compte rendu intégral

Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Valérie Létard,

Mme Colette Mélot.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Articles additionnels après l'article 8 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Première partie

Loi de finances pour 2015

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Articles additionnels après l'article 8 (suite)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 107, rapport n° 108).

Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen, au sein de la première partie du projet de loi de finances, des dispositions relatives aux ressources.

PREMIÈRE PARTIE (suite)

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE Ier (suite)

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

I. – IMPÔTS ET RESSOURCES AUTORISÉS (suite)

B. – Mesures fiscales (suite)

Mme la présidente. Nous poursuivons l’examen des amendements portant article additionnel après l’article 8

Première partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Article 8 bis (nouveau)

Articles additionnels après l'article 8 (suite)

Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° I-393 rectifié bis, présenté par MM. Delahaye, Capo-Canellas, Marseille et Canevet, Mme Iriti, M. Zocchetto et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :

Après l’article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L’article L. 241-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« 9° Une compensation à due concurrence du produit de la taxe sur la valeur ajoutée nette correspondant aux montants de cette taxe enregistrés au titre de l’année par les comptables publics, déduction faite des remboursements et restitutions effectués pour la même période par les comptables assignataires, et affectée au compte de concours financier "avances aux organismes de sécurité sociale". » ;

2° Les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 241-6 sont supprimés.

II. – Sans préjudice des dispositions de l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, la compensation à la Caisse nationale des allocations familiales et à la Caisse nationale d’assurance maladie de la réduction des cotisations patronales prévue au 2° du I, et de la diminution des taux visés au II du présent article, s’effectue au moyen des ressources mentionnées au 9° de l’article L. 241-2 du même code.

III. – Il est ouvert un compte de concours financier intitulé : « Avances aux organismes de sécurité sociale ».

a) Ce compte retrace, respectivement en dépenses et en recettes, les versements à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale et les remboursements des avances sur le montant des impositions affectées par l’État aux régimes de sécurité sociale.

b) Le compte de concours financier intitulé « Avances aux organismes de sécurité sociale » est abondé par l’affectation d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée. La détermination du taux de cette fraction d’affectation est déterminée annuellement par un décret en Conseil d’État.

c) Un décret en Conseil d’État fixe annuellement les taux de cotisations sociales, salariales et patronales, nécessaires pour atteindre l’équilibre des branches de la sécurité sociale. Ces taux sont établis après avoir pris en compte de l’affectation d’une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.

IV. – Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° L’article 244 quater C du code général des impôts est abrogé ;

2° À l’article 278, le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 25 % » ;

3° Au premier alinéa et à la seconde phrase du b du 1° du A de l’article 278-0 bis, le taux : « 5,5 % » est remplacé par le taux : « 7 % ».

VI. – Le présent article entre en vigueur au 1er juillet 2015. Le Gouvernement remet au Parlement, annuellement, et au plus tard le 15 octobre, un rapport établissant l’évaluation du dispositif de TVA-compétitivité.

VII. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, victoire de l’optimisme sur l’expérience, comme le disait Henri VIII lors de son sixième mariage (Exclamations amusées.) : il s’agit, vous l’aurez compris, de l’amendement visant à créer une TVA sociale, à laquelle le groupe de l’Union centriste est toujours extrêmement attaché.

La compétitivité de la France s’est effondrée, il est inutile de le répéter. Nous avons un problème de coût du travail, nous le savons. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE, adopté en décembre 2012, est loin de donner satisfaction.

En effet, il maquille une créance des entreprises sur l’État ; il est trop peu incitatif en termes d’emploi et d'investissement ; il favorise exclusivement – on l’a vu à différentes reprises – les entreprises les plus grandes au détriment des entreprises de dimensions plus modestes.

Par le présent amendement, nous proposons une alternative complète au crédit d’impôt prévu par le Gouvernement : il s’agit d’introduire dans notre système de financement de protection sociale un véritable dispositif de TVA compétitivité. La suppression de 50 milliards d’euros de cotisations employeurs serait compensée par une affectation proportionnée et évolutive du produit du prélèvement obligatoire dont l’assiette est la plus stable, à savoir la TVA. Il est en effet nécessaire de financer des prestations universelles par des prélèvements aux assiettes les plus larges et les plus stables possible dans notre système fiscal, sans contribuer pour autant à un alourdissement supplémentaire du coût du travail.

Les taux de TVA seraient ainsi augmentés de manière à garantir le financement des prestations sociales, sans nuire pour autant à la préservation des recettes fiscales de l’État. Une première étape a été franchie avec les hausses de taux initiées en 2012. Une telle disposition est en outre en cohérence avec les pratiques de nos voisins européens. Aucun pays de l’Union européenne dont la part de la dépense publique dans le PIB est supérieure à 55 % ne dispose de taux de TVA de droit commun inférieurs à 25 %.

Mme la présidente. L'amendement n° I-185, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 244 quater C du code général des impôts est abrogé.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, instauré voilà presque deux ans, fait partie du paysage législatif de notre pays. On en connaît les termes et les conditions, et je ne les rappellerai donc pas, chacun les ayant en tête.

Une telle sollicitude pour les entreprises privées ne peut manquer d’étonner, et il me souvient que la majorité du Sénat, pour des raisons diverses, avait à l’époque rejeté sans appel la mesure.

Notre groupe y voyait un gaspillage de fonds publics et un nouveau cadeau fiscal aux entreprises, accordé sans véritable contrepartie ni contrôle public. L’expérience nous montre que ces tendances semblent malheureusement se confirmer. Nous préférerions d’autres solutions pour remédier aux difficultés des entreprises.

La tare originelle du CICE est d’être, encore une fois, une utilisation de fonds publics, dont on nous dit qu’ils sont rares et précieux, au bénéfice du profit et de l’allégement du coût du travail, comme on nous l’explique depuis quelques mois.

Certes, il s’agit non pas d’une banale exonération ou de quelque allégement de cotisations sociales, mais d’une ristourne sur le montant de l’impôt dû, calculée à partir des salaires dans la limite de deux fois et demie le SMIC.

Les éléments d’évaluation actuels du CICE sont pour le moins fragmentaires, et la seule chose dont nous soyons certains, c’est que plusieurs milliards d’euros ont été distribués aux entreprises sans qu’il soit possible de procéder à la moindre évaluation critique de cette allocation. C’est ce qui a amené les parlementaires de notre groupe et nos collègues de l’Assemblée nationale à interroger, dans nos régions respectives, les préfets sur ce sujet.

Comme nous l’avions pointé lors du débat sur le bilan de la mesure voilà quelques jours – notre collègue Marie-France Beaufils était intervenue sur ce sujet, au nom de notre groupe –, les entreprises ont fait plus valoir, pour le moment, leurs intentions d’embaucher et d’investir que la mise en œuvre effective de leurs propos.

Ainsi La Poste a-t-elle touché 200 millions d’euros au titre du CICE, alors qu’elle continue de réduire le nombre de ses bureaux de plein exercice dans les territoires, notamment ruraux.

Total a touché 80 millions d’euros au titre du CICE, mais cela n’a nullement empêché l’entreprise de supprimer des emplois en France et d’expatrier largement ses bénéfices pour échapper à l’imposition.

À la vérité, les doutes qui nous habitaient lors de la mise en place du dispositif sont malheureusement toujours présents et la mesure se révèle pour le moment aussi inefficace que coûteuse.

Les 10 milliards d’euros du CICE 2015, ce sont les 3,67 milliards pris dans la poche des élus locaux, plus quelques centaines de millions d’euros trouvés dans celle des veuves et des parents d’enfants majeurs, plus la hausse de la TVA, plus la réduction des dépenses…

C’est également, nous l’avons vu, une dépense fiscale sanctuarisée, placée en dehors de toutes les autres, et, par conséquent, susceptible d’augmenter encore dans les années à venir.

Le CICE va, dans de nombreux cas, devenir une créance pour les entreprises bénéficiaires vis-à-vis de l’État. Voilà qui ajoutera, soit dit en passant, à l’étrange sentiment d’une impunité au profit des chefs d’entreprise, dans un contexte de difficultés économiques et sociales.

N’en doutons pas, le CICE sera un outil d’optimisation fiscale de plus, permettant à certains de se libérer de leurs modestes obligations à payer l’impôt.

Dispositif coûteux, à la cible manifestement trop large pour être efficace, le CICE doit être supprimé, autant pour l’équilibre de nos comptes publics que pour le devenir même de nos entreprises.

Mme la présidente. L'amendement n° I-120 rectifié bis, présenté par Mmes Lienemann et Guillemot, est ainsi libellé :

Après l’article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le I de l’article 244 quater C du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Après le mot : « compétitivité », la fin de la première phrase est supprimée ;

2° Après la première phrase sont insérés neuf alinéas ainsi rédigés :

« Les dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt sont, dans la limite de 33 % pour les entreprises de moins de 2 000 salariés et 16 % au-delà, sous déduction pour chacune d’elle d’un montant forfaitaire de 1,5 % de la valeur ajoutée :

« a) Les dépenses d’innovation et de recherche et développement ;

« b) Les dépenses liées à la constitution et à la protection de brevets et de certificats ;

« c) Les dépenses liées aux 34 plans industriels prioritaires ainsi désignés par le comité de pilotage installé le 14 mars 2014 ;

« d) Les dépenses d’investissement engagées dans les pôles de compétitivité ;

« e) Les dépenses liées aux économies d’énergie et à la diminution de l’empreinte carbone des activités de l’entreprise ;

« f) Les dépenses de formation affectées au compte personnel de formation des salariés ;

« g) Les dépenses de prospection de nouveaux marchés à l’international et les dépenses liées à l’exportation ;

« h) Les dépenses en matière de modernisation des machines-outils. »

II. – Le I est applicable à compter du 1er novembre 2015 sur les impôts au titre de 2014.

III. – Un rapport du Parlement au Gouvernement définit les conditions d’une fusion en 2016 du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ainsi reconfiguré et du crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche dans un crédit d'impôt pour la compétitivité, l'emploi et la recherche.

IV. – L'intitulé du XXVIII de la section II du chapitre IV du titre premier de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi rédigé : « Crédit d’impôt pour la compétitivité, l’emploi et la recherche ».

V. - Les dispositions du I ne s'appliquent qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû.

VI. - La perte de recettes résultant pour l'État des I et V est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Cet amendement n'est pas soutenu.

L'amendement n° I-355, présenté par M. Delattre, Mme Des Esgaulx et M. Longuet, est ainsi libellé :

Après l’article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après la première phrase du I de l’article 244 quater C du code général des impôts, est insérée une phrase ainsi rédigée :

« Ne sont toutefois pas éligibles au crédit d’impôt mentionné au présent I les entreprises assujetties à la taxe sur les surfaces commerciales conformément à l’article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés, dont la surface commerciale excède les 4000 mètres carrés et qui sont liées contractuellement à un groupement de distributeurs dont le chiffre d'affaires annuel est supérieur à 100 millions d'euros. »

Cet amendement n'est pas soutenu.

L'amendement n° I-394, présenté par MM. Delahaye, Capo-Canellas, Jarlier, Marseille et Canevet, Mme Iriti, MM. Zocchetto, Kern et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :

Après l'article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après le II de l’article 244 quater C du code général des impôts, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :

« … – Un crédit d’impôt compétitivité des professions indépendantes et agricoles est institué pour les mêmes objets que ceux mentionnés au I. Le crédit d’impôt ne peut ni financer une hausse de la part des bénéfices distribués, ni augmenter les rémunérations des personnes exerçant leur activité professionnelle dans l’entreprise ou qui y sont associées. Ce crédit d’impôt est ouvert aux entreprises individuelles à responsabilité limitée mentionnées à l’article L. 526-6 du code de commerce et aux sociétés à responsabilité limités mentionnées aux articles L. 223-1 à L. 223-43 du même code et à toute autre forme de société dénuée de tout salarié.

« Le crédit d’impôt est assis, pour ces entreprises, sur la somme du montant annuel des revenus professionnels imposables à l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales obligatoires, transmises au régime social des indépendants, n’excédant pas 2 500 euros net mensuels. Pour être éligibles au crédit d’impôt, les rémunérations visées doivent être celles retenues pour la détermination du résultat imposable à l’impôt sur le revenu.

« Ce crédit d’impôt est également ouvert aux sociétés visées à l’article L. 324-1 du code rural et de la pêche maritime, que leur régime d’imposition soit réel ou forfaitaire. »

II. – Le I ne s’applique qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.

III. – La perte de recettes résultant pour l’État des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Il s’agit d’un amendement de repli.

La création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l’emploi, à la suite de la publication du rapport de Louis Gallois, a permis de faire sauter quelques tabous.

Cet amendement visant à introduire un article additionnel après l’article 8 prévoit d’étendre le champ du CICE, afin de le rendre plus efficace. Nous avons vu, en écoutant l’excellente intervention de notre collègue Éric Bocquet, que l’avantage du crédit d’impôt pour l’emploi et la compétitivité est réservé exclusivement aux grandes entreprises, avec un décalage d’agenda entre le bénéfice du crédit et les promesses non tenues de création d’emplois.

Il y a fort à parier que les petites et moyennes entreprises ainsi que les entreprises agricoles auront à cœur, si elle bénéficient du dispositif, de créer des emplois. Dans ce cadre, nous éviterons le décalage dans le temps entre la réalisation de ce qui coûte à notre budget et ce qui ne rapporte pas, à savoir les créations d’emplois virtuelles.

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° I-119 rectifié bis est présenté par Mme Lienemann, M. Vandierendonck et Mme Guillemot.

L'amendement n° I-189 est présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 8

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le V de l’article 244 quater C du code général des impôts, il est inséré un paragraphe ainsi rédigé :

« ... – Le non-respect des objectifs et conditions définis au présent article entraîne la restitution, par l’entreprise, de l’ensemble des sommes versées au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. »

L’amendement n° I-119 rectifié bis n'est pas soutenu.

La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° I-189.

M. Éric Bocquet. Sans vouloir faire preuve d’acharnement, force est de constater les nombreux défauts du CICE.

Il est compliqué à comprendre ; il n’est pas perçu tout de suite et peut constituer un frein à l’évolution des salaires dans une entreprise ; on peut avoir quelque peine à deviner l’usage qui est fait des sommes concernées. Et j’en passe !

Toutefois, le principal défaut du CICE, de notre point de vue, c’est que sa distribution n’est assortie d’aucune sorte de contrôle ni, le cas échéant, de sanction.

C’est une situation pour le moins déroutante quand on sait que le moindre comptable public est responsable sur ses propres deniers de la gestion des sommes qui lui sont confiées et que des sanctions peuvent être prises à son encontre, dès lors qu’il aurait commis quelques erreurs ou que sa conduite témoignerait de certains errements.

Nous aurions donc, avec le CICE, une somme de 10 milliards d’euros qui serait acquise, une fois pour toutes, par les entreprises concernées et dont nous n’aurions pas à vérifier l’usage.

Pour l’heure, à part la rédaction et la transmission d’un rapport du comité d’entreprise à l’assemblée générale ordinaire des actionnaires et au comité régional de suivi de la mesure, qui ne dispose officiellement d’aucun pouvoir de sanction, nous n’avons rien.

Il est donc temps, pour la bonne santé immédiate et future des comptes publics, que soit mis en place un dispositif de sanctions des entreprises ne respectant pas les attendus du CICE et n’utilisant ni la créance ni les disponibilités offertes par la mesure pour investir, embaucher et, de fait, repenser leur process de production.

Notre amendement prévoit par conséquent de compléter le droit existant, en créant une sanction sous forme de remboursement intégral des sommes ainsi distraites de la sphère publique et détournées de leur objet dans la sphère marchande…

Nous ne pouvons évidemment qu’inviter le Sénat, toujours soucieux d’un bon usage des deniers publics, à l’adopter.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette série d’amendements vise soit à supprimer carrément le CICE pour le transformer en un dispositif de baisse de charges, soit à en limiter la portée, soit à prévoir des conditions pour sa mise en œuvre.

L’amendement n° I-393 rectifié bis, présenté par Mme Goulet, prévoit un dispositif complet. Il s’agit de supprimer le CICE et de le remplacer par une baisse de charges, financée par une TVA compétitivité supérieure de cinq points à la TVA actuelle.

Pour ma part, j’ai voté un tel dispositif. Or l’une des premières mesures du Gouvernement a été, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012, de mettre fin à cette TVA compétitivité, associée à une baisse de charges.

M. le secrétaire d’État a reconnu, et je dois saluer son honnêteté intellectuelle, qu’il s’agissait, par cette mesure, de gagner une année budgétaire. C’est pour cela qu’on a inventé le CICE !

Dans la pratique, on peut évidemment nourrir un certain nombre d’interrogations sur l’efficacité du CICE.

La première critique à l’encontre du CICE est qu’il monte en puissance doucement – c’est normal, dans un système de crédit d’impôt –, à tel point qu’on a été obligé d’inventer un mécanisme de mobilisation des créances fiscales.

Je siégeais récemment, avec Mme la présidente de la commission des finances, au conseil d’orientation de la BPI. Je me suis interrogé sur la vocation d’une banque publique d’investissement, dont l’une des principales missions est en quelque sorte d’avancer aux entreprises le CICE, mais à un taux d’intérêt pour le moins relativement élevé. Bien évidemment, on aurait sans doute pu avoir, avec la TVA compétitivité et une baisse de charges importante, un dispositif beaucoup plus efficace, qui serait monté en puissance quasiment instantanément, alors que le CICE tarde à produire ses effets.

La deuxième critique – et au-delà de l’amendement du groupe UDI-UC, je partage ce qui a été dit sur un certain nombre de travées – concerne le ciblage de la mesure.

En lisant le rapport de M. Gallois – ce dernier a d’ailleurs été auditionné par la commission des finances –, j’avais compris que le problème était l’industrie en France, notamment la faiblesse des marges industrielles en comparaison de celles d’autres pays, en particulier de l’Allemagne. On nous avait expliqué, après le rapport Gallois, qu’il fallait baisser massivement le coût du travail ; ce rapport préconisait d’ailleurs une baisse des charges plutôt qu’un dispositif comme celui qui a été retenu par le Gouvernement. Mais, comme le reconnaissait M. le secrétaire d’État lors de la précédente séance, ce choix est essentiellement lié à une raison de coût pour l’État, puisque le coût budgétaire du CICE n’est pas immédiat.

J’en viens à la troisième critique : au-delà de la réponse qu’il apporte à la faiblesse de l’industrie, le CICE couvre sans distinction tous les secteurs employant de la main-d’œuvre. C’est bien normal puisqu’il porte sur la masse salariale. Parmi ces secteurs, si certains sont protégés de la concurrence internationale, d’autres ne le sont pas. Tel est notamment le cas de la grande distribution à propos de laquelle M. Delattre avait déposé un amendement qui n’a pas été soutenu. La grande distribution va bénéficier en effet du CICE au même titre que La Poste et que l’industrie. On peut donc effectivement se demander si la mesure est correctement ciblée, et je rejoins les interrogations qui ont été soulevées à ce propos sur les différentes travées.

Le CICE n’est donc pas exempt de critiques, et je viens d’en évoquer quelques-unes, notamment l’absence d’effet immédiat et l’absence de ciblage sur l’industrie. Mais il en est d’autres. Ainsi, la presse faisait ce matin état d’un certain nombre de fuites à propos d’un rapport franco-allemand qui préconise plutôt un gel des salaires en France et une diminution du coût du travail. Je ne suis pas sûr que le CICE n’induise pas des effets sur lesquels on peut s’interroger : le CICE provoquera-t-il une augmentation des salaires ou, au contraire, une diminution du coût du travail ?

Pour autant, faut-il aller jusqu’à la proposition du groupe UDI-UC qui, dans l’amendement n° I-393 rectifié bis, demande de supprimer purement et simplement le CICE, d’instaurer une TVA compétitivité augmentée de 5 points et de provoquer une baisse de charges ? C’est très tentant, même si ces 5 points de TVA, selon nos calculs, représenteraient non pas 50 milliards d’euros, comme c'est annoncé dans l’amendement, mais 32 milliards d’euros.

Mme Nathalie Goulet. Je peux sous-amender !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Bien sûr, mais globalement, cette augmentation de 5 points de la TVA, proposée par l’amendement à la fois sur le taux réduit et sur le taux normal, aurait un effet important en termes de recettes, de l’ordre d’une trentaine de milliards d’euros, avec des allégements de charges qui pourraient être amenés à compenser très largement les charges.

En l’occurrence, le problème tient à la période transitoire. Nous avons un CICE en cours de montée en puissance, et une TVA augmentée de 5 points serait mise en œuvre en même temps. Comment cela se combinerait-il ? La question de la période transitoire n’est absolument pas réglée par l’amendement.

La commission est extrêmement sensible à un dispositif qui produirait des effets massifs sur le coût du travail. J’ajoute que cela présenterait un intérêt en termes d’affichage : lorsque l’on regarde les comparatifs des coûts salariaux chargés entre la France et d’autres pays, afficher un dispositif de baisse de charges conférerait plus de compétitivité à la France. Le coût horaire avec charges sociales apparaîtrait clairement compétitif. En revanche, l’impact du CICE est plus difficile à appréhender.

La commission des finances a donc beaucoup de sympathie à l’égard de cet amendement.

Elle se pose cependant deux questions : d’une part, celle de la période intermédiaire ; d’autre part, celle de savoir si, aujourd’hui, ces 5 points de hausse de TVA seraient d’emblée supportables.

Quant à ce dernier point, j’ai tendance à croire que la période de faible inflation que nous connaissons – en espérant qu’il ne s’agisse pas de déflation – est peut-être le seul moment où l’on pourrait procéder à cette réforme. Une période de prix bas, voire, dans certains secteurs, de prix qui baissent, permettrait sans doute de l’absorber.

La commission a considéré qu’il fallait revoir l’amendement sur la compensation et, surtout, traiter la question, beaucoup plus complexe, de la transition entre un dispositif qui monte en puissance, même si c’est trop doucement – le CICE –, et un dispositif qui serait radicalement différent. Sa position est donc plutôt une demande de retrait de cet amendement n° I-393 rectifié bis.

Quant à l’amendement n° I-394, le dispositif proposé serait coûteux : il tend à créer un CICE pour les travailleurs indépendants, ce qui n’est pas du tout conforme à l’esprit du CICE, lequel porte sur la masse salariale. Si l’on considère que se pose un problème de compétitivité des travailleurs indépendants, il convient de baisser globalement leurs charges sociales ; mais, dès lors qu’ils n’ont pas de masse salariale, ce n’est pas au travers du CICE que cette question peut être résolue. C’est la raison pour laquelle la commission invite au retrait de ce texte.

L’amendement n° I-189, présenté par le groupe CRC, crée une conditionnalité sur le CICE. La commission, sans être extrêmement fanatique du CICE, a considéré que, puisque ce dispositif existe, il convient de le maintenir. Nous avons beaucoup plaidé dans cet hémicycle pour un peu de stabilité et de lisibilité. Le dispositif du CICE peine peut-être à donner tous ses effets, mais il existe maintenant. Si nous le modifions en permanence en créant de la conditionnalité – on ne sait d’ailleurs pas si l’administration est en mesure de vérifier –, cela ne rendra le dispositif ni plus efficace ni plus lisible. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement n° I-189.

L’amendement n° I-185 introduit également des conditions. Or, tout ce qui remet globalement en cause la visibilité et la stabilité fiscales d’un dispositif qui est à peine mis en œuvre n’est pas souhaitable, d’autant que cet amendement viendrait, de surcroît, alourdir la fiscalité d’environ 10 milliards d’euros. Supprimer purement et simplement le CICE sans rien inventer à la place serait une catastrophe pour la compétitivité de nos entreprises, notamment les entreprises industrielles qui étaient visées initialement par le rapport Gallois.

Au total, la commission a donc soit demandé le retrait, soit émis un avis défavorable sur les amendements déposés.

Le groupe auquel j’appartiens n’est pas particulièrement défenseur du CICE. Il s’est opposé, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative de l’été 2012, à la suppression de la TVA compétitivité, qui aurait été un dispositif sans doute plus visible et qui aurait provoqué une baisse du coût du travail. Néanmoins, en cette période où le CICE monte en puissance, même si c’est trop doucement, essayons de lui donner toutes ses chances. Quoi qu’il en soit, on ne peut supprimer un dispositif sans rien proposer d’autre ou sans savoir comment gérer la période intermédiaire. C’est la raison pour laquelle la commission a émis ces différents avis.