constitutionnel
3. Recrutement et formation des sapeurs-pompiers volontaires. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi
Adoption, par scrutin public, de l’article unique de la proposition de loi.
4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire allemande
5. Débat sur l'action de la France pour la relance économique de la zone euro
M. Richard Yung, au nom du groupe socialiste et apparentés
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics
6. Prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote. – Discussion d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des finances
Mme Odette Herviaux, rapporteur pour avis de la commission du développement durable
8. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
9. Candidatures à une commission mixte paritaire
10. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
11. Demande d’avis sur un projet de nomination
12. Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
13. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
14. Prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
Discussion générale (suite) :
Clôture de la discussion générale.
Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi
M. Christian Eckert, secrétaire d'État
Amendement n° 1 de Mme Aline Archimbaud. – Rejet.
Rejet de l'article.
Articles additionnels après l'article 1er
Amendement n° 7 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Rejet.
Amendement n° 5 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié de Mme Chantal Jouanno. – Rejet.
Amendement n° 2 de Mme Aline Archimbaud. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État
Rejet, par scrutin public, de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
15. Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer. – Discussion d'une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Leila Aïchi, auteur de la proposition de loi
16. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaire :
M. Claude Dilain.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 19 novembre 2014, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat une décision en date du 19 novembre 2014, prise en application de l’article 12 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, sur la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, dont il avait été saisi par le président de la Polynésie française (n° 2014-7 LOM).
Acte est donné de ces communications.
3
Recrutement et formation des sapeurs-pompiers volontaires
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et apparentés, la discussion de la proposition de loi tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 553 [2013-2014], texte de la commission n° 91, rapport n° 90).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de défendre devant vous vise à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires. Son ambition est de contribuer modestement à résoudre l’un des problèmes – parmi d’autres – qui provoque ce qu’on appelle la crise de l’engagement volontaire.
Beaucoup de chiffres circulent, mais ils vont tous dans le même sens : le nombre de sapeurs-pompiers volontaires ne cesse malheureusement de diminuer. Les sapeurs-pompiers volontaires étaient 207 600 en 2004 et 195 200 en 2013 ; ils sont 192 300 aujourd’hui. Leur nombre a donc diminué d’environ 15 000 depuis 2004. Tous les pays ne sont pas frappés par ce que certains qualifient de « crise des vocations ». La Pologne compte ainsi 525 000 volontaires pour 30 000 professionnels.
Les sapeurs-pompiers volontaires constituent, avec les 40 000 sapeurs-pompiers professionnels et les 12 000 militaires, l’ossature du modèle de secours en France. Disons-le tout net : sans les volontaires, c’est tout notre système de protection et de sécurité civile qui serait remis en cause. Autrement dit, les sapeurs-pompiers volontaires sont irremplaçables. Leur contribution à la sécurité quotidienne de nos concitoyens est majeure, dans la mesure où ils effectuent entre 70 % et 80 % des opérations. Sans eux, il n’y aurait pas de service public, pas de services départementaux d’incendie et de secours, ou SDIS, pas de secours.
Le Président de la République l’a souligné avec force lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France à Chambéry : « Le volontariat, c’est à la fois une histoire, des traditions, mais aussi une forme moderne d’engagement dans une société, et la nôtre ne fait pas exception, minée par l’individualisme, l’égoïsme, le repli sur soi, le mercantilisme. » Le Président de la République a ajouté que les sapeurs-pompiers « [méritaient] la reconnaissance de la nation » ; que, même s’ils ne recherchaient « ni les hommages ni les honneurs », « la nation [avait] une dette envers [eux] » ; qu’ils étaient « un exemple pour la jeunesse » de notre pays. Il a enfin rappelé que le volontariat ne pouvait pas être assimilé à du travail salarié et devait donc être exempté de la directive Travail.
J’ajouterai, en ce qui me concerne, que les valeurs qu’ils incarnent et véhiculent sont essentielles non seulement pour notre société, mais également pour nos concitoyens : solidarité, engagement sans faille, don de soi, volonté de rendre service, primauté de l’intérêt collectif. Ils ne s’engagent pas par intérêt mais par dévouement. C’est là toute la noblesse de leur engagement : servir la collectivité, servir les autres au sens très fort du terme. Bref, il s’agit d’une vraie vocation, qui les amène très souvent à prendre des risques.
Il est primordial de maintenir ce « maillon citoyen » entre la société et sa sécurité et de ne pas tout faire reposer sur la seule professionnalisation du métier de sapeur-pompier. J’ai longtemps appelé de mes vœux – je continue à le faire – la multiplication, en lien avec les SDIS, des campagnes de sensibilisation auprès des universités, des grandes écoles et des établissements scolaires. Il m’a toujours paru très souhaitable de développer, comme cherche à le faire la commission Ambition volontariat, une vraie culture du volontariat, en mettant à contribution l’école, mais aussi l’armée, via la Journée défense et citoyenneté, et la télévision.
La baisse des effectifs est d’autant plus préoccupante que le nombre d’interventions est en constante augmentation. Ce problème n’est pas récent, mais, dispositif législatif après dispositif législatif, il persiste, voire il tend à s’aggraver.
La crise des valeurs nous questionne sur l’attractivité du volontariat et les modalités de formation, de recrutement, de fidélisation et de reconnaissance des engagés. Les causes de cette crise de l’engagement sont connues : montée de l’individualisme, déclin de la morale civique, poids de plus en plus prégnant de la famille, judiciarisation croissante, qui peut avoir une incidence non seulement sur le recrutement, mais aussi sur la durée de l’engagement, ou encore, lorsque le volontaire est salarié, difficulté de concilier le volontariat et les exigences de l’employeur.
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Roland Courteau. La loi du 20 juillet 2011 relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique est un outil important pour conforter le statut de sapeur-pompier volontaire et l’inscrire dans un cadre juridique rénové. Il faut donc se féliciter que le Gouvernement ait eu à cœur, en 2013, de publier les textes d’application et de les mettre en œuvre.
Je me réjouis également qu’il y ait eu de nombreuses avancées sur ce dossier au cours des derniers mois. Je crois savoir que la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, la FNSPF, est en discussion avec l’Agence du service civique pour élargir la formation initiale d’aptitude à d’autres structures, dans l’enseignement par exemple ; les associations agréées de sécurité civile pourraient elles aussi dispenser cette formation.
Il convient par ailleurs de noter que la charte nationale du sapeur-pompier volontaire, prévue par la loi du 20 juillet 2011 et élaborée en lien étroit avec la FNSPF, définit les droits et les devoirs des sapeurs-pompiers volontaires, ainsi que les garanties et protections dont ils bénéficient. Elle rappelle également les valeurs que s’engage à respecter la communauté des sapeurs-pompiers et constitue pour l’autorité de gestion le fondement d’une relation partenariale et durable.
Enfin, un plan d’action, intitulé « Engagement pour le volontariat », a été signé par le ministre de l’intérieur, les présidents de l’Assemblée des départements de France et de l’Association des maires de France ainsi que les responsables des organisations des sapeurs-pompiers volontaires ; notre collègue Yves Rome sait de quoi je parle. Je ne développe pas davantage.
Nous pouvons faire encore un pas de plus pour inverser la tendance à la baisse des effectifs. En effet, l’une des difficultés auxquelles se heurte actuellement le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires est la longueur de la formation initiale. Force est de constater que ce délai d’attente est source de découragement, voire de renoncement. La formation doit donc s’adapter aux contraintes des volontaires.
Par ailleurs, le volontariat doit davantage se féminiser et se diversifier, en intégrant des jeunes issus de la diversité. En 2011, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, on ne comptait que 11 % de femmes parmi les sapeurs-pompiers volontaires.
La formation des sapeurs-pompiers volontaires – car c’est de cela dont il s’agit aujourd’hui – est une formation initiale dont la loi fixe la durée à au moins trente jours, qu’il est possible de répartir sur trois années. D’un volume d’environ 240 heures, elle s’organise en sept modules. La moitié du temps est consacrée à une formation pratique aux interventions sur le terrain ; l’autre moitié est constituée d’unités de valeur de portée générale : attitude et comportement, culture administrative, risque technologique, etc. Dans les faits, cette formation dure à peu près cinq semaines, entre vingt-trois et quarante jours, à raison de huit heures par jour.
Le rapport de la commission Ambition volontariat plaidait déjà pour le réexamen du programme de la formation initiale, afin que sa durée soit réduite et que son contenu soit prioritairement orienté vers les interventions sur le terrain. La formation doit effectivement s’adapter aux contraintes des volontaires, mais en conservant une exigence totale de sécurité. Il n’est donc en aucune façon question de « bâcler » cette formation.
Le service civique, créé par la loi du 10 mars 2010, que nous devons à notre collègue Yvon Collin,…
M. François Bonhomme. Bravo !
M. Roland Courteau. … pourrait apporter une solution au problème évoqué.
D’autres que moi ont souligné que le service civique faisait partie des dispositifs sous-utilisés parce que trop peu connus. Sur 40 000 services civiques accomplis, seuls 471 l’ont été dans les services d’incendie et de secours.
Instauré en 2010 à la suite – je viens de le rappeler – d’une initiative parlementaire du Sénat, le service civique donne à nos jeunes de seize à vingt-cinq ans la chance de s’engager et de servir des valeurs de solidarité à travers des actions en France ou à l’étranger. Il « vise à apporter un concours personnel et temporaire à la communauté nationale dans le cadre d’une mission d’intérêt général et à développer la solidarité et le sentiment d’appartenance à la nation ».
L’article unique de la présente proposition de loi prévoit de préciser, à l’article L. 1424-37, relatif à la formation des sapeurs-pompiers volontaires, du code général des collectivités territoriales, que les personnes remplissant les conditions auxquelles est subordonné l’engagement de sapeur-pompier volontaire peuvent bénéficier de tout ou partie de la formation initiale dans le cadre d’un service civique. Un jeune effectuant une mission d’intérêt général concourant à des missions de sécurité civile ou de prévention auprès d’un SDIS pourra donc suivre parallèlement une formation initiale de sapeur-pompier volontaire dans de bonnes conditions. Il sera ainsi plus rapidement apte à participer à des interventions.
La proposition de loi a pour objet d’inciter à mettre en œuvre cette solution, qui aurait également l’avantage de développer une forme de service civique particulièrement adaptée à la formation citoyenne. L’inscription de la formation initiale d’aptitude pour devenir sapeur-pompier volontaire dans le cadre d’un service civique constituerait un signe fort du recentrage de celui-ci sur les missions d’intérêt général comme la sécurité civile. Cela permettrait de promouvoir les valeurs et d’encourager les actions citoyennes de solidarité, d’engagement et de don de soi, notamment au service des intérêts de la nation.
Je crois savoir que la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France s’est dès le départ engagée dans la démarche du service civique. Elle bénéficie d’un agrément pour accueillir des jeunes dans un but de « promotion de la culture de sécurité civile, en particulier du secourisme et du volontariat, auprès du public » et de « soutien aux actions associatives de solidarité ».
La proposition de loi s’inscrit dans la perspective de la création d’un service citoyen de sécurité civile, sous la forme d’une adaptation du service civique aux réalités et aux besoins des sapeurs-pompiers, conformément au souhait exprimé par le Président de la République le 12 octobre 2013 lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Il s’agit de la mesure n° 24 de l’engagement national pour le volontariat.
Je crois savoir également qu’un travail préparatoire est mené par les différentes parties prenantes – ministère de l’intérieur, ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, Agence du service civique, Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et collectivités locales – en vue du lancement par voie conventionnelle de plusieurs expérimentations du service citoyen de sécurité civile par les SDIS concernés, ainsi que le prévoyait le deuxième comité interministériel de la jeunesse.
Il semblerait, m’a-t-on dit, qu’un accord soit en passe d’être trouvé autour de missions d’une durée minimale de neuf mois, prises en charge par l’Agence du service civique, moyennant remboursement par le SDIS d’accueil de la période excédant six mois. Ce temps permettrait au jeune engagé d’acquérir plusieurs formations, dont la formation initiale d’équipier de sapeur-pompier volontaire. Le lancement de cette expérimentation est prévu au 1er janvier 2015, pour une durée d’un an renouvelable une fois. Dans le cadre des travaux préparatoires, l’objectif de 1 000 à 2 000 jeunes engagés par an dans cette mission a été envisagé à terme en régime pérenne.
Nous vous serions reconnaissants, monsieur le ministre, de bien vouloir nous faire part, le moment venu, des résultats de cette expérimentation et des éventuelles suites qui en découleront.
Avant de conclure, mes chers collègues, j’en reviens au texte qui nous occupe aujourd’hui.
La présente proposition de loi tend à orienter les jeunes vers le volontariat conformément à l’engagement national pour le volontariat du 11 octobre 2013. Elle favorisera l’accueil de plus de jeunes engagés du service civique non seulement dans les services d’incendie de secours, mais également dans l’ensemble des autres organismes d’accueil, comme les associations agréées de sécurité civile, les collectivités territoriales, etc. Elle apportera une réponse utile au problème central de disponibilité qui se pose aux sapeurs-pompiers volontaires pour suivre leur formation initiale en raison de contraintes diverses. Elle ouvrira aux volontaires accueillis, encadrés par des sapeurs-pompiers en activité, du temps d’immersion opérationnelle destiné à acquérir de la pratique et de l’expérience et la possibilité d’appliquer sur le terrain la formation théorique reçue. Enfin, ce texte permettra aux titulaires de la formation initiale d’être rapidement opérationnels à l’issue de leur service civique.
J’aimerais faire une remarque concernant les sapeurs-pompiers volontaires plus âgés. Force est de constater que ceux qui sont salariés sont contraints, avec le système actuel, d’effectuer leur formation au moment de leurs congés payés, réduisant ainsi leur disponibilité, auprès de leur famille notamment. Il s’agit là aussi d’un frein à l’engagement pour les volontaires d’un certain âge. Là encore, il convient de rechercher des solutions.
Pour conclure, je dirais que d’autres mesures s’imposent pour répondre à la crise des vocations. Modestement, j’en suggère une au travers de cette proposition de loi. Je tiens d’ailleurs à remercier le Gouvernement de sa disponibilité et de son écoute tout au long du travail de préparation du texte.
Monsieur le rapporteur de la commission des lois, je tiens également à vous féliciter de la qualité de vos analyses et de votre grande disponibilité. Votre amendement tendant à conditionner le bénéfice de la formation initiale de sapeur-pompier volontaire dans le cadre d’un service civique à l’engagement d’exercer la mission de sapeur-pompier volontaire s’accorde tout à fait avec l’objectif visé par la proposition de loi initiale, et je vous en remercie. C’est donc bien volontiers que je soutiendrai le texte de la commission.
Mes chers collègues, l’approche identique du volontariat chez les sapeurs-pompiers et les candidats au service civique permet de faciliter la continuité entre les deux missions pour nos concitoyens qui font ce choix. Il y a là une possible réponse au risque de déclin du volontariat chez les sapeurs-pompiers, mais aussi un moyen de créer des vocations chez nos jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer Roland Courteau, qui s’est exprimé avec la générosité d’esprit qui le caractérise. Nous savons que le travail qu’il accomplit depuis le début de son mandat au Sénat se distingue par une vision humaniste de la société et par une volonté de mobiliser les énergies positives pour avancer.
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La question des sapeurs-pompiers volontaires est effectivement très importante. Il faut savoir que les quelque 192 000 sapeurs-pompiers volontaires de France représentent les quatre cinquièmes du total des effectifs des sapeurs-pompiers et assurent 69 % du temps d’intervention.
Les lois successives de 1991, 1996, 2004 et 2011 ont construit progressivement un statut du volontariat. Toutefois, ces différents textes n’ont pas enrayé la chute des effectifs de volontaires. C’est pourquoi le congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, réuni à Chambéry en 2013 – vous y étiez, monsieur Rome –, s’est particulièrement penché sur le sujet, proposant un plan d’action de vingt-cinq mesures, signé par les représentants de ce corps et M. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, afin de favoriser le développement du volontariat.
Pour illustrer cette crise du recrutement, il suffit de citer un chiffre : en 2012, le nombre de volontaires a diminué de 2 240. Certes, en 2013, il n’y a eu que 700 volontaires en moins, ce qui permet de dire qu’il y a eu une moindre diminution. Cependant, mes chers collègues, vous connaissez tous ce procédé consistant à dire qu’il y a eu une moindre inflation ou une moindre augmentation du nombre de chômeurs : c’est une façon de dire que, malheureusement, on n’a pas encore trouvé les bonnes solutions.
Notre collègue Catherine Troendlé, rapporteur au Sénat de la loi du 20 juillet 2011, expliquait la crise du volontariat par plusieurs facteurs d’ordre social, économique, philosophique ou territorial : montée de l’individualisme, difficultés de conciliation avec la vie familiale, réticences des employeurs, difficultés de recrutement dans les zones rurales, fermeture de nombreux centres de secours de petite taille.
La loi de 2011 a eu pour effet de consolider le statut des sapeurs-pompiers volontaires sur plusieurs points, en particulier en consacrant juridiquement le volontariat par la définition dans la loi de l’engagement comme une activité qui « n’est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres ».
Il est apparu nécessaire de simplifier certaines obligations pesant sur les sapeurs-pompiers volontaires. Nous le savons, voilà quelques décennies, les conditions en termes de recrutement, de formation ou de disponibilité étaient beaucoup moindres. Les volontaires étaient donc plus nombreux. Aujourd’hui, les conditions sont très rigoureuses, mais c’est à bon droit, puisqu’il s’agit d’une activité qui ne peut pas s’exercer avec amateurisme. Dans le même temps, il faut veiller à ce que ces règles restent compatibles avec les possibilités effectives des personnes qui s’engagent. Je pense en particulier à toutes celles qui sont salariées.
Notre collègue Roland Courteau, par cette proposition de loi, souhaite faire en sorte que le service civique, qui a été mis en place, comme cela a été rappelé, par une loi qui doit beaucoup à M. Yvon Collin,…
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … puisse être mis à profit pour recevoir la mission de formation des sapeurs-pompiers volontaires.
Aujourd’hui, certaines personnes accomplissent un service civique comme sapeurs-pompiers volontaires, mais, comme elles n’ont pas reçu la formation appropriée, leur champ d’intervention est relativement limité. Comme l’a excellemment exposé Roland Courteau, il s’agit, dans une première phase du service civique, de délivrer une formation complète, de sorte que les personnes ainsi formées puissent intervenir par la suite comme peut le faire un sapeur-pompier volontaire.
Je rappelle que le service civique est défini comme un engagement volontaire au service de l’intérêt général, ouvert à tous les jeunes de seize à vingt-cinq ans, sans condition de diplôme. Les missions accomplies dans ce cadre, au service de personnes morales agréées, sont indemnisées à hauteur de 573 euros nets par mois. Sa durée varie de six à douze mois, et les domaines d’intervention sont très larges.
Je tiens à souligner que des expérimentations très intéressantes sont conduites, en particulier en Lorraine : la première partie du service sera dédiée à l’acquisition de la formation afin que, pendant la seconde partie, les participants aient une capacité d’intervention et d’engagement aux côtés des sapeurs-pompiers volontaires plus forte qu’aujourd’hui.
Je veux aussi insister sur le grand intérêt de l’expérimentation qui a été menée dans le département de l’Oise, monsieur le président Yves Rome. Cette expérimentation a montré, c’est également le cas en Seine-et-Marne, qu’il était possible, grâce à une série de mesures, non pas seulement d’enrayer la chute du nombre de sapeurs-pompiers volontaires dans un département, mais bel et bien d’inverser la tendance. Je sais que des réflexions très utiles sont menées sur ce sujet dans d’autres territoires. Je pense en particulier à la région Nord-Pas-de-Calais, où le sens aigu de la solidarité, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, se met déjà en œuvre dans ce domaine et aura l’occasion de se manifester de plus en plus à l’avenir.
Comme l’a indiqué M. Courteau, la commission des lois a adopté un amendement, que j’ai eu l’honneur de présenter, tendant à ce que le jeune qui recevra cette formation souscrive un engagement. Cette formation représente un coût de 3 700 euros par personne pour les départements et les SDIS. Ceux-ci ne rencontrent pas de problème financier, puisque le nombre de volontaires diminue d’année en année. Au contraire, ils souhaitent que les volontaires soient plus nombreux, et ils sont prêts à payer cette formation : les sommes ont été budgétées les années précédentes et n’ont pas toujours été dépensées.
Les jeunes qui bénéficieront de cette formation souscriront donc un engagement de sapeur-pompier volontaire. Cet engagement pourra être résilié lorsque des circonstances l’exigeront : par exemple, si la poursuite des études, l’évolution du parcours professionnel ou des conditions de vie imposent un déménagement, etc. Cet engagement présente pour nous une valeur morale forte : les jeunes du service civique recevront une formation de qualité et s’engageront logiquement à servir en tant que sapeur-pompier volontaire, tout d’abord dans la suite du service civique et, ensuite, dans le cadre du droit commun.
Je veux souligner que les personnes auditionnées par la commission des lois, tout particulièrement notre collègue Yves Rome, déjà cité, président de la conférence nationale des SDIS, et notre collègue député Jean-Paul Bacquet, président du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires, ont manifesté leur intérêt pour cette proposition de loi, ainsi que pour l’amendement adopté par la commission. Je pense donc, mes chers collègues, que toutes les conditions sont réunies pour que nous puissions tous nous rassembler autour de ce texte, comme cela a été le cas au sein de la commission des lois.
M. Michel Savin. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. L’adoption de cette proposition de loi représentera un pas dans la bonne direction, dans le sens du bon exercice du volontariat et de l’intérêt commun. Ne nous exagérons pas les conséquences de cette avancée et prenons-les simplement comme telles. Vous savez que, dans ce domaine, il faut avancer pas à pas, avec la volonté de dire très clairement aux jeunes de ce pays qu’il est utile d’œuvrer bénévolement pour le bien commun dans le cadre du volontariat, parce que c’est aussi un idéal, une conception de la vie en société. Je suis persuadé que les jeunes d’aujourd’hui sont prêts à entendre ce rappel, autant que ceux des générations précédentes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. Michel Savin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de me retrouver aujourd’hui devant vous à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de M. Courteau tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires. Mon collègue Bernard Cazeneuve est actuellement retenu à l’Assemblée nationale par la discussion en deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ; vous voudrez bien l’excuser. J’espère pouvoir me faire son porte-parole.
Monsieur Courteau, la proposition de loi que vous avez déposée s’inscrit dans une démarche à laquelle le Gouvernement dans son ensemble est particulièrement attaché : la promotion et la préservation du modèle de sécurité civile français, dont le volontariat des sapeurs-pompiers constitue une composante essentielle. C’est la richesse et la force de notre modèle que de réunir en son sein, d’une part, des sapeurs-pompiers professionnels, des militaires de la sécurité civile, des équipages d’hélicoptères ou de bombardiers d’eau, des démineurs et, d’autre part, des sapeurs-pompiers volontaires – jeunes, expérimentés, actifs ou inactifs.
Sur le terrain, nulle distinction n’est établie entre ces professionnels et ces volontaires, qui remplissent la même mission : protéger nos concitoyens, assurer le secours et l’assistance aux populations. C’est une mission noble et exigeante, et je veux rendre aujourd’hui hommage à ces femmes et à ces hommes. Je n’oublie pas que, il y a peu de temps encore, j’étais président du plus grand service départemental d’incendie et de secours, celui du Nord.
Le Gouvernement est particulièrement attaché à ce modèle, et je sais que cet attachement est partagé par la représentation nationale tout entière, par-delà les clivages politiques.
La loi du 20 juillet 2011, dite « loi Morel-A-L’Huissier », a offert un cadre juridique permettant la reconnaissance du volontariat des sapeurs-pompiers et de ses spécificités. Il y est notamment rappelé que celui-ci s’exerce à titre bénévole, précision importante pour distinguer le volontariat d’une activité.
Lors du congrès national des sapeurs-pompiers de Chambéry, en octobre 2013, le Président de la République a rappelé sa détermination à préserver ce modèle et un plan d’action en faveur du volontariat a été signé. L’objectif est simple : inverser la tendance à la baisse du nombre de volontaires observée ces dernières années. Depuis 2005, où l’on comptait 204 000 sapeurs-pompiers volontaires, nous sommes passés à près de 190 000. C’est donc une perte lourde qu’il nous faut enrayer.
Notre ambition ne se limite pas à « faire du chiffre », elle vise surtout à préserver et promouvoir l’engagement citoyen qu’est le volontariat. Comme l’a dit le Président de la République à Chambéry, les sapeurs-pompiers volontaires « sont à travers leur engagement un exemple pour la jeunesse de notre pays ». M. Courteau a eu raison de rappeler également la phrase suivante : « Le volontariat est issu de solidarités et de traditions qui remontent à loin, mais il est aussi très moderne. »
Le Président de la République avait poursuivi en rappelant les synergies possibles entre le volontariat et le service civique, évoquant le principe d’un « service civique adapté » aux réalités et aux besoins des services de sapeurs-pompiers.
L’engagement de service civique partage avec l’engagement de sapeur-pompier volontaire des valeurs communes, une même volonté altruiste et la même dimension citoyenne. En effet, le service civique, j’ai pu le constater à l’occasion de nombreux déplacements, est un formidable outil au service des jeunes et de l’intérêt général. Il permet à des jeunes de s’engager pour la collectivité, tout en développant de nouvelles compétences qui leur seront utiles dans leur parcours. Je me félicite, à ce titre, de l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale de l’amendement que j’ai eu l’honneur de défendre visant à permettre à 45 000 jeunes d’effectuer un service civique en 2015, contre 35 000 aujourd’hui. La montée en charge du service civique est une condition de sa réussite, car l’engagement des jeunes devrait être un droit et non une chance. Vous aurez prochainement l’occasion d’en débattre dans cet hémicycle, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015.
Pour que ce droit à l’engagement puisse prendre tout son sens, il convient bien sûr d’élargir le nombre de bénéficiaires, mais aussi de leur donner les moyens de s’engager. C’est de cette idée qu’est né le service civique, et je pense qu’il ne faut pas l’oublier. Pour que chaque jeune qui désire être utile et profiter d’une nouvelle expérience puisse le faire sur un temps long et continu – en moyenne huit mois et plus de vingt-quatre heures par semaine –, il faut qu’il puisse être indemnisé. Dans la forme actuelle du service civique, je ne souhaite pas revenir sur le montant unique de l’indemnité dont bénéficie le jeune en service civique, car celle-ci doit lui permettre de franchir le cap de l’engagement sans être bloqué par des problématiques financières. Elle ne doit pas venir « rémunérer » un travail effectué, car le service civique n’est pas un emploi et ne doit en aucun cas s’y substituer.
L’indemnité de service civique permet à tous les jeunes, d’où qu’ils viennent, de s’engager sur une période longue et de manière soutenue, ce qui ne leur aurait pas été possible sans cette aide. En tant que ministre de la ville, ce sujet me tient particulièrement à cœur. Je souhaite que les jeunes issus des quartiers ciblés par la politique de la ville puissent davantage bénéficier du service civique. Aujourd’hui, 17 % des jeunes engagés en service civique sont issus de ces quartiers, je souhaite porter ce chiffre à 25 %.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Patrick Kanner, ministre. Je souhaite également que l’engagement des jeunes puisse être davantage valorisé, à l’heure où nombreux sont ceux qui donnent de notre jeunesse le portrait d’une génération apathique, désenchantée, démotivée et repliée sur elle-même. Cette jeunesse-là, je ne l’ai jamais rencontrée !
Les jeunes que je connais, que je rencontre régulièrement, sont à l’inverse de cette caricature : ils ont soif d’engagement. Aujourd’hui, il y a quatre fois plus de jeunes souhaitant effectuer un service civique que de places disponibles. Leur désir d’engagement peut recouvrir différents champs : l’éducation, la solidarité, l’humanitaire, l’environnement. Il me paraît donc tout naturel que l’engagement de sapeur-pompier volontaire, qui touche à la protection et à l’assistance aux populations, puisse entrer pleinement dans le cadre du service civique. Ainsi, mettre à profit la période de service civique pour permettre aux jeunes volontaires de bénéficier de tout ou partie d’une formation directement opérationnelle, recherchée dans les milieux professionnels, va dans le sens que nous souhaitons.
Dès l’annonce du Président de la République, des démarches ont été engagées pour mettre au point un tel service civique « adapté ». Nous travaillons, Bernard Cazeneuve et moi-même, avec nos administrations respectives, à la mise en place d’une expérimentation de service civique « adapté » aux sapeurs-pompiers volontaires. J’espère, conformément au vœu émis par M. Courteau, que ce projet sera opérationnel dans deux ou trois départements au premier trimestre de 2015.
Votre proposition de loi, monsieur le sénateur, s’inscrit dans la droite ligne de ces démarches : promouvoir le volontariat, favoriser son développement en s’appuyant sur le service civique, valoriser ces engagements citoyens.
Allier service civique et formation de sapeur-pompier volontaire permettra aux jeunes de bénéficier de modules de formation au secourisme et à l’analyse des risques, par exemple. Ces compétences et cette expérience leur seront précieuses dans le cadre, éventuellement, de leur insertion professionnelle dans le corps des sapeurs-pompiers.
Les SDIS, quant à eux, pourront engager aux côtés des sapeurs-pompiers professionnels des jeunes motivés, dynamiques, animés d’une véritable démarche citoyenne. Le développement du volontariat, l’encouragement des vocations sont autant de retours sur investissement attendus.
Je me félicite en ce sens de la précision apportée par M. le rapporteur soumettant le bénéfice de la formation de volontaire à la signature d’un engagement comme sapeur-pompier volontaire. L’investissement réalisé par le SDIS est en effet important, la formation longue et exigeante. L’engagement doit donc, dès le départ, être pensé, réfléchi et mûri par le jeune.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Patrick Kanner, ministre. La proposition de loi pose le cadre général. Les modalités pratiques de mise en œuvre de cette disposition législative devront naturellement être précisées. L’expérimentation que Bernard Cazeneuve et moi-même souhaitons conduire pourra être mise à profit en ce sens.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, d’ores et déjà, cette proposition de loi exprime notre volonté commune de consolider et d’enrichir le vivier des volontaires sapeurs-pompiers en utilisant l’outil d’engagement citoyen qu’est le service civique.
Monsieur le sénateur Courteau, monsieur le rapporteur Sueur, votre proposition de loi amendée conforte cette France qui s’engage. Le Gouvernement y est donc particulièrement favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec plaisir que j’interviens dans ce débat, pour des raisons de fond, tout d’abord, car le groupe écologiste votera cette proposition de loi, mais aussi parce qu’il me rappelle des souvenirs d’enfance.
Je me souviens de la sirène qui se faisait entendre dans ma petite ville de Maine-et-Loire…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. C’était la même chez moi !
M. Jean Desessard. Nous arrêtions de jouer, et nous comptions le nombre de sonneries qui indiquait l’intensité du feu. Je revois l’image de mon père, pompier volontaire, qui, comme d’autres, ouvriers, artisans, employés, posait son marteau de charpentier pour rejoindre la caserne à toute vitesse sur sa mobylette. Je me souviens de ses absences, sources d’inquiétude, les soirs de feu de forêt important.
Je pourrais vous parler encore longuement de ce que représentaient les manœuvres et les exercices de préparation le week-end, le cérémonial de la vente des calendriers, etc. Au-delà de la nostalgie, ces images symbolisent l’engagement au service des autres des sapeurs-pompiers et la fierté qui en résultait.
Comme M. Courteau, je déplore la baisse des effectifs, et je m’en inquiète. Notre collègue l’a rappelé, les raisons de cet essoufflement de l’engagement sont multiples : la montée de l’individualisme, la difficile conciliation avec la vie familiale, les cadences de l’entreprise, la fermeture de nombreux centres de secours… Les sapeurs-pompiers volontaires sont pourtant un pilier indispensable de notre sécurité civile : ils représentent 79 % du total des effectifs des sapeurs-pompiers et assurent 69 % du temps total des interventions. Ces volontaires sont jeunes – un quart d’entre eux ont moins de vingt-cinq ans –, et ils risquent parfois leur vie pour notre sécurité. Entre 2003 et 2013, 131 sapeurs-pompiers ont en effet perdu la vie dans l’exercice de leurs missions.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à endiguer le recul constant de l’engagement chez les sapeurs-pompiers volontaires. Pour ce faire, notre collègue Roland Courteau propose de s’appuyer sur un dispositif existant : le service civique.
Aujourd’hui, les engagés au sein du service civique qui choisissent d’exercer auprès des pompiers ne peuvent effectuer de missions opérationnelles ; ils sont là en soutien. L’objet de cette proposition de loi est donc simple : permettre aux volontaires du service civique de suivre la formation initiale et de devenir ainsi sapeurs-pompiers volontaires durant leur temps d’engagement.
M. Courteau l’a rappelé, cette nouvelle disposition ne réglera pas tout le problème de la baisse des effectifs. Il faut cependant saluer les initiatives qui apportent des solutions concrètes, et notre collègue Roland Courteau a le mérite d’alerter le législateur sur la situation des sapeurs-pompiers volontaires tout en proposant un dispositif législatif simple et facilement applicable.
Mobiliser tous les outils à notre disposition pour soutenir l’engagement au sein des sapeurs-pompiers est fondamental. À notre époque, placée sous le signe de l’individualisme, de la dilution du lien social et de l’argent roi, l’engagement volontaire est un acte précieux pour toute la collectivité.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. En conséquence, les écologistes soutiennent l’engagement dans le service public. Ils soutiennent l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Ce sont donc deux bonnes raisons pour voter la proposition de loi.
M. Roland Courteau. Merci !
M. Jean Desessard. Je veux saluer, moi aussi, l’extrême sensibilité de M. Courteau aux problèmes du quotidien et sa volonté de les résoudre. Monsieur Courteau, merci ! Vous avez tout notre soutien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que le nombre d’interventions augmente de 1 % par an et que l’arrêt du Conseil d’État du 3 novembre 2014 met les SDIS au pied du mur, cette proposition de loi ne répond pas à l’urgence de la situation. En effet, combien compte-t-on en ce moment de personnes en service civique dans les SDIS ? Pas énormément – 471 si j’ai bien entendu ce qui vient d’être dit.
Loin de nous contenter de cette disposition, il faut, selon nous, répondre à plusieurs problématiques urgentes auxquelles sont confrontés les SDIS pour faire en sorte de maintenir le service public d’incendie et de secours sur l’ensemble du territoire.
Au cœur des préoccupations, la question fondamentale peut être résumée ainsi : comment adapter la réponse opérationnelle à l’évolution des missions, notamment l’augmentation du secours à personnes, et aux contraintes de disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires, qui assurent 65 % du temps d’intervention, alors que de lourdes contraintes financières pèsent sur les budgets des collectivités territoriales, limitant ainsi le recours au recrutement de sapeurs-pompiers professionnels supplémentaires et qu’il existe de fortes tensions juridiques par rapport au régime de travail des sapeurs-pompiers professionnels ?
Première problématique, le lundi 3 novembre 2014, le Conseil d’État a rendu un arrêt sur le temps de travail des sapeurs-pompiers logés, qui met au jour une évidence : il n’y a pas de motif recevable permettant aux sapeurs-pompiers professionnels logés de déroger au plafond de 1 128 heures de travail sur six mois.
Les conséquences de cette décision sont immédiates : les sapeurs-pompiers logés ne peuvent plus déroger à la moyenne de 48 heures de travail hebdomadaire. Cette décision, cohérente du point de vue de la santé et de la sécurité au travail, mettra un peu plus en évidence le manque d’emplois publics au sein des SDIS. Les syndicats réclament que la diminution du temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels soit maintenant compensée par des recrutements de sapeurs-pompiers professionnels.
Toutefois, comment nous en assurer lorsque l’on sait que les dotations de l’État aux collectivités territoriales ont été réduites ? En effet, les recettes des SDIS proviennent à 98 % des collectivités territoriales, dont 57 % des conseils généraux et 43 % des communes et des EPCI. Compte tenu du plafonnement de l’évolution des contributions communales, ce sont les départements qui ont absorbé la progression des dépenses.
Ensuite, il est indéniable que la modification des statuts des pompiers professionnels, intervenue en 2013, favorise les hauts gradés et pénalise les hommes du rang. Concrètement, cette réforme touche au salaire des soldats du feu par un remaniement de la grille de responsabilité et à leur évolution de carrière, qui va être considérablement rallongée. Ainsi, jusqu’à cette réforme, il fallait en moyenne huit ans pour passer sous-officier. Il faudra désormais vingt et un ans. Dans ces conditions, comment voulez-vous encourager les jeunes à devenir professionnels ?
À côté de cela, les indemnités versées aux sapeurs-pompiers volontaires sont trop faibles. En effet, les proportions de sapeurs-pompiers volontaires classés par tranche de montant de vacations perçues ne varient pas depuis trois ans : 70 % des sapeurs-pompiers volontaires perçoivent moins de 250 euros par mois et 47 % moins de 150 euros ; 7 % d’entre eux reçoivent entre 500 et 850 euros et 2 % plus de 833 euros par mois. Enfin, ils sont 21 % à toucher moins de 42 euros par mois. Ces faibles montants interpellent tout de même lorsque l’on sait que les sapeurs-pompiers volontaires assurent 62 % du temps total d’intervention, pratiquement tout le potentiel d’astreinte et une part importante du potentiel de garde.
Il risque de se produire une fracture sociale entre les sapeurs-pompiers volontaires – en faible position de responsabilité – et les sapeurs-pompiers professionnels – en forte position de commandement opérationnel et de responsabilité hiérarchique. Actuellement, des tensions sont déjà nettement perceptibles dans les SDIS. Cette fracture pourrait s’opposer à tout effort de consolidation, fidélisation et promotion du volontariat, alors qu’il s’agit, vous l’avez dit et nous en sommes d’accord, d’un enjeu crucial pour l’équilibre du système de sécurité civile en France.
Autre problématique : entre 2008 et 2012, le nombre d’interventions de secours à personnes assurées par les SDIS a crû de 15,7 %. Si cette hausse est inférieure de moitié à l’explosion constatée entre 2004 et 2008 – elle a augmenté de 30,8 % –, elle demeure supérieure à celle du nombre total d’interventions.
Ce secteur, comme celui du SAMU, subit un accroissement des tâches « indues ». En effet, aujourd’hui, les SDIS doivent répondre à des besoins qui ne sont pas – ou ne sont plus – pris en charge par ailleurs. Ils voient leur rôle de « service public de dernier recours » renforcé. Cette croissance suscite aujourd’hui de plus en plus d’inquiétudes, tant dans les grands centres urbains, soumis à une pression opérationnelle inédite, que dans les zones rurales, dont la couverture repose avant tout sur le recours au volontariat. Il faudrait donc répondre aussi à la défaillance de la permanence des soins ambulatoires et indisponibilités ambulancières.
Vous le constatez, mes chers collègues, les problématiques que je viens d’évoquer trop brièvement dépassent très largement le champ de la proposition de loi. Le groupe CRC ne pourra donc pas voter pour un texte qui est, selon nous, d’abord, d’affichage. Au final, il concernera seulement une petite proportion de jeunes, alors que, contrairement à ce que l’on dit trop souvent, les jeunes représentent un vivier d’engagement bénévole et généreux beaucoup plus vaste. La proposition de loi ne répond donc ni à l’urgence de la situation ni à la gravité des problèmes posés.
M. Roland Courteau. C’est un petit pas de plus !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous ici le travail admirable effectué par les sapeurs-pompiers et, parmi eux, par les volontaires, qui participent chaque année à de nombreuses opérations de secours. Ces héros du quotidien bravent des dangers qui mettent leur vie en péril.
Afin de pérenniser ce modèle qui allie professionnels et bénévoles, le Président de la République avait souhaité, en octobre 2013, lors du congrès national de la profession, la mise en œuvre d’une campagne de promotion du volontariat chez les sapeurs-pompiers. Cette campagne a été lancée le 13 juin dernier par le ministère de l’intérieur en partenariat avec la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.
Les sapeurs-pompiers volontaires constituent la base de l’organisation des secours en France, puisqu’ils représentent en réalité 78 % du contingent. Issus de toutes les catégories socioprofessionnelles, ils sont au nombre de 811 dans mon département de Tarn-et-Garonne.
Aujourd’hui, le recrutement de nouveaux volontaires est une difficulté qui se pose avec de plus en plus d’acuité. II y avait 202 200 sapeurs-pompiers volontaires en 2002 ; ils sont 17 000 de moins en 2014. Depuis quelques années, l’augmentation des interventions couplée à une stagnation des effectifs pose des problèmes de disponibilité des personnels. En journée, le manque de sapeurs-pompiers volontaires est cause de ruptures opérationnelles. À titre de référence, dans mon seul département, les sapeurs-pompiers ont effectué 12 859 interventions en 2013, soit environ 35 interventions par jour.
Pourtant, il ne s’agit pas d’une pénurie de vocations. C’est ce que souligne également la proposition de loi de notre excellent collègue Roland Courteau. Nombre de nos concitoyens ont le désir, l’envie de s’engager au service de la communauté. Peu d’entre eux en ont toutefois la possibilité. Il devient en effet de plus en plus difficile aux employeurs de libérer leurs personnels sapeurs-pompiers volontaires, et ce pour des questions d’organisation de l’entreprise.
L’une des difficultés auxquelles se heurte actuellement le recrutement de jeunes sapeurs-pompiers volontaires est la longueur de la formation initiale qu’ils doivent suivre. Cette formation initiale d’application leur permet d’effectuer les tâches opérationnelles en tant qu’équipier. Répartie sur deux ans, elle a une durée équivalente à 280 heures et comprend une formation au secourisme en équipe et au secourisme routier, une formation de lutte contre les incendies, une formation concernant les opérations diverses de mise en sécurité des personnes et des biens et, enfin, une formation de culture administrative sur l’organisation des secours, les responsabilités et devoirs des sapeurs-pompiers.
Tant que cette formation n’est pas achevée, les nouvelles recrues, on le comprend, ne peuvent partir en intervention, et ce délai d’attente est, nous le savons, source de découragement.
Afin de répondre à la lourdeur inévitable de la formation – en raison des dangers inhérents à la mission de sapeur-pompier – et afin d’enrayer la crise des vocations, la présente proposition de loi prévoit de coupler le service civique avec la formation de sapeur-pompier volontaire. Le groupe du RDSE ne peut qu’accueillir avec enthousiasme cette initiative éclairée.
Nos collègues Roland Courteau et Jean-Pierre Sueur – je les en remercie – ont rappelé que c’est sur mon initiative et celle de mes collègues du RDSE qu’avait été instauré le service civique par la loi du 10 mars 2010, qui a déjà permis à plus de 65 000 jeunes adultes de s’engager au service d’un projet collectif d’intérêt général, dans près de 4 000 organismes agréés – principalement des associations, mais aussi des collectivités territoriales, des hôpitaux, des préfectures...
Outre un certain sens du bien commun et de dévouement à la communauté, il existe de nombreux points communs à ces deux engagements. Sens de l’initiative, combativité, altruisme, rigueur, pour ne citer que celles-là, sont des qualités essentielles dans les deux cas. Le service civique, qui s’adresse à tous les jeunes de seize à vingt-cinq ans, est un engagement volontaire d’une durée de six à douze mois, pour l’accomplissement d’une mission d’intérêt général. Moment de réflexion sur soi et sur la vie en communauté, il est ainsi propice au développement de l’engagement durable des sapeurs-pompiers volontaires.
Une précision utile à ce dispositif a été apportée par la commission des lois, puisque le bénéfice de la formation initiale de sapeur-pompier volontaire dans le cadre du service civique devra être lié à un engagement à exercer la mission.
Cette réforme ne réglera sans doute pas toutes les difficultés liées à la crise des vocations, Roland Courteau l’a reconnu lui-même, mais elle constitue un petit pas appréciable.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous proposer une idée complémentaire.
Pourquoi ne pas proposer également des formations de sapeurs-pompiers au sein même de l’école de la République, pour les élèves des filières professionnelles et générales dès qu’ils ont atteint l’âge de seize ans ? C’est déjà le cas pour ce qui concerne les premiers soins. Depuis 2006, un décret a prévu une sensibilisation à la prévention des risques et aux missions des services de secours dans les établissements scolaires. Un apprentissage des gestes de premiers secours y est également inscrit. Ainsi, au collège, l’élève bénéficie de la formation appropriée jusqu’à l’obtention de l’attestation de prévention et secours civiques de niveau 1, le PSC1. Cette formation peut être organisée dans les mêmes conditions au lycée, pour ceux qui n’en auraient pas bénéficié auparavant. Nul doute que l’inscription de cet apprentissage dans nos écoles pourrait susciter de nouvelles et précieuses vocations !
Nos concitoyens attendent beaucoup de ces héros du quotidien. Donnons-leur les moyens de poursuivre leur mission dans des conditions acceptables !
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du RDSE, dans leur ensemble, voteront avec conviction et enthousiasme la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et de l’UMP.)
M. Roland Courteau. Merci !
M. le président. La parole est à M. Vincent Dubois.
M. Vincent Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le modèle français des sapeurs-pompiers constitue un modèle unique de protection civile. Il représente surtout l’une des plus grandes forces associatives de notre pays, avec près de 250 000 adhérents.
Notre système de secours repose bien sûr sur des professionnels, mais surtout, et même essentiellement, sur des volontaires. En 2013, la France comptait ainsi 40 200 sapeurs-pompiers professionnels, 12 400 militaires et plus de 192 300 volontaires, soit 79 % des effectifs.
Toujours en 2013, plus de 4 295 500 interventions ont été assurées, soit près de 11 769 interventions par jour.
Les sapeurs-pompiers s’inscrivent dans notre vie quotidienne en assurant la sécurité de tous, grâce à un service performant et de grande qualité. Par leur courage, leur rigueur, leur dévouement, leur engagement volontaire et désintéressé, ces hommes et ces femmes incarnent, à plus d’un titre, les valeurs de notre République. Il est donc essentiel d’encourager et de faciliter cet engagement citoyen, cet esprit de service public.
C’est clairement le but recherché au travers de la proposition de loi qui nous est soumise, laquelle tend à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires. Cette activité repose sur la base du volontariat. Qu’ils soient professionnels, militaires ou volontaires, tous les sapeurs-pompiers sont unis par un même engagement : protéger nos populations.
Il est important de rappeler que 70 % des opérations menées par les sapeurs-pompiers le sont aujourd’hui par des volontaires. Il appartient donc à l’État d’accompagner, d’encourager et de pérenniser ce système. Malheureusement, depuis 2004, les effectifs continuent de diminuer, et ce en dépit de la charte nationale du sapeur-pompier volontaire, préconisée par la commission Ambition volontariat, puis de l’engagement national pour le volontariat signé le 11 octobre 2013.
En métropole comme en Polynésie française, la volonté de créer et de développer une réserve de sapeurs-pompiers volontaires a toujours constitué une priorité pour l’ensemble des élus.
En Polynésie française, le dispositif, inspiré de celui de la métropole, est réglementé par un statut spécifique depuis 2009. Le recours au corps des sapeurs-pompiers volontaires demeure cependant encore très limité sur notre territoire du Pacifique. La Polynésie comptait ainsi, en 2013, 268 sapeurs-pompiers professionnels et seulement 227 volontaires, tous archipels confondus. La culture du volontariat chez les sapeurs-pompiers en est encore à ses prémices, les Polynésiens connaissant peu ou mal ce dispositif.
Comme le soulignait le colonel Éric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, lors du dernier congrès national des sapeurs-pompiers, l’ambition de ce corps doit être de « développer une véritable culture du volontariat, en adaptant le management aux besoins et aux contraintes spécifiques de l’engagement volontaire », grâce aux facteurs suivants : « formation adaptée, reconnaissance des acquis, organisation de la disponibilité opérationnelle, nomination aux grades et fonctions d’officiers supérieurs ».
Aussi, dans une société parfois sapée par l’individualisme et l’égocentrisme, il est de notre devoir de sensibiliser et de stimuler notre jeunesse au volontariat, acte citoyen altruiste, bienfaisant et désintéressé. La présente proposition de loi constitue une première solution que nous ne pouvons qu’encourager, tout en félicitant ici son auteur. Elle prévoit ainsi, dans son article unique, de permettre désormais aux candidats volontaires de suivre la totalité de la formation, ou une partie de celle-ci, dans le cadre d’un engagement de service civique d’une durée de six à douze mois. Il s’agit certes d’une mesure toute simple, mais particulièrement efficace, qui permettra d’inciter de nombreux jeunes à rejoindre ensuite ce tissu associatif, ces structures de solidarité que sont les sapeurs-pompiers volontaires, témoins d’une culture de l’entraide, de la générosité et de l’abnégation. La protection de nos populations et la pérennité de notre modèle unique de sécurité civile en dépendent.
Le groupe UDI-UC ne peut dès lors qu’adhérer pleinement à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vouloir s’engager pour autrui relève d’une disposition d’esprit et d’une démarche particulières que l’on retrouve encore, bien heureusement, chez une partie de nos concitoyens. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de participer à la mission d’assurer la sécurité des biens et des personnes. Je crois même que le qualificatif « citoyen », tellement galvaudé par ailleurs – aujourd’hui, ce terme est utilisé à tout bout de champ ! –, me paraît en l’espèce particulièrement pertinent. Un jeune homme ou une jeune fille qui s’engage aura nécessairement une vision différente de la société et de la vie en général après quelques mois de cette expérience singulière.
Chacun a rappelé ici le poids et l’importance du volontariat. Toute l’organisation actuelle de la sécurité civile repose sur cette réalité. A contrario, on n’ose imaginer ce qu’il en serait sans les sapeurs-pompiers volontaires, qui représentent près de 80 % des soldats du feu.
Pour autant, on constate une baisse globale des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires : ils sont 15 000 de moins qu’en 2004.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. François Bonhomme. La présente proposition de loi vise donc à compléter le dispositif de recrutement des sapeurs-pompiers volontaires, en proposant une nouvelle porte d’entrée dans le cadre du service civique. Plus concrètement, elle prévoit que la formation initiale dispensée aux sapeurs-pompiers volontaires puisse l’être dans le cadre d’un contrat de service civique.
Il paraît nécessaire – c’est le sens de l’amendement adopté par la commission – que cette formation ne soit dispensée que sous réserve d’un engagement du jeune à servir en tant que sapeur-pompier volontaire. Il s’agit donc d’une sorte de contrat « donnant, donnant ». Il conviendra peut-être de préciser si la durée de cet engagement est alignée sur celle s’imposant à des personnes engagées comme sapeurs-pompiers volontaires hors service civique, soit cinq ans.
La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui peut donc constituer un élément supplémentaire dans le panel des moyens disponibles pour encourager le volontariat, au même titre que l’ont été dans le passé l’assouplissement des conditions d’aptitude ou encore l’abaissement de l’âge légal pour prendre l’uniforme. Encore faudra-t-il que les acteurs publics accompagnent cette possibilité nouvelle offerte au candidat au volontariat, ne serait-ce que par la mise en place d’une communication adéquate.
Pour autant, le nouveau dispositif proposé ne permet pas de lever tous les freins qui s’opposent à l’engagement volontaire.
En premier lieu se pose la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, difficulté qui explique généralement le turn over important que l’on constate dans ce domaine.
En deuxième lieu, il faut citer la disponibilité vis-à-vis de l’employeur. Il est évident, de ce point de vue, que la crise a constitué un facteur aggravant. Aussi les compensations des employeurs, en particulier privés, devraient-elles être améliorées.
Enfin, il serait bon d’améliorer les vacations horaires, car la revalorisation de 2 % des indemnités versées aux sapeurs-pompiers volontaires dans le cadre de leurs interventions n’est sans doute pas suffisamment incitative.
Je pense qu’il conviendrait également d’engager un plan de communication efficace et ciblé, comme l’ont fait certains départements, notamment l’Oise, auprès des publics jeunes, et particulièrement des étudiants.
Une autre voie à explorer serait de diminuer la contribution des communes ou des EPCI au budget des SDIS lorsqu’ils font un effort particulier pour recruter des volontaires dans leurs effectifs. Ce type d’accord peut se révéler gagnant-gagnant, tant pour les communes que pour les départements.
Tout cela ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : les mécanismes du volontariat reposent sur des considérations et des ressorts singuliers, qui ne se résument pas aux seuls éléments financiers.
Cette proposition de loi n’en constitue pas moins une avancée, même si elle demeure modeste. Voilà pourquoi nous y sommes favorables. Comme l’a dit le président de la commission des lois, mieux vaut parfois une politique des petits pas que des propositions de loi trop prétentieuses qui restent sans lendemain. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci de votre soutien !
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sapeurs-pompiers volontaires, qui représentent en France 80 % des effectifs des services d’incendie et de secours, sont des maillons indispensables pour garantir l’égalité d’accès aux secours pour tous les citoyens et pour préserver la proximité et la qualité de ce service public de sécurité civile sur l’ensemble du territoire.
Dans de nombreux centres d’incendie et de secours, notamment ceux des communes rurales dans lesquelles subsistent des centres de première intervention, les corps de sapeurs-pompiers sont constitués exclusivement de bénévoles. Cependant, depuis 2010, le nombre de sapeurs-pompiers volontaires est en constante diminution et de nombreux centres disparaissent, alors que, dans le même temps, les demandes d’interventions augmentent régulièrement, à hauteur de 3 % par an environ. Cette inflation du nombre d’interventions est favorisée par une diversification des missions des sapeurs-pompiers volontaires, accentuée par la crise et les mutations économiques et sociales, mais aussi, sur certains territoires, par la pénurie de services ou d’équipements publics, ainsi que par le phénomène d’isolement.
Au sein du SDIS du Nord, que vous connaissez parfaitement, monsieur le ministre, pour l’avoir présidé, et qui est le premier service départemental d’incendie et de secours de France, constitué de plus de 2 000 sapeurs-pompiers professionnels, de près de 4 000 volontaires, d’environ 500 personnels administratifs, techniques et spécialisés, et de 700 jeunes sapeurs-pompiers, le nombre de volontaires est en baisse. Des centres ont ainsi fermé, alors même que les sapeurs-pompiers volontaires, extrêmement sollicités, sont indispensables au bon fonctionnement de ce SDIS.
Au niveau national, c’est tout notre système de secours qui est mis en danger par cette crise du volontariat, notamment dans les zones rurales, où les élus locaux sont toujours mobilisés pour la sauvegarde de la couverture opérationnelle de leur territoire.
Cette crise des vocations est liée, selon les analyses, à plusieurs facteurs, qui ont été rappelés par Roland Courteau : la montée du repli sur soi et des exigences individuelles, l’éloignement du SDIS par rapport au lieu de résidence du sapeur-pompier volontaire, les contraintes d’un tel engagement, souvent familiales et parfois professionnelles, sauf lorsqu’une convention est signée avec l’employeur, ou encore la durée de la formation. En effet, un sapeur-pompier volontaire n’est pas immédiatement opérationnel. Il doit effectuer une formation de longue durée avant de partir en intervention. La durée de cette formation initiale contribue bien souvent à démotiver les volontaires.
La proposition de loi que nous présente notre collègue Roland Courteau, dont je veux à mon tour saluer le travail, s’attaque ainsi à l’une des causes majeures du frein au volontariat. En permettant que tout ou partie de la formation initiale soit assurée dans le cadre d’un engagement de service civique, ce texte s’intègre parfaitement dans le plan national d’action pour les sapeurs-pompiers volontaires, annoncé par le Président de la République en 2013, lors du congrès national des sapeurs-pompiers. Ce plan national s’articule autour de vingt-cinq mesures, dont la très grande majorité a désormais été mise en œuvre, et vise notamment à développer une réflexion autour d’un service civique citoyen de sécurité civile.
Le Président de la République a réaffirmé son souhait de faire du recrutement des sapeurs-pompiers volontaires une priorité et s’est également déclaré favorable à l’élargissement du service civique, qui pourrait devenir un service civique universel, d’abord organisé de manière souple sur la base du volontariat, puis, si les Français en décident ainsi, rendu obligatoire. La création de ce service universel ne signifie pas la suppression du service civique actuel : il s’agit de le compléter, en prévoyant qu’il soit effectué sur une durée plus courte et de manière bénévole.
L’amendement du rapporteur Jean-Pierre Sueur, voté en commission, renforce cette proposition de loi en liant le bénéfice de la formation à la souscription d’un engagement de sapeur-pompier volontaire. Cette disposition permet ainsi de prendre en compte des contraintes qui pèsent sur les collectivités locales dans un contexte budgétaire tendu. Ce texte est donc bienvenu.
Monsieur le ministre, je tiens à souligner l’effort du Gouvernement : l’enveloppe budgétaire initialement prévue pour 2015 a été portée à 45 000 euros afin d’accroître le nombre de volontaires pour le service civique. Les mesures gouvernementales à venir constituent des avancées et contribueront sans doute à enrayer la baisse du nombre des sapeurs-pompiers volontaires, évaluée à environ 1 000 par an ces dernières années, à quoi s’ajoute la fermeture d’une centaine de centres chaque année.
Toutefois, l’érosion des effectifs est aussi liée à une baisse de la durée des engagements, ce qui oblige à rechercher en permanence de nouvelles recrues, dont le nombre, malheureusement, ne se stabilise guère. Il faut donc persuader les volontaires de rester. J’en profite pour rappeler que j’ai récemment posé une question écrite à M. le ministre de l’intérieur sur la prestation de fidélisation et de reconnaissance des sapeurs-pompiers volontaires. Celle-ci vise en principe à les inciter à prolonger leur engagement et exprime la reconnaissance de la nation pour leurs actions.
Aujourd’hui, les retombées de ce système considéré comme peu incitatif par les volontaires eux-mêmes et de surcroît coûteux pour les SDIS sont faibles. Une évolution adaptée de ce dispositif s’impose donc, d’autant qu’une étude de l’Assemblée des départements de France montre qu’un régime par répartition serait sans doute plus pertinent.
Les hommes et les femmes aujourd'hui engagés comme sapeurs-pompiers volontaires éprouvent souvent un manque de reconnaissance. Il semble donc crucial de les encourager et de montrer la solidarité de la nation. Ce texte contribuera au recrutement de jeunes sur leur motivation et leur « savoir-être », et pas exclusivement sur leurs compétences. En permettant un engagement volontaire au service de l’intérêt général et de nos concitoyens, ces jeunes pourront apporter un concours personnel à la communauté nationale dans le cadre de leur mission, tout en développant la solidarité, tout en renforçant la mixité sociale et la cohésion nationale.
Je ne réitère pas les compliments à l’adresse de Roland Courteau ; cela finirait par confiner au panégyrique ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.) À l’instar de la plupart des groupes, le groupe socialiste votera sans réserve cette proposition de loi, qui a recueilli l’approbation du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Rome.
M. Yves Rome. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au début du XXe siècle, pour la convaincre de s’engager en faveur de la chose commune et de la République, Jaurès interpellait la jeune génération par ces mots mémorables : « […] je demande à tous ceux qui prennent au sérieux la vie, si brève [...] : qu’allez-vous faire de vos vingt ans ? Qu’allez-vous faire de vos cœurs ? »
Mme Catherine Génisson. C’est beau !
M. Yves Rome. Cet enjeu n’a pas vieilli ! Aujourd’hui encore, encourager les vocations, notamment celles de notre jeunesse, est un impératif pour la pérennité de notre modèle français de sécurité civile. En effet, l’amenuisement des vocations est avéré. La décennie passée atteste de la chute du nombre des sapeurs-pompiers volontaires – 15 000 de moins –, et les dernières statistiques annuelles publiées le 29 octobre dernier confirment cette tendance générale. Au cours de l’année 2013, la France a ainsi perdu 700 sapeurs-pompiers volontaires.
Cette situation, si elle n’est pas puissamment contrée, emporte un risque majeur pour la soutenabilité de notre système de secours, dont le fondement réside bien dans la complémentarité entre professionnels et volontaires. Les sapeurs-pompiers volontaires assurent en effet plus des deux tiers des besoins opérationnels ; ils constituent aujourd’hui 80 % des effectifs des SDIS.
Comme j’ai coutume de le dire, le modèle français des secours repose sur un équilibre : agir à deux bras – les professionnels et les volontaires – et avancer sur deux jambes, grâce à une gouvernance partagée, solidement ancrée dans la maille départementale, entre l’État régulateur et les conseils généraux, principaux financeurs des SDIS. Il convient de ne jamais faiblir pour conforter ce modèle.
Au-delà des simples chiffres et du rôle des sapeurs-pompiers volontaires dans l’équilibre des SDIS, le volontaire a aussi un rôle crucial dans notre société : il est l’un des derniers éléments structurants du vivre ensemble. Alors que nos concitoyens, dans les zones rurales ou même agglomérées, souffrent souvent de l’isolement, les sapeurs-pompiers volontaires sont une réponse ; ils constituent un réseau de solidarité et de proximité, maillant le territoire départemental.
Aussi, unanimes sur ce constat, tous les acteurs de la sécurité civile, depuis le congrès national des sapeurs-pompiers de France qui s’est tenu à Chambéry en 2013, ont décidé de se mobiliser plus fortement pour donner un nouvel élan au volontariat. Le Président de la République a d’ailleurs fixé le seuil de 200 000 volontaires avant la fin du quinquennat.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Yves Rome. Rien n’est impossible, je peux en attester. Inverser la tendance, nous l’avons fait dans le département de l’Oise, et nous avons d’ailleurs été cités en exemple, en même temps que nos collègues du Pas-de-Calais.
Dans mon département, un état d’esprit combattif et des dispositifs incitatifs, dont la liste serait trop longue à énumérer, ont permis d’inverser la tendance et d’augmenter de près de 5 % le nombre de recrues volontaires depuis 2011. En 2013, 247 nouvelles recrues volontaires ont ainsi rejoint le SDIS de l’Oise. Mes chers collègues, je crois vraiment qu’en la matière tout est force de volonté.
C’est ainsi que, depuis le congrès national de Chambéry, cette volonté a été contagieuse et s’est propagée à l’échelle nationale. Les acteurs de la sécurité civile se sont engagés dans cette mobilisation en signant un plan national d’action. Bien entendu, ce plan ne vient pas de nulle part : il est le fruit d’un long processus de redynamisation solidement construit et enrichi au fil des années. Je pense à la commission Ambition volontariat, à l’adoption à l’unanimité de la loi relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique, à la rédaction de la charte nationale du sapeur-pompier volontaire, qui a symboliquement affirmé les droits et les devoirs du volontaire.
Le plan national d’action pour les sapeurs-pompiers volontaires, signé à Chambéry, garantit désormais la déclinaison concrète de cette mobilisation. Les vingt-cinq mesures énoncées en 2013 sont quasiment toutes mises en œuvre aujourd'hui.
Si l’enjeu est bien entendu d’attirer de nouvelles recrues volontaires, il s’agit aussi de fixer ceux qui se sont déjà engagés. Car, on le voit, un turn over important de 20 % est constaté dans les SDIS, montrant les difficultés de fidélisation et l’incapacité du système actuel de la prestation de fidélisation et de reconnaissance des sapeurs-pompiers volontaires à remplir ses objectifs. C’est pourquoi je défends un réaménagement de la prestation de fidélisation et de reconnaissance des sapeurs-pompiers volontaires, et je veux profiter de l’occasion qui m’est donnée aujourd'hui pour brièvement expliquer pourquoi.
L’efficacité de cette prestation dans son montage actuel fait débat. L’Assemblée des départements de France a mené une mission d’évaluation. De nombreux présidents de SDIS ont souligné l’importance, dans une situation budgétaire contrainte, de s’interroger sur le financement obligatoire d’un dispositif dont le retour sur investissement paraît insuffisant non seulement pour les SDIS, mais aussi pour les volontaires. Dans l’Oise, seulement 0,88 % des cotisations obligatoires collectées ont été reversées aux anciens sapeurs-pompiers volontaires éligibles. Le régime actuel par capitalisation se révèle en effet très coûteux pour les SDIS et n’a pas amélioré la fidélisation. Le taux réel de présence après vingt ans d’ancienneté reste très faible : 17 %.
Une reconfiguration semble donc nécessaire pour aller vers un régime de financement en flux budgétaire. Cela entraînerait des économies notables à moyen terme, de l’ordre de 2 milliards d'euros sur trente ans, et donnerait une véritable bouffée d’oxygène aux SDIS et aux pompiers, qui pourraient trouver en substitution des avantages nouveaux comme une protection sociale élargie.
Je pourrais être plus prolixe encore, mais laissons là ce sujet particulier qui n’est pas l’objet précis de ce texte.
Aussi, à la lumière de tous ces éléments et en écho à Jean Jaurès, la proposition de loi de notre collègue de l’Aude, Roland Courteau, est tout à fait légitime et louable : inciter les jeunes à l’engagement à travers le développement d’une forme de service civique adaptée en matière de sécurité civile. Elle répond pleinement aux annonces du Président de la République du 6 novembre dernier. Je la soutiendrai donc avec force et détermination, d’autant qu’elle peut bénéficier des premiers enseignements de l’expérimentation en cours dans le département de la Meurthe-et-Moselle : pour devenir tout à la fois attractif pour le jeune, raisonnable pour la collectivité qui assume les frais de formation et efficace pour l’encouragement au volontariat, il est nécessaire de conditionner ce service à la contractualisation d’un engagement à exercer la mission de sapeur-pompier volontaire. C’est ce à quoi répond l’amendement du rapporteur.
Cette proposition de loi sera ainsi une nouvelle pierre à l’édifice de consolidation du volontariat et du modèle français de sécurité civile. Mon cher collègue Roland Courteau, je vous remercie de votre initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les interventions précédentes montrent que nous partageons tous l’objectif de favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires. Je m’en réjouis.
La commission des lois a adopté le 12 novembre dernier la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau, qui permet aux sapeurs-pompiers volontaires de suivre tout ou partie de leur formation « dans le cadre d’un engagement de service civique d’une durée de six à douze mois ».
Jean-Pierre Sueur, rapporteur de ce texte, a fait adopter à l’unanimité un amendement qui oblige les bénéficiaires de cette disposition à souscrire en même temps un engagement de sapeur-pompier volontaire, juste compensation de l’investissement assuré par la collectivité formatrice.
Cette proposition de loi est un outil supplémentaire pour favoriser le volontariat, qui s’inscrit dans le prolongement de la loi de 2011 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers et du plan d’action de vingt-cinq mesures présenté par le Gouvernement en 2013, lors du cent vingtième congrès national des sapeurs-pompiers. Toutefois, en tant qu’élus locaux, nous connaissons les difficultés d’intervention des services d’incendie et de secours de nos départements respectifs, et nous savons que cette mesure ne sera pas suffisante.
Dans la perspective de la mise en place de la mission d’information sur les SDIS décidée par la commission des lois, permettez-moi de m’attarder sur la situation vendéenne.
La Vendée ne connaît pas pour l’instant de réelles difficultés de recrutement, le renouvellement annuel de 10 % des effectifs étant présentement assuré. Cela étant, la disponibilité et la réactivité en cours de journée des sapeurs-pompiers volontaires posent des difficultés, en raison des distances entre leur lieu de travail et le centre de secours auquel ils sont rattachés. Bien évidemment, les territoires ruraux sont les premières victimes de cette situation.
Une sortie en ambulance impose, pour des raisons réglementaires de sécurité, la présence d’au moins trois sapeurs-pompiers. Si l’équipe ne peut être mobilisée, il est fait appel aux équipes de la compagnie à laquelle le centre de secours est rattaché, ce qui prolonge de facto le temps de réponse des secours d’urgence. Or le temps d’intervention est déterminant pour la survie de la personne secourue. Par ailleurs, la responsabilité pénale du SDIS peut, le cas échéant, être engagée.
Les organisations territoriales et fonctionnelles des SDIS perdent de leur efficience, ce qui remet en cause le principe même du volontariat.
Pour remédier à ce problème, la Vendée envisage une piste, qui pourrait être généralisée à l’ensemble du territoire : favoriser le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires par les collectivités territoriales. Bien évidemment, les maires craignent des absences à répétition. Les contraintes budgétaires liées à la baisse programmée des dotations ne sont pas de nature à les rassurer.
Néanmoins, j’invite avec insistance la mission et le Gouvernement, et je les en remercie, à examiner cette piste, à en étudier la faisabilité et à envisager toutes solutions compensatrices incitatives.
Nos territoires sont sources de propositions. Je fais confiance aux SDIS et aux élus, qui ont à cœur de maintenir la qualité du service public des secours en permettant aux sapeurs-pompiers de mieux concilier vie professionnelle et engagement volontaire.
Le groupe UDI-UC soutient unanimement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Pierre Vogel.
M. Jean Pierre Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Roland Courteau tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires résulte du constat que les effectifs des sapeurs-pompiers volontaires connaissent une baisse régulière depuis dix ans, alors que le nombre d’interventions ne cesse de croître. Cette situation s’explique, selon les auteurs de la proposition de loi, par la longueur de la formation initiale que doivent suivre les jeunes sapeurs-pompiers volontaires : « Tant que celle-ci n’est pas achevée, les nouvelles recrues ne peuvent partir en intervention, et ce délai d’attente est source de découragement, voire de renoncement ».
Je souhaite nuancer ces propos en rappelant l’existence de dispositifs permettant aujourd’hui d’engager en intervention des sapeurs-pompiers avant la fin de leur formation initiale. Je pense notamment au statut de sapeur-pompier volontaire apprenant, qui, sous réserve de mesures de sécurité précises, permet à un sapeur-pompier d’être engagé en qualité d’observateur en opération, mais également au principe de séquençage de la formation, qui permet de solliciter opérationnellement un sapeur-pompier en fonction des modules de formation acquis. Ces dispositifs ont été prévus précisément par le législateur pour éviter le découragement des sapeurs-pompiers volontaires engagés dans le cursus de formation.
Afin de permettre aux sapeurs-pompiers d’acquérir rapidement les connaissances requises pour l’exercice de leurs missions, les auteurs de la proposition de loi souhaitent que la formation initiale qui leur est dispensée puisse être réalisée dans le cadre d’un contrat de service civique.
Si la commission a émis un avis favorable, à l’unanimité, sur le rapport de notre collègue Jean-Pierre Sueur, elle n’a cependant pas manqué de relever les insuffisances du dispositif de la proposition de loi visant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires. En effet, la proposition de loi, même si elle est bienvenue, aura un effet très limité pour endiguer la diminution des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires.
La raison première de ce constat réside dans la faiblesse actuelle des effectifs bénéficiaires d’un contrat de service civique et, donc, dans la très faible population concernée par le dispositif. Pour autant, l’éventualité d’un service civique universel ou d’un service civique spécifique aux services départementaux d’incendie et de secours, comme l’a annoncé le Président de la République à l’occasion d’un précédent congrès national des sapeurs-pompiers, pourrait considérablement augmenter le spectre des éventuels bénéficiaires.
En outre, la durée de ces contrats, parfois limitée à quelques mois, sur demande de l’administration, peut se révéler incompatible avec le suivi d’une formation initiale complète.
Une autre raison a été avancée pour justifier le caractère insuffisant du dispositif : le fait que celui-ci ne s’attaque pas aux liens contractuels entre les employeurs et les SDIS. En effet, les indemnités que perçoivent éventuellement les employeurs, au titre de la subrogation, peuvent ne pas être à la hauteur de leur contribution, élément qui peut être source de discrimination pour les sapeurs-pompiers volontaires.
Pour autant, il y a lieu de souligner que d’autres mécanismes, déjà existants, permettent à l’employeur d’un sapeur-pompier volontaire de bénéficier d’un dédommagement de l’engagement de son employé. Il s’agit notamment de la réduction possible de la prime d’assurance et, dans l’hypothèse d’un service civique réalisé au sein d’une commune ou d’un EPCI, de la prise en compte de la disponibilité accordée dans le calcul de la contribution annuelle et obligatoire au profit du SDIS. Ainsi, le département de la Sarthe accorde-t-il aux communes et aux EPCI un dégrèvement en fonction du nombre de leurs agents ayant un engagement de sapeur-pompier volontaire, ce qui entraîne une diminution de leur contribution incendie.
Enfin, les difficultés que connaissent les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas uniquement liées à la diminution de leurs effectifs, diminution qui a tendance à ralentir et qui ne s’observe pas dans tous les départements. Elles résident également dans la disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires, puisque ceux-ci sont davantage disponibles en périodes nocturnes et fériées. À ce titre, il y a lieu d’encourager la signature de conventions de disponibilité pour raisons opérationnelles entre l’employeur et les SDIS afin de permettre au sapeur-pompier volontaire d’être libéré et de participer à l’activité opérationnelle.
L’article unique de la proposition de loi complète l’article L. 1424-37 du code général des collectivités territoriales, relatif à la formation des sapeurs-pompiers volontaires, par un alinéa précisant que les personnes volontaires effectuant un contrat de service civique peuvent bénéficier, sur leur temps de service, de tout ou partie de la formation initiale de sapeur-pompier volontaire. Dans l’hypothèse où les temps de formation seraient proposés par le SDIS en dehors des temps du service civique, il conviendrait de déduire ces derniers des temps à réaliser sous ce dernier statut. Il conviendrait alors qu’une convention de disponibilité pour formation soit signée entre l’employeur du volontaire civique et le SDIS. (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les effectifs des sapeurs-pompiers volontaires ne cessant de diminuer depuis dix ans, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objectif d’endiguer ce phénomène. Elle prévoit que la formation initiale dispensée aux sapeurs-pompiers volontaires puisse être réalisée dans le cadre d’un contrat de service civique. En effet, un certain nombre de jeunes effectuent un service civique et concourent ainsi à des missions auprès d’un service d’incendie et de secours. Aussi paraît-il judicieux qu’ils puissent suivre parallèlement à leur engagement une formation initiale de sapeur-pompier volontaire pour intervenir plus rapidement sur le terrain.
Si l’idée est effectivement séduisante, ses effets risquent d’être mesurés. Actuellement, la formation des sapeurs-pompiers volontaires dure un peu plus de trente jours, étalés sur une période d’une à trois années, ce qui permet aux volontaires de participer progressivement, en tant qu’équipier, aux missions de lutte contre l’incendie, de secours à personnes et de protection des biens et de l’environnement. Ces années sont nécessaires pour former une personne et la rendre opérationnelle.
Or un contrat de service civique dure entre six et douze mois, ce qui laisse en réalité très peu de temps pour un engagement pratique sur le terrain, une fois la formation reçue. Cela induit un coût de formation, qui impactera les SDIS. En effet, il faudra avoir recours à des professionnels pour encadrer ces jeunes qui, pour la plupart, même s’ils ont l’obligation de souscrire un engagement de sapeur-pompier volontaire à l’issue de leur contrat de service civique, risquent de manquer de disponibilité.
Cette proposition de loi, même si elle est bienvenue, aura un effet très limité sur le recrutement, car peu de personnes effectuent un contrat de service civique dans la perspective que celui-ci soit une passerelle efficace vers l’activité de sapeur-pompier volontaire.
De surcroît, il est difficile pour un jeune de s’engager comme volontaire pour dix ans et, en parallèle, de trouver un emploi lui permettant de concilier sa vie professionnelle, sa vie familiale et les exigences de la fonction de sapeur-pompier. Je pense notamment aux problèmes liés à la mobilité.
Par ailleurs, la proposition de loi ne s’attaque pas aux liens contractuels, cela a été dit, entre les employeurs et les SDIS. Au-delà de la gestion des absences, il s’avère que les indemnisations perçues par les employeurs ne sont pas à la hauteur de leur contribution, ce qui ne les encourage pas à favoriser le recrutement de sapeurs-pompiers volontaires.
Pour être complète, la proposition de loi aurait dû traiter la question de la disponibilité, qui est au cœur de la problématique du recrutement des sapeurs-pompiers.
Les difficultés que connaissent les sapeurs-pompiers volontaires ne résident pas dans la diminution de leurs effectifs, qui a tendance à ralentir, même si c’est inégal, mais dans leur disponibilité, les volontaires étant davantage libres pour effectuer des services de nuit.
Mon département, la Vendée, qu’a évoqué avant moi ma collègue Annick Billon, compte 2 400 sapeurs-pompiers volontaires. Le renouvellement des effectifs s’effectue naturellement, mais on constate un recrutement inégal selon les bassins économiques, ainsi qu’un manque crucial de volontaires disponibles en journée.
D’une part, il est beaucoup plus difficile d’engager des volontaires dans les zones économiquement moins développées. Les sapeurs-pompiers volontaires exercent fréquemment un emploi dans les entreprises du secteur industriel travaillant en continu, ce qui leur laisse suffisamment de temps pour leur activité volontaire, en dehors de leur temps de travail. Les territoires de mon département dépourvus de PME présentent moins de candidats à cette fonction.
D’autre part, 10 % seulement des sapeurs-pompiers vendéens peuvent s’engager en journée, les autres n’ayant pas un emploi leur laissant la liberté d’intervenir de manière impromptue, comme l’exige la fonction. Il s’agit souvent d’agents des collectivités territoriales autorisés par leurs élus à répondre à cette exigence. Les entreprises privées ont beaucoup plus de difficultés à accorder du temps sur l’activité diurne.
Dans mon département, il existe un déséquilibre qui ne permet pas une même qualité d’intervention, certains départs étant même empêchés.
Je suis convaincu que la proposition de loi aurait été plus complète si elle avait contenu une disposition encourageant les entreprises et les collectivités territoriales, particulièrement les communes de petite taille, à favoriser l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires sur leur temps d’activité professionnelle.
Au-delà du manque de moyens, on peut s’interroger sur l’existence d’une crise des vocations, marquée par une perte de valeurs qui détourne certains jeunes du sens de l’intérêt général. Cela a déjà été dit également.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Il faut valoriser les jeunes sapeurs-pompiers !
M. Didier Mandelli. Aujourd’hui, l’autorité, l’altruisme, le sens de l’engagement, le dévouement, le courage sont des notions qui ne trouvent guère écho. Les métiers et fonctions qui incarnent l’autorité avec un grand A sont quelquefois délaissés. Dans ce contexte, nous avons le devoir d’intéresser, de former et d’accompagner les jeunes pour leur donner l’envie de s’engager pour le bien commun.
Pour conclure, je dirais que le dispositif proposé n’est sans doute pas suffisant pour enrayer la baisse des effectifs des sapeurs-pompiers, mais il a le mérite d’apporter un début de réponse. Afin de le compléter, je soutiens la proposition émise lors de l’examen du rapport en commission par notre collègue Philippe Bas, président de la commission des lois, à savoir la création d’une mission d’information chargée de faire l’inventaire des mesures susceptibles de faciliter l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Dans le cadre de cette mission, je propose que nous nous interrogions sur cette crise des vocations. Je suis bien entendu prêt à y participer.
En définitive, je suivrai l’avis favorable émis par la commission, et je voterai la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer le travail accompli par notre collègue Roland Courteau, auquel s’était associé notre ancien collègue Marcel Rainaud, et par notre rapporteur, M. Jean-Pierre Sueur.
La proposition de loi qui nous est soumise ne révolutionne pas les conditions d’accès au volontariat des sapeurs-pompiers, mais elle apporte une pierre utile à l’édifice.
La commission des lois en a délibéré : aucune opposition ne s’est exprimée sur ce texte,…
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est le bon sens !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … même si l’ensemble des membres de la commission présents ont reconnu qu’il restait certainement encore d’autres mesures à prendre pour fortifier nos services de secours et d’incendie.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela étant, nous sommes heureux de pouvoir nous associer à cette initiative.
On aurait tort de considérer que les nouvelles générations seraient moins généreuses ou moins engagées que celles qui les ont précédées. Je ne crois pas que la baisse du nombre de sapeurs-pompiers volontaires – 202 000 il y a douze ans, contre 185 000 aujourd’hui, soit une diminution de 17 000 – résulte d’une moindre volonté d’engagement. Il n’est qu’à voir, dans nos départements, l’entrain, l’enthousiasme des jeunes pour ce métier,…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Tout à fait !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … leur désir de se former et aussi, une fois devenus sapeurs-pompiers volontaires, le temps qu’ils consacrent à l’amélioration de leur qualification, leur curiosité pour de nouveaux modes d’intervention et de nouvelles techniques pour se convaincre que les sapeurs-pompiers volontaires d’aujourd’hui sont tout aussi engagés et tout aussi généreux que ceux d’hier. Il faut donc chercher ailleurs que dans l’individualisme les difficultés de recrutement.
Voilà pourquoi la commission des lois a pris l’initiative de créer une mission d’information sur le service civil et les secours d’urgence. À ce titre, nous avons désigné ce matin deux rapporteurs : Mme Troendlé et M. Collombat. Tous deux sont particulièrement qualifiés pour nous éclairer sur ces questions.
Il est important de trouver des solutions pour surmonter les obstacles au recrutement de sapeurs-pompiers volontaires. Ces obstacles, ce sont l’emploi, la mobilité croissante des activités professionnelles, qui fait qu’on change de département ou de métier, et l’exigence plus forte de présence continue au travail. Tous ces facteurs s’ajoutent les uns aux autres pour rendre plus compliqué l’engagement dans le corps des sapeurs-pompiers volontaires.
Des élus très expérimentés me disaient que, dans leur ville, les trois quarts des sapeurs-pompiers volontaires étaient des fonctionnaires territoriaux ou des agents de la commune ou de la communauté de communes. C’est un cas très fréquent, si bien qu’il faut trouver aujourd’hui des employeurs qui acceptent de permettre à leurs collaborateurs de quitter leur travail durant la journée, ce qui n’est pas le cas le plus général chez les artisans et dans les petites et moyennes entreprises.
Paradoxalement, c’est dans les moments les plus difficiles au regard de la vie familiale, c’est-à-dire la nuit et le week-end, que les sapeurs-pompiers se rendent le plus disponibles,…
M. Jean Desessard. Le travail du dimanche !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. … ce qui vient encore renforcer l’idée que nos sapeurs-pompiers ne sont pas moins généreux que par le passé.
La commission des lois attend beaucoup de la mission d’information qu’elle met en place, car de nombreux freins doivent être levés pour permettre de fortifier notre corps des sapeurs-pompiers volontaires, dont le pays a si grand besoin et auquel nous avons tenu à rendre hommage à la faveur de cette proposition de loi, qui précède de peu les célébrations de la Sainte-Barbe dans nos départements. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet. Quelqu’un parle enfin de la Sainte-Barbe !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il est justifié !
M. Patrick Kanner, ministre. Je le partage totalement. Si l’exercice du métier de sapeur-pompier est souvent encouragé par la population, les difficultés auxquelles le volontaire est confronté dans la vie quotidienne restent méconnues
Quoi qu’il en soit, je vais essayer de répondre aux différentes interventions qui ont émaillé ce débat, qui semble se conclure sur un très large consensus en faveur de la proposition de loi.
Depuis la création du service civique, 1 000 volontaires sont passés par les SDIS ; ils ne sont plus que 200 aujourd’hui. Or offrir aux jeunes la possibilité de bénéficier de la formation initiale de sapeur-pompier volontaire dans le cadre du service civique leur permettrait, comme le disait M. Desessard, d’être affectés par la suite à des missions opérationnelles d’urgence au cours de leur engagement. La proposition de loi va donc dans le bon sens, comme cela a été très largement souligné.
Je salue M. Collin, qui a rappelé l’acte citoyen fort que constituent aussi bien l’engagement du service civique que celui de sapeur-pompier volontaire. Ces points communs méritent d’être relevés et même organisés par la loi. C’est l’esprit de la démarche engagée ici par les sénateurs et les sénatrices.
M. Dubois a très justement réaffirmé l’utilité de rapprocher ces deux engagements.
Avec M. Bonhomme, je crois en la capacité du service civique à ouvrir une nouvelle porte, à constituer un moyen supplémentaire de favoriser l’engagement des jeunes sapeurs-pompiers volontaires. Vous avez également rappelé, monsieur le sénateur, le besoin d’encourager les vocations grâce à des opérations de communication. C’est en ce sens qu’une campagne nationale a été lancée en juin 2014, je me permets de vous le rappeler, pour promouvoir le volontariat.
Je crois que l’intégration de tout ou partie de cette formation exigeante de sapeur-pompier au sein des missions de service civique pourrait avoir un impact concret sur les motivations des jeunes et peut-être limiter le phénomène de découragement par la variété des missions qui pourraient être ainsi proposées aux jeunes volontaires. J’espère répondre par cette remarque aux inquiétudes ou interrogations exprimées par Mme Bataille, Mme Billon, M. Vogel ou M. Mandelli.
Plus largement, M. Watrin a abordé le dossier du financement et de la confortation des SDIS. Je ne manquerai pas, bien sûr, de l’évoquer avec mon collègue Bernard Cazeneuve.
Enfin, je souscris au portrait d’une jeunesse engagée qu’a brossé M. Rome. Encourager l’engagement des jeunes sous toutes ses formes – bénévolat, volontariat, service civique – c’est tout le sens de ma mission en tant que ministre de la jeunesse. Monsieur le sénateur, vous avez cité longuement et plusieurs fois Jean Jaurès ; permettez-moi à mon tour de citer mon prédécesseur, Léo Lagrange, qui disait : « Aux jeunes, il ne faut pas tracer un seul chemin, il faut ouvrir toutes les routes ». En voilà une qui s’ouvre avec cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires
Article unique
L’article L. 1424-37 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« À condition de souscrire un engagement de sapeur-pompier volontaire, les personnes volontaires effectuant un contrat de service civique régi par le titre Ier bis du livre Ier du code du service national peuvent bénéficier de tout ou partie de la formation initiale mentionnée au premier alinéa. »
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, sur l'article.
M. Franck Montaugé. Avec cette proposition de loi, il est question de la République ; il est question de conforter la République française, en facilitant et en reconnaissant l’engagement de jeunes Français, femmes et hommes, qui veulent se mettre au service de leurs concitoyens, de la collectivité, de la chose commune.
Permettez-moi de saluer ici la communauté nationale des sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, qui honorent toujours, sans jamais faillir, leur belle devise : « Sauver ou périr ». Ils paient, avec leurs familles, un tribut toujours trop lourd en vies humaines abîmées ou perdues.
Permettez-moi également de souligner les efforts qui sont accomplis par les collectivités, via les SDIS, ainsi que ceux de l’État, dans la structuration et l’équipement des centres et des dispositifs opérationnels. Dans les territoires, en particulier dans les territoires ruraux, on constate, avec plus ou moins d’acuité selon les endroits, un affaiblissement des vocations à l’engagement volontaire.
L’intégration de la formation initiale des sapeurs-pompiers volontaires dans le service civique national permettra de conforter dans le temps le niveau d’engagement dans le service public d’incendie et de secours. Elle constituera aussi la reconnaissance par la République française de l’engagement citoyen de nos jeunes. Concomitamment, cette disposition permettra d’apporter une réponse très concrète au souhait formulé par le Président de la République, qui constatait avec justesse, lors du congrès des sapeurs-pompiers de Chambéry, en 2013, que le dispositif du service civique est sous-utilisé.
Pour terminer, je voudrais remercier, après d’autres, notre collègue Roland Courteau, de nous avoir proposé de conforter, avec cette proposition de loi, ce grand service public d’incendie et de secours tant apprécié par nos concitoyens. Le dispositif qu’il nous soumet est une avancée positive, même si nous avons conscience que beaucoup reste à faire pour susciter les vocations nécessaires. Mon vote sera donc favorable, sans aucune réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. J’étais très étonnée qu’aucun de nos amis des territoires ruraux ne cite la Sainte-Barbe, jusqu’à ce que le président Bas, attestant une fois de plus de son ancrage territorial, la mentionne. Je lui en veux beaucoup : il me prive du plaisir d’en parler moi-même. (Sourires.)
Je félicite Roland Courteau d’avoir eu la bonne idée de déposer ce texte, surtout que c’est une bien bonne nouvelle à annoncer à nos sapeurs-pompiers à l’occasion de ces célébrations, et d’avoir réussi à convaincre ses collègues du groupe socialiste de l’inscrire dans leur niche parlementaire ; c’est donc l’ensemble du groupe socialiste qu’il faut remercier.
M. Jean Desessard. Oh là là ! Ça commence à nous amener loin ! (Rires.)
Mme Nathalie Goulet. C’est sans doute plus facile pour les écologistes de s’entendre sur les textes à inscrire dans leurs niches parlementaires ; dans les autres groupes, il faut savoir convaincre...
Le texte dont nous discutons prolonge à point nommé le débat que nous avons eu hier sur l’hyper-ruralité. Il faut dire que, dans les départements ruraux, nous subissons une double peine : nous n’avons pas assez d’entreprises avec lesquelles nouer des partenariats pour financer les sapeurs-pompiers volontaires et nous avons besoin de plus de services, de sorte que nos sapeurs-pompiers sont mis beaucoup plus à contribution que dans d’autres territoires.
Cette proposition de loi est un très bon texte, que nous voterons. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l’article.
M. René-Paul Savary. J’ai apprécié les propos de Philippe Bas, qui sont véritablement empreints d’une connaissance du terrain.
Je suis d’accord pour dire qu’il n’y a aucune démotivation pour intégrer le corps des sapeurs-pompiers. La société doit cependant apporter une réponse très concrète aux difficultés rencontrées, notamment grâce à la formation, même si le temps de formation peut parfois être décourageant. Les interventions faites par les jeunes sapeurs-pompiers au collège et au lycée, à l’occasion desquelles des élèves peuvent passer leur brevet de secourisme, permettent en tout cas de susciter des vocations.
La difficulté, c’est le financement. Dans le cadre de la mission d’information proposée par Philippe Bas, il faudra vraiment réfléchir à ce problème, car on ne peut pas continuer comme cela.
Le financement est actuellement assuré par les communes et les départements, avec les difficultés que nous connaissons tous, en particulier M. le ministre. Il est clair qu’il faut modifier la répartition des charges financières, notamment parce que les normes nouvelles que nous imposons aux SDIS entraînent une augmentation importante de leur budget année après année, de sorte que les communes n’arrivent pas à suivre. Les départements se retrouvent alors seuls à supporter ces augmentations, qui plus est dans une période où l’argent public est rare. Il nous faudra donc ensemble trouver les solutions à ce problème.
Par ailleurs, il ne faut pas négliger les possibilités de recettes nouvelles. Un certain nombre de services actuellement pris en charge par la collectivité pourrait ainsi l’être par l’usager lorsqu’il en bénéficie.
M. Jean Desessard. En somme, si ma maison brûle, à moi de payer !
M. René-Paul Savary. J’estime que notre service d’urgence d’incendie et de secours doit être réservé à des missions bien spécifiques.
Dans un certain nombre de cas, comme cela se fait déjà parfois, il faut explorer d’autres sources de financement, notamment en se tournant vers le système assurantiel. Ce sont des possibilités qui méritent d’être abordées.
Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui sera examiné prochainement, pourrait aussi être l’occasion de préciser un certain nombre de points.
Dans le cadre du rapport qui sera réalisé, il faudra, me semble-t-il, comme l’a dit M. le président de la commission des lois, étudier, dans une perspective de rationalisation, le rapprochement des différents systèmes d’alerte, à savoir le centre 15 et le 18. En la matière, certaines expériences ont été effectuées : ce n’est pas forcément la panacée, mais il faut travailler pour essayer de rationaliser le coût de l’alerte et faire en sorte que les bons services se déplacent à la suite des appels. On doit développer une nécessaire complémentarité d’action entre ces services.
J’évoquerai maintenant le problème de la double responsabilité du préfet et du président de conseil général qu’il faudra éclaircir : d’un côté, les décisions sont prises par le préfet en matière de mesures de sécurité et, de l’autre, le volet financier est assuré par le conseil d’administration du SDIS présidé par le président du conseil général ou son représentant. Le décideur n’est plus le payeur… Il faudra par conséquent trouver une solution.
De plus, fort de l’expérience existante, il faudra peut-être opérer quelques recadrages, de façon à assurer la pérennité de ce service public, indispensable à la population et largement reconnu par nos concitoyens.
Bien évidemment, la proposition de loi présentée aujourd’hui recueille mon assentiment, car elle comporte une mesure intéressante pour susciter de nouvelles vocations. (M. le président de la commission applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Je voterai bien sûr en faveur de la présente proposition de loi, qui me semble contenir une disposition positive.
Ce sont les collectivités, notamment en milieu rural ou hyper-rural, qui fournissent la plupart des effectifs de sapeurs-pompiers.
Cela étant, la longueur de la formation constitue souvent un handicap à l’accord des entreprises privées. Ce texte apporte donc un petit coup de pouce important. Le service civique peut effectivement servir à suivre une formation en la matière avant d’obtenir un emploi.
Je veux aussi rappeler l’importance des sapeurs-pompiers en milieu rural ou hyper-rural. Dans le cadre de la permanence des soins, les médecins sont en charge d’un secteur très vaste durant la nuit et les week-ends, et ce sont les sapeurs-pompiers et le SAMU qui interviennent pour les urgences. Il est donc fondamental de pérenniser des corps de sapeurs-pompiers en zone rurale.
La possibilité d’organiser une formation dans le cadre du service civique est un élément supplémentaire, qui permettra peut-être de susciter des vocations avant que les personnes concernées trouvent un emploi. En effet, il est plus facile pour un employeur de laisser partir un salarié seulement pour une intervention que de lui permettre de s’absenter aussi pour une formation.
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Jourda.
Mme Gisèle Jourda. Je salue cette proposition de loi déposée notamment sur l’initiative de Roland Courteau, car elle légitime et reconnaît l’engagement des jeunes sapeurs-pompiers volontaires, garçons et filles, qui consacrent leurs loisirs au service des concitoyens de leur commune, de leur canton ou de leur département.
Il s’agit non d’un petit pas, mais d’un grand pas réalisé en faveur de la reconnaissance de ces jeunes, qui vouent leur temps libre à la cause publique et à l’intérêt général.
On entend dire qu’il y aurait une crise des vocations. C’est totalement inexact ; les jeunes s’engagent, notamment auprès des soldats du feu.
À travers cette proposition de loi, nous parlons des jeunes qui souhaitent devenir sapeurs-pompiers volontaires, puisque nous examinons la possibilité de leur formation dans le cadre du service civique.
Le volontariat des sapeurs-pompiers se nourrit du mélange de générations au sein duquel les garçons et les filles se forment à défendre le territoire, à lutter contre le feu, ou encore à porter secours à leurs concitoyens. Une véritable école de la vie ! La présente proposition de loi la reconnaît et, très sincèrement, je suis très fière qu’elle ait été déposée sur l’initiative de deux sénateurs de l’Aude, Roland Courteau et Marcel Rainaud, mon prédécesseur, qui l’avait portée à ses côtés.
C’est donc avec beaucoup de plaisir que je voterai en faveur de ce texte.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je voudrais tout d’abord remercier M. le ministre, mais aussi M. le rapporteur, Jean-Pierre Sueur, du soutien qu’ils ont apporté à cette proposition de loi, sans oublier Philippe Bas, président de la commission.
Je voudrais aussi par avance remercier les différents groupes qui ont appuyé ce texte au cours de cette discussion, plus particulièrement les sénatrices et les sénateurs qui sont intervenus.
Je remercie également Didier Guillaume, président du groupe socialiste, d’avoir permis l’examen de cette proposition de loi, que j’avais déposée voilà quelques mois avec mon collègue Marcel Rainaud.
C’est un pas supplémentaire que nous allons effectuer, mes chers collègues, ou, comme l’a souligné Yves Rome, une pierre de plus que nous allons ajouter à l’édifice, afin de tenter d’enrayer la crise des engagements volontaires au profit de la communauté.
C’est un pas certes modeste, mais un pas supplémentaire, je le répète, permettant d’élargir le vivier de recrutement aux jeunes, dont je salue la présence dans les tribunes, mais également aux femmes et à la diversité. (MM. Michel Vergoz et André Gattolin applaudissent.)
On ne peut prétendre, grâce à l’adoption de cette proposition de loi, résoudre tous les problèmes que rencontre le volontariat dans une société où le modèle de citoyenneté est dorénavant très différent de celui que nous avons connu. Les grands ressorts de l’engagement dans les sapeurs-pompiers ont en effet été quelque peu affectés. Toutefois, on peut contribuer à régler quelques difficultés.
Il est important de persister dans cette voie, même si c’est celle des petits pas, car le volontariat des sapeurs-pompiers est indispensable à l’organisation de notre dispositif de sécurité civile.
Sans ce volontariat – cela a été dit et redit, mais je me permets d’insister sur ce point –, les coûts seraient impossibles à assumer, et notre dispositif de secours ne serait pas viable.
Les sapeurs-pompiers volontaires sont donc complémentaires des sapeurs-pompiers professionnels et ils sont irremplaçables.
La présente proposition de loi a pour objet d’inciter à mettre en œuvre une solution, qui aura aussi l’avantage de développer une forme de service civique très adaptée à la formation citoyenne.
Mes chers collègues, je vous remercie par avance de votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 29 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 322 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
4
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire allemande
M. le président. Mes chers collègues, je suis très heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de six parlementaires du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundestag, conduite par son vice-président, M. Thomas Nord. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que MM. les ministres, se lèvent.)
La délégation est accompagnée par nos collègues du groupe sénatorial d’amitié France-Allemagne.
La délégation est en France depuis dimanche pour une visite d’étude centrée sur le Parlement français et l’organisation du travail des parlementaires. Depuis de nombreuses années, les parlements français et allemands entretiennent d’étroites relations, notamment grâce aux sessions de travail interparlementaire de leurs groupes d’amitié qui se tiennent régulièrement en France et en Allemagne et qui contribuent à faire vivre l’amitié franco-allemande.
Formons le vœu que votre visite contribue à l’approfondissement de la coopération entre nos assemblées. Nous vous souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat ! (Applaudissements.)
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Débat sur l'action de la France pour la relance économique de la zone euro
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’action de la France pour la relance économique de la zone euro, organisé à la demande du groupe socialiste et apparentés.
La parole est à M. Richard Yung, orateur du groupe auteur de la demande.
M. Richard Yung, au nom du groupe socialiste et apparentés. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’espère que ce débat rassemblera autant de sénateurs et de sénatrices que la proposition de loi tendant à favoriser le recrutement et la formation des sapeurs-pompiers volontaires ! Il a été inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée à la demande du groupe socialiste, qui estime le moment opportun pour débattre d’un tel sujet.
Au cours des deux dernières années, la France n’a pas ménagé ses efforts pour réorienter la stratégie européenne de sortie de crise. Grâce à l’action du Président de la République et du Gouvernement, la croissance et l’emploi sont désormais au cœur de l’agenda européen. L’Europe et la zone euro n’ont plus l’austérité pour seul horizon.
Dès le mois de juin 2012, la France a obtenu qu’un pacte pour la croissance et l’emploi soit adopté par le Conseil européen. Il prévoit notamment une recapitalisation de la BEI, la Banque européenne d’investissement, une mobilisation des fonds structurels non consommés, ainsi que la création d’obligations liées à des projets. Le résultat a été, je dois le dire, un peu plus modeste que celui que l’on pouvait espérer.
La France a également défendu un budget pluriannuel privilégiant un équilibre entre croissance et sérieux budgétaire. Notre pays a aussi soutenu, avec d’autres, le projet de taxe sur les transactions financières et obtenu la révision de la directive relative aux travailleurs détachés. La France est également très active, et même moteur, en matière d’union bancaire.
Parallèlement à ces avancées, les conservateurs, majoritaires dans la zone euro et fortement représentés au sein de la commission Barroso, …
M. Jean Desessard. C’est dommage !
M. Richard Yung. On préférerait qu’il y ait plus d’écologistes, c’est certain !
Ces conservateurs, donc, ont mis en place des politiques d’austérité assez brutales, qui ont limité la mise en œuvre de mesures budgétaires contra-cycliques permettant de sortir du cycle de non-croissance. Ces politiques ont d’ailleurs, depuis lors, été critiquées par le FMI, le Fonds monétaire international, et par l’OCDE. La zone euro continue de pâtir de l’absence d’une véritable coordination des politiques économiques.
Une contrevérité souvent entendue concerne les supposées réformes du marché du travail allemand, dites « Hartz ». La droite, qui aime beaucoup la politique menée par M. Schröder, nous cite toujours celle-ci comme un modèle de vertu. Chacun choisit ses socialistes comme il peut !
La réalité, c’est que cette politique a eu peu d’effet sur l’économie allemande. La réunification, soit 16 millions d’Allemands supplémentaires, puis l’ouverture aux pays de l’Est, avec le marché que vous connaissez, mes chers collègues, ont offert une chance extraordinaire à l’industrie allemande des biens d’équipement, qui a su profiter du moteur extraordinaire qu’ont représenté ces évolutions. Telle est l’histoire de la grande prospérité allemande.
Aujourd'hui, la zone euro est toujours en panne de croissance, même si certains pays tirent leur épingle du jeu. On nous parle de l’Irlande, mais en passant sous silence ses choix fiscaux !
La maigre reprise enregistrée à la fin de l’année 2013 s’étant essoufflée, les prévisions de la Commission européenne ont récemment été revues à la baisse. La croissance du PIB de la zone euro devrait péniblement atteindre 0,8 % en 2014 et 1,1 % en 2015.
Au troisième trimestre, l’économie française, avec une croissance située entre 0,3 % et 0,4 %, a été légèrement plus dynamique que l’économie allemande. Elle a été soutenue – si j’ose dire – par la consommation des ménages et la dépense publique. On le constate, l’action publique est importante. On pourrait demander à M. Gattaz, toujours prompt à donner des leçons, ce que font, en matière d’investissement, les entreprises pour participer à cet effort, alors qu’elles bénéficient d’une baisse des charges de 30 milliards d’euros à 40 milliards d’euros.
Conséquence la plus grave d’une croissance atone, le taux de chômage continue de plafonner à un niveau record, situé entre 10 % et 11 %.
Plus que jamais, la menace de la déflation plane sur la zone euro. Je n’évoquerai pas ce point, qui sera développé ultérieurement. Je dirai simplement que l’exemple du Japon, qui se traîne depuis quinze ans avec une croissance oscillant entre 0 % et moins 2 %, mérite d’être médité. On a vu hier les décisions drastiques prises par le Premier ministre Shinzo Abe : dissolution de l’assemblée – mesure de politique interne – et, surtout, relance de la consommation des ménages par une politique de soutien extraordinairement forte. C’est au moins le quatrième ou cinquième plan de relance japonais, les précédents n’ayant pas permis d’enregistrer des résultats.
S’ils ne veulent pas connaître le même sort que le Japon, les pays de la zone euro doivent relever deux défis majeurs : relancer la croissance et éviter la spirale déflationniste.
Un nouvel assouplissement de la politique monétaire est nécessaire. Depuis quelques mois, tous les regards se tournent vers Francfort. Bien qu’il s’agisse d’une institution non pas de la zone euro à proprement parler, mais de l’Union européenne dans son ensemble, même si les Britanniques y jouent un rôle modeste, la Banque centrale européenne – la BCE – a concentré l’essentiel de ses efforts sur la zone euro. Elle a déployé un arsenal de mesures destinées à relancer le crédit aux entreprises et à conjurer le risque de déflation. Son objectif est d’injecter 1 000 milliards d’euros supplémentaires dans l’économie de la zone euro. Je salue ce volontarisme monétaire, soutenu par la France.
L’offensive de la BCE a débuté au mois de juin, lorsqu’elle a abaissé son principal taux directeur et instauré un taux d’intérêt négatif. Ainsi, les banques paient désormais la Banque centrale européenne pour y déposer leurs liquidés. C’est tout de même un mécanisme qui mérite réflexion ! On préférerait d’ailleurs qu’elles prêtent cet argent aux entreprises, ce serait plus utile !
La BCE a aussi pris des mesures non conventionnelles, à commencer par le lancement d’un nouveau programme de prêts à long terme aux banques, ou LTRO, Long term refinancing operations, de 400 milliards d’euros. Gageons que cette initiative permettra de doper réellement le crédit. On se souvient que lors des deux précédentes opérations de refinancement à long terme, en 2011 et 2012, les liquidités amassées à faible coût par les banques avaient été lucrativement réinvesties dans des obligations d’État, certaines très rémunératrices. Un tel dispositif est peut-être bon pour le financement de la dette des États, mais, là encore, on préférerait que cet argent soit investi dans les entreprises.
Lors de la première injection de liquidités, les banques européennes ont demandé 82,6 milliards d’euros. C’est décevant, puisque le double de cette somme était espéré. Toutefois, il y aura d’autres émissions d’ici à la fin de l’année qui seront, du moins je l’espère, plus soutenues.
Je constate par ailleurs que la BCE s’est timidement – oserai-je le dire ? – engagée sur la voie de l’« assouplissement quantitatif », technique utilisée par la Banque d’Angleterre, la Federal Reserve et le Trésor américain. Les choses ne sont pas comparables, pour de nombreuses raisons que vous connaissez, mes chers collègues. Le Trésor américain émet des bons du Trésor, que rachète la Federal Reserve, mais le marché est différent, puisque, aux États-Unis, l’essentiel du financement des entreprises se fait sur le marché financier, alors que dans notre pays il est opéré par les banques.
Afin de stimuler l’octroi de prêts aux PME, Mario Draghi a récemment lancé un programme de rachat massif de titres de dette adossés à des actifs, appelés ABS, et d’obligations sécurisées. Ce n’est pas du freinage, c’est au contraire une accélération, comparable à la titrisation. (Sourires.) La BCE pourra racheter sur les marchés des titres correspondant au compactage de créances bancaires : crédits à la consommation, prêts aux PME, prêts immobiliers. Les banques, qui verront leur bilan allégé, pourront ainsi accorder de nouveaux crédits.
Ce programme, qui pourrait porter sur quelque 160 milliards d’euros, vise à redynamiser le marché européen des ABS, actuellement au point mort. Je sais que la titrisation n’a pas bonne presse depuis la crise des subprimes de 2008, due à la titrisation abusive des banques américaines, en particulier dans le secteur immobilier. Mais il peut y avoir une « bonne » titrisation, que nous recherchons. À cet égard, j’estime que nous devons soutenir les efforts de la BCE pour recréer et redévelopper un marché européen de titrisation.
Ces mesures ont déjà contribué à faire chuter l’euro, qui vaut désormais 1,24 dollar. Cette baisse est bienvenue. Les entreprises s’en félicitent, car cette diminution donne une bouffée d’oxygène aux exportateurs de la zone euro.
Un nouvel assouplissement de la politique monétaire s’avère donc nécessaire. C’est ce à quoi M. Draghi semble préparer les esprits, sous la pression du FMI et de différentes organisations, favorables au programme de rachat d’obligations souveraines. Les banquiers parlent toujours de façon extrêmement déguisée, fidèles à l’adage « si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé. » Il faut donc décrypter les messages des banques centrales.
Au demeurant, c’est le seul moyen d’augmenter de manière significative le bilan de la BCE. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour rendre hommage à M. Draghi, qui a fait une sorte de révolution copernicienne de la pensée, de la doctrine et de la pratique de la BCE. Vous le savez comme moi, la Bundesbank, laquelle n’est pas le moindre des acteurs au sein du Conseil des gouverneurs, est tout à fait hostile à cette démarche. En la matière, M. Draghi a donc fait preuve de courage et de détermination.
Une autre option envisageable consiste à mettre en place un programme de rachat d’obligations privées. Je parlais auparavant des obligations publiques, de dette d’État. J’ai cru comprendre que le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, était réticent sur ce point. Nous devons le convaincre de l’intérêt d’une telle opération pour la Banque centrale européenne.
Cela étant, il nous faut aussi donner plus de flexibilité à la politique budgétaire. Pour que les États de la zone euro puissent relancer la demande et l’investissement public, ils doivent bénéficier d’une certaine souplesse dans la conduite de leur politique budgétaire. Telle est la réalité. C’est ce message, parfois bien reçu, d’autres fois critiqué, que s’est efforcé de transmettre M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Et des pays comme l’Italie, notamment, peuvent suivre cette voie.
L’idée n’est évidemment pas de s’affranchir du respect des règles du pacte de stabilité et de croissance. On entend régulièrement parler de la barre des 3 % du PIB de déficit. Mais ce pourcentage date de 1992, des critères de Maastricht ! Il n’est donc pas nouveau ! Rappelons-nous d’ailleurs que, pendant une période, la France et l’Allemagne s’étaient mises d’accord pour ne pas le respecter ! Donc, on le constate bien, la flexibilité existe. Il faut réfléchir sur ces sujets…
En d’autres termes, le rythme de l’assainissement des finances publiques doit être adapté à celui de la mise en œuvre des politiques de relance et de lutte contre le chômage, élément principal. Car, au final, c’est la croissance qui permettra de résorber les déficits et les dettes publics. Je constate à ce propos que, aujourd’hui, l’OCDE et le FMI partagent cette conviction : que de chemin parcouru !
Je pense que nous devrions ouvrir un débat « franc et amical », comme l’on dit, avec nos partenaires allemands. Ceux-ci continuent à privilégier l’aspect « stabilité » du pacte au détriment de son aspect « croissance ». Récemment, le gouvernement de Mme Merkel a proposé de rendre plus contraignante la surveillance des budgets nationaux dans le cadre d’une négociation dite « politisée». Je ne sais pas exactement ce que cela signifie, mais on comprend que les discussions se déroulent en dehors de la Commission européenne, directement entre les gouvernements, et non entre la Commission et les gouvernements. L’intergouvernemental l’emporte donc encore.
Berlin a également évoqué des possibilités de sanctions. Je pense que nous devons discuter sérieusement avec nos amis allemands parce que cela ne va vraiment pas dans le sens de la politique que nous suivons.
La relance économique passe aussi par un renforcement de l’investissement.
Les Allemands ont fait un geste relativement important en la matière en mettant 10 milliards d’euros sur la table, comme l’a annoncé voilà quelques jours M. Schäuble. Ils pourraient sans doute faire plus. Néanmoins, cet effort est essentiel, tant pour l’Allemagne, qui souffre de sous-investissements – c’est une affaire intérieure allemande et il ne nous appartient pas de dire à notre partenaire que ses réseaux autoroutier et électrique sont quelque peu branlants –, que pour le reste de la zone euro. De surcroît, l’Allemagne a besoin de soutenir sa demande, d’autant que s’expriment dans ce pays des demandes fortes d’augmentation de salaire. Certes, il ne nous incombe pas de les soutenir.
Je me réjouis donc que le nouveau président de la Commission européenne ait repris l’idée de doter l’Union de nouvelles capacités financières, afin de relancer le cycle de l’investissement.
Le plan Juncker demeure encore flou à nos yeux. Deux questions doivent être tranchées : quels investissements seront financés par ces 300 milliards d’euros et quelles seront les modalités du financement ? Je ne développerai pas ce point, d’autres intervenants le feront ultérieurement, mais c’est un sujet marqué par l’urgence.
Évitons que ce plan ne fasse que recycler d’anciens projets, en matière énergétique ou autre, qui dormaient sans succès au fond des tiroirs. Il ne doit pas traîner en longueur : son financement ne doit pas rencontrer de difficultés. Il faut par conséquent trouver de l’argent frais et mobiliser des financements publics, afin d’attirer des investisseurs vers des projets prioritaires.
Pour ce qui concerne le financement en dette, on peut imaginer une mise à contribution de la Banque européenne d’investissement, dont il faudrait sans doute augmenter le capital. Mais le coefficient multiplicateur est assez fort en la matière, puisque pour atteindre 300 milliards d’euros de prêts sur trois ans, soit 100 milliards d’euros par an, il lui faudrait distribuer environ 30 milliards de prêts supplémentaires par an, ce qui nécessiterait une recapitalisation à due proportion.
Mais on peut aussi étudier la possibilité de développer les obligations liées à des projets déterminés – ce que l’on appelle les project bonds en anglais.
Une autre solution, dont on ne parle pas, mériterait d’être étudiée : la mobilisation du mécanisme européen de stabilité, le MES, dont la capacité de prêt est importante, de l’ordre de 450 milliards d’euros à terme. Or cet argent est inemployé. Les Allemands ne sont pas enthousiastes, arguant que ces fonds doivent justement servir à la stabilité. Mais, parallèlement, l’un des éléments de stabilisation est le retour à la croissance et à la prospérité. Je pense donc que l’on devrait aller dans cette voie.
Enfin, la relance économique nécessite un renforcement de la gouvernance.
Nous devons transformer la zone euro en véritable union politique, avec un président doté de responsabilités économiques et financières qui puisse impulser des initiatives en matière d’harmonisation fiscale. Car nous n’avançons pas du tout sur ce point, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, ou de la taxe sur les transactions financières. (M. André Gattolin approuve.) Nous devons aussi trouver des dispositifs permettant aux parlements d’être associés à ce travail.
Nous traitons aujourd’hui d’un grand sujet et j’espère que nos idées seront plus claires à la sortie de cet hémicycle qu’à notre arrivée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, formellement, nous discutons de la relance de l’activité économique dans la zone euro, je voudrais en préalable dire que je refuse de concevoir celle-ci comme un élément que l’on pourrait dissocier totalement du reste de l’Union européenne.
Bien sûr, il est utile et pertinent d’envisager des moyens spécifiques d’intervention se rapportant à la zone euro : je pense à des mesures de nature monétaire, de renforcement de l’union bancaire, ou encore à des dispositions visant à doter la zone euro d’un budget et d’une gouvernance spécifiques. Mais, au-delà de l’adoption ou non par ses membres de la monnaie unique, c’est bien l’Union européenne, en tant qu’espace économique regroupant plus de 500 millions de personnes, qui confère à notre continent sa richesse et son potentiel d’innovation et de renouvellement dans le monde d’aujourd’hui, et surtout de demain. Il suffit de regarder les performances économiques de certains pays membres de l’Union mais non membres de la zone euro, comme la Pologne, pour s’en convaincre : le dynamisme de nos économies – ou, au contraire, leur atonie – ne repose pas uniquement sur la monnaie unique.
C’est donc bel et bien à l’échelle de l’Union européenne tout entière qu’il nous faut réfléchir.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. André Gattolin. D’un point de vue économique, l’Union européenne, enfermée souvent dans des politiques presque exclusives de réduction des déficits et de la dette publique, va mal, tant en termes d’emploi, d’activité industrielle que de croissance globale.
La compétition à l’échelle mondiale n’a jamais été aussi vive, il faut le reconnaître, et dans bien des domaines, notre retard à l’endroit des États-Unis ne se résorbe pas, voire il s’accentue.
Nous devons faire face aussi à la concurrence chaque jour plus forte des pays émergents, à tel point que ce qualificatif « émergent » est en train de devenir totalement inapproprié pour certains d’entre eux.
C’est d’ailleurs tout le sens du plan de 300 milliards d’euros annoncé par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à propos duquel la presse indique qu’il devrait être au moins partiellement détaillé dès la semaine prochaine. Toujours selon la presse, la France aurait établi une liste comprenant une trentaine d’initiatives qui pourraient en bénéficier. Nous serions heureux, monsieur le ministre, d’en savoir davantage sur ces propositions faites par le Gouvernement français.
Car si la France veut peser dans la relance de l’activité économique en Europe, elle doit faire en sorte que les investissements portés par le plan Juncker correspondent au moins à deux types de critères.
Tout d’abord, ces investissements doivent être véritablement stratégiques au regard des enjeux auxquels nous faisons face. Ils doivent, selon moi, se concentrer sur les filières d’avenir plutôt que de chercher à perpétuer un modèle finissant.
Ensuite, ces mesures ne doivent plus se contenter de viser indifféremment l’ensemble des secteurs et des acteurs. On ne peut plus s’en tenir à l’approche purement horizontale qui a été jusqu’à ce jour dominante dans les politiques économiques de l’Union européenne.
À force de vouloir établir un prétendu écosystème réglementaire et légal identique pour tous et dans tous les domaines d’activité, la Commission européenne finit par s’enfermer dans un dogmatisme stérile et dans l’instauration de dispositions qui deviennent souvent inefficaces en matière de développement durable de l’activité en Europe.
La liste des exemples que je pourrais citer en la matière est longue, mais je me focaliserai sur ceux qui me paraissent les plus édifiants.
Ainsi, depuis plusieurs années, l’Union favorise les politiques de la recherche et de l’innovation.
Nous sommes tous d’accord : sans recherche forte, il n’y a pas d’innovation, condition pourtant nécessaire à une relance durable de l’activité dans un monde ultra-concurrentiel et en mutation permanente. Sur le fond, cette politique de l’Union est donc une bonne chose, notamment au moment où l’on annonce que la Chine devrait, dès cette année, dépasser l’Europe en matière de dépenses dans le domaine de la recherche et du développement.
De nombreux moyens sont donc engagés dans ce domaine dans le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 de l’Union européenne, et la Commission se montre particulièrement favorable aux politiques nationales des États membres qui instaurent d’importants crédits d’impôt recherche.
Le problème est que cette condition indispensable à la relance économique n’est pas en elle-même suffisante ; en effet, sans un soutien stratégique aux filières d’avenir, c’est-à-dire aux filières industrielles européennes qui vont utiliser les apports de la recherche européenne, nous assisterons à une migration des compétences, des savoirs, des personnes et des entreprises vers des régions du monde qui soutiennent ces filières d’avenir avec un grand volontarisme. Or, faisant preuve d’un dogmatisme incroyable, la toute puissante direction générale de la concurrence de la Commission sanctionne systématiquement tout appui un peu prononcé des États à ces filières bien identifiées et innovantes, pendant que nos concurrents nord-américains et asiatiques usent et abusent des crédits d’impôt sectoriels – qui ne sont pas condamnés par les règles de l’Organisation mondiale du commerce – pour attirer chez eux nos entreprises et nos talents les plus novateurs.
Cela ne peut pas durer ! Il ne saurait y avoir de relance durable de l’activité sans de véritables politiques industrielles européennes en aval des politiques de recherche ou des politiques horizontales de renforcement de notre compétitivité.
Autre difficulté, déjà évoquée par Richard Yung : la fiscalité.
C’est une question à laquelle il va bien falloir s’attaquer sérieusement, car trop d’États membres ont encore recours à leurs politiques fiscales au détriment de leurs partenaires.
M. Jean Desessard. En effet !
M. André Gattolin. Nous devons désormais nous efforcer d’utiliser systématiquement et conjointement politiques fiscales communes et politiques budgétaires d’investissement européennes comme des outils au service d’une stratégie collective de relance économique, en visant notamment une véritable convergence fiscale entre les États membres.
Enfin, et pour conclure, je voudrais revenir sur la question de l’identification des domaines qui, à l’échelle européenne, nous semblent les plus stratégiques pour relancer durablement l’activité au travers, entre autres, de ce plan de 300 milliards d’euros.
Selon certaines déclarations, la Commission européenne souhaiterait faire porter l’effort d’investissement en premier lieu sur les grandes infrastructures de réseau. C’est un classique de la Commission en matière d’investissements européens et, ne le nions pas, un enjeu très important en matière tant de cohésion européenne que de développement économique durable de l’Union.
Toutefois, je pense là encore que le fait de se focaliser trop exclusivement sur cette dimension risquerait d’occulter deux enjeux tout aussi stratégiques pour l’avenir de nos économies.
D’une part, nous devons impérativement mettre en place une véritable filière européenne de l’industrie numérique pour espérer rattraper une partie de notre retard, qui est considérable par rapport aux États-Unis et même à certains pays asiatiques.
D’autre part, il existe aujourd’hui une urgence politique, économique et environnementale à renforcer nos capacités industrielles dans les domaines ayant trait à la transition écologique...
Monsieur le ministre, nous aimerions savoir quelles sont vos priorités et celles du Gouvernement s’agissant des orientations à donner au plan de relance préparé par la Commission européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2008 la Commission européenne proposait un plan de relance de 200 milliards d’euros qui visait à protéger les travailleurs, les ménages et les entrepreneurs risquant, selon elle, d’être frappés par la crise financière naissante dont les effets commençaient à se faire sentir très nettement. Elle suggérait d’investir davantage dans le développement des compétences professionnelles, afin d’aider les personnes à conserver leur emploi ou à réintégrer le marché du travail, et de soutenir le pouvoir d’achat pour créer de la croissance. En résumé, il s’agissait d’apporter une réponse coordonnée à l’aggravation de la crise économique. Malheureusement, nous n’en avons jamais vraiment vu la couleur !
Aujourd’hui, M. Juncker nous annonce un plan de relance de 300 milliards d’euros qui nous laisse quelque peu dubitatifs, vous l’avez souligné, monsieur Yung. « Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! », disait une grande élue du Nord. (Sourires.)
M. Éric Bocquet. En effet, personne ne sait d’où viendront ces fonds, faute de crédits budgétaires à Bruxelles comme dans les capitales européennes. Ne serait-ce qu’un effet d’annonce supplémentaire ? D’autant que, M. Juncker l’a précisé, les règles budgétaires imposées par l’Union européenne resteront inchangées.
Pourtant, les tendances de l’investissement en Europe demeurent inquiétantes, la courbe du chômage ne cesse d’augmenter sans réelle perspective d’amélioration à ce jour, une part de la population s’est fortement paupérisée, le tout étant lié à l’incapacité des États et des collectivités locales à s’engager financièrement et politiquement. Le rapport annuel de l’INSEE publié aujourd’hui en est une illustration édifiante.
Selon de nombreuses études, la chute de l’investissement en Europe depuis 2008 est deux fois plus prononcée qu’aux États-Unis et au Japon. Le niveau de l’investissement privé dans la zone euro était, au début de 2014, inférieur de 15 points à celui de 2007 et ne représentait plus que 19 % du PIB de la zone euro, contre 25 % aux États-Unis.
Pis, le volume de l’investissement public était en 2013 deux fois plus faible que celui des États-Unis. En trente-cinq ans, il a été divisé par deux en raison de choix européens et nationaux contre-productifs.
Certes, plusieurs éléments expliquent ce recul de l’investissement, mais nous savons aujourd’hui que c’est l’aveuglement des décideurs européens qui « plombe » l’économie européenne ; c’est la poursuite de politiques d’austérité budgétaire excessives et de baisse du coût du travail qui empêche la reprise et conduit la zone euro, comme le révèlent de nombreux analystes et autres prix Nobel, vers la déflation, laquelle entrave à son tour le désendettement des États. Pourtant, selon nous, la dette peut être un levier de croissance dès lors qu’elle finance l’investissement public utile.
Nous débattons aujourd’hui, sur l’initiative du groupe socialiste, de l’action de la France pour la relance économique de la zone euro. Permettez-moi d’exprimer une certaine perplexité.
Certes, M. le Président de la République a demandé à ses homologues européens de « garantir une politique budgétaire équilibrée au niveau de la zone euro et de débattre des conséquences des décisions nationales sur l’ensemble de l’Europe, afin notamment d’éviter que les politiques de compétitivité menées simultanément ne prolongent la situation de faible inflation, pesant d’autant sur les efforts de désendettement » des États. Il a également réclamé « une application des règles budgétaires favorable à l’investissement et à l’emploi ». Autrement dit, il a souhaité que les politiques européennes soient réorientées vers la croissance. Toutefois, tout en reconnaissant les limites de ces dernières, il demandait aussi plus d’indulgence et de patience aux États et institutions européennes, afin de mettre en œuvre les réformes voulues par Bruxelles.
Ainsi, le Gouvernement continue toujours à défendre l’austérité, à mettre à mal nos services publics, notre protection sociale, le code du travail, à assécher les dotations des collectivités territoriales pourtant déjà à bout de souffle, à utiliser l’argument du coût du travail pour casser un peu plus notre modèle économique et social, bref, à mettre en œuvre le pacte de stabilité, alors même que celui-ci tarde à apporter la preuve de son efficacité.
Comment débattre du rôle de la France lorsque le Gouvernement accepte de participer à la course au moins-disant social et applique au plan national les recettes qui nous mènent droit vers la déflation ? Comment débattre du rôle de la France lorsque la politique économique prônée depuis 2012 – avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et, depuis 2014, le pacte de responsabilité et de solidarité – est une politique de compétitivité réductrice ?
Cette politique n’est pas très crédible et manque de cohérence.
De surcroît, le Président de la République demande une amélioration du fonctionnement de la zone euro à traités constants, alors que ce sont l’architecture, les pouvoirs et les missions de la Banque centrale européenne et de la Banque européenne d’investissement qu’il faut remettre à plat. Ce sont le mécanisme européen de stabilité et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance qu’il faut dénoncer. C’est enfin au déficit démocratique qu’il faut remédier.
N’est-ce pas le Président de la République qui, au mois de juin 2012, avait pris l’engagement très clair de renégocier le traité européen en privilégiant la croissance et l’emploi, et en réorientant le rôle de la Banque centrale européenne ?
Que dire encore de la réallocation des fonds structurels vers des objectifs de croissance alors que ces fonds correspondent à une politique de solidarité et de convergence à l’égard des régions les moins développées d’Europe et que cette réallocation remet en cause les propres perspectives de développement de celles-ci en matière de projets structurants et d’investissements d’avenir ? De nombreuses autres questions mériteraient beaucoup plus qu’un débat.
Pour nous, la crise de l’euro est une crise de la construction européenne.
Un projet européen digne de ce nom est un projet volontariste et un projet que les peuples européens pourraient s’approprier. Il suppose une Europe libérée de la tutelle des marchés financiers, des dogmes néolibéraux et de l’orthodoxie budgétaire.
Cette rupture, que la France devrait soutenir, serait, selon nous, un préalable à la fondation d’une Europe démocratique et sociale. En effet, chacun le constate, aujourd’hui l’Europe ne fait plus rêver ; elle génère même beaucoup d’inquiétudes qui aboutissent à des attitudes de rejet et parfois de repli.
Pourtant, le marché unique devait enclencher une dynamique favorable à la croissance économique et à l’emploi ; la monnaie unique devait nous mettre à l’abri de crises financières éventuelles. Malheureusement, l’échec en la matière est patent, et personne ne s’en réjouit. En dépit de ce constat, les gouvernements européens et le gouvernement actuel s’entêtent dans l’erreur politique et la faute morale que représente l’offensive contre les dépenses publiques et les droits sociaux.
Nous pensons que l’heure est venue de réorienter radicalement la construction européenne vers des objectifs de croissance et de solidarité, dans l’unique intérêt des peuples !
L’interdiction dogmatique du déficit structurel et du déséquilibre budgétaire revient à condamner cette forme d’endettement qu’est l’investissement public. Or celui-ci, on le sait, est un moteur de croissance, de création de richesses et d’emploi ; nous avons défendu cette position à maintes reprises dans cet hémicycle, et nous continuerons de le faire. Cette voie est religieusement bannie, proscrite, en faveur d’une relance économique par l’austérité : quelle gageure !
La reconstruction européenne passe par une déconstruction des règles et doctrines de la zone euro, par une réorientation des priorités en faveur de l’investissement public, social et écologique. Le rôle de la Banque centrale européenne doit être modifié et mis au service de ces objectifs. La crise économique actuelle devrait être l’occasion pour l’Union de se doter d’un socle commun de droits sociaux minimaux universels, indépendants du travail, car celui-ci n’est pas garanti. Nous en sommes loin, et le dernier arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne relatif au prétendu tourisme social est pour nous un motif d’inquiétude extrême.
La solidarité entre États membres est en panne, si tant est qu’elle ait jamais véritablement fonctionné ; il nous faut d’urgence la renforcer. Toutefois, la solution se situe aussi en dehors des institutions. Il est décisif et urgent de donner la parole aux peuples européens, aux peuples souverains et de la respecter, pour qu’ils puissent décider eux-mêmes des orientations du projet européen.
Une telle responsabilité historique ne saurait légitimement être assumée par les seules institutions de l’Union. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les chefs d’État et de Gouvernement du G20, réunis à Brisbane les 15 et 16 novembre, ont mis au cœur de leurs travaux, avec notamment l’impératif de la transparence fiscale et le climat, les mesures destinées à stimuler la croissance.
En effet, les indicateurs économiques mondiaux sont préoccupants, et ceux de la zone euro le sont encore plus. Au troisième trimestre, malgré le léger rebond de la croissance française, qui s’établit à 0,3 %, l’investissement des entreprises a chuté de 0,1 %, après connu un recul de 0,5 % au trimestre précédent. Dans le même temps, l’Allemagne, qui caracolait en tête, fait face à un ralentissement incontestable de son économie, après avoir évité de peu la récession.
Notre continent est sous la menace d’un risque déflationniste, combinant une croissance atone et une faible inflation, ce malgré la politique très souple de la BCE, qui a récemment abaissé son principal taux directeur à 0,05 %.
C’est dans ce climat morose que la Commission présidée par Jean-Claude Juncker a pris ses fonctions, au début du mois de novembre. Dès le 15 juillet, alors que sa nomination était confirmée par le Parlement européen, l’ancien Premier ministre luxembourgeois avait pour ambition de mobiliser 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés dans l’économie réelle au cours des trois prochaines années.
Le 12 octobre dernier, le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, M. Macron, invoquait, au sujet de ce plan européen de relance par l’investissement, une formule presque magique en déclarant : « L’Europe a besoin d’un New Deal. »
Les détails de ce plan ne sont pas encore précisément connus. C’est ce que nous avons retenu de votre réponse, monsieur le ministre, lorsque vous fûtes interrogé, le 30 octobre dernier, dans le cadre de la séance de questions d’actualité au Gouvernement, par Jacques Mézard.
Cependant, vous avez alors relevé l’un des freins au retour de la croissance en Europe, à savoir le manque d’investissements publics et privés, indiquant que leur montant avait diminué de 20 % environ depuis la crise de 2008.
Une inquiétude existe au plan européen, mais elle est présente aussi à l’échelon local. C’est ainsi que nous appréhendons le plan d’économies que le Gouvernement entend imposer aux collectivités locales qui, nous le savons tous, sont une force d’investissement dans nos territoires. Nous aurons l’occasion d’en reparler demain, lors de l’examen du projet de loi de finances.
Revenons maintenant à l’Europe.
Comme l’a déclaré M. Juncker à l’occasion de sa prise de fonction, la Commission est celle « de la dernière chance ». L’euroscepticisme n’a jamais été aussi fort, notamment parce que l’Europe a très peu montré jusqu’à présent qu’elle pouvait être une puissance et que, reconnaissons-le, elle ne fait pas grand-chose pour emballer les foules.
Le plan en cause n’est pas le premier du genre. En 1993, peu avant de quitter la présidence de la Commission, Jacques Delors avait mis sur pied un grand plan d’investissement pour la croissance, resté lettre morte.
Plus récemment, en 2012, les pays européens se sont accordés autour d’un pacte pour la croissance et l’emploi, qui n’a pas eu les effets escomptés.
Aujourd’hui, la zone euro a un besoin urgent – je dirais presque vital – d’investissements, et la relance de la croissance doit se faire prioritairement à l’échelon européen. Ce plan suscite donc de l’espoir, mais également des interrogations, que vous contribuerez, nous l’espérons, monsieur le ministre, à dissiper.
S’agissant de son montant tout d’abord, si 300 milliards d’euros représentent une somme importante, est-ce pour autant suffisant ? Pour certains observateurs, ce montant ne permettrait pas, à lui seul, de relancer la croissance du continent.
Pour ce qui est du financement, ensuite, M. Juncker a annoncé que ce plan ne contribuerait pas à alourdir la dette des États. Nous souscrivons à cette déclaration. De ce fait, c’est la Banque européenne d’investissement qui devrait se trouver au cœur du dispositif. Quel sera son rôle ? Comment s’articulera la relation entre la BEI et la Commission ? Quels investissements seront concernés ?
Le Président de la Commission européenne a défini quatre orientations prioritaires : les chantiers d’infrastructures dans les domaines de l’énergie, des transports, les réseaux numériques, ainsi qu’un volet social aux contours encore flous.
Monsieur le ministre, pouvez-nous nous éclairer ou, à défaut, nous informer sur la méthode que le Gouvernement entend privilégier au cours de la préparation du prochain Conseil européen des 18 et 19 décembre, à propos du pilotage au plan tant communautaire que national et du choix des projets ?
Par ailleurs, comment ces projets s’articuleront-ils avec le déploiement des fonds européens, dont la programmation a été lancée récemment pour les années 2014 à 2020, et qui seront majoritairement pilotés par les régions ? Ces fonds devraient correspondre en France à des subventions à hauteur de 7,7 milliards d’euros en faveur de l’innovation, du soutien aux PME et aux infrastructures de très haut débit dont nous avons tous besoin, et à près de 10 milliards d’euros en faveur de l’économie verte et de la transition énergétique.
Comment ce plan s’articulera-t-il également avec les project bonds, ces obligations de projets que M. Yung a évoqués tout à l’heure et dont l’émission est garantie par la Banque européenne d’investissement ? Le premier project bond à l’échelle française a vu le jour au mois de juillet dernier et porte sur les infrastructures numériques et le très haut débit.
Enfin, monsieur le ministre, comment ce programme d’investissements sera-t-il complété, à l’échelon national, avec la BPI, ou dans le cadre de propositions communes, avec l’Allemagne notamment ? Ce plan d’investissements doit – ce ne sera pas la moindre de ses ambitions – permettre de restaurer la confiance.
L’Union européenne représente la première économie du monde en termes de PIB. C’est aussi la première région exportatrice mondiale et la première destination des flux d’investissements, ne l’oublions pas.
Face à la concurrence internationale, afin de conserver cette place de tête, l’Union européenne, plus précisément la zone euro, doit se doter d’une politique économique commune et avancer vers plus d’harmonisation sociale et fiscale, notamment au titre de l’impôt sur les sociétés. Nous savons que ce dossier est particulièrement épineux, mais les révélations récentes relatives au « Luxleaks », lesquelles éclaboussent au passage M. Juncker, rendent son traitement incontournable.
M. Éric Bocquet. Absolument !
M. Jean-Claude Requier. Aux yeux des membres du RDSE, cette évolution doit nous mener vers la construction d’une Europe fédérale protégeant son économie et les droits de ses citoyens. Il nous faut une Europe puissante pour maîtriser et affronter la mondialisation, pour peser de nouveau dans le monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer l’initiative des membres du groupe socialiste, grâce auxquels nous pouvons évoquer aujourd’hui en séance publique le rôle de la France dans la relance économique de la zone euro. Bien sûr – je l’ai compris ainsi –, ce débat n’a pas vocation à faire l’apologie de l’action du Gouvernement en la matière.
Au reste, comment le pourrait-on ? Si je voulais faire du mauvais esprit, j’avancerais qu’il aurait été plus pertinent de débattre de l’inaction du Gouvernement…
M. François Marc. Eh bien !
M. Vincent Delahaye. L’impulsion politique du Gouvernement en faveur d’une véritable relance économique de la zone euro est à la fois trop mince et trop peu lisible pour mériter un véritable débat.
Avant de passer en revue les initiatives qui se sont succédé depuis deux années et demie, établissons le diagnostic économique de la zone euro.
Notre zone monétaire fait face à un véritable paradoxe historique. Construite pour assurer notre prospérité en transformant nos économies, elle est aujourd’hui devenue un pôle de stagnation de la croissance mondiale.
L’euro a été conçu pour permettre aux pays européens de sortir de la spirale de la dévaluation compétitive qui a ravagé les relations économiques européennes dans les années quatre-vingt.
En outre, la monnaie unique avait vocation à favoriser les échanges entre les États membres en annulant le risque de change dans les relations commerciales. D’un trait, la zone euro devait devenir le phare d’une prospérité enfin débarrassée de la guerre monétaire, d’une part, et du risque inflationniste, d’autre part.
Le bilan des dix premières années de mise en circulation de l’euro était plutôt flatteur : Jean-Claude Trichet se plaisait à répéter que la zone euro avait connu pendant dix ans une dynamique de croissance comparable à celle des États-Unis. Il affirmait qu’elle avait même créé plus d’emplois sur son territoire que ce qu’il était possible de mesurer outre-Atlantique.
Pourtant, notre zone monétaire est aujourd’hui frappée par la stagnation économique. Le chômage y touche plus de 11 millions de personnes, la croissance économique y est à peu près nulle et les déficits publics des États membres peinent à se résorber, alors que le pacte de stabilité avait vocation à nous imposer des règles de saine coordination budgétaire.
La situation est pire encore si l’on observe les dynamiques internes à la zone euro : les pays du nord, ou du moins ceux qui gravitent dans l’orbite économique de l’Allemagne – je pense par exemple à l’Autriche ou aux Pays-Bas –, ont connu de bonnes performances à l’exportation, des résultats notables en matière de déficits. L’Allemagne est ainsi à l’équilibre budgétaire. Inversement, les pays du sud du continent, notamment ceux qui ont été frappés par la crise de la dette souveraine, ont vu leurs performances à l’exportation stagner ou s’effriter à mesure que leurs déficits explosaient, parfois du seul fait du financement des plans de relance économique conduits entre 2008 et 2009.
Cette dichotomie témoigne du caractère hétérogène de la zone euro. Nous avons, au nord, des pays compétitifs, tournés vers l’innovation, l’industrie et l’exportation, de surcroît rigoureux sur le plan budgétaire. Au sud, nous trouvons a contrario des États atrophiés par un secteur public hypertrophié, des gains de productivité en baisse et des déficits publics non maîtrisés.
Cette situation a évolué sous l’effet des plans d’assainissement conduits par la troïka composée de la Commission européenne, de la BCE et du Fonds monétaire international, le FMI. Désormais, l’Espagne et l’Italie regagnent en compétitivité-prix du fait des efforts importants accomplis, notamment, quant au coût du travail.
Dans ce contexte, la France apparaît de plus en plus comme l’homme malade de l’Europe, comme une menace pour la reprise économique de la zone et non comme le fer de lance politique d’une ample stratégie budgétaire européenne.
En deux ans, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault, puis de Manuel Valls n’ont pas su trouver la voie de la reprise économique. Aucune réforme structurelle n’a été menée, excepté la conclusion, en 2013, de l’accord national interprofessionnel.
M. Vincent Delahaye. Voilà quelques semaines, nous avons eu l’occasion de débattre du crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE. Ce dispositif s’est révélé non seulement mal ciblé, mais aussi moins intéressant économiquement qu’une véritable TVA compétitivité.
Aussi, on devine bien le sujet implicite de ce débat.
Sauf erreur de ma part, les élus socialistes comme les membres du Gouvernement misent sur le financement, par l’Europe, d’un plan de relance de grande échelle sur l’ensemble de la zone euro. À défaut d’avoir su trouver des sources de croissance sur les marchés émergents extérieurs, qui souffrent eux aussi du retournement progressif de la politique monétaire américaine, vous attendez désormais que l’Union Européenne prenne sur elle, sur son budget, sur sa capacité éventuelle à s’endetter auprès des marchés financiers, la responsabilité de financer une politique qui a laissé nos finances publiques exsangues.
Cette situation n’a rien de nouveau. En arrivant au pouvoir, le Président de la République s’était engagé à renégocier le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ratifié au nom de la France par Nicolas Sarkozy, autour d’un pacte de croissance.
François Hollande avait promis d’arracher à la rigueur budgétaire allemande un plan de financement de la croissance économique pour la zone euro : ce sont les 120 milliards d’euros de 2012, qui n’étaient en réalité que la reconfiguration comptable de fonds déjà existants.
À toutes fins utiles, je rappelle que le plan de relance français de 2009 comptait 30 milliards d’euros de dépenses budgétaires ou fiscales, le jeu de nos stabilisateurs automatiques n’étant pas pris en compte. Les 120 milliards d’euros annoncés n’équivalaient donc qu’à quatre plans français, échelonnés sur plusieurs années et, qui plus est, englobant l’ensemble de l’Union européenne, donc de la zone euro.
Monsieur le ministre, convenez que c’était un peu court ! D’ailleurs, cette stratégie n’a pas fonctionné, puisque la situation économique de notre pays n’a cessé de se dégrader depuis sa mise en œuvre.
Le plan de 300 milliards d’euros d’investissements annoncé par Jean-Claude Juncker n’est pas censé nous dispenser des efforts de restructuration économique que nous n’avons pas accomplis, à la différence d’un grand nombre de nos voisins.
Emmanuel Macron a beau jeu de déclarer qu’il attend 30 milliards d’euros d’investissements en France par l’effet de ce plan : le président de la Commission européenne ne sait pas lui-même comment il pourra financer ce programme à cadre normatif et budgétaire constant !
J’ajoute que cette politique se résumerait à arroser du sable. Injecter des deniers publics dans une économie dont les gains de compétitivité s’effritent sous le poids de son secteur public, c’est la dédouaner de ses responsabilités budgétaires et lui faire miroiter une reprise facile et sans effort.
Shakespeare a écrit dans sa pièce Jules César que nous ne devions pas reprocher aux astres notre condition, qu’elle n’était imputable qu’à nous-mêmes. J’invite le Gouvernement à ériger cette formule en maxime personnelle.
Une seule voie raisonnable permettrait à la France de participer à la relance économique de notre zone monétaire.
En premier lieu, nous devons éviter de sombrer à notre tour dans la crise de la dette souveraine. Notre dette avoisine dangereusement les 100 % du PIB, soit près de 2 000 milliards d’euros. Notre exposition au retournement des taux d’intérêt est trop systémique pour que nous puissions attendre de bénéficier des subsides européens pour financer les efforts que vous ne voulez pas réaliser au titre de la dépense publique.
En second lieu, pour assurer une véritable politique française de relance économique, il faudrait saisir à bras-le-corps, une bonne fois pour toutes, le chantier de la compétitivité. La philosophie sous-jacente de l’euro est de permettre à nos économies de se tourner vers l’extérieur, vers le commerce international. Elle exige dès lors une attention constante à notre compétitivité-prix ou produit. Il faut innover à défaut de baisser nos prix, c’est la contrepartie de la stabilité monétaire offerte par l’euro.
J’entends d’ici les remarques : notre inflation étant très faible et le risque de déflation devenant de plus en plus menaçant, il faudrait creuser davantage encore nos déficits pour soutenir le niveau de nos prix et donc l’activité. Mais c’est ce que le Japon fait depuis plus de dix ans ! Or la dette publique de ce pays dépasse les 200 % du PIB, du fait de l’aversion au risque financier de son secteur privé. Parallèlement, cette mécanique infernale n’a pas permis de dégager des gains de croissance substantiels.
M. François Marc. Quant à vous, vous proposez d’augmenter la TVA…
M. Vincent Delahaye. De plus, cette situation n’est pas viable à long terme dans un espace monétaire composé de plusieurs pays aussi différents que ceux qui constituent la zone euro. En effet, substituer la dépense publique à la dépense privée reviendrait, dans nos économies ouvertes et monétairement unies, à appuyer les économies les moins touchées de la zone, l’Allemagne par exemple, sans soutenir substantiellement notre propre reprise économique.
Voilà résumé, en quelques mots, ce qu’il me semble nécessaire de retenir de l’inaction du Gouvernement sur ce front. Nous n’avons pas de solution miraculeuse à attendre pour échapper à cette crise qui frappe notre économie, nos entreprises et nos concitoyens. Dans ces conditions, la France ne saurait imposer à l’Europe de financer sur ses deniers les efforts que l’actuel gouvernement n’a su lui inspirer. Dès lors, avant de débattre de l’action de la France pour la relance de la zone euro, peut-être devrions-nous veiller à ne pas être ceux qui conduiront l’euro à sa perte. Ce débat, nous l’aurons dès demain, en ouvrant l’examen du projet de loi de finances pour 2015.
Puisqu’il me reste un peu de temps,…
M. Vincent Delahaye. … je tiens à répondre à mon collègue Richard Yung, même s’il n’est plus en cet instant dans cet hémicycle. À ses yeux, c’est la croissance qui réduira les déficits en France. Je suis en complet désaccord avec lui sur ce point. Certes, la croissance nous aiderait ; mais elle ne pourra revenir dans l’Hexagone tant que le niveau de dépenses publiques sera si élevé qu’aujourd’hui. Il atteint les 57 % du PIB. La croissance ne pourra procéder que de réformes structurelles,…
M. Aymeri de Montesquiou. C’est vrai !
M. Éric Doligé. Tout à fait !
M. Vincent Delahaye. … grâce auxquelles nous mènerons l’assainissement budgétaire absolument nécessaire et même indispensable aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est sur l’initiative de nos collègues socialistes que nous discutons aujourd’hui de l’action de la France pour la relance économique de la zone euro. Il s’agit là d’un sujet capital. Toutefois, je dois vous avouer qu’il est à mon sens un peu trop tôt pour en débattre avec efficacité.
En effet, nous préemptons aujourd’hui le débat qui aura lieu le 10 décembre prochain, préalablement au Conseil européen. (M. le ministre opine.) Ce Conseil aura à se prononcer, dans un cadre qui sera peut-être quelque peu précisé d’ici là, sur le fameux plan de 300 milliards d’euros annoncé par M. Juncker. D’autres orateurs l’ont relevé avant moi : nous ne savons pas encore comment ce dispositif sera financé, dans quelles proportions il pèsera pour chacun des États membres, et quels seront, enfin, les principaux axes retenus.
Nous n’avons pas davantage d’informations quant au conseil franco-allemand, lequel est d’autant plus stratégique qu’il précédera le Conseil européen – il aura lieu le 1er décembre prochain.
Il est donc à mes yeux regrettable que la Haute Assemblée s’exprime sans pouvoir tenir compte de ces deux étapes importantes. C’est bien sûr le rôle du Parlement de parler, et c’est ce que je vais faire moi-même ! (Sourires.) Mais peut-être la majorité gouvernementale pourrait-elle veiller à ce que la parole ne se disperse pas trop.
Par ailleurs, à l’heure où la très légère reprise de la zone euro semble s’essouffler, le véritable sujet est de savoir quelle est la meilleure politique économique et d’assurer une bonne coordination à l’échelle européenne. À cet égard, je le dis franchement, je ne suis pas certaine que l’on puisse donner un satisfecit au Gouvernement. Nos débats sur les projets de loi de programmation des finances publiques, de financement de la sécurité sociale et de finances en attestent ou en témoigneront.
Monsieur le ministre, je suis obligée de vous le dire, la majorité de gauche s’est souvent trompée depuis 2012. La hausse de la fiscalité, pesant sur les entreprises comme sur les ménages, s’est faite à contretemps de nos partenaires européens. La majorité gouvernementale a porté atteinte à la confiance de nos entrepreneurs et de nos concitoyens
On en mesure aujourd’hui le résultat : malgré la hausse de la fiscalité, le rendement du recouvrement des impôts est en diminution d’une bonne dizaine de milliards d’euros cette année par rapport à vos prévisions. Voilà de quoi s’interroger sur le caractère contre-productif de votre politique !
Vous décidez ensuite tardivement de mettre en place un ersatz de TVA sociale ou de TVA anti-délocalisation, le CICE, dont vous commencez à vous rendre compte – nos débats le prouvent – qu’il fonctionne mal, puisque vous révisez à la baisse la provision budgétaire correspondante. Ce dispositif a suscité un effet d’aubaine mais reste inefficace en termes d’encouragement au recrutement.
Vous avez aussi compté sur le fait que la croissance mondiale tirerait l’économie française, ce qui vous dispensait, croyiez-vous, d’entreprendre des réformes nécessaires pour notre pays. Vous espérez aujourd’hui que les mesures du pacte de responsabilité et de solidarité auront un effet rapide. Ce n’est pourtant pas assuré.
Tout cela s’apparente à une véritable fuite en avant, monsieur le ministre !
Vous nous expliquez avoir découvert la gravité de la situation économique de notre pays, alors que plusieurs éminentes personnalités avaient déjà décrit la France comme étant au bord de la faillite.
Ce qui se passe dans la zone euro met en évidence les limites de vos choix économiques.
Ce sont en effet les pays qui ont courageusement, et parfois brutalement, choisi un ajustement rapide, dont l’économie redémarre : l’Allemagne, l’Espagne – c’était douloureux –, l’Irlande, ou encore le Portugal.
À cause de vos hésitations incessantes depuis plus de deux ans, votre stratégie a nourri le pessimisme et la prévention à investir. En conséquence, la France est en train de décrocher par rapport non seulement à l’Allemagne, mais aussi, désormais, à l’Espagne.
Votre marge de manœuvre est très étroite. Même la dépréciation de l’euro, dont un précédent ministre, M. Montebourg, était un fervent défenseur, est une option aléatoire. D’abord, elle ne se décrète pas, car la valeur de l’euro résulte de très nombreuses interactions ; ensuite, même si on l’oublie à force de payer l’essence toujours moins cher, un euro fort garde un effet positif sur les importations, dont le prix grimperait si cette monnaie s’affaiblissait.
Monsieur le ministre, le gouvernement socialiste a déjà épuisé le délai supplémentaire de deux ans octroyé par l’Union européenne à la France pour respecter les critères fixés. Vous l’avez consommé non pour rééquilibrer nos comptes, mais pour réduire beaucoup trop lentement la dépense publique, alors que notre niveau d’endettement continuait à augmenter. En choisissant de ne pas diminuer le déficit, vous hypothéquez l’avenir et vous nourrissez une longue période de croissance faible, voire de déflation.
L’échec de votre politique économique explique que le Gouvernement demande des investissements publics financés au plan européen. C’est d’ailleurs bien votre majorité qui évoque aujourd’hui une action pour la relance économique de la zone euro. C’est votre dernier mantra !
Mais ce chemin n’est pas aisé, et il peut se transformer rapidement en mirage. Une politique d’investissements publics, même transférée à l’échelle européenne, doit être pesée au trébuchet, si nous voulons qu’elle aboutisse vraiment à son objectif : créer des emplois.
Nous ne sommes pas en situation de dilapider l’argent public, fût-il européen. D’ailleurs, l’Europe ne s’endettant pas, l’argent européen est celui des pays membres, donc le nôtre. Certes, les taux d’intérêt étant bas, il est théoriquement aisé de trouver des investissements dont la rentabilité leur sera supérieure. Pour autant, s’agissant d’investissements publics, il faudra s’en assurer. En outre, il existe un risque réel si les taux d’intérêt venaient à remonter : la commission des finances estime qu’une hausse d’un point en 2017 coûterait 7,6 milliards d’euros au budget national.
Ensuite, il vous faut convaincre nos partenaires européens. Vraisemblablement, les négociations aboutiront à un accord donnant-donnant et ces financements profiteront à des pays qui mènent une politique de réforme. Sur quoi le Gouvernement français va-t-il alors s’engager ?
Dans cette perspective, la relation que vous entretenez avec l’Allemagne paraît particulièrement ambiguë. Pourquoi exiger d’elle 50 milliards d’euros d’investissements ? Pourquoi ne pas essayer de comprendre les vrais impératifs qui s’imposent à nos voisins ?
Mes chers collègues, l’Alsacienne que je suis, amie de Wolfgang Schäuble, peut en témoigner : l’Allemagne doit composer avec une croissance potentielle affaiblie par un impressionnant vieillissement démographique, perceptible dans les villes de ce pays. Elle doit en outre faire face à une concurrence internationale plus affûtée, à des salaires réels qui augmentent plus vite que la productivité et, par conséquent, à un recul de la légendaire profitabilité de ses entreprises qui inquiète déjà les dirigeants de celles-ci. Enfin, même si la demande intérieure progressait plus vite en Allemagne, il n’est pas vérifié que les entreprises françaises en bénéficieraient.
Vous l’aurez compris, nous doutons de l’efficacité d’un plan de relance et nous nous demandons s’il ne serait pas préférable d’envisager de soutenir l’investissement, par exemple par une fiscalité favorable aux entreprises, harmonisée avec nos partenaires européens. Permettez-moi de vous le rappeler, tous prélèvements confondus, les impôts acquittés par les entreprises de taille intermédiaire – les ETI – et les PME françaises sont supérieurs de 60 % à ceux que paient leurs homologues allemandes.
Selon nous, si une politique de relance devait être mise en œuvre, elle ne pourrait que prendre la forme d’un soutien à l’investissement des entreprises, en visant un effet multiplicateur élevé de l’investissement privé. Un tel soutien ne pourrait être réalisé qu’en menant en parallèle les indispensables réformes du pays. Il devrait, enfin, être conçu comme un levier pour faire converger les économies européennes.
Ce n’est pas parce que les récentes informations relatives aux perspectives économiques de la zone euro sont plus négatives que celles du printemps que le Gouvernement est fondé à demander une politique de relance.
Le manque de croissance s’explique aussi par la permanence de nos déficits publics et par le fait que notre épargne est principalement canalisée vers le financement de la dette publique. La consolidation budgétaire demeure donc une étape déterminante, de même que la réforme de l’État et de l’action des acteurs publics.
Effectivement, quelle croissance peut-on bien espérer avec un niveau de dépenses publiques s’établissant à 57 % du PIB, un niveau de prélèvements obligatoires historique atteignant 44,7 % du PIB cette année, et un niveau de dette qui va prochainement approcher les 100 % du PIB ?
Selon nous, monsieur le ministre, ce qui fera démarrer la croissance en France, c’est avant tout la confiance et la clarification de votre stratégie comme de la trajectoire de votre politique économique, de la politique fiscale et du prix de l’énergie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nul ne l’ignore, l’Europe traverse aujourd’hui une grave crise économique : la croissance y est faible et la déflation menace. D’ailleurs, le week-end dernier, elle a été pointée du doigt durant la réunion du G20 en raison de sa croissance anémiée. L’Allemagne elle-même a vu sa croissance ralentir ces derniers mois.
Si nous voulons éviter d’entrer dans une spirale déflationniste, de laquelle il serait long et difficile de sortir, ainsi que nous l’enseigne l’expérience japonaise, et qui pourrait avoir des conséquences économiques, sociales et politiques désastreuses, il est urgent d’agir, et d’agir vite !
Une politique de lutte contre la déflation par une relance de l’investissement public et privé en Europe relève donc de l’intérêt général.
Ce constat, très tôt dressé par le Président de la République, François Hollande, est à présent partagé par des personnalités aussi éminentes que Paul Krugman, Mario Draghi, ou encore par des experts du FMI. M. Juncker, nouveau président de la Commission européenne, s’y est également rallié, qui préconise la mise en place d’un plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur trois ans.
Dans ce contexte, maintenant plus favorable à cette idée, certains s’interrogent sur l’importance des sommes devant être engagées et sur la nature publique ou privée des investissements. Le débat porte également sur les outils financiers qui permettront de faire vivre ce plan, ainsi que Richard Yung l’a évoqué tout à l'heure.
Dans le temps qui m’est imparti, je focaliserai mon propos sur le choix des secteurs à privilégier.
Le plan d’investissement de 300 milliards d’euros devra, à mon sens, être concentré sur un petit nombre de secteurs clés. Bien entendu, les projets d’infrastructures routières et ferroviaires en constituent un segment important. On peut s’attendre, d’ailleurs, à ce que certains de nos partenaires européens fassent pression pour orienter les moyens dans cette direction.
Pour autant, on ne peut concevoir que tous les moyens de ce plan soient consacrés à de tels programmes. Si l’on souhaite préparer l’Europe au monde et à l’économie de demain, il est essentiel de viser d’autres secteurs clés.
J’évoquerai en premier lieu celui de l’énergie. Les investissements dans le domaine des énergies renouvelables et des économies d’énergie constituent un enjeu fondamental puisqu’ils sont la principale réponse au défi du réchauffement climatique. Les États européens ont récemment pris l’engagement de limiter davantage leur production de gaz à effet de serre, et ce plan d’investissement doit permettre de le concrétiser.
Les énergies renouvelables répondent également à l’enjeu de l’autonomie énergétique de l’Union européenne, d’autant plus important que plane la menace d’une nouvelle guerre froide avec la Russie, principal fournisseur en gaz de l’Europe.
Sur cette question, l’argument économique peut, à lui seul, se révéler déterminant. Le rapport Stern a démontré que le coût du réchauffement climatique sera plus important que celui des investissements nécessaires aujourd’hui pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que l’a récemment rappelé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
Autrement dit, non seulement il est de notre devoir de laisser aux générations futures une planète non dégradée, mais encore, si nous voulons préserver au maximum leur avenir économique et financier, nous devons affecter, aujourd’hui, les investissements dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie.
Le deuxième secteur devant être privilégié est celui des télécommunications et de l’économie numérique. Celle-ci, on le sait, est une source de croissance indéniable. Pour autant, à l’heure actuelle, elle contribue à la croissance bien plus aux États-Unis qu’en Europe. Cette dernière doit donc engager des investissements massifs structurants pour remédier à cette situation et maximiser son potentiel de croissance.
Un troisième secteur clé pour demain est celui des biotechnologies. Il ouvre des possibilités quasiment infinies, qui nous permettront d’améliorer la santé, l’environnement, l’agriculture, ainsi que la production industrielle. Les potentialités de croissance qu’il offre pour l’avenir sont plus que prometteuses et l’Europe se doit de saisir cette opportunité.
D’une manière générale, le secteur de la recherche et du développement a besoin d’investissements en Europe, ne serait-ce que pour rattraper le retard pris depuis une quinzaine d’années sur d’autres pays, tels les États-Unis.
Pour dire simplement un mot des outils de financement de ce plan d’investissement, je voudrais préciser que l’Europe dispose de puissants investisseurs institutionnels et de long terme, dont la Caisse des dépôts et consignations en France. Cette instance s’est d’ailleurs déjà engagée aux côtés de la BEI pour développer les investissements structurants en faveur de la croissance. Elle sera, à n’en pas douter, un relais majeur, dans notre pays, du plan d’investissement européen.
En conclusion, à l’attention de ceux qui s’inquiéteraient d’un plan qui augmenterait la dette pour nos enfants, il est utile de rappeler que les effets positifs de ces investissements doivent justement servir les intérêts des générations futures. Ce plan de 300 milliards d’euros présente en outre l’avantage d’emporter aussi bien un effet à moyen terme, sur l’offre, qu’un effet à court terme, sur la demande. Il permettra donc d’agir efficacement en faveur du retour à la croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Commeinhes.
M. François Commeinhes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis que saluer l’utilité du présent débat. En effet, comment ne pas tenter de rehausser le rôle de la France dans la relance de la zone euro ?
À l’heure de faire des choix importants pour son avenir, notre pays se montre plus hésitant que jamais : la cinquième puissance économique mondiale semble toujours osciller entre son destin européen, son positionnement face à son voisin d’outre-Rhin et on ne sait quelle épopée solitaire entre l’arrimage solide à la monnaie unique et l’éclatement de la zone euro...
Aujourd’hui, il est de bon ton de célébrer la « nouvelle donne » européenne du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, Emmanuel Macron : que l’Allemagne injecte dans son économie 50 milliards d’euros d’investissements pour compenser les efforts demandés à l’État français, l’effet boule de neige de cette relance purement allemande faisant le reste.
Pour le moment, sur ces 50 milliards d’euros, le gouvernement allemand n’en concède que 10 ! D’ailleurs, une étude de l’agence de notation américaine Standard & Poor’s vient de montrer que les calculs de notre ministre sont fort optimistes.
Cette agence a réalisé une simulation fondée sur un principe assez généreux : celui d’une augmentation de 30 milliards d’euros des dépenses publiques en 2015 et 2016, soit 60 milliards d’euros sur deux ans, répartis à égalité entre la consommation publique et l’investissement public.
Un tel plan aurait d’abord une incidence sur l’économie allemande elle-même. Le PIB gagnerait 0,75 point de croissance après un an ; puis, 0,7 point de croissance. L’annonce d’une relance allemande aurait sans doute des effets psychologiques positifs. Toutefois, il serait faux de considérer que la relance allemande est une panacée et qu’elle permettrait à la France de réduire ses dépenses.
En réalité, la zone euro a besoin non pas de plans nationaux, mais d’une véritable solidarité, s’appuyant sur une structure institutionnelle et des bases saines pour ses États membres.
Notre problème n’est pas l’Europe, ni Mme Merkel, ni même notre monnaie ;…
M. Éric Doligé. C’est la France !
M. François Commeinhes. … c’est bel et bien la situation propre de la France, …
M. Éric Doligé. Eh oui !
M. François Commeinhes. … qui a perdu, depuis 1999, 44 % de ses parts de marché à l’échelon mondial, alors que celles de l’Allemagne ne reculaient que de 18 %.
Ce décrochage fait écho à l’incapacité de la France à conduire les réformes structurelles qui lui sont pourtant indispensables.
Nous attendons un choc de compétitivité ?... Il ne viendra que de nous et de notre résolution à ne plus nous cacher derrière des contre-vérités pour cautionner notre immobilisme.
Non, attendre tout de la zone euro n’est pas plus aisé que de se libérer des 35 heures.
Non, réformer le fonctionnement souvent irréel du marché du travail n’est pas une utopie.
Actuellement, les pays de la zone euro sortent d’une période de récession essentiellement grâce à la mise en place de dispositifs européens tels que les opérations monétaires sur titres ou le mécanisme européen de stabilité. Aujourd'hui, le risque est l’enlisement dans une croissance lente reposant sur ces mécanismes de sauvetage.
Il s’agit non pas de nier les avancées enregistrées au cours de ces dernières années, mais de reconnaître qu’elles restent imparfaites et, surtout, insuffisantes.
Nous nous trouvons actuellement à la croisée des chemins au plan européen, ce qui appelle résolument à l’action politique et aux réformes. Certes, il est nécessaire de poursuivre la construction d’une zone euro, mais il importe aussi de penser – enfin ! –, en France, à des politiques tournées vers la croissance et l’innovation, en particulier dans les domaines de l’énergie et la santé, des secteurs d’excellence nationale s’il en est. De même, nous devons engager une démarche forte pour favoriser la formation, la recherche et la réindustrialisation à l’échelle européenne.
Nous sommes arrivés à un moment où il est urgent d’envisager des évolutions à l’échelon européen, en se concentrant sur les réformes institutionnelles à mettre en place au sein de l’Union européenne. Le rôle de la France est non pas de se confiner dans un dialogue sans fin avec l’Allemagne, mais d’esquisser une « Europe utile », avec un projet répondant à la relance de l’économie, qui fait l’objet de toutes les préoccupations.
Pour ce faire, il est indispensable d’accepter une Europe à plusieurs vitesses qui permette de donner vie aux projets définis par un groupe réduit de pays, notamment les États membres de la zone euro. Cependant, l’Europe à plusieurs vitesses ne peut être, en aucun cas, une fin en soi ; elle n’est qu’un pis-aller pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement l’Union européenne.
Les institutions européennes peuvent créer un cadre macro-économique favorable au retour de la croissance, mais celui-ci ne sera possible que si les entreprises européennes sont compétitives.
Le problème essentiel de la zone euro réside dans la disparition des gains de productivité et du progrès technique due au faible nombre d’entreprises innovantes et à la contraction de l’industrie, disparition qui ne peut pas être corrigée par le biais de la politique monétaire.
La productivité du travail stagne, tandis que celle de l’ensemble travail et capital recule. Aujourd’hui, la question de la compétitivité des entreprises est essentiellement traitée au plan national. La France doit agir, mais l’Union européenne a un rôle majeur à jouer en la matière.
Elle doit s’efforcer d’améliorer la compétitivité-prix des entreprises européennes et de favoriser la constitution d’entreprises performantes sur la scène internationale, notamment dans les secteurs d’avenir où l’innovation permet de lutter sur un terrain concurrentiel.
Le rôle de la France est bien de renforcer l’intégration européenne, un renforcement dont la crise a mis en lumière la nécessité : c’est la seule issue. Notre pays doit être à l’initiative du recours à un traité intergouvernemental unique, qui aurait pour objet de consolider les traités internationaux actuels.
Cette voie intergouvernementale peut et doit former autour de l’euro un ensemble homogène regroupant une dizaine de pays contractants dotés des mêmes règles budgétaires et fiscales.
Le mécanisme de l’Europe a été disloqué avec le « non » français au référendum de 2005. Pour autant, les sondages l’attestent, une grande majorité de nos compatriotes ne veulent en aucun cas abandonner l’euro. Aussi, nous devons nous appuyer sur le soutien de l’opinion pour retrouver le fil du projet européen initial avec ceux qui, parmi nos voisins, le veulent bien.
Aujourd'hui, le rôle de la France est de réparer le mécanisme qui a été cassé voilà neuf ans. Notre pays peut avoir un rôle moteur – et, plus que jamais, il doit l’avoir ! – dans une démarche audacieuse et courageuse. Le devenir de notre économie et de la zone euro appelle à un courage équivalent à celui dont ont fait preuve les pères fondateurs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Bailly.
M. Dominique Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une relance de l’Europe ne peut se concevoir sans renforcer la dimension sociale de celle-ci.
Depuis un an et demi, le FMI, l’OCDE, les institutions européennes et, maintenant, le G 20 reconnaissent officiellement la nécessité de procéder à un rééquilibrage, notamment social, des objectifs de la zone euro.
Toutes les dernières analyses le montrent, mener des politiques d’ajustement budgétaire sans engager de politiques de soutien à la croissance fragilise la zone euro.
Sous l’impulsion de François Hollande, la France travaille depuis le mois de juin 2012…
M. Éric Doligé. Eh bien !
M. Dominique Bailly. Tout à fait, mon cher collègue !
Elle travaille donc à réorienter les politiques européennes, comme en attestent les batailles gagnées dans le cadre de la lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, l’union bancaire, les travailleurs détachés, ou encore la « garantie jeunes », un sujet sur lequel je reviendrai.
Je me félicite de la prise de conscience qui semble s’opérer – lentement peut-être ! – en la matière, comme le prouvent les positions récentes du gouvernement allemand et de la nouvelle Commission européenne.
Ces déclarations sont d’importance à l’heure où, selon une récente publication d’Eurostat, plus de 120 millions de personnes, soit près de 25 % de la population européenne, étaient menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2013. Mettons donc – enfin ! – en œuvre la « clause sociale horizontale », à savoir l’article 9 du traité de Lisbonne.
Force est de le constater, l’Union européenne est loin d’avoir respecté ses engagements sociaux. Or le traité de Lisbonne offre pourtant des possibilités politiques, qui ne sont malheureusement pas encore exploitées.
Il est primordial de dépasser le stade de la coordination – coordonner, toujours coordonner ! – et de mettre en place une aide aux États membres en matière de politique sociale. Voilà ce qui est essentiel !
Par ailleurs, il est nécessaire de donner une force contraignante aux objectifs sociaux.
Enfin, la dimension sociale doit s’entendre de manière transversale : elle doit être intégrée à toutes les initiatives européennes.
Oui, l’Europe a la responsabilité de définir un socle commun de droits sociaux. Minima sociaux pour tous, sécurisation de la mobilité professionnelle, portabilité des droits sociaux, poursuite de la lutte contre le dumping social, pérennisation de la « garantie jeunes », assurance chômage européenne : tels sont les chantiers à poursuivre, monsieur le ministre, et je sais que telle est votre intention. L’Europe sociale doit être le ciment du projet européen !
Permettez-moi de m’attarder plus particulièrement un instant sur deux points : la garantie pour la jeunesse et la nécessité de développer une assurance chômage européenne.
En 2013, tous les dirigeants européens ont fait de la lutte contre le chômage des jeunes une priorité et ont adopté le mécanisme de la garantie pour la jeunesse. Je me félicite de la position défendue par la France et par l’Italie lors du dernier sommet pour l’emploi, prônant la pérennisation du dispositif et sa montée en puissance jusqu’en 2020, pour atteindre in fine des investissements dédiés à la lutte contre le chômage des jeunes à hauteur de 20 milliards d’euros.
Les initiatives lancées en 2013 doivent en effet constituer le début de l’engagement de l’Union européenne dans ce domaine et non une fin en soi.
Mais – il y a toujours un « mais » ! –, les objectifs ne pourront être atteints que si la mise en œuvre de ce dispositif est rapide – très rapide même ! – et efficace.
Aujourd’hui, seuls trois programmes, dont celui de la France, ont commencé. Bien que l’enveloppe dédiée à la garantie pour la jeunesse atteigne 6 milliards d’euros pour la période 2014-2020, elle peine à être distribuée.
En effet, le système de préfinancement est fixé à 1 %, selon le modèle appliqué aux fonds structurels, ce qui oblige les États membres à avancer les fonds. Or, en période de déficit, cette mesure limite l’efficacité immédiate du programme.
La garantie pour la jeunesse doit être une priorité de la Commission européenne. Il faut mettre fin à la lourdeur administrative, alléger les procédures et créer – pourquoi pas ? – des fonds de proximité ad hoc pour en faciliter le financement.
J’en viens maintenant à l’assurance chômage.
Dans un rapport d’information du mois de décembre 2013, j’ai défendu la nécessité de développer la dimension sociale de l’Union européenne via la mise en œuvre d’un budget spécifique pour la zone euro et d’un dispositif d’assurance chômage européenne.
En effet, une assurance chômage européenne concourrait à remplir l’objectif de stabilisation macro-économique dévolu à la capacité budgétaire de la zone euro, les dépenses liées au chômage étant, on le sait, particulièrement cycliques. Elle contribuerait également à réduire la tendance à faire des politiques sociales les variables d’ajustement des efforts macro-économiques en cas de choc asymétrique. Enfin, elle offrirait – politiquement, c’est important ! – une visibilité forte aux citoyens européens, qui percevraient immédiatement les avantages sociaux de la zone euro. Un tel mécanisme permettrait d’assouplir, j’en suis convaincu, les contraintes budgétaires européennes des États membres.
D’ailleurs, cette proposition trouve en ce moment même un écho auprès du Parlement européen.
Mes chers collègues, le résultat des élections européennes le prouve, la construction européenne doit regagner en légitimité et en crédibilité. Or cela ne sera possible qu’en menant des actions concrètes susceptibles d’apporter des réponses là aussi concrètes aux difficultés rencontrées quotidiennement par les citoyens européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’action de la France pour la relance économique de la zone euro s’inscrit dans un contexte de crise économique doublée d’une crise des dettes souveraines qui touche notamment la dette de la France.
Notre responsabilité, collective, est de renouer avec la croissance, la compétitivité et l’emploi. Pour cela, nous devons avoir le courage d’assainir nos finances publiques et de mener à bien les réformes structurelles dont notre pays a besoin.
La France reste la cinquième puissance économique du monde ; elle est scrutée, copiée, enviée. Pourtant, elle dérape, et ses indicateurs économiques sont à la traîne.
Dans un récent avis du Conseil économique, social et environnemental, Isabelle de Kerviller écrit ceci : « Notre pays présente un environnement de qualité pour l’activité économique en raison de sa place au cœur de l’Europe, de ses infrastructures, de ses services publics, de sa démographie et du niveau de qualification de sa main-d’œuvre. Par contre, la formation, l’attention que la France accorde à son industrie et la situation de ses finances publiques constituent des sujets de préoccupations. »
Sans doute, vendredi dernier, les chiffres de l’INSEE ont fait apparaître une croissance du PIB de la France de 0,3 % au troisième trimestre, un résultat pour une fois meilleur à celui de l’Allemagne qui n’est que de 0,1 %. C’est plutôt une bonne nouvelle, mais je me garderai bien de tout excès de triomphalisme.
En effet, à regarder ces données de plus près, on constate une progression des exportations moins forte que celle des importations, ainsi qu’un recul de 0,6 % de l’investissement. Encore une fois, c’est la consommation qui sauve la croissance. Quant au taux de chômage de notre pays, il avoisine les 10,4 % de la population active.
À cet égard, un récent rapport de la Commission européenne désigne les trois pays de la zone euro qui, depuis 2007, ont détruit le plus grand nombre d’emplois industriels : la France en fait partie, tandis que, au cours de la même période, l’Allemagne a su créer 60 000 emplois de cette nature. En 2013, l’industrie représentait 21,8 % de la valeur ajoutée outre-Rhin, contre seulement 10,2 % dans l’Hexagone.
Or il reste vrai que, sans un socle industriel large et puissant, il est difficile pour un pays de se maintenir à un rang économique honorable. Comme l’écrit Jean-Louis Levet dans son livre Pas d’avenir sans industrie, « l’industrie, c’est le moteur de la croissance. Certes, la croissance ne fait pas automatiquement le bonheur... Pour autant, elle en constitue un moyen indispensable. »
Plusieurs obstacles doivent être levés pour permettre à la France de renouer avec la croissance. J’insisterai sur quatre leviers d’action : diminuer la dépense publique, adapter le fonctionnement du marché du travail, réformer la fiscalité et respecter nos engagements européens.
Pour ce qui concerne la diminution de la dépense publique, le Gouvernement a annoncé 21 milliards d’euros d’économies en 2015 et un objectif de 50 milliards d’euros d’économies d’ici à 2017. La discussion du projet de loi de finances pour 2015, qui doit s’ouvrir demain devant notre assemblée, nous permettra d’aborder plus longuement cette question ; aussi n’en dirai-je pas davantage cet après-midi.
Nous devons aussi adapter le fonctionnement de notre marché du travail. Tout à l’heure, s’exprimant devant la commission des affaires économiques, le prix Nobel Jean Tirole a expliqué que l’Europe du Nord avait compris la nécessité de protéger les salariés et non, comme nous le faisons en France, les emplois. Je crois que nous devons avoir le courage de réformer dans cet esprit le code du travail, qui est ancien, compliqué et auquel on ajoute des dispositions supplémentaires sans jamais en supprimer.
L’enjeu de la réforme de la fiscalité se pose à l’échelon de la zone euro.
La fiscalité française est néfaste à la croissance. Ainsi, le taux des prélèvements obligatoires en France est parmi les plus élevés au monde : de 45 % du PIB en 2012, il devait atteindre 46 % l’année suivante, selon les prévisions. En outre, le poids des prélèvements sur le travail, qui s’établissait à 23,4 % du PIB en 2012, est le plus important des grands pays européens.
Le poids de la fiscalité freine la capacité des entreprises à investir et à exporter. Imaginez, mes chers collègues, que, hors cotisations sociales, les impôts sur la production prélevés sur les entreprises françaises sont supérieurs de 65 milliards d’euros à ceux qui sont prélevés sur les entreprises allemandes, selon un rapport de l’OCDE de 2014 !
Enfin, nous devons respecter nos engagements européens. Afin de consolider la zone euro, les pays membres doivent trouver un terrain d’accord. En particulier, il est indispensable de sauver le couple franco-allemand, qui reste la clé de la relance de la zone euro.
À politique inchangée, la France accusera, en 2016, le déficit le plus élevé de toute la zone euro. À la vérité, le Gouvernement s’est trompé. Il a voulu réduire le déficit public en augmentant les impôts pour faire baisser le chômage. Résultat : on a cassé la croissance, sans diminuer le déficit. Certes, le résumé est un peu rapide, mais il exprime bien la réalité aujourd’hui.
Je ne vois pas comment la zone euro pourrait avancer si la France, qui fait partie de ses plus grands pays, ne respecte pas ses engagements.
J’ajoute que nous ne pouvons pas continuer à produire toujours davantage de règles et de normes qui alourdissent et freinent l’action économique ; cette remarque vaut pour le droit du travail, la fiscalité et la sphère environnementale.
Mes chers collègues, l’Europe est une chance pour notre pays et pour notre économie. De cette volonté politique, la zone euro est la traduction la plus avancée ; la France doit continuer de jouer un rôle majeur dans sa construction. Si nous voulons que les populations s’approprient ce projet, nous devons aller plus loin dans les domaines social, fiscal, environnemental et normatif, en mettant en œuvre, sur le modèle de la politique de l’euro, une véritable politique de suppression des distorsions entre les pays.
Au lendemain de la réussite historique de la mission Rosetta, l’heure n’est pas à la désespérance ni au pessimisme.
M. François Marc. Très bien !
M. Daniel Gremillet. Seulement, monsieur le ministre, nous avons besoin d’un cap, d’une ligne directrice stable et crédible. Nous devons redoubler d’efforts de dialogue et de partage avec les autres pays de la zone euro, pour redonner à l’Europe un sens politique qui soit partagé par nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis soixante ans, la France a fait le choix de l’Europe ; voilà quarante ans qu’elle en a fait son ambition. Elle y joue d’une certaine façon son influence, peut-être même son existence en tant que grande nation. C’est à travers l’Europe qu’elle conçoit son avenir politique et ses valeurs.
Elle n’en est que plus sensible à la situation dans laquelle l’Europe se trouve : de fait, l’Union européenne, particulièrement la zone euro, qui est sa pointe avancée, sont en panne, politiquement et économiquement. Cette situation nous conduit à nous interroger d’autant plus que nous ne pouvons pas ne pas mettre en relation les difficultés que nous rencontrons pour aller plus loin dans l’intégration européenne et celles que nous rencontrons pour relancer l’activité économique. En vérité, c’est très probablement parce que les responsables ne parviennent pas à articuler ces deux problèmes que nous nous heurtons aux difficultés actuelles.
L’histoire de la zone euro est marquée par une série d’erreurs d’appréciation – il est évidemment plus facile de les apercevoir rétrospectivement. Ainsi, ceux qui ont fondé cette zone ont pensé que l’uniformisation des marchés financiers et des taux d’intérêt permettrait d’égaliser les conditions du développement ; malheureusement, elle a plutôt favorisé la spéculation, notamment immobilière.
Ils pensaient aussi que le rapprochement des économies assurerait un développement équilibré des industries et une convergence des structures économiques. Nous savons que le contraire s’est produit, l’activité industrielle se polarisant au bénéfice de certaines régions et de certains États.
En d’autres termes, le processus dans lequel nous étions engagés n’a pas atteint les objectifs que nous en attendions. La crise est, pour une part, la conséquence de cette situation.
Du reste, tous ceux qui s’exprimaient sur le sujet voilà quelques années en étaient parfaitement conscients – il faut croire que l’urgence aiguise la lucidité –, puisqu’ils reconnaissaient que c’était un défaut de coordination et d’intégration qui expliquait le doute qui s’était installé dans les esprits sur la capacité de l’Union européenne et de la zone euro à répondre aux défis financiers et monétaires qu’elles avaient à relever. Pourtant, après qu’eurent été mises en place l’union budgétaire et l’union bancaire, qui certes ne sont pas rien, aucune nouvelle initiative n’est intervenue en matière d’intégration.
Comment ne pas voir une relation de cause à effet entre notre incapacité à avancer de manière suffisamment offensive sur le plan politique et une partie, sinon l’essentiel, de nos difficultés actuelles ?
Comment aussi ne pas comprendre l’attitude de l’Allemagne, en particulier sa méfiance actuelle envers de nouvelles évolutions, eu égard à la défiance que lui inspirent ceux qui sont normalement ses partenaires, et auxquels elle veut imposer des règlements qui sont autant de corsets que les opinions publiques et les peuples ne peuvent plus accepter ?
N’aurions-nous alors le choix qu’entre une Europe punitive et une Europe passive ? Il me semble, monsieur le ministre, qu’il faut sortir de cette alternative impossible, et que là est peut-être le rôle de la France.
En vérité, c’est la relance politique qui permettra la relance économique ! Chaque fois que, dans l’histoire de l’Europe, qui est étroitement liée à celle de la France, nous avons été confrontés à des difficultés, notre pays a pris l’initiative d’une relance politique ; il l’a fait à l’époque de Valéry Giscard d’Estaing et d’Helmut Schmidt, puis, à plusieurs reprises, sous la présidence de François Mitterrand, vis-à-vis de la Grande-Bretagne et vis-à-vis de l’Allemagne. Il doit le faire encore aujourd’hui.
C’est à la France de mettre sur la table, non seulement un plan de relance de l’activité économique, qui est indispensable, mais aussi un plan de relance politique de la zone euro, sans lequel nous n’arriverons pas à entraîner nos partenaires, ni à apporter des solutions durables aux dysfonctionnements de la zone euro et aux écarts structurels qui séparent nos économies.
En d’autres termes, il faut que nous mettions sur la table publiquement, et non pas simplement lors d’une négociation menée entre dirigeants à l’occasion de sommets, des propositions visant à la mise en place d’un fonds d’investissement destiné à soutenir l’activité, ainsi qu’à la consolidation politique de la zone euro autour d’objectifs qui doivent être acceptés par tous, en ce qui concerne non seulement l’endettement et le déficit, bien sûr, mais aussi la croissance et l’emploi.
C’est ainsi que nous pourrons à la fois redonner confiance aux opinions publiques, recréer de l’activité pour créer de l’emploi, ce qui est la clé de la confiance dans l’Europe, et assurer l’avenir de l’Union européenne, singulièrement celui de la zone euro. Mes chers collègues, je le répète : c’est la relance politique qui déterminera la relance économique !
J’entends bien que M. Juncker nous propose un plan de 300 milliards d’euros ; celui-ci peut paraître important et intéressant, et en effet il peut être utile, mais il est trop limité dans ses ambitions. Souhaitons qu’il soit mis en place rapidement, mais souhaitons aussi que nos gouvernements, et d’abord le Gouvernement français, sous l’impulsion du Président de la République, trouvent l’énergie et la volonté de proposer aux peuples européens un pas en avant dans le sens de l’intégration politique et démocratique, au service de la croissance et de l’emploi. Remarquez que je parle d’intégration démocratique : en effet, il n’est pas question que les parlements soient tenus à l’écart de cette évolution.
Je souhaite, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous empruntions ce chemin, pour assurer un avenir à l’euro en faveur duquel nous avons fait un choix décisif voilà quelques années. Cet avenir n’est pas seulement celui des technocrates, des experts et des financiers ; il est celui de nos économies, de notre industrie et de nos emplois, et par conséquent de notre démocratie.
L’avenir de la France passe sans doute par l’Europe, mais, si nous voulons que l’Europe lui permette de se réaliser, nous devons retrouver une ambition pour elle. La France sera de nouveau digne d’elle-même si elle propose à ses partenaires un chemin plus ambitieux que celui qu’elle a choisi d’emprunter aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur celles du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, avec l’accord de tous les groupes, je vous propose d’aller au-delà de l’espace réservé au groupe socialiste, sans que ce léger dépassement soit regardé comme un précédent, car nous croyons tous essentiel d’entendre la réponse du ministre.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite d’avoir la possibilité de vous répondre et de vous exposer la position du Gouvernement sur la situation actuelle de la France au sein de l’Europe, qui est la zone dans laquelle nous avons choisi, d’un commun accord, de développer nos possibilités et de concevoir notre avenir.
Cher Richard Yung, je vous remercie d’avoir souhaité ce débat, qui se situe au cœur de l’actualité avec, d’une part, les difficultés que nous connaissons en France et en Europe, et, d’autre part, les discussions en cours au niveau européen. Ces dernières doivent déboucher, vers la fin du mois de décembre, sur des propositions dynamiques et efficaces – c'est du moins l’espoir que nous nourrissons tous.
En effet, l'Europe fait face à un risque économique majeur. Il ne s’agit plus de la crise des marchés financiers que nous avons connue en 2008, ni de celle des dettes souveraines et de la zone euro que nous avons affrontée à partir de 2010.
Non, nous faisons face ici à une autre menace, menace que peu d’observateurs avaient anticipée jusqu’à ces derniers mois, et qui est pourtant bien là : je veux parler d’une croissance beaucoup trop faible, couplée à une inflation elle-même beaucoup trop faible, et du risque que cette situation ne s’installe dans une durée beaucoup trop longue. Cela aurait des effets désastreux, avec un chômage qui s’enracinerait – ici comme ailleurs – et un tissu économique et social qui continuerait à se déliter.
On cite souvent le Japon, qui, entré dans une spirale de ce type dans les années quatre-vingt-dix, a beaucoup de peine à en sortir – je dirais même qu’il n'en sort toujours pas. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
L’Europe devra-t-elle subir le même sort ? Faut-il seulement accepter qu’elle en coure le risque ? Évidemment, la réponse est non ! Car la première leçon de l’expérience japonaise, c’est que, au moment où l’on se rend compte de cette situation, il est déjà trop tard. Il nous faut donc agir immédiatement – il y a urgence ! – pour éviter de tomber dans cette spirale, en utilisant tous les leviers dont nous-mêmes et l'Europe disposons.
C’est une réponse en cinq axes que la France appelle de ses vœux, une réponse cohérente pour permettre à l’Europe de sortir par le haut de la crise actuelle : la politique monétaire doit être accommodante ; la politique budgétaire doit assurer la poursuite du redressement budgétaire sans étouffer la croissance ; les réformes de structure doivent nous permettre d’augmenter nos perspectives de croissance à moyen terme ; le plan d’investissement européen est appelé à constituer une réponse à court terme mais aussi à moyen terme ; enfin, comme cela vient d'être souligné, il nous revient de tracer un cadre européen rénové au vu des enseignements du passé.
Premier axe, la politique monétaire : avec un taux de 0,4 % en octobre, l’inflation en zone euro s’inscrit durablement dans une dynamique très inférieure à la cible de 2 % fixée par la Banque centrale européenne, et elle ne devrait pas approcher cet objectif avant 2017.
Beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, la Banque centrale européenne, prenant la mesure de la situation, a annoncé en juin et en septembre des mesures sans précédent, avec de nouveaux achats d’actifs et une nouvelle séquence de prêts ciblés aux banques. Si ces annonces ont largement contribué à la détente du cours de l’euro depuis l’été, leur mise en œuvre n’agira que graduellement sur l’inflation et l’offre de crédits.
Deuxième axe, la politique budgétaire : la défiance des investisseurs au cœur de la crise des dettes souveraines a conduit les États à se lancer à partir de 2010 dans une consolidation massive et prolongée de leurs finances publiques. Si nécessaire qu’elle ait été pour restaurer la confiance et éviter la dislocation de la zone euro, cette opération – en particulier son caractère simultané dans la plupart des pays – a lourdement pesé sur la croissance. La Commission européenne l’a elle-même reconnu en évaluant la perte d’activité résultant de trois années de consolidation simultanée des comptes publics, de 2010 à 2013, entre 3 % et 8 % du PIB selon les États, avec 5 % pour la France.
Nous devons bien sûr poursuivre l’assainissement de nos finances publiques. Mais nous devons aussi éviter que le spectre d’une « troisième crise », conjonction d’une période prolongée de faible croissance et d’une inflation anormalement basse, ne se matérialise. À Brisbane, le week-end dernier, nos partenaires du G20 nous ont appelés à réagir, et Jack Lew, le ministre des finances américain, s’est publiquement inquiété du risque d’une « décennie perdue » en Europe.
La réponse réside dans une application intelligente de nos règles, en usant de leur flexibilité, qui assure justement leur adéquation à des situations variées et contribue donc à leur crédibilité.
Au-delà de ces enjeux de très court terme, il nous faut donc adapter le cadre de gouvernance budgétaire, notre logiciel commun, qui ne doit plus être le logiciel de prévention du risque d’éclatement de la zone euro, mais un logiciel garant d’une croissance durablement équilibrée.
J’en viens au troisième axe, ce levier absolument indispensable que constituent les réformes de structure. Sous ce vocable, je ne désigne pas je ne sais quelles injonctions néolibérales : j’entends parler ici de réformes en profondeur des mécanismes de l’économie afin d’augmenter les possibilités de croissance pour l’avenir.
M. François Marc. Très bien !
M. Michel Sapin, ministre. Certains d’entre vous ont cité, à juste titre, l’accord national interprofessionnel sur l’emploi de 2012. Transcrit dans une loi, il constitue une réforme de structure évidente. (Marques de scepticisme sur quelques travées de l'UMP.)
Ces réformes de structure sont, elles aussi, discutées entre Européens – et elles doivent l’être. Mais nous devons accorder autant d’attention à ce que nous faisons pour créer les conditions d’une croissance plus forte qu’à ce que nous faisons aujourd'hui pour réduire nos déficits.
M. François Marc. Très bien ! !
M. Michel Sapin, ministre. Une monnaie commune crée des interdépendances et des intérêts communs. C’est vrai en matière budgétaire, certes, mais c’est tout aussi vrai des autres politiques économiques.
Je souhaite donc qu’il y ait plus de discussions et de coordination sur les orientations politiques des réformes, sur leur mise en œuvre effective et sur l’évaluation de leur impact, et ce pour chaque pays ainsi que pour la zone euro dans son ensemble. Pour prendre un exemple, le mois dernier, l’OCDE a estimé que les réformes déjà engagées ou annoncées en France pourraient permettre, sur dix ans, une augmentation de la croissance potentielle – c’est-à-dire, la croissance de demain – de l’ordre de 0,4 point de PIB par an.
Les réformes que nous menons sont aussi essentielles que les améliorations budgétaires. Il faut d’ailleurs que la Commission, lorsqu’elle quantifie les efforts budgétaires recommandés à chaque pays, prenne non seulement en compte les effets de l’inflation et de la croissance, mais aussi, pour évaluer le potentiel de croissance, l’impact réel des réformes de structure.
Quatrième axe, le plan européen d’investissement dit « plan Juncker ». On constate aujourd’hui un manque cruel d’investissements en Europe. Que chacun garde bien ce chiffre en tête : aujourd'hui, dans la zone euro, l’investissement public et privé est inférieur de 16 % à ce qu’il était en 2007, avant la crise. Dans de nombreux pays – bien entendu en France, mais aussi en Allemagne –, la faiblesse de l’investissement est l’un des principaux éléments expliquant la faiblesse de la croissance et de la demande. C’est une menace non seulement immédiate, pour la croissance d’aujourd’hui, mais aussi différée, pour les perspectives de croissance de demain.
L’investissement, c’est en quelque sorte ce qui réconcilie offre et demande, ce qui réconcilie court terme et long terme. Le plan Juncker doit comporter un volet à court terme comprenant des projets qui puissent démarrer tout de suite, dès 2015. Mais, pour l’essentiel, les effets de ce plan ne se feront sentir que sur le moyen terme. Nous souhaitons que soient prioritairement concernés des secteurs aussi cruciaux et porteurs de croissance que, par exemple, l'économie numérique, les infrastructures énergétiques, les infrastructures de transport – là où elles peuvent encore manquer –, la transition énergétique, le tout en portant une attention toute particulière au tissu des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire.
Concernant le volet financier de ce plan d’investissement, une articulation doit être trouvée entre financements publics et financements privés. Il ne faut pas les opposer, bien au contraire : l’intervention publique doit débloquer des projets, attirer des capitaux privés en prenant une part du risque et donner une perspective de temps plus long, quand les investisseurs privés sont parfois affectés d’une certaine myopie.
Pour cela, il ne faudra pas oublier de recourir à des actions de nature réglementaire.
Mais il est aussi besoin de ressources publiques, et, pour une initiative réellement ambitieuse, il sera nécessaire d’en mobiliser de nouvelles. Il faudra mieux utiliser le budget européen, les fonds structurels, mais je suis favorable à une réflexion sur l’utilisation d’autres outils de l’Union européenne dotés d’une capacité d’emprunt.
J’en arrive, enfin, au cinquième axe : nous devons nous placer dans des perspectives d’intégration pour donner cet avenir, ce devenir politique nécessaire à l'Europe que nous voulons.
Notre projet, certes, c'est l'Europe. Ce n’est pas seulement une question de projet politique, c'est aussi un enjeu économique de court terme : tracer une perspective pour le projet européen, c'est contribuer à redonner confiance dans ce projet, et donc à soutenir la reprise.
À cet égard, je souhaiterais insister sur l’existence de deux chantiers immédiats pour la nouvelle Commission européenne.
Le premier chantier concerne l’harmonisation fiscale. (M. Richard Yung acquiesce.) Vous savez que j’ai l’ambition, d’ici à la fin de l’année, de franchir une première étape pour la taxe sur les transactions financières européenne. Cette dernière sera non seulement un outil de lutte contre la spéculation, mais aussi la preuve qu’en matière fiscale des avancées, des coopérations renforcées sont possibles, malgré, par ailleurs, la règle dite « de l’unanimité ».
M. François Marc. Il y a en effet le Luxembourg…
M. Michel Sapin, ministre. Je fais confiance à la nouvelle Commission européenne pour porter cette ambition.
Un premier travail doit être lancé tout de suite, celui de la lutte contre l’optimisation fiscale des entreprises. À cet égard, je voudrais que la Commission formule très rapidement des propositions pour intégrer dans la législation de l'Union européenne l’ensemble des principes de l’agenda de travail de l’OCDE portant sur le sujet, connu sous l’acronyme « BEPS », pour base erosion and profit shifting, que ce soit en matière de transparence, d’imposition minimale des entreprises ou de pratiques dommageables.
Le second chantier est celui de l’intégration dans le secteur financier, avec l’union des marchés de capitaux, qui entraînera également une indispensable harmonisation fiscale.
Monsieur le président, en conclusion, et pour respecter les termes de notre contrat (Sourires.), je voudrais rappeler que notre politique économique est cohérente avec notre vision européenne. Contrairement au procès que certains ont voulu nous faire, il ne s’agit pas de demander à l’Europe plus de souplesse pour parer à une quelconque insuffisance des efforts nationaux, singulièrement en France. Nous avons trouvé des déficits creusés, et nous les réduisons. Depuis 2013, nous faisons ralentir la dépense publique comme cela ne s'est jamais vu en quinze ans. Enfin, nous menons des réformes que d’autres n’ont pas menées en dix ans, notamment pour restaurer la compétitivité de nos entreprises.
Mais nous devons être lucides sur la croissance européenne et sur les risques. Il est de notre responsabilité collective, aujourd’hui, d’appeler à une mobilisation de l’ensemble des leviers de croissance. Cela passe par une politique monétaire accommodante, une adaptation du rythme de consolidation budgétaire, un plan d’investissement ambitieux et des réformes qui assureront la croissance de demain. C’est ce que j’appelle, monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, prendre nos responsabilités, pour la France et pour l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’action de la France pour la relance économique de la zone euro.
6
Prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote
Discussion d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles (proposition n° 802 rectifié [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 89, rapport n° 88, avis n° 85).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi.
Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, la mobilité est aujourd'hui un droit à protéger, un besoin presque aussi primordial que de se nourrir ou d’avoir un toit, mais elle ne doit pas se faire à n’importe quel prix, et surtout pas au prix de notre santé et de celle de nos enfants. S’il y a plusieurs manières de circuler ou de concevoir un moteur, il n’y a qu’une façon de respirer !
Notre groupe vous donc a proposé au printemps dernier une proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé. Je remercie celles et ceux d’entre vous qui ont activement pris part au débat auquel elle a donné lieu en commission et celles et ceux qui nous ont sollicités et nous ont fait part de leurs remarques, toujours constructives. Ces éléments m’ont amenée à déposer en septembre une nouvelle version du texte, retravaillée à la lumière de nos échanges et de ceux que j’ai pu avoir avec les différents acteurs du secteur.
C’est cette nouvelle version de la proposition de loi que nous examinons ce soir, relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote, ou NOx, et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles. Le dispositif a été largement revu. En outre, toujours dans le souci de prendre en compte vos remarques, j’ai déposé deux amendements supplémentaires, visant respectivement l’article 1er, qu’il s’agit de réécrire complètement, et l’article 3 ; j’aurai l’occasion de vous les détailler dans la suite de mon propos.
Tout cela prouve bien, s’il en était besoin, que notre groupe n’est ni obtus ni intransigeant. Nous sommes au contraire à l’écoute et prêts à accepter les remarques et les propositions, pourvu qu’on aille dans le bon sens. Notre objectif à tous est un objectif de fin et non de moyens. Ce qui nous importe, au bout du compte, n’est pas de nous arc-bouter sur notre idée initiale, mais de lutter contre le drame sanitaire des particules fines émises notamment par les moteurs diesel.
Le long combat des écologistes, dans toute leur diversité, contre la pollution de l’air, a donné et donne encore parfois lieu à un débat très animé.
Longtemps, ce débat a tourné autour de la question de savoir si le diesel était ou non dangereux. En 1988, les gaz d’échappement des moteurs diesel n’étaient classés que comme des « cancérigènes probables » par l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS ; il n’y avait pas de certitude. Cependant, en juin 2012, le Centre international de recherche sur le cancer – une agence de l’OMS chargée d’évaluer les substances cancérigènes pour l’homme qu’elle classe en cinq catégories – a rangé les particules fines dans la première catégorie, celle qui regroupe les substances les plus dangereuses et dont il est prouvé qu’elles sont des « cancérigènes certains » pour l’homme.
La seule incertitude porte désormais, hélas, sur le nombre de morts prématurées que causent chaque année les particules fines. Des études – encore trop peu nombreuses – ont été réalisées. Le nombre annuel de morts prématurées en France serait compris entre 15 000, selon le résultat, que l’on sait sous-estimé, de l’Institut de veille sanitaire, et 42 000, selon l’autre résultat, que l’on sait surestimé, de la Commission européenne ; ces deux études ont été publiées en 2012. Même s’il n’y avait « que » 15 000 morts prématurées par an, cela représenterait quatre fois le nombre de morts sur la route, qui s’élève à environ 3 600. C’est énorme !
Reconnus responsables de cancers du poumon par l’OMS, les gaz d’échappement des moteurs diesel sont également à l’origine d’autres pathologies pulmonaires, comme certaines formes très sévères d’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive, la BPCO. C’est que les particules entrent dans les poumons, et, plus elles sont fines, plus elles pénètrent profondément… Les particules très fines peuvent également passer à travers la paroi des bronches et entraver la circulation sanguine, ce qui favorise les accidents cardiovasculaires.
L’argument principal des partisans du diesel est que, après tout, les moteurs diesel ne sont pas les seuls à émettre des particules fines ; ils ne mériteraient donc pas cette forme d’acharnement. C’est vrai, la combustion du diesel n’est pas la seule source de production de particules fines : le chauffage, les industries et l’agriculture en produisent également ; il faudra que les politiques publiques se mobilisent contre ces sources de pollution de l’air.
Néanmoins, dans les grandes agglomérations, la part du trafic routier dans l’émission des particules fines est prépondérante ; les études sont convergentes en la matière. Toutes les mesures de qualité de l’air démontrent d'ailleurs que les niveaux de pollution augmentent à mesure que l’on se rapproche des axes de circulation. En Île-de-France, 51 % des émissions de particules fines sont imputables au trafic automobile. D’autres études internationales établissent clairement et objectivement cette corrélation.
On nous a rétorqué que le respect des normes européennes nous protégeait. Oui, il devrait nous protéger. L’Union européenne a fixé une valeur limite de 50 milligrammes de particules fines par mètre cube d’air, qui ne doit pas être dépassée plus de trente-cinq jours par an. Cependant, la réalité, c’est que trois millions de Franciliens, par exemple, habitent dans des zones où il n’est pas rare de dépasser cette valeur limite plus de deux cents jours par an. Or – les médecins nous alertent à ce sujet – ce ne sont pas seulement les pics de pollution qui posent problème, mais aussi, et peut-être même plus encore, les longues périodes durant lesquelles ce que l’on appelle la « pollution de fond » dépasse la valeur limite.
En France, quinze zones, dont douze agglomérations de plus de 100 000 habitants, seraient ainsi exposées à des dépassements réguliers de la valeur limite, ce qui vaut à la France d’encourir une amende importante dans le cadre de poursuites engagées par la Commission européenne. L’étude la plus récente – l’étude Aphekom – a conclu à une diminution de 3,6 à 7,5 mois de l’espérance de vie à 30 ans pour les habitants des grandes villes françaises concernées.
Récemment, un nouvel argument est apparu : tous ces constats seraient fondés, mais, heureusement, grâce aux filtres à particules dont sont équipés les nouveaux véhicules diesel, le problème n’en serait plus un.
Certes, un véhicule équipé d’un filtre diffuse moins de particules que s’il n’en avait pas, mais l’argumentation des constructeurs, qui vont parfois jusqu’à affirmer que le problème des particules est désormais réglé en raison de l’efficacité des filtres, est totalement fallacieuse.
D’abord, s’ils émettent moins de particules, les véhicules dotés de filtres émettent en revanche davantage de NOx, qui sont tout aussi nocifs.
Ensuite, de plus en plus de spécialistes s’accordent à dire que les cycles de conduite qui servent de référence aux tests d’homologation des véhicules ne sont absolument pas représentatifs des conditions réelles de circulation et ne permettent donc pas du tout de rendre compte de la réalité des émissions polluantes.
Enfin, les filtres n’arrêtent pas les particules les plus fines, qui sont aussi les plus dangereuses au plan sanitaire, car elles pénètrent plus profondément dans les tissus, ni les composés organiques volatils, qui, une fois dans l’air, s’agglomèrent pour reformer des particules fines secondaires, que les tests d’homologation ne prennent pas en compte, puisque la reformation a lieu plusieurs mètres derrière le véhicule.
À cet égard, et il faut en prendre conscience, la méthodologie des tests d’émission est une question centrale : on ne peut trouver que ce que l’on cherche ! Si les tests sont conçus pour ne pas mesurer la pollution aux endroits et dans les conditions où l’on trouve les polluants, il devient aisé de prétendre que le diesel ne pollue pas !
On voit bien qu’il y a un important travail de recherche technique à réaliser pour objectiver les phénomènes et s’assurer que la définition des normes et des méthodes de mesure concoure à révéler la pollution, et non à l’escamoter.
La vraie question, c’est de savoir qui est chargé de la recherche. Lors de nos auditions, nous nous sommes rendu compte que, pour l’instant, ce sont tout simplement les constructeurs automobiles eux-mêmes et leurs sous-traitants...
Mes chers collègues, je vous invite à aller sur le site de l’Union technique de l’automobile, du motocycle et du cycle, l’UTAC, qui se définit elle-même comme le partenaire privilégié des industriels tournés vers la compétitivité. On peut, par exemple, lire que cette entreprise, l’une des rares références techniques en la matière, participe par ailleurs activement à l’élaboration et à l’évolution des règlementations nationales et internationales applicables aux véhicules en matière d’émissions polluantes !
On voit bien qu’il y a là un problème à régler. Face à un problème sanitaire extrêmement préoccupant, un véritable scandale, la seule expertise disponible est directement liée aux industriels. Les pouvoirs publics n’ont en effet pas encore développé de recherche indépendante dans ce domaine. Il n’est cependant pas possible d’être à la fois juge et partie. L’article 2 de la proposition de loi vise à remédier à cette situation.
Une autre critique nous est parfois adressée : nous en voudrions aux classes populaires, auxquelles le diesel procurerait une solution bon marché pour se déplacer. En réalité, contrairement à ce que beaucoup pensent, les moteurs diesel sont plus chers à l’achat et à l’entretien, et ne deviennent rentables qu’après de très longues distances, dans la mesure où le carburant est subventionné. En outre, si le prix du diesel à la pompe est plus bas que celui de l’essence, c’est au prix d’un artifice, grâce à une niche fiscale qui coûte 7 milliards d’euros par an aux contribuables, donc aux ménages.
Certains nous accusent également de faire de l’écologie « punitive ». C’est une curieuse tournure d’esprit : en l’espèce, c’est manifestement l’absence d’écologie qui est punitive !
Punitive, elle l’est d'abord – ce point n’est pas suffisamment souligné – pour les professionnels surexposés, ceux qui conduisent des véhicules ou ont à intervenir dessus – garagistes, mécaniciens, commerciaux, transporteurs… –, ceux qui utilisent ces engins dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, de l’industrie et de l’agriculture, ou encore ceux qui travaillent sur la voie publique, aux péages et dans les parkings.
Punitive, elle l’est également pour les personnes âgées, dont la capacité respiratoire est diminuée, ainsi que pour les enfants. Parlez-en à Jocelyne Just, professeur de pédiatrie spécialisée en pneumo-allergologie et chef de service en allergologie au Centre de l’asthme et des allergies de l’enfant de l’hôpital Trousseau, qui m’a autorisée à citer son nom. Elle m’a chargée de vous dire qu’elle espère que nous répondrons à son alerte, qui est partagée par nombre de ses collègues.
Ce professeur constate en effet que les enfants sont particulièrement victimes de la pollution aux particules fines. De nombreuses études internationales récentes – je pourrais vous en donner la liste – montrent notamment que c’est pour les enfants de moins de trois ans que la situation est la plus critique. Ces enfants sont en effet particulièrement exposés : non seulement ils sont plus près du sol, et donc des tuyaux d’échappement, et respirent plus vite, mais, en outre, leurs alvéoles pulmonaires sont encore en développement.
Jocelyne Just observe également un développement préoccupant de maladies chroniques très graves, avec des enfants marqués à vie – elle insiste sur ce point. Son service a été débordé de façon stupéfiante lors du pic de pollution de mars 2014, mais c’est toute l’année que son équipe soigne des troubles de plus en plus nombreux et de plus en plus graves.
Mes chers collègues, est-il punitif de s’indigner du fait que le risque de faire de l’asthme soit accru de 20 % pour les enfants vivant près des axes routiers ? Est-il punitif de s’indigner du fait que ce soient souvent les plus modestes qui habitent près des grands axes de circulation, qui sont aussi les plus pollués ? Des études ont établi des corrélations ; il faut maintenant avancer.
On nous oppose également des arguments financiers et économiques. Il faut y répondre tout aussi sérieusement. Le choix du diesel – la France possède un des parcs les plus « diésélisés » du monde, puisque deux tiers de nos véhicules immatriculés fonctionnent au diesel – coûte très cher à nos finances publiques. Peut-être serez-vous sensible à cet argument, monsieur le secrétaire d'État chargé du budget.
J’ai déjà évoqué la niche fiscale de sept milliards d’euros par an. Le choix du diesel nous oblige également à importer une grande quantité de ce carburant, que nous ne pouvons pas raffiner en quantité suffisante. Lorsqu’elle était ministre de l’écologie, Delphine Batho estimait à 13 milliards d’euros par an l’impact de l’importation de gasoil sur le déficit de la balance commerciale. Enfin, les coûts induits sur la santé sont faramineux : selon un rapport du Commissariat général au développement durable de juillet 2012, les pathologies liées à la pollution de l’air coûteraient entre 20 et 30 milliards d’euros par an à la société.
Ce sont donc plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public qui sont engloutis chaque année par la filière diesel. Vous m’accorderez, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que l’on est plus proche d’une filière sous perfusion que d’une filière d’excellence !
La part du diesel baisse en France et en Europe. Tous les observateurs considèrent que cette baisse est tendancielle, puisqu’elle est principalement due au renchérissement du coût des motorisations et du carburant diesel ainsi qu’aux progrès des véhicules essence en matière de consommation. Comment imaginer que les constructeurs français, dont 60 % des véhicules à destination de l’Europe fonctionnent au diesel, pourront se tirer de cette situation, alors que cette part se situe entre 40 % et 50 % pour d’autres constructeurs européens ?
Il est donc temps, nous semble-t-il, d’investir de l’argent public pour aider les industriels à accomplir une véritable mutation en vue de la réalisation de véhicules plus sobres et moins polluants. Tout le monde y gagnerait.
Finalement, vous l’aurez compris, la question n’est plus tant de savoir si et quand nous devons agir, mais comment nous devons agir maintenant.
Je vous le dis d’emblée, ce texte n’est pas parfait, notamment parce que l’initiative parlementaire est encadrée. Ainsi, nous n’avons pas la possibilité, en tant que parlementaires, de proposer la création d’un fonds pour aider financièrement les personnes, souvent d’origine modeste, propriétaires de vieux véhicules diesel, les plus polluants, à remplacer leur véhicule par un autre, moins polluant.
Cependant, j’ai entendu récemment Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, indiquer qu’elle avait ce projet en tête. Le Gouvernement, lui, peut décider de créer un tel fonds, ce qui serait tout à fait complémentaire avec notre initiative.
Là encore, l’idée est de rassembler les énergies et les volontés, tant du côté parlementaire que du côté gouvernemental.
Notre texte a le mérite de contenir des propositions qui ne vont pas contre la filière automobile, au contraire.
Elles ne vont pas non plus contre l’action du Gouvernement ; au contraire, elles peuvent tout à fait la renforcer, la compléter.
Elles ne vont pas contre la qualité de vie des ménages ; au contraire, elles ont vocation à protéger leur santé.
L’article 1er, totalement réécrit, a pour objet de revoir les critères du malus automobile concernant les émissions de CO2, qui existent déjà pour lutter contre le dérèglement climatique, en y ajoutant une composante prenant en compte plus particulièrement les émissions de particules fines et de NOx.
Cet article présente l’avantage de prendre un dispositif qui existe déjà. Donc on ne complexifie pas la réglementation ; simplement, on l’enrichit, on l’infléchit pour répondre à ce drame sanitaire.
Par ailleurs, le dispositif du bonus-malus est moins brutal que la taxe que nous proposions dans la première version. Il s’agit d’une mesure beaucoup plus incitative pour encourager les bonnes pratiques et dissuader celles qui le sont moins.
À l’article 2, nous demandons un rapport pour avancer vers la mise en place en France d’expertises indépendantes en matière de pollution automobile.
Enfin, à l’article 3, il est proposé de créer un diagnostic d’éco-entretien.
Comme il me reste peu de temps de parole, j’en viens à la conclusion, avec quatre remarques.
Tout d’abord, je ne pense pas me tromper en disant que nous croyons tous en l’action politique, même lorsque l’on avance à petits pas. Mes chers collègues, dans un pays en pleine crise économique, sociale, mais aussi morale, dans lequel la population témoigne souvent d’une grande défiance vis-à-vis des acteurs politiques, montrons que nos paroles sont suivies d’actes concrets. Tel est le sens de cette proposition de loi.
Ensuite, je demande au Gouvernement de respecter l’initiative parlementaire. Elle est forcément contrainte et elle ne répond pas globalement au problème, mais, par cette proposition de loi, nous souhaitons enclencher une dynamique, peser dans le débat public grâce à une prise de position du Sénat, inciter à des comportements plus vertueux, contribuer à changer les mentalités et converger vers les initiatives du Gouvernement qui, lui, peut prendre des mesures beaucoup plus fortes et plus globales. C’est aussi une façon d’encourager nos concitoyens.
Par ailleurs, je voudrais remercier ceux de mes collègues qui ont déposé des amendements. Je les soutiendrai pratiquement tous, car ils participent de cette même logique d’avancer concrètement, même progressivement, par des actes. Ce qui compte, pour nous, c’est qu’un premier pas soit franchi et qu’une première initiative de santé environnementale, thématique qui a beaucoup de mal à être reconnue aujourd’hui en France, soit couronnée de succès.
J’en appelle à la responsabilité de chacun. Je pense que personne, parmi nous, ne veut vivre de nouveau des drames sanitaires, lesquels sont toujours la conséquence ultime de blocages dans la société qui interviennent lorsque l’on tente d’opposer emploi et santé. Je pense, par exemple, à l’amiante. Selon les chiffres de l’InVS, les vingt ans perdus pour interdire un produit déclaré cancérogène certain pour l’homme par l’OMS auront causé, en 2050, 100 000 morts. J’imagine que personne n’a envie de provoquer de telles catastrophes de nouveau !
Mes chers collègues, je vous en conjure, ne refaisons pas les mêmes erreurs. Il nous est possible de nous rassembler et de converger vers un objectif commun. J’espère que nous y parviendrons ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mmes Chantal Jouanno et Fabienne Keller applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles, sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer, a été déposée par Aline Archimbaud et nos collègues du groupe écologiste.
L’esprit de ce texte rejoint celui d’initiatives précédentes des mêmes auteurs ; elles méritent d’être rappelées afin de mettre en lumière les ressemblances et les contrastes entre ces différents textes.
Je pense, tout d’abord, à la proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé, déposée en mai 2014, dont le rapporteur au nom de la commission des finances était Gérard Miquel.
Pour mémoire, ce texte, qui n’a pas été débattu en séance plénière, vise à instituer une taxe additionnelle sur les certificats d’immatriculation des véhicules dont le moteur fonctionne au gazole. Cette taxe additionnelle était d’un montant de 500 euros, revalorisé de 10 % au 1er janvier de chaque année. Les auteurs se fondaient principalement sur les émissions de particules des véhicules diesel.
La commission des finances n’avait néanmoins pas adopté l’article unique de cette proposition de loi, justement en raison de sa focalisation sur les seuls véhicules diesel, et parce que, par construction, il risquait de décourager, paradoxalement, l’achat de véhicules neufs, bien moins polluants que les anciens.
Puis, lors de l’examen de la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014, Aline Archimbaud et Gérard Miquel avaient proposé au Sénat des amendements tendant à prévoir l’instauration d’une taxe additionnelle au malus sur les émissions de C02, assise sur les émissions de particules. La commission et le Gouvernement avaient demandé le retrait de ces amendements, notamment parce qu’ils alourdissaient la charge pesant sur les automobilistes.
Cette fois, nous le verrons, nos collègues nous proposent un système plus complet, ne se limitant pas au seul outil fiscal. Comme leurs initiatives précédentes, celle-ci est motivée par la lutte contre la nocivité des émissions de particules et d’oxydes d’azote.
Qu’il soit bien clair que la commission des finances ne conteste pas le diagnostic de nos collègues. Il a été rappelé dans le rapport écrit rédigé par Jean-François Husson et moi-même que plusieurs travaux de fond, menés notamment par l’OMS, ont montré la dangerosité de cette pollution diffuse : la pollution par les particules PM10 serait ainsi à l’origine de 19 200 à 44 400 morts prématurées chaque année en France, c'est-à-dire à l’origine d’une baisse d’espérance de vie pour un adulte de plus de 30 ans, hors mort accidentelle ou violente. Cela représenterait donc 6 % des décès en moyenne, dont la moitié attribuée aux émissions du trafic routier.
Les auteurs de la proposition de loi mettent donc l’accent sur un vrai enjeu sanitaire et environnemental, que nous ne contestons pas. (Bravo ! sur les travées du groupe écologiste.)
De surcroît, la commission des finances ne saurait négliger l’enjeu financier de la question. En effet, depuis 2011, la France est sous le coup de poursuites de la Commission européenne devant la Cour de justice de l’Union européenne pour non-respect des valeurs limites de qualité de l’air applicables aux particules PM10 définies dans la directive 2008/50/CE concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe. Rappelons que ce texte impose aux États membres de limiter l’exposition de la population à ces microparticules, ce que la France ne fait pas dans seize zones de son territoire.
Notre pays se trouve donc sous la menace d’une prochaine condamnation par la CJUE, qui pourrait être lourde. (Marques d’approbation sur les travées du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Voilà !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Comme Aline Archimbaud l’a rappelé, Delphine Batho, alors ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, avait d’ailleurs estimé, dans une réponse écrite à la Cour des comptes, que « ce contentieux pourrait aboutir à des sanctions pécuniaires de l’ordre de 100 millions d’euros par an. »
Je le répète, nos collègues du groupe écologiste ont raison de nous pousser à agir afin que la pollution due aux émissions de particules et d’oxyde d’azote diminue.
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. Bravo !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Pour autant (Aïe ! sur les travées du groupe écologiste. – Mme la rapporteur sourit.), la commission des finances n’a pas adopté les trois articles de ce texte, pour des raisons qu’il importe d’expliciter.
L’article 1er a pour objet d’instaurer une taxe additionnelle à l’actuel malus sur les émissions de C02. Comme le malus, elle serait due sur le premier certificat d’immatriculation délivré en France pour un véhicule de tourisme.
Elle serait assise sur le nombre de grammes d’oxyde d’azote et de particules fines émis par kilomètre. La fixation du barème de l’imposition ainsi que des modalités de son application serait renvoyée à un décret.
La commission des finances n’a pas adopté cet article et appelle le Sénat à confirmer cette position.
Tout d’abord, sa conséquence immédiate serait un alourdissement de la fiscalité pesant sur les automobilistes. Je rappelle que ceux-ci devraient déjà subir une nouvelle augmentation des taxes sur le diesel prévue à l’article 20 du projet de loi de finances pour 2015. Sans doute n’est-il pas opportun de charger une nouvelle fois la barque, au risque d’associer trop étroitement respect de l’environnement et matraquage fiscal dans l’esprit de nos concitoyens.
Ensuite, du fait de cet alourdissement, la mesure proposée risque d’inciter les propriétaires des véhicules les plus anciens, et donc les plus polluants, à les conserver afin de ne pas subir la nouvelle imposition. Ce serait du gâchis, au vu de l’évolution des normes communautaires en matière d’émissions. Ainsi, je vous le rappelle, un seul véhicule diesel Euro 3, datant de la période 2000-2005, émet autant de particules que 200 véhicules diesel répondant aux normes Euro 5 et Euro 6, en vigueur depuis 2011.
Il n’y a donc pas photo, mes chers collègues : la rénovation du parc automobile apporterait, au contraire, une réponse puissante au problème posé.
M. Jean Desessard. Il n’y a rien de puissant là-dedans !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. De plus, disons, par euphémisme, que la constitutionnalité de cet article 1er n’est pas vraiment assurée. En renvoyant à un décret pour la définition du barème, le législateur n’épuiserait pas sa compétence et encourrait, pour ce motif, une censure du Conseil constitutionnel.
Selon moi, il est une formule qu’il serait intéressant d’étudier afin d’aller dans le sens des auteurs de cette proposition de loi : l’introduction d’une composante « particules » au sein de l’actuel « malus C02 », à rendement constant, c’est-à-dire en diminuant le « barème C02 » à due concurrence du poids du nouveau « barème particules fines ».
C’est une idée que j’avance, mais, dans un tel système, il ne faudrait sans doute pas lier complètement les deux types d’émissions, chacun apportant son lot de nuisances indépendamment l’un de l’autre. Pour dire les choses simplement, un véhicule émettant très peu de C02, et n’étant donc pas frappé par le malus, mais émettant beaucoup de particules fines, devrait être, à mon sens, frappé par la composante « particules fines » de ce malus rénové.
Cette attitude permettrait d’envoyer un message adéquat sur ce type de pollution sans pénaliser excessivement les consommateurs ou l’industrie. Peut-être pourrons-nous poursuivre une réflexion en ce sens dans les prochains mois ? Peut-être même aurions-nous intérêt à aller dans ce sens avant une éventuelle condamnation par la CJUE…
Dans l’immédiat, cette proposition de loi n’aboutit pas à ce résultat. Au contraire, elle tend à alourdir, sans compensation, la fiscalité des seuls véhicules frappés par le malus C02. Elle conduirait donc à une hausse d’impôt qui ne serait pas pleinement efficace au regard de l’objectif recherché.
L’article 2 de la proposition de loi a pour objet de prévoir la remise au Parlement d’un rapport sur l’indépendance de l’expertise technique relative à la définition et à la méthodologie des mesures des émissions de polluants par les véhicules automobiles.
Il s’agit donc d’une demande d’information visant à permettre au législateur de s’assurer de la fiabilité des mesures affichées au moment de la vente des véhicules.
Comme Jean-François Husson et moi-même l’avons dit lors de la réunion de la commission, nous n’émettons pas d’objection de principe à une telle demande. Toutefois, la commission des finances a rejeté cet article. En effet, étant donné qu’elle n’a pas adopté les autres articles de ce texte, il ne lui a pas semblé opportun de transmettre à l’Assemblée nationale une proposition de loi se limitant à une demande de rapport, d’autant que la prochaine discussion par notre assemblée du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte – normalement dans le courant du premier trimestre de 2015 – fournira l’occasion de débattre d’une telle demande.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi porte sur la création d’un certificat de diagnostic d’éco-entretien. Il s’agirait, en quelque sorte, d’un complément à l’actuel contrôle technique, à la différence près que ce diagnostic n’aurait pas à être réalisé à intervalles réguliers, mais dans l’année précédant la revente d’un véhicule de plus de quatre ans. Cette proposition est intéressante, mais elle figure déjà, comme nous l’avons souligné en commission, dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont elle constitue, dans une rédaction un peu différente mais de même esprit, l’article 17 bis. Il ne nous a donc pas paru adéquat de faire circuler dans deux textes en navette des dispositions similaires, les auteurs de la proposition de loi devant normalement avoir satisfaction d’ici à quelques semaines.
En conclusion, la commission des finances n’a donc pas adopté de texte. Elle propose à présent au Sénat de ne pas adopter non plus les trois articles de cette proposition de loi. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce choix n’est pas l’expression d’une divergence profonde avec Mme Archimbaud et nos collègues du groupe écologiste quant au diagnostic qu’ils formulent ni même quant à la nécessité d’avancer sur cette question. En revanche, les mesures précises qu’ils proposent ne nous ont pas semblé satisfaisantes ni de nature à répondre de la manière la plus efficace au problème posé par les émissions de particules fines et de dioxydes d’azote.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Odette Herviaux, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons enfin, ce soir, la proposition de loi du groupe écologiste relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles.
Enfin, disais-je, car il s’agit d’une version « remaniée » d’un premier texte, la proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé. Ce texte, qui avait été rejeté par la commission des finances et sur laquelle la commission du développement durable avait émis un avis défavorable, n’avait pas pu être examiné en séance publique, faute de temps.
Nous y voici donc ce soir, et je salue la persévérance de mes collègues qui ont su faire en sorte que ce débat important ait finalement lieu dans l’hémicycle.
Cette proposition de loi, qui résonne comme un signal d’alarme, s’inscrit effectivement dans un contexte préoccupant.
Tout d’abord, la « diésélisation » de notre parc automobile ne faiblit pas. Malgré un fort recul des ventes en 2013, les véhicules fonctionnant au gazole représentent encore en France plus de 60 % du parc automobile total et environ 67 % des ventes de nouveaux véhicules. Plus important, la part du gazole dans le total des consommations de carburants dépasse 80 %.
Face à cela, nous disposons aujourd’hui d’un grand nombre d’informations que je n’hésite pas à qualifier d’inquiétantes.
L’Organisation mondiale de la santé a classé en septembre 2012 les fumées émises par les moteurs diesel comme « agents cancérogènes certains », mais elles ne sont pas les seules, j’y reviendrai.
Dans un avis récent de juin 2014 sur les émissions de particules et d’oxydes d’azote par les véhicules routiers, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, a clairement fait valoir que 56 % des émissions nationales d’oxydes d’azote sont liées aux transports et que 89 % d’entre elles proviennent des véhicules diesel. On lit également dans cet avis que 61 % des véhicules légers sont des diesels, dont seulement sept millions sont équipés d’un filtre à particules, tandis que douze millions n’en ont pas.
Enfin, et j’en aurai fini avec les mises en garde les plus récentes, mais elles montrent à quel point nous parlons d’un vrai problème de santé publique, le 30 septembre 2014, l’OCDE, qui a réalisé deux études sur le sujet dans l’année, a publié un communiqué où elle « demande aux pouvoirs publics de cesser de subventionner les véhicules de société et de supprimer progressivement l’avantage fiscal en faveur du gazole ». La réduction de cet écart de fiscalité entre l’essence et le gazole est une demande récurrente. Elle était d’ailleurs préconisée par Christian de Perthuis, l’ancien président du Comité pour la fiscalité écologique, auditionné ce matin même par notre commission.
Aujourd’hui, chacun de vous sur ces travées en est certainement convaincu, la nocivité pour notre santé des fumées émises par les moteurs de véhicules diesel est avérée.
Savez-vous cependant, mes chers collègues, que la quantité de particules fines au kilomètre parcouru résultant de l’abrasion des plaquettes de frein de tous les véhicules se révèle, elle, six fois supérieure à celle provenant des pots d’échappement des véhicules diesel ? Principalement constituées de métaux lourds et hautement toxiques, les poussières issues du freinage sont ainsi responsables de 50 % de la pollution de l’air par le cuivre et d’un quart de cette pollution par le zinc ou le plomb...
Il conviendrait donc de s’assurer que les futurs dispositifs de réduction des particules fines dans l’atmosphère intègrent pleinement cet enjeu de santé publique encore trop méconnu et dont l’ADEME a évalué le coût externe global à plus de 2,8 milliards d’euros.
Nous connaissons les conséquences pour la santé humaine d’une exposition à ces particules fines : pathologies pulmonaires, risque aggravé de cancers du poumon ou de la vessie, vieillissement prématuré, impact sur les naissances prématurées et le faible poids de naissance.
Au-delà de cet aspect, que l’on ne saurait passer sous silence, se pose aussi la question du modèle économique de notre filière automobile. La diésélisation du parc automobile, favorisée par une fiscalité préférentielle, a conduit les constructeurs à investir dans des techniques de « dépollution » de leurs moteurs très coûteuses, pour se conformer à la réglementation européenne.
Que faire, dans ces conditions ?
Nos collègues du groupe écologiste ont d’abord préconisé la création d’une nouvelle taxe additionnelle de 500 euros sur les véhicules diesel. Notre commission, en juin dernier, avait émis un avis défavorable à son adoption, regrettant le caractère déconnecté d’une telle mesure par rapport à une réforme globale de plus grande ampleur et plus progressive de la fiscalité des carburants ainsi que l’absence de mesures d’accompagnement pour la filière industrielle automobile, que la création d’une telle taxe n’aurait pas manqué de déstabiliser profondément.
La présente proposition de loi conserve les mêmes objectifs, mais modifie les moyens pour y parvenir, en tenant compte des remarques que les commissions des finances et du développement durable avaient formulées, en évoquant notamment la piste d’un élargissement du bonus-malus écologique aux particules fines.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui comporte trois articles et son exposé des motifs indique que l’objectif du texte est d’intégrer les émissions de polluants atmosphériques dans les critères du malus automobile, qui ne repose actuellement que sur les émissions de dioxyde de carbone.
Le dispositif de l’article 1er ne traduit toutefois pas exactement cette ambition. Il crée un nouveau malus pour les véhicules les plus émetteurs d’oxydes d’azote et de particules fines et renvoie la fixation du barème de cette nouvelle taxe au pouvoir réglementaire. De cette manière, le législateur pourrait se voir reprocher de ne pas avoir épuisé sa compétence, comme l’a relevé Mme Des Esgaulx.
L’article 2 prévoit la remise au Parlement d’un rapport portant sur l’indépendance de l’expertise technique relative à la définition et à la méthodologie des mesures des émissions de polluants par les véhicules automobiles. Ce rapport devrait être remis par le Gouvernement avant le 31 mai 2015.
Enfin, l’article 3 crée un certificat de diagnostic d’éco-entretien qui devrait être fourni par tout vendeur d’un véhicule diesel d’occasion de plus de quatre ans à son acquéreur. Ce certificat, qui sera obligatoire à compter du 1er janvier 2016, portera sur l’ensemble des émissions polluantes du véhicule.
L’auteur de la proposition de loi a déposé deux amendements visant à réécrire les articles 1er et 3. Nous avons donc en quelque sorte une « troisième mouture » du dispositif, ce qui montre que ce débat mériterait certainement d’être davantage approfondi. Je profite donc de cette tribune pour vous proposer, mes chers collègues, de poursuivre la réflexion et les échanges, afin de pouvoir arrêter des mesures concrètes prenant en compte toutes les sources d’émissions de particules fines des automobiles et de faire du véhicule propre une réalité.
Mes chers collègues, l’avis de la commission du développement durable a été unanime sur ce texte.
En premier lieu, elle a souligné l’importance du problème de santé publique mis en avant par l’exposé des motifs : il est essentiel.
Sur le fond, je partage donc totalement l’esprit de cette initiative du groupe écologiste. Sur ces enjeux, nous avons le devoir de faire preuve de volonté politique et de responsabilité. Pour autant, la commission du développement durable n’a pas estimé que la solution proposée par cette nouvelle mouture, avant le dépôt des amendements, était adaptée, d’autant moins qu’elle omet certaines sources d’émission de particules fines.
Sur la forme, il serait peut-être plus pertinent d’envisager une réforme graduée, sur la durée, ne reposant pas forcément uniquement sur une taxation supplémentaire et comportant des mesures d’accompagnement en faveur de la filière automobile et des ménages les plus modestes, pour aider ces derniers à changer de véhicule.
En effet, une telle taxation aurait à n’en pas douter un fort coût social : en termes de pouvoir d’achat pour les ménages et en termes de compétitivité pour les constructeurs automobiles français.
Le véritable enjeu, nous le savons, c’est le parc automobile diesel existant, mais n’oublions pas que d’autres systèmes de transport, y compris le train ou le métro, se révèlent également fortement générateurs de particules fines, du fait de l’abrasion des plaquettes de frein que j’évoquais.
De surcroît, nous ne pouvons pas ignorer les autres rendez-vous législatifs imminents : le projet de loi de finances pour 2015, qui comprend des mesures relatives à la fiscalité des carburants – avec, par exemple, le relèvement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques en faveur du financement des infrastructures de transport, à hauteur de quatre centimes d’euros par litre de gazole –, ou encore le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Ces deux textes vont être discutés très prochainement par notre assemblée et nous pourrions en tirer profit pour avancer efficacement, comme je l’ai suggéré.
Dans son examen des articles, notre commission a considéré que le dispositif de l’article 1er n’était pas efficace en l’état et que les effets pervers de la taxation proposée seraient nombreux. Elle a donc émis un avis défavorable à l’adoption de cet article.
À l’article 2, la proposition d’un rapport sur l’indépendance de l’expertise technique est intéressante et la commission a donné un avis favorable à l’adoption de cet article, même s'il semble qu'une telle disposition gagnerait à être intégrée dans une réforme plus globale. Sur ce point, je souhaiterais d’ailleurs vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur l’appréciation que vous portez sur les modalités actuelles de l’expertise.
Enfin, je souscris pour ma part pleinement à l’introduction du certificat de diagnostic d’éco-entretien prévue à l’article 3, mais la commission a émis un avis défavorable, car la mesure est déjà contenue dans le projet de loi relatif à la transition énergétique. Malgré un amendement de l’auteur de la proposition de loi visant à aligner la rédaction de cet article sur celle de ce projet de loi, il serait préférable de ne pas adopter deux dispositions analogues dans deux textes différents, l’un et l’autre en cours de navette.
Outre ceux de l’auteur de la proposition de loi, plusieurs amendements ont été déposés par notre collègue Chantal Jouanno. Certains me semblent particulièrement intéressants, mais je crois que nous devrons étudier plus précisément l’impact des mesures proposées.
En résumé, mes chers collègues, je comprends l’appel lancé par le groupe écologiste au moyen de cette proposition de loi et j’y adhère. Nous devons en effet prendre en compte les problématiques sanitaire et écologique liées aux particules fines, mais dans leur globalité et avec des modalités affinées.
Le véhicule doit être considéré comme un tout et rappelons à cet égard que les particules fines émises par l’abrasion des plaquettes de frein peuvent représenter jusqu’à 21 % du total des particules émises par le trafic routier.
La commission du développement durable maintiendra donc une grande vigilance sur ce sujet et sera force de proposition afin d’accompagner notre pays sur la voie d’une transition nécessaire réconciliant le développement de notre économie, la protection de la santé publique et la préservation de l’environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, les problématiques soulevées par les sénateurs écologistes à l’origine de la proposition de loi que votre assemblée examine aujourd’hui sont tout à fait pertinentes.
M. Jean Desessard. Cela commence bien ! (Sourires.)
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je voudrais saluer le travail réalisé en commission. L’auteur de la proposition de loi et les rapporteurs ont rappelé l’importance du sujet, sa gravité, les travaux antérieurs, les travaux en cours, les mesures prises ou sur le point d’être prises. Après de tels exposés, vous me permettrez d’être assez rapide.
Le diesel constitue un enjeu fort, non seulement pour la lutte contre le réchauffement climatique, mais également pour des impératifs de santé publique. À ce titre, cette question est pleinement intégrée au chantier de la transition énergétique mené par le Gouvernement, que je voudrais détailler.
Le Gouvernement a mis en œuvre et proposé plusieurs dispositions visant à lutter contre les nuisances liées à la consommation de carburant, de diesel, en particulier.
La loi de finances pour 2014 a notamment prévu la révision du barème de la taxe sur les véhicules de société, pour renforcer son ciblage sur les moteurs diesel, ainsi que l’extension de la composante « air » de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, à de nouvelles substances polluantes.
Le projet de loi de finances pour 2015, adopté hier en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit la majoration de quatre centimes par litre de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, sur le diesel. Cela résulte notamment de la mise en place d’une « composante carbone » de la fiscalité au travers de la contribution climat-énergie.
Le dispositif de bonus-malus automobile, que vous proposez de modifier, a lui-même été réformé dans sa « composante malus » en 2014 pour accentuer le « verdissement » du parc automobile français. Pour 2015, le Gouvernement souhaite que la « composante bonus » soit désormais ciblée sur les seuls véhicules électriques et hybrides, avec un montant qui demeurera très attractif – jusqu’à 6 300 euros par véhicule électrique.
Enfin, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit la mise en place, au sein du dispositif de bonus-malus automobile, d’une prime à la conversion, qui portera jusqu’à 10 000 euros le bonus à l’achat d’un véhicule « propre » lorsqu’il s’accompagnera de la mise au rebut d’un vieux véhicule diesel polluant, en fonction de critères géographiques et sociaux. Ce dispositif sera financé sans augmentation du malus.
Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, que d’aucuns d’entre vous ont évoqué et que votre assemblée examinera dans les prochaines semaines, consacre un titre entier à la question du développement des transports propres. Il prévoit des mesures ambitieuses et concrètes afin de réduire significativement la pollution due aux transports routiers telles que le déploiement de bornes de rechargement des véhicules électriques, le développement de l’achat public de véhicules propres, la mise en place de mesures de restriction de la circulation en cas de mauvaise qualité de l’air ou encore le développement du covoiturage. Enfin, des sanctions seront mises en place contre la pratique de retrait des filtres à particules.
Venons-en à vos propositions. La première d’entre elles, qui vise à ajouter au malus automobile une composante reposant sur les émissions des polluants atmosphériques, n’est pas nouvelle. Elle avait notamment déjà été examinée par l’Assemblée nationale, sous une forme similaire, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. À l’époque, des avis défavorables avaient été émis par le rapporteur général du budget – que j’ai bien connu (Sourires.) – et par le Gouvernement.
Cet avis n’a pas évolué, pour différentes raisons.
D’abord, sur le fond, j’ai eu l’occasion d’exposer les mesures que le Gouvernement est en train de mettre en œuvre pour lutter contre les problèmes que vous soulevez. Taxer encore davantage l’achat de véhicules diesel, comme vous le proposez, aurait pour conséquence de renchérir l’acquisition des véhicules diesel nouveaux qui sont pourtant beaucoup moins polluants. Cela aurait pour effet de rendre plus difficile la mise sur le marché de ces véhicules et encouragerait la conservation des vieux diesels. (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)
Ensuite, sur un plan industriel, nous ne pouvons pas non plus ignorer les conséquences à court terme pour les constructeurs français dans le contexte économique que vous connaissez.
Par ailleurs, sur les plans juridique et technique, votre proposition soulève plusieurs difficultés.
En premier lieu, elle déroge au principe du monopole fiscal des lois de finances, auquel vous comprendrez que le secrétaire d’État chargé du budget soit attaché.
En second lieu, le renvoi à un décret des éléments d’assiette et de taux de la taxe proposée entraîne un problème d’incompétence négative du législateur bien connu du Conseil constitutionnel. J’ai bien sûr noté que vous proposez de corriger ce point par amendement. Encore faudrait-il avoir la capacité d’en évaluer la portée financière.
Enfin, en troisième lieu, je signale que la mise en œuvre pratique de votre proposition se heurterait à des éléments techniques liés, par exemple, à l’absence d’information systématique relative aux émissions de particules sur la carte grise des véhicules neufs. Elle nécessiterait donc la définition de protocoles et d’instruments de mesure nouveaux, qui relèvent, à l’évidence, du niveau communautaire.
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. L’article 2 de votre proposition de loi prévoit la remise, d’ici à la fin mai 2015, d’un rapport au Parlement sur l’indépendance de l’expertise technique relative à la définition et à la méthodologie des mesures d’émission de polluants par les véhicules. Ces mesures sont aujourd’hui assurées par des structures qui, bien que de statut privé, appliquent des réglementations issues de travaux conduits sous l’égide de l’ONU et de l’Union européenne.
Sur la question particulière de la représentativité des essais réalisés, des travaux sont en cours au niveau de la Commission européenne pour proposer un nouveau cycle d’essais.
L’article 3 de la proposition de loi prévoit l’instauration d’un diagnostic d’éco-entretien des véhicules diesel d’occasion. J’attire votre attention sur le fait que l’article 17 bis du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit déjà une telle disposition pour les émissions d’oxyde de carbone, d’hydrocarbures imbrûlés, d’oxydes d’azote, de dioxyde de carbone et d’oxygène. Vous proposez d’y ajouter les particules fines. L’examen prochain par votre assemblée de ce projet de loi me paraît être un cadre plus adapté pour débattre de ce point, notamment au regard de l’ensemble des éléments techniques.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émettra un avis défavorable sur l’article 1er de la proposition de loi. Il s’en remettra à la sagesse de votre assemblée sur l’article 2 et sur l’article 3, une fois pris en compte l’amendement proposé sur ce dernier article.
7
Dépôt de documents
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :
- d’une part, la convention entre l’État et FranceAgrimer relative au programme d’investissements d’avenir, action « Projets agricoles et agroalimentaires d’avenir » ;
- d’autre part, la convention entre l’État et l’Agence nationale de la recherche relative au programme d’investissements d’avenir, action « Équipements d’excellence ».
Acte est donné du dépôt de ces documents. Ils ont été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.
8
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi actuellement en cours d’examen.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement, et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
9
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives.
Cette liste a été publiée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
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Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 19 novembre 2014, une décision du Conseil relative à une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne (n° 2014-448 QPC).
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 5312-6 du code du travail, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de solliciter l’avis de la commission compétente sur le projet de désignation de M. Jean Bassères aux fonctions de directeur général de Pôle Emploi.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires sociales.
Acte est donné de cette communication.
12
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats a été publiée et je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, François-Noël Buffet, Philippe Bas, Henri Tandonnet, René Vandierendonck, Philippe Kaltenbach, Christian Favier ;
Suppléants : MM. Yannick Botrel, Éric Doligé, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Michel Mercier, Jacques Mézard et Jean-Pierre Sueur.
Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.
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Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
M. le président. II va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives.
La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale a été publiée conformément à l’article 12 du règlement. Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Philippe Bas, André Reichardt, Mme Élisabeth Lamure, MM. Jean-Marc Gabouty, Martial Bourquin, Alain Richard, Mme Cécile Cukierman ;
Suppléants Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Pierre-Yves Collombat, Gérard Cornu, Philippe Dominati, Jean-Jacques Filleul et Mme Catherine Procaccia.
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Prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote
Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors même que nous allons examiner le projet de loi de finances pour 2015 à partir de demain dans cet hémicycle, puis, dans quelques semaines, le projet de loi sur la transition énergétique pour une croissance verte, voici que notre attention est légitimement sollicitée par nos collègues écologistes sur les enjeux de santé publique afférents à nos déplacements et aux véhicules utilisés à cette fin.
Comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, cela fait, en effet, quelques décennies que l’on accorde, sous la forme d’une fiscalité incitative, une sorte de prime à l’utilisation de véhicules à motorisation diesel rendant le prix du carburant utilisé moins coûteux. Il me souvient d’un temps où l’un de nos grands constructeurs utilisait ce slogan : « Avec le diesel, le kilomètre à moitié prix » !
C’était le temps « heureux » où la France ne comptait pas encore six millions de personnes privées d’emploi, où les inégalités sociales n’avaient pas trouvé de traduction spatiale et où, surtout, les préoccupations liées aux changements climatiques ne s’étaient pas invitées dans le débat public, comme c’est le cas aujourd’hui.
Les enjeux du débat sont aujourd’hui connus.
L’industrie automobile française, largement internationalisée, produit aujourd’hui l’essentiel de ses véhicules à traction diesel loin de nos frontières.
Pour faire bonne mesure, comme le gazole appelle un raffinage particulier, on aura noté qu’une part importante du carburant concerné est tout simplement importée, les raffineries françaises – lesquelles connaissent, par ailleurs, un sérieux déclin, organisé par les compagnies pétrolières existantes – n’étant pas en situation de répondre à la demande.
Lorsque le groupe Total a fermé la raffinerie des Flandres, dans mon département du Nord, pour des raisons internes de rentabilité, il est évident qu’il ne s’est pas inquiété plus que de raison des conséquences de cette fermeture sur l’approvisionnement du marché domestique en carburants et autres produits raffinés. Et c’est bien dommage, car, au moment de sa fermeture, cette raffinerie produisait, entre autres, du gazole dit « sans soufre ».
Quelle est donc, pour l’heure, la situation ? Ni les capacités de production automobile ni les capacités de production de carburant ne permettent à notre pays de faire face à la demande et le « rattrapage » fiscal lié au relèvement de la taxation du gazole est en cours.
À ce point du débat, ces enjeux de caractère économique et fiscal rencontrent l’intéressante question de la santé publique, les particules fines émises par les moteurs diesel participant de la dégradation de la qualité de l’air – cela a été dit, prouvé et illustré abondamment – et, par voie de conséquence, de l’accroissement des risques sanitaires ainsi que, singulièrement, de la prévalence de certaines affections.
Comme il est de coutume en matière environnementale ou écologique, nous sommes donc au cœur d’un conflit systémique particulièrement intéressant qui concerne la place de notre pays dans le monde en termes d’économie, de société, de déplacements, de santé publique, etc.
Au miroir tendu devant nous par l’usage du diesel, nous pouvons appréhender bien d’autres sujets fondamentaux, et poser d’emblée une question que la commission des finances escamote un peu trop rapidement à notre goût en proposant de ne retenir aucun des articles de la proposition de loi : le véhicule fiscal est-il le bon quand il s’agit de réfléchir à la transition énergétique ?
En clair, le développement de la fiscalité dite « écologique », ou « verte », est-il le bon outil pour mener la transition énergétique, laquelle est au demeurant inévitable pour qui se préoccupe un minimum du devenir de l’humanité et de l’environnement que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants ?
Aujourd’hui, la fiscalité « écologique » rapporte plusieurs dizaines de milliards d’euros et touche singulièrement la consommation de produits pétroliers et énergétiques, qui en constitue l’élément moteur, si je puis dire. Le problème, c’est que la stratégie fiscale de moyen terme est calibrée à raison de deux impératifs : premièrement, la réduction des déficits publics ; deuxièmement, la mutation de notre système de prélèvements obligatoires, ensemble qui comprend la baisse des prélèvements effectués à partir de l’entreprise et la recherche de recettes de substitution.
Le processus est, de fait, bien connu : la fiscalité écologique sert à peu près de « couteau suisse » – la Suisse ne se contente donc pas de rendre des services fiscaux à certains de nos compatriotes ! (Sourires.) – pour résoudre tous les problèmes, sauf les problèmes environnementaux !
Autant dire que la proposition de loi de nos collègues écologistes doit plutôt nous inciter à poser, pour le moins, la question de la qualité des alternatives modales à l’usage de la voiture pour les déplacements professionnels ou personnels des salariés. Nous devrions ainsi nous demander s’il ne conviendrait pas, plutôt que de majorer le prix du gazole – un prix qu’il nous faudra ensuite détaxer pour les taxis ou les entreprises de transport, sous la pression des « réalités économiques » –, de mettre en œuvre dès maintenant une politique un tant soit peu plus audacieuse en matière de transport collectif.
Augmenter le prix du gazole sans accroître, par exemple, les ressources du Syndicat des transports d’Île-de-France ou des autres autorités organisatrices d’un réseau de transport public de voyageurs, c’est prendre le risque de repousser plus encore la mise en œuvre des solutions réelles.
La protection de l’environnement, pour aujourd’hui et pour l’avenir, n’est pas affaire de « révolution fiscale », mais bel et bien de dépenses publiques, de choix d’aménagement du territoire, de respect du droit à la ville, de rejet des ségrégations urbaines et professionnelles qui sont au cœur des enjeux de déplacement.
On ne peut pas vouloir lutter contre le réchauffement climatique et le recours modal à l’automobile en continuant à favoriser, par une législation orientée au bénéfice des investisseurs et des seuls bailleurs, la spéculation immobilière et la montée constante des prix du logement dans ce que l’on appelle « les zones tendues ».
De la même manière, quand on repousse la réalisation du prolongement d’une ligne de métro, quand on s’interroge sur la faisabilité d’une liaison fluviale à grand gabarit, pourtant utile pour le transport de moult marchandises à faible valeur ajoutée, on rejette les possibilités de report modal, solution qui pourrait répondre en grande partie aux impératifs de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Changer les politiques publiques du transport peut se faire, mes chers collègues, sans recourir à la moindre augmentation de nos prélèvements obligatoires. Il convient simplement que nous ayons, en qualité de législateur, la volonté et la détermination nécessaires pour que l’argent public, dont nous décidons de l’utilisation - outre le fait que nous en contrôlons l’usage -, soit effectivement orienté vers la satisfaction des besoins de la collectivité.
Nous devons faire reculer l’usage de l’automobile et, dans cet ensemble, celui du diesel ? Fort bien ! Alors, mettons en œuvre dès maintenant avec audace, détermination et lucidité, les politiques publiques d’investissement nécessaires au report modal sur le rail, les voies d’eau et les transports publics !
Nationalisons les autoroutes, comme nous le proposions ici même en mai dernier, par exemple pour financer l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF ! Et, s’il faut permettre le recyclage professionnel des « travailleurs du diesel », comme le suggérait Aline Archimbaud, ne tardons pas à solliciter leurs employeurs respectifs pour mettre en place un vaste plan national assorti d’objectifs précis, de formation et de qualification !
Pour synthétiser notre position, je dirai que nous sommes fondamentalement défavorables à l’article 1er de cette proposition de loi, mais tout à fait favorables à ses articles 2 et 3.
Je conclurai mon propos en saluant la pertinence de ce débat suscité par nos collègues écologistes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis que, en 2012, le Centre international de recherche sur le cancer, le CIRC, agence spécialisée de l’Organisation mondiale de la santé, a classé les gaz d’échappement des moteurs diesel comme « cancérogènes certains », de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le soutien des pouvoirs publics au diesel, qui passe encore par une fiscalité favorable à ce dernier.
Ce constat n’est pas propre à la France puisque d’autres pays européens, tels que l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore la Belgique, pratiquent un écart de taxation plus fort entre les deux carburants.
Les automobilistes roulant au diesel ayant acquis leur véhicule à un moment où l’on vantait leurs faibles émissions de dioxyde de carbone ont soudainement basculé, à leur insu, du côté des « pollueurs ». Dès lors s’est posée la question de la meilleure solution à mettre en œuvre pour supprimer les avantages fiscaux en faveur du diesel, tout en tenant compte des évolutions récentes des moteurs à essence qui émettent désormais moins de CO2, mais, pour certains, plus de particules fines.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a envisagé l’alignement de la fiscalité des deux carburants, ce qui s’est traduit par l’intégration d’une « composante carbone » dans la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, ou par l’introduction d’une composante liée aux émissions de polluants atmosphériques dans la taxe sur les véhicules des sociétés, la TVS. Le projet de loi de finances pour 2015 poursuit cette tendance, avec l’augmentation de 2 centimes d’euro de la TICPE par litre de gazole.
Ainsi, en proposant d’instaurer une taxe additionnelle à la taxe sur les immatriculations de véhicules, assise sur le nombre de grammes d’oxydes d’azote et de particules fines, les auteurs de la proposition de loi alourdissent une nouvelle fois la fiscalité sur le gazole.
Outre le caractère inconstitutionnel de cette taxe, l’absence de barème ne permet pas de se prononcer sur la pertinence du dispositif tel qu’il est soumis à notre examen.
La nouvelle version de la proposition de loi, proposée par voie d’amendement, vient corriger cette erreur de manière, il faut le dire, alambiquée en appliquant un taux, variable selon les normes Euro, au malus automobile reposant sur les émissions de CO2.
Le barème fixé renforce, de surcroît, le malus pour l’acquisition de véhicules équipés d’un filtre à particules, ce qui ne me semble pas utile, dans la mesure où les émissions ont été largement réduites.
MM. Yvon Collin et Jacques Mézard. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. En plus de l’alourdissement de la fiscalité sur le diesel, cette mesure aurait pour conséquence de bloquer le marché de l’occasion en décourageant les ventes de véhicules diesel anciens, sans pour autant les extraire de la circulation.
Or, pour réduire les émissions de particules et d’oxydes d’azote, l’objectif est bien évidemment le renouvellement de la flotte des véhicules diesel anciens, soit 7 millions d’unités.
Par conséquent, si ce texte venait à être adopté, les inconvénients resteraient supérieurs aux avantages ; quant aux coûts sociaux et économiques et aux risques pesant sur les constructeurs automobiles, ils ne se justifieraient pas.
La prime à la casse prévue pour l’année prochaine, limitée aux automobiles de plus de treize ans, est loin de prendre en compte l’ensemble des véhicules diesel les plus polluants, ce qui demeure compréhensible, au regard des coûts que cela entraînerait pour les finances publiques.
Enfin, non seulement la proposition de loi serait inefficace, mais elle révélerait aussi un manque de cohérence dans la politique énergétique, le transport routier n’étant pas le premier émetteur de particules fines.
Des efforts devront particulièrement porter sur le résidentiel tertiaire, premier émetteur de particules, qui est à l’origine de 44,5 % des particules PM2,5.
Les enjeux de santé publique méritent, certes, d’être pris en considération au plus vite. Toutefois, l’affirmation selon laquelle 15 000 à 42 000 décès prématurés seraient dus au diesel constitue un raccourci un peu trop rapide. (M. Yvon Collin opine.)
Plutôt que de procéder à la création de nouvelles taxes, à l’heure où le Président de la République lui-même s’est engagé à ce qu’il n’y ait plus aucune hausse d’impôt – et nous entendons le soutenir dans cet effort ! –, mieux vaudrait, mes chers collègues, poursuivre la recherche sur les véhicules du futur.
De plus, le projet de loi sur la transition énergétique est, à notre sens, le véhicule législatif le plus approprié, pour ne pas dire le plus propre (Sourires.), en vue de répondre à ces enjeux qui mêlent santé publique et protection de l’environnement.
J’ai apprécié le discours de Mme Aline Archimbaud, car il était plus rond, moins tranché, en un mot plus « radical » que celui tenu habituellement par les écologistes.
M. Yvon Collin. Attention à la chute...
M. Jean-Claude Requier. Toutefois, les sénateurs du groupe du RDSE étant opposés à la fiscalité « punitive » et résolument favorables à la remise à plat de la fiscalité dans son ensemble, n’apporteront pas leur soutien à la présente proposition de loi, et expliqueront leur position article par article. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais partager avec vous une certaine forme d’agacement.
Nous débattons de ce sujet depuis des mois.
En juillet, nous avons eu ce débat, mais il a avorté ; il a été rouvert de nouveau lors de l’examen de la loi de finances rectificative ; il nous revient en ce mois de novembre. Or le Gouvernement n’a fait à cet égard aucune proposition !
Je suis d’autant plus agacée que les études et les expertises s’accumulent : celles de l’OMS, de l’InVS, de l’ADEME.
On connaît les enjeux de santé publique : 30 % de la population souffre aujourd’hui d’allergies et de problèmes respiratoires ; cette proportion atteindra 50 % en 2030.
Or il n’y a pas une ligne – pas une ! - sur ce sujet dans le projet de loi de santé. Et, monsieur le secrétaire d’État, la ministre de la santé n’aurait-elle pas eu sa place à vos côtés, au banc du Gouvernement, pour l’examen de cette proposition de loi ?
Allons-nous continuer à traiter cette question au gré de mesures anecdotiques ou de débats ? Je me demande à quoi nous servons, nous, femmes et hommes politiques ! Face à des enjeux de santé publique qui concernent nos enfants, nous devrions plutôt nous faire leurs avocats et ceux des causes qui nous dépassent.
Nous ne pouvons pas nous abriter derrière notre ignorance ou notre incompétence. Le sujet, nous le connaissons par cœur ! Les particules fines, nous le savons, proviennent en grande partie du diesel, du fuel, de la biomasse. On sait aussi que l’apparition des oxydes d’azote, les fameux NOx, est liée à 56 % au transport, c’est-à-dire très majoritairement au diesel. Enfin, dans son avis de juin dernier, l’ADEME a clairement mis l’accent sur la nécessité de remplacer les véhicules diesel anciens.
Alors je vois certains sourire, considérant sans doute qu’il s’agit d’une lubie d’écologistes. Vision ô combien franco-française ! Il faut en effet savoir que le Japon a d’ores et déjà interdit le diesel, et que le Danemark taxe les véhicules à hauteur de 1 100 euros. Il y a donc bien là un véritable sujet...
Je sais qu’il existe des implications en termes de transition industrielle. Les coupables ne sont pas les constructeurs automobiles, pas plus que les Français qui ont acheté ces véhicules. Les responsables, ce sont les politiques qui ont favorisé cette stratégie de filière et qui ont incité au développement du diesel. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Aujourd'hui, les responsables que nous sommes doivent s’engager dans une politique de long terme. Il n’est pas question de tout bouleverser du jour au lendemain – il faut au moins dix ans pour qu’une filière industrielle s’adapte –, mais il importe de donner une orientation claire sur le long terme. Ce n’est pas ce que nous faisons : nous nous contentons de débattre !
Il est exact que cette proposition de loi – Aline Archimbaud, son auteur, n’en disconvient pas – souffre de limites tenant à sa construction.
D’abord, le malus devrait être fonction non pas du carburant, mais de la technologie, c'est-à-dire de l’émission réelle de particules fines. Tel qu’il est imaginé, ce malus toucherait les plus défavorisés, qui sont les premiers à rouler avec des véhicules de ce type.
Ensuite, ce malus devrait s’étendre au fuel et à la biomasse. Politiquement, c’est moins facile...
Enfin, comme l’a rappelé Christian de Perthuis ce matin lors de son audition, il aurait été plus pertinent de conserver l’écotaxe et ses portiques. On aurait ainsi pu avoir un ciblage extrêmement fin de la taxation en fonction de la technologie.
Plusieurs sénateurs du groupe du RDSE. C’est vrai !
Mme Fabienne Keller. Bravo !
Mme Chantal Jouanno. Plutôt que de balayer d’un revers de la main cette proposition de loi, le Gouvernement devrait accompagner le législateur.
Pardon de le dire ainsi, mais les niches parlementaires ressemblent de plus en plus à des débats de témoignages. On se fait plaisir, alors que nous sommes là pour construire la loi et pas seulement pour attester notre intérêt sur un sujet donné.
Or, sur des questions qui suscitent également un vrai débat technique, le Gouvernement ne nous accompagne pas, nous renvoyant systématiquement à un autre projet de loi, à un autre débat, à un autre groupe de travail, qu’on ne voit jamais, d’ailleurs.
Débattons donc aujourd'hui, puisque nous sommes réunis. Nous ne nous connaissons pas bien, monsieur le secrétaire d'État, mais vous découvrirez que je dépose les mêmes amendements chaque année : nous en débattons chaque année, mais ils ne sont jamais votés.
L’un de ces amendements vise à prévoir un alignement sur cinq ans ou dix ans de la fiscalité du diesel et de l’essence, pour éviter de favoriser un carburant par rapport à un autre.
M. Jean Desessard. Voilà un projet !
Mme Chantal Jouanno. Un autre amendement tend à supprimer les avantages fiscaux liés aux flottes diesel des entreprises. Un autre encore a pour objet de taxer les émissions de NOx afin de rendre le régime réellement dissuasif, ce qui fait encore plus débat.
Nous pourrions également débattre de la fiscalité écologique et, plus globalement, d’une réforme en profondeur de la fiscalité. Ce ne sera pas simple, car Christian de Perthuis a démissionné de son poste et il semblerait que, par nature, la fiscalité écologique soit punitive.
La fiscalité en France est trop lourde. Dans ces conditions, ne peut-on débattre d’une baisse globale des prélèvements obligatoires et, surtout, d’un changement d’assiette ? L’enjeu est de basculer d’une assiette reposant massivement sur les outils de production vers une assiette fondée sur la pollution ainsi que sur la consommation.
À cet égard, nous avons un long chemin devant nous. En effet, en termes de fiscalité environnementale rapportée au PIB, la France est avant-dernière de l’Union européenne. On me rétorque souvent que les taxes sur l’énergie sont importantes, mais, pour ce qui est des prélèvements sur les carburants rapportés au PIB, la France est en deçà de la moyenne européenne, et ce en raison de nombreuses exemptions.
De cela aussi, nous pourrions débattre. Nous ne le faisons jamais !
Malheureusement, monsieur le secrétaire d'État, je sais que vous aurez bien du mal à nous apporter une réponse positive, puisque la ministre de l’écologie considère que toute forme de fiscalité écologique est par nature punitive.
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Chantal Jouanno. Je ne doute donc pas que, dans votre réponse, vous nous renverrez à d’autres textes ou à un énième groupe de réflexion. Je n’attends d’ailleurs pas grand-chose d’autre, même si je tiens sincèrement à vous remercier de votre présence. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c’est tout naturellement que les écologistes apportent leur soutien à la proposition d’Aline Archimbaud.
Monsieur le secrétaire d'État, il est judicieux que, sur la modulation d’un mécanisme d’incitation, vous apportiez toute votre compétence financière, tout comme la commission des finances du Sénat apporte sa précieuse expertise. Mais c’est avant tout de santé que nous parlons, c'est-à-dire de personnes âgées qui finissent avec une bouteille d’oxygène sur le dos et un tuyau pour respirer, nous parlons des petits qui ont des bronchiolites et n’arrivent plus à remplir leurs poumons.
Dès la mise en place du bonus-malus, il est apparu que la focalisation sur le seul critère du C02 allait avoir un effet pervers : la promotion du diesel. En effet, pour bénéficier du bonus à l’achat d’une voiture, il fallait choisir des véhicules peu gourmands, donc peu émetteurs de C02. Seulement voilà, cela concernait le plus souvent des véhicules diesel !
Ainsi, sur le site de l’ADEME, ceux qui consultaient le tableau des véhicules éligibles voyaient d’abord défiler tous les modèles à motorisation diesel. La faille du bonus était flagrante !
Nathalie Kosciusko-Morizet s’en était alors émue et notre collègue Philippe Richert, dans cet hémicycle, avait fait des démonstrations accablantes.
Effectivement, il devenait absurde de protéger la planète aux dépens des poumons de tous et de la survie des plus fragiles.
Il devenait si gênant d’afficher ce paradoxe que l’ADEME ne tarda pas à modifier son moteur de recherche, brouillant les pistes. Il fallait d’abord saisir le nom du constructeur, puis le modèle, pour que s’affiche le bonus ou le malus du seul véhicule en consultation.
Cette proposition de loi permet une correction salutaire : éviter d’encourager la surcharge en particules fines et polluantes de l’air que nous respirons, sans créer la moindre dépense publique, bien au contraire. Afin de ne pas prendre au dépourvu les automobilistes, elle prévoit une application différée.
Je voudrais ici vous rapporter la mobilisation des scientifiques. Ce n’est pas un hasard si, le 3 avril dernier, l’INSERM a choisi ce sujet pour fêter ses 50 ans, en présence du Président de la République.
Rappelant qu’il y a dix ans les 6 000 morts liés aux accidents de la route avaient suscité une mobilisation sans précédent – ceintures de sécurité, contrôles-radars, limitations de vitesse –, les scientifiques se sont étonnés devant le Président de la République de l’inertie des pouvoirs publics devant les 20 000 à 40 000 morts annuels liés à la pollution de l’air, pour un coût estimé à 30 milliards d’euros par an.
En outre, monsieur le secrétaire d’État, la Commission européenne a adopté le 18 décembre dernier le programme « Air pur pour l’Europe », prévoyant des mesures destinées à garantir la réalisation des objectifs existants à court terme et établissant de nouveaux objectifs de qualité de l’air, dont les particules fines et les NOx, pour la période allant jusqu’à 2030.
Avec cette proposition de loi, nous disposons d’un outil permettant d’amorcer une véritable transition. Pour une fois, nous n’aurions pas de pénalités à payer : nous serions en avance sur la transposition !
L’urgence sanitaire à laquelle nous sommes confrontés doit nous inciter à arrêter de tout repousser au lendemain. L’argument des poussières des freins qu’a avancé Mme la rapporteur pour avis, loin de plaider contre ce texte, nous invite au contraire à cesser de rajouter dans l’air de ces particules fines.
Décidée dans les années quatre-vingt-dix en France, l’interdiction du plomb dans l’essence a permis une chute spectaculaire du taux d’exposition des enfants au plomb. Cela a également eu un impact positif sur l’économie, en permettant, par exemple, le développement des pots catalytiques. L’industrie automobile a su s’adapter et développer de nouveaux champs d’activité.
À Tokyo, des actions fortes ont permis de faire baisser de 44 % en dix ans le taux de concentration de particules fines dans l’air, alors que, sur la même période, celui de Paris est resté stable, malgré les efforts de la maire.
Enfin, j’invite ceux qui craindraient que cette mesure n’entame la compétitivité d’une particularité française, à savoir l’engouement industriel pour la motorisation diesel, à observer les mutations stratégiques déjà à l’œuvre, pour des raisons de marché à l’exportation.
Le groupe PSA s’est malencontreusement engagé dans une impasse : la voiture hybride diesel, que j’appelle la voiture « propre-sale », celle dont les écologistes ne veulent pas à cause du diesel et celle dont les consommateurs ne veulent pas à cause de son prix. Le groupe automobile planche désormais, avec son partenaire chinois, sur une technologie hybride rechargeable essence. Au mois d’octobre dernier, une revue automobile faisait état de ce revirement, arguant du coût – on ne peut pas tout mener de front –, mais aussi du peu d’appétence des étrangers pour le diesel.
Vous en conviendrez, chers collègues, on ne peut laisser en l’état des mesures de protection du climat de la planète qui seraient néfastes à la santé humaine, et même au commerce extérieur !
C’est pourquoi notre groupe soutient cette proposition de loi et encourage solennellement chacun à le faire. Comme vient de le dire notre collègue, il est regrettable que nous soyons tous d’accord sur les dégâts, mais si peu nombreux à vouloir résolument faire bouger les choses ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’évidence, nous sommes tous très intéressés par la proposition de loi que nous soumet ce soir notre collègue Aline Archimbaud. Nous sommes même presque d’accord sur tout : il est assez frappant de constater, depuis le début des débats, combien les analyses convergent.
Oui, nous sommes d’accord sur le fait que les particules fines, surtout les plus fines, et les NOx sont une catastrophe pour la santé.
Nous avons tous lu les très intéressantes études Aphekom, qui analysent l’impact de la pollution de l’air sur la santé dans nos villes ; nous avons tous lu les études de l’OMS, dans leur intégralité ou sous forme de synthèses. Les premières expliquent que, selon les villes de France, l’espérance de vie est raccourcie de trois mois à huit mois et les autres que la mauvaise qualité de l’air serait responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts.
Il n’est qu’à prendre l’exemple de Strasbourg. On estime qu’environ 11 % de la population respire un air très fortement dégradé. Évidemment, dans toutes nos agglomérations, cela ne concerne plus les centres-villes, parce que l’on y a développé des transports urbains ; cela touche plutôt les quartiers en périphérie, en particulier près des grandes infrastructures routières et là où les bouchons sont les plus importants.
Nous sommes donc tous d’accord, et l’Europe avec nous, ce qui explique que nous soyons sous le coup d’un contentieux ancien. Depuis plusieurs années – la commission des finances a rendu de superbes rapports sur le sujet –, nous risquons plusieurs centaines de millions d’euros de sanctions financières parce que nous ne respectons pas la directive européenne sur la qualité de l’air. Rappelons, au passage, que la totalité des villes françaises est poursuivie à ce titre.
Nous sommes d’accord sur le constat et, monsieur le secrétaire d’État, nous aurions pu avoir le plaisir de voir à vos côtés les ministres de la santé et de l’environnement. En effet, c’est une action conjointe qui serait efficace sur ces sujets de protection de la santé.
M. Joël Labbé. Cela aurait été bien !
Mme Fabienne Keller. Le texte que nous examinons ce soir prévoit la création d’une taxe ciblant les polluants automobiles pour leurs conséquences sanitaires.
Il s’agit là d’une belle idée, mais qui présente l’immense inconvénient de cibler ceux qui n’ont pas trop le choix, ceux qui circulent avec un vieux véhicule, parce qu’ils n’arrivent pas à dégager les finances pour le renouveler. Qui plus est, pour peu qu’ils ne roulent pas beaucoup, leur moteur est mal entretenu.
Au regard de ces différents constats, cette taxe apparaît peu efficace, même si je mesure les contraintes de notre collègue pour élaborer une proposition de loi financièrement raisonnable au regard de l’objectif retenu, à savoir l’amélioration des émissions dues au transport. Chantal Jouanno a brillamment rappelé tout à l’heure que c’était la première contribution pour les poussières et qu’elle était très importante pour les NOx.
Pire que cela, cette taxe aurait l’effet inverse, puisqu’elle pourrait ralentir le renouvellement du parc automobile français : cela a été rappelé, le nouveau parc diesel aux normes Euro 5 et Euro 6 n’a plus rien à voir avec l’ancien.
Enfin, cela n’encouragerait pas à ce qui devrait être notre objectif ultime, c'est-à-dire l’utilisation de véhicules écologiques – c’est à dessein que je ne parle pas de « voitures » –, le recours à des modes de transport écologiques divers, qui pourraient se substituer à ces voitures émettrices de polluants dangereux pour la santé.
Bien sûr, il faut prendre en compte l’industrie automobile française, mais celle-ci est parfaitement consciente des mutations en cours. Ayant rédigé un rapport sur le nouveau véhicule écologique au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, je peux vous dire que ce secteur réfléchit beaucoup, mais que cette industrie lourde a besoin de prévisibilité en matière de fiscalité et de marché.
Le débat est plus large, car il porte sur des questions plus comportementales, à savoir les formes de déplacements : les déplacements individuels et collectifs, mais aussi les déplacements intermédiaires que sont le covoiturage ou les autres formules coopératives de transport.
D’autres l’ont dit avant moi, cette disposition législative aurait plus naturellement sa place dans le projet de loi plus global relatif à la transition énergétique.
Toutefois, comme d’autres, je suis découragée par le report éternel des décisions en matière de fiscalité incitative. Quelle déception depuis deux ans ! Après la malheureuse annulation de la taxe carbone, il y a déjà cinq ans, l’écotaxe, qui avait, je le rappelle, fait consensus dans le cadre du Grenelle de l’environnement, est aujourd'hui abandonnée, et avec elle les portiques et un investissement de un milliard d’euros. Aucun autre dispositif n’est mis en place pour favoriser des comportements qui ne soient pas à l’origine d’émissions dangereuses.
Notre impuissance collective, notre difficulté sur ce sujet à passer des discours, qui font consensus, aux actes nous apparaissent clairement ce soir. C’est tout le mérite de cette proposition de loi, chère Aline Archimbaud, que de pointer notre incapacité collective à avancer fortement dans ce qui relève de l’intérêt général. Ce ne sont pas seulement les directives européennes qui nous le disent, c’est le bon sens aussi, surtout quand on vit en ville ; ce sont les normes sanitaires d’ores et déjà applicables dans les établissements destinés aux plus jeunes et aux plus âgés.
L’article 1er, même si l’objectif qui le sous-tend peut être compris, fonctionne à l’envers. En outre, il ne serait pas constitutionnel. Le groupe UMP n’y est donc pas favorable.
L’article 2 prévoit la remise au Parlement d’un rapport portant sur l’indépendance de l’expertise technique. Ce point ne pose pas de difficulté particulière.
Enfin, l’article 3 prévoit de rendre obligatoire la réalisation d’un diagnostic d’éco-entretien lors de la cession des véhicules diesel d’occasion de plus de quatre ans. Pourquoi pas ? Mais, sur ce dispositif comme sur d’autres, le diable pourrait être dans les détails. Il faut que les prescriptions soient mises en œuvre de manière efficace eu égard à l’objectif fixé. Les contrôles ne doivent pas être de pure forme, inutiles ou excessivement tatillons et coûteux pour les usagers.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne votera ni l’article 1er ni l’ensemble de la proposition de loi, même si les articles 2 et 3 ne font pas problème. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici amenés à débattre de la proposition de loi présentée par Mme Aline Archimbaud. C’est un texte important, dont l’objectif est de répondre à un problème sanitaire réel et aux préoccupations de nos concitoyens, qui sont aujourd’hui légitimement inquiets du niveau de pollution de l’air.
Beaucoup de choses ayant déjà été dites, je n’y reviendrai pas, afin de gagner un peu de temps.
Plusieurs de nos collègues ont, à juste titre, laissé transparaître leur exaspération : les alertes sont nombreuses, mais nous éprouvons de grandes difficultés à passer aux actes.
Si cette exaspération est légitime, elle s’explique à mon sens par le caractère incontestable du problème, sur lequel nous sommes tous d’accord, et par la complexité de la situation française.
De nombreuses indications ont été données sur la réalité du problème. L’impact sanitaire et environnemental négatif du diesel n’est pas contestable. Certains d’entre vous l’ont rappelé, l’OMS a reconnu le caractère cancérigène certain des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote. Je n’insisterai pas sur les pathologies pulmonaires qui en sont la conséquence.
La situation en France est cependant objectivement différente de celle qui prévaut dans de nombreux autres pays. À cet égard, je ne partage pas tout à fait le jugement qu’a porté notre collègue Chantal Jouanno, rendant les politiques responsables de la « diésélisation » du parc automobile, qui est l’une de ses caractéristiques les plus saillantes : 60 % du parc actuel fonctionne au diesel et les véhicules diesel représentent encore 67 % des ventes de véhicules.
Pour ma part, je pense que cette situation résulte également de choix industriels et technologiques, qui ont été faits à un moment où les connaissances sur ces questions étaient très différentes de celles d’aujourd'hui. Certes, des choix fiscaux ont été faits, mais je ne pense pas pour autant que l’on puisse imputer à des décisions politiques la réalité actuelle.
Nous sommes donc dans une situation complexe. Alors que 7 millions de véhicules seulement sont équipés d’un filtre à particules, que 12 millions de véhicules anciens n’en disposent pas, je ne suis pas certain que l’on puisse facilement basculer d’un système à l’autre. C’est la raison pour laquelle, bien que, partant d’un diagnostic commun, nous soyons tous d’accord sur l’urgence qu’il y a à agir, nous avons des difficultés pour avancer concrètement.
La France présente également une particularité fiscale. Il y a en effet un différentiel de taxation entre le gazole et l’essence de 17 centimes par litre, soit une dépense fiscale de 7 milliards d’euros en faveur du gazole.
On ne peut donc pas régler ces questions aussi rapidement qu’on le voudrait. Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’essayer, comme nous y incite ce texte, même si, à mon sens, il n’est pas totalement convaincant.
Pour ma part, il me semble préférable de mettre fin rapidement au différentiel de fiscalité entre le diesel et les autres carburants, comme le propose d’ailleurs le Comité pour la fiscalité énergétique. De même, il est essentiel de transformer le parc automobile existant plutôt que d’agir uniquement sur les véhicules neufs. C’est en jouant sur ces deux leviers que nous pourrons paradoxalement être le plus efficaces.
À cet égard, force est de constater que le texte qui nous est aujourd'hui proposé n’est pas tout à fait satisfaisant. Cela a été dit, l’article 1er pose des problèmes de constitutionnalité. Il est essentiellement punitif puisqu’il prévoit un malus, mais pas de bonus pour les véhicules plus performants. Or, encore une fois, il porte sur le parc neuf, alors que, objectivement, ce n’est pas le problème le plus urgent à traiter si nous voulons être efficaces.
L’article 2 prévoit la remise d’un rapport portant sur l’indépendance de l’expertise technique. Cela peut effectivement être utile. Nous y sommes donc favorables.
L’article 3 vise à rendre obligatoire au 1er janvier 2016, lors de la cession de tout véhicule d’occasion de plus de quatre ans, la remise d’un certificat de diagnostic d’éco-entretien portant sur l’ensemble des émissions polluantes du véhicule. Nous ne sommes pas défavorables à cette mesure sur le principe, mais, sur le plan de la méthode, il nous paraît difficile de l’examiner dans le cadre de la présente proposition de loi, alors qu’une disposition similaire figure dans un texte plus large, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, qui nous sera très prochainement soumis.
En définitive, vous l’aurez compris, nous sommes réservés sur cette proposition de loi. Il est toujours délicat de traiter de manière spécifique, isolément, un problème qui, dans les faits, a des conséquences sanitaires graves, mais dont la solution exige aussi des évolutions décisives de notre appareil industriel ainsi que de notre conception de la fiscalité. Un texte ne comprenant que trois articles n’est pas suffisant pour traiter de ces sujets.
Même si nous partageons les préoccupations sanitaires et environnementales des sénateurs écologistes, même si nous sommes conscients de la nécessité d’avancer rapidement, nous ne pouvons pas approuver ce texte.
M. Ronan Dantec. Un peu de cohérence, tout de même !
M. Maurice Vincent. Cette proposition de loi aborde des questions très importantes, qui demandent des réponses rapides et efficaces. Pour notre part, nous souhaitons une approche globale de la fiscalité et de la transition énergétique, ce qui ne signifie pas que nous considérions indispensable de perdre du temps, bien au contraire. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe écologiste.)
Nous pensons que ce texte est utile et qu’il constitue un point d’appui pour une approche plus large, que nous souhaitons privilégier. Nous n’approuverons pas la proposition de loi, même si nous considérons malgré tout que l’article 2 est acceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Nouvelles exclamations ironiques sur les travées du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Finalement, il vaut mieux que vous ne soyez pas d’accord, mais que vous votiez !
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe écologiste que nous examinons porte un titre explicite qui se suffit à lui-même.
Cette proposition de loi part à l’évidence d’un bon sentiment. Au-delà de cette réaction immédiate, ce texte suscitera de notre part deux commentaires, sur le fond d’abord, puis sur la forme, et une conclusion.
Mme Esther Benbassa. Une belle dissertation, en somme !
M. Louis Nègre. J’évoquerai premièrement le fond.
Le secteur des transports est le premier responsable des émissions de gaz à effet de serre. Il représentait en 2011 27 % des émissions devant l’agriculture, le résidentiel ou même l’industrie. Cependant, il est à remarquer que le secteur automobile a fait de grands progrès, puisque la moyenne des émissions de CO2 des véhicules neufs a baissé de 25 grammes en cinq ans pour atteindre 124 grammes par kilomètre en 2012.
En ce sens, notre pays a respecté ses engagements européens dans ce domaine.
Pour autant, le parc automobile français est « diésélisé » à plus de 60 %. La France atteint même le taux record de 67 % s’agissant de la vente de véhicules neufs.
Cette surreprésentation des moteurs thermiques diesel par rapport au parc des pays européens – et je ne parle pas du Japon – a des conséquences qui ne peuvent qu’interpeller. En effet, dans les fumées émises par ces moteurs, outre du dioxyde de carbone, on trouve des particules fines dont les plus petites, très pathogènes, pénètrent profondément dans l’organisme.
De même, plus de la moitié des émissions d’oxydes d’azote, autres polluants reconnus, proviennent du secteur des transports.
Ces substances entraînent une pollution de l’air qui, à son tour, a un impact significatif sur la santé de nos concitoyens.
Ainsi, en juin 2012, le Centre international de recherche sur le cancer, qui est un organe de l’OMS, a classé les gaz d’échappement des moteurs diesel dans le groupe des agents cancérogènes certains pour l’homme.
Selon une estimation figurant dans un rapport du programme « Air pur pour l’Europe », l’aggravation de la mortalité liée à ces polluants se traduirait par plus de 40 000 morts prématurées chaque année. Cette prévision confirme la gravité du problème.
L’Institut de veille sanitaire confirme à son tour que, lorsque les concentrations de PM2,5 augmentent, la mortalité augmente elle aussi.
Les risques issus de cette pollution sont admis également par une étude du programme européen Aphekom, qui reconnaît la réduction de l’espérance de vie dans ces conditions.
En 2013, une étude publiée à son tour par The Lancet, revue scientifique de rang international, a confirmé les effets néfastes pour la santé humaine de ce type de pollution.
Il est donc désormais avéré que la pollution due aux émissions de particules fines et d’oxydes d’azote doit non seulement être prise en considération, mais que, en plus, elle a des effets incontestablement néfastes sur la santé, notamment sur celle des plus faibles, c'est-à-dire les plus jeunes et les plus âgés d’entre nous.
Et je n’évoquerai que pour mémoire, au-delà du problème sanitaire, l’importance considérable des pénalités financières européennes, qui se chiffreraient en dizaines de millions d’euros,…
M. Jean Desessard. Exactement, 100 millions d’euros !
M. Louis Nègre. … venant aggraver la dette publique, ou le déséquilibre de notre modèle économique du raffinage, qui accentue le déficit de notre commerce extérieur.
En conséquence, cette proposition de loi soulève une véritable question, qui doit être traitée par la représentation nationale. (Marques d’approbations sur les travées du groupe écologiste.) Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte sera prochainement discuté au Sénat. En tant que rapporteur de ce texte, au nom de la commission du développement durable, j’examinerai avec la plus grande attention ce problème, qui est reconnu sur toutes les travées, et j’espère que la Haute Assemblée pourra formuler des propositions très concrètes, afin de ne pas désespérer certains de nos collègues…
Je ferai maintenant un commentaire sur la forme, quant à elle beaucoup plus discutable, madame Archimbaud.
En effet, instaurer la taxe supplémentaire proposée aurait pour conséquence d’augmenter la fiscalité pesant sur les automobilistes et d’inciter, paradoxalement, à ne pas remplacer le plus rapidement possible le parc diesel vieillissant.
De plus, l’article 1er de la proposition de loi est contraire au cinquième alinéa de l’article 34 de la Constitution, qui réserve à la loi la fixation « des impositions de toutes natures ».
L’article 2 prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport portant sur l’indépendance de l’expertise technique, ce qui constitue une proposition intéressante.
Par ailleurs, la création, prévue par l’article 3, d’un certificat de diagnostic d’éco-entretien est, je le rappelle, mes chers collègues, d’ores et déjà intégrée à l’article 17 bis du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte que nous aurons à examiner prochainement.
En conclusion, la commission du développement durable à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir a rendu sur ce texte un avis défavorable, auquel je m’associe. Cela étant, je pense que nous devons nous saisir tous ensemble du problème soulevé par ce texte d’appel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Je me félicite de la richesse de ce débat, dont chacun a reconnu la pertinence.
La fiscalité doit-elle être incitative, punitive ou de rendement ? Cette question, que se pose tout gouvernement, tout législateur, a été soulevée par plusieurs orateurs, directement ou en creux. Le dispositif de cette proposition de loi rentre-t-il dans l’une de ces catégories ? On pourrait certainement en discuter longtemps. Pour ma part, j’ai tendance à penser que, dès lors que la fiscalité est différenciée, en l’occurrence suivant le type de carburant ou de véhicule, elle a forcément des vertus incitatives.
Pour autant, on ne peut pas nier non plus a priori, même si l’évaluation a été difficile s’agissant d’un texte dont nous n’avons pris connaissance que tardivement, que le dispositif de l’amendement n° 1 serait de nature à produire un rendement si le Sénat adoptait le barème tel qu’il est présenté.
Pour ma part, en tout cas, je ne considère pas que, par principe, toute forme de fiscalité serait nécessairement punitive. J’ai toutefois remarqué que, en ce moment, toute forme de fiscalité semble perçue ainsi…
M. Louis Nègre. Il faut dire qu’il y en a tellement !
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. C’est un peu facile, monsieur le sénateur !
J’ai perçu une forme de manque de confiance, de lassitude chez certains orateurs, qui disaient en substance : « on est tous d’accord sur les constats, mais rien ne se fait ».
Mme Fabienne Keller. C’est pourtant vrai !
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Madame Jouanno, vous nous avez dit que, compte tenu de la complexité et de l’ampleur du problème, il fallait commencer à agir très tôt pour étaler la mise en œuvre des mesures sur une longue durée. Mais que n’avez-vous commencé lorsque vous étiez ministre ! (Mme Chantal Jouanno s’exclame.) Après une taxe carbone avortée, que n’avez-vous remis l’ouvrage sur le métier !
M. Jean-Jacques Filleul. Exactement !
Mme Chantal Jouanno. Qui a saisi le Conseil constitutionnel ?
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Je vous signale quand même que c’est bien le gouvernement actuel qui, avec responsabilité et courage, a instauré une contribution climat-énergie, madame Jouanno !
J’entends bien les reproches qui sont adressés, ici et là, à la contribution climat-énergie : en particulier, elle ferait augmenter de manière importante le prix du gazole. Eh bien oui, c’est vrai, et nous l’assumons ! La première année, l’effet fut quasiment nul, mais, dès la deuxième année, elle a engendré un produit substantiel et, la troisième année, ce produit atteint quelque 3,5 milliards d’euros, ce qui est tout de même loin d’être anodin !
N’est-ce pas ce gouvernement qui a proposé récemment une augmentation des prix du gazole ? Vous me répondrez que c’est parce qu’il fallait dégager du rendement. Certes, mais avoir choisi ce support est néanmoins un signe !
J’ajoute, mesdames, messieurs les sénateurs, que je n’ai pas vu grand monde se dresser contre les hordes de « bonnets rouges » qui venaient détruire les portiques ; bien au contraire, j’ai plutôt vu certains parlementaires, siégeant d’un certain côté de l’hémicycle, tenir la tête des manifestations ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je reconnais, madame Keller, que ce n’est pas votre cas…
Mme Fabienne Keller. Non !
M. Joël Labbé. Ce n’est pas le nôtre non plus !
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. En tant qu’élu lorrain, je connais la position des Alsaciens sur le sujet ; à mon sens, elle est tout à leur honneur.
En tout cas, il est tout de même un peu curieux d’entendre dire que le Gouvernement serait d’une inertie totale sur ce dossier, que les parlementaires se révéleraient impuissants, bloqués tantôt par l’article 40 de la Constitution, tantôt par telle ou telle autre disposition constitutionnelle, et que, en conséquence, il reviendrait au Gouvernement de prendre toutes les initiatives.
Après m’être exprimé avec la franchise qui, je crois, m’est habituelle, je vous assure de la disponibilité du Gouvernement, qui est prêt à engager le débat sur la base de ces travaux.
Il reste encore un certain nombre d’étapes à franchir, ne serait-ce que pour la raison que j’ai évoquée à la tribune tout à l’heure : comme on ne dispose pas à l’heure actuelle d’une méthodologie fiable permettant de quantifier les volumes de particules fines rejetés par les véhicules afin de les mentionner sur les cartes grises et sur les documents de certification technique, le dispositif paraît très difficile, pour le moins, à mettre en œuvre en l’état.
Certes, nous avons encore, collectivement, du chemin à parcourir pour aboutir à un système parfaitement vertueux, mais il faut tout de même reconnaître qu’il y a eu, en matière de fiscalité environnementale, de réglementation, de dispositifs incitatifs – je pense notamment à des systèmes de crédit d’impôt, d’encouragement, de bonus-malus – évoluant au fil du temps, des avancées significatives, et pas seulement depuis deux ans. On ne peut donc pas prétendre que rien n’a été fait, sauf à provoquer une réaction un peu vive de ma part ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles
Article 1er
I. – Il est instauré une taxe additionnelle à la taxe prévue à l'article 1011 bis du code général des impôts.
II. – La taxe est assise :
a) Pour les véhicules de tourisme au sens de l'article 1010 du même code qui ont fait l'objet d'une réception communautaire au sens de la directive 2007/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 sur le nombre de grammes d'oxydes d'azote et de particules fines émis par kilomètre ;
b) Pour les véhicules de tourisme au sens de l'article 1010 autres que ceux mentionnés au a, sur la puissance administrative.
III. – Le barème de l’imposition ainsi que les modalités d'application sont définis par décret.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, sur l’article.
Mme Aline Archimbaud, auteur de la proposition de loi. Nous proposerons tout à l’heure une réécriture complète de cet article 1er, au travers de l’amendement n° 1, élaboré afin de tenter de répondre à différentes suggestions et critiques formulées par des collègues.
Nous avons ainsi renoncé à instaurer une taxe – j’ai beaucoup entendu parler de matraquage fiscal, de hausses d’impôts –, pour instituer à la place un système de bonus-malus. Le dispositif comporte désormais un barème, pour répondre à une objection d’ordre constitutionnel.
Ensuite, concernant l’argument du monopole fiscal des lois financières, nous nous sommes renseignés : un tel monopole n’existe pas dans la loi, comme l’explique très bien un rapport du Sénat publié cette année. Aux termes de ce rapport, « une loi ″ ordinaire ″ peut comporter des mesures relatives aux ressources de l’État […], et ce même si elles ont une incidence sur l’équilibre budgétaire dès lors qu’elles ne ″ bouleversent ″ pas ce dernier ». Il me semble que cette proposition de loi s’inscrit dans ce cadre.
Enfin, le dispositif ne propose certes pas une politique globale, mais je ne vois pas comment une proposition de loi pourrait le faire : une initiative parlementaire est par définition limitée ; par conséquent, nous reprocher de ne pas couvrir toutes les formes de pollution automobile ne me semble pas fondé.
Je précise que le malus ne porte que sur les véhicules neufs. À cet égard, je suis très heureuse d’avoir entendu tout à l’heure M. le secrétaire d’État nous indiquer que Mme Royal, ministre de l’écologie, avait annoncé la création prochaine d’un fonds pour aider les propriétaires de vieux véhicules diesel, particulièrement polluants, à les remplacer par des véhicules plus propres. Cette mesure gouvernementale est très intéressante, mais pourquoi l’opposer à notre initiative, de nature à la fois dissuasive et incitative ?
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l’article.
M. Ronan Dantec. Je m’attendais à des dizaines de prises de parole sur cet article, qui nous amène au cœur du sujet.
J’ai entendu de grandes déclarations sur le caractère incontestable des ravages sanitaires causés par les particules fines. Il est donc temps que la représentation nationale se mobilise sur ce sujet, consciente que des dizaines de milliers de personnes, appartenant principalement aux classes populaires, comme l’a relevé Mme Keller, sont victimes de ces pollutions.
Une première proposition formulée par le groupe écologiste consiste à recourir à un système de bonus-malus. On a bien vu qu’il s’agit d’un outil incitatif intéressant, permettant de modifier les comportements. D’ailleurs, le Gouvernement utilise à plein ce dispositif à cette fin, ainsi que pour agir sur les filières de l’industrie automobile.
Il reste certainement à discuter du volet « bonus », qui est moins présent dans le dispositif. J’espère que nos collègues feront des propositions sur ce point. Étant donné la gravité du sujet, nous nous grandirions si nous arrivions à une position partagée ici au Sénat. Néanmoins, la proposition de loi ne se limite pas à l’instauration d’un malus ; elle prévoit aussi une forme de bonus pour les véhicules dont les émissions de particules fines ont été fortement réduites. En ce sens, le dispositif comporte une prime à la modernisation. En tout état de cause, s’agissant du malus, il est plus que temps qu’il prenne en compte les émissions de particules fines.
M. le secrétaire d’État a dit un peu rapidement que le Gouvernement, à travers le bonus existant actuellement, avait fait le choix du véhicule propre. Ce n’est pas si vrai. Il a surtout fait le choix de promouvoir une filière unique, la filière électrique. Le bonus concerne aujourd’hui des véhicules plutôt chers, achetés par des gens a priori aisés. Pour ma part, je regrette profondément la décision, prise cette année, de supprimer le bonus pour les petits véhicules thermiques, alors qu’inciter les ménages modestes à l’achat de tels véhicules aurait aujourd’hui une incidence très forte en termes de lutte contre la pollution atmosphérique.
Ce serait de surcroît parfaitement cohérent avec ce que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait annoncé voilà deux ans – c’est-à-dire il y a un siècle ! – lors de la conférence environnementale, à savoir qu’il privilégierait l’évolution de la filière industrielle française. Je le souligne, car je ne voudrais pas que l’on pense que les écologistes sont des irresponsables qui ne se soucient pas des filières industrielles. Je crois même que, sur cette question, nous avons probablement plus discuté avec les constructeurs automobiles que d’autres qui multiplient aujourd’hui les déclarations sur le caractère incontestable des ravages sanitaires des particules fines.
Il s’agit donc d’instaurer un bonus, évidemment financé par un malus, qui permette de développer de nouveau des véhicules thermiques ne fonctionnant pas au diesel. Les constructeurs automobiles français renoncent d’ailleurs au diesel pour les petites cylindrées : nous voudrions les aider à aller encore plus vite en réintroduisant un bonus pour les petits véhicules thermiques.
La proposition d’Aline Archimbaud, qui sera, je l’espère, complétée par nos collègues, permettra d’évoluer vers un dispositif plus cohérent. C’est aussi dans l’intérêt des filières industrielles françaises, qui sont très présentes sur le segment des petits véhicules. Il ne s’agit donc absolument pas d’une proposition qui arrive de nulle part !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l'article.
M. Jean Desessard. Mme la rapporteur pour avis a dit que l’abrasion des plaquettes de frein représentait un plus grave danger que l’émission des gaz d’échappement. Si c’est le cas, il faut s’en préoccuper, lancer d’urgence une étude pour orienter l’action, puisque nous nous accordons tous, à l’exception des radicaux, à reconnaître que les particules fines sont une menace pour la santé ! Sinon, cet élément n’a rien à faire dans notre débat.
Par ailleurs, certains parlent d’« écologie punitive ». Mais l’amende de 100 millions d’euros infligée par l’Union européenne à la France, ce n’est pas une punition ? Qui va payer au final, sinon les contribuables ? Moi, je veux bien que l’on fasse de l’écologie bienfaitrice, par exemple en accordant des subventions à l’agriculture biologique pour favoriser une production plus respectueuse de l’environnement.
M. Joël Labbé. Très bonne idée !
M. Jean Desessard. On peut faire de tels choix, mais je ne sais pas s’ils vous plairaient, mes chers collègues ! À cet égard, j’ai apprécié que M. le secrétaire d’État précise qu’une taxation pouvait, selon les cas, être punitive, incitative ou signifier une interdiction.
Qu’est-ce qui est punitif, monsieur Requier ? Les particules fines portent atteinte à la santé : n’est-ce pas punitif pour nos concitoyens, tant sur le plan sanitaire que sur le plan financier ? La taxation a pour fonction moins de punir les gens que de prévenir et de réparer les dégâts provoqués par un modèle polluant et néfaste pour la santé, comme tout le monde s’accorde à le reconnaître. En l’occurrence, l’écologie vise à protéger la santé de nos concitoyens. Je ne trouve donc pas qu’elle soit punitive.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez remis les choses en perspective. La mise en place de la contribution climat-énergie a effectivement été un choix politique, que nous, écologistes, avons approuvé, et il est naturel que vous renvoyiez dans les cordes la droite, qui n’a pas fait assez. Cependant, le milliard d’euros d’augmentation de la fiscalité sur le gazole ne provient pas de la mise en œuvre d’un plan conçu pour réduire la part du diesel. En effet, loin d’être davantage taxé que l’essence, le gazole est aujourd’hui favorisé ! Là est le problème ! Par exemple, les taxis peuvent récupérer la TVA sur le gazole, mais pas sur l’essence : ils s’équipent donc de véhicules diesel.
Par conséquent, afin de traiter un problème que l’on voit poindre depuis longtemps, il faut élaborer un plan sur cinq ou dix ans, visant d’abord à rapprocher progressivement les régimes fiscaux des deux types de carburants, puis à rendre la taxation du gazole plus lourde que celle de l’essence, afin d’inciter à l’achat de véhicules fonctionnant à l’essence. Il s’agit de tracer des perspectives, et non pas de prendre une mesure brutale d’augmentation des taxes sur le gazole : il est plus intéressant de mettre en place un véritable plan de développement.
En 2005 déjà, jeune sénateur, j’avais assisté à une réunion avec les constructeurs automobiles. Au lieu d’anticiper les évolutions, de concevoir des véhicules plus propres, plus économes en carburant, ils demandaient la suppression des normes européennes, qui selon eux leur causaient trop de problèmes. Si, à l’époque, la puissance publique et le législateur avaient affirmé nettement qu’il fallait réduire la pollution et la consommation des véhicules, les constructeurs auraient eu le temps de se préparer et d’engager une mutation industrielle. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l'article.
M. Daniel Chasseing. Effectivement, on sait maintenant que les particules fines peuvent provoquer, dans certains cas, des problèmes pulmonaires. On sait aussi que la bronchiolite est causée par un virus, et non par la pollution.
Je rappelle que les véhicules neufs ont fait de très gros progrès et qu’ils polluent beaucoup moins. Voilà seulement quelques années, on faisait encore beaucoup de publicité pour le diesel. En outre, les gens rémunérés au SMIC ne peuvent pas se permettre d’acheter un véhicule neuf et veulent continuer à rouler avec leur voiture d’occasion. Or si l’on commence à instaurer des taxes sur les véhicules neufs, cela s’étendra bientôt aux véhicules d’occasion.
Je pense qu’il faut faire évoluer le parc progressivement, mais je suis contre la mise en place d’une taxation. C’est pourquoi je voterai contre cet article.
J’ajoute que si dans certaines régions, comme l’Alsace, tout le monde était apparemment pour l’écotaxe, ce n’était pas le cas dans beaucoup d’autres territoires, comme la Bretagne ou le Limousin, dont les habitants y étaient résolument opposés.
Par ailleurs, vous n’avez pas parlé des emplois dans les sociétés de transport. Certes, il faut développer progressivement l’utilisation des camions roulant à l’essence, mais pour l’instant on n’en voit pas. En Limousin, pour les petites entreprises de transport régional, l’écotaxe aurait coûté 10 000 euros par an et par camion. Il faut parler de la pollution, mais aussi des emplois que les taxes vont menacer.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l'article.
M. Éric Bocquet. L’article 1er introduit une forme de modulation de la taxation en fonction du volume des émissions de particules fines, mais il semblerait qu’il ne soit pas techniquement si simple d’évaluer le volume de ces émissions.
Au-delà de cet aspect, presque secondaire, nous restons réservés sur la philosophie de cet article.
Le problème posé par nos collègues écologistes est double.
D’une part, le dispositif servirait surtout à alimenter un compte d’affectation spéciale structurellement en déficit. Il est donc à craindre que les considérations budgétaires, qui dominent très nettement ces temps-ci, ne l’emportent sur les préoccupations environnementales.
D’autre part, il nous semble nettement préférable de mobiliser la dépense publique dans sa globalité en matière de protection de l’environnement.
Cela étant, nous voulons être positifs et avancer des propositions de long terme, car les problèmes ne vont pas se résoudre d’un coup de baguette magique.
Dans cet esprit, pourquoi ne pas bonifier des emprunts destinés à financer la recherche en matière de motorisation, en vue d’améliorer encore les performances des moteurs en termes de consommation de carburant et d’émissions de particules ? Pourquoi ne pas lancer dès maintenant une véritable politique de reclassement des salariés du secteur automobile aujourd’hui employés à la construction de véhicules diesel ? Pourquoi ne pas consacrer une part significative du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, au développement du report modal ? Au demeurant, je note que le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une mesure de ce type, tendant à attribuer plus de 1 milliard d’euros provenant de cette taxe à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF.
La TICPE représente en effet une ressource très importante. En 2015, son rendement devrait s’élever à 26,5 milliards d’euros en valeur brute, auxquels s’ajouteront 5,3 milliards d’euros de TVA, soit près de 32 milliards d’euros au total, montant qui n’est pas très éloigné du produit attendu de l’impôt sur les sociétés, alors même alors que les exemptions fiscales atteignent 3,8 milliards d’euros en valeur brute et 4,56 milliards d’euros en valeur TTC.
Il y a là, selon nous, du grain à moudre pour mettre en place une vraie politique de protection de l’environnement. Encore une fois, nous maintenons nos réserves sur la philosophie de l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, sur l'article.
Mme Chantal Jouanno. Sur cet article, assez technique, il serait très intéressant de pouvoir bénéficier de l’expertise du Gouvernement… Mais celui-ci a-t-il réellement l’intention de faire quelque chose ? En effet, sur la question des particules, rien n’a été fait ! La contribution carbone ne concerne pas les particules, car les émissions de gaz à effet de serre ne constituent pas une pollution au sens propre du terme.
Si les considérations environnementales avaient prévalu sur les considérations budgétaires, l’écotaxe n’aurait pas été abandonnée – je précise que je n’ai pas manifesté contre l’écotaxe, bien au contraire ! –, les ZAPA, les zones d’actions prioritaires pour l’air, n’auraient pas été abandonnées, la surveillance de la qualité de l’air dans les crèches et les écoles n’aurait pas été abandonnée.
Sur cet article, il serait extrêmement intéressant, je le redis, que le Gouvernement nous fasse profiter de son expertise et nous livre ses propositions.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. J’ai dit qu’il était difficile de connaître le taux de particules émises par kilomètre, et par conséquent d’évaluer le dispositif de l’amendement déposé à l’article 1er par Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste. Je suis en effet incapable de dire quels véhicules ressortissent à telle ou telle tranche du barème proposé. Comme l’a indiqué M. Bocquet, en l’état, le dispositif présenté semble techniquement inapplicable, sauf à exiger de l’ensemble des constructeurs que soit mentionnée, sur les cartes grises, la quantité de particules fines émises par kilomètre, comme c’est le cas pour les émissions de CO2. Sinon, sur quelle base allons-nous taxer ?
En ce qui concerne le compte d’affectation spéciale bonus-malus, je précise que s’il a été largement déficitaire dans le passé, il est aujourd'hui quasiment équilibré.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 1011 bis du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa du II, après le mot : « carbone », sont insérés les mots : «, le nombre de grammes d’oxydes d’azote et le nombre de particules fines » ;
2° Au premier alinéa du III, après le mot : « taxe », sont insérés les mots : «, pour sa part relative au dioxyde de carbone, » ;
3° Après le III, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :
« … – Le tarif de la taxe est obtenu par l’application au tarif pour la part relative au dioxyde de carbone, définie au III, d’une modulation, définie au présent paragraphe, dépendant des caractéristiques d’émission du véhicule. Si un véhicule relève de plusieurs catégories, c’est la catégorie la plus favorable au redevable de la taxe qui est retenue.
« 1° Si le véhicule respecte la norme euro 6, qu’il émet moins de 55 mg/km d’oxydes d’azote et moins de 5x1011 particules fines par kilomètre, alors le tarif défini au III est minoré de 5 % ;
« 2° Si le véhicule respecte la norme euro 6 et qu’il émet moins de 6x1011 particules fines par kilomètre, alors le tarif défini au III est appliqué sans modification ;
« 3° Si le véhicule respecte la norme euro 6, alors le tarif défini au III est majoré de 5 % ;
« 4° Si le véhicule respecte la norme euro 5, alors le tarif défini au III est majoré de 10 % ;
« 5° Si le véhicule respecte la norme euro 4, alors le tarif défini au III est majoré de 15 % ;
« 6° Si le véhicule respecte la norme euro 3, alors le tarif défini au III est majoré de 20 % ;
« 7° Si le véhicule respecte la norme euro 2, alors le tarif défini au III est majoré de 25 % ;
« 8° Si le véhicule respecte la norme euro 1, alors le tarif défini au III est majoré de 30 % ;
« 9° Dans tous les autres cas, le tarif défini au III est majoré de 35 %. »
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le secrétaire d’État, j’entends vos réticences, mais que nous proposez-vous ? Tout le monde convient que nous sommes confrontés à un risque de drame sanitaire : de 20 000 à 40 000 morts par an, ce n’est tout de même pas rien ! Il doit bien être possible de développer des techniques permettant de mesurer les quantités de particules émises ! Que fait-on pour avancer ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. La commission des finances a émis un avis défavorable sur cet amendement, pour deux raisons.
Premièrement, cet amendement tend à alourdir la fiscalité pour la quasi-totalité des automobilistes, alors que l’augmentation de la taxe sur le gazole prévue dans le projet de loi de finances pour 2015 pénalise déjà leur pouvoir d’achat. Je rappelle tout de même que, avec le schéma proposé, même les véhicules les moins polluants, c'est-à-dire ceux qui respectent la norme euro 6, seraient pénalisés.
Deuxièmement, le dispositif de l’amendement reste construit comme une majoration du malus frappant les véhicules fortement émetteurs de CO2. Par conséquent, il ne vise pas les véhicules émettant peu de dioxyde de carbone, mais une grande quantité de particules.
Pour ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je m’en suis déjà longuement expliqué : le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Nous entendons bien les critiques formulées contre notre amendement : je rappelle que la navette sert à remédier aux éventuelles imperfections d’un dispositif. J’invite nos collègues à donner une chance à ce texte.
Par ailleurs, M. le secrétaire d’État nous objecte l’impossibilité, en l’état actuel des technologies, de mesurer les quantités de particules fines émises. Or, sur le site psa-peugeot-citroen.com (Mme Marie-Christine Blandin brandit une tablette numérique.), sont présentés des tests de mesure des émissions de particules fines des moteurs diesel… Tout est parfaitement expliqué par les constructeurs.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je n’aime pas les malentendus, madame la sénatrice. Je n’ai pas dit qu’il était impossible de mesurer les émissions de particules fines. J’ai simplement souligné que ce renseignement ne figurait pas, jusqu’à présent, sur les certificats d’immatriculation des véhicules, ce qui soulève une difficulté technique pour appliquer le dispositif de l’amendement.
M. Jean Desessard. S’il n’y a que ça !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er n'est pas adopté.)
Articles additionnels après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme Jouanno, M. Capo-Canellas, Mlle Joissains et MM. Roche, Médevielle et V. Dubois, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le a du 1° du 4 de l’article 298 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« … À compter du 1er janvier 2017, les gazoles utilisés comme carburants mentionnés au tableau B de l’article 265 du code des douanes, à l’exception de ceux utilisés pour les essais effectués pour les besoins de fabrication de moteurs ou d’engins à moteurs ; »
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Il s’agit d’un amendement récurrent, visant à supprimer, pour les véhicules d’entreprise, la déductibilité de la TVA sur les gazoles, afin d’aligner le régime fiscal de ces carburants sur celui de l’essence. Pour l’heure, la TVA sur l’essence n’étant pas déductible, 96 % des véhicules d’entreprise sont équipés de moteurs diesel.
Afin que le dispositif proposé ne s’applique pas de manière brutale, une entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2017 est prévue. Je suis tout à fait disposée, si le Sénat en exprime le souhait, à reporter d’un an cette échéance : cela donnera trois ans aux professionnels pour prendre en compte l’évolution de la législation, délai qui correspond à la durée habituelle des contrats de location de véhicules d’entreprise.
L’objet est donc que l’utilisation de véhicules diesel n’ouvre plus droit à un avantage fiscal spécifique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. La commission des finances a relevé que l’adoption de cet amendement entraînerait une hausse de la fiscalité pesant sur les entreprises. Il serait donc bon de disposer d’une étude d’impact très précise, afin de pouvoir en mesurer les conséquences économiques, notamment pour les petites entreprises, les artisans et les commerçants.
Par ailleurs, s’agissant d’une disposition de nature fiscale, la commission des finances pense qu’il serait plus judicieux de la présenter lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, que nous entamerons dès demain.
Par conséquent, la commission des finances demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je voudrais signaler à Mme Jouanno que la mesure qu’elle propose est tout à fait incompatible avec le droit communautaire.
La TVA grevant les dépenses de gazole supportées par les entreprises n’est aujourd'hui, dans certaines situations, que partiellement déductible, la France bénéficiant dans ce domaine, depuis 1979, d’un régime dérogatoire institué sous la forme d’une clause de gel issue de la directive communautaire régissant la TVA. Une disposition qui viendrait renforcer ces restrictions du droit à déduction irait à l’encontre de cette clause de gel et serait alors en contradiction avec le droit communautaire.
J’ajoute que la Commission européenne et le juge communautaire sont très vigilants sur ce point. En effet, par le passé, notamment en 2001, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà été amenée à sanctionner la France parce que le législateur avait précisément entendu limiter la déductibilité de la TVA pesant sur le gazole.
Par conséquent, je suggère à Mme Jouanno de retirer cet amendement ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. J’ai déposé aujourd'hui un amendement de même objet sur le projet de loi de finances pour 2015, mais je préférerais que celui de Mme Jouanno soit adopté maintenant, car cela constituerait un vrai signal.
Aujourd'hui, s’agissant des taxis et des véhicules d’entreprise, la TVA est déductible pour le gazole, mais pas pour l’essence. C’est tout de même formidable ! Il semblerait logique que les régimes de ces deux types de carburants soient alignés.
Si vous voulez conserver un peu de déductibilité, monsieur le secrétaire d’État, sachez que l’un des amendements que je présenterai lors de l’examen du projet de loi de finances prévoit que l’on puisse déduire la TVA pour les véhicules hybrides. Mais je trouve stupéfiant que vous affirmiez que l’Europe favorise le gazole par rapport à l’essence ! Pour notre part, nous proposons de supprimer la déductibilité de la TVA sur le carburant pour les véhicules diesel. Il n’est tout de même pas normal, alors que le gazole est nocif, qu’il soit favorisé par rapport à l’essence, par le biais de la déductibilité de la TVA ! Et cela dure depuis des années ! Quand va-t-on mettre fin à cette aberration ?
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Nous l’avons démontré tout à l’heure, il s’agit là d’une véritable aberration fiscale !
L’exemple des taxis est tout à fait significatif. Avec le système actuel, on oblige quasiment les professionnels, qui ne roulent qu’en ville, à acheter des véhicules diesel. Pourtant, on sait que c’est en ville, dans les rues canyons, que les risques pour la santé publique sont le plus aigus.
Mme la rapporteur a émis un avis défavorable au seul motif que l’adoption de cet amendement augmenterait la fiscalité pesant sur les entreprises. Il s’agit là d’une position quelque peu pavlovienne : même si la situation actuelle est aberrante, même si elle emporte des conséquences désastreuses en termes de santé publique, on ne bouge pas !
Je rappelle tout de même que les entreprises de ce pays ne sont pas en tout point maltraitées par le Gouvernement, puisqu’un certain nombre de redéploiements fiscaux en leur faveur ont été décidés. Il ne serait pas scandaleux que, en regard, quelques correctifs viennent remédier à certaines aberrations fiscales.
Qui plus est, il me semble que Mme la rapporteur est plutôt favorable à la réduction du déficit budgétaire que connaît notre pays. Or la suppression d’une mesure de déductibilité de TVA apporterait un surcroît de recettes au budget de l’État. Cela permettrait donc à la fois de réduire le déficit budgétaire et de répondre à un problème de santé publique.
Si M. le secrétaire d’État estime qu’il n’est pas opportun d’adopter aujourd’hui une telle disposition, qu’il nous dise comment il compte procéder pour mettre un terme à l’aberrante situation actuelle ! Il faut avancer ! Nous aimerions donc entendre vos propositions, monsieur le secrétaire d’État.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Nous serions prêts à voter cet amendement, mais le délai prévu nous semble un peu court, notamment pour permettre aux PME-PMI de s’adapter. Pour autant, sur le fond, nous sommes d’accord.
M. Jean Desessard. Vous avez le droit de sous-amender !
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je l’ai déjà dit, notre assemblée doit aussi se préoccuper de l’emploi. Il faut certes réorienter progressivement le parc des poids lourds vers l’utilisation de l’essence, mais, pour l’instant, nous n’en sommes pas là. Supprimer la déductibilité de la TVA sur le gazole serait catastrophique pour les entreprises de transport !
Mme Chantal Jouanno. Ce n’est pas ça !
M. Daniel Chasseing. Je connais de petites entreprises de transport régional qui, avec l’écotaxe, auraient mis la clé sous la porte ! (Exclamations sur les travées du groupe écologiste.)
M. Ronan Dantec. Cela n’a rien à voir !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. On ne parle pas de l’écotaxe, aujourd’hui !
M. Jean-Vincent Placé. Il ne faut pas dire n’importe quoi !
M. Daniel Chasseing. Voilà une réalité que vous n’évoquez pas !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Je souhaite proposer une rectification de l’amendement, monsieur le président, pour faire suite à la réserve que j’ai exprimée. À l’instar de ce que prévoit déjà un autre amendement de Mme Jouanno, nous suggérons que l’échéance pour l’application du dispositif soit reportée au 1er janvier 2020. Le groupe CRC serait prêt à voter l’amendement ainsi modifié.
M. le président. Madame Jouanno, acceptez-vous de rectifier votre amendement en ce sens ?
Mme Chantal Jouanno. Je l’accepte tout à fait. L’essentiel est de fixer un délai permettant de donner aux acteurs économiques une visibilité, une orientation de long terme : 2020 me semble très bien.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Jouanno, M. Capo-Canellas, Mlle Joissains et MM. Roche, Médevielle et V. Dubois, et ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le a du 1° du 4 de l’article 298 du code général des impôts, il est inséré un a bis ainsi rédigé :
« a bis) Les gazoles utilisés comme carburants mentionnés au tableau B de l’article 265 du code des douanes, à l’exception de ceux utilisés pour les essais effectués pour les besoins de fabrication de moteurs ou d’engins à moteurs ; ».
II. - Le I s'applique à compter du 1er janvier 2020.
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Jouanno, M. Capo-Canellas, Mlle Joissains, M. Kern, Mme Gatel et MM. Roche, Médevielle et V. Dubois, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 1609 quater A du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est supprimé ;
b) Au quatrième alinéa, les mots : « dans la limite d'un seuil défini par décret en Conseil d'État » sont supprimés ;
2° Au dernier alinéa du II, les mots : « par décret en Conseil d'État » sont remplacés par les mots : « par délibération des collectivités ou groupements de collectivités intéressés ».
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement a trait à la question des péages urbains, sujet sans doute moins consensuel.
Pour que les collectivités puissent mettre en place un péage urbain, il faut systématiquement recourir à une forme d’habilitation législative. Dans notre parti, nous sommes très décentralisateurs, et nous estimons qu’il appartient aux collectivités de prendre la décision ; libre ensuite aux électeurs de reconduire ou non l’équipe en place !
Sur cette question des péages urbains, je vous invite à consulter deux très bonnes études. La première, datant de 2009, émane du Centre d’analyse stratégique, devenu le Commissariat général à la stratégie et à la prospective. La seconde a été réalisée en 2014 par l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Ces études montrent qu’un péage urbain peut répondre à différents objectifs : la décongestion d’une agglomération – c’était le cas du péage de Londres, qui n’est pas forcément le meilleur exemple à suivre – ou la modulation de l’accès aux villes pour limiter les nuisances environnementales, comme à Oslo, à Milan ou à Stockholm.
Il s’agit donc, par cet amendement, de laisser la liberté aux collectivités locales d’expérimenter ou non les péages urbains. Honnêtement, je ne pense pas qu’il incombe au législateur d’en décider.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable.
En fait, cet amendement vise à rendre plus facile le recours à l’expérimentation des péages urbains par les collectivités intéressées.
L’article 1609 quater A du code général des impôts prévoit la possibilité, pour les collectivités, de recourir à l’expérimentation d’un péage urbain, en la soumettant à autorisation par décret en Conseil d’État.
Il est vrai que le processus est assez lourd pour les collectivités concernées, mais, du point de vue de la commission des finances, le dispositif existant est pertinent : l’encadrement du recours à l’expérimentation par une autorisation par décret en Conseil d’État a plus vocation à protéger les collectivités locales qu’à les empêcher de s’engager dans cette voie.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Le Sénat vient d’adopter un amendement introduisant un dispositif dont il ne fait aucun doute, pour le Gouvernement, qu’il est contraire au droit de l’Union européenne. Le présent amendement est, lui, contraire à la Constitution… Mais on peut se lâcher ! (Sourires.)
L’article 37-1 de la Constitution prévoit la possibilité de recourir à des dispositifs expérimentaux dans la mesure où ceux-ci ont un objet et une durée limités. Or la mesure proposée tend à supprimer la durée de trois ans prévue pour l’expérimentation visée.
Par ailleurs, en supprimant tout encadrement, l’adoption de l’amendement est susceptible de créer une situation d’incompétence négative du législateur. Ce serait un deuxième motif d’inconstitutionnalité. L’amendement, qui vise à pérenniser l’expérimentation, ne comporte pas de mesure garantissant l’effectivité du recouvrement, qu’il s’agisse de sa gestion, de son contrôle ou des sanctions.
Le Gouvernement estimant que cet amendement est contraire à des principes constitutionnels, en particulier à l’article 37-1 de la Constitution, son avis est défavorable.
M. le président. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par Mme Jouanno, M. Capo-Canellas, Mlle Joissains et MM. Roche, Médevielle et V. Dubois, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
En 2020, les taux de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques supercarburants sans plomb et gazoles sont équivalents.
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. À propos de l’amendement précédent, que je présente pourtant tous les ans, j’observe que c’est bien la première fois que l’on m’oppose l’argument constitutionnel !
Le présent amendement, lui aussi récurrent, vise à aligner la fiscalité du gazole et celle de l’essence. M. le secrétaire d’État me dira que la convergence a déjà commencé. C’est une bonne chose, mais il faut poursuivre dans cette voie, de façon prudente et progressive, en donnant de la visibilité aux acteurs. Ainsi, il est proposé de réaliser l’alignement sur cinq ans, d’ici à 2020. Là encore, libre à mes collègues de proposer un calendrier un peu plus long.
L’annulation de l’écart de taxation entre le gazole et l’essence permettrait la suppression d’une niche fiscale anti-écologique qui, selon un rapport d’avril 2011 du ministère du budget, grèverait les comptes publics à hauteur de 6,9 milliards d’euros par an.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. L’avis est défavorable. Aligner, même progressivement, la fiscalité pesant sur le gazole et celle pesant sur l’essence reviendrait à alourdir encore les taxes sur le gazole à l’horizon de 2020, alors qu’elles augmenteront déjà de 4 centimes par litre en 2015. La loi de finances pour 2014 a en effet fixé une trajectoire, certes modeste, de hausse de la fiscalité du gazole par rapport à celle de l’essence dans le cadre de la mise en place de la contribution climat-énergie, qui couvre la période 2014-2016.
De plus, sur la forme, un tel amendement aurait davantage sa place lors de l’examen du projet de loi de finances. En outre, je ne suis pas sûre que sa rédaction soit opérante, car elle est très imprécise, se bornant à fixer un objectif général sans définir de trajectoires de hausse et de baisse de la fiscalité des carburants concernés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Le groupe écologiste s’abstiendra sur cet amendement.
Il est probable que les consommations de carburants des véhicules vont continuer de baisser au cours des cinq ans à venir. Si nous sommes bien entendu pleinement d’accord sur le principe d’un réajustement de la fiscalité du gazole, nous considérons que, dans la situation budgétaire actuelle, il faut absolument éviter que les recettes de l’État, et partant sa capacité d’action, ne se trouvent réduites. Or c’est ce à quoi l’adoption de cet amendement mènerait. En se bornant à rééquilibrer les fiscalités, sans baisser les taxes sur l’essence, on maintiendra les recettes.
Je tiens cependant à redire à Mme la rapporteur qu’un pays qui ne se pose pas la question des flux pour se moderniser n’avance plus. En s’opposant par principe à toute hausse des recettes fiscales, on fait exactement l’inverse de ce que font les grands pays du nord de l’Europe. Aujourd’hui, un pays comme la Suède, qui a instauré une taxe carbone très élevée sur les carburants, est beaucoup plus égalitaire que le nôtre et dispose de capacités de modernisation bien plus grandes.
Nous devons aujourd’hui recréer des flux maîtrisés par l’action publique, qui permettent la modernisation du pays. En l’espèce, nous avons la possibilité de mobiliser à cette fin plusieurs milliards d’euros en supprimant un cadeau fiscal aberrant.
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent, pour explication de vote.
M. Maurice Vincent. Cette proposition nous paraît intéressante, mais, faute d’étude d’impact permettant de déterminer précisément ses incidences en termes de recettes et de dépenses fiscales, nous ne pouvons pas la voter en l’état, même si sa logique est pertinente.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. L’idée originelle, madame la rapporteur, était de mettre en place, parallèlement, une baisse de la fiscalité pesant sur l’essence et une hausse progressive de la fiscalité pesant sur le gazole, afin d’aboutir à la neutralité fiscale, sachant que le rôle du législateur n’est pas nécessairement, loin de là, de faire de la fiscalité de rendement.
Nous voulons délivrer un message politique : il n’y a aucune raison aujourd’hui de favoriser un carburant plutôt qu’un autre. L’objectif doit être la parité. Je rejoins en cela les conclusions du rapport de 2005 de la Cour des comptes, laquelle estimait que les niches fiscales en faveur du diesel n’avaient aucune justification et devraient être supprimées.
Simple sénatrice, ne disposant ni des moyens de la commission des finances ni de ceux du Gouvernement, je veux bien récrire l’amendement dans le détail et réaliser l’étude d’impact, mais cela demandera un certain temps ! J’avais déjà déposé cet amendement l’an dernier, en espérant qu’il puisse inspirer un travail gouvernemental sur le sujet. Cela n’a malheureusement pas été le cas.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je soutiens cet amendement, qui a sa logique. Souvenons-nous de l’époque, pas si lointaine, où des campagnes de communication à destination du grand public expliquaient que le gazole était moins polluant que l’essence. Il convient donc de mener une politique incitative et progressive, afin que les acteurs économiques ne se sentent pas piégés. À cet égard, le dispositif de l’amendement, qui prévoit un alignement de la fiscalité sur le gazole et de la fiscalité sur l’essence à l’horizon de 2020, me semble pertinent.
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par Mme Jouanno, M. Capo-Canellas, Mlle Joissains et MM. Roche, Médevielle et V. Dubois, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La septième ligne de la dernière colonne du tableau constituant le dernier alinéa du B du 1 de l’article 266 nonies du code des douanes est ainsi rédigée :
« 160,8 (500 à compter du 1er janvier 2017, 1 000 à compter du 1er janvier 2019) »
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Il s’agit encore une fois d’un amendement récurrent, que je défendrai d’ailleurs aussi lors de l’examen du projet de loi de finances. Il est encore moins consensuel que les précédents, puisqu’il vise à augmenter le taux de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, pour les émissions d’oxyde d’azote, conformément aux engagements pris lors du Grenelle de l’environnement. Il avait alors été décidé de la porter en 2010 à 107,2 euros la tonne, puis, à partir de janvier 2012, à 160,8 euros la tonne. Malgré ce triplement de la taxe, nous sommes encore très loin du compte au regard du coût sanitaire induit par les oxydes d’azote. En Suède, pays qui a priori n’est pas sous-développé et fait plutôt rêver, le montant de la taxe s’élève à 4 400 euros la tonne.
Nous proposons donc, au travers de cet amendement, certes provocateur mais raisonné, d’augmenter la taxe sur les oxydes d’azote, jusqu’à 1 000 euros la tonne à compter du 1er janvier 2019.
M. Jean-Vincent Placé. Oui !
Mme Chantal Jouanno. Je n’ai aucune illusion sur le sort qui sera réservé à cet amendement, mais je tiens à alerter sur la gravité du danger présenté par les oxydes d’azote, sur leurs effets sanitaires et sur le fait que d’autres pays ont pris à bras-le-corps ce sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Madame la sénatrice, cette proposition n’est pas raisonnée, elle est disproportionnée ! En effet, si l’on vous suivait, la taxe augmenterait de 521 % en deux ans, ce qui n’est tout de même pas très raisonnable…
L’amélioration de la qualité de l’air est un vrai sujet de santé publique, nous l’avons tous dit ce soir, mais on ne peut pas tout régler par l’alourdissement de la fiscalité. En outre, la TGAP air a déjà été modifiée en 2013 et en 2014, dans le sens d’un renforcement.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne connaissais pas les amendements provocateurs raisonnés… (Sourires.) Les termes me semblent un peu contradictoires, cela étant l’imagination créative est de mise ce soir… Quoi qu’il en soit, le Gouvernement retient surtout le côté provocateur de cet amendement. Pour sa part, ne souhaitant provoquer personne et souhaitant au contraire rassembler tout le monde autour d’un projet raisonné, il émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Jouanno, M. Capo-Canellas, Mlle Joissains, Mme Gatel et MM. Roche, Kern, Médevielle, V. Dubois et Longeot, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L’article L. 122-4 du code de la voirie routière est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La convention de délégation et le cahier des charges doivent prévoir une tarification réduite pour les véhicules d’un poids total autorisé en charge de moins de 3,5 tonnes et émettant moins de 50 grammes de dioxyde de carbone par kilomètre. »
II. - Les modalités d’application du présent article sont fixées par un décret en Conseil d’État.
III. - Les pertes de recettes qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par l’allongement de la durée des concessions autoroutières.
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement est beaucoup plus simple, puisqu’il s’agit de prévoir une tarification préférentielle sur autoroutes pour les véhicules les moins polluants, en se fondant sur la norme d’émission de CO2 de 50 grammes par kilomètre, qui couvre l’électrique, mais aussi l’hybride rechargeable et l’électrique à prolongateur d’autonomie.
Cette proposition reprend une recommandation de la mission Hirtzman sur le véhicule électrique. Le Gouvernement avait d’ailleurs annoncé la mise en place d’un tel tarif préférentiel : c’est pour l’aider que j’ai déposé cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. La commission n’est pas du tout certaine que l’adoption de cet amendement aiderait le Gouvernement. Elle estime au contraire que cela lui compliquerait les choses. L’État doit déjà renégocier avec les sociétés d’autoroutes, notamment depuis l’abandon de l’écotaxe. Le dossier est très lourd… L’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Madame la rapporteur, je vous remercie de votre aide.
Vous dites, madame Jouanno, qu’adopter votre proposition permettrait de simplifier les choses ? Si j’ai bien compris cet amendement, lorsqu’un véhicule se présentera au péage, une personne ou un lecteur automatique devra reconnaître le type de ce véhicule, identifier le niveau de ses émissions de CO2…
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. La difficulté à laquelle nous étions confrontés pour les particules fines n’existe pas ici, mais il faudra multiplier les classes de tarifs, car il faudra distinguer en outre entre les véhicules de tourisme, les poids lourds, avec ou sans remorque, les camping-cars, etc. Prétendre comme vous le faites, madame la sénatrice, qu’il s’agit d’une mesure de simplification ne me semble donc pas très sérieux.
Une majorité précédente que vous connaissez bien a passé avec les sociétés d’autoroutes des contrats sur lesquels je travaille depuis un certain temps, pour les raisons qu’a indiquées en creux Mme la rapporteur. Ces contrats ont été si bien ficelés qu’ils incluent des clauses en vertu desquelles, en cas de variation de la fiscalité ou de la législation conduisant à modifier les tarifs, la société d’autoroutes sera en droit de réclamer des compensations, tel un allongement de la durée de concession. Voilà quelles seraient les conséquences de l’adoption de votre amendement, madame la sénatrice !
En conclusion, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Je suis d’accord avec Mme Jouanno : les portiques auraient parfaitement permis de discriminer n’importe quel type de véhicule. Cet aspect technique n’est donc pas vraiment gênant.
En revanche, comme vient de le dire M. le secrétaire d’État, par pitié, n’allongeons pas encore la durée des concessions autoroutières ! Un groupe de travail a été créé, au sein de la commission du développement durable, pour auditionner les exploitants d’autoroutes et tous les acteurs de ces contrats mirifiques ayant assuré des rentes extraordinaires aux géants du secteur du BTP.
Par conséquent, nous voterons résolument contre cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. Eu égard aux négociations en cours avec les sociétés d’autoroutes, on peut comprendre que le calendrier pose problème. Soit dit en passant, monsieur le secrétaire d’État, j’ai beau avoir un certain âge, j’étais très loin d’être au Gouvernement à l’époque de la signature des contrats en question…
En revanche, l’argument de la complexité technique du dispositif ne tient vraiment pas la route, c’est le cas de le dire ! Des systèmes de tarification différentielle existent déjà pour les péages ou, à Paris, pour le stationnement, celui-ci étant gratuit pour les véhicules électriques.
Excusez-moi, monsieur le secrétaire d’État, mais nous sommes en train de parler d’écologie, de chercher des solutions ensemble, en reprenant des propositions que le Gouvernement a lui-même formulées. Ce n’est pas le moment, ce soir, de faire de la politique : ce débat de santé publique mérite autre chose.
M. Alain Gournac. Elle a raison !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous avez affirmé que l’adoption de cet amendement permettrait de simplifier les choses.
Mme Chantal Jouanno. Non !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je ne l’ai pas inventé ! Je ne vous ai pas répondu que mettre en œuvre votre proposition était techniquement impossible, comme c’était le cas tout à l’heure à propos des émissions de particules fines, j’ai simplement dit que cela conduirait à multiplier les critères et à complexifier les tarifications des péages autoroutiers. Je ne suis pas forcément un adversaire de la complexification, mais je réponds à l’argument de simplification que vous avez avancé tout à l’heure. Le compte rendu des débats nous départagera, puisque vous semblez nier l’avoir employé.
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre, pour explication de vote.
M. Louis Nègre. Monsieur le secrétaire d’État, depuis tout à l’heure, vous avancez des arguments tout à fait logiques et légitimes : en béton, allais-je dire !
En l’espèce, on ne peut pas parler de simplification, je vous rejoins sur ce point. Pour autant, je regrette l’attitude défensive du Gouvernement. Certes, le sujet est complexe, mais il s’agit d’un problème de santé publique. Je ne crois pas que l’on en soit suffisamment conscient. Je vous suggère de discuter avec les pneumologues, de vous rendre dans les hôpitaux : ce sont les plus âgés et les plus jeunes d’entre nous, soumis à des taux de pollution très élevés, qui souffrent au premier chef. Certes, tout est compliqué et difficile, dans ce pays, mais en tirer argument pour ne pas agir ne me semble pas à la hauteur des circonstances.
Il s’agit ici d’un amendement d’appel. Aux États-Unis, par exemple, le covoiturage est pris en compte sur certaines autoroutes. Il est très compliqué de déterminer le nombre de personnes à bord de chaque véhicule, mais les Américains y arrivent !
Par conséquent, monsieur le secrétaire d’État, c’est d’une volonté politique dont nous avons besoin pour faire bouger les lignes dans ce domaine. Je ne demande pas la révolution ; je souhaiterais simplement que la santé de nos concitoyens ne soit pas considérée comme une simple variable d’ajustement. (Applaudissements sur certaines travées du groupe écologiste. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
Avant le 31 mai 2015, le Gouvernement remet au Parlement un rapport portant sur l'indépendance de l'expertise technique relative à la définition et à la méthodologie des mesures des émissions de polluants par les véhicules automobiles. – (Adopté.)
Article 3
I. – À partir du 1er janvier 2016, un certificat de diagnostic d'éco-entretien, datant de moins d'un an, est fourni par le vendeur à l'acquéreur lors de la cession de tout véhicule diesel d'occasion de plus de 4 ans. Le diagnostic d'éco-entretien porte sur l'ensemble des émissions polluantes du véhicule.
II. – Un décret précise les modalités d'application du I.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Préalablement à la vente d’un véhicule particulier ou utilitaire léger de quatre ans ou plus, le vendeur fait effectuer par un professionnel de l’automobile un diagnostic thermodynamique du moteur et de ses émissions suivantes : monoxyde de carbone, hydrocarbures imbrûlés, oxydes d’azote, dioxyde de carbone, oxygène et particules fines.
Le vendeur remet à l’acheteur potentiel un rapport détaillé indiquant les résultats des mesures effectuées.
Le rapport ne doit pas être antérieur de plus de trois mois à la date de la vente.
Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret avant le 1er janvier 2016.
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Il a été dit que les dispositions de cet article figuraient déjà dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Toutefois, ce texte ne mentionne ni les particules fines ni les oxydes d’azote. Le présent amendement le reprend, en comblant cette lacune. Il nous semble préférable que le Sénat vote cette mesure dès aujourd’hui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. La commission des finances a jugé inutile d’avoir une double navette. Je note que le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, que la Haute Assemblée aura bientôt à examiner, est encore susceptible d’être modifié. On ne peut donc pas affirmer aujourd’hui que son texte sera identique à celui qui nous est soumis ce soir. La commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Cette disposition figure déjà dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale. Ajouter la mention des particules fines ne pose aucun problème au Gouvernement, qui s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
Le Gouvernement aurait préféré que l’échéance prévue soit repoussée au 1er janvier 2017, mais cette modification pourra être apportée au cours des deux navettes à venir. Je note moi aussi, à ce propos, que les doubles navettes ne sont pas souhaitables.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, si l’amendement n° 4 rectifié bis de Mme Jouanno n’avait pas été adopté, le Gouvernement n’aurait pas été défavorable à l’adoption de la proposition de loi, mais la disposition introduite est contraire, je le maintiens, au droit de l’Union européenne. Dès lors, le vote de cette proposition de loi ainsi modifiée mettrait dans l’embarras le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. On l’a bien compris, il n’y a pas consensus sur l’article 1er, qui n’a pas été adopté, seuls les écologistes l’ayant voté. Dont acte ! À l’évidence, un grand travail reste à accomplir. Le texte qui subsiste est donc extrêmement ouvert, il ne dit pas la fin de l’histoire.
Exception faite de notre collègue radical, tous les orateurs ont souligné que le risque sanitaire est incontestable. Il me semble que nous avons fait un premier pas ce soir pour ouvrir le débat. Le processus législatif n’en est qu’à son début. Une représentation nationale responsable qui souligne l’existence d’un risque sanitaire majeur permet la continuité du travail parlementaire. Il est de notre responsabilité, aujourd’hui, d’affirmer que nous nous engageons collectivement à trouver une solution au cours de la navette.
Monsieur le secrétaire d’État, j’entends bien la réserve que vous émettez quant à la déductibilité de la TVA, mais comprenez que le vote intervenu ce soir est, de fait, un vote d’appel, dans la perspective de la deuxième lecture. Nous savons tous que cette question de la déductibilité de la TVA devra également être traitée.
Ce soir, nous sommes, me semble-t-il, dans une situation assez favorable pour définir ensemble le meilleur mécanisme financier, qu’il s’agisse d’une taxe, d’un bonus-malus ou d’un autre dispositif, afin de traiter un problème de santé publique. Nous avons tout à fait le temps d’organiser un groupe de travail pluraliste pour approfondir la réflexion.
Ce problème est très grave et n’a rien de théorique. Il s’agit d’une pollution qui cause des dizaines de milliers de morts. Il y a vingt ans, j’ai été confronté, en tant que jeune père de famille, à un cas de bronchiolite. À l’époque, cette pathologie était rare. Elle est liée à un virus, mais elle est également provoquée par la pollution. La conjonction des facteurs a provoqué le pic de bronchiolites que nous connaissons aujourd’hui. Désormais, cette affection touche de nombreux Français.
Mes chers collègues, si, ce soir, le Sénat repousse ce texte, alors que le Gouvernement n’a, à aucun moment, offert la moindre esquisse de solution, il enverra un signal tout à fait désastreux. Cela reviendrait à dire que nous ne nous saisissons pas d’un problème dont l’extrême gravité a pourtant été reconnue par tous.
Je sais qu’il existe des consignes de groupe.
M. Jean Desessard. Oh oui !
M. Ronan Dantec. Cela étant, la manière dont nous avons débattu de ce texte indique clairement que nous lançons aujourd’hui un processus de travail collectif. En votant cette proposition de loi, nous dirons aux Français que nous ne nous contentons pas de déclamer de grandes phrases à la tribune, mais que nous travaillons sérieusement à dégager un véritable consensus !
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. On ne le dira jamais assez, les risques pour la santé liés à l’utilisation des moteurs diesel sont avérés : la pollution induite cause entre 42 000 et 50 000 morts prématurées par an, multiplie les risques d’infarctus, d’accident vasculaire cérébral, d’infection respiratoire et même de cancer des voies aériennes, entraîne des centaines de milliers d’hospitalisations pour des problèmes cardiaques et respiratoires.
Sur le plan économique, le tableau est également très sombre : chaque année, la pollution de l’air coûte environ 50 milliards d’euros et entraîne 650 000 journées d’arrêt de travail. Cerise sur le gâteau, le diesel bénéficie d’un cadeau fiscal de l’ordre de 7 milliards d’euros.
Un consensus existe sur le constat de la nocivité du diesel, dénoncée depuis trente ans par des travaux de l’Organisation mondiale de la santé et nombre de rapports médicaux. Pour autant, nous n’avançons pas ! En ce qui me concerne, je comprends que, devant notre inertie, les organisations non gouvernementales, les représentants de la société civile prennent l’initiative de saisir les juridictions pour placer l’État face à ses responsabilités.
J’ai été l’une des premières avocates à attaquer l’État au titre de la pollution de l’air, il y a plus de quinze ans. Force est d’admettre que, aujourd’hui, en 2014, nous ne progressons que très difficilement sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Les membres du groupe CRC voteront cette proposition de loi de leurs amis écologistes. Nous avons vécu ce soir un authentique moment de démocratie parlementaire vivante, active, et nous sommes parvenus à dégager des majorités, en faisant des pas les uns vers les autres. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Ce qui me frappe ce soir, c’est que nous nous sommes tous accordés, à une exception près peut-être, sur un constat : la situation sanitaire est extrêmement grave, alarmante. Ce consensus est déjà, en soi, un point important.
Le processus législatif est loin d’être achevé et demeure très ouvert : plusieurs réécritures sont déjà intervenues, sur la base de suggestions émanant des uns et des autres. Conservons cette dynamique. Personne ne comprendrait que les parlementaires, après avoir dressé un constat aussi alarmant, ne prennent pas leurs responsabilités pour travailler à des solutions.
Le sujet est certes compliqué, ardu, mais on ne peut pas renoncer. C’est impossible ! La navette permettra de faire encore évoluer le texte : donnons-nous la chance d’œuvrer, dans la durée, à l’émergence de solutions concrètes. Ne concluons pas sur un constat d’impuissance !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole au terme de ce débat, mais j’ai constaté, en écoutant les précédents orateurs, que mes propos avaient dû être mal interprétés. J’ai dit que les enjeux de santé publique méritaient d’être pris en considération au plus vite. Nous sommes conscients des dangers du diesel, mais les membres du groupe auquel j’appartiens n’ont pas pour habitude d’affoler les populations ! (M. Michel Le Scouarnec rit.)
Il existe un risque de santé publique, c’est indéniable, mais, dans le monde rural, on a besoin de voitures ! Pour ma part, j’aime bien ma voiture diesel, elle est à la fois souple et puissante… (Sourires.)
On ne peut pas changer les modes de motorisation du jour au lendemain : il y faut du temps et des incitations fiscales. On a longtemps critiqué le diesel, parce que ça polluait, ça sentait mauvais,…
M. Daniel Reiner. Il y a eu du progrès !
M. Jean-Claude Requier. … mais son image a tout de même changé. Aujourd’hui, il y a même une marque de vêtements qui a pris pour nom « Diesel » ! (Rires.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Il y a même un parfum qui porte ce nom !
M. Jean-Claude Requier. Nous étions contre l’article 1er. Celui-ci ayant été supprimé, nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Il faut essayer d’améliorer les choses, mais aussi laisser aux constructeurs de camions et de voitures le temps de faire évoluer leur production. Sur le plan économique, l’application des dispositions du présent texte serait très mauvaise pour l’emploi. Je voterai donc contre.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Il serait à mon sens difficile d’expliquer à nos concitoyens que l’on puisse voter contre un texte prévoyant d’une part la remise d’un rapport, d’autre part la suppression de la déductibilité de la TVA sur le gazole pour les véhicules d’entreprise… en 2020 !
Nous allons bientôt débattre du projet de loi de finances, du projet de loi de santé publique, du projet de loi relatif à la transition énergétique… Cela nous permettra de corriger ce dispositif ou de l’intégrer dans un autre texte, mais, au moins, ne fermons pas le débat ! Vraiment, je vois mal comment on pourrait expliquer demain que l’on a voté contre ce texte ! Avant la suppression de l’article 1er, on pouvait justifier un tel vote, mais il est maintenant politiquement plus difficile de fermer le ban.
J’entends bien que l’on se préoccupe de l’aspect économique, mais, au cours de l’élaboration de la loi de finances, on ne cesse de proposer de supprimer en partie les cotisations sociales ou d’introduire une fiscalité écologique. Il faut donc opérer ce mouvement de bascule que tout le monde réclame et s’accorde à trouver légitime. De telles mesures ne sont jamais votées !
Demandons-nous comment, demain, nous expliquerons à nos concitoyens que nous avons voté contre un texte finalement assez soft, qui ne prévoit que la remise d’un rapport et un engagement à l’horizon de 2020 !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ce texte ne tiendra pas ! Il tombera à la première question prioritaire de constitutionnalité !
M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Ce texte soulève un véritable problème et a le mérite, à mon avis, d’accélérer non seulement la réflexion, mais aussi la prise de décision.
L’article 1er bis peut être vu comme un article d’alerte. Il pose le principe de la fin de la déductibilité de la TVA sur le gazole en 2020, mais il ne me semble pas évident d’annoncer cela de but en blanc à toutes les professions concernées, qui prendront inévitablement ce vote non comme une orientation pour l’avenir, mais comme une quasi-décision. Nous entrerions alors, que nous le voulions ou non, dans un processus bouleversant brutalement l’ensemble de notre système fiscal. C’est la raison pour laquelle, tout en soulignant l’intérêt des propositions qui ont été faites, nous nous abstiendrons sur ce texte.
Nous ne souhaitons pas fermer la porte à toutes les améliorations possibles, mais nous nous refusons à déstabiliser tout un ensemble de professions, qui pourraient mal réagir à une annonce pour le moins imprévue.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Camarades socialistes (Sourires.), le dispositif de l'article 1er bis s’appliquera en 2020, pas à compter du 1er janvier 2015 ! Vous refusez que l’on instaure l’égalité de traitement fiscal entre l’essence et le gazole à cette échéance ! Discutez donc avec le chauffeur du taxi qui vous ramènera chez vous ce soir : il vous dira qu’il achète une voiture diesel parce qu’il peut récupérer la TVA sur le gazole, et pas sur l’essence !
Durant la discussion générale, vous parliez d’urgence, mais il semble que, pour vous, l’urgence, ce soit 2020 ! À ce rythme, on n’est pas près de régler les problèmes de la France !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. On les règlera en 2017, ne vous inquiétez pas !
M. Daniel Reiner. Arrêtez donc, en 2012 nous avons dû en régler beaucoup !
M. Jean Desessard. Jusqu’en 2020, on ne doit surtout pas toucher aux avantages fiscaux dont bénéficie le diesel. Bien entendu, il est encore moins question de taxer davantage le gazole que l’essence à cause de sa nocivité…
On aurait pu considérer qu’il s’agit d’un objectif, d’une indication donnée aux constructeurs, mais non ! Franchement, vous les socialistes, vous n’êtes pas pressés ! (Sourires.) Pourquoi avez-vous passé accord avec nous ? Vous saviez que nous étions écologistes et que nous avions la volonté de changer les choses en matière d’environnement ! Vous nous félicitez à chaque fois d’aborder un vrai problème, mais quand il s’agit d’apporter des solutions, 2020, c’est trop tôt : ce sera peut-être pour 2025, si vous êtes encore au pouvoir ! Mais enfin, ce n’est pas sérieux !
Monsieur Chasseing, vous vous trompez en pensant qu’il faut défendre aujourd’hui des industries polluantes dont personne ne veut plus. Bientôt, nous ne parviendrons plus à écouler nos véhicules diesel au niveau mondial. Si, aujourd’hui, nous ne réfléchissons pas à la mise en place de filières nouvelles, économes, respectueuses de l’environnement et de la santé, nous ne développerons rien et nous continuerons à nous enfoncer ! (M. Daniel Chasseing s’exclame.)
Les filières industrielles doivent s’appuyer sur l’innovation, le respect de l’environnement. Ceux qui font un choix contraire condamnent le pays à ne pas se développer. Entre vous, qui défendez des filières sans avenir, et les socialistes, qui ne sont pas pressés, nous ne sommes pas sortis de l’auberge ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi relative à la prise en compte par le bonus-malus automobile des émissions de particules fines et d’oxydes d’azote et à la transparence pour le consommateur des émissions de polluants automobiles.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 30 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 175 |
Pour l’adoption | 30 |
Contre | 145 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le jeudi 20 novembre 2014, à zéro heure dix, est reprise à zéro heure quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
15
Journée des morts pour la paix et la liberté d'informer
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi relative à l’instauration d’une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer, présentée par Mme Leila Aïchi (proposition n° 231 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 577 [2013-2014], rapport n° 576 [2013-2014]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Leila Aïchi, auteur de la proposition de loi.
Mme Leila Aïchi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis fière que ce texte visant à instaurer une journée en hommage aux morts pour la paix et à ceux qui œuvrent chaque jour pour la liberté d’information, fondement même de nos valeurs et de notre modèle démocratique, soit – enfin ! – examiné par la Haute Assemblée.
Son objet est des plus simples. Dans le cadre de la Journée internationale de la paix, fixée au 21 septembre par l’Organisation des Nations unies, je propose que la France rende officiellement hommage aux journalistes et aux travailleurs humanitaires morts dans l’exercice de leurs activités sur le terrain. Il s’agit là de reconnaître et d’encourager le travail de tous les défenseurs des droits humains et des libertés fondamentales, partout où ils se trouvent.
Ce texte s’inscrit dans la continuité de la résolution 36/37 du 30 novembre 1981, aux termes de laquelle l’Assemblée générale des Nations unies considère que « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix » et que, pour être solide, la paix doit « être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité ». C’est dans ce même esprit que je vous invite, mes chers collègues, à examiner cette proposition de loi.
Voilà deux ans, lors de l’examen du projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la paix, notamment les soldats décédés en opérations extérieures, j’avais déjà exposé devant vous le principe de non-discrimination des morts. J’avais alors proposé de ne pas céder à la précipitation et d’engager un débat approfondi, apaisé, sur un sujet très délicat.
Je vous avais également invités à repenser le sens que nous donnons au mot « héros » : les hommes et les femmes concernés aujourd’hui par cette proposition de loi sont tous des héros ! Nous nous étions alors entendus sur l’importance de rendre hommage à tous les morts pour la France. Ce n’est nullement mon intention de remettre en cause ce devoir de mémoire. Loin de là ! Il s’agit, au contraire, de reconnaître l’évolution des acteurs et la nature même des conflits et, ainsi, de rendre hommage aux civils qui, à leur manière, combattent au quotidien la barbarie et la violence.
C’est pourquoi, voilà deux ans, je vous avais présenté un amendement visant à instaurer une journée de commémoration des « morts pour la paix et la liberté d’informer ». D’un commun accord avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et à la demande expresse de son ancien président, M. Carrère, j’avais retiré mon amendement pour permettre un vote conforme. D’ailleurs, M. Carrère, reconnaissant l’intérêt d’un tel amendement, avait estimé « plus judicieux qu’il soit déposé sous forme d’une proposition de loi ».
Forte de cet engagement, c’est ce que je fais, deux ans plus tard ! Mais peut-être ai-je été naïve ?...
Oui, je l’ai été ! J’aurais dû faire miens les propos, fort pertinents, d’un ancien sénateur, avec lequel on ne saurait un seul instant me prêter une quelconque affinité politique, je veux parler de Charles Pasqua, qui déclarait avec réalisme que « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent » !
La proposition de loi que je soumets aujourd'hui à la sagesse de la Haute Assemblée est fondée sur le principe de « gagner la paix ». Les conflits actuels ne peuvent être réduits à la seule approche sécuritaire. Une guerre n’est vraiment gagnée que si la paix est préparée au travers de processus d’assistance, de stabilisation et de reconstruction.
En mai 2013, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, déclarait, à juste titre : « Nous sommes en train de gagner la guerre au Mali, il faut maintenant gagner la paix. » Il existe donc deux temps dans un conflit. Et c’est bien là que les acteurs de la société civile sont indispensables : il ne s’agit pas uniquement de sécuriser une zone, mais bel et bien d’apporter une aide, la plus complète qui soit, pour permettre un apaisement politique, économique et social global.
Chers collègues, vous l’admettrez, gagner la paix semble désormais tout aussi difficile que de gagner la guerre. Les exactions et les violences commises en Irak témoignent de l’inefficacité du « tout sécuritaire ». Nous en avons la triste preuve tous les jours : la nouvelle donne géopolitique se caractérise par des conflits inter- et infra-étatiques, où les populations civiles sont les premières victimes. Ces dernières, livrées à elles-mêmes, doivent faire face à des situations de précarité et de détresse intenses. C’est précisément dans ce contexte de grande souffrance que les travailleurs humanitaires assistent les populations et se retrouvent, de fait, en première ligne, à l’instar des journalistes, qui s’exposent directement afin de relayer l’information auprès des opinions publiques.
Tous sont engagés au service de la paix. Tous sont des défenseurs de la démocratie. Tous jouent un rôle central dans l’édification de sociétés moins violentes et plus justes dans les régions sensibles du monde. Aussi nous faut-il rendre hommage à ceux qui font la guerre à la guerre et aux nouveaux Jaurès, acteurs de la paix. Pourtant, la France ne leur rend pas officiellement hommage !
Ces activistes de la paix sont parties prenantes de notre politique de prévention des conflits. Ils participent au combat que la France mène au nom de la paix, partout dans le monde.
Les chiffres sont éloquents. Depuis 2008, 665 journalistes ont été assassinés dans l’exercice de leur métier. En 2013, parmi les journalistes tués, quatre sur dix ont été victimes de conflits. Aujourd’hui, près de 176 journalistes sont emprisonnés. En mai dernier, lors de la première inscription du présent texte à l’ordre du jour des travaux du Sénat, 26 journalistes avaient été tués depuis le début de l’année 2014, contre 58 aujourd'hui. En l’espace de six mois seulement, ce chiffre a plus que doublé !
La présence des journalistes sur les théâtres d’opérations difficiles et les informations qu’ils collectent permettent d’interpeller l’opinion, de réveiller les consciences et d’engager un débat éclairé.
Sans ce travail de fond, il serait difficile de faire face, en toute connaissance de cause, aux défis actuels. Ces chiffres, ainsi que les récents assassinats de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, au Mali, et celui de Camille Lepage, en Centrafrique, nous rappellent combien les journalistes paient un lourd tribut.
La France doit, sans détour, condamner fermement ceux qui assassinent, attaquent, agressent ces travailleurs de la paix. Récemment, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré de façon pertinente que « quand un journaliste est assassiné, finalement c’est un double assassinat, à la fois c’est une personne qu’on tue, mais en même temps c’est la liberté de la presse qu’on veut faire taire, qu’on veut assassiner ». Dont acte.
Accueillir les survivants sur le tarmac d’un aéroport, devant les caméras, ou recevoir les familles des victimes ne suffit plus. Il s’agit d’être cohérents, d’être exemplaires, d’être justes.
À cet égard, je salue l’instauration par l’ONU d’une journée internationale de lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, le 2 novembre. Au niveau national, je me félicite également de l’hommage rendu aux soldats tombés à l’étranger. Alors, pourquoi ne pas faire de même pour les journalistes et les travailleurs humanitaires ?
Nul ne doute qu’ils portent et défendent aussi nos valeurs partout dans le monde. Nul ne doute qu’ils sont aussi présents dans des zones de conflits, souvent au péril de leur vie. Enfin, nul ne doute non plus qu’ils contribuent eux aussi au rayonnement international de la France, en portant les idéaux de justice et de liberté de notre pays.
À l’instar des journalistes, les travailleurs humanitaires sont également, à leur manière, des ambassadeurs de notre pays, porteurs des valeurs fondatrices de la nation, la patrie des droits de l’homme.
D’ailleurs, nous avons récemment examiné la politique de développement et de solidarité internationale de la France. À cette occasion, nous avons pu constater la concordance entre, d’une part, les zones de conflits, et, d’autre part, les zones où le besoin d’aide au développement est le plus fort.
Les travailleurs humanitaires répondent à une réelle urgence. La FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, a estimé que, au niveau mondial, 842 millions de personnes souffraient aujourd’hui de faim chronique. Il y a actuellement plus de 27 millions de personnes déplacées dans le monde. Aujourd’hui encore, 1,3 milliard d’hommes et de femmes vivent avec moins d’un euro par jour.
Ce sont ces situations de détresse et de précarité extrêmes qui nourrissent les conflits d’aujourd’hui et qui nourriront, à n’en pas douter, ceux de demain.
Les travailleurs humanitaires sont des acteurs essentiels de la prévention des conflits, mais aussi de l’assistance et de la reconstruction.
Faisant face à des défis toujours plus nombreux, près de 700 travailleurs humanitaires ont perdu la vie entre 1990 et 2000. Des milliers d’autres ont subi des bombardements, des enlèvements, des attaques, des détournements et des viols.
Dans ces conditions, mes chers collègues, le groupe écologiste ne comprend pas la distinction qui peut être faite entre l’hommage rendu aux militaires et celui qui devrait être rendu aux journalistes et aux humanitaires. Certes, leur engagement ne pourrait être rapproché de celui des militaires ; ils ne sont pas des soldats. Pour autant, pouvons-nous hiérarchiser la valeur des vies ?
Nous, écologistes, considérons que l’engagement des journalistes et des travailleurs humanitaires doit être salué par la France au niveau national. Il s’agirait là d’un symbole fort, s’inscrivant dans le cadre du devoir de mémoire, qui a toujours été érigé en principe fédérateur dans notre pays. Un tel hommage doit être rendu au plus proche des gens. Il doit permettre un travail de sensibilisation, de pédagogie et d’enseignement dans nos écoles.
Cette proposition de loi, qui ne représente aucune charge supplémentaire pour l’État et nos concitoyens, a pour objet de chercher à éveiller les consciences des générations futures.
D’ailleurs, la commission des affaires étrangères souscrit dans son rapport à cette approche, en précisant que « la proposition de loi […] n’aura, au fond, qu’un faible effet normatif : il s’agit avant tout d’un geste symbolique, ou politique, d’une opération de sensibilisation et de mobilisation de l’opinion publique, tout autant qu’une reconnaissance solennelle de la contribution apportée à la paix par les humanitaires et les journalistes ».
Vous comprendrez, mes chers collègues, que, à la lecture de ces lignes, je m’étonne de la position défavorable exprimée par la commission, qui, de manière certaine, n’a pas tiré les conclusions de ces analyses. Je ne comprends toujours pas qu’une telle proposition ne recueille pas le soutien unanime de la représentation nationale.
Je m’étonne encore que le rapport de la commission mette en avant l’argument de « l’inflation commémorative », considérant que ce texte viendrait alourdir un peu plus un dispositif déjà très dense.
Me référant à la grande diversité des journées reconnues aujourd’hui par l’ONU, je m’interroge. Oui, mes chers collègues, je m’interroge… En quoi une journée d’hommage aux morts pour la paix et la liberté d’informer, le 21 septembre, serait-elle moins noble que la journée mondiale de la poésie, le 21 mars, la journée mondiale du bonheur, le 20 mars, ou la .semaine mondiale de l’allaitement maternel, du 1er au 7 août ? (Sourires sur diverses travées.)
Si l’on considère le niveau national, je reste interloquée. Oui, mes chers collègues, je reste interloquée. Comment peut-on refuser cette proposition de loi, alors qu’il existe une journée nationale des pôles de compétitivité, une journée nationale du sommeil, une fête de la gastronomie ou encore une journée nationale du sport scolaire ?
Ces journées répondent à une demande, je l’entends parfaitement. Il s’agit pour moi non pas de hiérarchiser les causes, mais de procéder à une simple mise en perspective. Comment parler d’inflation commémorative alors que la France vient justement de porter auprès de l’ONU le projet d’instaurer une journée internationale en hommage aux journalistes, le 2 novembre ? En quoi cette proposition de loi serait-elle moins légitime ?
En outre, il ne s’agit pas non plus d’une nouvelle loi mémorielle, au sens des journées de commémoration de notre histoire politique et militaire. Elle ne peut donc pas être assimilée aux journées de commémoration qui existent déjà. Elle n’engendrera pas de nouveau jour férié. Là n’est pas son objet.
Il s’agit simplement d’instaurer une journée en phase avec le contexte mondialisé actuel pour reconnaître la multiplicité des acteurs engagés au service de la paix.
Mes chers collègues, je vous demande de regarder le monde tel qu’il est aujourd’hui. Nous avons la chance que des citoyens s’engagent au quotidien pour le faire évoluer vers plus de paix, plus de justice et plus de démocratie. Au nom de leurs familles et de leurs proches, je vous exhorte à rendre à ces travailleurs l’hommage qui leur est dû, à eux qui ont perdu la vie non au service d’une nation, mais au nom des valeurs humanistes que nous partageons tous.
Qui, parmi nous, aurait eu le courage de partir, au péril de sa vie, pour tout simplement informer ou aider ? Imaginez-vous un seul instant un conflit sans journaliste et sans humanitaire ? Il s’agirait d’un conflit dissimulé, oublié, en quelque sorte d’un conflit fantôme. Sans eux, nous serions totalement incapables de comprendre les enjeux du monde dans lequel nous vivons, et, ce qui est plus grave encore, les générations futures seraient condamnées à l’amnésie.
Mes chers collègues, il y va de votre responsabilité, de votre devoir d’exemplarité en tant qu’élus de la France, nation des droits de l’homme, et de votre devoir de reconnaissance en tant que citoyens français, mais aussi en tant que citoyens du monde : en votant cette proposition de loi, vous rendrez hommage au courage de celles et de ceux qui s’engagent au quotidien au service de la démocratie et du respect des droits de l’homme partout dans le monde.
Comme le proclamait Jean Jaurès, « l’affirmation de la paix est le plus grand des combats » ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Reiner, en remplacement de M. Jeanny Lorgeoux, rapporteur de de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’efforcerai d’être aussi bref qu’il est raisonnable, pour permettre à M. Fekl de prendre la parole ce soir.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Je vous en remercie.
M. Daniel Reiner, rapporteur. Je tiens à préciser que je supplée notre collègue Jeanny Lorgeoux, qui est l’auteur du rapport présenté en juin dernier devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. En outre, je me permets de vous signaler, madame Aïchi, que la proposition de loi au profit de laquelle Jean-Louis Carrère, alors président de notre commission, vous avait proposé de retirer un amendement a bien été soumise à l’examen du Sénat, puisqu’elle a été débattue en commission et qu’elle l’est ce soir en séance publique.
Notre collègue propose d’instaurer une journée des morts pour la paix et la liberté d’informer, au cours de laquelle seraient honorés les humanitaires et les journalistes qui ont payé du prix de leur vie leur désir de soulager la misère de leurs frères ou de servir la liberté d’expression.
À notre avis, la question qui nous est posée n’est ni juridique ni technique ; elle est, en réalité, hautement politique. La commission en a longuement débattu et, si elle n’a pas approuvé la proposition de Mme Aïchi, plusieurs sujets de convergence importants n’en sont pas moins apparus.
D’abord, la commission a souligné l’importance du travail de mémoire et de son renouvellement. Dieu sait si, de ce point de vue, l’année 2014 est tout à fait particulière.
Ensuite, nous sommes convenus que le tribut payé par les travailleurs humanitaires et par les journalistes était très lourd, en ces temps où des crises d’une violence inouïe éclatent sur tous les continents. Il est évidemment inutile de rappeler quels immenses services rendent les travailleurs humanitaires, en particulier auprès des 27 millions de personnes déplacées et des 10 millions de réfugiés. Songeons, mes chers collègues, qu’une personne sur six dans le monde souffre de la faim.
On estime que sept cents de ces travailleurs sont morts entre 1990 et 2000 – je ne dispose pas de données plus récentes. L’actualité nous a rappelé ce dont sont capables des organisations aussi barbares que Daech, qui s’en prennent aux travailleurs humanitaires et aux journalistes.
Ces derniers jouent évidemment un rôle crucial au service de la liberté ; dans cet hémicycle, nous sommes tous particulièrement soucieux que les conditions d’exercice de cette liberté, toujours menacée, soient préservées. Car l’information est plus qu’une liberté : elle est le seul moyen d’alerter l’opinion publique et de mobiliser la communauté internationale, d’ouvrir la voie à la prise de conscience d’abord, et ensuite à l’action.
Malheureusement, cela fait des journalistes des cibles. Ainsi, le baromètre annuel établi par Reporters sans frontières est édifiant : 71 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions en 2013, principalement en Syrie, en Somalie et au Pakistan ; la même année, 87 autres ont été kidnappés, pour ne citer que ceux-là.
Enfin, nous avons constaté, au cours des dernières années, une inflation commémorative ; c’est sur ce point qu’a porté l’essentiel de nos discussions. Le diagnostic est très net, établi notamment par le rapport rendu en 2008 par la commission Kaspi.
La prolifération est patente pour ce qui est des journées internationales de l’ONU, puisqu’on n’en recense pas moins de cent vingt-sept, de la journée de la mémoire de la Shoah, le 27 janvier, à la journée internationale de la solidarité humaine, le 20 décembre. Je vous fais grâce d’un inventaire à la Prévert, Leila Aïchi ayant déjà signalé quelques dates.
Je rappelle simplement qu’il existe une journée mondiale de la radio, le 13 février, une journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, et une journée mondiale de l’aide humanitaire, le 19 août. Sans oublier la journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes, fixée au 2 novembre, qui a été instaurée en décembre dernier, sur l’initiative de la France, à la suite de l’attentat qui a coûté la vie à deux journalistes français de RFI ; par la promotion de cette journée, notre diplomatie a voulu marquer tout le prix qu’elle accorde à la protection des journalistes.
Je n’oublie pas non plus le 21 septembre : cette date, que Mme Aïchi a choisie pour la journée qu’elle propose d’instaurer, est, depuis 1981, la journée internationale de la paix. Or cette journée est déclinée chaque année sur un thème particulier, qui, parfois, ma chère collègue, rejoint le sujet que vous avez soulevé.
À l’évidence, la multiplication nuit à la hiérarchisation. De fait, il peut sembler curieux de mettre sur le même plan la commémoration des victimes de la Shoah et, par exemple, la journée mondiale de l’habitat. Je n’ose même pas faire mention de la journée prévue pour la date d’hier : le 19 novembre, en effet, est la journée mondiale des toilettes… Elle a sûrement une signification, mais je doute qu’elle soit commémorée partout !
Quant au calendrier de commémorations propre à la France, il compte douze dates d’ordre historique, dont la moitié ont été instaurées tout récemment.
Quelle est donc la conséquence de cette inflation ? D’après la commission Kaspi, la banalisation et l’affadissement de ces journées. Nous sommes tombés d’accord avec ce constat.
Un second risque existe, même si cette remarque ne s’applique pas nécessairement à la présente proposition de loi : la communautarisation des commémorations, chaque association promouvant sa date et sa cérémonie, au point que les hommages finissent parfois par diviser au lieu de rassembler.
Nous avons également considéré que cette proposition de loi était faiblement normative, dans la mesure où elle ne prévoit ni jour férié, ni jour chômé, ni obligation de manifestations pédagogiques ; en réalité, sa portée est symbolique.
En définitive, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a tenu à affirmer l’importance du travail d’hommage et de commémoration et à rendre, en notre nom à tous, un hommage appuyé aux humanitaires et aux journalistes, tout en prenant en compte les analyses dont il ressort que l’inflation commémorative peut entraîner des effets négatifs.
Compte tenu de ces considérations, et eu égard au caractère faiblement normatif de la proposition de loi, elle n’a pas souhaité augmenter le nombre de jours légaux de commémorations et d’hommages. Toutefois, elle a souligné que la journée internationale de la paix, fixée par l’ONU le 21 septembre, pourrait constituer le cadre d’un hommage particulier rendu, même sans loi, aux travailleurs humanitaires et aux journalistes. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame Aïchi, mesdames, messieurs les sénateurs, trop de journalistes paient de leur vie leur engagement en faveur de la liberté de la presse. Au cours des derniers mois, Ghislaine Dupont, Claude Verlon, Camille Lepage, James Foley et Steven Sotloff ont ainsi perdu la vie.
Bien d’autres noms résonnent encore dans nos mémoires. Ainsi celui de Peter Kassig, assassiné il y a quelques jours par Daech dans les conditions les plus atroces. Il vient allonger encore un peu plus la liste des noms des travailleurs humanitaires tombés sous les coups du terrorisme aveugle et des attaques délibérées de groupes armés ou de régimes oppresseurs.
En 2013, 155 travailleurs humanitaires ont perdu la vie en accomplissant leur mission. L’année 2014 a vu et voit encore un déferlement intolérable de violence qui sème la mort.
Partout dans le monde, des femmes et des hommes œuvrent pour la paix. Partout dans le monde, des journalistes se battent, se mettent en danger et, parfois, meurent, pour informer et pour faire vivre la liberté de la presse, qui est au cœur de la démocratie.
Comme l’a rappelé le ministre des affaires étrangères et du développement international, Laurent Fabius, quand on tue un journaliste, on commet un double assassinat : contre une personne, bien sûr, mais aussi contre la liberté d’information.
Tuer un humanitaire, c’est tuer quelqu’un qui a fait du dévouement aux autres son métier et sa vocation. C’est toujours un acte d’une infinie lâcheté, qui tout à la fois supprime une vie et prive les populations civiles des secours et de la protection dont elles ont besoin pour tout simplement survivre sur les terrains de conflit.
Ces faits, qui figurent parmi les pires violations du droit, sont révoltants pour la conscience humaine. Je crois que c’est aussi cela que vous avez voulu signifier, madame Aïchi, en déposant cette proposition de loi. Si le Gouvernement comprend et partage son inspiration, et s’il souscrit à ses objectifs et à sa philosophie, il est en revanche plus réservé sur son dispositif. Permettez-moi de vous en exposer les raisons.
Je tiens tout d’abord à souligner que, en particulier grâce à l’action déterminée de la France, plusieurs initiatives ont été prises au niveau international, notamment depuis le dépôt de la proposition de loi, pour rendre hommage aux travailleurs humanitaires et aux journalistes et pour mieux protéger, concrètement et sur le terrain, leur travail et leur action. La journée que vous proposez d’instaurer, madame la sénatrice, risquerait donc de recouper d’autres journées et célébrations d’ores et déjà inscrites à l’agenda officiel, tant national qu’international, et de s’y superposer.
Ainsi, c’est sur l’initiative de la France qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur la sécurité des journalistes a instauré, à la fin de l’année dernière, une journée internationale pour la lutte contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes, célébrée le 2 novembre en mémoire de l’assassinat des journalistes de Radio France internationale.
Cette journée, qui vient d’être commémorée pour la première fois à New York en liaison avec l’UNESCO, s’ajoute à la journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai en France et dans le monde entier.
Il s’agit d’initiatives fortes destinées à rappeler les enjeux et à faire œuvre de mémoire et de souvenir.
Nous agissons aussi sans relâche pour promouvoir, à travers les textes adoptés par les Nations unies, la mise en place de mécanismes d’alerte précoce et de réponse rapide. De tels dispositifs permettent aux journalistes menacés de contacter les autorités afin de bénéficier des protections nécessaires.
Nous avons présenté ce mois-ci, à l’Assemblée générale des Nations unies, avec la Grèce, avec l’Autriche, une résolution qui demande aux États de prendre des mesures concrètes pour diligenter des enquêtes et poursuivre les auteurs de crimes contre les journalistes, dont 90 % restent impunis. En principe, le vote sur ce projet interviendra vendredi prochain, à New York.
Dès 2006, la France avait été à l’initiative de la résolution 1738 du Conseil de sécurité sur la protection des journalistes dans les conflits armés.
Les travailleurs humanitaires, eux aussi, sont malheureusement trop souvent victimes d’attaques ciblées, en nombre croissant partout dans le monde, au mépris des principes d’humanité, d’impartialité et de dévouement qui gouvernent leur engagement.
Ces travailleurs humanitaires bénéficient d’une protection particulière au regard des conventions de Genève qui régissent le droit international humanitaire.
En outre, les attaques délibérées contre les personnels participant à une mission d’aide humanitaire sont considérées comme des crimes de guerre au regard du statut de la Cour pénale internationale, à laquelle la France est partie.
Notre pays se mobilise dans toutes les enceintes pour renforcer leur protection, trop souvent battue en brèche, et faire respecter concrètement le droit international humanitaire.
Elle a œuvré, au Conseil de sécurité de l’ONU, pour l’adoption, le 29 août dernier, de la résolution 2175 sur la sécurité et la protection des travailleurs humanitaires, qui réaffirme les obligations de toutes les parties pour assurer le respect du droit international humanitaire et garantir la protection des travailleurs humanitaires.
En outre, notre pays commémore chaque année la journée mondiale de l’aide humanitaire, le 19 août, en souvenir de l’attentat qui avait frappé le siège des Nations unies à Bagdad.
C’est, chaque année, l’occasion pour la communauté internationale de saluer le dévouement et l’engagement des acteurs humanitaires qui portent secours aux populations dans le besoin et dans la détresse, au péril de leur vie, dans des conditions toujours plus difficiles.
J’ajoute que la France est aussi engagée quotidiennement, conformément à ses valeurs, au travers de l’ensemble de son réseau diplomatique, en faveur des droits de l’homme partout dans le monde.
La journée des droits de l’homme, le 10 décembre, ainsi que le prix des droits de l’homme de la République française, décerné chaque année, est aussi l’occasion de célébrer de grandes personnalités qui œuvrent en faveur des droits de l’homme.
La France continuera avec force à défendre la sécurité des journalistes et des travailleurs humanitaires, témoins des guerres et acteurs de la paix, des principes d’humanité et de dignité de la personne humaine. Les journées internationales pour la paix, la liberté de la presse, l’aide humanitaire, contribuent, par-delà les frontières, à rappeler qu’en exerçant leur mission, c’est la liberté même qu’ils défendent.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en partageant l’inspiration qui a présidé à l’élaboration de cette proposition de loi, le Gouvernement émet donc des réserves quant aux modalités retenues. C’est dans cet état d’esprit qu’il s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. (M. le rapporteur et Mme Bariza Khiari applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi a été inscrite dans le cadre de l’espace réservé au groupe écologiste, d’une durée de quatre heures. Ces quatre heures étant écoulées – elles sont même dépassées –, je me vois dans l'obligation d’interrompre l’examen de ce texte. Il appartiendra donc à une prochaine conférence des présidents d’inscrire la suite de cette proposition de loi à l'ordre du jour d’une prochaine séance.
16
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 20 novembre 2014 :
À onze heures :
1. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances pour 2015 (n° 107, 2014-2015) ;
Rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances (n° 108, 2014-2015).
Discussion générale.
De quinze heures à quinze heures quarante-cinq :
2. Questions cribles thématiques sur le thème « Quel financement pour les transports collectifs en France ? ».
À seize heures et, éventuellement, le soir :
3. Suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 20 novembre 2014, à zéro heure cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART