Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Le débat sur le CICE est un débat bien connu, qui demande de tuer certaines idées reçues, à commencer par le fait qu’il ne fonctionnerait pas.
J’ai entendu à plusieurs reprises dire que la dépense liée au CICE ne serait pas à la hauteur de ce qui était prévu. C’est faux. Nous sommes légèrement en dessous, c’est clair. Mais la dépense était prévue à hauteur de 12 milliards d’euros en 2014 ; elle se situera plutôt autour de 11 milliards d’euros, si l’on additionne la créance accumulée par les entreprises et la partie versée aux différentes entreprises.
J’ai entendu dire aussi que la dépense liée au CICE ne profitait pas à toutes les entreprises. Madame la sénatrice, je suis quelque peu étonné de cet argument puisque, bien souvent, le défaut qu’on prête au CICE est de profiter à toutes les entreprises et pas seulement aux entreprises industrielles. En fait, il bénéficie à toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes, selon les critères qui sont bien connus maintenant : la fourchette de salaire entre 1 et 2,5 SMIC.
Mais – monsieur le rapporteur général, vous l’avez rappelé – la question de fond, comme je le disais lors de nos débats précédents, est la suivante : la dégradation des comptes publics rendait impossible toute mesure d’allégement de charges massif dans l’immédiat ! Si vous ne nous aviez pas laissé des comptes publics dans l’état où nous les avons trouvés, nous aurions pu imaginer prendre d’autres décisions. Ainsi, s’agissant du pacte de responsabilité, les allégements de cotisations salariales que le Parlement a votés au mois de juillet dernier seront mis en place à partir du 1er janvier 2015, dans le cadre d’une trajectoire financière assumée.
De même, remplacer le CICE et créer de nouveaux allégements de charges en les finançant uniquement par 5 points supplémentaires de TVA, c’est faire reposer essentiellement sur les ménages l’ensemble du coût. Je vous laisse imaginer les conséquences qu’aurait une telle majoration de TVA en termes de pouvoir d’achat. J’en frémis d’avance, y compris pour les entreprises, car le coût de la TVA sur les entreprises n’est pas totalement neutre non plus, mais nous pourrons y revenir.
Que la mesure n’ait pas été parfaite, peut-être, mais les reproches à son adresse ne sont pas justifiés. Ainsi, je n’arrive pas à comprendre que vous considériez le CICE comme un dispositif compliqué. Le moindre expert-comptable – et je ne parle pas de directeur financier puisque les petites entreprises n’en ont généralement pas – peut comprendre ce dispositif tout de même très simple : il suffit de prendre les salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC, de cocher une case, et l’on obtient un crédit d’impôt.
Qu’est-ce qu’un crédit d’impôt ?
Vous nous dites que cela a un effet de lente montée en puissance ; mais, dans les comptes des entreprises, les crédits d’impôt sont rattachés à l’année d’exercice, comme les impôts. Les entreprises ont donc pu inscrire dès 2013 ce crédit d’impôt dans leur compte d’exploitation. Après, elles ont le choix de le toucher ou pas. Sauf les très grosses entreprises dont le crédit d’impôt est versé de façon pluriannuelle avec un décalage dans le temps, mais je pense que, pour elles, les questions de trésorerie ne se posent guère. En revanche, les petites ou moyennes entreprises ont pu obtenir auprès de la BPI, dont ce n’était pas le seul objectif, monsieur le rapporteur général, car réduire ainsi le rôle de la BPI,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’ai dit que c’était une grosse partie de son activité, pas toute.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … affirmer, comme vous l’avez fait, que c’était le principal rôle de la BPI que de préfinancer le crédit d’impôt…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … est tout de même un peu exagéré ! En effet, la BPI a accompagné dans les entreprises de nombreux autres investissements et d’autres financements que ce crédit d’impôt qu’elle a préfinancé à un taux dont vous me direz sans doute qu’il était trop … Mais, au lieu de toucher 4 % de la masse salariale concernée, compte tenu du taux d’intérêt, les entreprises ont dû en percevoir 3,97 %, ce qui, pour des entreprises qui ne touchaient rien auparavant, ne constitue pas une différence essentielle.
Donc, il faut être sérieux : le CICE n’était pas compliqué, il est entré en vigueur tout de suite et a apporté une bouffée d’oxygène à de nombreuses entreprises !
La grande question est celle de la sélectivité. Cet argument est plus discutable, et peut-être contestable. Encore faut-il être attentif, à mon avis, à ne pas prendre d’exemples maladroits.
Vous avez, monsieur le rapporteur général, évoqué La Poste…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La grande distribution également !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Je vais y revenir, monsieur le rapporteur général, soyez patient ! Je suis patient, pour ma part : j’attends toujours vos mesures structurelles et je ne les ai toujours pas ! Vous m’avez dit qu’il faut attendre : j’attends donc !
Mais La Poste n’est franchement pas le bon exemple.
Tout d’abord, qu’on le veuille ou non, qu’on le déplore ou pas, elle est soumise à une concurrence. Mais enfin, laissons encore cet élément de côté.
Ensuite, La Poste connaît des difficultés extrêmes. Vu la baisse de l’activité de son métier Courrier, elle se trouve actuellement dans une situation très difficile. Or, pour conserver un réseau utile et nécessaire – nous en sommes tous d’accord – à l’aménagement du territoire et aux relations sociales, que ce soit dans les secteurs ruraux ou dans les nouveaux secteurs urbains, il est très important de soutenir la Poste dans sa mutation.
Or sans le crédit d’impôt compétitivité emploi, mesdames, messieurs les sénateurs, La Poste aurait connu un déficit important. Elle est aujourd’hui tout juste à l’équilibre. Son activité Banque postale monte en puissance, fort heureusement, mais elle ne s’entend pas au même rythme que l’activité Courrier : en effet, l’activité bancaire de prêts est étalée dans le temps alors que l’activité Courrier produit immédiatement du résultat. La Poste n’est donc pas du tout le bon exemple !
Vous avez aussi parlé de la grande distribution. Là, c’est un sujet beaucoup plus susceptible d’être commenté.
Nous vous proposerons certainement des évolutions, non pas du CICE, mais de la sélectivité de ce crédit d’impôt, qui soulève une vraie difficulté. Le principe d’égalité devant l’impôt ne permet pas de pratiquer des discriminations par secteur, ou en tout cas difficilement. Monsieur le sénateur, à cet égard, toute solution sera la bienvenue.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Baissez les charges !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Les baisses de charges, si l’on veut les sectoriser, on se trouvera confronté, vous le savez bien, à la législation européenne.
Au regard tant de la législation européenne que des principes constitutionnels, la sélectivité d’un crédit d’impôt est extrêmement compliquée à mettre en œuvre ; les mesures allant dans ce sens sont donc juridiquement fragiles. C’est précisément pour des raisons de simplicité que nous avons souhaité ne pas faire de discrimination par secteur d’activité ou pour d’autres raisons concernant le CICE.
Modifier la conditionnalité du CICE nous paraît également difficile ; je ne vais pas développer cet aspect maintenant, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de nos discussions.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement est défavorable à une augmentation de 5 points de la TVA. Une hausse aussi massive est inimaginable si l’on veut ne pas impacter le pouvoir d’achat des ménages et compte tenu de ses répercussions sur certaines entreprises. Le Gouvernement est également défavorable à la suppression totale du CICE.
S’agissant de l’amendement tendant à faire bénéficier du CICE les entreprises qui n’ont pas de salariés, le Gouvernement, pour des raisons évidentes – l’assiette est constituée pour partie de la masse salariale –, n’y est pas non plus favorable. J’ajoute que, pour les professions indépendantes, le Gouvernement a pris une mesure d’allégement de cotisations sociales qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015. Son coût – ou son produit, selon le côté où l’on se place – sera de 1 milliard d’euros.
Voilà pourquoi le Gouvernement est défavorable aux quatre amendements qui ont été défendus.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je reconnais l’honnêteté intellectuelle de M. le secrétaire d’État, qui a admis l’existence d’un problème de sélectivité. En effet, le dispositif qui visait à l’origine à aider l’industrie a finalement bénéficié à tous les secteurs. Peut-être que l’exemple de La Poste n’était pas le mieux choisi. D’autres, à l’instar de Philippe Dallier, ont parlé d’Amazon, mais on aurait pu citer aussi la grande distribution, EDF ou de nombreuses autres entreprises, dont certaines sont plus ou moins soumises à la concurrence internationale.
L’industrie française a les plus grandes difficultés à retrouver un peu de compétitivité et à financer ses investissements en raison de la faiblesse de ses marges structurelles. Voilà pourquoi, samedi, nous avons défendu des amendements relativement consensuels sur l’investissement industriel des PME. Le dispositif que nous avons inventé à un coût, je le reconnais, mais il se rapproche un peu de l’objectif initial. Le problème, je le répète, c’est que certains secteurs protégés vont très largement bénéficier du CICE.
Le Président de la République a expliqué voilà quelques jours devant des chefs d’entreprise vouloir « monter en charge » le CICE et le « basculer » – c’est son terme exact – vers une baisse des charges à partir de 2017. Il reconnaît donc qu’il y a un problème, soit de lisibilité, soit de montée en puissance, et que, du CICE, on va passer à ce que propose aujourd’hui le groupe UDI-UC, mesure qui avait été votée par le Sénat, avant d’être supprimée par la loi de finances rectificative pour 2012.
Monsieur le secrétaire d’État, un dispositif est-il en cours d’élaboration pour aboutir à la baisse des charges annoncée par le Président de la République ? De tels travaux rendraient peut-être le premier amendement qui a été défendu ce matin opérationnel. La principale difficulté est d’assurer la transition entre un dispositif qui, à nos yeux, monte trop peu en puissance ou n’est pas suffisamment lisible et un dispositif plus lisible permettant d’avoir un coût du travail moins élevé. J’imagine cependant que Bercy travaille déjà à des solutions pour assurer la période transitoire et réussir ce basculement vers une baisse des charges que nombre d’entre nous appellent de leurs vœux. Dans ces conditions, la commission pourrait être conduite à changer d’avis sur le premier amendement…
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur le rapporteur général, Bercy travaille tous les jours, toutes les nuits et souvent le week-end…
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Comme le Sénat !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … sur tous les sujets. Néanmoins, quand on étudie une piste, il suffit d’une fuite dans la presse pour croire que la chose est décidée définitivement. C’est arrivé à plusieurs reprises, notamment l’été dernier.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit tout de même d’une déclaration du Président de la République !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Soyez patient, monsieur le rapporteur général, j’y viens. Moi, j’attends bien vos propositions de réformes structurelles et que vous nous expliquiez comment vous allez atteindre 3 % de déficit public l’année prochaine sans faire aucune économie, en tout cas pas celles que nous proposons. J’attends depuis quinze jours ; vous pouvez bien attendre trente secondes.
Dès le 1er janvier 2015, je le rappelle, vont entrer en vigueur des allégements de cotisations sociales que le Parlement a votés et que nous compenserons. À cet égard, j’en profite pour m’adresser à ceux qui ont évoqué le financement du CICE.
Monsieur Bocquet, quand nous avons mis en place ce dispositif, nous avons expliqué comment il serait financé. Vous avez indiqué que ce financement provenait de la demi-part des veuves ou de la fiscalisation des 10 %. C’est inexact !
Nous avons mis en place un plan totalement cohérent : les 20 milliards d’euros – c’est le coût en année pleine du dispositif – sont financés pour partie par une légère hausse de la TVA, que le Parlement a votée sur notre proposition, et par la contribution climat-énergie, qui monte en puissance. Certains se plaisent d’ailleurs à dire que le taux de cette dernière est trop élevé, tandis que d’autres dénoncent l’absence, selon eux, de fiscalité environnementale. Ces deux premières composantes représentent environ 10 milliards d’euros. Le reste du financement provient d’économies budgétaires, qui sont au rendez-vous, sur plusieurs années. Cette mesure a été adoptée dans le cadre du projet de loi de finances initiale pour 2013, puis complétée dans les projets de budget pour 2014 et 2015.
Monsieur le rapporteur général, j’ai bien compris que la question qui vous importe le plus est de savoir si le CICE évoluera vers un allégement des cotisations sociales. C’est probable, puisque le Président de la République l’a évoqué – cela ne m’a pas échappé – non seulement devant des chefs d’entreprise, mais aussi lors d’une émission télévisée regardée par plusieurs millions de nos concitoyens.
Oui, le CICE évoluera ! Mais permettez-moi de revenir un instant à la fin de 2012, période où nous avons décidé de le créer.
Parler de la grande distribution, c’est symbolique – je le redis, nous vous proposerons peut-être d’autres évolutions –, mais encore faut-il distinguer ce qui est réellement de la grande distribution…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Amazon !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … et ce qui s’apparente plutôt à du commerce de proximité, car les deux bénéficient du CICE, notamment les commerçants ou artisans employant quelques salariés.
L’évolution aura lieu quand les conditions budgétaires le permettront, c’est-à-dire quand nous aurons retrouvé, par le biais de la diminution des déficits budgétaires, des marges de manœuvre. Nous souhaitons, comme vous évidemment, les voir se dégager le plus vite possible.
Pour conclure, je dirai que des pistes sont à l’étude, mais qu’il serait prématuré de donner quelque détail que ce soit. En tout cas, les allégements de charges auront bien lieu dès le 1er janvier 2015.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’amendement n° I-393 rectifié bis.
Mme Nathalie Goulet. Je suis face à un conflit de loyautés. D’un côté, je comprends que l’absence de mesures transitoires pose problème et, de l’autre, je pense que remplacer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui n’est pas satisfaisant, par une TVA sociale serait un signal fort.
Dans la mesure où nous aurons d’autres moments pour aborder le sujet – ce sera l’occasion de le perfectionner –, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, je retire l’amendement.
Soit dit par parenthèse, les promesses de baisse des charges me font un peu penser au fameux sketch de Fernand Raynaud sur le fût du canon qui met « un certain temps » pour se refroidir…
Cela étant, je retire également l’amendement n° I-394.
Mme la présidente. Les amendements nos I-393 rectifié bis et I-394 sont retirés.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote sur l’amendement n° I-185.
Mme Marie-France Beaufils. Je partage tout à fait les propos de M. le secrétaire d’État à propos du poids que représenterait pour les ménages une augmentation de la TVA, mais comme l’amendement n° I-393 rectifié bis a été retiré, je vais en rester là sur le sujet.
Effectivement, monsieur le secrétaire d’État, La Poste n’était peut-être pas le meilleur exemple à choisir. Si nous avons voulu vous alerter sur cette entreprise, c’est parce que, en dépit du CICE, elle a récemment réduit ses effectifs et connaît quelques soucis. À notre sens, mieux aurait valu augmenter la dotation pour missions de service public, qui tient compte de la réalité des relations entre l’État et La Poste. Cette voie aurait peut-être été plus intéressante à suivre.
J’en viens au fond du problème.
Je ne perçois pas tout à fait le débat mené avec Louis Gallois de la même manière que M. le rapporteur général. Si ma mémoire est bonne, il portait essentiellement sur les enjeux de compétitivité internationale et sur les facteurs qui, en la matière, fragilisent la position de la France. Ce problème nous renvoie à une discussion que nous avons consacrée, samedi, aux conditions de fonctionnement des entreprises en Europe et à la nécessité d’accentuer, au sein de celle-ci, l’harmonisation sociale et fiscale.
À nos yeux, il est nécessaire d’améliorer, voire d’accroître les moyens de la BPI, pour permettre aux entreprises d’investir réellement dans l’amélioration de leur outil de travail. Cette méthode serait plus pertinente et plus efficace.
Au sujet d’un autre de nos amendements, il a été question du critère de sélectivité. Il nous a été répondu que modifier la conditionnalité du CICE serait juridiquement fragile au regard de la législation européenne. Cet argument m’interpelle.
M. Gattaz, qui n’a pas dû apprécier que je pointe du doigt les aides que son entreprise pourrait recevoir au titre du CICE, m’a indiqué que j’avais sous-estimé ce que la société Radiall obtiendrait : cette firme pourrait recevoir, à l’horizon de 2017, non pas 800 000 euros mais 6 millions d’euros ! Cette somme n’a rien de négligeable. Parallèlement, elle continue de distribuer à ses actionnaires des dividendes assez substantiels, quoique, à l’entendre, moins élevés que pour d’autres entreprises.
Aujourd’hui, on privilégie la réduction des financements dédiés aux salariés des entreprises, ce que les économistes actuels, fidèles à l’esprit de l’économie libérale, appellent généralement « le coût du travail », mais on ne regarde jamais ce que représente le coût du capital. Parallèlement, les aides de la BPI permettent de réduire les coûts financiers supportés par les entreprises.
Voilà pourquoi nous aurions probablement besoin de mieux analyser la manière dont nos entreprises fonctionnent aujourd’hui pour juger de la pertinence du CICE. Pour notre part, nous ne sommes toujours pas convaincus par ce dispositif.
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Les écologistes n’ont jamais été favorables au CICE. Rappelons-le, ce dispositif a été introduit dans un projet de loi de finances rectificative, par le biais de deux amendements longs chacun de trois à quatre pages et assortis d’une étude d’impact extrêmement faible. Il ne correspondait qu’approximativement aux conclusions du rapport Gallois, ce qui est compréhensible, le Gouvernement, par définition, opérant ses propres choix.
On reproche au CICE son manque de critères. Or il en a au moins deux.
Le premier, c’est d’oublier les entreprises individuelles et les travailleurs indépendants, qui représentent tout de même 2,5 millions de personnes. En plus, face à la situation compliquée que connaissent beaucoup de secteurs, face à la précarisation de l’emploi, le nombre d’auto-entrepreneurs augmente.
Je comprends que des mesures de compensation soient nécessaires dans certains domaines, mais nous devons garder à l’esprit un exemple typique, celui du commerce : le CICE accorde un avantage à la grande distribution et crée ainsi une distorsion de concurrence à l’égard du petit commerce, qui pourtant fait vivre nos centres-villes. Voyez le nombre de magasins qui ferment actuellement ! Et ce ne sont pas les boutiques de cigarettes électroniques qui signent des baux locatifs pour quelques mois qui vont faire revivre nos bourgs !
Les petits commerçants disparaissent les uns après les autres, du fait de la multiplication des grandes surfaces en périphérie des agglomérations. Ces structures polarisent déjà une grande partie de l’activité commerciale et, en plus, on leur verse une aide supplémentaire à travers le CICE !
Le deuxième critère, c’est le fait de limiter la masse salariale éligible au CICE à 2,5 SMIC. Les écologistes ne sont pas opposés à l’investissement, bien au contraire, mais imposer un tel plafond revient à écarter les salariés les plus qualifiés et donc les mieux payés. Or les domaines les plus performants, notamment ceux qui sont soumis à la compétition internationale, exigent des ingénieurs dotés d’un haut niveau de qualification.
Je sais qu’accorder un crédit d’impôt par secteur d’activité est difficile compte tenu de la législation européenne. J’ai bien compris que le Gouvernement avait opté pour la formule large du CICE, parce qu’elle avait l’avantage de n’être pas « attaquable » au regard des règles fixées par la Commission européenne et par l’Autorité de la concurrence. Nous n’en devons pas moins reprendre notre combat, au niveau des institutions européennes, pour que cesse cette espèce de folie de la direction générale n° 4, ou DG4, relative à la concurrence, qui empêche de mener une action un tant soit peu stratégique et ciblée.
Je le disais encore samedi dernier : les normes actuelles n’autorisent que des politiques horizontales, pour susciter un contexte favorable, mais elles ne permettent pas de cibler des secteurs stratégiques. Bien sûr, les pays de l’Union européenne ne vont pas se livrer une guerre économique, en opposant un secteur à un autre. Voilà pourquoi il convient de mettre en place de véritables politiques coordonnées.
Je me suis rendu, il y a peu, à Berlin dans le cadre de la mission commune d’information relative à la gouvernance mondiale de l’internet. À ce titre, j’ai rencontré des représentants du ministère allemand de l’économie, qui m’ont déclaré que leur ministère avait l’intention de soutenir les nouvelles technologies en leur consacrant 200 millions d’euros l’année prochaine. Leur souhait était de cibler particulièrement les start-up. Je leur ai demandé comment ils allaient procéder vis-à-vis de l’Union européenne. Ils ont admis qu’il s’agissait là d’un problème.
Il est peut-être temps que les Français, les Allemands et d’autres encore disent : rompons avec l’erreur stratégique qui consiste à concevoir, au niveau européen, des mesures d’investissement ne permettant pas de rénover, de réorienter et de soutenir les secteurs dynamiques de notre économie.
Enfin, je dirai un mot de la TVA et, en particulier, de la TVA sociale. Certes, on a légèrement augmenté la TVA pour financer le CICE, mais on a manqué d’ambition en ne portant son taux que de 19,6 % à 20 %. Il aurait été plus intelligent de le fixer à 21 %.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ah !
M. Philippe Dallier. Vous allez dans notre sens !
M. André Gattolin. Si je dis cela, c’est parce qu’on vise l’harmonisation fiscale à l’échelle européenne. Voilà des années qu’on se bat pour harmoniser un tant soit peu la TVA. Quant à l’augmenter de 5 points, là, c’est une autre histoire…
Par ailleurs, la contribution climat-énergie n’a pas été instaurée pour financer l’investissement tous azimuts.
M. André Gattolin. La fiscalité écologique a pour but de financer la transition écologique !
En fait, on aboutit à un certain nombre de paradoxes, qui, au total, se révèlent contre-productifs.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Ce débat prend une tournure intéressante : plus il progresse,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. ... plus on évolue !
M. Philippe Dallier. … plus j’ai le sentiment que nous allons finir par nous retrouver sur la même position. À l’automne 2012, on a supprimé la TVA sociale au profit du CICE. À la fin de 2013, on a dû constater que ce dispositif n’était pas suffisant et qu’il fallait aller plus loin dans la réduction des charges. Et voilà qu’à présent le Président de la République nous annonce le basculement du CICE à l’horizon de 2017 vers un mécanisme de baisse des charges !
Entendre M. Gattolin déplorer que la TVA n’ait pas été augmentée dans de plus fortes proportions, c’est tout de même le signe que les choses sont en train de bouger…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous avons eu raison trop tôt !
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est une réflexion circulaire…
M. Philippe Dallier. Je le dis à l’intention de nos collègues communistes : nous ne voterons pas la suppression du CICE, même si nous n’en sommes pas fans, loin de là. Je forme simplement le vœu que nous n’attendions pas 2017 pour lancer ce mouvement. Les uns et les autres doivent l’admettre, il n’y a guère d’autres solutions. Tout ce que l’on peut regretter aujourd’hui, c’est que l’on ait perdu tant de temps avant d’en venir à la solution que nous préconisions. Du coup, on peut craindre qu’on n’agisse un peu trop tard…
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l'amendement n° I-189.
Mme Nathalie Goulet. Je suis très sensible à cet amendement, qui prolonge parfaitement les travaux menés par la commission d’enquête relative à l’évasion fiscale.
Disons-le franchement : un certain nombre de grands groupes ne paient pas d’impôts en France – on a cité le cas d’Amazon, on parle également de Total et de plusieurs autres sociétés. Non seulement ils s’organisent, grâce aux prix de transfert et à d’autres manipulations multiples et variées, pour ne pas acquitter d’impôts dans notre pays, mais, de surcroît, ils bénéficient du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. C’est un peu fort ! À mon sens, la mise en œuvre de conditionnalités est, à tout le moins, tout à fait convenable. La moindre des contreparties du CICE, c’est l’acquittement de l’impôt.
On nous parle tous les jours de patriotisme fiscal. À présent, il faut marquer le coup. Voilà pourquoi je voterai, à titre personnel, cet amendement de nos collègues Beaufils, Foucaud et Bocquet.