Sommaire

Présidence de Mme Isabelle Debré

Secrétaires :

MM. Jean-Pierre Leleux, Philippe Nachbar.

1. Procès-verbal

2. Loi de finances pour 2015. – Suite de la discussion d’un projet de loi

Seconde partie

Travail et emploi

Compte d’affectation spéciale : Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage

M. François Patriat, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Michel Forissier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales

M. Claude Kern

M. Jean Desessard

Mme Annie David

M. Stéphane Ravier

Mme Catherine Procaccia

Mme Patricia Schillinger

Mme Françoise Laborde

Mme Anne Emery-Dumas

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

État B

Amendement n° II-175 de M. Roger Karoutchi. – Adoption par scrutin public.

Amendement n° II-71 de la commission. – Adoption par scrutin public.

Amendement n° II-12 rectifié quater de M. Philippe Mouiller. – Retrait.

Amendements identiques nos II-87 rectifié de M. Jean-Pierre Godefroy et II-111 rectifié de M. Jean-François Husson. – Retrait des deux amendements.

Mmes Michèle André, présidente de la commission des finances ; la présidente.

Amendement n° II-119 de M. Jean Desessard. – Retrait.

Adoption, par scrutin public, des crédits modifiés de la mission « Travail et emploi ».

Article 62

Amendement n° II-118 de M. Jean Desessard. – Retrait.

Adoption de l'article.

Article 63 (nouveau). – Adoption

État D

Adoption des crédits du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage ».

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

Conseil et contrôle de l’État

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Michel Delebarre, rapporteur pour avis de la commission des lois

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Kaltenbach

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Adoption des crédits figurant à l’état B de la mission «Conseil et contrôle de l’État ».

3. Mise au point au sujet d’un vote

Mme Françoise Laborde, M. le président.

4. Dépôt d'un document

5. Décision du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

6. Loi de finances pour 2015. – Suite de la discussion d’un projet de loi

Immigration, asile et intégration

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances

Mme Esther Benbassa, rapporteur pour avis de la commission des lois

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois

M. Jean-Yves Leconte

Mme Éliane Assassi

M. Guillaume Arnell

M. Stéphane Ravier

M. Aymeri de Montesquiou

Mme Esther Benbassa

M. Christian Cambon

M. Antoine Karam

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

État B

Amendement n° II-164 de M. Stéphane Ravier. – Rejet.

Amendement n° II-160 de M. Roger Karoutchi. – Retrait.

Rejet, par scrutin public, des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

Outre-mer

Mme Teura Iriti, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

M. Didier Robert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois

M. Paul Vergès

M. Guillaume Arnell

M. Michel Magras

M. Michel Vergoz

M. Pierre Frogier

Mme Karine Claireaux

M. Abdourahamane Soilihi

M. Antoine Karam

M. Michel Fontaine

M. Maurice Antiste

M. Félix Desplan

M. Jacques Gillot

M. Jacques Cornano

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

État B

Amendement n° II-108 rectifié de M. Didier Robert, rapporteur pour avis. – Adoption par scrutin public.

Mme George Pau-Langevin, ministre

Adoption, par scrutin public, des crédits modifiés de la mission « Outre-mer ».

Article 57

M. Michel Vergoz

Adoption de l'article.

Article 57 bis (nouveau)

M. Vincent Dubois

M. Michel Magras

Adoption de l'article.

Mme George Pau-Langevin, ministre

Suspension et reprise de la séance

Sécurités

Compte d’affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Alain Gournac, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la gendarmerie nationale

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la gendarmerie nationale

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la sécurité

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la sécurité civile

Mme Éliane Assassi

Mme Françoise Laborde

M. Stéphane Ravier

Mme Nathalie Goulet

M. Christian Cambon

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Marc Laménie

M. Philippe Kaltenbach

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Adoption des crédits de la mission « Sécurités » figurant à l’état B.

Article 59 septies (nouveau). – Adoption

État D

Amendement n° II-74 de la commission. – Rejet.

Amendement n° II-73 de la commission. – Adoption.

Amendement n° II-72 de la commission. – Adoption.

Adoption des crédits modifiés du compte d’affectation spéciale «Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».

Article additionnel après l'article 64

Amendement n° II-75 de la commission. – Retrait.

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean-Pierre Leleux,

M. Philippe Nachbar.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Explications de vote sur l'ensemble de la première partie (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Deuxième partie

Loi de finances pour 2015

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Travail et emploi - Compte d'affectation spéciale : Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 107, rapport n° 108).

Nous en sommes parvenus aux dispositions de la seconde partie du projet de loi de finances.

SECONDE PARTIE

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Etat B

Mme la présidente. Nous allons maintenant entamer l’examen des différentes missions.

Travail et emploi

Compte d’affectation spéciale : Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Travail et emploi » (et articles 62 et 63) et du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage ».

La parole est à M. François Patriat, rapporteur spécial.

M. François Patriat, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Travail et emploi » rassemble l’ensemble des moyens budgétaires consacrés à la politique de l’emploi et à la lutte contre le chômage. C’est donc une mission importante, comme en témoignent les montants élevés qui lui sont dédiés. Elle est aussi le reflet de la solidarité de la nation envers les différentes catégories de la population, notamment envers les plus fragiles d’entre elles.

La mission « Travail et emploi » est dotée, pour 2015, de près de 12 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 11,4 milliards d’euros en crédits de paiement. Ses crédits sont donc stables par rapport à 2014. Ils ont été majorés de 428 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 123 millions d’euros en crédits de paiement à l’issue des votes de l’Assemblée nationale. Ce budget préservé traduit l’engagement réaffirmé et volontaire du Gouvernement en matière de lutte contre le chômage, dans le contexte économique et social difficile que nous connaissons tous.

Persistance du chômage, de l’exclusion, de la pauvreté : nul ne peut se satisfaire de cette situation, mais la regretter ne serait ni suffisant ni responsable. C’est pourquoi le Gouvernement a fait le choix de l’action et de l’engagement, ce dont je me félicite.

Le budget de la présente mission est donc avant tout un budget de soutien : soutien à l’emploi, soutien à la reprise économique, soutien aussi aux réformes engagées par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Près de 80 % des crédits de cette mission seront ainsi consacrés à des dépenses d’intervention, portées notamment par les programmes 102 « Accès et retour à l’emploi » et 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi ».

Le programme 102 sera doté, en 2015, de 7,5 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de plus de 3,5 % par rapport à 2014.

La subvention de l’État en faveur du fonds de solidarité s’élèvera à 1,7 milliard d’euros en 2015. Par ailleurs, les moyens du service public de l’emploi seront consolidés. Une subvention de 1,52 milliard d’euros sera versée à Pôle emploi, soit un niveau de dotation identique à celui de 2014. Ces crédits permettront de prendre en charge la dépense liée à l’augmentation des moyens humains de cet opérateur depuis 2012.

Le budget de la présente mission traduit aussi la priorité accordée aux jeunes. Alors que leur taux de chômage s’élève à près de 23 %, les jeunes sont les premières victimes de la crise économique. Le Gouvernement a donc fait le choix d’augmenter les moyens en faveur de l’emploi des jeunes.

Cet engagement se traduira tout d’abord par le recrutement de 65 000 emplois jeunes supplémentaires en 2015. Ces entrées concerneront notamment le secteur marchand. Cet engagement se traduira aussi par la montée en charge de la « garantie jeunes », qui sera dotée de 148 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 133 millions d’euros en crédits de paiement en 2015, soit une augmentation de 118 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 103 millions d’euros en crédits de paiement par rapport à 2014. Au total, plus de 400 000 contrats aidés supplémentaires seront créés en 2015, pour une dépense s’élevant à plus de 3 milliards d’euros.

En outre, l’article 62 rattaché à la présente mission prévoit que 58 millions d’euros seront prélevés sur les réserves de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’AGEFIPH, et du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, qui permettront de financer 20 000 de ces contrats pour des personnes handicapées.

Des amendements ont été déposés afin de diminuer le nombre d’emplois aidés. C’est une décision que je respecte, mais qui me semble correspondre bien plus à une logique comptable qu’à un véritable choix en matière de politique de l’emploi. En ce qui me concerne, je préfère offrir aux jeunes la possibilité de s’en sortir plutôt que de les laisser s’enfermer dans l’exclusion.

Les contrats aidés ne sont certainement pas parfaits, tant s’en faut, mais ils ont le mérite de donner une chance à ceux qui veulent s’insérer. D’ailleurs – faut-il le rappeler ? –, tous les gouvernements, quelle que soit la majorité dont ils étaient issus, ont eu recours à ce type de contrat en période de crise.

Ce budget prépare en outre l’avenir. Ainsi, les crédits consacrés à l’accompagnement des mutations économiques et au développement de l’emploi s’établiront à 5,5 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 5 milliards d’euros en crédits de paiement, dont 1,3 milliard d’euros sera consacré au développement de l’alternance.

Dans le domaine de l’apprentissage – ce sujet nous intéresse tous ici –, l’architecture du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage » sera complètement rénovée en 2015 afin de tirer les conséquences de la réforme des aides et du financement de l’apprentissage engagée en 2013.

L’article 63 rattaché à la présente mission crée une aide incitative au recrutement d’un apprenti. D’un montant de 1 000 euros, cette aide sera versée par les régions aux entreprises de moins de 250 salariés, sous conditions. Je me suis félicité, vous le savez, tout comme vous, mes chers collègues, de cette décision prise par le Président de la République et par le Gouvernement. Pour les entreprises de moins de onze salariés, le montant de cette aide s’élèvera désormais à 2 000 euros, ce qui répond à une demande formulée à plusieurs reprises dans le contexte de baisse de l’apprentissage que nous avons connu au cours de ces deux dernières années.

Après une réforme majeure de l’apprentissage, il convient cependant désormais de stabiliser les dispositifs existants. C’est ce que nous demandent les entreprises. Mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2015 crée donc les conditions de l’amélioration de la situation de l’emploi que tous, sur nos travées, nous appelons de nos vœux.

Certes, les crédits de l’emploi ne permettront pas d’inverser la courbe du chômage dans notre pays ; mais si le Gouvernement n’avait pas fait l’effort méritoire que nous devons saluer aujourd'hui, il est certain que le système présenterait bien des failles. Dans ce budget, le Gouvernement témoigne de la priorité qu’il accorde à l’emploi.

Aussi, vous l’aurez compris, malgré l’avis de la commission des finances, je voterai l’adoption des crédits de la mission « Travail et emploi », du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage », ainsi que les articles 62 et 63 sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, dans le contexte économique et social actuel, le budget de la mission « Travail et emploi » n’est pas anodin. Il représente, pour de nombreux Français, un appui, voire une nécessité. C’est un budget de soutien face à des situations humaines souvent difficiles telles que le chômage ou l’exclusion.

Je décernerai donc un satisfecit à ce projet de budget, car il apporte à mon avis des réponses nécessaires à la situation de l’emploi dans un contexte budgétaire contraint.

Le projet de loi de finances est d’abord un budget de sortie de crise, un budget d’appui à la politique volontariste du Gouvernement en faveur de l’emploi.

Les crédits de la mission « Travail et emploi » sont en effet stabilisés en autorisations d’engagement, après une forte hausse entre 2012 et 2014 de près de 12,5 %, et en augmentation pour ce qui concerne les crédits de paiement.

Ce haut niveau de dépenses – près de 11 milliards d’euros en crédits de paiement – vise à soutenir l’emploi des personnes les plus fragiles, à savoir les jeunes, les personnes handicapées et les personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion. Il traduit dans les faits la priorité accordée par le Gouvernement à la politique de l’emploi.

Dans un contexte de persistance du chômage – il touchait plus de 10 % de la population active au second semestre 2014, soit près de 3,5 millions de personnes –, il était absolument nécessaire que l’intervention de l’État soit maintenue à un niveau constant.

Ce budget responsable est aussi exigeant. Il participe à l’effort de maîtrise des dépenses publiques et accompagne des réformes importantes, notamment dans le champ du dialogue social.

Ainsi, les crédits du programme 111, « Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations de travail », s’élèveront en 2015 à 133,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et à près de 82 millions d’euros en crédits de paiement. Ce sont ainsi 13 millions d’euros en autorisations d’engagement et 9 millions d’euros en crédits de paiement qui seront consacrés à la mise en œuvre du deuxième cycle de la mesure de l’audience des organisations syndicales. Je dois avouer que j’ai découvert cette action, que je ne connaissais pas, comme certainement nombre des membres de la commission des finances ! Cette action s’appuiera sur l’agrégat des résultats aux élections professionnelles, du scrutin organisé pour les salariés des très petites entreprises et les emplois à domicile et des élections aux chambres d’agriculture.

Ces crédits permettront aussi le financement du lancement de la mesure de l’audience des organisations patronales instaurée par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Ces dispositifs permettront de mieux évaluer la représentativité des organisations syndicales et patronales et, par conséquent, de renforcer encore leur légitimité.

L’année 2015 sera en outre marquée par la mise en œuvre de la réforme du financement des organisations syndicales et patronales. Cette réforme était en effet indispensable pour améliorer la transparence du financement des partenaires sociaux. Nous ne pouvons que nous féliciter de sa mise en œuvre.

L’article 31 de la loi du 5 mars 2014 crée ainsi un fonds destiné au financement des organisations syndicales et patronales, abondé par une contribution des entreprises complétée par une subvention de l’État.

Ce fonds, qui sera mis en place au 1er janvier 2015, sera doté, pour 2015, de 82 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 34 millions d’euros en crédits de paiement.

Ces crédits permettront de prendre en charge la formation des salariés appelés à exercer des responsabilités syndicales ainsi que la participation des partenaires sociaux à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des politiques publiques du travail et de l’emploi.

Par ailleurs, les crédits demandés au titre du programme 111 pour l’année 2015 prennent en compte la prolongation des mandats des conseillers prud’hommes jusqu’en 2017, dont le principe a été voté par le Sénat le 14 octobre 2014 afin de permettre la réforme de leur mode de désignation.

Je vous rappelle que cette réforme, qui substituera à une élection générale un dispositif de désignation fondé sur l’audience – on y revient – des organisations syndicales et patronales, permettra une économie structurelle importante, de l’ordre de 100 millions d’euros en cinq ans. En effet, le coût de l’organisation des élections est évalué à quelque 105 millions d’euros, contre environ 5 millions d’euros pour le futur mode de désignation, soit une différence de 100 millions d’euros.

Cette réforme permettra en outre de renforcer la légitimité des conseillers prud’hommes, puisqu’elle s’appuiera désormais sur un collège d’électeurs rassemblant plus de 5,4 millions de personnes, contre 4,8 millions de votants lors des dernières élections de 2008.

Le deuxième programme examiné dans mon rapport, le programme 155 « Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail », est, je le rappelle, le programme support de la mission « Travail et emploi ». Il sera doté, pour 2015, de plus de 765 millions d’euros en autorisations d’engagement et de près de 772 millions d’euros en crédits de paiement.

La diminution des crédits de ce programme, à hauteur de 10,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 14,5 millions d’euros en crédits de paiement, traduit l’effort du ministère en matière de réduction des dépenses publiques. Ses effectifs seront ainsi diminués de 150 postes en 2015. Depuis 2010, 930 postes ont été supprimés, soit une baisse de 9 % en cinq ans. C’est un effort important qu’il convient de souligner. Les dépenses de personnel s’élèveront donc, en 2015, à 628,5 millions d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, soit une baisse de 1,73 %.

Le schéma du programme 155 sera en outre profondément rénové en 2015. Il comptera ainsi douze actions, contre seulement six auparavant. Plus cohérente, cette nouvelle architecture permettra de mieux identifier les dépenses en fonction de leur nature.

Mes chers collègues, le budget de la mission « Travail et emploi » opère donc des choix, parfois difficiles mais assumés. Les objectifs sont clairs : réduire le chômage des jeunes, consolider les moyens du service public de l’emploi et accompagner des réformes importantes.

C’est pourquoi, à titre personnel, je voterai sans modification les crédits de cette mission du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage » ainsi que les articles 62 et 63 rattachés.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Michel Forissier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de paiement de la mission « Travail et emploi » s’élèvent à 11,1 milliards d’euros selon le projet de loi de finances pour 2015, soit une baisse de 3 % environ par rapport à la loi de finances initiale pour 2014, retraitée au format 2015.

Cette diminution est pour le moins surprenante dans un contexte de hausse sensible et continue du chômage. Surtout, je déplore la volonté du Gouvernement de maintenir coûte que coûte les dispositifs existants et les priorités fixées depuis 2012. Deux exemples sont particulièrement révélateurs à cet égard.

Le premier est la propension de la majorité actuelle à donner la priorité aux contrats aidés dans le secteur non marchand plutôt que dans le secteur marchand. Le Gouvernement avait certes essayé de corriger le tir dans le projet de loi de finances initiale, mais un amendement adopté à l’Assemblée nationale, sur l’initiative de M. Le Roux, est venu remettre en cause ce début de rééquilibrage en faveur des contrats aidés dans le secteur marchand.

C’est pourquoi je ne peux qu’approuver l’amendement n° II-71 déposé par M. le rapporteur général et adopté jeudi en commission des finances, soit le lendemain de la réunion de la commission des affaires sociales, qui tend à supprimer la disposition proposée par M. Le Roux.

Le second exemple est l’échec relatif du contrat de génération, dont la complexité des règles d’attribution de l’aide financière a rebuté les employeurs. Entre mars 2013 et le 31 mai 2014, seules 21 370 demandes d’aide ont été acceptées. Force est donc de constater que les objectifs initiaux du Gouvernement d’accorder 100 000 aides financières par an sont pour l’heure hors d’atteinte.

Pis, le Gouvernement a derechef revu à la baisse ses prévisions pour 2014, réduisant de 33 305 à 20 000 les aides financières. Le contrat de génération est-il condamné à péricliter, ou bien le Gouvernement souhaite-t-il demander aux partenaires sociaux d’assouplir les règles d’attribution de l’aide ?

Le deuxième motif d’insatisfaction concerne les nombreuses zones d’ombre du budget.

Par le décret du 13 octobre 2014, l’État s’est engagé à prendre en charge le différé des indemnisations pour les intermittents du spectacle institué par la nouvelle convention assurance chômage. L’UNEDIC estime que ce différé représente 70 millions d’euros en 2015, mais aucun crédit n’est prévu à cet effet dans le budget.

Par ailleurs, l’article 62 du projet de loi de finances pour 2015 impose à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’AGEFIPH, et au Fonds d’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, une contribution annuelle de 29 millions d’euros pendant trois ans pour financer des contrats aidés.

Mais le Gouvernement n’a pas été en mesure de garantir le fléchage de ces fonds vers le financement des contrats à destination exclusive des personnes handicapées. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous apporterez aujourd’hui des assurances sur l’utilisation de ces contributions.

Enfin, je regrette les hésitations du Gouvernement en matière d’apprentissage, car elles contribuent, selon moi, aux graves difficultés que traverse actuellement cette formation en alternance.

La prime de 1 000 euros, instituée par l’article 63 du projet de loi de finances pour 2015, vise à encourager les entreprises de moins de 250 salariés à recruter des apprentis, mais les règles retenues sont trop complexes et sa portée est très limitée. Surtout, sa création intervient un an à peine après la réforme très contestée des indemnités compensatrices forfaitaires.

Le compte d’affectation spéciale, profondément remanié, ne peut pas, à lui seul, pallier l’absence de pilotage au niveau national de l’apprentissage. Un consensus existe sur la nécessité d’imaginer de nouvelles relations entre les régions et l’État, en particulier le ministère de l’éducation nationale, pour faire de l’apprentissage une filière d’excellence, pleinement reconnue et capable de lutter massivement contre le chômage qui frappe les plus jeunes de nos concitoyens.

C’est pourquoi la commission des affaires sociales a émis un avis défavorable à l’adoption tant des articles 62 et 63 rattachés que du compte d’affectation spéciale relatif à l’apprentissage. Elle avait également donné un avis défavorable à l’adoption en l’état des crédits de la mission « Travail et emploi » ; mais dès lors que la commission des finances propose d’en modifier l’équilibre, je voterai à titre personnel les crédits de cette mission, sous réserve de l’adoption de l’amendement précité du rapporteur général. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Le Gouvernement, quant à lui, dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il est une politique qui se juge à ses résultats, c’est bien celle du travail est de l’emploi.

Alors, ces résultats, quels sont-ils ?

Le ministre du travail a eu l’honnêteté de tordre le cou au mythe de l’inversion de la courbe du chômage. Nos rapporteurs l’ont rappelé : fin septembre 2014, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A dépassait 3,4 millions. En 2015, selon le Bureau international du travail, les chômeurs représenteront plus de 10 % de la population active française. En outre, la progression annuelle du chômage est de 4,3 %.

Or, dans le même temps, les crédits de la mission « Travail et emploi » ne progressent pas de 4,3 %, tant s’en faut, puisqu’ils diminuent globalement de 3 % ! C’est un drôle de signal que vous adressez là à nos concitoyens, monsieur le ministre !

Mon intervention se concentrera sur le programme 102 « Accès et retour à l’emploi », premier programme de la mission « Travail et empli », qui représente plus de 70 % de ses crédits. Malheureusement, l’analyse de ce programme révèle une politique de l’emploi sans cap ni cohérence.

Après l’échec des certitudes et des recettes du début du quinquennat, le Gouvernement ne semble plus savoir à quel saint se vouer. Les résultats, ce sont de mauvais choix mollement confirmés et de bonnes directions à peine esquissées. C’est un peu comme le tango, deux pas en avant, un pas en arrière !

La situation est particulièrement caricaturale en matière de contrats aidés. Dans le secteur non marchand, ces contrats ne sont pas ou peu générateurs d’emplois durables. La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, ou DARES, l’a encore confirmé récemment. Pourtant, nous n’avions cessé de le répéter lors de la création des emplois d’avenir.

Or qu’observe-t-on sur les contrats aidés dans la mission « Travail et emploi » pour 2015 ? Certes, les contrats aidés réservés à l’emploi non marchand sont en reflux, puisque l’enveloppe initialement prévue reposait sur une projection de 270 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CAE, contre 350 00 en 2014 et 432 000 en 2013 ; par ailleurs, les contrats aidés réservés au secteur marchand sont en nette augmentation, puisque l’on passe de 50 000 nouveaux contrats initiative emploi, les CIE, en 2013 et en 2014 à 80 000 en 2015. Pour autant, ces derniers demeurent très minoritaires par rapport aux premiers, alors même que le taux d’insertion dans l’emploi à l’issue d’un CIE est le double de celui que l’on observe à l’issue d’un CAE.

De surcroît, l’Assemblée nationale a freiné la tendance vertueuse au recentrement du dispositif sur le secteur marchand en créant 45 000 nouveaux contrats aidés pour le secteur non marchand. Vous comprendrez donc que nous soutiendrons l’amendement visant à revenir sur cette mesure.

L’absence de cap de la politique de l’emploi se traduit très logiquement par l’émiettement de ses structures.

Entre Pôle emploi, les permanences d’accueil, d’information et d’orientation, les missions locales pilotées par l’État, les plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi et les maisons de l’emploi, plus personne ne s’y retrouve, les publics concernés encore moins que les autres !

À titre d’exemple, les jeunes demandeurs d’emploi de mon territoire doivent se rendre dans la banlieue strasbourgeoise pour aller à Pôle emploi, ce qui représente un déplacement de vingt kilomètres vers le sud, et, dans l’autre sens, à Haguenau, à huit kilomètres, pour la mission locale. Pourtant, il y a un Pôle emploi à Haguenau, mais ils n’y ont pas accès !

Il faut coordonner et décentraliser, en un mot régionaliser, pour se rapprocher des bassins d’emploi. Nous tâcherons d’orienter en ce sens le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou projet « NOTRe ». La région doit se voir confier la responsabilité des politiques de parcours vers l’emploi, ce qui suppose qu’elle pilote, en associant les partenaires sociaux, les opérateurs de service public de l’emploi – en particulier Pôle emploi qui, malgré ses efforts, ne peut mener à bien, en l’absence d’une telle réforme, sa mission de manière satisfaisante.

Dans cette régionalisation de nos politiques de l’emploi, j’inclus les maisons de l’emploi, dont le traitement par le présent projet de loi de finances est très inquiétant. Ce dernier pourrait en effet parachever leur asphyxie programmée, alors qu’elles ont fait la preuve de leur utilité. En effet, depuis leur création par le plan de cohésion sociale, en 2005, les maisons de l’emploi n’ont cessé de voir leurs crédits restreints. En 2012, ils ont été réduits de 20 % d’un coup. De nombreuses maisons de l’emploi ont dû licencier – un comble ! – et une quinzaine ont fermé.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Vous vous plaignez qu’il y ait trop de structures, donc pourquoi maintenir celles-là ?

M. Claude Kern. Les maisons de l’emploi sont sous-financées. Elles réclamaient déjà 15 millions d’euros l’année dernière. Aujourd’hui, on nous explique que leurs crédits sont sanctuarisés à hauteur de 26 millions d’euros. En réalité, c’est la sous-dotation qui est sanctuarisée.

Plus grave encore, les financements complémentaires des maisons de l’emploi sont menacés. En 2014, ces maisons ont reçu 4 millions d'euros dans le cadre des contrats de projets État-région. Cela sera-t-il également le cas en 2015 ? Il semblerait que non. Les maisons de l’emploi ont surtout survécu grâce à une rallonge de 10 millions d’euros au titre d’appels à projets de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou GPEC, territoriale. Ces 10 millions d'euros ne sont pas reconduits. Si l’État ne veut plus soutenir ces structures, il doit le dire. En attendant, nous sommes favorables aux amendements visant à augmenter les crédits des maisons de l’emploi.

La nécessaire régionalisation des politiques de l’emploi va de pair avec celle de la formation professionnelle. Voilà qui me permet, pour conclure, d’élargir mon propos. Les crédits de la mission « Travail et emploi » ne sont absolument pas représentatifs de l’effort de la nation contre le chômage. À côté de ces 11 milliards d’euros, la politique de l’emploi, ce sont les 20 milliards d’euros de dépenses fiscales, crédit d’impôt compétitivité emploi, ou CICE, compris, les 36 milliards d’euros d’allégements de charges et les 32 milliards d’euros de la formation professionnelle. C’est aussi, encore plus fondamentalement, toute la politique économique de la nation. Il n’y a pas de meilleure politique de l’emploi qu’une politique de la croissance.

Au regard de ces grandes masses, la mission « Travail et emploi » est un paquet de rustines. C’est bien sûr à ce niveau fondamental que le bât blesse vraiment. Une politique de l’emploi plus efficace ajusterait le marché du travail du côté tant de l’offre que de la demande. Du côté de l’offre, cela passe par l’assouplissement du droit du travail, engagé avec les accords de sécurisation de l’emploi, que nous avons soutenus, mais aussi par un choc de compétitivité, que nous ne voyons, quant à lui, pas venir. Si le Gouvernement a certes bien accentué les allégements de charges, nous sommes encore loin du compte, puisque c’est la totalité du financement des branches santé et famille qu’il faudrait parvenir à fiscaliser.

Du côté des demandeurs d’emploi, la réforme clef est bien entendu celle de la formation professionnelle, et plus particulièrement de l’apprentissage, cher au groupe UDI-UC, qu’il faut relancer et développer. Nous ne pouvons que déplorer le rendez-vous manqué de la loi du 5 mars dernier, qui n’a pas permis de réorienter les moyens de la formation professionnelle vers les chômeurs et les travailleurs peu qualifiés.

En attendant qu’une telle politique soit mise en œuvre, le groupe UDI-UC votera les crédits de la mission « Travail et emploi » sous réserve de l’adoption des amendements visant à corriger les crédits des contrats aidés et des maisons de l’emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, cela a été dit, le budget alloué à la mission « Travail et emploi » reste globalement stable par rapport à la loi de finances pour 2014, avec une baisse de seulement 3 %. Il s’établit ainsi à 11,2 milliards d’euros.

Nous pourrions passer de longs moments à commenter la légitimité de ce montant, que ce soit en souhaitant que plus de moyens soient alloués à la mission afin de faire face à la montée du nombre de chômeurs, ou en donnant la priorité à la réduction des déficits. En ce qui me concerne, je centrerai mon propos sur la politique de l’emploi menée actuellement.

Pôle emploi est un acteur incontournable. Chargée de l’indemnisation des chômeurs, mais aussi du retour de ces derniers dans l’emploi, cette institution doit être un levier important des politiques publiques conduites en la matière. Or, depuis quelques mois, la parole gouvernementale au sujet de Pôle emploi est focalisée sur un seul axe : le contrôle accru des chômeurs.

Monsieur le ministre, vous ne verrez pas de haine à la commissure de mes lèvres,…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Heureusement !

M. Jean Desessard. … car je vous connais bien, mais vous verrez de la déception dans les pupilles de mes yeux ! (Sourires. –Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.) Oui, votre communication m’a déçu. Le 2 septembre, vous avez déclaré que vous alliez demander à Pôle emploi de « renforcer les contrôles pour être sûr que les gens cherchent bien un emploi ». Cette mission nécessite, selon vous, un « état d’esprit différent, des convocations et des vérifications [...]. Sinon on est radié. » Pour justifier ce renforcement des contrôles, vous dressez le constat que, en France, 350 000 emplois ne trouvent pas preneur.

D’où ma double déception, monsieur le ministre. Il se trouve que, en prévision du débat que nous avons eu dans cet hémicycle le 12 juin dernier, j’avais mené des auditions avec des représentants des syndicats, des organisations patronales, des mouvements de chômeurs et de Pôle emploi. Il était ressorti de ces auditions que les causes des difficultés à pourvoir certains emplois étaient multiples : le contexte économique, qui peut empêcher une entreprise de mener à terme un processus de recrutement, l’image du poste ou de la filière, qui peut rebuter les candidats, les conditions de travail, le salaire ou encore des compétences qui ne correspondent pas au poste.

Monsieur le ministre, au cours du débat, je vous avais parlé des maçons. On entend partout que l’on ne peut trouver de maçon. Or, en me rendant sur le site de Pôle emploi, j’avais constaté qu’il y avait énormément de demandes d’emploi de maçon un peu partout en France. Je vous avais même indiqué le chiffre dans votre département. J’espère que vous avez résolu le problème.

M. Roger Karoutchi. Il a acheté une truelle ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Étaient-ce des annonces dépassées ? Le problème est-il résolu ? Peut-être considérez-vous que, les départements n’ayant plus les moyens d’investir, ce n’est pas la peine de recruter des maçons, car ils ne seront pas utilisés… Avez-vous avancé, monsieur le ministre ?

Mme Catherine Procaccia. On va tous se former à la maçonnerie !

M. Jean Desessard. Normalement, un débat doit permettre d’engager une politique.

Je vous ai dit à l’époque qu’il nous manquait un tableau de bord, un GPS, pour identifier précisément la contribution de chacune des causes au total des emplois non pourvus et ainsi déterminer les besoins de formation. Nous en étions incapables. J’ignore si nous en sommes davantage capables aujourd'hui. Vous consacrerez certainement quelques secondes de votre intervention de vingt minutes à ce sujet...

Il est faux de dire qu’un renforcement des contrôles au sein de Pôle emploi permettra de pourvoir les postes plus efficacement. Cette vision que vous avez introduite – vous le regrettez peut-être – a pour seuls effets de stigmatiser encore plus les chômeurs en renforçant le mythe de l’assistanat, de compliquer leur recherche d’emploi en multipliant les procédures et de les fragiliser encore plus en faisant planer la menace d’une radiation. Qui peut croire que le problème du chômage sera résolu par la seule volonté du chômeur de retrouver un emploi, comme si ce problème ne dépendait pas de facteurs économiques ?

Qui sont réellement les chômeurs visés par les procédures de radiation ? De juin 2013 à octobre 2014, une expérimentation sur le contrôle des chômeurs a été menée au sein de Pôle emploi. Au-delà des pourcentages bruts de radiation, qui ont été largement repris dans la presse et ne veulent pas dire grand-chose, il convient de se pencher sur la situation des chômeurs radiés. On s’aperçoit que 63 % des sanctions concernent des demandeurs d’emploi ayant une ancienneté d’inscription à Pôle emploi de plus de un an. On s’aperçoit aussi que 55 % des personnes radiées sont en fin de droits et ne touchent donc plus d’indemnités. Ces chiffres sont symptomatiques d’une véritable détresse, d’un découragement contre lequel on ne peut pas lutter avec des contrôles renforcés.

De l’autre côté du marché de l’emploi, les entreprises, qui ont reçu près de 20 milliards d’euros grâce au CICE, n’ont, quant à elles, aucune obligation de recrutement, et aucun contrôle n’est effectué en brandissant la menace d’une suppression des aides. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur le CICE ; je me contente donc de souligner que, à nos yeux, une véritable politique créatrice d’emplois implique la conditionnalité de chaque euro d’argent public versé aux entreprises. Les aides, ciblées, doivent servir uniquement à créer des emplois stables, en contrat de travail à durée indéterminée, ou CDI, et si possible dans des secteurs d’avenir.

Vous n’avez pas repris le principe de la conditionnalité des aides, monsieur le ministre. Nous avons du mal à comprendre quelles sont vos priorités. C'est pourquoi nous nous abstiendrons lors du vote sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon les prévisions de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, publiées cette semaine, le taux de chômage en France devrait passer à 10,1 % fin 2015, avant une légère baisse à 10 % fin 2016.

Bien évidemment, personne ne se satisfait de ces prévisions. Néanmoins, le chiffre record de 3,43 millions de demandeurs d’emploi en 2014 est le résultat de l’échec des politiques menées par les gouvernements successifs. Pourtant, les crédits de la mission « Travail et emploi » diminueront de 13,8 % entre 2014 et 2017, ce qui représente 1,5 milliard d’euros de moins en quatre ans, alors que ce budget aurait dû être à la hauteur des enjeux pour les millions de femmes et d’hommes en situation précaire et privés d’emplois.

Les crédits en faveur de l’accès et du retour à l’emploi sont en baisse. Le Gouvernement anticiperait d’éventuels effets positifs sur l’emploi du pacte de responsabilité et du CICE. Il va sans dire que le groupe CRC aurait préféré que le Gouvernement attende que l’impact de ces dispositifs sur l’emploi soit effectif et avéré pour réduire la dotation de certaines mesures de retour à l’emploi.

Si nous savons que vous partagez notre souci de lutter contre le chômage, monsieur le ministre, nous pensons que le pacte de responsabilité et le CICE, que vous avez mis en place, ne sont pas les bonnes solutions. En effet, ces mesures sont coûteuses et n’ont jamais prouvé leur efficacité pour créer de l’emploi. Bien au contraire : dans son rapport sur la réalité de l’impact sur l’emploi des exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises, Michelle Demessine dénonce la course sans fin à la baisse des salaires et le manque de développement des entreprises, de l’emploi et des qualifications.

Il paraît également nécessaire de conditionner les aides perçues par les entreprises à une véritable création d’emplois. Nous regrettons fortement de ne disposer d’aucun chiffre à ce sujet. Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC se sont adressés au préfet de leur département pour obtenir des informations, mais ils ont reçu une fin de non-recevoir. Monsieur le ministre, cela n’est pas acceptable : la représentation nationale est en droit de disposer de ces informations.

Porter une politique d’emploi ambitieuse, c’est tout d’abord se préoccuper des jeunes. Ils sont notre avenir, et nous avons le devoir de leur offrir des perspectives et de leur permettre de s’insérer durablement sur le marché du travail. Or les dispositifs temporaires et précaires que vous souhaitez pérenniser ne constituent pas la réponse à ces impératifs. Actuellement, seuls 10 % des emplois d’avenir débouchent sur un CDI, les 90 % restants débouchant sur un contrat de travail à durée déterminée, ou CDD. Les dispositifs précaires que sont les contrats de génération, les emplois d’avenir et la « garantie jeunes » ne permettent pas l’insertion professionnelle durable des jeunes, qui est pourtant la seule réponse ambitieuse à nos yeux.

Porter une politique d’emploi ambitieuse, c’est aussi anticiper et accompagner les conséquences des mutations économiques et le développement de l’emploi. Or les crédits consacrés à ces enjeux ont diminué de 22,5 % par rapport à 2014. Vous expliquez cette baisse par le transfert de la politique de formation professionnelle aux régions, mais aussi par les mauvais résultats du contrat de génération : alors que vous tabliez sur 100 000 aides au titre de ce contrat, il y en aura seulement 46 800, soit environ la moitié.

De même, les crédits alloués à la GPEC sont en forte baisse. Or les évolutions du marché du travail et les tensions qu’elles génèrent nécessitent d’être anticipées afin que les salariés puissent être formés. Les dispositifs de GPEC et d’engagement de développement de l’emploi et des compétences, ou EDEC, sont donc indispensables, notamment pour les seniors, et doivent être renforcés. Une politique ambitieuse aurait fait le choix de maintenir ces crédits et de les transférer à ces missions, plutôt que de les supprimer.

D’autres mesures de votre budget, monsieur le ministre, ne vont pas dans le sens d’une véritable ambition pour l’emploi.

Je pense notamment aux maisons de l’emploi et de la formation, qui doivent bénéficier de moyens à la hauteur des enjeux pour mener à bien leurs missions. Or elles subissent une réduction drastique de leurs crédits depuis la loi de finances pour 2014.

Ces structures sont pourtant au cœur des dispositifs territoriaux et disposent d’une expertise importante en matière d’emploi et de formation. Il importe de pérenniser leurs financements pour leur permettre de travailler sur le long terme. Nous y reviendrons dans le débat avec les amendements déposés, notamment celui de notre collègue Jean-Pierre Godefroy.

Je pense encore aux services de Pôle emploi et des missions locales, qui doivent fonctionner à budget constant alors que de nouvelles responsabilités leur sont constamment confiées. Ainsi, comme en 2014, les missions locales doivent non seulement ouvrir 50 000 nouveaux contrats, mais elles ont également un stock de plus de 150 000 contrats à gérer. Il en est de même pour Pôle emploi, qui, après des baisses d’effectif continues, doit dorénavant renforcer le contrôle des chômeurs, mesure que nous contestons par ailleurs, mais qui figure bien dans ses nouvelles attributions.

Par ailleurs, monsieur le ministre, comme M. le rapporteur pour avis l’a rappelé, ce budget est la consécration de la suppression des élections prud’homales, puisqu’il affiche 100 millions d’euros sur cinq ans en moins comme résultat de cette suppression. Nous sommes ici même intervenus avec force pour refuser cette suppression et nous constatons que ce recul démocratique permet surtout de réaliser de petites économies sur le budget, mais avec des conséquences néfastes très importantes sur les droits des salariés, ce que nous ne pouvons accepter.

Enfin, cette mission « Travail et emploi » comporte deux articles additionnels. En premier lieu, l’article 62 prévoit une contribution de l’AGEFIPH au financement des contrats aidés, à hauteur de 29 millions d’euros. Sachant qu’il y a 423 000 personnes handicapées privées d’emploi, il est malvenu de priver l’AGEFIPH d’une partie de ces ressources, surtout que ces dernières proviennent de l’inobservation, par les entreprises, de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. Il est donc logique et nécessaire que cette contribution revienne à ces personnes, et tout particulièrement à leur insertion durable sur le marché du travail.

L’article 63, quant à lui, concerne l’apprentissage. Il a été introduit par vous, monsieur le ministre, en séance publique, alors que ce sujet appelait une réflexion globale, notamment sur la place de l’État en matière d’apprentissage, sur un véritable statut de l’apprenti, ou encore sur la rémunération de ces jeunes en fonction du diplôme préparé. Vous souhaitez parvenir à 500 000 apprentis à l’horizon 2017. Chiche ! Seulement, vous ne pouvez conditionner éternellement cette réflexion à une hypothétique concertation au niveau interprofessionnel.

Pour l’ensemble de ces raisons, vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRC considère que les crédits de la mission « Travail et emploi » sont largement insuffisants, ce qui nous conduira à voter contre.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tous les gouvernements depuis vingt ans, le gouvernement de M. Valls a annoncé urbi et orbi que la politique de l’emploi serait sa priorité, et le Président de la République, comme ses prédécesseurs, nous promet pour chaque fin d’année l’inversion de la courbe du chômage. Nous partageons bien évidemment ces objectifs.

Il faut reconnaître que certains dispositifs pourraient aller dans le bon sens : les contrats de génération, le développement de l’apprentissage en mixant l’école et l’entreprise, l’aide pour l’emploi des personnes handicapées en encourageant leur recrutement.

Malheureusement, un grand nombre de choix politiques, notamment en matière économique, rendent ces actions inefficaces, voire contre-productives. Soyons clairs : les 11 milliards d’euros dédiés à cette mission « Travail et emploi » ne régleront pas la question de l’emploi, ou plutôt du chômage en France. Pis, ces milliards n’empêcheront sans doute même pas la dégradation du marché de l’emploi, car, pour cela, il faudrait changer de modèle.

C’est par un retour à une véritable politique économique nationale, fondée sur un protectionnisme intelligent, que nous pourrons retrouver le chemin de la croissance, et donc de l’emploi. Or notre pays n’a pratiquement plus de leviers pour atteindre ses objectifs économiques : vous les avez tous transférés, mes chers collègues, aux bureaucrates de Bruxelles !

Souverainetés monétaire, budgétaire, migratoire, diplomatique et même militaire : vous avez abandonné, par idéologie, l’ensemble de nos moyens d’action, de nos capacités à agir par et pour nous-mêmes, à des organisations supranationales, antidémocratiques, car non élues, appliquant avec zèle les dogmes de l’euromondialisme.

Aujourd’hui, devant le désastre économique, social, et surtout humain, vous en êtes réduits à attendre notre salut de Jean-Claude Juncker et ses quelque 21 milliards d’euros, qu’il transforme, par la force de la salive, en un pactole illusoire de 315 milliards d’euros. Il s’agit bel et bien d’un écran de fumée pour tenter de sauver – pour combien de temps encore ? – votre système aujourd’hui à bout de souffle.

À ce protectionnisme intelligent, à ce rejet de la concurrence déloyale venue de l’extérieur, une mesure de bon sens, de bon père de famille, qu’est la priorité nationale permettrait, à compétences égales, de faire bénéficier nos compatriotes d’abord des emplois dont ils ont besoin et dont ils sont scandaleusement privés par une concurrence déloyale venue, si j’ose dire, de l’intérieur.

À la politique d’immigration massive exigée par le grand patronat et exécutée depuis quarante ans par les gouvernements tant de droite que de gauche, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a ajouté, comme une double peine, la politique d’immigration choisie, laquelle place désormais nos compatriotes les plus diplômés dans une compétition intenable. Les étrangers diplômés acceptant de travailler pour un salaire au rabais, l’immigration choisie entraîne un phénomène d’émigration de nos élites vers le continent nord-américain, la Grande-Bretagne, ou encore l’Australie.

Protectionnisme intelligent et priorité nationale sont aujourd’hui des mesures de justice sociale et de véritables moteurs pour la création d’emplois.

Enfin, il apparaît franchement, au-delà du contexte économique, qu’il est plus que temps de remettre totalement à plat le mode de représentation actuel des salariés. Outre les abus, dont la presse se fait l’écho, ou, plus grave, les malversations, aujourd’hui sous le regard de la justice, qu’il entraîne, il est clair que ce monopole de représentativité, qui n’est plus justifié, conduit à une défense faussée des intérêts salariaux et empêche toute réforme en profondeur.

Pour conclure, je dirai que, une nouvelle fois, vous vous contentez d’ajustements à la marge, sans entreprendre de réformes de fond. Ce n’est pas ainsi que vous allez redonner à chacun de nos compatriotes cet emploi qui leur permettrait de participer pleinement à la vie de la cité.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on aurait pu s’attendre à ce que la mission « Travail et emploi » bénéficie d’un effort exceptionnel au vu de la situation dramatique de l’emploi en France, constat qui a été corroboré, hier encore, par la publication des chiffres du chômage du mois dernier. On aurait aussi pu s’attendre à ce que les réformes structurelles soient enfin engagées. Il n’en est rien !

Les crédits de la mission, tels qu’ils étaient prévus dans le projet de loi de finances initial, s’établissaient à un peu plus de 11 milliards d’euros, en baisse de 3 % par rapport à 2014, soit une perte de 1,6 milliard d’euros sur trois années. Certes, l’Assemblée nationale a modifié ces crédits, mais le texte que vous avez présenté révèle votre intention initiale réelle.

La réduction des crédits s’explique non pas seulement par le souci de redressement des finances publiques, mais aussi par la confiance que le Gouvernement place dans les retombées de sa politique économique, comme il est expliqué dans la présentation budgétaire : le pacte de responsabilité et de solidarité doit conduire à relancer la croissance et l’emploi.

Hélas ! les effets du pacte ne sont pas vraiment prévisibles et, de toute façon, ne se feront sentir qu’en 2016. En outre, son financement n’est pas clairement fléché et va peser sur le déficit public.

Il faut craindre qu’une nouvelle fois le chef de l’État ne soit dans le déni, comme il l’était déjà lorsqu’il répétait régulièrement la fameuse et dorénavant célèbre promesse sur «l’inversion de la courbe du chômage ».

Par ailleurs, alors que l’on constate une baisse globale des crédits de la mission, le Gouvernement choisit de cibler une augmentation de certaines aides, mais ces postes ne sont pas forcément ceux que l’on espérait, puisque le quart de la mission « Travail et emploi » concerne les contrats aidés. Qui plus est, ce sont les contrats aidés du secteur non marchand qui ont été priorisés.

On connaît pourtant l’inefficacité de ces contrats en période de crise et de déficit public, car ils ne débouchent pas, ou peu, sur des emplois pérennes. C’est le secteur privé qui offre non seulement des débouchés aux contrats aidés, mais également des statuts moins précaires. Je crois, monsieur le ministre, que vous en êtes convaincu.

Les études sur le sujet sont unanimes : pour parvenir à une insertion durable, les contrats aidés doivent à la fois assurer une formation exigeante et être créés dans des secteurs pourvoyeurs d’emplois.

J’aurais pu évoquer les rapports de la Cour des comptes ou du Conseil d’analyse économique, mais je m’en tiendrai au dernier bilan de la DARES sur les contrats aidés conclus en 2012 : six mois après la fin de leur contrat, 66 % des personnes sorties d’un contrat d’insertion du secteur marchand avaient un emploi, généralement conclu en CDI. Elles étaient seulement 36 % dans le secteur non marchand. En outre, ce taux descend à 22 % pour l’accès à un emploi durable.

Souvenons-nous des débats sur les emplois d’avenir. Notre groupe dénonçait déjà la politique à court terme du Gouvernement. La suite nous a donné raison, les collectivités peinant à créer des postes, ou se heurtant au manque de qualification des demandeurs.

Le seul effet sur le chômage a été de pouvoir sortir des chiffres de Pôle emploi les personnes en contrat d’accompagnement dans l’emploi, en emploi d’avenir ou en contrat de génération.

Pourtant, le PLF pour 2015 a prévu le financement de 80 000 contrats dans le secteur marchand, contre 270 000 dans le secteur non marchand. L’Assemblée nationale a même accentué ce déséquilibre en adoptant un amendement tendant à créer 45 000 contrats supplémentaires : 30 000 postes dans le secteur non marchand et 15 000 emplois d’avenir, eux-mêmes orientés vers le secteur non marchand.

Une telle augmentation des crédits est étonnante : nous ne savons aucunement à quoi ils correspondent, en tout cas pas à des besoins réels, et ils viennent creuser un peu plus le déficit public. Ils sont avant tout le reflet d’une idéologie, dont les tenants se refusent à admettre que ce sont les entreprises qui sont facteurs à la fois de richesse et d’emplois dans un pays. Néanmoins, comme le Gouvernement ne s’y est pas opposé, on peut même penser qu’il est à l’origine de cette initiative ! Courage, fuyons !

Nous dénonçons aujourd’hui ces incohérences en déposant des amendements visant à revenir sur cette décision des députés et sur le montant des crédits consacrés aux contrats aidés du secteur non marchand.

J’ajouterai que les contrats aidés de cette législature n’ont pas rempli leur fonction de formation, condition pourtant essentielle pour parvenir à insérer dans le marché du travail des personnes ayant une faible qualification.

La même étude de la DARES souligne en effet que, malgré le renforcement des exigences en matière d’accompagnement et de formation dans le cadre du contrat unique d’insertion, seulement un tiers des sortants déclarent avoir suivi une formation. Et encore, celle-ci ne représente souvent qu’une simple adaptation au poste de travail. Les dispositifs des contrats d’insertion et des emplois d’avenir sont donc manifestement à revoir.

Coûteux, ils n’ont pas empêché le chômage de grimper à 9,7 % au deuxième trimestre 2014, comme l’ont révélé les derniers chiffres rendus publics hier. Depuis un an, le chômage n’a donc pas cessé d’augmenter.

Les fonds publics auraient été mieux employés à traiter les causes du chômage. Comme je viens de le souligner, l’une d’elles est souvent l’absence ou l’insuffisance de qualification, spécialement concernant les jeunes, pourtant déclarés publics prioritaires de cette mission. Or, selon le Conseil d’analyse économique, l’enseignement professionnel par l’alternance est encore trop peu développé et trop difficile d’accès pour les jeunes non qualifiés.

Certes, dans ce projet de loi de finances, une prime de 1 000 euros est accordée aux employeurs d’apprentis. Cette prime, d’abord réservée aux très petites entreprises, les TPE, a heureusement été étendue aux entreprises de moins de 250 salariés.

Mais il ne faut pas oublier que cette prime a été créée l’année dernière pour compenser, très partiellement, une mesure désastreuse prise dans le projet de loi de finances pour 2014, comme le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales l’a bien rappelé : la division par deux du crédit d’impôt apprentissage.

Malgré un discours favorable à l’apprentissage, le chef de l’État s’est désengagé et n’a fait que mener une politique de stop and go dans le but de réaliser des économies et de financer les contrats aidés du secteur non marchand, ce qui a eu des effets déplorables.

Ces signaux contradictoires sont une des causes essentielles de la désaffection des entrepreneurs pour la prise en charge d’apprentis, ce qui est tout à fait regrettable. De ce fait, l’apprentissage a plongé de 8 % entre 2012 et 2013 et de 14 % depuis le début de l’année 2014. J’espère qu’un rebond se produira. Si le Gouvernement a heureusement revu sa copie, je regrette le caractère tardif de ce repentir qui, de toute façon, ne vient pas rétablir le montant initial des incitations.

Décidément, le Gouvernement fait appel à des économistes, mais il a du mal à suivre leurs avis ! Il est vrai que ceux-ci viennent contredire la plupart du temps les principes idéologiques de la majorité : je pense notamment au coût du travail, aux 35 heures, à la flexibilité – sur laquelle un rapport a été remis hier – et, surtout, à notre système éducatif. Vous comprendrez que, dans ces conditions, notre groupe ne votera pas les crédits de la mission, qui reproduisent les mêmes erreurs, à moins que nos amendements ne soient adoptés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Travail et emploi » traduit une fois de plus l’engagement du Président de la République et du Gouvernement de faire de la lutte contre le chômage une priorité. En effet, en cette période de forte contrainte budgétaire, le budget reste globalement stable, puisqu’il diminue seulement de 3 %.

Avec les emplois d’avenir, le pacte de compétitivité, les accords sur la sécurisation de l’emploi, la création de la Banque publique d’investissement et le contrat générationnel, le Gouvernement témoigne de sa volonté de faire de la lutte contre le chômage et la précarité sa priorité. Il a démontré son engagement fort en faveur de l’emploi. Nous ne devons pas oublier que les crédits destinés au travail et à l’emploi depuis 2012 sont plus élevés qu’auparavant.

Je me félicite de la mobilisation en faveur de l’accès et du retour à l’emploi, illustrée par le programme 102 qui regroupe les deux tiers des crédits de la mission. Les crédits destinés à ce programme sont en progression de 3,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Ainsi, 50 000 contrats aidés seront créés en 2015 et 15 millions d’euros sont destinés à renforcer les moyens des missions locales qui suivent les jeunes.

Les contrats aidés sont donc confortés avec 270 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi, 80 000 contrats d’insertion dans l’emploi, soit un doublement par rapport à 2014. Le Gouvernement poursuivra également son effort en faveur des contrats de génération.

Je tiens à souligner ici l’importance des contrats aidés dans le secteur marchand et salue le choix du Gouvernement qui, dans ce projet de loi de finances pour 2015, a décidé de donner plus de poids aux contrats aidés dans ce secteur. Selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, six mois après la fin de leur contrat, 66 % des personnes sorties d’un contrat unique d’insertion dans le secteur marchand ont un emploi, contre seulement 36 % des personnes sorties d’un contrat aidé du secteur non marchand.

Comme le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, M. Forissier, je déplore que, dans les 45 000 contrats aidés supplémentaires prévus par un amendement adopté par l’Assemblée nationale, il n’ait pas été envisagé de contrats aidés supplémentaires dans le secteur marchand, car il est essentiel de poursuivre la dynamique engagée dans ce secteur afin de soutenir les petites entreprises.

Je me réjouis par ailleurs des mesures en faveur des personnes handicapées qui seront financées à hauteur de 350 millions d’euros, soit 13 millions d’euros de plus qu’en 2014.

Face au chômage persistant, il était impératif que le soutien de l’État à Pôle emploi demeure inchangé. Avec des crédits d’un montant de 1,519 milliard d’euros et l’embauche de 4 000 salariés supplémentaires en contrat à durée indéterminée, les moyens de Pôle emploi seront ainsi renforcés.

J’en profite pour souligner l’importance que revêt pour notre pays la nécessité de refonder les modalités de pilotage des politiques de l’emploi.

Dans mon rapport intitulé Les collectivités territoriales et l’emploi : bilan d’un engagement, j’ai souligné les difficultés liées à la multiplication des acteurs dans les politiques de l’emploi menées au niveau des territoires. L’emploi mobilise un trop grand nombre d’acteurs : l’État, Pôle emploi, les partenaires sociaux, les chambres consulaires, les collectivités territoriales, etc. Le paysage institutionnel des politiques de l’emploi menées au niveau local est devenu un véritable maquis. Les demandeurs d’emploi y perdent leurs repères, ballottés au gré des évolutions législatives et institutionnelles. La multiplicité des acteurs sur le terrain est donc contre-productive et la volonté d’une simplification de ce paysage est largement partagée.

Nous devons renforcer la place des collectivités territoriales, ou de leurs groupements, dans la gouvernance de Pôle emploi. Il apparaît donc essentiel de refonder ces modalités de pilotage au niveau local, par exemple en en confiant la responsabilité aux régions et aux intercommunalités dépassant un certain seuil démographique : sur ce point, les régions ont un rôle important à jouer. Une simplification du cadre comptable et financier des structures regroupant plusieurs instances – maisons de l’emploi, plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi, ou PLIE, missions locales – pourrait également être envisagée.

Aujourd’hui, des difficultés persistent au sein de Pôle emploi, qui n’arrive pas à répondre à l’ensemble de ses missions, notamment la collecte de l’ensemble des offres d’emploi. Les entreprises n’informent pas Pôle emploi de leurs besoins en ne transmettant pas leurs annonces, alors qu’environ 400 000 emplois restent non pourvus en France.

Il faut remédier, monsieur le ministre, aux difficultés rencontrées dans la collecte des offres, en imposant qu’un seul organisme centralise toutes les offres. Dans certaines régions, Pôle emploi a délégué sa mission d’accompagnement des entreprises de l’artisanat à la chambre des métiers et de l’artisanat, compte tenu de son insuffisante spécialisation dans ce domaine : il est essentiel de clarifier la répartition des rôles de chacun, de mieux les coordonner de manière à ajuster l’offre à la demande. Il s’agit surtout de mieux faire passer l’information auprès des demandeurs d’emploi. De plus, les passerelles entre l’entreprise et l’école ne sont pas suffisamment développées.

Dans mon rapport, j’avais également évoqué la possibilité de la création d’un livret ou d’une carte individuels, afin de faciliter l’échange de données relatives aux personnes à la recherche d’un emploi. Il est particulièrement pénible, pour les demandeurs d’emploi déjà en situation difficile, d’avoir à exposer les étapes de leur parcours à chaque rencontre avec un nouvel interlocuteur. Cette carte ou ce livret donnerait les informations nécessaires aux acteurs de l’emploi sur la formation ou les formations suivies par le demandeur d’emploi.

Pour finir, je salue les dernières avancées en matière d’apprentissage, grâce, entre autres, au financement de la prime de mille euros élargie à tout recrutement par les entreprises de moins de 250 salariés et à la consolidation des missions et des moyens des régions dont les ressources sont en augmentation.

Pour conclure, on a constaté dernièrement que le PIB de la France avait progressé de 0,3 % au troisième trimestre 2014 selon l’INSEE, alors que la plupart des économistes étaient encore particulièrement pessimistes. Ce chiffre est incontestablement un encouragement à poursuivre la politique économique mise en œuvre par le Gouvernement…

M. Roger Karoutchi. N’exagérons rien !

Mme Patricia Schillinger. Les crédits destinés à la mission « Travail et emploi » présentés aujourd’hui permettront de lutter contre le chômage, d’accompagner les personnes les plus en difficulté et de soutenir les dispositifs permettant l’accès et le retour à l’emploi.

C’est pourquoi nous voterons ce budget qui est en accord avec les priorités que s’est fixées Gouvernement : l’emploi et la lutte contre la précarité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de l’emploi pour 2015 s’élève à 11,1 milliards d’euros, en très légère diminution par rapport à l’année dernière. Toutefois, cette baisse doit être relativisée, car elle intervient dans un contexte de fortes restrictions budgétaires qui méritait d’être rappelé. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il s’agit de « faire beaucoup mieux avec à peu près autant qu’auparavant ». Nous n’avons pas le choix !

Pour autant, j’émettrai une réserve au sujet des maisons de l’emploi. Je regrette en effet que le projet de loi de finances pour 2015 ne prévoie qu’une enveloppe de 26 millions d’euros pour le fonctionnement de ces structures et que vous ne leur accordiez pas un financement spécifique complémentaire. Vous justifiez cette décision par le recentrage des missions de ces structures. En effet, leur nouveau cahier des charges ne prévoit plus que deux missions – le développement de l’anticipation des mutations économiques et le développement local de l’emploi – contre quatre initialement. Je crains toutefois que cette réduction ne mette en péril l’avenir de ces structures qui jouent un rôle essentiel de coordination entre les services de l’État, le service public de l’emploi, la région et les collectivités locales.

Monsieur le ministre, les effets de la crise qui affecte notre pays depuis 2008 sont dramatiques : plus de 3,4 millions de Français sont à la recherche d’un travail et le nombre de chômeurs de longue durée s’est littéralement envolé.

Ce budget ne remet aucunement en cause la mobilisation du Gouvernement en faveur de l’emploi. Bien au contraire ! Il traduit la volonté qui est la vôtre et celle du Président de la République depuis plus de deux ans de lutter contre le chômage.

Monsieur le ministre, votre budget réaffirme la priorité accordée à l’emploi des jeunes. Je m’en félicite ! Avec la crise, le chômage des jeunes a en effet explosé et les moins qualifiés ont été les plus touchés. Aussi, je ne peux que saluer les efforts importants qui sont faits pour l’accompagnement des jeunes vers l’emploi. Je pense notamment aux emplois d’avenir qui s’adressent aux jeunes peu diplômés ayant des difficultés d’accès à l’emploi. L’objectif est de faciliter leur insertion professionnelle en leur proposant un emploi à temps plein de longue durée incluant un projet de formation. Ainsi, 94 633 emplois d’avenir ont été créés en 2013, 94 801 contrats devraient être conclus en 2014 et 50 000 contrats sont prévus pour 2015.

Je pense également à la « garantie jeunes », mise en place dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de janvier 2013. Cette mesure accompagne les jeunes les plus vulnérables pour les aider à se remettre dans la dynamique de l’emploi. Elle permet de leur redonner confiance en leur garantissant une allocation en contrepartie d’un parcours intensif pour les faire accéder à de premières expériences de formation ou d'activité professionnelle. Ce nouveau dispositif bénéficiera en 2015 de 148 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 133 millions d’euros en crédits de paiement. Je me réjouis, monsieur le ministre, que vous élargissiez ce dispositif qui ne bénéficie aujourd’hui qu’à quelques milliers de jeunes, car le bilan de l’expérimentation dans dix départements est en effet plutôt encourageant.

L’apprentissage, dont la réforme entrera en vigueur le 1er janvier 2015, est également un des leviers dans la lutte contre le chômage des jeunes. Vous avez d’ailleurs appelé à « une révolution intellectuelle » sur l’apprentissage et à une réhabilitation du travail manuel. Je ne peux qu’y souscrire, car cette voie est encore considérée en France comme dégradante ; conseillers d’orientation, parents et professeurs l’assimilent trop souvent à une voie de garage.

J’insiste sur ce point qui me tient à cœur. Il faut, dès l’école élémentaire, expliquer de façon positive l’évaluation et l’orientation et non pas brandir la menace d’une orientation vers l’enseignement technique en cas de mauvais résultats. Ce sera un beau travail transversal à réaliser en coordination avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, monsieur le ministre !

Pourtant, l’apprentissage répond, à la fois, au besoin de qualification et d’insertion professionnelle des jeunes et à la demande des entreprises de recruter des salariés qualifiés. Surtout, 80 % des jeunes issus de l’apprentissage trouvent un emploi à l’issue de leurs années de formation. Ce système a d’ailleurs fait ses preuves chez nos voisins, notamment en Allemagne, en Suisse ou en Autriche.

Au-delà du dispositif d’aide aux employeurs d’apprentis, le Gouvernement a lancé une campagne de promotion de l’apprentissage. Je pense qu’il faut aller plus loin pour revaloriser son image et faire évoluer les mentalités. C’est une nécessité : en effet, selon un récent sondage, 56 % des jeunes interrogés jugent que les pouvoirs publics n’en font pas assez pour promouvoir l’apprentissage.

Monsieur le ministre, l’emploi est plus que jamais au cœur des préoccupations de nos concitoyens. La politique menée par le Gouvernement en la matière doit leur redonner confiance en l’avenir. C’est dans cet esprit que le RDSE votera, dans sa grande majorité, les crédits de la mission « Travail et emploi » tels qu’ils sont présentés par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Emery-Dumas.

Mme Anne Emery-Dumas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte de réduction importante de la dépense publique, la stabilité du budget de la mission « Travail et emploi » à 11,1 milliards d’euros doit être considérée comme un marqueur fort de la volonté du Gouvernement de faire de la politique de l’emploi et de la lutte contre le chômage une priorité de son action.

Le panel de moyens d’action confortés ou mis en place dans ce budget se situe dans la réponse aux perspectives fixées par la Conférence sociale pour l’emploi de juillet 2014, qui fixait des ambitions renforcées en termes de relance de l’apprentissage, d’insertion des jeunes très désocialisés et de maintien dans l’emploi des seniors.

Il tient également compte de plusieurs avancées législatives récentes. Je pense, par exemple, à la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, qui met en place, à compter du 1er janvier 2015, le compte personnel de formation. Ce projet de budget intègre aussi la réforme des modes de financement des structures d’insertion par l’économique, entrée en vigueur en 2014, qui vise à simplifier, harmoniser et valoriser l’activité des structures d’insertion par l’activité économique, les SIAE, dans l’accompagnement des salariés et dans les résultats en termes de retour à l’emploi.

Quelques mots pour insister sur l’importance des mesures prises en direction de l’insertion par l’économique, qui a obtenu une revalorisation de 25 millions d’euros en 2014, et bénéficiera à nouveau de 18 millions d’euros supplémentaires en 2015 grâce à la mise en œuvre des nouvelles modalités de cofinancement arrêtées entre le ministère et le Conseil national de l’insertion par l’activité économique.

Avant d’examiner les propositions du programme 102 « Accès et retour à l’emploi », il n’est malheureusement pas inutile de rappeler l’environnement dans lequel elles interviennent. Nous avons eu connaissance hier des chiffres du chômage, qui recensent près de 3 500 000 chômeurs pour le mois d’octobre 2014. Le taux de chômage s’établit à 10,2 %. Le nombre de chômeurs de longue durée est en augmentation, ce qui doit nous interroger – 2,2 millions de chômeurs le sont depuis plus d’un an.

Notre pays, comme l’ensemble de la zone euro, dans laquelle le chômage atteint 11,5 %, se trouve confronté à un chômage de masse qui a nécessité – vous le savez, monsieur le ministre, vous l’avez rappelé à plusieurs reprises – la concentration des efforts de l’État et de ses opérateurs pour trouver le plus rapidement possible une solution d’emploi, d’activité ou de formation à l’intention de nos concitoyens privés d’emploi.

Dans une période de croissance faible, l’intervention de l’État est plus que jamais indispensable. En effet, derrière ces données chiffrées brutes, il y a d’abord des réalités humaines difficiles, des situations sociales qui se détériorent et un risque de plus en plus grand d’un éloignement durable du marché du travail.

Le Gouvernement, parfaitement conscient de cette situation, concentre ses efforts sur l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de son intervention pour faire en sorte, comme vous le dites régulièrement, que « chaque euro dépensé soit un euro utile à l’emploi ». Je crois que nous partageons tous ici cette conviction.

La jeunesse, priorité du quinquennat, a fait l’objet de mesures ciblées et renforcées au titre des propositions budgétaires pour 2015 : emplois d’avenir, relance de l’apprentissage, « garantie jeunes », insertion par l’activité économique. Elles ont permis, même si cette évolution demande à être amplifiée l’année prochaine, de faire reculer le chômage des moins de vingt-cinq ans. Je veux notamment me féliciter, comme ma collègue Françoise Laborde, de la montée en puissance de la « garantie jeunes ». L’expérience en cours sur dix territoires depuis fin 2013 apparaît positive et le dispositif, qui devrait s’étendre à 50 000 nouveaux jeunes en 2015, concernera de nouveaux territoires et mobilisera 100 millions d’euros supplémentaires l’année prochaine, dont 30 millions d’euros provenant de crédits européens.

Je ne reviendrai pas sur les différents programmes de la mission qui ont été largement évoqués par les orateurs précédents. Si nous devons collectivement nous féliciter de ces avancées positives sur la question du chômage des jeunes, j’aimerais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le problème récurrent de l’emploi des seniors.

Les plus de cinquante ans sont en effet particulièrement touchés par le chômage dans notre pays, avec une augmentation de 11,1 % en un an, chiffre qu’il faut mettre en perspective avec le recul de l’âge légal de la retraite et avec la difficulté renforcée, en période de tension du marché du travail, de retrouver un emploi après cinquante-cinq ans.

Je me réjouis que le Président de la République ait marqué très nettement son souci de faire évoluer la situation au cours de son émission télévisée du 8 novembre dernier, en évoquant à la fois une plus grande ouverture des contrats aidés en direction des seniors et en exprimant le souhait d’étendre l’allocation transitoire de solidarité, ou un dispositif équivalent, aux personnes nées entre 1954 et 1956 pour leur permettre, dès lors qu’elles bénéficieront du nombre de trimestres nécessaires, d’assurer une transition jusqu’à l’âge de la retraite.

Le budget qui nous est présenté aujourd’hui ne prend pas en compte la dimension de ces annonces du Président de la République et je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous en dire un peu plus sur la manière dont elles seront mises en œuvre et financées, et à quelle échéance elles pourront entrer en vigueur.

Pour conclure, je veux saluer l’engagement volontaire que manifeste le Gouvernement à travers les crédits de la mission « Travail et emploi », que nous voterons avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec intérêt vos interventions, notant que certaines descriptions du budget de l’emploi sont assez éloignées de la réalité des crédits, tant dans leur contenu que dans leur dynamique.

Je vais m’efforcer de répondre à toutes les interrogations, notamment à celles qui ciblent plus particulièrement tel ou tel point de la mission « Travail et emploi ». L’exercice de réponse a posteriori à des questions qui couvrent l’ensemble des sujets est parfois compliqué et fait, de temps à autre, apparaître l’absence de cohérence des demandes exprimées. Nous en aurons l’illustration lors de l’examen des amendements relatifs aux maisons de l’emploi, qui révèlent des positions parfois contradictoires.

Effectivement, ce budget est en très légère baisse : après son examen par l’Assemblée nationale, il diminue exactement de 2 %. On peut dire que c’est un budget d’exception en ce sens qu’il est quasiment stable. Cela témoigne d’un effort significatif du Gouvernement dans un contexte de réduction importante de la dépense publique que vous n’ignorez pas. Certains d’entre vous réclament d’ailleurs à cor et à cri une réduction beaucoup plus importante que celle que nous pratiquons. Encore une incohérence supplémentaire dont nous aurons l’occasion de reparler !

Je voudrais le rappeler ici, cette quasi-stabilité fait suite à une forte augmentation des autorisations d’engagement, qui ont progressé de plus de 20 % entre 2012 et 2014. La stabilité contenue dans le projet de loi de finances pour 2015 doit donc s’apprécier en référence avec un niveau d’intervention de la politique publique de l’emploi historiquement élevé – et nécessaire !

Le Gouvernement réaffirme la priorité qu’il accorde à l’emploi en consolidant les moyens de la mission à ce niveau élevé. L’ampleur de l’effort n’affranchit cependant pas le budget de la recherche du sens de la responsabilité dans un contexte de sérieux budgétaire.

C’est à ce titre, me semble-t-il, un budget d’exigence, qui vise trois objectifs.

Premier objectif, la lutte contre le chômage. Certes, le taux de chômage atteint un niveau très élevé, je ne le conteste pas, je l’ai d’ailleurs dit, et je vais de nouveau rappeler les chiffres afin que tout le monde soit bien éclairé. Le taux de chômage s’élève aujourd’hui très exactement à 9,7 % pour la France métropolitaine, et il atteint 10,3 % en prenant en compte les territoires et départements d’outre-mer.

Je rappelle qu’il a atteint des niveaux beaucoup plus élevés à d’autres périodes. En 1995, par exemple, il était de 10,7 %. Je le dis non pour me satisfaire de la situation, mais pour montrer que le chômage de masse est, dans notre pays, une longue histoire.

Je le répète, la lutte contre le chômage est l’une des priorités du Gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix – une décision dont nous attendons des résultats – d’aider à rétablir la compétitivité des entreprises : 41 milliards d’euros vont revenir aux entreprises pour leur permettre de retrouver leur compétitivité et d’investir. Cette restitution est indispensable, car, depuis dix ans, elles avaient perdu cette compétitivité, notamment à l’international. L’OCDE le dit, ces politiques paieront, car elles permettront, dès l’année prochaine, des surcroîts de croissance. Nous aurons l’occasion de le vérifier.

Deuxième objectif, il faut, avec ce budget, faire mieux avec à peu près autant. Cela a été dit et c’est vrai.

Troisième objectif, il faut, et c’est très important, répondre avec efficacité à l’urgence du moment.

Les exigences concernent trois domaines : les demandeurs d’emploi, le service public de l’emploi – qui existe et dont je souhaite qu’il demeure – et les entreprises.

Premier principe, améliorer notre intervention et notre efficacité sans augmenter les moyens.

Je vais parler de Pôle emploi en réponse à tous ceux qui se sont interrogés sur ce sujet. Nous avons accordé – faut-il le rappeler ? – des moyens exceptionnels à Pôle emploi depuis 2012 : 4 000 équivalents temps plein supplémentaires sont venus en renfort des équipes existantes. Ce n’est pas rien ! Maintenant, ce budget est sanctuarisé.

Il s’élève à 1,519 milliard d’euros en 2015 et, ce que nous demandons à Pôle emploi, c’est en effet de faire mieux avec ce budget. On peut toujours améliorer l’accompagnement des demandeurs d’emploi en développant une offre spécifique, pour les plus petites entreprises, par exemple. À budget constant, atteindre ces objectifs nécessite une mise en œuvre progressive, des gains d’efficience et des redéploiements.

J’ai été interpellé sur le contrôle des chômeurs. La situation de l’emploi est très difficile, c’est une évidence. Vous le savez très bien, c’est une autre évidence, je ne cherche pas à stigmatiser les demandeurs d’emploi, pas plus que je ne veux laisser penser que certains d’entre eux pourraient se satisfaire de leur situation !

On sait que l’éloignement prolongé de l’activité disqualifie à grande vitesse le demandeur d’emploi. Plus on reste longtemps au chômage, plus la perspective de retrouver un emploi s’éloigne. Il faut, à cet égard, agir dès que la rupture a lieu. J’ai demandé à Pôle emploi de ne laisser personne décrocher. Contrairement à ce qui avait été fait avec « l’offre raisonnable d’emploi », il ne s’agit pas de se concentrer sur une approche mécanique, qui consiste à sanctionner des actes isolés sans évaluation ni connaissance de la situation réelle des demandeurs d’emploi. Je ne suis pas dans cette logique !

Il s’agit de vérifier les raisons pour lesquelles des demandeurs d’emploi ne recherchent plus d’emploi. Les raisons sont multiples et le rôle des conseillers de Pôle emploi est de contacter les chômeurs et de leur demander pourquoi ils ont abandonné leur recherche d’emploi. Cela fait partie des missions de Pôle emploi que de rappeler à chacun ses droits et ses devoirs, droits et devoirs qui fondent la politique de l’État. On ne doit pas oublier l’un de ses volets.

Le but de la démarche est bien évidemment de permettre à ceux qui ont abandonné la recherche d’emploi d’en retrouver le chemin. L’expérimentation de Pôle emploi allait d’ailleurs dans ce sens. Elle sera l’occasion de donner des orientations sur la personnalisation de l’accompagnement du demandeur d’emploi, dans une logique d’engagements réciproques, établis par le conseiller avec chaque demandeur d’emploi. La vérification de la recherche d’emploi ne peut être comprise que comme partie intégrante d’un accompagnement qui se fonde sur des engagements réciproques permettant de mobiliser les demandeurs d’emploi dans leur recherche.

Toujours dans ce registre de la consolidation des moyens, je souhaite insister sur le financement de l’insertion par l’activité économique, l’IAE, sur lequel j’ai noté qu’avait été déposé un amendement révélant une petite inquiétude de nature technique qu’il convient de dissiper.

Ce sont 240 millions d’euros qui seront consacrés à l’IAE en 2015, soit un effort de plus de 40 millions d’euros depuis 2012. Il s’agit d’une progression dynamique garantie, avec une indexation sur l’évolution du SMIC dès 2015.

Au total, cela représente un effort de 820 millions d’euros, incluant les 580 millions d’euros consacrés aux contrats aidés dans le domaine de l’IAE qui sont en cours de transformation en aides au poste.

La réforme de l’IAE change la donne. Ainsi, le financement sous forme d’aides au poste rendra celui du secteur plus dynamique, avec une part variable en fonction de la réalisation d’objectifs, notamment en termes de retour à l’emploi.

Deuxième principe, rappelé par Mme Schillinger : chaque euro engagé doit être un euro utile.

Des choix doivent être faits ; je sais que tous ne sont pas consensuels, mais c’est le prix de l’efficacité.

Pour ce qui concerne les maisons de l’emploi, je souhaite répondre clairement à vos interventions, comme je répondrai aux amendements que vous avez déposés sur ce sujet.

La vocation première des maisons de l’emploi a disparu, c’est vrai, avec la création de Pôle emploi. Dès 2013, nous avons interrogé leur plus-value et confirmé le recentrage de leurs missions.

Dans le contexte de sérieux budgétaire qui caractérise le projet de loi de finances pour 2015, il nous faut être justes en la matière. Je propose donc de reconduire au niveau de l’an dernier, soit 26 millions d’euros, leurs crédits de fonctionnement, mais je rejette tout financement spécifique complémentaire.

Je m’engage, par ailleurs, à ce que les maisons de l’emploi aient accès aux crédits d’accompagnement des mutations économiques lorsqu’elles portent un projet à forte plus-value, et uniquement dans ce cas.

Dans un contexte de chômage de masse et d’allongement de la durée passée au chômage, l’urgence implique de concentrer les efforts en vue d’offrir une solution d’emploi, d’activité ou de formation, et d’éviter l’éloignement durable du marché du travail.

Cette recherche d’efficacité nous a conduits à prendre aussi des mesures de saine gestion, comme la mobilisation des réserves de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés, l’AGEFIPH, et celles du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP.

Ces mesures permettent de mobiliser des réserves « dormantes » et n’affectent en rien la politique de l’emploi des personnes handicapées, dont les moyens, il faut le rappeler, ont été augmentés de plus de 20 % depuis 2012, et ont été encore accrus par l’Assemblée nationale avec la création de 500 aides au poste environ dans les entreprises adaptées ; c’est là le fléchage que vous avez demandé.

Troisième et dernier principe : Concentrer les forces sur les priorités.

Tout d’abord, Mme Laborde l’a évoqué, nous consacrons un effort massif à la jeunesse.

Avec le déploiement de la « garantie jeunes », nous visons un objectif de 50 000 jeunes concernés par ce dispositif dès 2015. Cette initiative française s’inscrit largement dans le cadre de l’initiative européenne du même nom. Nous y consacrerons 160 millions d’euros en 2015, dont 30 millions d’euros de crédits disponibles au titre du Fonds social européen, les crédits FSE.

Nous mettons en place un accompagnement de ceux qui sont au bord du décrochage, ou ont déjà décroché, mais aussi une petite allocation pour pouvoir vivre et de nombreuses périodes d’immersion en entreprise.

L’expérimentation de la « garantie jeunes » est en cours sur dix territoires, et vient d’être élargie à dix nouveaux territoires. Plus de cinquante territoires ont fait acte de candidature pour rentrer dans le dispositif en 2015 et 2016.

Nous consolidons les missions locales, qui sont essentielles pour l’accompagnement des jeunes de 16 à 25 ans. Nous y consacrons 188,8 millions d’euros au titre de la subvention principale de l’État, laquelle avait été accrue de 10 millions d’euros en 2014. Cet effort représente 269 millions d’euros au total, incluant les crédits d’accompagnement de la « garantie jeunes » et des emplois d’avenir.

Les résultats sont là, il est important de le signaler. Le chômage des jeunes, et c’est heureux, est maîtrisé depuis la mise en place de notre politique. L’objectif de 150 000 emplois d’avenir a été atteint, et je veux de nouveau rappeler qu’il y a aussi des emplois d’avenir dans le secteur marchand !

L’enveloppe de 50 000 nouveaux emplois d’avenir prévus pour 2015 a été portée par les députés à 65 000, et pas seulement pour le secteur non marchand, comme je l’ai entendu dire… Cela implique, après la première lecture à l’Assemblée nationale, un effort de 1,7 milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 1,3 milliard d’euros en crédits de paiement.

Ensuite, avec les emplois aidés, nous faisons le choix du travail.

Les contrats aidés constituent un engagement fort du Gouvernement et un outil de sa politique de l’emploi, dont il n’a cessé d’accroître la qualité et le ciblage depuis 2012.

Faut-il rappeler qu’avant mai 2012, la durée moyenne des contrats aidés était de six ou sept mois ? Elle est aujourd’hui de onze mois et demi.

Je tiens à dire à Mme Procaccia, dont j’écoute toujours avec intérêt les interventions, que le nombre de contrats aidés a explosé au cours du premier semestre de 2012 : ce sont 225 000 de ces contrats qui ont été mis en place par le précédent gouvernement, pour de courtes durées d’environ six mois. Beaucoup d’efforts ont été faits depuis.

En 2012, sur 330 000 ou 340 000 emplois aidés, 225 000, je le répète, ont été créés au premier semestre et 115 000 au second. Or vous nous faites un procès, madame la sénatrice, certes sans grande virulence, pour avoir mis en place ces contrats. Pourtant, le gouvernement que vous souteniez, à l’instar de tous ceux qui l’ont précédé, y avait également fait appel de façon massive, à un moment clef et pour des durées brèves.

Il est vrai, madame Emery-Dumas, que l’emploi des seniors est pour moi une préoccupation majeure. Les contrats initiative emploi, les CIE, sont un outil privilégié de notre politique dans ce domaine. L’action que nous souhaitons déployer va cependant bien au-delà. Elle concerne ainsi le renforcement de l’accès au contrat de professionnalisation, pour aider au maintien dans l’emploi ou à l’accompagnement des transitions professionnelles.

Par ailleurs, cela a été dit, nous devons nous rassembler autour de la question de l’apprentissage. Désormais, les engagements financiers sont pérennes et permettent de stabiliser la politique en la matière.

J’ai entendu vos observations sur la nécessité d’améliorer l’image de l’apprentissage.

C’est un engagement fort du Gouvernement, comme en témoigne la création de la nouvelle aide destinée aux entreprises recrutant un ou plusieurs apprentis supplémentaires, qui a été introduite par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2015. Son montant est de 1 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés et de 2 000 euros pour celles comptant moins de 11 salariés, s’agissant des contrats signés à partir du 1er juillet 2014.

Il y avait, à la fin de 2013, 426 600 jeunes en apprentissage. Nous avons pour objectif qu’ils soient bientôt 500 000, et nous y parviendrons.

La réforme du financement de l’apprentissage, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2015, avait déjà conduit à dégager plus de 150 millions d’euros de ressources supplémentaires d’ici à 2017, à destination des centres de formation d’apprentis, les CFA. J’encourage les régions à utiliser ce dispositif pour améliorer et renouveler les équipements de leurs CFA.

Cette réforme du financement consolidera les ressources des régions et leur garantira un dynamisme des recettes en les indexant sur la masse salariale. Ainsi, de 2014 à 2015, la croissance des ressources des régions sera de 65 millions d’euros pour le développement de l’apprentissage, hors compensation des primes d’apprentissage.

Le Gouvernement compense, par ailleurs, ces primes par l’affectation des crédits budgétaires pour les nouvelles primes, mais surtout par des recettes fiscales. L’article 13 du projet de loi de finances pour 2015 prévoit ainsi l’affectation de 255 millions d’euros aux régions à ce titre.

Mais l’engagement du Gouvernement en faveur de l’apprentissage n’est pas seulement financier, comme nombre d’entre vous l’ont dit.

La journée de mobilisation pour l’apprentissage du 19 septembre dernier a permis de fixer les axes prioritaires pour la levée des freins non financiers au développement de l’apprentissage. Ces freins existent ; certains sont dans les têtes, et il faut les en faire sortir !

Certaines mesures peuvent être prises rapidement : par exemple, dans la fonction publique, la sortie des apprentis des plafonds d’emploi des administrations d’État. Un frein non négligeable serait ainsi supprimé, car, nous le savons, 800 personnes seulement sont aujourd’hui en apprentissage dans la fonction publique.

D’autres mesures demandent plus de temps et de concertation, avec les branches et les partenaires sociaux. C’est le cas, notamment, de l’évolution de la réglementation relative aux travaux dangereux et en hauteur, que nous souhaitons assouplir, sans bien évidemment remettre en cause la sécurité des jeunes.

M. François Patriat, rapporteur spécial. Merci, monsieur le ministre !

M. François Rebsamen, ministre. Enfin, des questions ont été posées, notamment par Mme Schillinger et M. Kern, sur la coordination des politiques de l’emploi au niveau régional.

Oui, j’en suis persuadé, il est nécessaire d’avancer vers une meilleure coordination des acteurs du service public de l’emploi et une meilleure prise en compte des réalités territoriales dans l’action.

L’État, qu’on le veuille ou non, est et restera tenu par nos concitoyens pour responsable des résultats en matière de lutte contre le chômage, et doit donc conserver les leviers lui permettant d’exercer cette responsabilité.

La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale apporte déjà de nouvelles possibilités en matière de coordination, qui devront être mises en œuvre à partir du début de 2015. Elle prévoit une coordination renforcée des politiques d’emploi et de formation professionnelle, et la mise en œuvre d’une nouvelle gouvernance régionale de ces politiques entre l’État, la région et les partenaires. Ainsi seront mis en place les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, les CREFOP, qui seront coprésidés par le préfet de région et le président du conseil régional.

Le développement de la contractualisation entre l’État, les régions et les opérateurs du service public de l’emploi constituera le socle de la coordination de leurs interventions et de la mise en cohérence de leurs moyens d’intervention.

Il faut bien mesurer – et je remercie les rapporteurs de l’avoir fait – ce que ces efforts représentent dans un contexte contraint. Ils sont, je le crois, à la hauteur de l’enjeu. Et nous agissons, comme en témoigne ce budget de mobilisation contre le chômage et de préparation de l’avenir, qui met l’accent sur des accompagnements qualitatifs indispensables au retour à l’emploi.

Formation professionnelle, apprentissage, telles sont les clefs pour l’emploi de demain ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

travail et emploi

Travail et emploi - Compte d'affectation spéciale : Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Article 62

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder à l’examen des crédits de la mission « Travail et emploi », figurant à l’état B.

État B

(en euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Travail et emploi

11 959 888 454

11 377 810 323

Accès et retour à l’emploi

7 950 912 976

7 650 010 118

Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi

3 111 079 965

2 875 884 552

Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail

133 539 318

81 617 591

Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail

764 356 195

770 298 062

Dont titre 2

628 490 760

628 490 760

 

Mme la présidente. L’amendement n° II-175, présenté par M. Karoutchi, Mme Procaccia et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Accès et retour à l’emploi

                   

1 581 923 333

                     

501 730 000

Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi

Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail

Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail

Dont Titre 2

Total

1 581 923 333

501 730 000

Solde

- 1 581 923 333

- 501 730 000

 

La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Le groupe UMP veut aider le ministre. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Nous avons en effet compris qu’il était un homme d’une grande rigueur lorsqu’il a lui-même admis que la politique menée par le Gouvernement en matière de chômage était un échec.

Pourquoi voulons-nous l’aider ? Je reprendrai les propos tenus par une oratrice socialiste, qui disait que le dispositif des contrats aidés dans le secteur marchand fonctionnait bien, donnait des résultats et permettait d’intégrer dans l’emploi. Nous avons bien la preuve que ce dispositif contribue à réduire le chômage des jeunes.

En revanche, s’agissant du secteur non marchand – je le dis d’autant plus facilement, monsieur le ministre, que tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont mis en place des contrats aidés en tout genre, pour le secteur associatif, pour la fonction publique, pour les collectivités locales… –, tous les rapports publiés depuis trois ou quatre ans indiquent que ce système ne marche pas.

Certes, il arrive que certains retrouvent un emploi… Mais, selon la DARES, si les deux tiers des contrats aidés du secteur marchand aboutissent à l’intégration dans l’emploi, dans le secteur non marchand, à l’inverse, les deux tiers de ces contrats aboutissent au chômage.

De la même manière, le dispositif demeure très faible en termes de formation : un tiers seulement des personnes ayant bénéficié de ces contrats disent avoir suivi une véritable formation.

On sait bien, en réalité, qu’il faudrait rapatrier les crédits que vous continuez de consacrer massivement au secteur non marchand vers le secteur marchand.

Il est vrai, monsieur le ministre, qu’il est plus facile de doter les associations, les collectivités locales, le secteur public… Mais cela ne correspond plus à rien !

Vous ne pouvez pas dire, d’un côté, aux collectivités locales que vous allez leur donner des crédits pour les emplois aidés, et, de l’autre, que lesdites collectivités cumulent trop de dépenses de fonctionnement et qu’il faut réduire – ce que vous faites, d’ailleurs ! – la dotation que l’État leur accorde.

Suivant jusqu’au bout notre logique, nous proposons par cet amendement de diminuer de 501,7 millions d’euros les crédits de paiement consacrés aux contrats aidés dans le secteur non marchand. Les éléments d’information dont nous disposons, qu’ils proviennent de la DARES, de la Cour des comptes ou d’autres organismes, indiquent en effet que, si ces contrats avaient quelque efficacité dans ce secteur il y a dix ou vingt ans, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les raisons en sont simples : le secteur associatif, qui connaît des difficultés, ne crée plus d’emplois ; quant aux collectivités locales, elles ne sont plus en situation de multiplier les contrats.

Par conséquent, monsieur le ministre, adaptons-nous à la réalité ! Et puisque vous êtes un homme attaché à la réalité, que vous savez dire les choses telles qu’elles sont, nous proposons de vous rendre 500 millions d’euros pour les mettre sur ce qui marche : les contrats aidés dans le secteur marchand ! Cela fera plaisir aux entreprises – et le Gouvernement aime les entreprises, il le dit tous les jours ! –, cela fera plaisir aux jeunes qui trouveront enfin un emploi au terme de leur contrat aidé, et cela nous évitera les stages parking, qui sont un désastre pour ce pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Patriat, rapporteur spécial. La commission des finances n’a pas examiné cet amendement, mais M. le ministre vient d’exposer sa volonté de poursuivre ces contrats aidés, même si leurs résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, ainsi que l’évoquait à l’instant avec humour M. Karoutchi, et je l’en remercie.

Pourtant, même si M. Karoutchi vient d’une grande région et moi d’une plus petite, nous savons tous deux fort bien que lorsque nous accompagnons les contrats aidés, nous le faisons non pas de façon massive, mais d’une manière intelligente. Dans nos communes, intercommunalités, et départements, ces contrats rendent d'abord un grand service à leur public, les jeunes éloignés de l’emploi, dont ils facilitent l’insertion.

À titre personnel, je soutiendrai donc la position du Gouvernement et serai par conséquent défavorable à l’amendement n° II-175.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Comme toujours, je me suis plu à écouter M. Karoutchi ! Sa présentation était très habile…

M. Jean Desessard. Trop habile !

M. François Rebsamen, ministre. … quoique légèrement pernicieuse ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Absolument pas !

M. François Rebsamen, ministre. Disons qu'elle était légèrement pernicieuse, et, en effet, peut-être un peu trop habile ! (Nouveaux sourires.)

Vous-même, monsieur Karoutchi, avez souligné qu’un effort important est déployé en direction du secteur marchand, puisque l’on passe de 40 000 à 80 000 contrats. Je crois sincèrement qu’augmenter encore, brutalement, le nombre d’emplois dans le secteur marchand créerait un effet d’aubaine incontestable. Or nous ne voudrions surtout pas nous exposer ainsi à une critique que vous ne manqueriez pas, alors, de nous adresser…

Finalement, j’aurais tendance à vous soupçonner de vouloir désarmer la politique de l’emploi que nous portons. (M. Roger Karoutchi marque son désaccord.) Je me permets de le dire, car la politique des emplois aidés a été profondément changée depuis 2012. Avant, ces contrats étaient très courts, et ils étaient mobilisés dans les périodes pré-électorales, comme je l’ai rappelé tout à l'heure. Ainsi, 225 000 contrats d’une durée de six mois ont été conclus au cours du premier semestre 2012, sur l’initiative de l’un de mes prédécesseurs – que j’apprécie par ailleurs…

Vous le voyez, ces contrats aidés ont été très utilisés, et ils présentent une utilité concrète pour les publics les plus fragiles. Ils s’adressent à des jeunes – le cadre des emplois d’avenir a été rappelé – dont 80 % n’ont pas le baccalauréat, et à des publics très éloignés de l’emploi. Ces contrats sont donc utiles, à condition que leur durée soit allongée pour permettre à leurs bénéficiaires d’acquérir une vraie formation, comme on l’a dit.

C'est pourquoi nous avons demandé de poursuivre l’effort jusqu’à ce que la durée de ces contrats atteigne un an. J’y veille chaque mois au cours de rencontres avec les préfets, et nous en sommes aujourd'hui à 11,3 mois. Cet effort est donc très important.

Je me rappelle, monsieur Karoutchi, avoir participé avec l’ancien Président de la République au « Grenelle de l’insertion »…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C'est une référence !

M. François Rebsamen, ministre. …, qui se déroulait à Dijon. J’y ai assisté, à l’époque, en tant que maire. Il se trouve que la demande faite au Président de la République était alors d’allonger la durée des contrats aidés pour qu’ils deviennent de véritables outils de retour à l’emploi.

Alors, monsieur Karoutchi, je vous en supplie, retirez votre amendement ! (Sourires.) Vous ne pouvez pas laisser ainsi attaquer la politique de l’emploi ! À défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.

M. Francis Delattre. Les sénateurs ici présents ont tous diverses responsabilités ; pour ma part, je suis président d’une mission locale. Les remarques de Roger Karoutchi sont justes. Ne pourrait-on pas changer un peu d’objectif, cesser de solliciter le public et le parapublic ? Même certains collègues du groupe socialiste, avec qui nous discutons, préfèreraient un dispositif vraiment orienté vers les entreprises.

De fait, monsieur le ministre de l’emploi, nous vivons un paradoxe : pour l’économie et pour la compétitivité des entreprises, de l’avis de tous les économistes, les salaires sont globalement trop élevés dans ce pays. Pourtant, même avec 5 millions de chômeurs, aucune contrainte ne s'oppose à ce que les salaires du secteur privé progressent plus rapidement que l’inflation. On peut le déplorer, mais ce problème est indéniable !

M. Jean Desessard. Cela concerne les cadres !

M. Francis Delattre. À partir de ce constat, essayons d’imaginer des dispositifs un peu plus subtils. Nous sommes d’accord pour que des moyens soient engagés dans la lutte contre le chômage. Mais je crois qu’il faut les cibler vers les entreprises.

Aujourd'hui, quel est le problème ? Notre secteur privé est très protégé, et les jeunes ont beaucoup de mal à obtenir de vrais emplois. Malgré tout ce qui existe dans le secteur public et dans le secteur parapublic, pour eux, l’eldorado, c'est le CDI dans une entreprise !

Par ailleurs, les entreprises ont du mal à embaucher les jeunes qui débutent parce que les premiers salaires sont trop élevés. Alors, monsieur le ministre, pourquoi ne mettrions-nous pas au point un dispositif réservé au secteur privé en vertu duquel 70 % ou 75 % de la rémunération serait à la charge de l'entreprise, une aide de l’État venant la compléter pour atteindre le niveau du SMIC, soit un salaire décent ?

C'est le système allemand ! Vous pouvez demander à mon collègue Jean Germain : nous sommes d’accord pour réorienter les emplois aidés vers les entreprises ! (Sourires.) Le problème est de leur faire confiance, car le système des aides publiques est complètement à bout de souffle. Ici, il ne s'agirait pas de faire des cadeaux aux entreprises, mais d’offrir à ces jeunes, les deux premières années, un système leur permettant d’obtenir directement de vrais emplois et, par la même occasion, de recevoir aussi une formation de ces entreprises.

On le sait très bien, même avec des contrats d’apprentissage de bon niveau, on ne devient pas rentable du jour au lendemain pour l'entreprise qui vous embauche. Si l’on veut vraiment prendre en considération l’accès des jeunes aux emplois, il faut donc résorber la contradiction résultant d’une augmentation trop rapide des salaires au regard de ce que peuvent payer les entreprises, et de la nécessité, pour les jeunes, d’y trouver un emploi.

Voilà pourquoi nous souhaiterions que tous ces moyens soient orientés différemment. Je pense que l’on pourrait vraiment y travailler sérieusement. On nous dit que nous n’avons jamais de proposition, eh bien, en voilà une qui mériterait, selon moi, que M. le ministre s’y intéresse…

Je me permettrai enfin d’ajouter que, d’une manière générale, cet effort en direction du secteur non marchand constitue une erreur de ciblage, au même titre que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Et ce sont ces problèmes de ciblage, dont le constat traverse tous les partis politiques, qui desservent votre action, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Les écologistes défendent sur ce point la politique du Gouvernement.

D’abord, comme l’a dit M. le ministre, les contrats visés permettent le retour à l’emploi de leurs bénéficiaires. C'est important ! Pour eux, un emploi représente une avancée bien réelle, et pas un parking ! Bien sûr, on peut ensuite s'interroger sur la transformation de l’emploi ainsi attribué, mais, en attendant, son bénéficiaire est réinséré dans la société et reprend goût au travail.

Ensuite, contrairement à ce que pourraient laisser entendre certains propos, les nombreux services rendus par les associations sont parfois aussi intéressants que ceux rendus par les entreprises ! Certes, il faut distinguer les associations qui développent une activité économique autonome de celles dont l’existence est conditionnée par des subventions. Mais toutes remplissent un rôle social important.

Enfin, je crois plus à l’utilité des crédits destinés aux contrats aidés qu’à ceux du CICE ! Le calcul est simple – vous l’avez dit tout à l'heure. On estime que les 66 milliards d’euros devant être débloqués pour le CICE d’ici à 2017 devraient créer 400 000 emplois. On atteint ainsi près de 165 000 euros par emploi créé, ce qui est plutôt onéreux pour le budget de l’État, et il n’est même pas certain que tous ces emplois seront créés ! Il se dirait en effet que l’on commence déjà à trouver toutes les bonnes excuses pour utiliser cet argent à autre chose, par exemple pour augmenter les salaires…

Par contre, avec les emplois aidés dans le secteur non marchand, les embauches sont directes, avec la garantie d’assurer un service social ou public.

Pour ces raisons, les écologistes voteront contre l’amendement n° II-175.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.

Mme Patricia Schillinger. Je précise d’emblée que cette explication vaudra aussi pour l’amendement n° II-71 en ce qu’il vise, comme l’amendement n° II-175, à réduire le nombre de certains contrats aidés, et que notre groupe votera contre ces deux amendements.

L’amendement n° II-71 de la commission des finances tend ainsi à revenir sur un amendement présenté et voté par la majorité de l’Assemblée nationale, donc issu de l’expérience de terrain.

Il est excessif de se livrer à la critique de dispositifs qui sont pourtant utilisés depuis longtemps – trop longtemps sans doute – par nombre de collectivités et d’associations.

Les contrats d’accompagnement dans l’emploi ont pourtant le grand mérite de s’adresser à des personnes souvent très éloignées de l’emploi. Quant aux emplois d’avenir, ils s’adressent à des jeunes qui sont souvent sortis sans aucun diplôme du système scolaire. C’est le cas de 41 % d’entre eux, et 42 % ont un CAP ou un BEP.

Dans les deux cas, ces contrats sont donc destinés à des personnes en difficulté et, d’une manière ou d’une autre, en décrochage par rapport à la vie professionnelle, avec un risque réel de désinsertion sociale.

Les CUI-CAE – les contrats uniques d’insertion-contrats d’accompagnement dans l’emploi – et les emplois d’avenir ont donc un premier objectif : remettre en activité leurs bénéficiaires, leur redonner confiance et leur permettre de recevoir enfin à nouveau un salaire. Ce premier point est fondamental. Ces personnes sont utiles et le ressentent. La valeur de leur existence est reconnue grâce à un travail dans une équipe. Elles perçoivent un salaire à la fin du mois, et c’est un pas vers le retour à la confiance en soi.

S’agissant maintenant de l’insertion à l’issue du contrat, il convient de rétablir une vérité qui a pu être malmenée par des gens de mauvaise foi.

Il faut aussi tenir compte d’un élément important : les bénéficiaires des contrats dans le secteur marchand sont souvent mieux armés pour reprendre un emploi dont la finalité, pour l’entreprise, est la rentabilité. Plus « employables » au départ, il est normal qu’ils aient un meilleur taux d’insertion durable à l’arrivée, et nous en sommes tous très heureux.

Néanmoins, 89 % des emplois d’avenir dans le secteur non marchand sont à temps plein, pour une durée moyenne de vingt-cinq mois. On constate que le taux de rupture à un mois est de 4 %, et qu’il atteint 8 % au bout de six mois. À titre de comparaison, on atteint les 20 % chez les jeunes qui sont en entreprise, y compris en contrat d’apprentissage, ce qui ne manque pas d’interroger. Il y a donc chez les jeunes une véritable motivation pour saisir la chance qui leur est offerte.

Pour le CAE, la critique porte sur l’accès à l’emploi durable à l’issue du contrat : 36 % d’accès à l’emploi et 22 % dans l’emploi durable. Il est vrai que 90 % des embauches en entreprise se font aujourd’hui en CDD, mais ce ne sont pas les bénéficiaires du CAE qui sont responsables de cette situation anormale. Faut-il pour autant priver ces derniers de la possibilité d’accéder à l’emploi ?

Le véritable sujet est celui de la qualification et de la formation. C’est évidemment là qu’il faut faire porter l’effort. Des actions d’accompagnement professionnel sont présentes dans 93 % des emplois d’avenir, et 38 % proposent une formation qualifiante. C’est encore trop peu, mais les moyens des missions locales ont été logiquement renforcés pour améliorer cette situation.

Il faut rappeler aussi que, pour les CAE, l’employeur doit garantir aux salariés le bénéfice d’actions d’orientation, de formation et de validation des acquis. Le salarié est suivi par un tuteur. Il peut aussi être placé auprès d’un employeur tiers pour une période d’immersion d’un mois.

Les contrats aidés du secteur non marchand, dont l’Assemblée nationale a voulu augmenter le nombre, ne sont donc pas, comme certains voudraient le faire croire, des mesures de traitement statistique du chômage. Ils ont un objectif à la fois sociétal et économique.

Dans un environnement global difficile et un contexte budgétaire contraint, nous soutenons le choix d’en renforcer le nombre. Et si nous devions formuler un souhait, ce serait que le Gouvernement mette l’accent sur les actions de qualification et de formation, en relation avec les organismes de formation et les branches professionnelles.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons contre cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Germain, pour explication de vote.

M. Jean Germain. Bien évidemment, je voterai contre cet amendement, mais sans m’en satisfaire totalement.

Monsieur Karoutchi, je me souviens tout de même qu’au mois de novembre 2010, alors que nous examinions le projet de budget pour 2011, M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, avait proposé une diminution de 25 % du nombre de contrats aidés. Il avait alors justifié sa décision par les arguments que vous venez de développer.

À la télévision, le 11 février 2011, le Président de la République de l’époque, M. Nicolas Sarkozy – vous pourrez vérifier mes dires –, avait prôné une augmentation du nombre de contrats aidés, qu’il considérait comme insuffisant. Par conséquent, ce qui était vrai au mois de décembre se révélait faux au mois de février. Il avait finalement incité le Parlement à modifier les choses, en affectant 500 millions d’euros à la création rapide d’un certain nombre de ces contrats.

Selon moi, le sujet du chômage de masse, qui touche des millions de Français et d’Européens, mérite mieux que cela ! Les personnes qui sont au chômage, ou les autres, ceux qui ont peur d’y être, nous regardent. Peu à peu, ils choisissent l’abstention ou le vote Front national, qui a désormais une fonction tribunitienne que d’autres exerçaient auparavant.

Nous le savons très bien, pour lutter contre le chômage, nous avons besoin à la fois de mesures économiques actives et d’un traitement social. Effectivement, M. Delattre l’a dit, je milite pour que les acteurs politiques et syndicaux de notre pays parviennent à traiter ces sujets sans s’invectiver, en évitant de fonder leur argumentation sur de fausses réalités. Cet amendement en est un exemple.

Tous les gouvernements, y compris leurs plus grands responsables, ont créé des emplois aidés. Alternativement, ils ont été pour puis contre. Le résultat, c’est que le chômage augmente et que les gens ne croient plus en nous. À un moment donné, il faut sortir d’une telle situation et avoir le courage de dire qu’il faut une politique active et des traitements sociaux, en définissant les points sur lesquels les principaux partenaires pourraient se mettre d’accord.

Monsieur Delattre, je répète donc bien volontiers les propos que j’ai tenus devant la commission des finances. J’ai l’impression que, de toute façon, les événements nous contraindront un jour à parcourir ce chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. François Rebsamen, ministre. Très bonne intervention !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canevet, pour explication de vote.

M. Michel Canevet. Le groupe UDI-UC soutiendra cet amendement. Pour autant, nous ne sommes pas opposés aux dispositifs de contrats aidés. Il en faut, parce que l’action publique peut favoriser la réinsertion professionnelle de certains publics éloignés du travail, en apportant des réponses à des besoins sociaux identifiés. Mais telle n’est pas la priorité aujourd'hui.

Il convient d’abord, en effet, de restaurer la confiance des entrepreneurs pour qu’ils puissent relancer l’économie et apporter ainsi une réponse durable au problème du chômage, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Aujourd'hui, si l’économie est en panne, c’est parce que les entrepreneurs n’ont pas confiance, qu’ils ne sentent pas une véritable volonté des pouvoirs publics de les soutenir. Nous devons donc envoyer plus de signes positifs aux entreprises, et les accompagner.

Par conséquent, le groupe UDI-UC plaide plutôt pour une baisse assez significative des charges, mais pas dans le cadre du CICE, qui crée un niveau de contraintes extrêmement pesant. Ainsi, ce dispositif ne permet-il pas de restaurer la confiance, les entreprises n’y croyant pas suffisamment.

Il faut donc instaurer un mécanisme beaucoup plus simple et lisible. De cette manière, nous pourrons enfin apporter un élément de réponse positif au problème crucial du chômage.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Mon intervention vaudra pour l’ensemble des amendements déposés sur cet article. Je ne reprendrai plus la parole ensuite, ce qui permettra de raccourcir nos débats.

Mon groupe votera contre tous ces amendements, à l’exception de l’amendement n° II-87 rectifié, proposé par M. Godefroy et relatif aux maisons de l’emploi. En revanche, nous nous abstiendrons lors du vote de l’amendement de M. Desessard, puisque nous ne sommes pas favorables, a priori, à une ponction sur l’AGEFIPH. Si toutefois cette ponction devait se faire, nous soutiendrions la précision contenue dans cet amendement.

Pour en revenir à l’amendement n° II-175, nous voterons bien évidemment contre. Pour autant, je l’ai dit tout à l’heure, nous ne sommes pas favorables aux contrats aidés, dans la mesure où, depuis plus de vingt ans, les contrats aidés successifs ont finalement accompagné l’augmentation du chômage. Une telle politique n’est donc pas la bonne pour maintenir l’emploi !

J’ai aussi entendu parler de restauration de la confiance. Pour le coup, avec le CICE et le pacte de responsabilité et de solidarité, si les entreprises ne sont pas encore satisfaites, je ne sais pas ce qu’il faut faire ! Peut-être revenir à l’esclavage ? (Exclamations.)

Mme Catherine Procaccia. Je pense qu’on va entendre ce refrain tous les jours !

Mme Annie David. Ce serait un bon moyen, pour les entreprises, de trouver des salariés corvéables à merci, travaillant dans n’importe quelles conditions, flexibles et mobiles, puisque ce sont les nouveaux termes qu’il faut désormais employer. Heureusement, en France, il y a encore des droits attachés aux salariés et aux entreprises !

J’ai entendu dire tout à l’heure que les salaires étaient trop élevés en France. Mes chers collègues, j’aimerais vous voir travailler, alors que l’âge de la retraite approche, dans une entreprise pour un salaire d’environ 1 500 euros nets par mois, proche du SMIC, après avoir passé plus de trente ans de votre vie de salarié à respecter votre emploi et votre employeur !

Peut-être certains salaires sont-ils trop élevés, mais il y a aussi, très certainement, des dividendes trop importants, dont le coût sur le travail est bien plus lourd que celui des salaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Je m’abstiendrai sur cet amendement, pour une raison très simple.

J’estime que, dans la période extrêmement difficile que nous traversons – chacun l’a très bien décrite ce matin –, il est délicat de déshabiller Pierre pour habiller Paul, chacun essayant de faire de son mieux.

Je sors d’une série d’entretiens avec des associations d’insertion et d’économie solidaire de mon bon département de l’Orne, notamment Jardins dans la ville, qui œuvre à Argentan, une cité totalement sinistrée. Ces dernières s’occupent de gens marginalisés, qui passent à travers les mailles du filet des systèmes de récupération sociale, pour tenter désespérément de les réintroduire dans le marché de l’emploi.

Évidemment, il faut développer la formation, donner confiance aux entrepreneurs et faciliter l’application des normes sociales et de sécurité, afin que les chefs d’entreprises puissent embaucher plus facilement. On connaît tous ces problématiques. Selon moi, on ne peut pas supprimer dans de telles conditions les budgets de cette mission, uniquement au profit du secteur marchand. Sans le système associatif, les choses seraient encore plus difficiles.

Bien que je le comprenne, je ne peux donc pas soutenir complètement cet amendement. C’est la raison pour laquelle je m’abstiendrai.

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je veux que les choses soient claires.

Comme c’est aussi le cas pour nombre de mes collègues, ma vie n’a pas commencé au Sénat. Lorsque j’étais au cabinet de Philippe Séguin, en 1987, j’ai participé à la mise en place de ce qu’on appelait à l’époque le plan d’urgence pour les jeunes, lequel déclinait un certain nombre de dispositifs permettant de créer des emplois qu’on pourrait qualifier aujourd'hui d’« aidés ».

Par conséquent, loin de moi l’idée de dire que les contrats aidés sont une horreur. Le sujet n’est pas là ! La situation a changé, les choses bougent. Aujourd'hui, des bilans objectifs réalisés, non pas par le groupe UMP, mais par un certain nombre d’organismes l’affirment : les contrats aidés du secteur non marchand enregistrent, d’année en année, de moins en moins de résultats. Ils ne favorisent pas vraiment la formation et débouchent de moins en moins, à terme, sur une intégration dans l’emploi.

Ces contrats sont trop nombreux dans un secteur qui a du mal à intégrer. La fonction publique, les collectivités, mais aussi, monsieur Desessard, les associations créent de moins en moins d’emplois pérennes, et le Gouvernement n’est pas le dernier à nous dire de faire des économies de fonctionnement. Par conséquent, ces contrats aidés offrent forcément de moins en moins de débouchés. Pourtant, on continue de dire que cela n’a pas d’importance, dans la mesure où il s’agit d’une solution immédiate et temporaire.

Je ne suis pas en train de dire, monsieur le ministre, qu’il faut tripler le nombre de contrats aidés dans le secteur marchand ! Mais on sent bien qu’il y a là un vrai sujet. Les secteurs public et parapublic seront de moins en moins créateurs d’emplois et il faut par conséquent tout faire pour que le secteur concurrentiel prenne le relais.

Il s’agit non pas de supprimer les contrats aidés dans le secteur non marchand, mais de les réduire, afin qu’ils occupent une place en rapport avec ce que devrait être le secteur marchand.

On vous demande en réalité, mes chers collègues, une inflexion plus forte, non pas par sens de la provocation ou par goût, mais simplement parce que le secteur non marchand – des organismes indépendants l’ont démontré – ne peut plus créer d’emplois pérennes supplémentaires.

Les gens croient que, après un contrat aidé dans le secteur non marchand d’un ou deux ans, ils auront un emploi permanent. Or, aujourd'hui, 66 % d’entre eux sont au chômage après avoir bénéficié de ce type de contrats. Quand ce chiffre atteindra 70 % ou 80 %, ils nous reprocheront à juste titre et avec amertume de leur avoir fait croire des choses.

Essayons donc d’agir dans le secteur où ils ont le plus de chance de trouver un emploi à terme ! Il s’agit non pas de lutter contre les contrats aidés dans le secteur non marchand, mais d’adapter leur nombre à ce que ce secteur, à l’avenir, pourra en réalité intégrer.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-175.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 43 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 189
Contre 151

Le Sénat a adopté.

L'amendement n° II-71, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Accès et retour à l’emploi

         0          

480 000 000

            0          

175 000 000

Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi

0

0

0

0

Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail

0

0

0

0

Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail

Dont Titre 2

0

0

0

0

Total

0

480 000 000

0

175 000 000

Solde

- 480 000 000

- 175 000 000

 

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’objet de cet amendement a été très largement abordé à l’occasion de l’examen du précédent amendement, sur lequel des orateurs de l’ensemble des groupes ont pu s’exprimer. Concrètement, la commission des finances souhaite revenir sur la création, à la suite de l’adoption d’un amendement par l’Assemblée nationale, de 45 000 contrats supplémentaires dans le secteur non marchand – 30 000 contrats d’accompagnement dans l’emploi et 15 000 emplois d’avenir.

Je détaillerai brièvement les deux raisons pour lesquelles la commission a déposé cet amendement.

En premier lieu, comme l’a expliqué à l’instant notre collègue Michel Canevet, en matière de politique générale de l’emploi, nous préférerions instaurer des baisses de charges permettant la création de vrais emplois, des emplois durables, dans le secteur concurrentiel. C’est cette raison de fond qui explique une certaine réticence de notre part à l’égard des contrats aidés dans le secteur non marchand.

En second lieu, cela a été dit également, même si nous ne sommes pas contre ce type de contrat, bien évidemment – nous reconnaissons volontiers que tous les gouvernements y ont eu recours –, nous pensons qu’il n’est pas souhaitable, comme le proposent les députés, de favoriser principalement le secteur non marchand, c’est-à-dire le secteur des collectivités ou le secteur associatif ; nous sommes favorables à un rééquilibrage en faveur de l’emploi dans le secteur concurrentiel, autrement dit dans le secteur marchand.

Les raisons en sont évidentes : elles tiennent aux problèmes de financement.

Tant lors du Congrès des maires de France, qui a pris fin hier, que lors de l’examen, lundi, par le Sénat de l’article 9 du présent projet de loi de finances, nous avons eu l’occasion de nous exprimer les uns et les autres sur les contraintes qui vont être imposées aux collectivités locales et sur la baisse prévue de 12,5 milliards d’euros en quatre ans de leurs dotations. Comme le rappelle chaque jour le Gouvernement, les collectivités devront faire des économies de fonctionnement ; en particulier, elles devront se montrer beaucoup plus vigilantes quant à l’évolution de leur masse salariale. Or, avec ces contrats aidés, on les oblige en quelque sorte à promouvoir les emplois non durables dans le secteur non marchand, ce qui va quelque peu à l’encontre de l’objectif d’économies vers lequel elles doivent tendre.

S’agissant du secteur associatif, les contrats aidés lui sont indispensables – et notre amendement ne vise pas à les supprimer – : on sait bien que les associations sans but lucratif notamment dépendent très largement des subventions publiques, même si, fort heureusement, la générosité du public et le mécénat, auxquels elles font parfois appel, assurent une grande part de leur financement. Notre crainte, c’est que le secteur associatif souffre de la réduction des dotations aux collectivités prévue par l’article 9 du projet de loi de finances, mais aussi des coupes opérées dans le budget général de l’État, et soit lui-même contraint d’être beaucoup plus vigilant en matière de création d’emplois, aidés ou non.

Aussi, par cet amendement, nous proposons de réduire de 175 millions d’euros les crédits de paiement destinés à la création de ces 45 000 emplois aidés supplémentaires – contrats d’accompagnement dans l’emploi et emplois d’avenir – dans le secteur non concurrentiel.

Mes chers collègues, si vous n’étiez pas tout à fait convaincus de la pertinence de cette mesure, j’ajoute que, si nous sommes très réticents à l’égard de ce type de contrats, c’est que, selon le « bleu » budgétaire, le taux d’insertion dans l’emploi durable n’est que de 21,9 % pour les bénéficiaires d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi. (M. Jean Desessard s’exclame.) Cela signifie que, peut-être par absence de formation de leurs titulaires ou peut-être parce qu’ils sont créés en surnombre dans les collectivités ou les associations, ces emplois ne permettent malheureusement qu’un faible accès à l’emploi.

Nous ne critiquons pas d’une manière générale ces emplois aidés, non plus que nous ne les condamnons ; il s’agit davantage d’une réticence de notre part à l’égard de l’idée de créer des emplois aidés supplémentaires dans le secteur non concurrentiel, notamment dans les associations ou les collectivités.

Je ne m’étendrai pas davantage sur les conséquences de la proposition du Gouvernement de réduire en quatre ans de 12,5 milliards d’euros les dotations aux collectivités : de fait, celles-ci hésiteront alors peut-être à créer de nouveaux emplois.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Le Gouvernement émet bien évidemment un avis défavorable sur cet amendement.

Si je suis bien votre raisonnement, monsieur le rapporteur général, vous manifestez la volonté, à la suite de M. Karoutchi, de mettre à mal le budget de l’emploi. Deux milliards d’euros en moins…

M. Jean Desessard. Carrément !

M. François Rebsamen, ministre. … pour les publics les plus fragiles ! Excusez du peu ! Voilà la réalité.

Tout à l’heure, Mme Procaccia me faisait reproche d’avoir réduit le budget de 1,5 % ; là, c’est non pas à une coupe sombre que vous procédez, mais bien à une coupe claire !

Pour donner des gages à l’opinion publique, vous avez pour objectif de faire 150 milliards d’euros d’économies. Vous avez déjà trouvé 2 milliards d’euros, il vous reste encore 148 milliards d’euros à trouver ! Il va falloir tailler sévèrement dans les dépenses pour atteindre ces 150 milliards d’euros… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Effectivement, monsieur le ministre, tout à l’heure, je vous ai reproché la baisse de votre budget, tout en regrettant que les crédits soient fléchés vers des emplois aidés non marchands. L’amendement de la commission cible quant à lui les emplois du secteur marchand. Le groupe UMP est persuadé que l’avenir de l’emploi se joue dans les entreprises privées et non pas dans le secteur public.

C’est la raison pour laquelle, suivant en cela le rapporteur général, je considère que cet amendement va dans le bon sens en matière d’emploi.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je suis un peu surpris, car je croyais que nous nous en tiendrions à ces 1,5 milliard d’euros et que le rapporteur général s’en satisferait. Eh bien non ! On rajoute 500 millions d’euros ! Vous ne faites pas dans le détail, mes chers collègues de majorité sénatoriale : vous vous affirmez ! (Sourires.)

Au moins, cette mesure a le mérite de préfigurer la politique que vous défendrez… (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Roger Karoutchi. Alors, vous n’y croyez plus, à la gauche ?

M. Jean Desessard. Comment dire les choses ? (Rires.) Tout n’est pas joué, il peut se produire un sursaut ! Nous en reparlerons…

M. François Rebsamen, ministre. Rien n’est jamais sûr en politique !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Heureusement, il peut y avoir des retournements !

M. Jean Desessard. Évidemment, nous sommes contre cet amendement. Si d’aventure il était adopté, nous ne voterions pas les crédits de la mission puisqu’elle aurait été de fait dénaturée. Nous avions déjà quelques réticences, dont nous pourrons reparler au cours des trois prochaines années, mais, là, vous assumez parfaitement, chers collègues de la majorité sénatoriale : à la louche, 1,5 milliard d’euros ici, 500 millions d’euros là, et hop ! On y va gaiement !

M. Francis Delattre. On réoriente !

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.

M. Claude Kern. Les explications de M. le rapporteur général vont dans le sens de la position que j’ai exprimée dans mon propos de début de séance. Par conséquent, le groupe UDI-UC votera cet amendement. (Marques de regrets sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je veux apporter une précision.

Les autorisations d’engagement visées dans le projet de loi de finances concernent des contrats pluriannuels. De fait, leur montant est supérieur aux crédits de paiement pour 2015. Aussi, nous n’améliorons malheureusement pas le solde budgétaire de manière aussi importante qu’il y paraît.

L’amendement que j’ai présenté au nom de la commission des finances porte sur 175 millions d’euros ; celui qu’a présenté Roger Karoutchi porte sur 500 millions d’euros. Certes, ces montants sont importants, mais ils n’atteignent pas 1,5 milliard d’euros.

Il ne faut pas confondre les crédits de paiement avec les autorisations d’engagement. Je le répète, l’amendement de la commission n’améliore le solde budgétaire pour 2015 que de 175 millions d’euros.

Je ne pouvais pas laisser passer ce qui a été dit.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-71.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 44 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 190
Contre 150

Le Sénat a adopté.

Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d'une discussion commune.

L'amendement n° II-12 rectifié quater, présenté par M. Mouiller, Mmes Cayeux et Canayer, MM. Husson, Cambon, D. Laurent, Mandelli et D. Robert, Mme Mélot, M. Cardoux, Mme Imbert, MM. Charon et Houpert, Mmes Gruny et Troendlé, M. Savin, Mme Garriaud-Maylam, MM. Houel et Lemoyne, Mmes Keller et Primas, MM. B. Fournier, Danesi et de Nicolaÿ, Mme Deroche, MM. Laménie et Morisset, Mme Micouleau, MM. Revet et Falco, Mmes Deromedi et Létard et M. Vanlerenberghe, est ainsi libellé :

 

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Accès et retour à l’emploi

15 000 000

0

15 000 000

0

Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi

0

15 000 000

0

15 000 000

Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail

0

0

0

0

Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail

Dont Titre 2

0

0

0

0

Total

15 000 000

15 000 000

15 000 000

15 000 000

Solde

0

0

 

La parole est à Mme Jacky Deromedi.

Mme Jacky Deromedi. Le budget des maisons de l’emploi subit une forte baisse dans le projet de loi de finances pour 2015 : 26 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement alors que, l’an dernier, un amendement avait permis de porter ce budget de 36 millions d’euros à 46 millions d’euros, avec une possibilité pour les régions de l’abonder à hauteur de 4 millions d’euros supplémentaires.

Ces 4 millions d’euros prévus dans le projet de loi de finances pour 2014 en autorisations d’engagement et crédits de paiement dans le cadre des contrats de projets État-région prennent fin.

Les maisons de l’emploi créées en 2005 par la loi de cohésion sociale ont été imaginées comme des outils de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences à l’échelle des territoires, la GPECT. Elles ont fait l’objet de plusieurs rapports qui confirment l’efficacité de nombre d’entre elles, et la moindre efficacité des autres. Leur cahier des charges a évolué pour ne plus retenir que deux axes de missions : l’anticipation des mutations économiques et le développement de l’emploi local. Les maisons de l’emploi sont effectivement les plus à même de définir les besoins d’un bassin d’emploi et d’aider, ainsi, les demandeurs d’emploi dans leurs recherches.

Le ministère du travail a, à plusieurs reprises, confirmé que les maisons de l’emploi qui respecteraient ces axes verraient leurs moyens maintenus. Depuis plusieurs mois, certaines ont dû se restructurer, d’autres ont disparu, d’autres encore maintiennent leurs actions tout en respectant le nouveau cahier des charges. Il y a lieu de conforter les moyens de celles qui apportent la preuve, par le dialogue de gestion avec les services de l’État, de l’efficacité de leur action dans la lutte contre le chômage.

Pour ce faire, cet amendement vise à maintenir les moyens dont disposent les maisons de l’emploi, en augmentant leurs crédits à hauteur de 15 millions d’euros au titre de la sous-action n° 2, Coordination du service public de l’emploi, de l’action n° 1 du programme 102, et en retirant la même somme à la sous-action n° 1, Anticipation des mutations et gestion active des ressources humaines, de l’action n° 1 du programme 103 – la ponction pourra notamment s’effectuer sur les crédits alloués aux contrats de génération, qui sont loin d’avoir atteint leurs objectifs. Cela porterait le budget dédié aux maisons de l’emploi à 41 millions d’euros.

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° II-87 rectifié est présenté par M. Godefroy et Mmes Génisson, Bataille et Claireaux.

L'amendement n° II-111 rectifié est présenté par MM. Husson, Mouiller, Houpert, Morisset, D. Laurent, Revet, Cambon, P. Leroy, G. Bailly, Raison et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Savin, Delattre et de Nicolaÿ, Mme Létard, MM. Karoutchi, Vanlerenberghe et Bonhomme, Mme Troendlé et M. Pierre.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Accès et retour à l’emploi

10 000 000

10 000 000

Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi

10 000 000

10 000 000

Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail

Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail

Dont Titre 2

Total

10 000 000

10 000 000

10 000 000

10 000 000

Solde

0

0

 

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour défendre l’amendement n° II-87 rectifié.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, les questions économiques sont au cœur des préoccupations des territoires.

C’est la raison pour laquelle les élus locaux ont créé et développé des outils territoriaux capables d’organiser les stratégies de l’emploi en lien avec le développement économique. C’est ainsi que fut créée en 1991 la Maison de l’emploi et de la formation du Cotentin, qui affirmait notre volonté de disposer d’un outil permettant de penser et d’animer un projet de territoire sur un bassin de vie cohérent, complémentaire avec l’ensemble des autres outils présents localement.

La réussite de ces expérimentations locales diverses a conduit l’État à mesurer le rôle important joué par ces outils territoriaux et à reconnaître que les notions économiques et d’emplois devaient s’adapter aux spécificités liées aux territoires au travers de la création, en 2005, du label « Maisons de l’emploi ».

Pour mémoire, l’année de la labellisation des maisons de l’emploi, l’État avait dédié 100 millions d’euros à leur fonctionnement. Dans ce projet de loi de finances, nous sommes à 26 millions d’euros de fonctionnement. Inutile de vous préciser que le nombre de structures labellisées « Maisons de l’emploi » ne cesse de diminuer et que de nombreuses autres sont déstabilisées et fragilisées par les changements ou avenants au cahier des charges.

Les maisons de l’emploi développent et animent des actions pouvant être très diversifiées, car il s’agit de l’outil le plus proche des territoires, et pouvant donc préparer ceux-ci aux défis économiques et à l’emploi de demain !

Je prendrai pour exemple la Maison de l’emploi et de la formation du Cotentin, que je connais bien. Le travail qu’elle réalise sur le volet ressources humaines du grand chantier de l’EPR – European Pressurised Reactor – de Flamanville représente 541 000 heures de formation pour 776 demandeurs d’emploi et 681 embauches après cette formation entre 2008 et 2013. Mais c’est aussi la préparation de la main-d’œuvre locale à répondre aux besoins prochainement liés aux énergies marines renouvelables, ou encore les dispositifs d’insertion professionnelle et les 208 000 heures de travail pour 393 personnes en insertion entre 2007 et 2013.

J’insiste sur le fait que si les missions citées en exemple devaient être mises en difficulté, aucun autre partenaire sur le territoire ne disposerait de l’ingénierie, des savoir-faire et de la légitimité pour les accomplir.

Vous me répondrez qu’il sera possible pour les maisons de l’emploi de disposer des crédits liés à la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences sur les territoires par d’autres biais. Mais, monsieur le ministre, comme l’a souligné Mme Patricia Bouillaguet dans le bilan partagé des maisons de l’emploi : « La qualité de leurs interventions suppose qu’elles puissent inscrire leurs actions dans la durée et dans un cadre stabilisé. »

Vous le savez, les projets pensés et animés de manière partenariale mettent du temps à se mettre en place. Casser ces constructions, ces logiques ou freiner leur dynamique parce que le cadre n’est ni stable ni pérenne serait un signal négatif envoyé aux milieux économiques, aux personnes en insertion et aux territoires.

Suite à la diminution de plus de 50 % du budget alloué aux maisons de l’emploi en dix ans à peine, les collectivités territoriales ont pris une part du financement très conséquente à leur charge. En 2013, 124 maisons de l’emploi ont répondu à une consolidation nationale demandée par leur réseau : 46 % du budget total de l’opération a été apporté par l’État, 7,5 % par le Fonds social européen, 13,1 % par du financement privé ou autre et 36,7 % par les collectivités territoriales. Vu le contexte budgétaire compliqué et restreint pour les collectivités locales, reconnaissez, monsieur le ministre, qu’il ne serait pas sérieux d’imaginer qu’elles consentent un tel investissement si de très bons résultats n’étaient pas au rendez-vous.

Ces maisons de l’emploi et de la formation – j’insiste sur l’aspect formation – sont tout à fait nécessaires à la reconversion des bassins d’emploi. C’est la raison pour laquelle je vous demande de maintenir les crédits à hauteur de 36 millions d’euros en transférant ces 10 millions d’euros d’un poste budgétaire à l’autre.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre, pour présenter l'amendement n° II-111 rectifié.

M. Francis Delattre. C’est un vrai plaisir de défendre un amendement identique à celui de nos collègues du parti socialiste ! (Sourires.)

Même si leur implantation géographique est incomplète, où elles existent, ces maisons de l’emploi ont beaucoup de succès auprès des PME, des TPE et autres. Au-delà du problème du chômage, elles s’associent souvent à des projets de territoire.

Pour toutes ces raisons, et pour que cesse cette diminution des crédits, nous voterons cet amendement – à l’unanimité, semble-t-il, puisqu’il est identique sur le fond à ceux de nos collègues.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Patriat, rapporteur spécial. La commission n’a pas examiné ces amendements. Je pense néanmoins, comme l’expliquait M. le ministre, que les missions de Pôle emploi, qui se trouvent réorientées et renforcées, prennent en compte aujourd’hui de nombreuses actions menées par les maisons de l’emploi, qui sont très diverses, et dont les résultats sur le territoire sont loin d’être équivalents.

S’il est vrai que certaines d’entre elles fonctionnent bien et remplissent de vraies missions, d’autres les assurent moins bien. Compte tenu des éléments apportés par le Gouvernement et de l’expérience vécue sur le terrain, je demanderai donc, à titre personnel, le retrait de ces amendements. Sinon, mon avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur les maisons de l’emploi.

Pour faire un petit rappel historique en quelques mots : en 2005, sur l’initiative de M. Borloo, ces maisons de l’emploi étaient lancées. Malheureusement, après l’élection du Président de la République Nicolas Sarkozy, en 2007-2008, leur destruction a été engagée, concomitamment au rapprochement nécessaire – et que nous avons soutenu – de l’ANPE et des ASSEDIC. La fusion de ces dernières visait à constituer un pôle public, Pôle emploi, qui allait assumer une part des missions des maisons de l’emploi.

C’est ainsi que, de 2009 à 2012, les crédits alloués aux maisons de l’emploi ont connu une diminution, que vous avez dû voter, monsieur Delattre, de 40 %. Vérifiez, vous verrez que ce que je dis est exact. Il y a tout de même là une certaine contradiction : vous vouliez la disparition progressive des maisons de l’emploi et, maintenant, vous voulez les faire revivre !

Nous arrivons à maintenir pour 2015 ces crédits, à hauteur de 26 millions d’euros. L’année dernière, des maisons de l’emploi ont disparu sur le territoire – généralement, celles qui n’étaient pas aidées par les collectivités locales ! Car il existait aussi des maisons de l’emploi qui n’étaient pas aidées par les collectivités locales et l’on assistait d’ailleurs souvent à des compétitions entre élus à leur propos : tel conseil général les soutenait, tel autre refusait de le faire.

Bref, des maisons de l’emploi ont disparu, et nous stabilisons donc leurs crédits à 26 millions d’euros, une enveloppe qui leur permet aujourd’hui de fonctionner. C’est le même budget que l’an dernier ; il n’y a donc pas de variation dans la proposition du Gouvernement sur les crédits de fonctionnement. Il est vrai toutefois qu’un amendement parlementaire était venu, l’an dernier, abonder leurs crédits de 10 millions d’euros, crédits qu’elles pouvaient utiliser dans le cadre de la GPEC, par exemple.

Je propose cette année que les maisons de l’emploi qui auront de véritables projets – je reconnais que c’est le cas dans certains territoires – puissent faire appel autant que de besoin aux crédits de GPEC que nous avons inscrits au titre de l’accompagnement des mutations économiques. Nous sommes sûrs que ce besoin ne dépassera pas l’enveloppe de 10 millions d’euros, eu égard à l’expérience de l’an passé.

Je suggère donc de maintenir le budget tel qu’il est, et de vous donner l’assurance que les maisons de l’emploi auront un droit de tirage sur les crédits destinés à l’accompagnement des mutations, dès lors qu’elles en auraient besoin pour financer un projet apportant une véritable plus-value aux différents acteurs de leur territoire.

Je vous soumets aussi l’idée de confier une véritable mission d’inspection afin d’évaluer précisément l’action des maisons de l’emploi, et donc de compléter le bilan partiel qui, s’il était de qualité, avait abouti à un résultat quelque peu mitigé. Nous pourrions ainsi y voir plus clair, car, si certaines maisons de l’emploi fonctionnent incontestablement de manière satisfaisante – j’en connais ! –, d’autres sont déficientes et nombre d’entre elles ont même disparu.

Par conséquent, avec 26 millions d’euros de budget et la possibilité d’avoir accès aux crédits d’accompagnement des mutations économiques dans les mêmes proportions que l’an dernier, nous devrions nous en sortir.

Vous venez de retirer 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement au budget de l’emploi, monsieur le rapporteur général ; vous voulez à présent rajouter 10 millions d’euros… La comparaison me ferait presque sourire si vos propos, que j’ai écoutés avec intérêt, ne m’avaient quelque peu inquiété, monsieur de Montgolfier. Vous avez déclaré que ces 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement que vous avez supprimées ne représentent finalement que 675 millions d’euros en crédits de paiement. Si vous voulez véritablement réaliser 150 milliards d’euros d’économies sur les crédits de paiement pour 2015, je me demande bien dans quel état va finir le budget de la France ! (Sourires.)

Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote sur l’amendement n° II-12 rectifié quater.

Mme Catherine Procaccia. Je voudrais apporter deux précisions.

Monsieur le ministre, vous parlez de destruction des maisons de l’emploi en 2007 et 2008. À ce terme un peu excessif, je préfère celui de rationalisation. Nous avons effectivement voulu créer ce qui est ensuite devenu Pôle emploi en fusionnant l’UNEDIC et l’ANPE, à la suite d’une étude ayant démontré qu’un certain nombre de maisons de l’emploi ne fonctionnaient pas.

Comme je l’ai dit devant la commission des affaires sociales, j’approuve cette rationalisation concernant les maisons de l’emploi. Vous nous annoncez une vraie évaluation et une mission sur leur efficacité, en faisant référence à un rapport de l’un de nos collègues députés qui mettait en évidence que certaines d’entre elles ne fonctionnaient pas.

C’est la raison pour laquelle, pour une fois, je suivrai le Gouvernement et ne voterai pas ces amendements.

M. François Rebsamen, ministre. On voit que vous connaissez le dossier !

M. Roger Karoutchi. Aïe, aïe, aïe !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, j’ai tenu à vous alerter de l’inquiétude d’un certain nombre de maisons de l’emploi et, j’y insiste, de la formation. Il est vrai que certaines d’entre elles n’ont pas donné les résultats escomptés, comme l’a dit Mme Procaccia.

Je vous demande de bien vouloir repréciser que, dans le cadre actuel, les moyens futurs accordés aux maisons de l’emploi seront identiques à ceux de l’an passé, selon les mêmes modalités, c’est-à-dire que les possibilités d’y accéder ne seront pas réduites. Je veux parler de 26 millions d’euros pour le fonctionnement de ces maisons et de 10 millions d’euros qui seront ouverts à des projets.

Ces maisons de l’emploi sont pour nous extrêmement importantes. Le bassin d’emploi de l’agglomération de Cherbourg, par exemple, est en pleine restructuration. En outre, pour réorienter les emplois du futur, nous avons besoin de ces maisons de l’emploi, qui travaillent avec les entreprises, les enseignants, les organisations syndicales et patronales. Et il est absolument indispensable de garantir à ces structures une lisibilité à long terme.

Si vous nous assurez, monsieur le ministre, que les crédits de l’an passé, qui ont d’ailleurs été utilisés, ne diminueront pas, je vous fais confiance et je retire mon amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° II-87 rectifié est retiré.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Madame la présidente, je sais combien l’exercice auquel se livrent les présidents de séance durant l’examen du projet de loi de finances est difficile et complexe.

Je devine l’envie de chacun d’entre nous de prendre la parole pour explication de vote dans un débat sur la seconde partie du projet de loi de finances que nous n’avons pas eu depuis maintenant trois ans.

Certains de nos collègues n’ont peut-être pas l’expérience de ce temps contraint : c’est pourquoi je me permettrai, sans vouloir brimer personne, de rappeler que le temps affecté à la discussion de chaque mission est limité. Nos travaux concernant la présente mission auraient dû se terminer à douze heures quinze. Jusqu’à douze heures trente, il n’y aura pas d’incidence sur la discussion suivante, qui durera quarante-cinq minutes et pour laquelle M. le secrétaire d’État est présent. Si nos débats s’éternisaient, cela nous laisserait entrevoir la perspective de revenir un samedi matin pour terminer l’examen de certaines missions qui n’auraient pas été étudiées.

Le cadre de nos interventions est strict, mais il est le seul, me semble-t-il, qui permette l’examen de toutes les missions dans les meilleures conditions, en présence des ministres concernés.

À ce stade, il nous reste deux amendements à examiner. Si chacun s’appliquait à la plus grande concision, nous pourrions achever l’examen de cette mission à douze heures trente et ainsi éviter à nos collègues de siéger le samedi 6 décembre, puisque la séance de demain est déjà prévue.

Mme la présidente. Je ne peux que faire respecter le temps de parole des orateurs, mais je ne peux pas empêcher ceux de nos collègues qui le souhaitent de prendre la parole. À vous d’être concis, mes chers collègues !

La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Pour être concis, madame la présidente, je me contenterai de vous faire part de mon engagement très précis de mettre en place une mission d’inspection qui vise, en premier lieu, à mobiliser les financements communautaires dans le cadre de la nouvelle programmation du Fonds social européen, le FSE, jusqu’en 2020 – c’est très important –, et en second lieu, à soutenir collectivement les maisons de l’emploi, qui, au côté des acteurs du service public de l’emploi, proposeront des projets territoriaux utiles pour le développement de leur territoire.

M. Michel Delebarre. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.

Mme Françoise Laborde. Dans la mesure où le Gouvernement, par la voix de M. François Rebsamen, s’engage, et en dépit de tout ce que j’avais dit lors de la discussion générale, je pense que nous allons suivre le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.

M. Francis Delattre. Nous allons retirer notre amendement, monsieur le ministre, non parce que nous vous faisons confiance, mais en raison de la promesse de ce rapport. (Sourires.) Un ancien sénateur devenu ministre qui promet un rapport ne peut que nous donner les vraies informations ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Mme la présidente. L’amendement n° II-111 rectifié est retiré.

Madame Deromedi, l'amendement n° II-12 rectifié quater est-il maintenu ?

Mme Jacky Deromedi. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° II-12 rectifié quater est retiré.

L'amendement n° II-119, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Accès et retour à l’emploi

1 000 000

0

1 000 000

0

Accompagnement des mutations économiques et développement de l’emploi

0

1 000 000

0

1 000 000

Amélioration de la qualité de l’emploi et des relations du travail

0

0

0

0

Conception, gestion et évaluation des politiques de l’emploi et du travail

Dont Titre 2 

0

0

0

0

Total

1 000 000

1 000 000

1 000 000

1 000 000

Solde

 0

 

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. La réforme de l’insertion par l’activité économique, si elle est globalement saluée par les associations, fait naître des inquiétudes financières chez certains employeurs, car elle modifie le financement des structures d’insertion.

En effet, le basculement vers un contrat à durée déterminée d’insertion – CDDI – amélioré, institué par la réforme, remet en cause les exonérations dont certaines structures d’insertion par l’activité économique, ou SIAE, bénéficiaient au travers des contrats uniques d’insertion-contrats d’accompagnement dans l’emploi, les CUI-CAE, ce qui entraîne un surcoût difficile à supporter pour ce type de structures, et non couvert en totalité par l’aide au poste. Cette dernière comprend un volet forfaitaire de 19 500 euros et un volet modulable soumis à certains critères, dont des critères de résultat imposés par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, les DIRECCTE.

Cela est inquiétant, car dans le cadre de l’application du CDDI, plusieurs structures connaissent des difficultés financières. Elles subissent des pertes, et certaines d’entre elles risquent d’être contraintes de fermer à la fin de l’année, l’application du seul forfait de 19 500 euros ne leur permettant pas de couvrir la totalité de leurs frais. Il faudrait, pour cela, qu’elles puissent également prétendre à la part modulable, ce qui est vraiment incertain.

Il semble aujourd’hui souhaitable d’assurer un soutien plus important au secteur de l’insertion.

Cet amendement tend donc à revaloriser de 1 million d’euros la dotation prévue, afin d’anticiper les lacunes budgétaires que pourraient rencontrer certaines SIAE lors de la mise en place de la réforme. (M. André Gattolin applaudit.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Patriat, rapporteur spécial. Je demande à titre personnel à Jean Desessard de bien vouloir retirer son amendement, car un accroissement significatif des crédits alloués au dispositif, à hauteur de 18 millions d’euros, est déjà prévu pour cette année et pris en compte dans l’article 20 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Je connais bien ce dossier au titre des régions, puisque l’effort réalisé par les collectivités locales est important pour accompagner les postes et l’économie sociale et solidaire. Compte tenu des éléments budgétaires dont nous disposons, je demande à M. Desessard de bien vouloir retirer son amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Je fais la même demande à M. Desessard.

Nous avons déjà eu l’occasion, à l’Assemblée nationale, d’étudier le même type d’amendements. M. le rapporteur spécial vient de le dire, un effort de 40 millions d’euros supplémentaires a été consenti depuis 2012. J’ai réuni dernièrement le Conseil national de l’insertion par l’activité économique. L’ensemble des acteurs, ateliers et chantiers d’insertion comme entreprises d’insertion, se sont félicités de ce budget.

J’en prends ici l’engagement : il n’y aura aucun manque, sur aucun poste. La mobilisation du fonds départemental d’insertion, fixée à 20,8 millions d’euros, permettra d’apporter une aide ponctuelle à une structure qui, sans cela, se retrouverait en difficulté. C’est la réponse, je le crois, à la question que vous avez posée.

En résumé, l’aide au poste est effective aujourd’hui et permet une meilleure insertion dans l’emploi. Je le redis, l’ensemble des acteurs et le réseau Alerte, qui fait appel à ces fonds et à ces postes, étaient satisfaits de cette mesure.

Par conséquent, monsieur le sénateur, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la présidente. Monsieur Desessard, l'amendement n° II-119 est-il maintenu ?

M. Jean Desessard. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° II-119 est retiré.

Nous allons maintenant procéder au vote des crédits, modifiés, de la mission « Travail et emploi », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix les crédits de la mission, modifiés.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public par le groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 45 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 190
Contre 152

Le Sénat a adopté.

J’appelle en discussion les articles 62 et 63, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Travail et emploi ».

Travail et emploi

Etat B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Article 63 (nouveau)

Article 62

Il est institué, pour chaque année de 2015 à 2017, au bénéfice de l’Agence de services et de paiement mentionnée à l’article L. 313-1 du code rural et de la pêche maritime, une contribution annuelle de 29 millions d’euros à la charge de l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées mentionné à l’article L. 5214-1 du code du travail. Cette contribution est affectée par l’Agence de services et de paiement au financement des contrats uniques d’insertion et des emplois d’avenir mentionnés aux articles L. 5134-19-3 et 5134-110 du même code.

Il est institué à compter de 2015 et jusqu’en 2017, au bénéfice de l’Agence de services et de paiement mentionnée à l’article L. 313-1 du code rural et de la pêche maritime, une contribution annuelle de 29 millions d’euros à la charge du fonds d’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique mentionné à l’article L. 323-8-6-1 du code du travail. Cette contribution est affectée par l’Agence de services et de paiement au financement des aides financières versées pour les contrats uniques d’insertion et les emplois d’avenir mentionnés aux articles L. 5134-19-3 et L. 5134-110 du même code.

Elles sont versées en deux échéances semestrielles, la première avant le 1er juin et la seconde avant le 1er décembre.

Le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions relatifs à ces contributions sont régis par les règles applicables en matière de taxe sur les salaires.

Mme la présidente. L'amendement n° II-118, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1, seconde phrase

Après les mots :

et des emplois d’avenir

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

prioritairement en faveur des travailleurs handicapés mentionnés aux articles L. 5134-19-3 et 5134-110 du même code.

II. - Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

La contribution mentionnée au I est réalisée dans le périmètre de concours stabilisé en valeur.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Par cet article, le Gouvernement ponctionne de 29 millions d’euros les crédits de l’AGEFIPH, l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, pour reverser cette somme à l’ASP, l’Agence de services et de paiement, qui devra consacrer exclusivement ces fonds aux contrats aidés.

Les travailleurs handicapés ne représentent que 9,2 % des bénéficiaires de l’ensemble des contrats aidés, et cette mesure suscite une inquiétude dont je me fais le relais : que ces fonds ne soient pas employés au bénéfice de ces publics.

Le présent amendement tend à lever les doutes subsistant quant au fléchage de ces 29 millions d’euros. Nous devons être assurés que cette somme sera bel et bien prioritairement consacrée aux personnes en situation de handicap.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Patriat, rapporteur spécial. La commission n’a pas examiné cet amendement. Toutefois, d’après les éléments dont je dispose, il apparaît que des incertitudes juridiques en entoureraient la mise en œuvre. C’est pourquoi, à titre personnel, j’en demande le retrait.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Monsieur Desessard, je vous demande, moi aussi, de bien vouloir retirer votre amendement.

Vous avez tout à fait raison de vous préoccuper de cette question puisque, voilà quelques instants, le Sénat a voté la réduction de divers crédits bénéficiant à l’ensemble des contrats aidés, lesquels sont destinés aux publics les plus fragiles, et notamment aux travailleurs handicapés.

Cependant, il faut garder à l’esprit que près de 11 % des CAE, 8 % des CIE et 3 % des emplois d’avenir sont attribués à des travailleurs handicapés. Le nombre de ces contrats a beaucoup augmenté : il a été porté en tout à 50 000, pour un montant dépassant les 180 millions d’euros. Ces sommes dépassent de loin les ponctions opérées sur les crédits de l’AGEFIPH.

Au reste, comme je l’ai expliqué à la présidente de cette association, les sommes dont il s’agit relèvent d’une trésorerie dormante. Nous assurons 500 créations de postes pour les travailleurs handicapés au sein des entreprises adaptées, preuve parmi d’autres que nous accomplissons, dans ce budget, un effort important en leur faveur. L’AGEFIPH a bien compris l’intention du Gouvernement.

Je précise que cette disposition est appelée à être reconduite l’an prochain. (Mme Patricia Schillinger et M. Jean-Pierre Godefroy applaudissent.)

M. Michel Delebarre. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, malgré vos propos, j’éprouve les mêmes inquiétudes que M. Desessard.

Quant aux incertitudes juridiques, monsieur le rapporteur spécial, d’une manière générale, j’ai tendance à penser qu’elles peuvent être levées entre le premier examen d’un texte de loi et son vote définitif.

Cela étant, je profite de cette occasion pour attirer l’attention sur une autre disposition introduite par le Gouvernement à l’Assemblée nationale : elle permet de ponctionner, également à hauteur de 29 millions d’euros, les réserves d’une autre structure dédiée au handicap, le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique – FIPHFP.

M. François Rebsamen, ministre. Le motif est le même !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est la même raison !

Mme Catherine Procaccia. Les responsables du FIPHFP estiment que la contribution demandée représente près d’un quart de ses ressources annuelles. Selon eux, cette ponction conduirait à un assèchement de ses réserves dès 2017. Les dispositifs destinés à l’emploi et au maintien dans l’emploi des personnes handicapées au sein des trois fonctions publiques s’en trouveraient affectés.

Je rappelle que c’est l’État lui-même qui a validé les orientations du FIPHFP, il y a un an, en signant la nouvelle convention d’objectifs et de gestion, laquelle prévoit justement la mobilisation de ces réserves pour la période 2014-2018.

Pour ma part, je voterai l’amendement de M. Desessard si celui-ci le maintient.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.

M. Jean-Noël Cardoux. Une fois n’est pas coutume, cher collègue Desessard, votre amendement me convient et, à l’instar de Catherine Procaccia, je le voterai si vous décidez de le maintenir.

Monsieur le ministre, lors de l’audition que vous avez bien voulu accorder à la commission des affaires sociales, Mme Debré, qui préside nos débats ce matin, vous avait interrogé d’une manière extrêmement précise sur ce dossier. J’en conviens, notre réunion tirait alors à sa fin, mais la réponse très évasive que vous lui avez faite contrastait singulièrement avec toutes celles, très denses, que vous nous aviez apportées sur tous les points que nous avions précédemment abordés.

Je suppose que, si vous aviez entre-temps apporté à notre commission les garanties attendues quant à l’affectation de cette somme, notre collègue écologiste n’aurait pas été amené à déposer cet amendement. Il est donc logique qu’il l’ait présenté aujourd'hui.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je répète que les sommes en question sont prélevées sur des réserves dormantes, qu’il s’agisse de l’AGEFIPH ou du FIPHFP. Pour ce fonds, destiné à l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, les trésoreries dormantes atteignent quelque 394 millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable ! La ponction de 29 millions d’euros proposée par le Gouvernement permettra précisément d’activer ces réserves, et ce dans l’intérêt des travailleurs handicapés.

L’effort budgétaire qui est accompli sert, entre autres, à financer des contrats aidés, lesquels sont bien souvent critiqués à la droite de cet hémicycle. Au reste, madame Procaccia, monsieur Cardoux, si vous aviez poussé plus loin votre raisonnement, vous auriez sans doute défendu la suppression de l’ensemble des contrats aidés, à l’exception de ceux qui sont destinés aux personnes handicapées.

Mme Catherine Procaccia. Et au secteur marchand ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. François Rebsamen, ministre. Bien sûr !

Monsieur Desessard, je vous demande de nouveau de bien vouloir retirer cet amendement : vous vérifierez tous les chiffres disponibles sur ce sujet.

J’ajoute que, comme M. le rapporteur spécial l’a laissé entendre, la disposition que vous proposez créerait de sérieux problèmes juridiques, et c’est bien le fond du problème. L’ASP peine à flécher le financement de tel contrat aidé vers tel financeur. La difficulté de cet exercice complexifierait les circuits de gestion et alourdirait les coûts.

Cela étant, les travailleurs handicapés font l’objet d’un effort important, et c’est normal.

Mme la présidente. Monsieur Desessard, l’amendement n° II-118 est-il maintenu ?

M. Jean Desessard. Avant tout, je tiens à remercier Mme Procaccia et M. Cardoux du soutien qu’ils ont manifesté à cet amendement. Avec leur appui, je pourrais espérer le voir obtenir la majorité… Je m’en réjouis ! (Sourires.)

Néanmoins, après réflexion, ayant entendu les arguments de M. le rapporteur spécial et de M. le ministre, j’accepte de retirer cet amendement. (Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur spécial s’en félicitent.)

Malgré tout, monsieur le ministre, je formulerai un dernier vœu. Vous avez très bien répondu sur les deux amendements que j’ai déposés au titre de cette mission. Je serais heureux que vous puissiez faire de même au sujet de cette sorte de GPS pour la formation professionnelle que je vous ai proposé il y a quelques mois. Avec un tel outil, on pourrait voir comment faire face, dans la pratique, aux offres d’emplois non pourvues. Pourquoi ces postes ne trouvent-ils pas preneur ? Est-ce à cause des conditions de travail ? Est-ce du fait de carences de la formation professionnelle ? Le cas échéant, quel type de formation peut-on créer ?

Dans le même ordre d’idées, et dans la perspective d’une prochaine discussion, je vous pose cette question : pourquoi le site de Pôle emploi compte-t-il tant de demandes d’emploi émanant de maçons, y compris dans votre département, alors qu’on entend partout qu’il y a pénurie de maçons ? Il faudra m’expliquer pourquoi on voit sur le site de Pôle emploi tant d’annonces de maçons qui cherchent du travail mais, au même moment, paraît-il, on ne trouve pas de maçons !

Cela me fait penser à ces annonces de vente de voitures d’occasion qu’on voit chez le boulanger : quand on téléphone, on vous répond que le véhicule a été vendu il y a deux ans ! (Sourires.) S’agirait-il du même problème ? Est-ce que les annonces figurant sur le site de Pôle emploi remontent en fait à deux, trois ou quatre ans ? Si c’est le cas, il serait bon que Pôle emploi actualise les annonces… (M. André Gattolin applaudit.)

Mme la présidente. L’amendement n° II-118 est retiré.

Je mets aux voix l'article 62.

(L'article 62 est adopté.)

Article 62
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Etat D

Article 63 (nouveau)

I. – La section 1 du chapitre III du titre IV du livre II de la sixième partie du code du travail est complétée par un article L. 6243-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 6243-1-1. – La conclusion d’un contrat d’apprentissage dans une entreprise de moins de deux cent cinquante salariés ouvre droit, à l’issue de la période mentionnée au premier alinéa de l’article L. 6222-18, à une aide au recrutement des apprentis d’un montant qui ne peut pas être inférieur à 1 000 €.

« Cette aide est versée par la région ou par la collectivité territoriale de Corse dès lors que l’une des conditions suivantes est remplie :

« 1° L’entreprise justifie, à la date de conclusion de ce contrat, ne pas avoir employé d’apprentis en contrat d’apprentissage ou en période d’apprentissage depuis le 1er janvier de l’année précédente dans l’établissement du lieu de travail de l’apprenti ;

« 2° L’entreprise justifie, à la date de conclusion d’un nouveau contrat, employer dans le même établissement au moins un apprenti dont le contrat est en cours à l’issue de la période mentionnée au premier alinéa de l’article L. 6222-18. Le nombre de contrats en cours dans cet établissement après le recrutement de ce nouvel apprenti doit être supérieur au nombre de contrats en cours dans ce même établissement le 1er janvier de l’année de conclusion du nouveau contrat.

« À compter du 1er juillet 2015, l’entreprise doit également relever d’un accord de branche comportant des engagements en faveur de l’alternance. L’accord collectif comporte des engagements qualitatifs et quantitatifs en matière de développement de l’apprentissage, notamment des objectifs chiffrés en matière d’embauche d’apprentis.

« La région et la collectivité territoriale de Corse déterminent les modalités de versement. »

II. – L’aide mentionnée à l’article L. 6243-1-1 du code du travail est ouverte aux entreprises mentionnées au même article à compter de la date de promulgation de la présente loi, pour les contrats d’apprentissage conclus à compter du 1er juillet 2014.

III. – La prise en charge, par les régions et par la collectivité territoriale de Corse, de l’aide au recrutement des apprentis mentionnée audit article L. 6243-1-1 fait l’objet d’une compensation par l’État.

Le montant de cette compensation est déterminé chaque année en fonction du nombre d’aides versées par les régions entre le 1er juillet de l’année n-1 et le 30 juin de l’année n et sur la base de 1 000 € par contrat, pour les contrats d’apprentissage répondant aux conditions mentionnées au même article L. 6243-1-1. – (Adopté.)

compte d’affectation spéciale : financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage

Article 63 (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Conseil et contrôle de l'Etat (début)

Mme la présidente. Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage », figurant à l’état D.

État D

(en euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage

1 490 730 000

1 490 730 000

Répartition régionale de la ressource consacrée au développement de l’apprentissage

1 397 823 400

1 397 823 400

Correction financière des disparités régionales de taxe d’apprentissage et incitations au développement de l’apprentissage

92 906 600

92 906 600

 

Mme la présidente. Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix les crédits du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage ».

(Ces crédits sont adoptés.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Travail et emploi », ainsi que du compte d’affectation spéciale « Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage ».

(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Isabelle Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Conseil et contrôle de l’État

Etat D
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Conseil et contrôle de l'Etat (interruption de la discussion)

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, la mission « Conseil et contrôle de l’État » se décompose en quatre programmes, concernant respectivement le Conseil d’État et les autres juridictions administratives, la Cour des comptes et les autres juridictions financières, le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, et, depuis la loi de finances pour 2014, le Haut Conseil des finances publiques, le HCFP, dont la commission des finances a récemment eu le plaisir d’entendre le président.

L’enveloppe budgétaire de cette mission représente 636,2 millions d’euros, et progresse de moins de 1 % par rapport à 2014. Plus de 60 % de ses crédits sont consacrés à la justice administrative, contre près de 34 % aux juridictions financières. Le CESE et le HCFP ne représentent, respectivement, que 6 % et 0,1 % du total de la mission.

En raison de leurs spécificités, ces programmes sont préservés des contraintes habituelles de régulation budgétaire. Pour autant, ils concourent à l’effort budgétaire : en seconde délibération, l’Assemblée nationale en a réduit les crédits de 800 000 euros.

Les crédits du programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » augmentent de 2 % par rapport à 2014, pour s’établir à 383 millions d’euros en crédits de paiement.

Par ailleurs, 35 créations de postes sont prévues en 2015, au titre des 635 postes supplémentaires ouverts dans le domaine de la justice. Cet effort bénéficiera principalement aux tribunaux administratifs et au traitement du contentieux de l’asile. C’est essentiel – je parle sous le contrôle de Roger Karoutchi qui, chaque année, appelle notre attention sur ce sujet – si l’on veut respecter l’objectif prioritaire de réduction des délais de jugement.

On prévoit pour 2015 des délais moyens de dix mois, tant dans les tribunaux administratifs que dans les cours administratives d’appel. Cette ambition de stabiliser, voire de diminuer les délais de jugement, est d’autant plus remarquable que l’on observe une augmentation du nombre d’affaires enregistrées dans toutes les juridictions administratives. Cette progression s’est établie, pour les seuls tribunaux administratifs, à 15,6 % au premier semestre de 2014.

S’agissant plus particulièrement de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, dont le délai moyen de jugement a été diminué de moitié depuis 2009, elle s’est fixé pour 2015 l’objectif d’atteindre le délai, quasi incompressible, de six mois. On ne peut que s’en réjouir.

Le budget du Conseil économique, social et environnemental pour 2015 s’établit à 38,3 millions d’euros en crédits de paiement – dont 85 % de dépenses de personnel –, lesquels enregistrent ainsi une diminution de 0,6 % par rapport à 2014. Les crédits de fonctionnement, qui représentent 4,8 millions d’euros, diminuent de 1 %.

Le financement du programme pluriannuel d’investissement immobilier du palais d’Iéna est assuré en grande partie par les recettes de valorisation de ce patrimoine, qui proviennent en majorité du produit de la location du palais pour diverses manifestations, selon un schéma que l’on peut qualifier de vertueux.

L’année 2015 verra le renouvellement des membres du CESE, ce qui pourrait menacer l’équilibre précaire de sa caisse de retraites. C’est pourquoi le CESE a décidé de recourir à l’expertise de la Caisse des dépôts et consignations.

Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » est doté de 214 millions d’euros en crédits de paiement, ce qui représente une diminution de 1 % par rapport à 2014. Cette baisse s’observe sur les deux postes principaux de dépenses : les dépenses de personnel, qui constituent 87 % des crédits du programme, et les dépenses de fonctionnement, qui diminuent de près de 10 %.

Le coût de la réforme des juridictions financières, et plus particulièrement du regroupement de sept chambres régionales des comptes, a été revu à la baisse : la Cour des comptes l’estime désormais à 6,8 millions d’euros. Cette réforme doit permettre de réaliser, en 2015, près de 1 million d’euros d’économies en fonctionnement, somme redéployée au profit des dépenses d’investissement.

La Cour estime que d’ici à quatre ans, les coûts de la réforme, hors dépenses de personnel, auront ainsi été compensés par les économies réalisées.

Enfin les crédits du programme « Haut Conseil des finances publiques » s’établissent à 820 000 euros, dont 370 000 euros concernent les dépenses de personnel. À cet égard, il convient de relever que trois équivalents temps plein travaillé qui sont dévolus au HCFP.

Ce budget, certes modeste à l’échelle de la mission, devrait pour autant se révéler largement surcalibré puisqu’il est construit sur le même socle que le budget 2014, alors que le projet de décret d’avance examiné par la commission des finances le 24 novembre dernier prévoit l’annulation de 370 000 euros.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances propose au Sénat l’adoption des crédits de la mission.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Michel Delebarre, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cette année, pour la première fois, la commission des lois a examiné ensemble les crédits de deux des programmes de la mission « Conseil et contrôle de l’État » : « Conseil d’État et autres juridictions administratives» et « Cour des comptes et autres juridictions financières »

Ces deux programmes ont en commun de présenter une certaine stabilité, permettant aux juridictions administratives comme aux juridictions financières de disposer de conditions relativement favorables à l’accomplissement de leurs missions.

Dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, les crédits alloués pour 2015 au programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » sont en progression de 2,1 % en crédits de paiement et 35 emplois sont créés.

Les crédits du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » connaissent une légère diminution par rapport à l’an dernier – de 1 % –, en raison d’un ajustement technique. Quant aux moyens humains, ils s’établissent à un niveau constant par rapport aux exercices précédents.

D’un point de vue strictement budgétaire, donc, ces programmes ne soulèvent pas de difficultés particulières.

Toutefois, l’ensemble des personnes que j’ai pu rencontrer pour préparer cet avis m’ont signalé que cette situation satisfaisante était fragilisée par la forte pression contentieuse subie par les juridictions administratives, d’une part, et par la multiplication des missions confiées aux juridictions financières, d’autre part.

Depuis 2011, l’objectif de ramener à un an les délais de jugement devant l’ensemble des juridictions est atteint pour les juridictions administratives, tous types d’affaires confondues.

Cependant, je tiens à interroger le Gouvernement sur les raisons de la suppression de l’indicateur « délai moyen constaté pour les affaires ordinaires », qui était particulièrement pertinent puisqu’il présentait les délais de jugement des affaires, en dehors des procédures d’urgence et des procédures particulières.

Pour les affaires ordinaires, les délais de traitement s’établissent plutôt autour d’un an et dix mois devant les tribunaux administratifs et d’un an et deux ou trois mois devant les cours administratives d’appel et le Conseil d’État.

Pour permettre aux juridictions administratives de maintenir leur bon niveau de performance face à une pression contentieuse constante – le contentieux du droit au logement opposable et celui des étrangers ont progressé respectivement de 44 % et 25 % de 2010 à 2013 –, des réformes de procédure ont été mises en œuvre, comme la suppression de l’appel ou le recours au juge unique dans 60 % des affaires.

Si ces procédures de simplification contentieuse ont permis à la juridiction administrative de faire face à l’augmentation du contentieux et de réduire ses délais de jugement, on peine à mesurer leur impact sur la qualité de la justice rendue. En effet, certains contentieux, concernant en particulier les publics les plus fragiles – par exemple, les contentieux sociaux –, cumulent suppression de l’appel, règlement par juge unique et dispense de conclusions du rapporteur public.

Enfin, comme lors des deux exercices précédents, j’ai pu constater un véritable sentiment d’impuissance des magistrats face à des contentieux pour lesquels l’utilité de l’intervention du juge pose question. Je pense en particulier au droit au logement opposable, ou DALO. Le juge ne tranche aucune question de droit et il ne règle pas non plus la situation du justiciable, puisqu’il ne peut qu’enjoindre l’administration, sous astreinte, de délivrer un logement qu’elle n’a pas.

M. Michel Delebarre, rapporteur pour avis. Quant aux juridictions financières, elles ont vu leurs missions se multiplier au cours des dernières années. Par exemple, après la certification des comptes de l’État, de la sécurité sociale et des deux assemblées, le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de l’État, en cours d’examen au Sénat, prévoit l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales les plus importantes.

Pour préserver leurs performances satisfaisantes dans un contexte budgétaire contraint, les juridictions financières ont fait l’objet de réformes organisationnelles et de procédures. Ainsi, en 2012, la carte des juridictions a été réformée pour permettre le regroupement des chambres régionales des comptes, ou CRC, dont sept ont été fermées.

Si la période préparatoire de la réforme a été longue et difficile pour les personnels, sa mise en œuvre semble s’être finalement déroulée de manière relativement apaisée. Aujourd’hui, les juridictions regroupées fonctionnent de manière satisfaisante.

La réforme aurait donné une nouvelle dynamique aux juridictions financières : outre une nouvelle répartition et une requalification des effectifs en faveur de la fonction de contrôle, les regroupements semblent avoir permis des réorganisations, des économies d’échelle, une spécialisation dans certains domaines, une plus grande professionnalisation et des gains de productivité.

Mais, depuis la restructuration de la carte et compte tenu du contexte budgétaire contraint, les effectifs des juridictions ont été calculés au plus juste des besoins, au regard de leur programme de contrôle.

Je m’inquiète donc de voir certaines missions se développer. Je pense, par exemple, à la multiplication des formations inter-juridictions, constituées entre la Cour et des chambres régionales des comptes ou entre des chambres régionales. Certes, ces structures permettent aux juridictions financières de répondre dans un délai beaucoup plus court aux demandes d’enquête émanant du Parlement et du Gouvernement, qui concernent à la fois le champ de compétence de la Cour et celui des chambres régionales des comptes ; elles présentent également l’avantage de porter un regard transversal, là où les chambres régionales et territoriales des comptes ne peuvent avoir qu’une vision géographiquement limitée. Toutefois, une certaine prudence s’impose dans l’utilisation de cet outil : il ne faudrait pas que les travaux inter-juridictions se développent au détriment des missions de contrôle des chambres régionales des comptes.

Au bénéfice de ces observations, la commission des lois a donné un avis favorable sur l’adoption des crédits des programmes 164 et 165.

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des Présidents a fixé pour cette discussion à cinq minutes le temps de parole dont chaque groupe dispose et à trois minutes celui dont dispose la réunion des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.

Je rappelle également que l’intervention générale vaut explication de vote pour cette mission.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission dont nous examinons les crédits n’est certainement pas la mieux dotée du budget pour 2015, avec environ 687 millions d’euros de crédits répartis sur quatre programmes d’importance, le principal portant sur le fonctionnement des juridictions administratives.

L’enveloppe du programme 165, qui concerne ces juridictions, recouvre des réalités très différentes : aussi bien le Palais-Royal, qui héberge les services du Conseil d’État, que les juridictions administratives, qui doivent accomplir une mission complexe, au plus près de la mise en œuvre de textes législatifs et réglementaires.

Soulignons d’emblée que l’accroissement plutôt modeste des effectifs, dans le cadre plus général du renforcement des moyens de la justice, nous semble encore insuffisant pour faire face aux objectifs ambitieux que le Gouvernement entend fixer aux juridictions administratives. Le périmètre de leurs interventions s’est en effet élargi depuis quelques années, touchant notamment les domaines sensibles du droit au logement ou du droit d’asile. Ces deux sources de contentieux sont en effet au cœur de l’allongement constaté des délais de jugement. Vu le temps qui m’est imparti, je ne pourrai en dire plus, en cet instant, sur ces deux sujets, bien qu’ils tiennent à cœur ; l’examen de la mission suivante me donnera toutefois l’occasion d’évoquer notamment l'OFPRA l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Plus que d’économies plus ou moins arbitraires, la mission « Conseil et contrôle de l’État » a besoin d’une juste dépense, respectueuse des droits de la personne et efficace, tant l’intervention des juridictions administratives conditionne également le montant d’autres engagements publics, notamment en matière de santé, d’éducation ou encore de logement.

J’indiquerai en conclusion que les sénateurs du groupe CRC s’abstiendront sur les crédits de cette mission.

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente mission budgétaire traduit la mise en œuvre des priorités du Gouvernement et de sa majorité. En effet, dans un contexte de contraintes budgétaires, la justice continue de bénéficier, tout comme la sécurité et l’éducation, d’une attention particulière et de moyens supplémentaires.

Cela se traduit dans les chiffres puisque les crédits de paiement de la mission « Conseil et contrôle de l’État » connaîtront l’an prochain une hausse de l’ordre de 1 %. Il convient de souligner que 35 postes à temps plein seront créés dans les juridictions administratives. Ces nouveaux moyens humains ont notamment vocation à réduire les délais dans lesquels la justice administrative est rendue dans notre pays.

Relevons d’ailleurs que l’objectif fixé en 2011 de ramener en moyenne à un an les délais de jugement est aujourd’hui atteint : ils sont aujourd’hui en moyenne de dix mois pour les tribunaux administratifs et de huit mois et quinze jours pour le Conseil d’État.

Nous le savons, ces juridictions souffrent également de la multiplication des contentieux, notamment en ce qui concerne les droits des étrangers. Nous espérons que les projets de loi relatifs au droit d’asile et aux droits des étrangers permettront de limiter le nombre de recours contentieux et de juger plus rapidement les requêtes formulées devant les juridictions. Monsieur le secrétaire d’État, je forme le vœu que vous nous annonciez l’arrivée prochaine de ces textes devant le Parlement.

Les sénateurs socialistes ont à cœur, en dotant les juridictions administratives de moyens sanctuarisés, de veiller à ce que cet objectif de réduction des délais de l’office du juge ne se fasse pas aux dépens de la qualité de la justice rendue. Nous sommes donc vigilants sur ce budget mais, au vu de l’augmentation constante des contentieux, nous le serons plus encore à l’avenir, afin de nous assurer que les prochains exercices prendront en compte l’augmentation constante des contentieux, qui va inéluctablement contrarier les efforts entrepris pour garantir dans le temps les moyens alloués et permettre aux juridictions administratives de bien fonctionner.

Le juge financier a également vu le nombre de ses missions augmenter. Sa situation pourrait s’en trouver fragilisée, même s’il convient de noter que le regroupement des chambres régionales des comptes, qui anticipe en quelque sorte la réforme territoriale, porte ses fruits.

Ce budget est donc bon pour les juridictions administratives et les juridictions financières. Il conforte le discours du Gouvernement, qui inscrit la justice au cœur de l’action publique. Les sénateurs socialistes, satisfaits des crédits de cette mission, les voteront.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, je tiens avant tout à remercier l’ensemble des orateurs de leurs interventions constructives. Je me félicite que tous aient souligné la performance des quatre institutions dont les crédits sont retracés par la mission « Conseil et contrôle de l’État ». Par ailleurs, je me réjouis que cet effort ait été perçu par le rapporteur spécial, Albéric de Montgolfier, ainsi que par le rapporteur pour avis, Michel Delebarre, qui ont tous deux conclu leur propos en émettant un avis favorable sur l’adoption des crédits de la mission.

J’ai néanmoins compris que des interrogations subsistaient. Aussi vais-je tenter, dans le respect de l’indépendance des institutions mentionnées, d’y apporter des réponses aussi claires que possible.

S’agissant, tout d’abord, des juridictions administratives, plusieurs orateurs ont souligné que, en dépit des efforts de productivité réalisés depuis plusieurs années par tous leurs personnels de ces juridictions, la reprise à la hausse, depuis le début de l’année 2014, des contentieux de masse risquait, à terme, de provoquer une dégradation des délais de jugement. Le Gouvernement est pleinement conscient de ce problème et y a répondu de plusieurs manières.

En premier lieu, 35 postes seront créés en 2015 ; ils seront fléchés en priorité vers les tribunaux administratifs et la Cour nationale du droit d’asile. En outre, des procédures allégées, et donc plus rapides, ont été mises en place pour certains contentieux : le développement du juge unique, des ordonnances ainsi que la suppression de l’appel pour certains types de contentieux. Je m’associe pleinement aux propos du rapporteur pour avis, qui a rappelé que ces procédures devaient être réservées aux affaires les plus simples et qu’elles ne sauraient en aucun cas remettre en cause le droit des justiciables à voir leur recours jugé sérieusement et sereinement.

En second lieu, le Gouvernement tient à répondre au problème des contentieux de masse. Le plus important d’entre eux est le contentieux des étrangers, qui représente un tiers du « flux » des dossiers dans les tribunaux administratifs et 45 % dans les cours administratives d’appel, et qui a été complexifié par la loi de 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

Comme l’a souligné Philippe Kaltenbach, le projet de loi relatif à la réforme sur l’asile – je confirme qu’il sera bientôt inscrit à l’ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée – et le projet de loi relatif au droit des étrangers en France permettront de « soulager » le juge administratif.

Pour ce qui est des indicateurs de performance des juridictions administratives, je vous confirme que le Conseil d’État continue de calculer régulièrement le délai moyen de jugement des affaires ordinaires et qu’il est disposé à transmettre cette information aux parlementaires qui en feront la demande.

J’en viens maintenant au Conseil économique, social et environnemental.

La caisse de retraite de cette institution est, vous le savez, affectée par un déficit structurel, qui risque de devenir intenable avec le renouvellement prévu à la fin de l’année 2015. Grâce à l’appui de la Caisse des dépôts et consignations, qui a été chargée d’une mission sur le sujet, cette situation devrait être assainie dans de brefs délais. Je sais que les deux assemblées parlementaires seront particulièrement vigilantes et qu’elles examineront avec attention les conclusions de cette mission.

Plus généralement, je veux saluer les efforts de bonne gestion réalisés par le président Delevoye à la fois dans le domaine comptable et en matière de réduction des effectifs.

En ce qui concerne le budget de la Cour des comptes et des autres juridictions financières, certains d’entre vous ont fait valoir que la mise en place, au travers du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, d’une procédure d’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales sur cinq ans, placée sous le contrôle de la Cour des comptes, allait créer une charge de travail supplémentaire pour les personnels des chambres régionales des comptes.

Sur ce sujet, je tiens à vous assurer que le Gouvernement sera ouvert au débat lors de l’examen de ce texte par la Haute Assemblée, qui débutera dès le 16 décembre prochain. Il n’y a pas lieu de craindre cette innovation : elle est nécessaire dans une période où les deniers publics sont rares, et elle sera un facteur de plus grande sécurité juridique pour les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. Nous allons maintenant procéder à l’examen des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État », figurant à l’état B.

État B

(en euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Conseil et contrôle de l’État

638 965 133

636 182 295

Conseil d’État et autres juridictions administratives

387 102 980

382 985 142

Dont titre 2

318 675 333

318 675 333

Conseil économique, social et environnemental

38 254 998

38 259 998

Dont titre 2

32 594 998

32 594 998

Cour des comptes et autres juridictions financières

212 790 609

214 120 609

Dont titre 2

185 760 609

185 760 609

Haut Conseil des finances publiques

816 546

816 546

Dont titre 2

366 546

366 546

 

M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

Conseil et contrôle de l'Etat (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Discussion générale

3

Mise au point au sujet d’un vote

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Je souhaite faire une mise au point concernant le vote de mon collègue Robert Hue lors du scrutin public n° 42, qui a eu lieu hier, sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, que le Sénat examinait en nouvelle lecture.

L’analyse de ce scrutin public indique étrangement que Robert Hue n’a pas pris part au vote, alors qu’il souhaitait voter contre.

M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

4

Dépôt d'un document

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la convention entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations relative au programme d’investissements d’avenir, action « Nano 2017 ».

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission des affaires économiques.

5

Décision du Conseil constitutionnel sur deux questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 28 novembre 2014, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

– les impôts sur les sociétés - agrément ministériel autorisant le report de déficits non encore déduits (n° 2014-431 QPC) ;

– l’incompatibilité des fonctions de militaire en activité avec un mandat électif local (n° 2014-432 QPC).

Acte est donné de ces communications.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de Mme Isabelle Debré.)

PRÉSIDENCE DE Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

Conseil et contrôle de l'Etat (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Deuxième partie

Loi de finances pour 2015

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Immigration, asile et intégration

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l'Assemblée nationale.

Immigration, asile et intégration

Deuxième partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Etat B

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis un rapporteur spécial déçu, mécontent.

Pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, la France ne remplit pas – ou elle le remplit insuffisamment – le rôle particulier qu’elle doit jouer en matière de droit d’asile. Certes, le projet de loi relatif à la réforme de l’asile va nous être soumis et nous verrons alors les mesures qui nous seront proposées. Mais, d’un point de vue budgétaire, il faut à tout le moins que la République consacre un véritable budget à cette mission et ne soit pas dans le non-dit, sinon dans le mensonge.

Le projet de budget pour 2015, de même que le budget triennal 2015-2017, nous montre que, concernant le droit d’asile, la France ne se donne pas les moyens de le garantir, ou se les donne mal.

Elle ne se les donne pas parce que l’évolution prévisionnelle des dépenses, qu’il s’agisse des dépenses d’asile en 2015 ou de la quasi-stabilité des crédits d’ici à 2017, n’est pas réaliste.

Elle se les donne mal parce que l’allocation des crédits octroyés à l’asile et le renoncement budgétaire à la politique d’intégration témoignent d’une politique à l’envers : une politique qui accueille massivement et mal des étrangers qui, pour l’essentiel, n’ont pas vocation à rester en France et qui, pour les autres, ne seront pas correctement accompagnés vers l’intégration dans la société et la citoyenneté française.

Permettez-moi de décliner rapidement ce constat général en analysant les deux programmes de la mission.

Le programme 303, « Immigration et asile », est consacré à deux principales actions : Demande d’asile et Lutte contre l’immigration irrégulière.

Depuis 2008, les dépenses liées à l’asile ont connu une explosion : elles ont doublé en sept ans, sous l’effet de la hausse du nombre de demandes d’asile et de l’incapacité, partagée, je le reconnais, par tous les gouvernements qui se sont succédé, à engager les réformes nécessaires pour réduire l’attractivité de notre pays et accélérer l’examen des demandes.

Le système, engorgé, est à bout de souffle.

Toutefois, deux points me donnent satisfaction dans ce projet de budget.

Tout d’abord, je note une augmentation conséquente des moyens dévolus à l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; les embauches de personnel vont lui permettre de traiter les dossiers de manière un peu plus rapide.

Ensuite, je me félicite de la poursuite de la politique en faveur des centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA, avec 2 000 places supplémentaires en 2014, ce qui va dans le bon sens. Chaque fois que l’on met en place de tels centres, on peut réduire – ou on peut imaginer de le faire ! – à terme l’hébergement d’urgence, si tant est que l’on maîtrise les flux.

Toutefois, ces places supplémentaires ne suffisent pas. Il faudrait assurer une meilleure gestion des places attribuées, centraliser la répartition des demandeurs d’asile sur le territoire national et, enfin, fluidifier la sortie des déboutés du droit d’asile. Telle est l’orientation prise par le Gouvernement au travers de la réforme de l’asile, mais cela constituera, au niveau de la gestion, un important chantier pour l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration et ne sera pas sans susciter des résistances, notamment, monsieur le ministre, de la part des associations.

Les demandeurs d’asile qui ne peuvent être accueillis dans les CADA ont droit à la fois à l’hébergement d’urgence et à l’allocation temporaire d’attente, l’ATA. C’est sur ce point que portent mes critiques, et ce pour deux raisons.

Premièrement, ces deux postes, qui devaient être des variables d’ajustement par rapport aux CADA, sont devenus massifs : ils représentent, cette année, un coût cumulé de près de 300 millions d’euros, mes chers collègues, alors que ce ne devait être qu’une variable d’ajustement !

Deuxièmement, ces dispositifs, notamment l’allocation temporaire d’attente, ne sont pas financés à hauteur des besoins prévisionnels, ce qui pose un véritable problème de régularité eu égard à la LOLF. Ainsi, la ligne budgétaire de l’ATA passera de 180 millions d’euros en 2014 à 110 millions d’euros en 2015. Qui peut réellement croire que nous allons réduire cette allocation d’un tiers en un an ?

La réforme attendue de l’ATA, qui deviendra l’ADA, l’allocation pour demandeur d’asile, ne sera pas applicable avant juillet 2015, et elle n’est en rien susceptible de diminuer la dépense. Il y a manifestement là une sous-budgétisation du dispositif.

Les votes intervenus à l’Assemblée nationale pour réduire les crédits relatifs à l’asile renforcent d’ailleurs cette insincérité quant à l’asile et contredisent le financement de 500 places d’hébergement supplémentaires à Calais.

Je ne dirai qu’une chose du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française » : on a retiré à l’OFII la capacité de faire son métier ! En effet, de moins de moins de crédits sont octroyés à l’OFII. Il ne peut donc plus assurer les cours de français, d’instruction civique ou encore d’intégration aux primo-arrivants. Il n’a donc absolument plus aujourd'hui la capacité de remplir ses missions.

Le résultat est simple : on subit une massification des flux migratoires, on ne prépare pas les réfugiés à rester dans notre pays et, même si ceux-ci obtiennent le droit d’asile, on ne fait rien pour les intégrer, faute de budget.

Face à ces différents constats et, eu égard, notamment, à l’insincérité du budget, à la concentration des crédits et à la politique de la gestion des flux des demandeurs, qui ne s’attache pas à la réussite des parcours d’intégration des étrangers, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, de rejeter les crédits de la mission. (M. Aymeri de Montesquiou applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, rapporteur pour avis.

Mme Esther Benbassa, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’Assemblée nationale est saisie du projet de loi relatif à la réforme de l’asile, nous examinons, pour la quatrième année consécutive, les crédits consacrés à l’exercice du droit d’asile dans notre pays.

Dès lors, ces crédits se présentent comme un budget de transition, qui tente d’assurer la pérennité du financement de la politique d’asile, tout en anticipant la réforme. Il en résulte de nombreuses incertitudes, en particulier pour le secteur associatif.

En 2015, les crédits consacrés à l’exercice du droit d’asile augmenteront, selon les documents budgétaires, de 2,24 % par rapport aux crédits ouverts en 2014. L’augmentation de 6,7 millions d’euros du budget de l’OFPRA couvre les effets induits par la création de 55 postes d’agent instructeur supplémentaires en 2015.

Cette augmentation des effectifs a pour objet de réduire les délais de traitement des dossiers de demande d’asile, et ce afin de diminuer l’important stock actuel.

Dans le même temps, les crédits consacrés à la Cour nationale du droit d’asile augmenteront de près de 3 %. Cela correspond à l’affectation de neuf emplois supplémentaires pour cette année. Là aussi, l’objectif est de réduire au maximum les délais de jugement des recours.

Monsieur le ministre, la première question que je désire vous poser porte sur le contentieux de l’asile, dont le transfert aux juridictions de droit commun avait été envisagé, notamment dans le rapport de notre collègue Valérie Létard et du député Jean-Louis Touraine. Pour l’heure, ce projet semble écarté de la réforme de l’asile en cours d’examen à l’Assemblée nationale, ce dont nous nous réjouissons. Pouvez-vous nous garantir que la CNDA sera bien maintenue ?

En ce qui concerne les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, la commission des lois a régulièrement salué les efforts de sincérité budgétaire accomplis depuis 2012, mais, cette fois, elle ne peut que regretter le manque de réalisme des prévisions présentées par le Gouvernement au regard de l’exécution des précédents exercices. Je pense en particulier à l’allocation temporaire d’attente, déjà sous-budgétée les années passées, dont les crédits, fixés à 110 millions d’euros, sont réduits de 25 millions d’euros supplémentaires.

En vérité, monsieur le ministre, nous trouvons vos prévisions non seulement irréalistes, mais aussi quelque peu incohérentes.

Les crédits destinés au financement des centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA, continueront de croître l’année prochaine : ils augmenteront de 7 millions d’euros pour atteindre 220,8 millions d’euros. Toutefois, rien n’est prévu dans le projet de loi de finances en ce qui concerne le nombre de places au sein de ces centres. Or le parc comptera 25 689 places à la fin de cette année, ce qui reste insuffisant ; je vous rappelle que les inspections générales des finances, des affaires sociales et de l’administration, dans leur rapport d’avril 2013, ont fixé l’objectif de 35 000 places à l’horizon 2019.

D’où, monsieur le ministre, ma seconde question. Vous nous avez annoncé, lors de votre audition par notre commission, que vous envisagiez la création de 5 000 places en CADA en 2015, notamment par la transformation des places d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, et aussi grâce aux économies liées à la réforme. Êtes-vous certain que cet effort suffira et pouvez-vous nous indiquer un calendrier pour ces créations de places ?

Nous espérons, monsieur le ministre, que vos réponses viendront lever les doutes qui subsistent dans nos esprits.

En dépit des réserves que je viens de formuler, la commission des lois s’est prononcée en faveur de l’adoption des crédits consacrés à l’asile. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je présenterai quelques observations tirées de l’avis budgétaire adopté par la commission des lois, qui traite des aspects financiers, mais s’intéresse aussi à certains aspects des politiques menées. J’insisterai sur la stabilisation des crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière, avant de mettre ce budget dans la perspective d’une réforme de la politique d’accueil et d’intégration.

Les crédits dont l’examen pour avis m’a été confié, c’est-à-dire ceux qui ne se rapportent pas à l’action n° 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, du programme 303, « Immigration et asile », dont l’analyse a été confiée par notre commission à Mme Esther Benbassa, se montent à 146,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 156,4 millions d’euros en crédits de paiement ; ces montants font apparaître respectivement une diminution de 2,7 millions et de 3,9 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts pour l’année en cours.

Les principes qui ont guidé l’élaboration du budget de cette mission pour 2015 s’inspirent de ceux suivis l’année dernière : la légère augmentation des crédits affectés à l’asile est compensée par une diminution des crédits consacrés à l’immigration, notamment de ceux alloués au programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », qui concerne en particulier les étrangers primo-arrivants.

Il faut reconnaître que le programme 303, « Immigration et asile », quant à lui, bénéficie d’une stabilisation de ses crédits. Il comprend notamment l’action n° 3, Lutte contre l’immigration irrégulière, une action extrêmement importante à laquelle sont alloués 63,6 millions d’euros en autorisations d’engagement et 73,8 millions d’euros en crédits de paiement.

La commission des lois estime qu’il convient de poursuivre la rationalisation de la gestion des centres de rétention administrative. Les travaux du centre de Mayotte avancent, mais ceux du centre de Coquelles ont pris un peu de retard. Nous attendons les résultats des enquêtes menées par les différents services pour déterminer précisément les actions à mener.

Je tiens à attirer votre attention sur un phénomène qui n’est pas strictement d’ordre financier, mais qui devrait avoir des conséquences budgétaires : nos centres de rétention administrative sont peu occupés – le taux d’occupation n’a atteint que 48 % en 2013 –, ce qui rend une réorganisation absolument nécessaire.

J’ajoute que les salles d’audience délocalisées créées à proximité de ces centres sont peu utilisées, au point que trois seulement fonctionnent vraiment. Il est possible que des économies puissent être réalisées de ce côté-là. En tout cas, je constate que le projet de loi de finances ne prévoit la création d’aucune salle supplémentaire.

J’en viens à ma seconde série d’observations, destinées à montrer que ce budget est en attente de la réforme à venir des politiques d’immigration et d’accueil.

La commission des lois a constaté que la structure de l’immigration légale ne faisait apparaître aucun changement majeur. Mon rapport comporte des données chiffrées relatives aux vingt principaux pays d’origine, dont proviennent 151 711 personnes sur un total de 213 253. En tête des pays d’origine, on trouve toujours les pays du Maghreb et la Chine. On constate seulement quelques changements mineurs en ce qui concerne l’immigration économique, sans incidence sur les structures fondamentales.

En revanche, des évolutions se sont produites pour ce qui est de l’obtention des titres de séjour. À cet égard, nous attendons beaucoup de la future carte pluriannuelle de séjour, dont les étrangers ne pourront bénéficier que s’ils respectent le contrat d’accueil et d’intégration, le CAI ; nous en parlerons lors de la discussion du projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Si le CAI est satisfaisant dans son principe, il l’est moins dans ses modalités : il fait l’objet de nombreuses critiques, qui visent en particulier le niveau de langue exigé, mais aussi la formation civique.

Ce contrat doit d’autant plus être réformé que le dispositif actuel est un peu coûteux, puisque les diverses formations dispensées au titre de l’intégration ont représenté en 2013 une dépense de près de 50 millions d’euros.

Enfin, comme M. Karoutchi l’a signalé au nom de la commission des finances, une interrogation entoure le financement de l’OFII, dont le budget ne tient pas compte des missions nouvelles qui lui sont confiées, en particulier dans le domaine de l’asile. Le montant total des ressources de l’OFII s’est élevé à 172,7 millions d’euros en 2013, contre 178,7 millions d’euros en 2012.

La commission des lois partage les inquiétudes que M. le rapporteur spécial de la commission des finances vient d’exprimer à l’égard de cet organisme, qui joue un rôle important pour assurer la qualité de l’accueil des migrants et de l’appréciation de ceux qui viennent sur notre territoire. Nous craignons que les crédits qui lui sont alloués ne soient pas à la mesure de ses missions.

Telles sont, mes chers collègues, les observations que je souhaitais porter à votre connaissance dans le temps qui m’était imparti.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes. Je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir respecter le temps de parole qui vous est attribué.

Par ailleurs, monsieur le ministre, le Gouvernement dispose d’un temps d’intervention total de quinze minutes.

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de s’en tenir à moins de dix minutes sur de tels sujets ! Je vais néanmoins m’y efforcer.

Nous débattons des crédits des programmes 303, « Immigration et asile », et 104, « Intégration et accès à la nationalité française ». Je traiterai pour l’essentiel de l’asile, compte tenu de la réforme importante qui est en cours dans ce domaine.

L’asile relève de l’exercice d’un droit fondé sur la convention de Genève. Le projet de loi que l’Assemblée nationale examine actuellement est le fruit des ambitions de notre pays et de plusieurs directives européennes relatives à des procédures communes aux États membres de l’Union européenne dans ce domaine. La future réforme se traduit déjà dans les crédits soumis à notre examen cet après-midi.

À titre préalable, je tiens à faire observer que, malgré tout ce qu’on peut dire de sa situation, la France reste attractive en matière d’immigration et d’asile. Cette réalité mérite d’être soulignée et devrait nous donner des raisons d’espérer en notre pays, puisque d’autres espèrent en lui !

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! On dit tellement souvent le contraire !

M. Jean-Yves Leconte. La réforme de l’asile, qui aboutira l’année prochaine, sert deux objectifs : offrir de nouvelles garanties procédurales aux demandeurs d’asile par la transposition des directives européennes et raccourcir les délais. Ces deux objectifs ne sont pas antinomiques, au contraire : si l’octroi de nouvelles garanties permet d’analyser au fond un plus grand nombre de demandes en première instance, les délais pourront être raccourcis.

Cette réforme fondamentale comporte deux nouveautés : les demandeurs d’asile seront répartis sur l’ensemble du territoire grâce à une gestion centralisée des CADA et une place centrale sera donnée à l’OFII, chargé du premier accueil des demandeurs d’asile.

Globalement, dans l’Union européenne, les demandes d’asile ont explosé au cours de cette année ; il n’en a pas été de même en France, en dépit de l’attractivité que je viens de signaler. En 2008, 42 000 demandes ont été déposées en France, et 28 000 en Allemagne ; cette année, nous en aurons probablement reçu 60 000, tandis que, selon l’édition d’hier du journal Le Monde, l’Allemagne en a reçu 158 000 rien que sur les dix premiers mois de l’année.

Il convient donc de faire preuve de prudence dans l’examen des crédits consacrés à l’asile : les moyens alloués à l’OFPRA doivent être regardés comme absolument indispensables, compte tenu de l’accroissement des demandes qui se produit chez nos voisins et qui pourrait également nous concerner.

C’est en faveur de l’OFPRA, qui a accompli un travail remarquable ces derniers temps, qu’il était essentiel de consentir des efforts budgétaires importants. Ces efforts sont au rendez-vous puisque l’organisme bénéficiera en 2015 de 55 nouveaux équivalents temps plein, destinés principalement au recrutement d’officiers de protection, titulaires, de surcroît. Au total, les moyens de l’OFPRA passeront de 40 millions d’euros environ à 46 millions d’euros. Cet effort important était indispensable, à la fois pour accélérer le traitement des demandes et pour assurer le respect des directives européennes, qui offrent de nouvelles garanties aux demandeurs d’asile.

Grâce au travail de l’OFPRA, plus d’accords sont donnés en première instance. Il faut dire que la situation était jusqu’à présent proprement aberrante : c’était la CNDA, et non l’OFPRA, qui accordait le plus grand nombre de protections. Or la proportion de protections accordées par l’OFPRA est passée de 9,4 % à 15 % entre 2012 et 1014.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Jean-Yves Leconte. C’est la preuve que, au cours des deux dernières années, l’OFPRA a amélioré la qualité de ses analyses, permettant à un plus grand nombre de demandeurs d’asile d’obtenir une protection plus rapidement.

La CNDA, dont le budget s’élève à 22 millions d’euros, n’entre pas dans le champ du programme 303, mais elle sera également touchée par la future réforme. Elle bénéficiera de moyens complémentaires, qui lui seront indispensables pour traiter les demandes que l’OFPRA lui transmettra désormais plus rapidement.

Quant à l’OFII, il voit son rôle réaffirmé et élargi à l’accueil des demandeurs d’asile. Seulement, je vous rappelle que son budget provient à 84 % de taxes et droits de timbre acquittés par les étrangers – 15 % de ses ressources sont issues d’un fonds de concours européen –, pour un montant total de 144 millions d’euros. Faire financer l’accueil des demandeurs d’asile par les étrangers qui arrivent sur notre sol est peut-être politiquement habile, mais moralement discutable ; idéalement, en effet, il ne devrait pas y avoir de lien entre le fait de présenter une demande et celui d’acquitter une taxe.

Autant, donc, l’augmentation importante du budget de l’OFPRA est indispensable compte tenu des directives européennes, autant on peut s’interroger sur les moyens donnés à l’OFII pour faire face à ses nouvelles responsabilités.

Il est bien évident que, si nous voulons pouvoir signifier aux personnes déboutées qu’elles doivent repartir, il ne faut pas qu’elles restent trois ans dans notre pays ! C’est pourquoi il est nécessaire de raccourcir le délai d’instruction d’une demande d’asile – non pas seulement le délai de traitement par l’OFPRA et la CNDA, mais l’ensemble de la procédure.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Yves Leconte. En particulier, les demandes doivent être enregistrées dès que possible, et pas après deux ou trois mois.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Jean-Yves Leconte. Comment, en effet, demander à une personne de quitter notre sol si elle y a pris des habitudes pendant deux ou trois ans ? La décision doit être prise rapidement !

C’est pourquoi, si l’objectif de réduire à trois mois les délais de l’OFPRA et à six mois ceux de la CNDA est légitime, il est important de raccourcir également le délai en amont, c'est-à-dire celui qui concerne les préfectures. Faute de délais convenables, la situation faite aux demandeurs d’asile déboutés est inhumaine et leur retour devient beaucoup plus problématique.

Et cela a un coût élevé pour nous. Je rappelle en effet que le budget de l’OFPRA représente ce que coûtent en un seul mois les CADA, les hébergements d’urgence et l’ATA. Mieux vaut donc un OFPRA qui travaille vite et bien que des délais qui s’allongent !

Vous avez dit que le budget de l’hébergement était insincère, monsieur Karoutchi – même si l’on note une progression significative pour les CADA –, mais il n’y a jamais eu de budget véritablement sincère dans ce domaine. La sincérité d’un budget se vérifie après coup. De ce point de vue, les pires budgets ont été ceux de 2009, 2010 et 2011.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Non, ce sera celui de 2015 !

M. Jean-Yves Leconte. Ces budgets se caractérisaient par des reports systématiques sur l’année suivante. Cette année, pour la première fois, des moyens supplémentaires sont octroyés à l’OFPRA. Laissez-nous donc vous montrer que cela peut marcher !

Toutefois, je pense comme vous que nous avons effectivement été très optimistes concernant l’hébergement d’urgence. Mais il y a toujours eu des dépassements, les plus importants ayant eu lieu en 2009, en 2010 et en 2011, comme vous le relevez d’ailleurs vous-même dans votre rapport, où vous faites preuve d’une grande objectivité.

Sachant que les premiers pays d’origine des demandeurs d’asile sont la République démocratique du Congo, le Kosovo, l’Albanie, le Bangladesh et la Russie, on est en droit de se poser quelques questions. Quand on pense à la corne de l’Afrique, à la Syrie et à l’Irak, on se demande si la France accueille bien tous les demandeurs d’asile qui mériteraient d’être reçus sur son territoire. Nous savons que l’Allemagne, elle, fait face à de très nombreux demandeurs d’asile venant de Syrie et d’Irak.

Je tiens toutefois à saluer le travail essentiel qu’accomplissent nos consulats à Istanbul, à Amman, à Beyrouth, à Ankara et à Erbil.

M. Jean-Yves Leconte. Ce sont eux qui étudient les demandes d’asile et octroient les visas au titre de l’asile.

Je suggère d’ailleurs que la demande de visa soit instruite par l’OFPRA et non plus par le ministère de l’intérieur, afin de donner une plus grande cohérence à l’ensemble de notre dispositif.

M. Richard Yung. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas en créant les conditions d’une embolie du système pour dissuader les demandeurs que les choses marcheront mieux ! C’est la politique qui a été menée durant cinq ans, entre 2007 et 2012. Or elle a coûté très cher d’un point de vue humain et financier. On parle d’un « stock de 26 000 demandes d’asile », mais je rappelle qu’il s’agit d’êtres humains ! Et les prestations représentent plus de 100 millions d’euros par an.

Cette réforme est donc indispensable. Nous pouvons espérer que, compte tenu des moyens octroyés à l’OFPRA et à la CNDA, elle sera une réussite.

Le temps m’étant compté, je serai bref sur les questions d’immigration.

Je demande simplement que notre pays réfléchisse à sa stratégie d’insertion des populations de l’Union européenne d’origine rom. Il doit veiller à avoir les moyens d’assurer leur intégration au sein de l’Union européenne.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, monsieur Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Eh bien, en conclusion, je rappellerai que nous discutons ici non pas simplement d’un budget, mais aussi des moyens de respecter la personne humaine et sa dignité, qu’il s’agisse d’un migrant ou d’un demandeur d’asile, et de tenir compte de la diversité du monde. C’est indispensable !

Nous assistons tous les jours à des drames. Nous ne pouvons pas accepter que la Méditerranée, berceau de notre civilisation, soit aujourd'hui le tombeau de milliers de nos frères humains, qui méritent tous le respect. La France doit se donner les moyens de lutter contre cela. Tel est l’enjeu de ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2015, les dotations globales de la mission « Immigration, asile et intégration » augmenteront de 1,5 % par rapport à 2014.

Dans le contexte de réduction drastique des dépenses publiques imposée par le Gouvernement, devons-nous nous féliciter de cette légère hausse ?

Comme vous le savez, les besoins dans ces domaines sont importants. Comme vous le savez également, les associations d’aide aux migrants constatent toujours et encore le recours massif à la rétention administrative, ainsi que la présence de trop nombreux enfants dans les centres de rétention. En outre, certains centres de rétention sont dans un état déplorable.

Le nombre croissant de migrants retenus témoigne de la persistance d’une politique d’enfermement, politique à laquelle je n’adhère pas, et qui s’inscrit d’ailleurs dans une logique européenne puisque le record du placement en rétention de citoyens européens a été battu en 2013.

Par ailleurs, le nombre de retours forcés a également augmenté, atteignant 44 458 personnes en 2013 contre 38 652 en 2012. Le nombre de personnes éloignées, via le dispositif d’aide au retour, a quant à lui fortement chuté. Ces chiffres révèlent des pratiques qui ne servent nullement les buts politiques affichés !

La mise en œuvre de cette politique prive les personnes éloignées d’un accès effectif à la justice et du contrôle du juge judiciaire, dans une proportion de 54 % en métropole et de 99 % outre-mer. Pourtant, lorsqu’elles ont la possibilité de défendre leurs droits, 27 % des personnes enfermées sont libérées par un juge. Dès lors, on ne peut manquer de s’interroger sur la légalité des procédures.

S’agissant de la situation des Roms, je rappellerai simplement que les évacuations de campements se poursuivent, sans qu’aucune solution pérenne soit trouvée ; je suis bien placée pour le savoir, moi qui vis dans le département de Seine-Saint-Denis, fortement concerné par ce problème.

J’ajoute que les mesures de relogement durable et de soutien social prévues dans la circulaire du 26 août 2012 ne sont pas appliquées dans un certain nombre de villes.

Aussi, monsieur le ministre, permettez-moi de douter de la sincérité des propos tenus lors de l’examen de ce budget à l’Assemblée nationale par la secrétaire d’état chargée des droits des femmes, qui est intervenue à votre place. Elle a déclaré que la mission « Immigration, asile et intégration » restait au cœur des priorités du Gouvernement. On peut faire plusieurs lectures de ces propos…

Des données statistiques tirées du rapport sur les centres et locaux de rétention administrative, rédigé par des associations intervenant dans ces centres, témoignent de la poursuite d’une politique du chiffre qui n’est pas assumée et de préoccupations de gestion des flux, que l’on avait senties en arrière-plan de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, adoptée il y a peu.

On constate donc que la politique menée aujourd'hui en matière d’immigration n’est pas nettement différente de la précédente, encore marquée qu’elle est du sceau de la stigmatisation des étrangers.

Le Gouvernement a mis en avant trois priorités : des conditions d’accueil et de séjour clarifiées, harmonisées et simplifiées, pour une meilleure intégration des étrangers ayant vocation à nous rejoindre ; le renforcement de notre attractivité pour les migrations de l’excellence, de la connaissance et du savoir ; la lutte déterminée contre l’immigration irrégulière et les filières.

Sincèrement, je ne vois pas comment le premier objectif pourrait être atteint alors que l’accueil et les crédits d’hébergement d’urgence sont inférieurs de 17,5 millions d’euros aux dépenses enregistrées en 2013, que l’allocation temporaire d’attente est également sous-dotée de plusieurs millions d’euros par rapport à 2013, que les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ne connaîtront pas de nouvelles ouvertures de places en 2015 et que leur coût unitaire subira une nouvelle baisse de 2 %.

Je ne vois pas non plus comment ce budget pourrait favoriser l’intégration et la diversité quand le programme « Intégration et accès à la nationalité française » supporte encore une fois l’essentiel des économies.

Cette diminution des moyens ne favorisera pas l’insertion linguistique, culturelle et professionnelle des personnes étrangères dans notre société.

De même, l’Office français de l’immigration et de l’intégration sera encore une fois sous-doté, alors que le périmètre de cet organisme est plus important.

Le seul élément qui peut être salué est la budgétisation de 55 postes supplémentaires de fonctionnaires à l’OFPRA et de 9 postes à la Cour nationale du droit d’asile afin de parvenir à réduire les délais des procédures d’asile.

Je tiens à rappeler à certains de mes collègues ici présents qu’il n’existe pas de brochure d’information publique largement diffusée en Érythrée, au Soudan ou en Libye, vantant les mérites des systèmes sociaux des pays européens et invitant les jeunes ressortissants de ces pays, les femmes et les hommes emportés dans le grand tourbillon des guerres civiles, à venir en Europe, en particulier en France, pour échapper au sort funeste qui pourrait les attendre.

Il y a aujourd’hui, malheureusement, des zones de conflits et de massacres dans le monde, que tentent de fuir plusieurs milliers de personnes, victimes d’enjeux politiques qui les dépassent parfois et de persécutions diverses.

Nous devons évidemment soutien et solidarité aux chrétiens d’Irak et de Syrie quand ils sont menacés, comme à tous ceux qui, sur la planète, subissent le même type d’agression.

Que, dans ce contexte, l’OFPRA ait une activité importante qui, dans bien des cas, se termine par des recours devant les juridictions administratives et la CNDA ne doit pas nous surprendre outre mesure.

Abréger les délais de rendu des décisions est donc utile, mais cela doit se faire dans le respect du droit des individus à être correctement défendus et à voir leur situation examinée avec la plus grande objectivité.

Je reconnais qu’un effort est fait, monsieur le ministre, mais il ne suffit pas. Aussi, vous l’aurez compris, le groupe CRC ne pourra pas voter le budget de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, immigration, asile, intégration : trois mots pour un seul sujet, aujourd’hui essentiel à plusieurs titres, notamment à la préservation de notre pacte républicain.

Dans un monde où la mondialisation induit à la fois des inégalités de développement importantes et des flux migratoires facilités, la question de l’immigration soulève aussi la problématique de la traite des êtres humains et des réseaux organisés.

Les images récurrentes de l’afflux de migrants à Calais, de la situation sur l’île de Lampedusa, sont un reflet parmi d’autres du drame humain qui se joue derrière ces mots. Je rappelle que 2 900 migrants sont décédés en essayant de franchir la Méditerranée depuis le début de l’année, soit quatre fois plus qu’en 2013, année qui avait déjà vu 700 personnes perdre la vie.

Ces problématiques me sont particulièrement familières. En effet, l’île de Saint-Martin a vu sa population pratiquement tripler au cours des deux dernières décennies. Le phénomène migratoire y est important, car l’île est attractive, notamment en raison du faible contrôle de la frontière entre les parties française et néerlandaise et des différentes législations régissant ces deux territoires.

Du côté français, l’accroissement incontrôlé de la population entraîne de nombreux problèmes en termes socio-économiques, éducatifs et de santé et pèse sur les finances de la collectivité. Par exemple, les enfants doivent être scolarisés, les familles doivent être logées et les immigrants doivent bénéficier d’un système de soin.

Les chiffres sont rares en raison du caractère illégal et informel des activités économiques, j’en citerai quelques-uns qui me semblent tout à fait révélateurs des difficultés soulevées.

En 1984, l’île comptait 8 000 habitants ; en 2014, elle en compte plus de 36 000.

Le conseil général servait 300 000 euros de RMI en 1998 ; le RSA représente aujourd'hui plus de 15 millions d’euros par an.

Enfin, nous accusons une dette de 30 millions d’euros envers la caisse d’allocations familiales.

Il serait essentiel qu’une véritable politique de coopération transfrontalière soit mise en place, mais, pour cela, il nous faut des moyens.

Bien sûr, je n’ignore pas que ce phénomène se retrouve dans d’autres territoires ultramarins de la République, particulièrement la Guyane et Mayotte

Mais je referme cette parenthèse, pour revenir au plan national.

La France, tout comme les autres pays de l’Union européenne, a été une terre d’accueil pour nombre de personnes sollicitant le droit d’asile à la suite des événements géopolitiques mondiaux. Par ce rappel, je veux notamment souligner l’importance et le poids que revêtent ces mots, « immigration », « asile » et « intégration », et affirmer la nécessité de leur donner une traduction concrète en termes de moyens budgétaires.

Le groupe du RDSE constate avec satisfaction les efforts budgétaires qui sont réalisés : le budget pour 2015 bénéficiera ainsi d’une légère hausse de 43 millions d’euros, avant transferts, par rapport à la loi de finances de 2014 ; c’est un effort appréciable dans le contexte budgétaire contraint qui est le nôtre.

Les trois grands axes d’action de la mission « Immigration, asile et intégration » recueillent également notre approbation.

Premièrement, la maîtrise des flux migratoires est l’enjeu primordial d’une politique d’immigration équilibrée et efficace. À ce titre, nous saluons la hausse des crédits du programme 303, qui, représentant 91 % des crédits de la mission, financeront la politique d’immigration et d’asile : par rapport à 2014, en effet, les autorisations d’engagement et les crédits de paiement augmentent respectivement de 10 millions d’euros et de 9 millions d’euros.

La baisse de 110 millions d’euros de la dotation de l’allocation temporaire d’attente est le reflet de la réforme du droit d’asile, qui doit être examinée par notre assemblée dans les prochains mois.

L’immigration recouvre d’innombrables réalités : l’étudiant étranger, le demandeur d’asile, les victimes de passeurs… Lutter contre les flux migratoires irréguliers, c’est aussi garantir l’exercice effectif du droit d’asile et la qualité de l’accueil de notre pays.

Deuxièmement, la garantie du droit d’asile, qui est inscrit dans l’histoire française depuis bien longtemps, est aujourd’hui menacée par l’engorgement du système d’asile et des délais de traitement considérables. Il y a encore peu, le délai moyen de traitement d’un dossier était de seize mois et demi, ce qui représente un coût à la fois financier et humain. Ce coût est d’ailleurs bien connu : c’est celui des centres de rétention administrative, des frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière ou encore de l’allocation temporaire d’attente…

Ces difficultés se sont traduites par un accroissement notable des dépenses du programme 303, dont les crédits sont passés de 340 millions d’euros en 2008 à plus de 600 millions d’euros en 2014. Cette année, les moyens mis en œuvre ont permis à l’OFPRA de réduire le nombre des dossiers en souffrance. Néanmoins, le délai moyen de traitement demeure de sept mois.

Troisièmement, la mission comprend un programme relatif à l’intégration des personnes immigrées. Comme chacun le sait, l’immigration constitue un véritable déracinement. On estime qu’il faut, au terme de démarches administratives lourdes et coûteuses, environ trois années aux immigrés pour surmonter ce qu’on appelle familièrement le « choc d’immigration ».

Mais la question de l’intégration englobe également celle du vivre-ensemble. Intégrer les nouveaux arrivants, ce n’est pas les dépouiller de leurs particularités culturelles ou religieuses, c’est plutôt les rendre parties au pacte républicain et combattre toutes les formes d’intolérance.

L’immigration peut être une chance pour la France, à condition qu’elle fasse l’objet d’une régulation afin d’être maîtrisée. La France doit rester un pays d’accueil où les étrangers sont traités dignement et respectueusement, ce qui n’est possible que si la politique d’immigration est clairement définie.

À cet égard, le projet de loi qui viendra en discussion bientôt devant notre assemblée apportera, je l’espère, des réponses et des solutions adéquates.

Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’indique que le groupe RDSE votera, dans sa majorité, les crédits de la mission qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne nous trompons pas de débat sur l’asile et l’immigration.

Commençons par rappeler que nous examinons ici une enveloppe budgétaire de quelque 600 millions d’euros, et non le « coût de l’immigration » supporté par notre pays. À cet égard, ces 600 millions d’euros sont dérisoires, comme le sont les 4,4 milliards d’euros auxquels le rapport estime le coût de l’immigration pour la Nation.

En effet, cette approche comptable ne prend pas en compte la déstructuration profonde, à la fois sociale, sécuritaire,…

Mme Éliane Assassi. Oh là là !

M. Stéphane Ravier. … sanitaire, et j’en passe, que produit cette anarchie migratoire à laquelle bon nombre de nos compatriotes sont livrés. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le coût véritable de l’immigration de masse et de misère est sans doute plus proche de 70 à 80 milliards d’euros par an.

Prenons cette enveloppe qui nous est soumise.

Sur l’asile, cessons de jouer à l’idiot du village mondial…

Mme Éliane Assassi. C’est vous l’idiot !

M. Stéphane Ravier. … et faisons enfin preuve de discernement et de justice envers les Français : comment peut-on laisser tant de nos compatriotes dans la misère, et même dans la rue, quand, dans le même temps, n’importe qui se prétendant réfugié se verra logé gratuitement et versé une allocation en prime ? (Mmes Esther Benbassa et Mme Patricia Schillinger s’exclament.)

Vous prétendez multiplier encore les centres d’accueil au motif qu’ils reviennent 2 ou 3 euros moins cher que les autres structures couplées à l’allocation temporaire d’attente. Et, comble de l’absurde, le rapport reconnaît que ces centres continuent à héberger des personnes une fois qu’elles ont été déboutées !

Songez que l’on accueille, au titre de l’asile, le leader des Femen, un groupe de fanatiques qui prônent la haine antichrétienne, alors que, dans le même temps, viennent à nous des chrétiens qui sont persécutés dans leur pays pour leur foi.

Mme Éliane Assassi. Oh là là, les amalgames !

M. Stéphane Ravier. Plus largement, s’agissant de l’immigration, reconnaissez enfin que ce phénomène est de tout temps et que, partout où il se produit dans le monde, il est un facteur de déstabilisation grave pour les sociétés qu’il touche.

C’est particulièrement le cas quand doivent cohabiter des traditions éloignées, voire opposées, en matière de dignité humaine – et des femmes en particulier –,…

Mme Esther Benbassa. Ça va comme ça !

Mme Éliane Assassi. Quelle caricature ! Vous mélangez tout !

M. Stéphane Ravier. … de la laïcité, ou de l’État. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Stéphane Ravier. Prenez enfin conscience que nous n’avons pas les moyens d’accueillir encore et encore, par centaines de milliers, chaque année, des populations démunies de tout et qui pèsent d’un poids non seulement financier, mais aussi culturel sur la cohésion nationale.

Mme Esther Benbassa. Mais ces populations ne veulent pas rester ! Elles veulent aller en Angleterre !

M. Stéphane Ravier. Nous avons depuis longtemps dépassé les limites de ce que peut supporter la solidarité nationale ou plutôt, dans le cas présent, la solidarité internationale. (Protestations sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le bilan de cette politique est désastreux, tant pour notre pays, où les tensions interethniques se multiplient, que pour les pays d’origine, qui voient leurs ressortissants rejoindre un Eldorado qui n’existe pas !

Mme Esther Benbassa. Quel Eldorado !

M. Stéphane Ravier. « L’immigration est une chance », entonnez-vous en chœur, mes chers collègues.

Mmes Esther Benbassa et Éliane Assassi. Eh oui !

M. Stéphane Ravier. Oui, c’est une chance, mais une chance pour le grand patronat, qui y voit le moyen de faire pression sur les salaires ! C’est une chance pour la classe politique, en particulier pour la gauche, dont les caisses électorales se vident et qui trouve là – en tout cas, c’est son espoir – une nouvelle manne électorale !

Mme Esther Benbassa. On est en pleine théorie du complot ! C’est typique du FN !

M. Stéphane Ravier. C’est une chance pour les centrales syndicales, désertées par nos compatriotes,…

Mme Éliane Assassi. N’importe quoi !

M. Stéphane Ravier. … trahis par des syndicats convertis à l’euromondialisme ! C’est une chance, aussi, pour les tyrans, qui pillent les pays d’origine et qui voient partir sans regret les forces vives qui pourraient contester leur despotisme !

Nous, législateurs français, ne jouons pas le jeu des uns et des autres. Résorbons la misère des Français d’abord ! Il n’est que temps !

C’est pour toutes ces raisons que je défendrai un amendement visant à diminuer le poids de cette mission dans notre budget.

M. Jean-Pierre Sueur. Le niveau baisse…

Mme Éliane Assassi. C’est plutôt la haine qui monte, la haine qui est déversée dans l’hémicycle !

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord un constat : la mission « Immigration, asile et intégration » dispose pour l’année 2015 d’un budget global en légère augmentation, avec une enveloppe de 655 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 666 millions d’euros en crédits de paiement.

Les crédits qui lui sont alloués devraient avoir pour objectif une meilleure maîtrise des flux migratoires et une lutte plus efficace contre les filières d’immigration clandestine, tout en garantissant la prise en charge des demandeurs d’asile et l’intégration des personnes immigrées en situation régulière.

L’année 2015 devrait être marquée par l’adoption de deux réformes, l’une relative au séjour des étrangers, l’autre à l’asile. Le projet de loi de réforme de l’asile qui fait suite à un travail de concertation nationale entre l’État et les acteurs de l’asile, mené en 2013 sous la houlette de notre collègue Valérie Létard et de notre collègue député Jean-Louis Touraine, vient d’être examiné par la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Dans ce contexte, les crédits demandés affichent une hausse de 1,3 % en autorisations d’engagement et de 1,1 % en crédits de paiement. Ces crédits supplémentaires viendront essentiellement soutenir notre dispositif d’accueil des demandeurs d’asile.

Sous l’effet d’une demande en forte augmentation, l’accueil des demandeurs d’asile traverse une crise caractérisée par un allongement des délais et des coûts budgétaires croissants. Nous devons absolument engager une réforme globale de la mise en œuvre de l’asile, comme le soulignait M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Merci, mon cher collègue !

M. Aymeri de Montesquiou. La réduction des délais d’examen des demandes d’asile est l’une des priorités affichées pour 2015, et nous ne pouvons que souscrire à cet objectif. Toutefois, en dépit du recrutement de 55 officiers de protection supplémentaires au sein de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, nous craignons que l’objectif de réduction du délai moyen d’instruction d’un dossier à quatre-vingt-dix jours ne soit pas atteint.

Une autre priorité de ce budget concerne le rééquilibrage du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile. Le rapport de nos collègues députés Jeanine Dubié et Arnaud Richard a souligné les failles de notre politique d’accueil. L’une d’entre elles est le recours croissant à l’hébergement d’urgence de droit commun pour les personnes déboutées de l’asile, alors que ces structures, en situation de crise, sont débordées. Rappelons que la population de déboutés, mineurs inclus, atteignait 45 000 personnes en 2013 et 43 500 personnes en 2012.

Ce rapport préconisait notamment de porter l’objectif à 35 000 places en centres d’accueil des demandeurs d’asile, contre 25 000 aujourd’hui. Vous avez, monsieur le ministre, annoncé votre ambition d’augmenter la part des demandeurs d’asile hébergés dans ces centres de 50 %. Pour l’instant, cette ambition n’est pas explicitement concrétisée dans le projet de budget pour 2015.

En outre, on peut s’inquiéter de la sous-budgétisation de l’allocation temporaire d’attente en 2015. Selon notre rapporteur spécial, avec environ 110 millions d’euros, les crédits destinés à l’allocation temporaire d’attente sont inférieurs de 40 millions d’euros à l’exécution 2013 et de plus de 75 millions d’euros à la dépense prévisionnelle 2014,…

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Eh oui !

M. Aymeri de Montesquiou. … qui s’établit à 185,3 millions d’euros, ou 227 millions d’euros en tenant compte du report de charges de 41,7 millions d’euros de l’année 2013. Cette budgétisation, manifestement inférieure aux besoins, est donc insincère.

Par ailleurs, nous notons avec inquiétude la baisse des crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », qui supportera, cette année encore, l’essentiel des économies. Ce choix semble peu conforme à notre idéal républicain, qui vise à fournir le meilleur accompagnement afin que ceux que nous décidons d’accueillir parviennent à s’insérer totalement dans notre société.

Dans ces conditions, comment parviendrez-vous à la mise en place du parcours d’accueil et d’intégration que vous prévoyez ?

En outre, au sein de ce programme, les crédits de l’action n° 11, Accueil des étrangers primo-arrivants, qui correspond à la subvention pour charge de service public versée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, sont figés cette année, après avoir été diminués l’année dernière. Ce gel laisse présumer des difficultés que rencontrera inévitablement l’OFII pour remplir les nouvelles missions que prévoient de lui confier les deux prochaines réformes.

Enfin, plus généralement, au-delà des avancées de ces dernières années au niveau européen, qu’il s’agisse du règlement Dublin II ou de la mise en place du Fonds européen pour les réfugiés, le temps est venu d’harmoniser nos législations et de mutualiser pleinement nos moyens pour faire face au mieux aux défis de l’immigration et de l’asile.

Un mot sur l’examen de la mission à l’Assemblée nationale, qui s’est traduit par l’adoption de mesures contradictoires. Lors d’une première délibération, le Gouvernement a proposé d’augmenter de 3,5 millions d’euros les crédits de l’asile pour répondre à l’urgence de la situation à Calais. Puis, lors d’une seconde délibération, l’Assemblée nationale a réduit de 15,8 millions d’euros les crédits de la mission, toujours sur l’initiative du Gouvernement... Comment peut-on à la fois annoncer 500 places d’accueil supplémentaires à Calais et diminuer les crédits ? Pour reprendre les termes d’Esther Benbassa, nous sommes interloqués par cette incohérence.

L’année 2014 est marquée par une augmentation considérable des franchissements illégaux des frontières extérieures de l’Union européenne. Alors que l’opération Triton vient de succéder à l’opération Mare Nostrum, lancée après le drame de Lampedusa, il devient urgent de nous accorder avec nos voisins européens sur une politique d’immigration globale, en renforçant notamment les moyens de contrôle, principalement maritimes, aux frontières extérieures de l’Union européenne.

Le groupe UDI-UC considère que les moyens de la mission « Immigration, asile et intégration » ne sont pas à la hauteur des ambitions et des enjeux qu’elle recouvre. Nous partageons l’analyse du rapporteur spécial de la commission des finances et nous voterons donc contre les crédits de cette mission.

M. Richard Yung. Quelle déception ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’interviens plus ici en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, mais en tant que membre du groupe écologiste, sur l’ensemble de la mission « Immigration, asile et intégration ». Je me concentrerai plus particulièrement sur le volet asile.

En vue de l’élaboration de mon avis, j’ai organisé de nombreuses auditions, qui ont mis en évidence certaines problématiques que je me suis engagée à relayer devant vous.

Dans le cadre de la réforme de l’asile, l’OFII, qui contribue à la politique d’accueil des demandeurs d’asile, voit sa charge de travail s’accroître considérablement alors même que le projet de loi de finances ne prévoit pas d’augmentation de ses moyens. Si l’OFII est en charge de la coordination du réseau des plateformes d’accueil des demandeurs d’asile, ou PADA, il n’en assure pour l’heure qu’assez rarement la gestion directe, s’appuyant de manière très importante sur le secteur associatif.

Cependant, dans la perspective de la mise en place d’un « guichet unique », il est prévu que l’OFII internalise nombre des prestations aujourd’hui dispensées par les associations. Serait-il en mesure d’assumer ces nouvelles missions avec ce budget ?

Les PADA ont été progressivement mises en place par le milieu associatif à compter de l’année 2000, à la demande des pouvoirs publics, afin de pallier les limites du dispositif national d’accueil, ou DNA, et de tenter de réduire les délais d’attente pour entrer en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Ces structures jouent un rôle central dans le premier accueil des demandeurs d’asile en assurant leur domiciliation et en les accompagnant dans leurs démarches administratives et sociales. Certaines plateformes assurent également l’orientation vers une solution d’hébergement d’urgence. En outre, elles accompagnent les demandeurs d’asile tout au long de l’instruction de leur dossier par l’OFPRA, puis, le cas échéant, par la CNDA.

Assurant une mission de service public, les PADA associatives sont financées par des subventions, provenant majoritairement de l’OFII – les collectivités territoriales couvrent le reste –, et des financements européens.

Dans le cadre de la réforme de l’asile, le Gouvernement prévoit la création d’un « guichet unique » d’enregistrement de la demande et d’entrée dans le dispositif d’accueil. Il existe donc des incertitudes sur l’avenir des PADA et de leur financement.

Si tous les acteurs reconnaissent que le statu quo n’est pas souhaitable, et si nombre d’entre eux estiment que l’État doit retrouver son rôle dans le premier accueil des demandeurs d’asile, beaucoup expriment des doutes quant à la capacité de l’OFII à reprendre l’intégralité des missions aujourd’hui assurées par les PADA associatives, en particulier l’accompagnement social, et notamment celui des familles.

Si nous sommes conscients des efforts qui sont mis en place pour améliorer la qualité de l’accueil des demandeurs d’asile en France, sachez que nous attendons beaucoup du projet de loi relatif à la réforme de l’asile, dont nous discuterons prochainement.

Plus généralement, les écologistes attendent un véritable changement de politique envers les migrants. Notre politique doit être fondée sur la liberté de circulation et d’installation, le respect de la dignité humaine et du droit des migrants. Il est temps d’admettre que, comme de nombreux travaux sérieux le montrent, l’immigration apporte à la France autant économiquement que démographiquement. La politique menée par certaines formations, qui consiste à faire des migrants des boucs émissaires, ne pourra que mener notre pays dans une impasse.

Quant à la politique d’asile, elle doit aussi être guidée par un certain pragmatisme. L’état du monde est tel que des millions de gens fuient leur pays, parfois prêts à risquer leur vie pour avoir un avenir. N’en déplaise à certains, la France, ex-terre d’asile pour des milliers de personnes, qui ont ensuite servi le pays avec abnégation et ont contribué à son rayonnement, se doit de continuer dans cette voie. Monsieur le ministre, nous pouvons faire beaucoup plus et surtout beaucoup mieux !

Cela étant dit, le budget nous semble relativement cohérent avec les objectifs fixés par le projet de réforme de l’asile et nous sommes prêts à lui apporter notre soutien. Toutefois, vous comprendrez, monsieur le ministre, que le groupe écologiste fasse dépendre son vote du sort qui sera réservé aux amendements déposés sur cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’immigration cristallise aujourd’hui les passions et les oppositions, provoque des réactions aussi bien de défiance que de compassion. Nous voilà donc, à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », une nouvelle fois face à nos responsabilités à l’égard des peuples de migrants. Que peux, que doit faire la France vis-à-vis d’eux ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1990, il y avait 150 millions de migrants internationaux ; en 2013, ils étaient 230 millions. Ce phénomène n’est pas prêt de cesser, ni même de décroître, tant qu’une disparité économique aussi forte, provoquant une instabilité sociale chronique, se maintiendra entre le Nord et le Sud. Au cours de la seule année 2014, plus de 3 000 migrants sont morts à nos portes, et le poids que les autorités italiennes doivent assumer du fait de l’arrivée massive d’immigrants à Lampedusa ne cesse de s’alourdir.

Face à cette situation, la France a toujours essayé de rester fidèle à sa mission de terre d’asile et de pays des droits de l’homme. Le budget que nous étudions aujourd’hui devrait nous permettre de poursuivre cette mission. Cependant, nous sommes profondément convaincus que le problème de l’immigration n’est pas seulement français, mais également européen, et doit être reconsidéré plus en profondeur.

Pris en tenaille entre notre volonté de rester une terre d’accueil et la réduction de nos moyens économiques pour accueillir les migrants, nous sommes obligés de faire des choix. Jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements successifs ont toujours semblé dépassés par le phénomène, et les politiques publiques, pourtant indispensables, qu’ils ont entreprises, n’ont fait que répondre à des urgences, alors qu’il aurait fallu travailler à une réponse globale.

L’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » nous donne un bref aperçu de la politique migratoire menée par la France. Certes, toute notre politique migratoire n’est pas comprise dans cette mission. Pour autant, les crédits ouverts représentent près de 80 % des crédits destinés à la politique d’asile.

Je traiterai d'abord le volet budgétaire de cette politique. J’évoquerai ensuite les perspectives que nous offrent l’Union Européenne et le Gouvernement à travers leurs initiatives respectives.

L’analyse des crédits de la mission et des dépenses globales de notre politique d’asile révèle – cela a été souligné par de précédents intervenants – un décalage criant entre les déclarations d’intention du Gouvernement et ses arbitrages. Le cahier des charges que nous présente le Gouvernement pour justifier le montant et la répartition des crédits peut sembler acceptable : le Gouvernement souhaite « réussir à stabiliser et, à terme, faire décroître les dépenses d’asile, d’un côté, et optimiser l’utilisation des moyens réduits alloués aux politiques d’intégration, de l’autre ».

Avoir comme objectif final la diminution des crédits du programme 303, « Immigration et asile », d’un côté, et la préservation et l’optimisation des crédits alloués au programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », de l’autre, nous paraît tout à fait opportun.

Malheureusement, la politique suivie par le Gouvernement semble en totale contradiction avec les ambitions qu’il affiche. Loin de maîtriser l’envol des dépenses issues du programme 303, le Gouvernement entérine une nouvelle hausse des crédits : de 1,48 % en autorisations d’engagement, pour un montant de 597 millions d’euros, et de 1,25 % en crédits de paiement, pour un montant de 606 millions d’euros.

Les faits sont là pour contredire la volonté politique affirmée par le Gouvernement : nous avons pu constater une hausse de 87 % des demandes d’asile entre 2007 et 2013. Notons d’ailleurs que le programme consacré au traitement des demandeurs d’asile représente plus de 90 % des crédits de la mission, les 10 % restants étant consacrés à la lutte contre l’immigration clandestine.

Les pays d’origine changent rapidement, mais les pays destinataires ne changent pas vraiment. Dès lors, si nous ne faisons rien, la somme consacrée aux politiques d’intégration – 59 millions d’euros aujourd'hui – risque de diminuer dangereusement. Les chiffres sont éloquents : en 2015, les crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », seront une nouvelle fois en baisse, de près de 3 %. L’intégration des migrants sera donc une nouvelle fois sacrifiée du fait de la hausse des coûts liés aux demandes d’asile. Les arbitrages budgétaires du Gouvernement sont ainsi, une fois de plus, contraires à ses déclarations.

L’État se donne toujours plus de moyens, mais, malgré cela, nos services sont saturés – mon excellent collègue Aymeri de Montesquiou l’a souligné – et les dépenses dérivent inexorablement.

L’évaluation des moyens de notre politique d’asile n’est pas chose aisée. Si l’on se réfère à la nomenclature du rapport d’information sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile rédigé par deux de nos collègues députés, les crédits consacrés à notre politique d’asile sont répartis dans cinq programmes, eux-mêmes répartis dans quatre missions. Des dépenses atomisées entre cinq programmes et quatre missions, voilà qui n’est pas de nature à faciliter l’analyse !

Nous constatons en outre que certaines dépenses sont nettement supérieures aux plafonds de crédits fixés en loi de finances. Il est donc difficile pour le Parlement d’exercer un véritable contrôle sur l’exécution du budget. L’écart entre les dépenses constatées et les plafonds de crédits est même croissant : le plafond pour 2015 est inférieur de plus de 30 millions d’euros à la dépense constatée en 2013 et de plus de 100 millions d’euros à la dépense prévisionnelle pour 2014.

Prenons l’exemple du dispositif d’hébergement d’urgence et de l’allocation temporaire d’attente. La somme des dépenses liées à ces deux dispositifs s’élève à près de 135 millions d’euros, alors que la dépense prévisionnelle pour 2014 relative à la seule allocation temporaire d’attente s’élève à 185 millions d’euros.

Nous sommes donc face à un cas manifeste d’insincérité budgétaire, quelles que soient les explications, certes courageuses, mais parfois laborieuses, du Gouvernement. À cet égard, je salue l’initiative de Roger Karoutchi, qui a déposé un amendement pour tenter de corriger cette difficulté.

Nous sommes confrontés à des coûts qui explosent, sans perspective de solution. Le meilleur exemple est fourni par l’observation de la situation des CADA. Leur capacité aura quadruplé en dix ans, puisqu’ils sont passés de 5 280 places en 2001 à 24 700 à la fin du premier semestre de 2014. De surcroît, 1 000 places supplémentaires sont prévues d’ici à la fin de l’année.

Pourtant, avec 66 000 demandes d’asile en 2013, l’essentiel des demandeurs, à savoir 68 %, a été logé à l’hôtel via le dispositif d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile, dispositif dont le coût vient s’ajouter aux 220 millions d’euros prévus pour les CADA. Et je ne parle pas des difficultés qu’entraîne cette situation pour les maires, notamment de la région parisienne, qui doivent accueillir ces populations qui arrivent dans des conditions extrêmement précaires. (M. Jacques Gautier applaudit.)

Dans la même logique, les moyens d’instruction des demandes de l’OFPRA, comme ceux de sa juridiction de recours, ont été complétés. Ainsi, la CNDA a réussi à réduire ses délais de jugement, lesquels sont passés de treize mois à huit mois et demi aujourd’hui. Malheureusement, là encore, la mise à disposition de moyens par l’État n’est pas de nature à répondre à la demande sans cesse croissante.

Pour résumer, les crédits du programme 303 sont passés de 350 millions à 650 millions d’euros entre 2008 et 2014, et pourtant, il est fort à parier que cela ne suffira pas.

Monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à endiguer cette évolution ou, au contraire, souhaite-t-il, quelque part, l’encourager ?

En réalité, mes chers collègues, la gestion des demandes d’asile est tout autant un défi européen.

Le nombre des demandes d’asile ne cesse de croître dans l’Union européenne : en 2013, il s’élevait à plus de 434 000, contre 332 000 en 2012, soit une augmentation de plus de 30 %.

La croissance des demandes d’asile ne concerne donc plus simplement la France. Nous pouvons même dire que se déroule aujourd’hui un phénomène de rattrapage chez nombre de nos voisins ; c’est notamment le cas en Bulgarie, à Malte, en Italie et dans quelques autres pays. Et nous constatons un fort décalage, très inquiétant, entre les pays qui accordent l’asile et ceux qui, concrètement, auront à leur charge les flux migratoires.

Malheureusement, avec l’adoption du règlement dit Dublin III, nous ne répondons toujours pas aux difficultés que pose cette asymétrie dans la délivrance du statut de réfugié. Ce règlement est l’exemple typique de la difficulté qu’éprouvent les pays européens à faire appliquer le droit communautaire. En effet, si le droit à un recours juridictionnel effectif ne se discute pas, les textes communautaires s’empilent parfois sur des dispositifs nationaux, avec des procédures administratives fondamentalement divergentes.

Pour cette raison, il nous faudra être très attentifs aux modalités de transposition des directives du 26 juin 2013. La première est relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale : il s’agit de la directive dite « Procédures ». La seconde a pour objet d’établir des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale : c’est la directive dite « Accueil ». Par ailleurs, nous devrons aussi conserver notre vigilance en ce qui concerne la transposition de la directive « Qualification », qui n’est toujours pas achevée.

Tel sera l’enjeu de l’examen prochain des deux projets de loi afférents aux questions migratoires : le projet de loi relatif au droit des étrangers en France et le projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

Le Gouvernement dénonce lui-même, dans l’exposé des motifs du second texte, des recours abusifs à la procédure d’asile. Il propose, par ailleurs, de permettre plus facilement au dispositif d’écarter rapidement la demande d’asile infondée.

Malheureusement, beaucoup de dispositions visant à accroître les mécanismes de protection des libertés fondamentales des migrants nous semblent aller au-delà du but recherché ; mais nous aurons le temps d’y revenir.

En conclusion, je dirai que les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » sont le parfait reflet de la politique actuellement menée par le Gouvernement dans ces domaines.

Parce que vous êtes obligé, monsieur le ministre, et nous pouvons le comprendre, de parer au plus pressé, plutôt que d’élaborer une stratégie qui permette de préserver notre droit d’asile de dérives croissantes, vous réduisez inexorablement les moyens mis à disposition pour faciliter l’intégration des migrants, qui reste pour nous une priorité, dans les conditions légales que nous avons rappelées.

Nous en appelons donc au Gouvernement afin qu’il mette en place, avec nos partenaires européens, une véritable politique migratoire et d’insertion cohérente, et ce sur le long terme. Nous nous devons de répondre, en conformité, certes, avec nos valeurs, mais aussi avec nos moyens, à un phénomène d’immigration qui, à n’en pas douter, restera au cœur de nos préoccupations dans les années qui viennent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès 2012, le Gouvernement a fait un choix politique majeur, celui de réformer en profondeur la politique d’immigration. Aujourd’hui, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent de 1,3 %, s’agissant des autorisations d’engagement. Pourtant, nous les savons tous, le contexte budgétaire reste contraint.

Les situations peuvent être très difficiles dans certaines régions de France. Je pense notamment à Calais, où le nombre de migrants aspirant à gagner le Royaume-Uni grandit de jours en jours, sans qu’aucune issue se dessine. Mais je pense aussi et surtout à mon territoire, la Guyane, qui, à des milliers de kilomètres de Paris, ne saurait rester le parent pauvre d’une politique pas toujours adaptée à nos réalités. En effet, beaucoup d’étrangers se présentent aujourd’hui aux deux frontières de la Guyane pour demander l’asile à la France, alors que leur situation ne relève pas de ce droit.

Il conviendra ainsi, dans le cadre du projet de loi présenté par le Gouvernement pour réformer l’asile, de trouver une solution stable et efficace pour l’examen des demandes en Guyane.

Ce territoire présente pour la France une particularité en ce qu’il possède les seules frontières terrestres partagées avec des pays non membres de l’Union européenne ou de l’espace Schengen : 700 kilomètres avec le Brésil et 500 kilomètres avec le Surinam. Ces frontières sont extrêmement poreuses puisqu’il ne faut que quelques minutes pour franchir, en pirogue, l’un des fleuves frontières.

« Une immigration irrégulière ou non maîtrisée doit être jugulée. » Ce sont là les propos qu’avait tenus, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, l’ancien ministre de l’intérieur, aujourd’hui Premier ministre.

En Guyane la situation est devenue extrêmement préoccupante. Faute de centre d’accueil pour les demandeurs d’asile ou même de centre provisoire d’hébergement, les personnes en attente d’instruction de leur demande d’asile et les personnes en situation irrégulière en viennent à squatter tous les espaces disponibles.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez ainsi les raisons de mon attachement à une politique d’accueil juste, mais ferme, pour lutter contre les filières clandestines, qui maltraitent les hommes et les femmes, leur promettant un avenir radieux, avant que le rêve ne vire au cauchemar de la clandestinité, du chômage et de la pauvreté.

Ces filières de passeurs font payer jusqu’à 5 000 euros à de jeunes Haïtiens pour arriver en Guyane depuis la frontière brésilienne. Elles proposent ensuite des logements vétustes, insalubres, d’une surface souvent inférieure aux 9 mètres carrés prévus par la loi, et à des prix exorbitants. Et je ne parle pas des 10 000 à 15 000 garimperos, ces chercheurs d’or clandestins qui viennent piller l’or guyanais, utilisant encore aujourd’hui du mercure qui pollue nos fleuves et nos rivières.

Le programme 303 sur l’immigration et l’asile prévoit 24,3 millions d’euros pour les outre-mer sur un total de 596 millions d’euros. Les crédits de paiement sont certes en hausse de 1,8 %, mais cette augmentation n’est pas précisément répartie entre les territoires. Ce sont près de 74 millions d’euros au sein de ce programme qui seront alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière en 2015.

Je vous invite donc, monsieur le ministre, à prendre la mesure de la situation de la Guyane en fléchant les crédits nécessaires à l’application de la politique souhaitée par le Gouvernement et par les Guyanais.

Le:-nombre de demandeurs d’asile en Guyane est de 22 pour 10 000 habitants, alors qu’il est de 15,6 pour 10 000 habitants en Île-de-France et de 8,3 pour 10 000 habitants en Rhône-Alpes, ce qui crée une situation insoutenable tant pour les demandeurs que pour l’ensemble de la population guyanaise.

La Guyane est une terre riche de sa diversité et de son multiculturalisme, qui a accueilli des personnes venues de tous les continents. Pourtant, le climat engendré par cette situation mène inéluctablement au repli sur soi, à l’intolérance, voire à la xénophobie.

Nous avons besoin d’une politique ambitieuse d’intégration et d’accompagnement, mais elle ne saurait être menée au détriment du développement de notre territoire, qui manque toujours cruellement d’infrastructures, d’accès à l’eau potable et à l’électricité, un territoire où le taux de délinquance et de criminalité est supérieur de 10 points à la moyenne nationale, selon les syndicats de police en Guyane.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez mon souci de voir apporter une issue pérenne à cette situation difficile à vivre pour la population guyanaise. La Guyane attend aujourd’hui des réponses du Gouvernement, et je profiterai du débat au Parlement sur le projet de loi de réforme de l’asile pour proposer des solutions adaptées à la situation de ce territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste du groupe écologiste. – Mme Teura Iriti et M. Vincent Dubois applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous remercier très chaleureusement de la richesse de vos interventions, d’où qu’elles viennent, à la faveur de l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Avant de répondre à toutes les questions qui ont été posées, sans prétendre à l’exhaustivité, compte tenu de leur nombre et du faible temps qui m’est imparti, je souhaite dire quelques mots sur la réforme de l’asile dans laquelle nous sommes engagés.

J’ai entendu notamment M. Karoutchi, rapporteur spécial de la commission des finances, et M. Cambon faire part de leurs interrogations, que je comprends, concernant le décalage existant entre la situation de l’asile en France et l’organisation de l’accueil des migrants. Ces interrogations, également formulées par Mme Benbassa, méritent des réponses extrêmement précises.

Je veux tout d’abord insister sur l’ambition de la réforme que je viens d’évoquer et rappeler à chacun les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Il faut savoir que le délai moyen de traitement des dossiers des demandeurs d’asile entre le moment où la première demande est émise et le moment où la réponse définitive est apportée est actuellement en France de vingt-quatre mois, alors que, dans la plupart des pays européens, elle est inférieure à neuf mois, atteignant parfois même six mois.

Comme vous le savez, cette situation est loin d’être nouvelle. Elle n’est pas le résultat de la politique menée par ce gouvernement : celui-ci l’a trouvée en arrivant aux responsabilités.

Il est tout à fait exact que plus le délai de traitement des dossiers des demandeurs d’asile est long, moins il est facile de traiter, dans des conditions humaines, la situation de ceux qui, au terme de l’ensemble des procédures et des voies de recours, se trouvent déboutés du droit d’asile.

Si nous voulons humaniser la situation des demandeurs d’asile en France, nous devons prendre un certain nombre de dispositions, que j’aurai l’honneur de présenter au Sénat et à l’Assemblée nationale dans quelques semaines. Quelles sont-elles ?

D’abord, nous voulons absolument que les délais soient raccourcis. Cela implique que ceux qui sont en charge du traitement des dossiers des demandeurs d’asile soient davantage armés pour remplir leur mission rapidement.

Nous avons donc pris des dispositions concernant l’organisation de l’OFPRA, lesquelles ont permis à cet organisme de traiter cette année 15 % de dossiers supplémentaires. Il s’agit de mesures d’organisation interne, qui concernent notamment les conditions dans lesquelles se répartissent les dossiers entre les différents officiers traitants selon les zones géographiques considérées. Cette réforme a donné des résultats significatifs.

De plus, nous allons créer 55 postes équivalents temps plein à l’OFPRA, qui sont prévus dans le budget pour 2015. Ceux-ci vont permettre de renforcer considérablement les moyens de cet office et donc de traiter plus vite les dossiers.

Nous allons également, avec le même objectif, procéder à une réorganisation de l’OFII et allouer des moyens supplémentaires à la CNDA, qui a besoin, autant que l’OFPRA, d’être mise en mesure de gérer dans de meilleures conditions les dossiers qui lui sont soumis.

Par ailleurs, nous voulons renforcer les droits des demandeurs d’asile. Je rappelle à cet égard que le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, qui sera prochainement examiné par le Parlement, permettra d’énormes progrès dans la reconnaissance des droits des demandeurs d’asile, répondant ainsi à la préoccupation que plusieurs orateurs ont exprimée quant à la dignité de l’accueil réservé à ces personnes.

Sans prétendre donner une représentation exhaustive de la réforme, je citerai deux exemples.

Dans le cadre de la procédure accélérée, le caractère suspensif de l’appel sera reconnu. Ainsi, les demandeurs d’asile ne seront plus susceptibles d’être reconduits à la frontière avant même que le résultat de l’appel ne soit connu, ce qui représente un progrès considérable.

Nous avons également décidé que les demandeurs d’asile pourraient être accompagnés par un certain nombre de conseils dans leurs démarches auprès de l’OFPRA : voilà un autre progrès considérable.

Par ailleurs, nous souhaitons que les demandeurs d’asile puissent être accueillis en France dans des conditions plus dignes que celles qui prévalent dans un certain nombre de territoires que j’ai pu visiter et où je retournerai, notamment à Calais. Il faut donc un nombre suffisant de places en CADA pour accueillir ces personnes dans de bonnes conditions. Si ces places n’existent pas, nombre de ces personnes sont réduites à vivre dans la rue ou à accepter des conditions d’hébergement d’urgence qui ne correspondent pas aux standards que nous souhaitons.

C’est la raison pour laquelle il a été décidé, l’an dernier, de créer 4 000 places en CADA. Et cette année, nous en ajouterons 5 000, ce qui n’est pas négligeable, madame Benbassa. Même s’il existe un décalage de 20 000 unités entre le nombre de places déjà disponibles et le nombre de demandeurs d’asile qui se présentent en France annuellement, nous escomptons que ces créations de places, d’une part, et la diminution des délais de traitement des demandes, d’autre part, qui aura pour effet de faire sortir plus rapidement les demandeurs d’asile du processus d’hébergement en CADA, nous permettront d’atteindre des objectifs qui, jusqu’à présent, restaient hors de portée.

Bien entendu, ces places en CADA représentent un coût que nous budgétons. Par ailleurs, un certain nombre d’entre elles est financé par la transformation de places d’hébergement d’urgence. Monsieur Cambon, monsieur Karoutchi, madame Benbassa, madame Assassi, vous voyez que la politique que nous mettons en place apporte des réponses qui, jusqu’à présent, n’avaient pas été proposées.

Nous le faisons non pas simplement pour mettre la France en conformité avec trois directives de l’Union européenne, mais parce que nous considérons que la tradition de la France, son message et ses valeurs doivent la conduire à accueillir dans de meilleures conditions ceux qui ont pris le chemin de l’exode. Ceux-ci ne sont pas tombés amoureux du « code frontières Schengen », contrairement à ce que je peux lire de temps en temps, ils quittent leur pays parce qu’ils y ont été persécutés, emprisonnés, torturés, maltraités pour mille raisons qui tiennent à la politique, à la religion ou à l’orientation sexuelle. Tout cela doit être dit.

J’ajoute que l’idée selon laquelle il y aurait moins de migrants si les accords de Schengen n’existaient pas est une idée courte, qui ignore ce que sont les mouvements de populations dans le temps long de l’histoire de l’humanité.

Je souhaite ajouter quelques mots sur notre politique à l’égard de l’Union européenne en matière d’asile. J’entends dire que nous devrions prendre des mesures que nous avons déjà prises : c’est donc que je ne me suis pas suffisamment expliqué ! Je profite de l’interpellation de certains sénateurs pour le faire à nouveau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous eu raison de signaler qu’il fallait prendre en compte la dimension européenne de la politique de l’asile, et je vais essayer de vous apporter des réponses à cet égard. Nous assistons à une arrivée massive sur le territoire européen de migrants poussés sur le chemin de l’exode par les persécutions que je viens d’évoquer.

Pour donner un chiffre à tous ceux d’entre vous qui se sont interrogés sur ce point, avec les « printemps arabes » en 2011, quelque 110 000 migrants sont arrivés en Italie en un an. Au mois de novembre 2014, nous avons déjà enregistré 160 000 arrivées depuis le début de l’année. On constate donc une augmentation, pour des raisons liées à la conjoncture internationale et à la géopolitique.

Par ailleurs, les Italiens ont souhaité mettre en place l’opération Mare nostrum, qui vise le sauvetage en mer des migrants partant de Libye, notamment, au plus près des côtes africaines. Cette opération, dont je comprends les motivations humanitaires, a eu un résultat immédiat : elle a permis de sauver plus de vies. Elle a eu aussi une conséquence non désirée : il y a eu plus de morts, tout simplement parce que les responsables des filières d’immigration irrégulière ont placé des migrants de plus en plus nombreux sur des embarcations de plus en plus frêles, après avoir prélevé sur eux des dîmes de plus en plus importantes, qui sont de véritables impôts sur la mort. Au final, il y a plus de sauvetages, mais aussi plus de morts en mer.

C’est la raison pour laquelle j’ai effectué une tournée de nos partenaires européens au mois d’août dernier, pour rencontrer mes homologues et leur présenter des propositions qui ont été ensuite adoptées par l’Union européenne.

Premièrement, nous voulons substituer à Mare nostrum, qui est un dispositif italien, une opération conduite par Frontex, qui sera une opération de contrôle aux frontières méridionales de l’Union européenne. Cette opération ne laissera pas les migrants mourir en mer, puisque le droit de la mer s’appliquera évidemment. La semaine dernière, quelque deux cents migrants ont d’ailleurs été sauvés.

Deuxièmement, nous souhaitons que cette opération de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne soit accompagnée d’une meilleure coordination des missions des États et des missions de l’Union, en relation avec les pays de provenance, pour les migrations en Méditerranée centrale.

Troisièmement, nous voulons que les demandeurs d’asile soient répartis entre les différents pays de l’Union européenne, en tenant compte du nombre de demandeurs d’asile déjà accueillis par chacun de ces pays.

Quatrièmement, et enfin, nous souhaitons que les règles de Schengen et de Dublin soient appliquées et qu’un contrôle s’opère, notamment en Italie. Pour ce contrôle, nous mobiliserons nos fonctionnaires et ceux de Frontex afin de nous assurer que la banque de données Eurodac, qui centralise les empreintes digitales, fonctionne correctement.

Voilà ce que nous faisons. Nous menons une politique globale, cohérente, qui a sa force et sa part d’engagement. Le Parlement sera en outre amené à se saisir très prochainement des dispositifs relatifs à l’asile.

En guise de conclusion, je souhaite apporter des réponses précises à certaines questions qui m’ont été posées.

Je répondrai tout d’abord à MM. Karoutchi et de Montesquiou sur les crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », consacrés à la formation linguistique. Si les crédits du programme 104 ont diminué de 20 % entre 2010 et 2014, les crédits consacrés à la formation linguistique ont, quant à eux, été sanctuarisés. Une hausse de ces crédits de 11 millions d’euros sur la période 2016-2017 est d’ailleurs proposée.

Ainsi, le Gouvernement entend rénover profondément le dispositif d’accueil et d’accompagnement, afin de concentrer les efforts sur les premières années d’installation en France. Il s’agit d’élever le niveau de langage, de faciliter le parcours d’apprentissage linguistique menant au niveau A2 à l’issue des cinq premières années d’installation, dans la perspective de la délivrance de la carte de résident.

À cette fin, un effort considérable sera consenti en matière de formation linguistique dans les années qui viennent. D’une part, le démarrage de cet effort, en 2015, est consacré au maintien des moyens budgétaires de l’État et de l’OFII, en ciblant plus particulièrement les publics qui ont le plus besoin de cette formation. D’autre part, les crédits du programme 104 centrés sur les primo-arrivants seront renforcés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’interrogez également sur la sous-budgétisation des crédits consacrés à l’asile et l’insuffisance des crédits d’intégration dans la perspective de la réforme de l’asile.

L’augmentation des stocks d’affaires pendantes devant l’OFPRA et la CNDA ces dernières années ont contribué à accroître les délais d’instruction des demandes d’asile, donc le nombre des bénéficiaires de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA. Les renforts successifs des capacités de traitement de ces organismes n’ont pas suffi, à ce stade, à réduire ces stocks, compte tenu du fait que cette tendance est ancienne et ne saurait s’inverser en quelques mois.

Néanmoins, grâce aux efforts du Gouvernement et à ceux qui ont été entrepris par Pascal Brice, le directeur de l’OFPRA, pour réduire les délais de traitement des dossiers, on note une inversion très prometteuse de la tendance depuis le début de l’année 2014.

Comme vous le savez, les dépenses liées à l’ATA se sont jusqu’à présent toujours révélées supérieures au montant prévu en loi de finances. Je tiens à attirer votre attention sur le fait que l’écart entre la budgétisation et l’exécution s’est fortement réduit depuis 2012, grâce à la volonté du Gouvernement de prévoir la budgétisation la plus sincère possible, alors que cette dépense est particulièrement difficile à prévoir.

En 2011, les crédits de l’ATA inscrits en loi de finances initiale représentaient 34 % de la dépense réelle ; en 2013 ils en représentent 94 %. Je pense que vous mesurez les progrès accomplis, qui prouvent la volonté du Gouvernement de faire en sorte que la situation évolue de manière positive.

Mme Benbassa m’a interrogé sur la réforme de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA. Je rappelle que d’autres hypothèses avaient été débattues, notamment la possibilité d’expérimenter un transfert de ce contentieux, en totalité ou en partie, aux tribunaux administratifs. Ces hypothèses n’ont pas été retenues,…

M. Jean-Pierre Sueur. Heureusement !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. … parce qu’il nous est apparu essentiel de conforter la CNDA dans la plénitude de ses missions.

Madame Benbassa, vous m’interrogez par ailleurs sur le niveau de la dotation budgétaire prévue en 2015 pour financer l’allocation temporaire d’attente, soit près de 110 millions d’euros, et sur son caractère réaliste. Je vous ai répondu à l’instant, en vous montrant que nous avions réduit le décalage qui existait jusqu’à présent entre le niveau des crédits budgétisés et celui de l’exécution, ce qui prouve notre volonté de rigueur et de sincérité budgétaire.

En ce qui concerne le nombre de créations de places en CADA, je vous ai également répondu : nous avons créé quelque 4 000 places en 2014 et en créerons 5 000 de plus en 2015. J’ai ajouté que j’escomptais que la réduction des délais de traitement des dossiers de demande d’asile contribuerait à diminuer l’écart qui existe entre le nombre de demandeurs d’asile et le nombre de places disponibles. Bien entendu, notre objectif est de procéder à un ajustement grâce à la réforme de l’asile.

Vous m’avez interrogé également sur l’évolution des missions de l’OFII dans le cadre de la réforme de l’asile. Nous allons adapter le fonctionnement de cet organisme, et trois sources d’économies nous permettront de garantir qu’il soit en situation d’accomplir ses missions dans de bonnes conditions : l’adaptation de la visite médicale – une évaluation par le Haut Conseil de la santé publique est en cours –, la suppression de certaines démarches redondantes ou sans valeur ajoutée et l’optimisation des aides au retour.

Monsieur Leconte, vous m’avez interrogé sur le délai d’enregistrement des demandes d’asile. J’ai commencé à répondre sur ce point, et nous aurons encore l’occasion d’en débattre longuement dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la réforme de l’asile.

Cette réforme vise à réduire les délais d’entrée dans la procédure, notamment les délais d’enregistrement, fixés en principe à trois jours par les directives européennes. À cet effet, le projet de loi supprime l’obligation d’une domiciliation préalable des demandeurs d’asile. En outre, mes services travaillent à la mise en place de guichets uniques, rassemblant les services des préfectures et de l’OFII, afin de rendre plus simple et plus rapide l’enregistrement des demandes.

Mme Assassi a posé la question des associations qui s’occupent des migrants en rétention. L’idée que la France ne respecterait pas les droits fondamentaux des étrangers…

Mme Éliane Assassi. Je n’ai pas dit cela !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la sénatrice, je sais que vous n’avez pas employé ces mots, mais je saisis cette occasion pour élargir mon propos, afin de répondre aux critiques que l’on entend souvent dans les médias ou dans certains milieux associatifs.

L’idée selon laquelle la France ne respecterait pas les droits fondamentaux des étrangers, disais-je, me semble devoir être nuancée. En ce qui concerne la rétention en général, le cadre juridique français est bien plus favorable que ce que prévoient les directives européennes : en France, la durée de rétention est la plus brève d’Europe – quarante-cinq jours au maximum –, le contrôle juridictionnel sur la rétention est le plus poussé, avec l’intervention de deux juges, le juge administratif et le juge des libertés et de la détention, et des associations rémunérées par l’État sont systématiquement présentes pour aider les étrangers dans leurs recours.

Nous sommes le seul pays d’Europe à offrir autant de garanties : c’est très bien ainsi, et je ne souhaite pas remettre en cause cette situation.

J’observe simplement que ces garanties vont bien au-delà de ce que prévoient les normes européennes. Celles-ci disposent que la rétention ne peut excéder dix-huit mois, alors que sa durée maximale est de quarante-cinq jours seulement en France, je le répète, et que des associations doivent pouvoir accéder aux centres de rétention : tel est bien sûr le cas en France, où elles sont même subventionnées par l’État pour aider les demandeurs d’asile dans leurs recours.

La France est l’un des rares États européens à prévoir des garanties aussi complètes. Du reste, c’est normal, la force de notre État de droit étant de donner toutes les armes au migrant, même en rétention, pour faire valoir ses droits. Telle sera toujours la doctrine du Gouvernement.

Le prochain projet de loi relatif à la réforme de l’asile introduira une garantie supplémentaire, en ouvrant aux journalistes la possibilité d’accéder aux centres de rétention, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

Mme la présidente. Monsieur le ministre, je dois vous demander de conclure.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vais le faire, madame la présidente, ne craignez rien ! En réalité, je suis pris entre deux feux : être désagréable en poursuivant ou ne pas être complet dans ma réponse en m’interrompant… (Sourires.) Toutefois, rassurez-vous, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais conclure.

S'agissant des mineurs en rétention, la directive du mois de novembre dernier a été évoquée. Il faut distinguer la situation de Mayotte, qui est soumise à une intense pression migratoire, et celle de la métropole. Sur ce sujet, je profiterai du projet de loi relatif à la réforme de l’asile pour vous apporter toutes les réponses.

Monsieur Karam, je propose, compte tenu de la pression horaire à laquelle je suis soumis, de ne pas vous répondre succinctement sur un sujet qui appelle des développements assez longs. Je le ferai à l’occasion de l’examen du projet de loi susmentionné. J’en profite pour vous confirmer mon déplacement en Guyane, prévu les 15 et 16 janvier prochain. La discussion de ce futur texte et mon déplacement dans votre département me permettront d’apporter une réponse cursive à toutes les questions que vous avez bien voulu soulever. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Immigration, asile et intégration
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Outre-mer

Mme la présidente. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.

État B

(en euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Immigration, asile et intégration

643 675 794

653 812 794

Immigration et asile

585 616 235

595 190 235

Intégration et accès à la nationalité française

58 059 559

58 622 559

Mme la présidente. L'amendement n° II-164, présenté par MM. Ravier et Rachline, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Immigration et asile

                     

247 831 000

                        

247 831 000

Intégration et accès à la nationalité française

Total

247 831 000

247 831 000

Solde

- 247 831 000

- 247 831 000

 

La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Cet amendement vise à faire baisser la charge de l’immigration sur le budget de la France et à rendre au droit d’asile sa pleine signification.

À cet effet, les crédits alloués à l’action n° 2, Garantie de l’exercice du droit d’asile, sont diminués en trois phases. Tout d’abord, une réduction de 220,8 millions d’euros, qui correspond à la suppression des centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA. Ensuite, une baisse de 17,1 millions d’euros, qui correspond à la réduction des crédits liés à l’hébergement d’urgence, pour revenir au niveau de l’année 2014. Enfin, une soustraction de 109,931 millions d’euros, qui correspond à la suppression de l’allocation temporaire d’attente.

Ces économies permettront d’augmenter le budget alloué à l’action n° 3, Lutte contre l’immigration irrégulière. Actuellement créditée de 73,8 millions d’euros, celle-ci passerait ainsi, selon nos souhaits, à 100 millions d’euros.

L’asile, tradition historique de notre pays, doit être considérablement réduit. Il faut le réserver aux seuls persécutés politiques, à condition bien sûr qu’ils fassent vraiment l’objet d’une persécution. Et il faut en exclure ceux qui, grâce à un glissement sémantique et idéologique, bénéficient du statut de réfugié sanitaire, sexuel, comme l’a rappelé M. le ministre, voire environnemental. J’en passe, et des plus abracadabrantesques !

La France n’a clairement plus les moyens d’avoir une politique d’asile aussi généreuse et dogmatique. Le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, paru au printemps dernier, estime le coût total de la politique d’asile en 2014 à 666 millions d’euros.

Par conséquent, il est urgent de supprimer les politiques d’hébergement obligatoire et de mettre un terme à l’aide temporaire d’attente, pour cesser de faire du droit d’asile une pompe aspirante de l’immigration clandestine.

Les dotations à l’hébergement d’urgence sont conservées. Concernant les centres d’accueil, l’action n° 15 du programme 104 finance déjà les centres provisoires d’hébergement des réfugiés, les CPH.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Cet amendement n’a pas été examiné par la commission des finances. Je vais donc émettre un avis personnel, et chacun pourra voter comme il l’entend.

Mon avis est bien sûr tout à fait défavorable. Vous devriez d'ailleurs, cher collègue, retirer cet amendement, parce que ses dispositions vont à l’encontre de l’objectif que vous avez dit vouloir atteindre.

Mme Esther Benbassa. Tout à fait !

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Vous affirmez en effet que le droit d’asile en lui-même doit être préservé – j’allais presque dire sanctifié. Vous préférez le droit d’asile à l’immigration détournée, qui utilise le droit d’asile, et nous sommes d’accord sur ce point.

Nous devrions désormais avoir globalement 30 000 demandeurs d’asile, au lieu de 65 000 à 70 000. Les places en CADA leur sont destinées. Un certain nombre de vos amis ont tellement dénoncé, au cours de leurs campagnes électorales respectives, l’hébergement d’urgence et l’hébergement dans les hôtels qu’il est évident que nous avons tous intérêt à privilégier les CADA, dont les places sont contrôlées, plutôt que l’hébergement d’urgence, qui est évidemment beaucoup moins contrôlé et plus difficile à mettre en œuvre dans les centres-villes.

L’Allocation temporaire d’attente, l’ATA, est liée au manque de places en CADA, me semble-t-il, ce qui pose un autre problème. Si vous persistez à vouloir supprimer les CADA, il vous faudra donner plus d’ATA. Préservons donc les CADA, réduisons à terme le nombre de demandeurs et essayons de le faire correspondre au nombre de places dans les centres d’accueil.

La suppression des crédits destinés au CADA aboutirait au résultat inverse de celui que vous recherchez, à savoir préserver le droit d’asile et le rendre prioritaire par rapport à son détournement via l’immigration clandestine.

Par conséquent, je vous demande, cher collègue, de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Notre groupe est totalement défavorable à cet amendement, dont les dispositions s’inscrivent dans la droite ligne du discours tenu par M. Ravier lors de la discussion générale.

Les dispositions de cet amendement reposent sur le postulat selon lequel la France délivrerait trop généreusement le droit d’asile.

M. Stéphane Ravier. Je le confirme !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le confirmez ! Finalement, chaque demandeur d’asile est un suspect, coupable d’accroître l’immigration clandestine.

Sachez, cher collègue, que la France accueille les demandeurs d’asile conformément à la convention de Genève. Sachez également que la France accueille moins de demandeurs d’asile qu’un certain nombre d’autres pays d’Europe très proches de nous.

Il existe une grande différence entre la politique d’immigration, qui est définie par le Gouvernement, et l’asile, qui est un droit, garanti par la convention de Genève.

Je n’accepte pas, pour ma part – les membres de mon groupe non plus –, que l’on jette la suspicion sur les demandeurs d’asile. Pensons à toutes les personnes persécutées, à celles qui actuellement se noient dans la mer. Pensons aussi aux êtres humains qui vivent en Syrie dans des conditions épouvantables et qui arriveront en Europe. Qu’allons-nous leur dire ?

Sur le fond, cet amendement me paraît tout à fait inacceptable, car il est contraire aux principes respectés depuis très longtemps par la France en matière d’asile. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Vouloir supprimer l’ensemble des crédits du CADA, cela peut faire sourire. Toutefois, ne sourions pas trop ! En effet, derrière ces propositions démagogiques et xénophobes, il y a tout un courant de pensée, selon lequel on va mettre dehors les immigrés, et tout ira mieux ! Telle est l’idée fondamentale, totalement irréaliste et bien sûr irréalisable.

Néanmoins, ce sont des idées qui malheureusement progressent dans l’opinion – il faut le dire – et que l’on retrouve dans d’autres pays d’Europe. Pensons à ce qui se passe en Angleterre, la mère de la démocratie, avec l’UKIP. Pensons à ce qui a déjà commencé à se passer en Suisse. Malheureusement, il faut répondre à ce problème.

Nous sommes confrontés à une progression importante du nombre de demandeurs d’asile. Mon collègue Jean-Pierre Sueur a bien exposé la situation sur le plan juridique.

Un Premier ministre avait dit que la France ne pouvait « pas accueillir toute la misère du monde », mais qu’elle devait « en prendre sa part. » Le codicille est important ! Or notre part, aujourd’hui, cela représente entre 60 000 et 62 000 personnes. On le voit, la pression continue. Et c’est une idée fausse de croire que cela va s’arrêter.

J’ai visité Ceuta et Melilla. On a construit des murs et tout ce qui est nécessaire pour empêcher les futurs demandeurs de droit d’asile de passer. Que font-ils ? Ils passent un peu plus loin ! On n’arrête rien !

Cette idée surprenante, puérile et démagogique de supprimer tous les crédits dévolus aux CADA et de fermer ces derniers aura donc pour seul effet de provoquer autant d’abcès de fixation que ceux que nous observons aujourd’hui à Calais, où 400, 500 ou 600 personnes courent dans les rues, à droite, à gauche, et se cachent derrière les haies. On les chasse, ils reviennent ! C’est quelque chose de totalement irréaliste et infaisable. De plus, c’est une insulte au genre humain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Je me reconnais totalement dans les propos de M. Yung. Mon groupe est fermement opposé à l’amendement qui nous est proposé, pour de nombreuses raisons et notamment parce qu’il révèle l’obsession anti-immigrés du Front national. Nous en avons encore un exemple cet après-midi, et je trouve cela lamentable !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-164.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° II-160, présenté par M. Karoutchi, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(en euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Immigration et asile

10 000 000

10 000 000

Intégration et accès à la nationalité française

10 000 000

10 000 000

Total

10 000 000

10 000 000

10 000 000

10 000 000

Solde

0

0

 

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Monsieur le ministre, j’hésite ! J’hésite à défendre cet amendement, non pas en tant que tel, mais parce que je suis convaincu que l’OFII ne dispose pas des moyens nécessaires.

Au cours d’une mission consacrée à l’Office, j’ai visité des centres. Et j’ai constaté combien étaient dérisoires les cours de français, d’instruction civique, la formation à la société française… On peut toujours faire des déclarations pour affirmer que l’on va améliorer le niveau en français l’année prochaine, en le faisant passer du niveau 1 au niveau 2 : si on ne donne pas les moyens nécessaires à l’OFII, ces propos resteront lettre morte !

Monsieur le ministre, quand vous dites que 94 % des crédits de l’ATA sont inscrits en loi de finances. C’est vrai, facialement. Toutefois, avec un report de 40 millions d’euros, en réalité, vous êtes à 70 millions d’euros.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce n’est pas si mal !

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. C’est mieux que 34 millions d’euros, certes. N’engageons pas sur une bataille de chiffres, ce n’est pas le sujet. Le problème, c’est que l’on ne se donne pas les moyens d’intégrer dans de bonnes conditions les gens qui ont demandé l’asile et qui l’ont obtenu au terme d’un parcours administratif.

Je reviendrai un jour sur l’ensemble des centres d’hébergement pour les réfugiés. Sincèrement, ils ne sont pas dignes du droit d’asile qui a été accordé à ces derniers ! Il faut une politique équilibrée, qui soit sans complaisance envers une immigration qui, en réalité, joue sur le droit d’asile ; en même temps, ceux qui sont réellement demandeurs d’asile doivent être mieux traités que nous ne le faisons actuellement Quant aux délais de traitement des dossiers, ils progressent très peu, en fait.

Monsieur le ministre, j’ai demandé le rejet de l’ensemble des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». J’ai donc quelque peu de scrupules à défendre un amendement visant à faire passer 10 millions d’euros du programme 303 au programme 104…

En conséquence, après avoir souligné que l’OFII n’a décidément pas les moyens de réaliser sa mission et que je compte sur vous, monsieur le ministre, pour rétablir cet équilibre, je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme Esther Benbassa. C’est la sagesse !

Mme la présidente. L’amendement n° II-160 est retiré.

Nous allons maintenant procéder au vote des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 46 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 133
Contre 207

Ces crédits ne sont pas adoptés.

Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

(M. Jean-Pierre Caffet remplace Mme Isabelle Debré au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

Outre-mer

Etat B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Etat B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Outre-mer » (et articles 57 et 57 bis).

La parole est à Mme Teura Iriti, rapporteur spécial.

Mme Teura Iriti, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma première intervention sur les crédits de la mission « Outre-mer », vous comprendrez que j’intervienne, à la fois, en qualité de rapporteur spécial de cette mission et en tant qu’élue ultramarine d’une Polynésie bien française qui vous envoie tous ses soleils pour illuminer nos travaux. (Sourires. – Applaudissements sur certaines travées.)

Ce projet de budget apporte incontestablement certaines réponses aux besoins particuliers des territoires d’outre-mer, et je m’associe à mes collègues ultramarins qui ont eu l’occasion de vous en féliciter, madame la ministre, au cours des débats parlementaires.

Je retiendrai dans ce projet de budget trois priorités.

La première concerne la nécessité vitale pour nos collectivités de soutenir l’emploi et les entreprises, qui souffrent encore plus durement outre-mer qu’en métropole des effets du ralentissement économique mondial.

La deuxième priorité porte sur les mesures en faveur du développement et de la formation des jeunes, pour contribuer au redressement des économies ultramarines et les accompagner à l’aide de nouveaux outils de développement.

La troisième priorité, enfin, vise à répondre aux besoins massifs de logements dans les territoires ultramarins, à l’aide de mesures favorisant l’accès à une palette de logements élargie, du très social jusqu’au logement intermédiaire, en passant par l’habitat dispersé, qui reste un domaine à consolider.

S’agissant de l’emploi, la compensation des exonérations de charges sociales constitue une nécessité vitale pour les économies des territoires ultramarins. En 2014, ce dispositif a été recentré sur les bas salaires, pour une économie estimée à 90 millions d’euros, et à 108 millions d’euros en régime de croisière. Par ailleurs, 1,13 milliard d’euros sera consacré en 2015 à la compensation des exonérations de charges.

Une question demeure toutefois, celle de la dette de l’État vis-à-vis des organismes de sécurité sociale, qui s’élevait, en 2013, à 75,5 millions d’euros. La réforme de 2014 devrait s’accompagner de mesures visant à apurer la dette antérieure ; vos rapporteurs resteront cependant vigilants sur cette question.

S’agissant des aides spécifiques aux entreprises, l’article 57 rattaché à la présente mission prévoit la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière.

Le bilan de cette mesure montre que, depuis sa création, cette aide a été globalement peu utilisée à l’échelle de l’outre-mer par les entreprises hôtelières. Je proposerai donc d’adopter cet article sans modification.

Pour ce qui concerne la formation des jeunes ultramarins, celle-ci repose essentiellement sur le service militaire adapté, le SMA, et la formation en mobilité.

Le SMA constitue un incontestable succès : 76,3 % des volontaires quittent ce dispositif avec un stage qualifiant ou un contrat, et je me félicite que l’objectif de 6 000 volontaires ait de bonnes chances d’être atteint en 2016.

La formation en mobilité s’appuie principalement sur trois dispositifs : le passeport-mobilité formation professionnelle, ainsi que les programmes « Cadre avenir » et « Cadres pour Wallis-et-Futuna ». Ces initiatives, bien qu’elles soient utiles, semblent toutefois limitées au regard des enjeux et devront être confortées par des dispositifs à plus large portée.

C’est un euphémisme que de dire que la crise du logement revêt une dimension particulière dans les territoires ultramarins : quelque 7 612 logements sociaux neufs ont été financés en 2013, quand il en faudrait 12 000 pour satisfaire les besoins. La stabilité des crédits de paiement de la ligne budgétaire unique à 247,7 millions d’euros est une mesure de sauvegarde qu’il faut saluer, même si elle est loin d’être suffisante.

Cependant, au-delà de ces mesures de sauvegarde, le projet de budget qui nous est présenté comporte de graves lacunes, qui ne me permettent pas de le soutenir.

De fait, comme l’a souligné l’intergroupe parlementaire auquel je ne peux, bien évidemment, que m’associer, la hausse globale des crédits consacrés au financement de contrats de plan État-régions ne doit pas masquer certaines disparités. La Polynésie française verra ainsi le montant des autorisations d’engagement dédiées au financement de ces contrats diminuer de plus de 6 millions d’euros en 2015.

L’article 57 bis rattaché à la présente mission prévoit, de plus, la fixation dans la loi du montant de la dotation globale d’autonomie, la DGA, versée à la Polynésie française. Il entérine ainsi, pour l’avenir, une baisse significative de cette dotation, ce qui est un bien mauvais sort réservé à la Polynésie française au sein d’un budget présenté comme équitable entre les collectivités. C’est pourquoi, à titre de refus symbolique, j’ai appelé à voter contre cet article pour rouvrir la discussion entamée à l’Assemblée nationale sur le sujet, tout en sachant que nos marges de manœuvre étaient étroites.

Les filets de la nasse étant bien serrés, puisqu’il nous faudrait encore amputer les crédits du SMA, j’aurai l’occasion, mes chers collègues, de vous demander de revenir sur cette position de principe lors de la discussion de cet article.

Cette position en rejoint une autre à propos de la continuité territoriale, qui est un autre sujet de déception, sur lequel je partage les attentes de notre collègue Didier Robert. Pourtant, si je ne puis être favorable à une nouvelle ponction de 10 millions d’euros sur le SMA pour abonder les crédits de la continuité territoriale, je me félicite que la délégation sénatoriale aux outre-mer envisage de se saisir du dossier en 2015 pour formuler des propositions de révision d’une politique publique tellement importante pour les relations avec les collectivités ultramarines.

Enfin, je rappellerai que la mission « Outre-mer » a vu ses crédits diminuer de 4,2 millions d’euros à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale sur des programmes présentés, là encore, comme prioritaires.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable au projet de budget qui nous est présenté aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, rapporteur spécial.

M. Georges Patient, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec près de 2,7 millions d’habitants, les territoires ultramarins rassemblent plus de 4 % de la population française.

Malgré leur diversité de populations et de cultures, les outre-mer – il est préférable d’employer le pluriel, tant leur situation géographique et leur niveau de développement sont différents – sont confrontés à une même situation de crise, avec un dénominateur commun : l’urgence.

Cette urgence est tout d’abord sociale : une étude relativement récente de l’Agence française de développement souligne ainsi que l’indice de développement humain des outre-mer est significativement plus faible que celui de la métropole. Ces territoires connaissent un retard de développement estimé à une vingtaine d’années en moyenne.

Cette urgence sociale se double d’une urgence économique. Selon l’INSEE, le PIB par habitant de ces territoires s’élevait à 19 349 euros en 2005, contre 31 420 euros dans l’hexagone. Le taux de chômage des outre-mer représente en outre plus du double de celui de l’hexagone, soit plus de 25 %. Les jeunes sont particulièrement touchés, puisque leur taux de chômage peut atteindre, selon les territoires, jusqu’à 60 %, contre 24 % environ en métropole.

Ce budget apporte des réponses concrètes à cette double urgence. En effet, avec un peu plus de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, la mission « Outre-mer » fait partie des rares missions dont les crédits augmenteront sur l’ensemble de la programmation triennale 2015-2017.

Plus de 90 millions d’euros supplémentaires seront ainsi consacrés, sur les trois prochaines années, aux deux programmes de la mission « Outre-mer », le programme 138, « Soutien à l’emploi », et le programme 123, « Amélioration des conditions de vie outre-mer ».

En 2015, les crédits de la présente mission afficheront une relative stabilité. Ils progresseront de 0,39 % en crédits de paiement et diminueront de 0,7 % en autorisations d’engagement, hors mesures de périmètre.

Ce budget traduit aussi la participation de la mission « Outre-mer » à l’effort de réduction des dépenses publiques. Je citerai comme exemple le recentrage des exonérations de charges intervenu en 2014 – il devrait produire ses pleins effets en 2015 –, la diminution de 5 % des crédits de fonctionnement du ministère, la suppression ou encore la réforme de plusieurs dispositifs d'aide en 2015.

Le budget de la présente mission est avant tout un budget de soutien. Il est constitué à près de 90 % de dépenses d’intervention. Le dispositif de compensation des exonérations de charges aux organismes de sécurité sociale représente ainsi, à lui seul, plus de la moitié des crédits de paiement de la mission, soit 1,13 milliard d’euros.

La dépense liée au remboursement des exonérations de charges augmentera de 200 millions d’euros sur le quinquennat. En outre, les entreprises situées dans les départements d’outre-mer, qui pouvaient déjà prétendre au bénéfice du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dans les conditions de droit commun, pourront bénéficier d’un taux majoré qui sera porté de 6 % à 7,5 % en 2016, puis à 9 % en 2017.

La majoration du taux du CICE devrait contribuer à compenser le déficit de compétitivité dont souffrent les entreprises ultramarines. Reste, madame la ministre, à vérifier l’impact sur le terrain de ces exonérations de cotisations sociales, outil essentiel de la politique de l’État pour la croissance et l’emploi dans les outre-mer. Les résultats en termes d’emplois créés ou sauvegardés, en termes d’incitation à investir plutôt qu’à rémunérer le capital, seront-ils à la hauteur des enjeux ?

S’agissant du logement, les efforts sont louables. Après avoir connu une hausse significative de 25 % depuis 2011, les crédits de paiement de la ligne budgétaire unique sont sanctuarisés. Toutefois, cette augmentation des crédits n’a pas permis d’éviter de revenir à un niveau élevé des impayés de l’État vis-à-vis des bailleurs sociaux : 34,6 millions d’euros à la fin de 2013.

Par ailleurs, il convient d’émettre des réserves sur le niveau retenu pour les crédits, qui ne devrait pas permettre une diminution significative du niveau des charges à payer pour le logement.

Malgré ces efforts, les besoins annuels en matière de logement restent immenses. Ils sont évalués à un nombre d’habitations compris entre 21 000 et 24 000, dont près de 11 600 logements sociaux. Or le nombre de logements neufs sociaux financés n’était que de 7 162 en 2013.

Les crédits à la jeunesse sont un point de satisfaction. L’action n° 2, Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle, qui vise essentiellement le service militaire adapté, le SMA, voit ses moyens augmenter. Cette progression des crédits devrait permettre d’atteindre l’objectif de 6 000 volontaires d’ici à 2017.

Diminuer ces crédits de dix millions d’euros, comme le propose notre collègue Didier Robert dans un amendement déposé au nom de la commission des affaires sociales, se traduirait par une réduction des moyens du SMA d’environ un cinquième. Cette mesure ne me semble pas souhaitable, dès lors que les outre-mer affichent des taux moyens de chômage des jeunes de plus de 50 % et que le SMA est reconnu comme un dispositif efficace, qui faisait jusqu'alors l’unanimité sur les travées de cette assemblée.

L’augmentation des crédits de l’ADOM, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité, permettra de sécuriser la politique de formation en mobilité, qui est sa mission prioritaire. La réforme du dispositif d’aide à la continuité territoriale, telle qu’elle est proposée, n’aura aucune conséquence pour 80 % des bénéficiaires de l’aide : la majorité des personnes éligibles voyagent non pas tous les ans, mais tous les trois ou quatre ans. En revanche, cette réforme renforce les possibilités accordées aux étudiants, aux personnes en formation ou aux familles vivant des drames personnels.

Le soutien aux territoires ultramarins connaît des évolutions contrastées. S’agissant des quatre départements et régions d'outre-mer, les DROM, le montant initialement pris en charge était de 268 millions d’euros. Il s’élève, après transferts de crédits issus de quatre autres ministères, à 297,9 millions d’euros.

Quant aux moyens destinés au financement des opérations contractualisées, ils s’élèvent en 2015 à 137,5 millions d’euros en autorisations d’engagement, et 154,6 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de respectivement 5,28 % et 6,3 %, après une diminution l’an passé.

En revanche, les crédits du Fonds exceptionnel d’investissement, le FEI, subissent une baisse sensible. Or celle-ci ne doit pas remettre en cause l’objectif de 500 millions d’euros de crédits d’ici à 2017, objectif qui était un engagement du Président de la République.

S’agissant de l’appui à l’accès aux financements bancaires, il serait souhaitable que l’AFD, l'Agence française de développement, communique davantage sur les opérations éligibles à ce dispositif.

Enfin, les crédits consacrés à l’action n° 4, Sanitaire, social, culture, jeunesse et sport, sont stables. En raison de la forte croissance démographique des outre-mer et de l’importance des problèmes sociaux, un effort plus important aurait pu être consenti. Nous espérons que les ministères directement concernés y contribueront.

Il convient en effet de rappeler que la mission « Outre-mer » ne représente qu’une part minoritaire de l’effort de l’État en faveur des territoires ultramarins. Cet effort global en faveur des outre-mer est porté par quatre-vingt-cinq programmes relevant de vingt-six missions. En 2015, il atteindra 14,25 milliards d’euros, soit une augmentation de 0,3 %, après une baisse de 1,2 % en 2014.

Il est nécessaire cependant de noter que la hausse des crédits globaux en faveur des territoires ultramarins est essentiellement imputable à une hausse des dépenses de personnel, qui atteindront 7,26 milliards d’euros en 2015.

Je terminerai mon propos par cette information issue de la Fédération des entreprises d’outre-mer, la FEDOM, qui notait dans sa lettre du 20 octobre 2014 que l’effort budgétaire de l’État par habitant en 2013 s’élevait à 5 194 euros pour les onze départements et collectivités d’outre-mer, contre 5 668 euros pour l’Hexagone. Ce chiffre va bien sûr à l’encontre des idées reçues : les Ultramarins ne sont pas, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, les « enfants gâtés de la nation ».

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je voterai en faveur des crédits de cette mission, ainsi que des articles 57 et 57 bis rattachés, sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Serge Larcher, rapporteur pour avis.

M. Serge Larcher, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la définition du budget 2015 pour les outre-mer obéit à une équation complexe. D’un côté, dans un contexte difficile pour les finances publiques, les ressources sont rares ; l’heure est à la baisse des dépenses et à la maîtrise de la pression fiscale. De l’autre, la réalité économique et sociale des territoires ultramarins est fragile et dégradée.

Taux de chômage et de pauvreté beaucoup plus élevés que dans l’Hexagone, niveau de vie moyen nettement plus bas : les outre-mer sont en souffrance économique et sociale. Ils ont donc besoin que les mesures de rattrapage et de soutien destinées à renforcer leur compétitivité et à améliorer l’emploi continuent à se déployer.

Aussi, je me félicite de l’augmentation du budget prévue pour les outre-mer en 2015. En effet, si l’on gomme les effets des modifications de périmètres, le budget de la mission « Outre-mer » s’établit en hausse de 2,6 %. Préservation des dispositifs d’exonération de cotisations sociales, préservation de la LBU, la ligne budgétaire unique, poursuite de la montée en puissance du service militaire adapté : il y a de vrais motifs de satisfaction !

Par ailleurs, en dehors de la mission « Outre-mer », on trouve certaines dispositions particulièrement intéressantes pour nos territoires, comme la majoration de 50 % du taux du CICE et celle du taux du crédit d’impôt recherche.

En même temps, et je tiens à le dire avec insistance, les outre-mer ne restent pas à l’écart de l’effort de maîtrise de la dépense publique, comme en témoignent la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière – peu utilisée, d’ailleurs, et l’on sait pourquoi –, la diminution des dotations forfaitaires des départements et du bloc communal, la réforme de l’aide à la continuité territoriale, ou encore la baisse des moyens du ministère des outre-mer.

Si, en ce qui concerne les outre-mer, le texte initial du projet de loi de finances était déjà bon, la discussion parlementaire a permis de lui apporter encore quelques améliorations. Je me félicite notamment de l’adoption par nos collègues députés d’un amendement du Gouvernement tendant à rétablir les 6 millions d’euros nécessaires à la préservation de l’enveloppe allouée à la filière canne-sucre et à la diversification agricole.

Je me félicite également de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un article rattaché de la seconde partie de la loi de finances qui relève le plafond des avantages fiscaux de 10 000 à 18 000 euros, afin de permettre le financement du logement locatif intermédiaire.

Actuellement, le plafond est trop bas, et il se produit un effet d’éviction au détriment du logement intermédiaire. Peut-être aurait-on pu chercher à rendre cette disposition plus rapidement effective, comme je l’avais proposé au travers d’un amendement qui a malheureusement été rejeté. Néanmoins, on peut espérer que, à compter du début de l’année 2015, l’incitation fiscale jouera à plein pour stimuler un secteur du bâtiment dont la situation est réellement dramatique outre-mer.

Concernant le crédit d’impôt pour la transition énergétique, je regrette que l’examen des amendements sur la première partie de la loi de finances n’ait pas permis de réaliser des avancées plus franches. La plupart des dépenses d’amélioration de la qualité environnementale des logements qui seraient pertinentes dans un climat tropical sont en effet exclues du dispositif.

Or je m’étonne des arguments qui ont été avancés par certains pour empêcher la « tropicalisation » du dispositif. D’un côté, on nous dit qu’adapter un dispositif fiscal aux spécificités d’un territoire donné pourrait créer une inégalité devant l’impôt, avec un risque d’inconstitutionnalité à la clef ; de l’autre, si le dispositif n’est pas adapté aux spécificités du territoire, on nous dit qu’il est mal ciblé et va coûter trop cher… Il faut choisir !

À toutes fins utiles, je souhaite rappeler, dans cet hémicycle, que la France est diverse et que les outre-mer s’étendent pratiquement sous toutes les latitudes.

Par conséquent, on y rencontre autant de climats tropicaux que de climats rigoureux. Cela explique notamment que l’article 73 de la Constitution dispose que les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières des régions et des départements d’outre-mer.

Je souhaite enfin évoquer la situation dramatique du secteur hôtelier aux Antilles : ce moteur de l’économie locale est particulièrement en crise, du fait de son manque de compétitivité, dû à la concurrence des îles voisines et à la vétusté de ses infrastructures.

Exsangues, notamment du fait de leurs dettes fiscales et sociales, les entreprises hôtelières se voient contraintes de casser les prix, ce qui détériore plus encore leur situation financière. Par ailleurs, elles ne sont pas non plus éligibles aux dispositifs de défiscalisation et d’aides qui leur permettraient de rénover leurs établissements. C’est un cercle vicieux, qui les tire vers le bas !

Madame la ministre, j’estime qu’il est urgent de conduire une réflexion globale sur le secteur touristique et d’adopter des mesures fortes, afin d’éviter la fin programmée de la grande hôtellerie aux Antilles françaises et, singulièrement, à la Martinique.

En dépit de ces bémols, je vous invite, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires économiques, à émettre un avis favorable sur les crédits de la mission « Outre-mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2015, ainsi que sur les articles rattachés à cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Didier Robert, rapporteur pour avis.

M. Didier Robert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur les crédits de la mission « Outre-mer », ainsi que sur les articles 57 et 57 bis qui lui sont rattachés, principalement afin d’ouvrir le débat sur les crédits relatifs à la continuité territoriale.

Elle n’a pu en effet qu’émettre plusieurs réserves importantes face au manque d’ambition du budget qui nous est proposé et qui ne peut en aucun cas permettre de préparer l’avenir dans des territoires pourtant particulièrement défavorisés.

Vous nous dites, madame la ministre, qu’il s’agit d’un budget « préservé ». Pour ma part, j’y vois d’abord un effort financier minimal de l’État envers les outre-mer, certes dans un contexte budgétaire contraint, mais qui reste insuffisant à répondre aux besoins. Après la baisse de crédits introduite à l’Assemblée nationale, et cela de manière cavalière et sans aucune évaluation préalable, je crois que l’outre-mer joue en définitive le rôle de variable d’ajustement dans ce budget 2015. Nous avons au total une « variation » des crédits de + 0,1 % : c’est en réalité, vous en conviendrez, à peine une stagnation, si l’on tient compte de l’inflation.

Je ne reviendrai cependant pas en détail sur la présentation des crédits, qui nous a été excellemment faite par nos collègues de la commission des finances, et je concentrerai mon propos sur les éléments qui ont justifié les réserves de la commission des affaires sociales. Ils sont de deux ordres.

S’agissant tout d’abord du logement, je dois dire, madame la ministre, que je peine à trouver dans ce budget la traduction concrète et financière de votre « ambition pour l’habitat outre-mer ». La question est pourtant primordiale, tant les besoins, notamment en matière de logement social – le problème est connu –, sont immenses. Toutefois, je voudrais aussi insister sur les insuffisances s’agissant de la réhabilitation du parc de logements, notamment de la résorption de l’habitat insalubre. Il faut bien avoir en tête que, à Mayotte, par exemple, plus de 50 000 personnes vivent encore dans des cases insalubres en « non dur ».

Face à cette situation, on nous indique que la mise en œuvre du plan pluriannuel pour le logement social pour les outre-mer ne mobilisera pas d’autres instruments budgétaires que ceux dont nous disposons déjà, à savoir la LBU, dont les crédits ne progressent pourtant pas cette année. On nous dit également que les opérations de réhabilitation du parc de logements anciens reposent en partie sur une éventuelle utilisation des « crédits restants » à la fin d’un exercice. Je pose donc la question de la réalité de la prise en compte des besoins dans les outre-mer.

J’en viens maintenant à la continuité territoriale, qui subit cette année une baisse de 20 % de ses crédits, soit 10 millions d’euros. Je voudrais tout d’abord rappeler l’importance de ce dispositif, qui constitue la traduction des principes d’égalité des droits, de solidarité nationale et d’unité de la République. Par nature, il devrait donc être considéré comme universel et pouvoir bénéficier le plus largement possible aux Ultramarins.

Compte tenu de ces principes, la réforme de l’aide à la continuité territoriale que vous nous proposez, madame la ministre, ne me paraît pas acceptable. Je passe sur la méthode employée, quoique je déplore le manque de concertation réelle et le flou artistique entourant encore ces modifications importantes. Je relève surtout que les crédits alloués aujourd’hui sont déjà insuffisants au regard des objectifs.

Je note également que, loin de constituer des voyages de confort, les déplacements effectués grâce à l’ACT répondent le plus souvent à des impératifs familiaux.

Je rappelle enfin que l’effort financier est largement partagé entre l’État et les collectivités territoriales. Ce sont d’ailleurs ces dernières, madame la ministre, qui prendraient en charge les déplacements effectués par des familles dont le quotient familial serait compris entre 11 000 euros et 26 000 euros, comme c’est le cas à La Réunion. Je regrette à ce stade la présentation caricaturale qui a pu être faite du dispositif. Le critère du quotient familial, vous le savez, a été justement retenu pour tenir compte de la situation particulière de chaque famille.

La DEGEOM, la délégation générale à l’outre-mer, nous indique qu’il est indispensable de contenir une dépense qui serait, selon les termes employés, « en explosion ». Or la réalité est bien celle d’une baisse continue des crédits, d’année en année, pour ce qui concerne la part de l’État : 55,2 millions d’euros en 2013, quelque 51,4 millions d’euros en 2014 et une proposition de 41,1 millions d’euros pour 2015.

Et si je rapproche cette participation de l’État des 187 millions d’euros versés à la Corse chaque année au titre de la continuité territoriale, vous comprendrez aisément la colère légitime, nourrie par le sentiment d’une terrible injustice, des populations d’outre-mer sur cette question.

Pour tenir compte de ces observations, la commission des affaires sociales a adopté, sur ma proposition, un amendement visant à reconduire pour 2015 les crédits relatifs à la continuité territoriale à la hauteur de ceux qui étaient ouverts en 2014. C’est là une mesure aussi minimale qu’indispensable, qui ne peut qu’être temporaire, en attendant la mise en place d’une véritable politique de continuité territoriale pour l’ensemble des territoires d’outre-mer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la présentation du budget pour 2015 en faveur des outre-mer. Permettez-moi simplement, comme certains de mes collègues, de me réjouir que, conformément à l’engagement du Président de la République, les crédits de la mission « Outre-mer » augmentent à périmètre constant. La situation socio-économique difficile des outre-mer a été prise en compte par le Gouvernement.

J’en viens immédiatement au sujet sur lequel la commission des lois a souhaité se pencher cette année, à savoir les difficultés d’application de la législation outre-mer. Ce sujet n’est pas sans incidence budgétaire. En effet, le droit ultramarin est foisonnant. Il devient de plus en plus du « sur-mesure », ce dont on peut se réjouir. Le droit pensé pour la métropole nécessite en effet d’être adapté à nos territoires ultramarins, tout le monde en conviendra.

Cependant, créer ce droit particulier, le suivre et le faire vivre suppose de disposer de moyens humains, notamment d’une expertise pointue. Cette affirmation est aussi vraie pour l’État que pour les collectivités ultramarines. Pensez-vous, madame la ministre, que ces moyens existent au sein de l’État, au niveau tant central que déconcentré ?

Je concentrerai mon propos sur quatre points.

Premièrement, j’évoquerai les ordonnances adoptées pour l’application et l’adaptation de la loi outre-mer. Ce recours est devenu traditionnel, pour ne pas dire systématique. Le Gouvernement peut compter autant sur l’article 38 que sur l’article 74-1 de la Constitution. D’ailleurs, cette dernière disposition, introduite en 2003, n’a pas, contre toute attente, limité le recours à l’article 38, bien au contraire !

Je rappellerai simplement un chiffre pour illustrer l’ampleur du phénomène : sur les textes examinés au fond ou pour avis par la commission des lois, quelque 87 habilitations ont été sollicitées par les gouvernements successifs depuis 2009. Pis, sur ces 87 habilitations, 25 n’ont pas été utilisées à temps, ce qui pose tout de même question !

Un tel constat soulève une difficulté de principe : les parlementaires ne peuvent pas correctement débattre des adaptations de la législation dans les outre-mer. Madame la ministre, je sais que vous n’êtes pas à l’origine de ce phénomène, mais je vous pose la question : pourquoi le Gouvernement réserve-t-il un traitement à part à nos territoires ? Le ministère des outre-mer peut-il davantage se faire entendre auprès des autres administrations, pour que les outre-mer ne soient pas seulement la préoccupation de votre ministère ? Les outre-mer doivent être non pas l’apanage des Ultramarins, mais un souci partagé par l’ensemble des ministres et des parlementaires.

J’évoquerai maintenant le principe de spécialité législative, qui constitue seulement une possibilité ouverte par la Constitution pour les collectivités d’outre-mer. C’est un principe aux racines anciennes – il remonte à l’Ancien Régime –, qui aboutit souvent à un droit obsolète ou lacunaire dans plusieurs de ces collectivités. Il a inexorablement décliné : abandonné pour plusieurs collectivités, puis pour plusieurs pans de la législation au sein des collectivités qui en connaissent encore l’application, sans doute faudrait-il faire preuve d’audace en envisageant son renversement ou, à tout le moins, en le réservant à des sujets pour lesquels son utilité est avérée. Par exemple, je ne suis pas sûr qu’il soit absolument pertinent en droit pénal et en procédure pénale, matières à propos desquelles il n’y a pas de raison objective de penser que la loi ne doit pas être la même pour tous les citoyens.

Un autre dispositif constitutionnel permet d’assurer l’adaptation de notre droit aux réalités ultramarines. Je pense aux délégations prévues par l’article 73 de la Constitution, que, depuis 2007, les départements et régions d’outre-mer peuvent recevoir du pouvoir législatif et règlementaire pour adapter les normes sur le territoire de leurs collectivités. Pour résumer, à l’exception des matières régaliennes, les assemblées locales sont conduites à « légiférer » avec l’accord du Parlement.

Ce mécanisme a été sollicité à plusieurs reprises, particulièrement par les collectivités guadeloupéennes et martiniquaises. Je regrette que nous ne prenions pas davantage le temps de dresser un bilan de l’utilisation qui est faite de ces délégations. Comment les normes nationales ont-elles été adaptées ? Des difficultés existent-elles ? Autant de questions sur lesquelles le Gouvernement et le Parlement devraient se pencher, plutôt que d’accorder des habilitations « à l’aveugle », sans songer aux conséquences.

Je conclurai en évoquant l’homologation ou l’approbation des sanctions pénales édictées par les autorités locales. Cette procédure est importante, car, à défaut, les règles édictées localement ne sont assorties d’aucune sanction : autant dire que leur effectivité est gravement compromise.

La responsabilité des retards, parfois de plusieurs années, observés en la matière incombe à l’État, particulièrement au Gouvernement. Notre collègue Michel Magras en a fait l’expérience malheureuse à Saint-Barthélemy. Madame la ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à respecter des délais raisonnables pour procéder à ces approbations ?

Sous réserve de ces observations, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également qu’en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de trente minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Paul Vergès.

M. Paul Vergès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 24 novembre 2011, dans ce même hémicycle, nous discutions du budget de l’outre-mer. J’avais exprimé ma conviction que nous nous acheminions vers la fin d’une période et que nous devions en tirer toutes les leçons.

Trois années plus tard, qu’en est-il ? Au gré des élections, ce ne sont plus les mêmes qui siègent sur ces travées ou qui sont à l’Élysée, à Matignon ou rue Oudinot.

Toutefois, nos problèmes, eux, n’ont pas changé. Pis, ils se sont aggravés ! Notre souci est toujours le même : comment corriger les conséquences à long terme des erreurs stratégiques commises dès le vote de la loi du 19 mars 1946 ?

Tout d’abord, la décision d’étendre aux seuls fonctionnaires de l’État les avantages du statut colonial réservé à la minorité des fonctionnaires d’autorité : revenus supérieurs de 100 %, congés en France tous les trois ans, trois ans de séjour sur place équivalant à quatre annuités pour la retraite et une retraite actuellement supérieure de 35 % par rapport à celle qui est versée à Paris.

Ensuite, l’absence de prévision des conséquences de la transition démographique à La Réunion : la population est passée de 240 000 habitants en 1946 à 850 000 actuellement, et l’on en comptera 1 million dans quinze ans. Chaque année, la population augmente de près de 10 000 habitants et le nombre de bacheliers, par exemple, de 9 000.

Les conséquences, depuis soixante-huit ans, de ces deux décisions, sur tous les plans – économique, social, culturel et politique –, sont évidentes, mais n’ont eu qu’un résultat : l’entêtement dans leur maintien. On crée, dès le départ, la base institutionnalisée de l’inégalité sociale et on pénalise du même coup tout le développement à venir.

Deux exemples : la seule surrémunération d’une seule catégorie de fonctionnaires, ceux de l’État, génère à La Réunion un montant de 600 millions d’euros par an, l’équivalent de la facture totale de l’énergie importée – pétrole, gaz et charbon. Et, dans le même temps, l’égalité sociale – le SMIC, les prestations familiales, les minima sociaux – nous a été refusée pendant un demi-siècle !

Si l’on y ajoute la suppression du chemin de fer, dans les années soixante, on a tous les éléments de la crise structurelle qui asphyxie l’économie et la société réunionnaises depuis soixante-huit ans. Et sur cela se greffent, depuis six ans, les conséquences de la crise mondiale.

Les menaces qui pèsent sur nous se sont aggravées : les outre-mer ne sont pas à l’abri d’explosions sociales tout aussi graves, sinon plus, que celles de 2009.

Les impacts de la crise sont considérables pour la France continentale ; ils le sont encore plus dans les territoires insulaires, fragiles. À La Réunion, nous ne le rappellerons jamais assez, c’est près d’un tiers de la population active qui est condamnée au chômage, ce sont plus de 40 % de la population totale qui vivent officiellement au-dessous du seuil de pauvreté. Quelle serait la situation de la France si elle comptait 10 millions de chômeurs et si 30 millions de ses habitants vivaient au-dessous du seuil de pauvreté ?

C’est sous cet angle que nous devons examiner le budget que l’on nous présente. Certes, les crédits de la mission « Outre-mer » ont été épargnés par les coupes budgétaires, mais ils ne représentent en fait que 14 % de l’effort financier consacré par l’État aux territoires ultramarins.

Au-delà de l’annonce brute des chiffres, il convient de s’interroger sur la philosophie économique qui sous-tend l’élaboration de ce budget.

Premier exemple : pour l’outre-mer, on nous annonce une augmentation des exonérations de cotisations sociales de 200 millions d’euros durant le quinquennat, soit une augmentation de 20 % en cinq ans.

Deuxième exemple : parmi les dix mesures phares présentées par le ministère des outre-mer, pour la croissance et l’emploi, trois portent sur les crédits d’impôt et une porte sur la défiscalisation.

Néanmoins, dans le même temps, les crédits de la ligne budgétaire unique pour le logement restent stables cette année et seront sanctuarisés pour les trois années à venir. Et que dire de cette mesure « phare » qu’est « la tenue d’un conseil de promotion du tourisme outre-mer au premier trimestre de 2015 », afin d’élaborer une stratégie ?

Le ministère des outre-mer avait annoncé le financement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, d’un plan de relance du tourisme en faveur de l’outre-mer. Sa réalisation était confiée à Atout France. Quel en est le bilan ? Quelles sont les retombées de la campagne internationale de promotion qui a été menée ?

Si changements il y a eu sur l’échiquier politique, force est de constater que ce sont toujours les mêmes méthodes, les mêmes leviers qui sont actionnés depuis deux tiers de siècle. Le cadre de réflexion dans lequel s’inscrivent les politiques en faveur des outre-mer n’a pas évolué, et cela, quels que soient les gouvernements en place.

Il n’y a pas de prise de conscience de la gravité de la situation dans les outre-mer, ou très peu. Et surtout, il n’y a pas la volonté d’admettre que le mode de développement plaqué sur les outre-mer depuis 1946 est à bout de souffle et qu’il faut en changer.

Certes, nous avons le droit d’amendement. Toutefois, quel que soit le nombre d’amendements que nous pouvons déposer, nous savons tous que cela ne changera en rien la situation au fond, que cela ne résoudra en rien nos difficultés.

De nombreuses réflexions ont été engagées durant ces dernières décennies, de nombreux rapports ont été commis, mais ils n’ont jamais été suivis d’effet, dans leur prise en compte globale. En 2011, j’avais attiré l’attention du gouvernement d’alors sur les échéances fatidiques pour La Réunion. Fait significatif de leur urgence, ces échéances fatidiques convergeaient en 2014.

J’évoquais le renouvellement du règlement sucrier : l’échéance est reportée. Portant, comment envisageons-nous, ensemble, la suite, à savoir la fin des quotas en 2017 – c'est-à-dire demain –, et, par voie de conséquence, celle du prix communautaire garanti ? La promesse d’une aide complémentaire de 38 millions d’euros pour la filière canne-sucre-rhum-bagasse est suspendue à la détermination de la France à obtenir l’autorisation de Bruxelles.

Toutefois, au-delà de cette aide ponctuelle, quelle est notre stratégie d’avenir ? Comment peut-on légitimement discuter en toute sérénité lorsque des rapports sur cette question sont confisqués par les ministères ? Et comment peut-on envisager l’avenir de la filière de la canne lorsque l’horizon de la prochaine convention canne entre planteurs et usiniers est réduit à deux ans seulement ?

J’évoquais le nouveau régime de l’octroi de mer. Là encore, l’échéance est repoussée de quelques années. Cependant, quelle est la perspective durable au-delà du terme fixé ? Le même questionnement que pour le règlement sucrier prévaut.

Même triste constat pour la question de la réforme des collectivités territoriales. Celle-ci était contestée en métropole, et elle le reste. Nous le disions alors, nous le répétons aujourd’hui : elle est totalement inadaptée aux outre-mer, notamment à La Réunion. La question de la gouvernance reste entière pour les outre-mer.

Quelles avancées pour La Réunion et les outre-mer dans la négociation des accords de partenariat économique entre l’Europe et les pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique ? Nous sommes toujours exclus de toute discussion. On aurait pu légitimement penser que des ambassadeurs sur nos trois océans avaient un rôle à jouer. Nous avons vite déchanté.

J’en donnerai un exemple : dans un mois – je dis bien dans un mois –, en décembre prochain, sera signé un accord entre vingt-sept pays d’Afrique orientale et australe regroupant 600 millions d’habitants et représentant 58 % du PIB continental. Parmi ces États figurent toutes les îles du sud-ouest de l’océan Indien, proches de La Réunion. Ces vingt-sept pays sont engagés dans un processus d’intégration économique, commerciale et sociale, ainsi que dans un accord de libre-échange commercial avec l’Union européenne. Quel sera le sort de La Réunion dans ce processus en cours ?

Chacun répète à l’envi que les outre-mer sont une chance pour la France, qu’ils permettent son rayonnement sur trois océans. Pourtant, dans le même temps, on continue à ignorer nos difficultés d’insertion dans notre environnement géographique proche. Un exemple : dans notre environnement immédiat, Madagascar est distante de La Réunion comme Paris l’est de Marseille.

M. le président. Mon cher collègue, je vous invite à conclure.

M. Paul Vergès. Je vais conclure, monsieur le président.

Cette île, peuplée de 4 millions d’habitants en 1946, en compte aujourd’hui plus de 23 millions et atteindra 55 millions d’habitants en 2050, soit dans une génération. Quelle est notre politique pour ce rendez-vous ?

Revenons à notre débat budgétaire. Bien sûr, il y a eu quelques avancées, ces trois dernières années. La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, par exemple, a permis d’encadrer, très timidement d’ailleurs, certains prix de la grande distribution, ainsi que l’activité bancaire. Néanmoins, le coût du crédit est toujours plus élevé dans les outre-mer qu’en France métropolitaine, et cela n’est pas acceptable.

Les anciens ministres Pierre Moscovici et Victorin Lurel, en mars de cette année, ont confié au comité consultatif du secteur financier une mission sur « la tarification des services bancaires dans les départements et collectivités d’outre-mer ». Ce rapport, daté de juin 2014, est d’ailleurs très instructif : il nous apprend que « le mouvement de convergence est ainsi amorcé par la tarification croissante des frais de tenue de compte en métropole ». L’écart se resserre, non pas parce qu’il y a une baisse outre-mer, mais parce que les tarifs augmentent en métropole.

Pour conclure, je citerai quelques chiffres. Les crédits de la mission « Outre-mer » s’élèvent, pour 2015, à 2,19 milliards d’euros. Les compléments de rémunération de la fonction publique d’État versés aux outre-mer, tous territoires confondus, s’élevaient, en 2013, à quelque 1,164 milliard d’euros, dont la moitié pour La Réunion.

M. le président. Mon cher collègue, il faut vraiment conclure !

M. Paul Vergès. Le coût des dépenses fiscales relevant de la mission outre-mer est estimé pour l’année 2015 à quelque 3,867 milliards d’euros. Peut-on raisonnablement envisager de poursuivre le même schéma de développement ?

Nous sommes à la croisée des chemins. Il est déjà très tard pour changer, mais il n’est pas encore trop tard pour prendre des mesures significatives et novatrices répondant à l’urgence économique, sociale, environnementale, et montrant une volonté de changement fondamental de politique.

Nous pouvons, s’il y a la volonté politique de le faire, ouvrir de nouvelles perspectives de développement en ayant le courage d’opérer les changements fondamentaux nécessaires : c’est le défi que nous avons à relever. Tout est une question de volonté politique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il me revient l’honneur de m’exprimer sur le budget de l’outre-mer au nom du groupe RDSE, qui compta parmi ses membres les plus illustres Gaston Monnerville, élu de l’outre-mer, qui fut un grand président du Sénat et un ardent défenseur de la Haute Assemblée.

En guise de propos liminaire, je soulignerai, comme l’ont fait les orateurs qui m’ont précédé, que cette mission est l’une des rares, dans le contexte budgétaire que l’on sait, dont les crédits augmentent, quoique légèrement : 0,3 % en crédits de paiement – voire 2,6 % à périmètre constant –, même si les crédits d’engagement connaissent un tassement de 2,3 %.

Ce maintien constitue un effort indéniable, dans un contexte de redressement des comptes publics – nous l’avons vu au travers de l’examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2015 et de celui des autres missions. Il est, en outre, conforme à la trajectoire triennale 2014-2017 et constitue un message fort en direction de tous les territoires ultramarins.

Nous le savons, les crédits de cette mission ne constituent qu’une partie des dispositions budgétaires et fiscales inscrites dans le projet de loi de finances et ayant une incidence dans les outre-mer. Les documents de politique transversale concernant l’outre-mer mettent en lumière une stabilisation des autorisations d’engagements entre les exercices 2014 et 2015.

Toutefois, l’année 2014 fut marquée par d’importants événements climatiques et des inondations sans précédent qui frappèrent les Petites Antilles, touchant plus particulièrement Saint-Martin.

Madame la ministre, quelques jours après le passage du cyclone Gonzalo, vous êtes venue à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin vous rendre compte des dommages causés, qui sont estimés à 3 millions d’euros s’agissant des seuls équipements publics. Ces dégâts sont des plus malvenus au moment où s’ouvre la saison touristique dans les Antilles.

Dans ce contexte, l’article 57 du présent projet de loi de finances, rattaché à la présente mission, qui prévoit l’abrogation de l’aide à la rénovation d’hôtels, instaurée par la loi pour le développement économique des outre-mer de 2009, nous a alertés.

Je ne reviendrai pas sur les écueils de ce dispositif, surtout sa complexité. Paradoxalement, bien qu’il n’ait été que peu utilisé sur l’ensemble des territoires d’outre-mer, celui-ci était largement consommé par les professionnels de Saint-Martin. Si certains autres mécanismes fiscaux existent en soutien de l’industrie du tourisme, la suppression de cette aide pourrait mettre en péril le fragile équilibre de ce secteur.

L’économie saint-martinoise repose essentiellement sur le tourisme. Son impact, direct ou indirect sur l’ensemble des activités économiques de l’île demeure fort. En outre, Saint-Martin se caractérise par un taux de chômage structurellement très élevé. Si l’on se fie au tableau inséré dans la note de présentation de nos collègues rapporteurs spéciaux, il est même le plus élevé, parmi l’ensemble des territoires d’outre-mer.

En septembre dernier, madame la ministre, lors de votre intervention en clôture du colloque intitulé « Tourisme outre-mer : osons une nouvelle dynamique », à l’Assemblée nationale, vous avez fixé, parmi vos priorités, le développement des infrastructures d’accueil, notamment hôtelières. Pour ce faire, vous aviez mis en avant le CICE renforcé à 9 % et évoqué un éventuel CICE « super-renforcé » à 12 %, pour les secteurs exposés à la concurrence.

Cependant, la collectivité de Saint-Martin, disposant de l’autonomie fiscale, ne bénéficie pas de ce dispositif de crédit d’impôt, qui pourrait compenser la suppression de l’article 26 de la loi de 2010 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM.

Mes chers collègues, si nous sommes tous ici des élus de la nation tout entière, nous n’en sommes pas moins des élus attachés à nos territoires. Le Sénat assure aussi la représentation des collectivités territoriales de la République, et je me fais donc le porte-parole des élus de la collectivité dont j’ai également l’honneur d’être le premier vice-président. Aussi, permettez-moi de m’éloigner quelques instants du périmètre de la mission « outre-mer ».

Madame la ministre, lors des travaux de l’Assemblée nationale, vous avez déclaré à propos des mesures inapplicables à Saint-Martin en raison de son autonomie fiscale : « C’est la rançon de la responsabilisation, qui emporte aussi quelques contraintes ». Je partage votre avis. Un statut de collectivité d’outre-mer implique en effet des responsabilités. La majorité actuelle de l’assemblée territoriale en prend toute sa part.

Toutefois, exemple parmi d’autres, entre 2011 et 2013, les recettes fiscales de la collectivité ont augmenté de plus de 40 %. Cette hausse s’est faite à la seule faveur des dispositions fiscales nouvelles votées par le Conseil territorial. Si l’État encourage la collectivité de Saint-Martin à assumer ses responsabilités, cela ne nous offense pas, loin de là. Néanmoins, cela implique aussi la même exigence de la part de l’État.

J’en donnerai quelques illustrations. La première concerne la compensation financière insuffisante des transferts de compétence intervenus en 2007. Nos concitoyens saint-martinois en subissent les conséquences au quotidien : des investissements inférieurs aux besoins et un faible budget alloué à la jeunesse saint-martinoise, dont l’extraordinaire potentiel ne demande qu’à croire en l’avenir.

Il nous faut dépassionner les discussions, dépasser les clivages et travailler ensemble à l’émergence de solutions pour l’avenir de Saint-Martin.

Le deuxième sujet concerne les recettes fiscales non reversées à la collectivité. Cela fait plusieurs années que l’exécutif demande le reversement des recettes fiscales dues : droits sur les jeux, droits de succession, fraction de taxe de l’aviation civile, compensation des règles particulières de domiciliation fiscale... La liste pourrait être encore bien plus longue.

Malgré des engagements écrits du préfet délégué auprès des collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ainsi que de vos prédécesseurs, rien n’est encore réglé. Madame la ministre, je tiens à souligner l’inquiétude grandissante au niveau local.

À Saint-Martin, les 10 millions d’euros qui sont attendus seraient particulièrement appréciés, surtout eu égard à la situation budgétaire dégradée que nous déplorons, ainsi qu’aux dépenses imprévues liées aux événements climatiques dont j’ai fait mention tout à l’heure.

J’admets que les sujets que j’évoque ici auraient pu trouver leur place au cours de l’examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Cependant, votre présence aujourd’hui m’a amené à les exposer devant vous – vous le comprendrez, madame la ministre, j’en suis certain –, en attendant notre rencontre prochaine et leur examen plus en détail.

Je souligne que ces questions sont d’importance et je suis certain qu’elles pourront constituer les prémices d’un dialogue renouvelé et d’un travail en concertation entre l’État et la collectivité de Saint-Martin.

Ainsi, madame la ministre, mes chers collègues, mon groupe, le RDSE, et moi-même approuverons les crédits de la mission « Outre-mer » de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Magras.

M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le niveau des crédits et leur variation sont certes des éléments clefs pour apprécier un budget, mais ils sont tout autant des signaux envoyés pour indiquer une orientation des politiques publiques, directement ou en marge du budget.

En l’occurrence, madame la ministre, dans sa globalité, c’est avec un certain soulagement que j’ai trouvé du sens aux orientations que traduisent votre budget et les annonces qui l’ont accompagné. C’est l’une des raisons pour lesquelles je commencerai volontairement par m’écarter du budget en relevant votre projet de stratégie pour relancer le tourisme outre-mer.

Je crois, en effet, qu’il s’agit d’un secteur qui doit concentrer toute l’attention, tant son potentiel de croissance est important. En outre, comme vous le savez, c’est un sujet auquel je suis particulièrement sensible. L’outre-mer possède la matière première touristique. Or le secteur du tourisme contribue à hauteur de moins de 10 % au PIB. On ne peut qu’en conclure que le potentiel de croissance et d’emplois inexploité est considérable.

C’est pourquoi, symboliquement, j’ai souhaité commencer cette intervention par ce point, pour saluer cette intention. Il en est de même s’agissant de l’augmentation des crédits du service militaire adapté, le SMA, car ce dispositif mérite d’être renforcé. Il répond en effet au besoin de formation et d’encadrement de la jeunesse ultramarine, qui enregistre des taux de chômage record, de plus de 30 % en moyenne.

Nous ne devons pas non plus ignorer les difficultés, inégales d’un territoire à un autre – sociales, voire parfois morales –, qui sont cachées derrière les chiffres de l’emploi. La jeunesse a besoin de repères, plus encore dans un contexte difficile, et je pense que le SMA constitue une réponse globale pour les jeunes qui s’y dirigent.

Ce budget prend par ailleurs en charge une partie de la politique fiscale mise en œuvre outre-mer. Ce serait me renier que d’affirmer que la défiscalisation est un outil que j’approuve de manière absolue. Nombreux sont ceux de mes collègues qui ont eu l’occasion de m’entendre la décrier en raison du caractère artificiel et non durable de l’activité économique qu’elle crée.

Pour autant, je considère qu’elle reste pour l’outre-mer un outil qui permet de compenser les difficultés d’accès au crédit et le déficit en capital pour l’investissement. Lier l’avantage fiscal à la réalisation d’un objectif – ce que j’ai souvent appelé « la défiscalisation de projet » – aurait à mon sens favorisé des investissements plus inscrits dans la durée.

Cela dit, au titre des mesures fiscales, je souhaiterais aborder en premier lieu la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière. Mon collègue de Saint-Martin vient d’en parler brillamment. Je sais que nombreux sont mes collègues qui la déplorent. Je suis, pour ma part, plus nuancé, car je considère qu’il s’agissait d’un dispositif en demi-teinte.

Le parc hôtelier ultramarin de la Guadeloupe, que je connais mieux – mais j’ai entendu mon collègue de la Martinique dire la même chose du parc martiniquais –, nécessite un vaste plan de mise aux normes internationales pour pouvoir entrer véritablement en concurrence avec les îles voisines. Je mets donc cette suppression en perspective de la stratégie de relance du tourisme annoncée, souhaitant qu’elle préfigure la mise en place d’un outil de remplacement plus global et, j’ose le dire, plus efficace.

Toujours au titre des mesures fiscales, je crois inutile de préciser que je note avec satisfaction le relèvement à 50 % du crédit d’impôt recherche.

Il est effectivement vital d’encourager la recherche et le développement dans ces territoires, et, sur ce point, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la recherche et développement représentent en outre-mer 0,65 % du PIB, contre 2,24 % en métropole. Le retard est donc considérable. On peut, de plus, attendre un double bénéfice de cette incitation : outre l’augmentation de la recherche par les entreprises locales, elle pourrait favoriser l’implantation d’entreprises attirées par l’avantage fiscal.

La recherche montre d’ores et déjà un dynamisme encourageant, avec une hausse de plus de 20 % des effectifs salariés du secteur de la recherche scientifique dans les départements d’outre-mer entre 2006 et 2012.

En revanche, s’agissant du crédit impôt innovation, je regrette que le taux de 20 % ait été maintenu. La mesure mérite d’être renforcée par rapport à la métropole, car elle correspond davantage au tissu entrepreneurial ultramarin, composé essentiellement de très petites, petites et moyennes entreprises.

Dans le contexte majoritairement insulaire des économies ultramarines, j’ai souvent eu à le dire, l’innovation n’est pas un mot ou une expression à la mode : elle est incontournable, voire vitale. L’insularité suppose une adaptation permanente, et encore plus aujourd’hui que se pose avec acuité la question de la transition énergétique. L’innovation est une clef du développement et de la réussite de nos territoires. L’encourager et l’accompagner n’est pas seulement un choix, c’est une obligation.

Or, avec un crédit impôt innovation fixé à 20 %, l’avantage fiscal dont pourrait bénéficier la majorité des entreprises serait moindre que celui du crédit impôt recherche, plus adapté aux grandes entreprises.

Quant au relèvement du plafond de défiscalisation pour le logement intermédiaire, il me semble conforme aux besoins et la structure socioéconomique de l’outre-mer, ce segment de logement connaissant d’importants besoins également.

À cet égard, la préservation des crédits de la ligne budgétaire unique, la LBU, marque la volonté de ne pas infléchir l’effort de rattrapage des besoins en logements sociaux. La réponse du Gouvernement au référé de la Cour des comptes sur le logement social outre-mer conforte la nécessité de maintenir la combinaison de la subvention par la LBU et de la dépense fiscale en matière de logement social.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objectif de croissance et de création d’emplois que nous visons tous ne peut se concevoir sans aborder la question de la compétitivité.

Dans leur environnement régional, les économies des outre-mer sont comparativement désavantagées par le poids des charges qui pèsent sur leurs entreprises. Le renforcement du CICE doit donc permettre d’améliorer leur compétitivité, à condition, bien entendu, que cet allégement y soit dédié et non considéré comme un simple allégement sans contrepartie.

Pour les secteurs exposés, au sein desquels j’inclus le tourisme, ce taux devrait être renforcé par un allégement supplémentaire de charges. Cet équivalent pourrait être atteint, notamment, par le relèvement des plafonds de salaires éligibles aux exonérations de charges.

En effet, si la concentration des allégements sur les bas salaires permet de cibler le plus grand nombre, il convient de prendre garde à ne pas créer une trappe généralisée aux bas salaires, au risque de créer une économie sous-encadrée. Le relèvement des plafonds serait, de surcroît, cohérent avec l’incitation à l’investissement dans la recherche notamment, et l’on ne pourra pas non plus relancer le tourisme sans cadres.

Enfin, un dernier sujet, mais non des moindres, est celui de la continuité territoriale. J’ai relevé les propos de Mme Bello, évoquant à l’Assemblée nationale l’ambiguïté du dispositif, d’ailleurs révélée par son nom.

Le rapport de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, la CNEPEOM, nous a amenés à conclure au sujet des dispositifs d’aide à la continuité territoriale qu’il convenait de trouver une ressource à affecter à leur financement, tout en les encadrant davantage, notamment pour l’aide à la continuité territoriale, l’ACT, un dispositif tout public, cofinancé par certaines régions.

L’ouverture d’un droit sans fixer de limites revient à augmenter la dépense selon l’évolution de la demande. Je reste néanmoins surpris, comme beaucoup d’autres, par l’amputation de 10 millions d’euros des crédits consacrés à la continuité territoriale.

Madame la ministre, je suis bien conscient qu’un budget ne peut pas tout régler et que les urgences sont nombreuses outre-mer. Je suis convaincu que, dans ce contexte, le travail et la réflexion doivent être mis en commun, et c’est dans cet esprit que j’inscris mon intervention.

Je ne saurais toutefois conclure ce propos général sans évoquer Saint-Barthélemy. Le Sénat a adopté cette semaine un amendement réduisant la dotation globale de compensation négative de Saint-Barthélemy. Je le sais, madame la ministre, c’est un sujet que vous suivez avec attention, et je suis persuadé que votre accompagnement sera déterminant pour le sort de cet amendement.

J’en terminerai avec la question qui vous a été posée à l’Assemblée de l’extension du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi aux collectivités d’outre-mer à fiscalité particulière.

La proposition de Saint-Barthélemy sur ce point est formulée dans la proposition de loi que j’ai déposée, visant notamment à créer une caisse locale de prévoyance sociale. Celle-ci permettrait un abaissement des charges en produisant un effet équivalent à celui du CICE. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz.

M. Michel Vergoz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je formulerai trois remarques sur cette mission « Outre-mer ».

La première est l’augmentation constante de ses crédits de paiement sur les trois dernières années, de 7,5 %. Ce constat atteste du respect par le Gouvernement de l’engagement pris par le chef de l’État de faire des territoires ultramarins de la République une priorité. La considération retrouvée de la République envers ses outre-mer tourne ainsi le dos au sentiment d’abandon de ces dernières années, et je m’en félicite.

Ma deuxième remarque porte sur les orientations majeures confirmées, voire renforcées, au travers de ce budget, sur des dossiers aussi vitaux que ceux du logement et de l’emploi.

S’agissant du logement, la ligne budgétaire unique est remise sur la voie de la sanctuarisation. LBU, défiscalisation, c’est, dans cet ordre, la meilleure association pour une relance sécurisée et efficiente du secteur du logement outre-mer.

À propos de la défiscalisation élargie au logement intermédiaire à hauteur de 18 000 euros, la voix des élus et des acteurs économiques a été entendue par le Gouvernement. Madame la ministre, nous nous en réjouissons.

La défiscalisation, si longtemps décriée, souvent à juste titre, est une véritable clef pour le développement économique et social des outre-mer. Mes chers collègues, nous savons reconnaître les bonnes initiatives, même quand elles ne viennent pas de nous. La mise en œuvre, aujourd’hui responsable et transparente, de la défiscalisation, est une condition essentielle à la poursuite de sa mobilisation efficace demain. Nous devons tous en être conscients et nous préparer aux évaluations.

En ce qui concerne l’emploi, de nombreuses autres mesures dans ce budget constituent des atouts essentiels pour y faire face. Il en est ainsi des exonérations de charges en augmentation, comme les orateurs précédents l’ont souligné, ainsi que de la hausse du CICE – celui-ci est une réalité, dès à présent, dont la visibilité est triennale –, à 4 % en 2013, 6 % en 2014, puis 7,5 % en 2015 et 9 % en 2016, autant de mesures de nature à renforcer ce crédit d’impôt, si d’aventure nous parvenons à le faire entrer dans le cadre de la réglementation européenne.

Soulignons également la présence aujourd’hui de la Banque publique d’investissement, la BPI, qui est opérationnelle, en lieu et place de banques privées souvent aux abonnés absents.

Il en est de même du service militaire adapté, le SMA, symbole fort de l’apprentissage et de la formation professionnelle, un outil de référence que ce budget assoit et développe, ou encore de l’économie sociale et solidaire, enfin reconnue, afin de répondre au mieux au défi du chômage qui gangrène et déstructure nos sociétés ultramarines. Dans ce budget, de nombreuses mesures constituent en effet des leviers importants pour agir plus efficacement sur l’emploi.

Ma dernière remarque concerne l’amendement présenté par M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur la continuité territoriale.

Comme je l’ai indiqué en 2011 et en 2012, alors que j’assurais cette fonction, la continuité territoriale, slogan de campagne déjà en 2002, n’a jamais existé, sauf à continuer de détourner les mots de leur sens véritable. Même 50 millions d’euros n’assurent en rien une continuité territoriale entre les outre-mer et l’Hexagone. En revanche, 10 millions d’euros en moins sur le SMA font beaucoup de dégâts !

En réalité, mes chers collègues, c’est d’aide à la mobilité seule que nous devrions parler. Agissons ensemble, État et régions, pour rendre cette aide plus efficace, au côté de ceux qui en ont besoin : jeunes, étudiants, personnes en formation, familles à faibles revenus... Les moyens mobilisés dans ce budget pour l’aide à la mobilité nous le permettent.

Mes chers collègues, ce budget est respectueux des engagements, il est volontaire dans un contexte budgétaire difficile, il est aussi courageux de la part du Gouvernement, face aux interrogations légitimes que pourraient lui poser nos collègues hexagonaux.

Aussi, me vient à l’esprit cette situation si bien décrite en créole : Certes, Z’enfant i pleure pas na poin tété – l’enfant qui ne pleure pas n’a pas sa tétée. (Sourires.) Toutefois, attention : À force tant lu pleure, personne i entend pu lu – à force de tant pleurer, plus personne ne l’entend. (Nouveaux sourires.)

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est joli !

M. Michel Vergoz. Les outre-mer sont au pied du mur. Soyons à la hauteur. Je vous remercie de soutenir ce budget. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Excellente intervention, tout à fait remarquable !

M. le président. La parole est à M. Pierre Frogier.

M. Pierre Frogier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne puis prendre la parole devant vous, en cette fin d’après-midi, sans me rappeler que, voilà trente ans, jour pour jour, la Nouvelle-Calédonie était défigurée par une terrible flambée de violence.

C’est en novembre 1984 qu’a débuté cette période sombre de notre histoire récente, que nous avons pudiquement baptisée « les événements », quand la revendication indépendantiste a choisi, pour s’exprimer, la voie insurrectionnelle.

Notre territoire a été livré à une véritable guerre civile, à la confrontation brutale de nos communautés. Il a vécu une période de violents désordres, d’exactions, de vols, de pillages, d’incendies, qui ont déchiré les familles, les tribus et les clans. Il y eut des familles contraintes de quitter la brousse, des clans chassés de leurs terres. Il y eut des blessés et des morts.

Trente ans après, nous n’avons pas oublié et nous ne voulons plus jamais revivre cela. Nous n’avons pas oublié non plus que ce sont les promesses aux indépendantistes du gouvernement socialiste de l’époque, promesses impossibles à tenir, qui ont mis la Calédonie à feu et à sang. Cela non plus, nous ne voulons plus le connaître !

Après nous être violemment affrontés, entre indépendantistes et partisans du maintien au sein de la France, nous avons choisi la voie difficile de la paix et de la réconciliation, et nous avons décidé de construire, ensemble, notre avenir. Depuis 1988, grâce aux accords de Matignon, prolongés par l’accord de Nouméa, nous sommes engagés dans un processus exemplaire de dialogue et de partage des responsabilités. Ce processus fait l’admiration de tous.

À l’heure où le Président de la République vient de se rendre en Nouvelle-Calédonie et alors que nous entamons la dernière phase du processus de l’accord de Nouméa, il nous a été rappelé que l’État organiserait, au plus tard en 2018, un référendum d’autodétermination pour décider de notre avenir.

Je souhaite vous redire ce soir, avec force, que ce référendum d’autodétermination n’est pas susceptible de résoudre l’équation qui nous est posée : satisfaire deux revendications radicalement antagonistes.

Si, lors de cette visite, le Président de la République a tenu à s’incliner sur les tombes de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Tjibaou, c’est bien pour saluer la poignée de main qui a scellé un accord de paix et de réconciliation. Ce geste nous oblige et nous engage, par ailleurs, en nous rappelant que, en surmontant nos différences, la cogestion du territoire, entre les indépendantistes et nous, est devenue la norme.

Certes, vous m’opposerez que le scrutin d’autodétermination est inscrit dans l’accord de Nouméa. Toutefois, ce scrutin d’autodétermination est absurde, monsieur Sueur !

Alors que, depuis près de trente ans, nous faisons tout pour travailler ensemble, pour apprendre à nous connaître et à nous reconnaître, pour nous respecter mutuellement, nous allons rouvrir de vieilles blessures, nous allons de nouveau diviser les Calédoniens, et tout cela pour une consultation dont nous connaissons par avance le résultat, quelle que soit l’habileté rédactionnelle des questions qui seront posées. Je vous le dis, cela n’a aucun sens ! Pis, en validant la logique des blocs, le référendum brutal risque de séparer ces mains qui se sont unies.

Madame la ministre, je pense aussi comprendre que l’accord de Nouméa, dans sa rédaction actuelle, est finalement une aubaine pour l’État, ce dernier étant plus prompt à esquiver, à fuir ses responsabilités régaliennes de signataire des accords, plutôt qu’à assumer son rôle de partenaire éminent.

En vous situant à équidistance des indépendantistes et de nous, vous nous renvoyez dos à dos, au risque d’alimenter les tensions entre nous. En ajoutant un groupe d’experts indépendants à la mission Christnacht-Merle, le tout placé sous l’œil vigilant de missions parlementaires de réflexion sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie – à l’Assemblée nationale, et pourquoi pas au Sénat ? –, vous créez les conditions de l’impuissance et de la cacophonie.

Madame la ministre, les enjeux en Calédonie et dans le Pacifique exigent un État fort, sûr de lui, afin que ne triomphent pas ceux qui s’opposent dans les deux camps aux concessions nécessaires.

Un État fort, c’est être capable de se tenir aux côtés des Calédoniens, qui, en dernier ressort, décideront de leur avenir, mais en affirmant avec courage ses ambitions, ce qu’il ne fait pas.

Un État fort, c’est être capable d’affirmer la fierté de la France d’être reconnue comme puissance régionale dans le Pacifique, au moment où cet océan est convoité par d’autres grandes puissances.

Un État fort, c’est être capable de saluer le message de milliers de Calédoniens, mobilisés le jour de l’arrivée du Président de la République à Nouméa, afin de lui dire leur fierté d’être Français et leur volonté de le rester, ce qu’il n’a pas fait.

Madame la ministre, l’État n’aura pas d’autre choix que de faire la proposition d’un nouvel accord, quel qu’en soit le nom. Plus il tardera, plus l’issue sera aléatoire, et vous en porterez la responsabilité, car ce n’est pas en substituant des proclamations formelles au douloureux exercice de la négociation que l’on se rapprochera de la solution.

N’ignorez pas la volonté très majoritaire des Calédoniens à rester Français, fiers de leur appartenance à une nation capable de reconnaître et d’additionner leurs différences ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Karine Claireaux.

Mme Karine Claireaux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances s’inscrit, une nouvelle fois, dans un contexte particulièrement difficile. Cependant, les crédits de la mission « Outre-mer », dont nous débattons, doivent être salués. En effet, le budget réservé aux outre-mer en 2015 prouve, si besoin en était encore, le respect des engagements du Président de la République et toute la considération, toute l’importance que le Gouvernement accorde aux collectivités ultramarines.

Depuis 2012, le soutien de l’État est resté sans faille ; chaque année, les outre-mer ont vu leurs crédits progresser. Des augmentations complémentaires sont encore prévues jusqu’en 2017.

Pour 2015, la hausse totale des crédits est significative. Elle permettra de soutenir l’emploi et la formation, mais aussi l’investissement public, ce qui est particulièrement important outre-mer.

Vous le savez, le statut de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon ne permet pas aux entreprises d’y bénéficier des dispositifs d’aide aux entreprises et, partant, d’exonérations d’impôts qui leur seraient pourtant bien précieuses. Nous ne pouvons que le déplorer et, au moment où une majorité d’élus s’interrogent sur la pertinence du statut actuel, force est de constater que c’est un des sujets qu’il faudra traiter et inclure dans notre réflexion. Nous devrons également nous pencher sur les compétences, sur les recettes de nos collectivités et, plus particulièrement, sur une situation que l’on peut assimiler à une mise sous tutelle des communes par la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon.

À cet égard, je profite de cette occasion pour revenir brièvement sur des enjeux qui cristallisent l’attention des élus depuis plusieurs années, sans qu’ils aient fait l’objet de réponses fermes et définitives de la part du Gouvernement. Je songe notamment aux dispositifs d’accompagnement social mis en œuvre au profit des plus démunis et, plus particulièrement, aux allocations de logement et à l’extension de plusieurs prestations sociales que la population attend depuis trop longtemps.

L’égalité sociale ne doit pas être un vain mot, et le montant des crédits à mobiliser au titre de ces mesures ne saurait être un frein à leur mise en place. C’est avant tout une question de volonté politique. Celle-ci doit être assumée, et elle doit se traduire dans les faits.

S’ajoute à cela un sujet ô combien important pour mon archipel : l’intégration de ce dernier à son environnement régional et le rôle qui doit être le sien en tant qu’unique territoire ultramarin français en Amérique du Nord.

Madame la ministre, vous connaissez mon attachement au rayonnement des outre-mer. Ma récente élection à la présidence du bureau du Conseil national de la mer et des littoraux ne peut que renforcer en moi ce sentiment. (Mme la ministre des outre-mer acquiesce.) Saint-Pierre-et-Miquelon a un rôle essentiel à jouer dans la stratégie maritime de notre pays aux portes des Amériques, comme poste avancé de la France et de l’Europe.

L’ouverture de la « route du Nord-Ouest » provoquera divers bouleversements, et la France, deuxième puissance maritime après les États-Unis, se doit d’être un acteur incontournable dans tous les débats que suscitera cette transformation.

Notre pays peut jouer ce rôle à partir de Saint-Pierre-et-Miquelon, à travers les installations portuaires comme par l’action de l’État en mer dans cet espace. Port d’intérêt national, Saint-Pierre doit devenir une base avancée du trafic maritime, dans le secteur marchand comme dans le domaine de la défense. À cette fin, des moyens matériels et humains devront être mis en œuvre. La construction d’un sémaphore et sa mise en service, l’acquisition de moyens de surveillance doivent, à cet égard, être élevées au rang de priorités.

Par sa position géographique, l’archipel dont je suis issue est un formidable atout pour la France dans le cadre de l’économie bleue dont il faut poser les bases. Les élus de Saint-Pierre-et-Miquelon seraient heureux d’y œuvrer avec le Gouvernement. Par un tel travail, celui-ci émettrait un signal fort de l’intérêt qu’il porte à ce petit territoire ainsi qu’aux Saint-Pierrais et aux Miquelonnais qui y vivent.

Cela étant, dans l’immédiat, non seulement je voterai les crédits de cette mission « Outre-mer » mais j’invite tous mes collègues à faire de même ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – MM. Vincent Dubois et Hilarion Vendegou applaudissent également.)

M. Jean Desessard. Nous vous suivrons !

M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.

M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui se déroule dans un contexte bien particulier : rappelons qu’au cours des deux dernières sessions parlementaires, nous n’avons pu débattre des crédits consacrés à nos outre-mer en raison du rejet par le Sénat de la première partie du budget.

La mission « Outre-mer » regroupe l’ensemble des dotations allouées aux territoires ultramarins inscrites au budget du ministère des outre-mer.

Malgré la progression budgétaire annoncée, je regrette qu’aucune mesure phare ne soit prévue pour mettre les collectivités de Mayotte sur les rails de la départementalisation.

Dans le contexte précis de réduction des dépenses publiques, l’examen du présent projet de loi de finances indique que les dotations de l’État aux collectivités territoriales baisseront non de 11 milliards d’euros, mais de 28 milliards d’euros d’ici à 2017. Ce sont les chiffres réactualisés par le président Jacques Pélissard le 24 novembre dernier, lors du congrès des élus d’outre-mer.

L’État veut forcer les collectivités territoriales à faire des économies. Il considère qu’elles sont, elles aussi, responsables du déficit public. Ce n’est pas totalement faux, j’en conviens.

Je me garderai bien de risquer le moindre propos excessif à cette tribune, au sein d’une assemblée qui a toujours témoigné son attachement aux collectivités territoriales. Toutefois, je me permettrai de reprendre les mots très émouvants qu’a prononcés le représentant des maires de Mayotte, en évoquant les difficultés subies par notre département en matière scolaire.

Il disait que les écoles mahoraises sont dans un état de délabrement, menaçant ainsi la sécurité des enfants. À ces problèmes s’ajoutent les difficultés d’alimentation auxquelles sont confrontés nos jeunes. La République ne peut admettre une telle situation.

Mes chers collègues, je vous renvoie à ce discours tenu lundi dernier, qui a subitement relégué au second rang le problème de l’immigration, véritable fléau que l’on ne peut manquer d’aborder lors des grands rendez-vous ; la récurrente question de la vie chère, qui frappe de plein fouet les outre-mer ; la difficile mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires dans les communes de Mayotte, comme sur l’ensemble du territoire national ; la montée très inquiétante de la délinquance juvénile, conséquence directe des problématiques que je viens de rappeler, et dont procède un phénomène nouveau, la multiplication des mineurs isolés – en avril 2013, notre regretté Défenseur des droits, Dominique Baudis, dont l’action appelle de ma part un hommage appuyé, a consacré un excellent rapport à cette question, qui avait déjà été examinée ici même.

Cette idée de réduction des dotations va à l’encontre de la volonté affichée par l’actuel gouvernement de poursuivre, selon la progression prévue, les grands chantiers de la départementalisation.

Cette campagne de restrictions financières, lancée en 2013, n’a pas empêché les collectivités d’augmenter globalement leurs dépenses, et pour cause : la mise en œuvre de leurs nouvelles responsabilités les a conduites à assumer de nouvelles missions. Eh oui, madame la ministre, conformément au principe de libre administration des collectivités locales, il ne peut y avoir de liberté sans responsabilité ni de responsabilité sans moyens. Le cadre juridique de l’article 73 de la Constitution doit être pleinement respecté.

Pour compenser la baisse des recettes de l’État, c’est l’impôt qui est appelé au secours. Il convenait d’assurer l’équilibre entre, d’une part, cette diminution de dotations de l’État et, d’autre part, les dépenses des communes, du conseil général de Mayotte et des groupements constitués par ces collectivités.

Je le signale à cet égard : j’ai moi-même été cosignataire d’un courrier rédigé à la demande du président du conseil général, insistant sur les difficultés d’application de certaines mesures législatives dans un contexte particulier.

Dois-je rappeler qu’au cours des travaux interministériels destinés à préparer l’ordonnance fiscale du 19 septembre 2013, les élus mahorais ont été tenus à l’écart des discussions budgétaires ? Sur un tel fondement, le processus de dialogue ne pouvait qu’être mal engagé, alors même que le Président de la République entendait faire du dialogue territorial un instrument de gouvernance.

Pourtant, en 2013, dans le cadre du projet d’ordonnance fiscale, notre conseil général le précisait clairement, dans un avis adressé au Gouvernement : « Cette ordonnance n’a pas suffisamment pris en compte la situation particulière de Mayotte, le besoin de la progressivité et l’exigence de l’adaptabilité ».

Les choix en matière de fiscalité locale entraîneront de lourdes pertes de pouvoir d’achat, notamment pour les propriétaires mahorais ne disposant que de faibles revenus. En effet, la vulnérabilité des ménages mahorais à l’imposition doit être prise en compte.

La première difficulté majeure posée par l’ordonnance fiscale, qui produit ses effets depuis le 1er janvier 2014, est le niveau trop élevé des taxes foncières.

Le mécanisme proposé pour la fixation des taux a pour base le montant moyen du rôle des autres départements d’outre-mer pour chaque taxe directe locale. Or, à Mayotte, le PIB est trois fois inférieur à la moyenne des autres DOM, et la proportion de propriétaires y est bien plus élevée qu’ailleurs. Une réaction de rejet est d’autant plus à craindre de la part de la population que la régularisation foncière est loin d’être achevée, et que les Mahorais craignent que la réforme fiscale ne se révèle, au total, un outil d’expropriation de leurs terrains familiaux.

J’ajoute que le tissu économique privé est très peu développé à Mayotte, parce qu’il apparaît bien fragile.

Il est donc essentiel que des emplois soient massivement créés au cours des années à venir, afin que l’on puisse offrir des débouchés à la très jeune population mahoraise qui arrive déjà sur le marché du travail.

Certes, l’ordonnance fiscale instaure un dispositif au service du développement économique et de la formation, en créant à Mayotte une zone franche d’activité comparable à celles qui existent dans les autres DOM. Mais l’année de référence de sa création est 2014. Or nous savons que la durée est un élément décisif du soutien au développement économique d’un territoire.

Mes chers collègues, le contexte démographique et social de Mayotte exige la mise en place d’un dispositif jouant pleinement ce rôle de stimulation du dynamisme économique.

Nous savons les difficultés que traverse la société mahoraise. La situation budgétaire critique dans laquelle se trouvent nos collectivités locales nous oblige à réagir.

Aujourd’hui, madame la ministre, je vous interpelle afin que le Gouvernement engage de véritables mesures, dont les effets dureront dans le temps, au lieu de multiplier de petits actes destinés à colmater les brèches, en revalorisant simplement telle ou telle action. (Mme Catherine Procaccia ainsi que MM. Michel Magras et Guillaume Arnell applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, bien sûr, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, et face à la nécessité qui s’impose au Gouvernement de réduire le déficit, on ne peut qu’apprécier que les crédits de la mission « Outre-mer » affichent une légère hausse et qu’ils n’aient pas subi, comme d’autres missions, des « coups de rabot ».

Bien sûr, on peut constater que la programmation triennale mentionne une hausse des crédits de 4,7 %. Mais est-ce encore suffisant ?

Après une baisse de 4,3 % en 2014, le budget global de l’ensemble des missions alloué à la Guyane subit cette année une nouvelle diminution, de l’ordre de 3,8 %. Ces réductions de crédits ont nécessairement un impact sur la vie quotidienne des Guyanais.

Les problèmes de sécurité, évoqués il y a quelques instants, ne sont plus à démontrer.

Chacun le sait, la Guyane accuse encore un retard de développement. Nombre de ses habitants n’ont pas accès aux équipements de base, à l’eau potable et à l’électricité.

Au surplus, les carences de l’aménagement du territoire y entravent grandement la circulation des biens et des personnes. Pour aller d’un bout à l’autre du département, les seuls moyens de transport sont l’avion ou la pirogue, faute de routes.

Parallèlement, à l’heure où le Gouvernement lance une grande consultation sur la prochaine loi numérique, avec un plan pour le très haut débit en France, je ne peux que rappeler qu’une grande partie de la Guyane n’est toujours pas connectée.

Alors que depuis Kourou, nous mettons sur orbite les satellites aux technologies les plus avancées, notre territoire recèle encore trop de zones blanches, sans internet, sans réseau mobile. Une action majeure et forte du Gouvernement doit être menée en ce sens.

J’en viens maintenant à la mission « Outre-mer » et aux crédits alloués à la Guyane. Je reconnais l’effort qui est fait, puisque ceux-ci s’élèvent à 189 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 3,2 % par rapport à la loi de finance initiale de 2014.

Je constate, en effet, que les crédits du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » sont en hausse de plus de 13 % pour la Guyane. Ce budget de plus de 50 millions d’euros sur l’année doit justement permettre de faciliter l’accès des populations au logement, à l’école et aux infrastructures.

Concernant la politique du logement, je prends également acte de la hausse de 3 % des crédits du programme 109 « Aide à l’accès au logement » pour la Guyane.

Dans le cadre du programme 138 « Emploi en outre-mer », le Gouvernement prend sa part dans l’effort de relance de la compétitivité de nos entreprises, en augmentant le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en lui affectant un taux supérieur à celui de l’Hexagone. Avec un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi à 9 % dans le cadre de la déclinaison du pacte de responsabilité, nous espérons que nos entreprises pourront trouver de nouvelles marges de manœuvre pour créer des emplois. Nous voulons le croire, car nous en avons cruellement besoin : le taux de chômage atteint 25 % sur le territoire, et avoisine 50 % pour les jeunes.

Ces nouvelles peuvent donc être appréciées, mais elles doivent s’accompagner de mesures fortes pour lutter contre la vie chère et contre certaines aberrations économiques. À titre d’exemple, lorsqu’un Guyanais achète de la viande de bœuf produite en Argentine – nous sommes en Amérique du Sud –, ou des fruits cultivés au Chili, ceux-ci ont transité par Rungis ! Le coût économique et environnemental d’une double traversée de l’Atlantique est absurde, et cela doit être revu.

Aussi, madame la ministre, compte tenu des efforts sur le budget de cette mission, je le voterai. Mais je souhaite alerter le Gouvernement sur l’urgence d’un plan massif d’aide au développement pour la Guyane afin de rattraper le retard pris et de renforcer la place de la France et de l’Europe dans la compétition économique de la zone Amazonie et de l’Amérique du Sud. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Fontaine.

M. Michel Fontaine. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’examen du budget du ministère des outre-mer, qui nous réunit aujourd’hui, est l’occasion pour nous, parlementaires ultramarins, d’évoquer avec solennité la situation de nos territoires.

Je voudrais à ce titre, madame la ministre, insister sur le contexte économique et social particulier de nos outre-mer, et notamment de La Réunion. Sur notre île, le taux de chômage est extrêmement préoccupant, puisqu’il est proche de 30 % et qu’il frappe près de 60 % des 15-24 ans, qui sont donc coupés du marché du travail. Ces chiffres sont les plus élevés d’Europe !

Créer des emplois durables, c’est-à-dire des emplois dans les entreprises, est plus que jamais indispensable, bien plus que ces emplois d’avenir, contrats aidés, précaires, et dont l’avenir est malheureusement incertain. Pourtant, dans un contexte général de faible compétitivité et d’accumulation des déficits, avec une économie qui tourne au ralenti, la confiance des acteurs économiques n’est pas là. Ils ne peuvent donc ni investir ni embaucher. C’est encore une fois le chômage qui gagne !

Aussi, face à ce tableau déjà sombre, la décision de l’exécutif de réduire les dotations de l’État aux collectivités locales va non seulement placer celles-ci face à des difficultés financières majeures, mais va aussi emporter des conséquences en termes d’investissements et donc d’emploi.

Aussi, j’aimerais vous alerter sur les conséquences de la décision de baisser la dotation générale de fonctionnement, la DGF, même si notre assemblée en a minoré l’ampleur. D’ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que la DGF n’est pas une obole, mais une juste et nécessaire compensation des compétences transférées, dont le nombre ne cesse d’augmenter.

Vous avez décidé que les collectivités devront fonctionner avec 3,7 milliards d’euros en moins en 2015, alors qu’une baisse de 1,5 milliard d’euros est déjà intervenue en 2014. C’est d’autant plus alarmant que leurs charges augmentent, comme cela a été rappelé cette semaine dans cet hémicycle.

Vous n’êtes pas sans savoir que nos collectivités sont très sensibles à tout désengagement financier de l’État. Toute mesure prise au niveau national a encore plus d’écho dans nos territoires et peut rapidement menacer un équilibre économique précaire. Les collectivités n’auront donc pas d’autre choix que de sacrifier leurs dépenses d’investissement face à cette réduction drastique et inédite de leurs ressources.

Or une baisse de l’investissement des collectivités parallèle à celle des dotations et des recettes sera particulièrement préjudiciable à l’activité économique et donc à l’emploi dans nos territoires, notamment dans le secteur du BTP, dont le chiffre d’affaires est alimenté à près de 80 % par la commande publique à La Réunion.

La diminution des budgets locaux de fonctionnement menacera également le monde associatif et les services à la population, exposant ainsi des populations déjà fragiles, et pèsera sur l’entretien des différents équipements. Attention à ne pas menacer notre cohésion sociale ! À La Réunion, je le rappelle, la pauvreté touche 46 % de la population.

Je me devais d’aborder ces points ici, aujourd’hui, car ce sujet est vraiment alarmant pour les collectivités de La Réunion. Celles-ci subissent une triple peine : la baisse des dotations de fonctionnement, l’impossibilité d’augmenter la fiscalité locale du fait de l’overdose fiscale et une situation économique et sociale plus dégradée qu’en métropole.

En second point, je souhaite évoquer la question du traitement des déchets et de la préservation de l’environnement à La Réunion.

Alors que le Gouvernement promeut la réduction et la valorisation des déchets, notre île a en effet atteint une étape charnière pour mener à bien ses projets en la matière. Le contexte est tout à fait singulier dans la mesure où 80 % des déchets produits sont enfouis, sur un territoire insulaire de 2 500 kilomètres carrés.

Grâce à leur forte volonté d’action dans ce domaine, les collectivités ont réagi en créant un syndicat mixte de traitement des déchets prenant en charge 60 % des déchets du territoire de La Réunion et devant proposer à la population les outils performants de traitement du XXIe siècle. Des interrogations apparaissent néanmoins quant aux modalités de l’accompagnement de l’État en l’espèce. Celles-ci sont capitales pour l’avenir de la politique de gestion des déchets à La Réunion.

Les autorisations d’enfouissement prenant fin en 2015, où allons-nous ? Il n’y a aucune visibilité ! Quels seront les sites et les modèles retenus ? Quelle est la volonté du Gouvernement ?

L’État doit s’engager fermement en proposant un accompagnement fort, et doit s’impliquer aux côtés des collectivités locales et de leurs établissements en tenant compte des disparités territoriales et des difficultés insulaires. Cette filière est créatrice d’emplois et il est primordial que des solutions pérennes soient mises en œuvre.

Pour en revenir au budget de votre ministère, madame la ministre, il est vrai qu’il est globalement préservé. Les dotations de cette mission sont presque stables, avec des crédits de paiement qui augmentent de façon presque symbolique de 0,3 % par rapport à 2014. Toutefois, cette mission ne représente que 15 % de l’ensemble des crédits de l’État à destination de l’outre-mer.

Les contraintes budgétaires déjà évoquées et la nécessité de maîtriser la dépense publique ne doivent pas occulter les mesures qui doivent être prises pour renforcer la compétitivité de nos territoires, surtout du fait de leur environnement régional.

Enfin, je regrette avec mon collègue Didier Robert la diminution des crédits affectés à la continuité territoriale. Je souhaite qu’un effort significatif de l’État soit engagé, afin de préserver ce dispositif ainsi que les dotations allouées au RSMA.

L’essentiel, vous l’aurez compris, est de redonner à nos territoires cette confiance qui manque tant ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le vote de la loi de finances est un temps fort de notre activité parlementaire, surtout en ces temps de crise économique. L’effort fourni par tous les Français depuis 2011 commence à produire des résultats. En effet, le déficit public qui atteignait 4,9 % du PIB en 2012 sera sans doute de 4,3 % en 2015.

C’est donc dans ce contexte sensible et contraint de retour à l’équilibre des finances publiques que nous sommes amenés à étudier les crédits relatifs aux outre-mer.

Nos territoires ultramarins connaissent depuis plusieurs années, et notamment depuis 2009, une crise économique touchant tous les secteurs, qui les précipite au bord de l’explosion sociale. Le chômage atteint des sommets vertigineux, dépassant 25 % et frôlant même 60 % chez les jeunes, ses principales victimes. Pour la Martinique, que je représente, ce taux est supérieur à 26 %.

Ces difficultés se retrouvent également dans d’autres domaines tout aussi essentiels, comme celui de la justice, avec une situation de surpopulation carcérale, sans commune mesure avec celle que connaît l’Hexagone.

Mme Cécile Cukierman. C’est exact !

M. Maurice Antiste. Je pourrais encore citer beaucoup d’autres exemples, comme celui des secteurs sanitaire ou social.

Je me réjouis cependant de constater que, pour la troisième année consécutive, le budget du ministère de l’outre-mer est en hausse, avec plus de deux milliards d’euros en crédits de paiement pour 2015, même si les autorisations d’engagement connaissent, elles, une légère baisse. Celle-ci restera sans réelle conséquence puisque les prévisions d’augmentation de 4,7 % sur le budget triennal 2014–2017 sont tenues.

De la même manière, le relèvement du plafond de réduction d’impôt, qui passe de 10 000 euros à 18 000 euros dès 2015 pour l’investissement dans le logement locatif intermédiaire en outre-mer constitue sans nul doute une excellente nouvelle. Il en va de même de la hausse des crédits consacrés au service militaire adapté portés à 3 millions d’euros pour un objectif de 6 000 jeunes formés chaque année d’ici à 2017, et du maintien de la ligne budgétaire unique pour un montant de 141 millions d’euros destinés à la construction et à la réhabilitation de logements sociaux.

Enfin, je ne peux que saluer l’effort du Gouvernement concernant la majoration du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi pour les entreprises situées dans les départements d’outre-mer, et ce à hauteur de 7,5 % dès 2015, puis à 9 % en 2016.

Cette majoration représente en effet une aide non négligeable pour les entreprises et un outil en plus pour le retour à l’emploi et à la croissance. Je suis satisfait, au surplus, de son extension au crédit d’impôt recherche. N’est-il pas possible, toutefois, d’élargir cette mesure au crédit d’impôt innovation pour les PME, qui en ont aussi vraiment besoin, notamment en outre-mer ?

Ce budget apporte ainsi la preuve que le Gouvernement reste, malgré les circonstances et la situation de l’économie nationale et mondiale, très attaché à ses territoires ultramarins et demeure mobilisé pour les aider et les accompagner.

Après ces quelques observations, je voudrais souligner mon inquiétude quant à la baisse des crédits alloués à la continuité territoriale et au Fonds exceptionnel d’investissement, le FEI.

Sur le premier point, nous nous accordons tous sur la nécessité de réformer l’aide à la continuité territoriale afin de l’orienter principalement vers les demandeurs d’emplois, les familles aux revenus modestes et les étudiants. Elle n’a pas vocation à financer les vacances annuelles des foyers aisés !

Toutefois, madame la ministre, j’attire votre attention sur le risque qu’une telle réforme n’exclue des citoyens encore nécessiteux. J’attends de votre part une affirmation et un engagement sans faille à maintenir une vigilance accrue dans la mise en œuvre nouvelle de cette dotation.

Concernant le second point, nous assistons à une baisse du montant alloué au Fonds exceptionnel d’investissement, qui passe de 50 millions d’euros en 2013 et en 2014 à 40 millions d’euros en 2015. Je ne peux masquer mon incompréhension face à cette diminution puisque, dois-je le rappeler, le Président de la République, François Hollande, s’était engagé à l’abonder de 500 millions d’euros entre 2012 et 2017, une promesse très forte faite à l’époque à l’outre-mer. Or, aujourd’hui, la dotation du FEI pourrait atteindre 230-240 millions d’euros, un montant bien éloigné des 500 millions d’euros évoqués. Dès lors, que pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quant au recul du Gouvernement sur ce sujet ?

Il va de soi que la teneur de mes propos traduit ce que sera mon vote ! (Mmes Maryvonne Blondin et Karine Claireaux ainsi que M. Jacques Gillot applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Félix Desplan.

M. Félix Desplan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un contexte rigoureux de retour à l’équilibre budgétaire, je salue la volonté du Gouvernement de préserver les outre-mer. Ce n’est que justice, car nos territoires doivent faire face à de fortes difficultés économiques et sociales, dues à des contraintes d’éloignement, au différentiel de coût du travail avec leurs voisins, à des évolutions démographiques spécifiques et, pour certains d’entre eux, à de lourdes pressions migratoires.

Madame la ministre, vous avez su obtenir des arbitrages favorables, ce dont nous nous félicitons.

Je souhaite, pour ma part, formuler des observations sur cinq points.

Le premier point a trait au logement. Je salue votre souhait de maintenir un rythme élevé de production de logements sociaux, tant les besoins sont considérables. Or on assiste à une chute de la programmation des nouvelles opérations, en raison de l’interprétation qui est faite des dispositifs de financement : les aides de l’État au logement social outre-mer sont placées sous l’égide des aides à finalité régionale, les AFR, alors qu’elles devraient relever, comme celles de l’Hexagone, du régime des services d’intérêt économique général, les SIEG, exemptés de notification à Bruxelles.

L’équilibre de nombreuses opérations a été d’autant plus compromis que, dans le cadre des lignes directrices concernant les AFR, les « plafonds d’intensité d’aide » ont été baissés. Pour la seule Guadeloupe, un millier de logements sont bloqués !

La France a communiqué à la Commission européenne sa volonté de faire dépendre ses aides du régime des SIEG, mais la situation n’aurait pas évolué depuis lors. Il est donc indispensable qu’une instruction soit donnée aux directions concernées pour libérer la délivrance des agréments fiscaux aux opérations en cours d’instruction ou qui sont prêtes à démarrer, avec le maintien des plans de financement initiaux.

Quant au secteur libre du logement, il est atone. Aussi, je me réjouis de la décision de placer la réduction d’impôt Pinel outre-mer sous le plafond spécifique de 18 000 euros, prévu jusqu’à présent pour les autres investissements outre-mer.

Le deuxième point concerne la formation des jeunes, tant touchés par le chômage. Je sais que c’est l’une des priorités de votre ministère. Dans les choix difficiles qui ont dû être faits, vous avez privilégié, en matière de continuité territoriale, les jeunes qui veulent poursuivre leur formation ou qui doivent passer des examens.

Par ailleurs, vous respectez vos engagements pour le SMA, le service militaire adapté. C’est absolument indispensable, je le souligne, car ce dispositif fonctionne très bien. L’objectif de 6 000 contrats doit être atteint durant ce quinquennat, tout en maintenant la durée et la qualité de la formation.

Le troisième point est relatif au Fonds exceptionnel d’investissement, le FEI, dont vient de parler mon collègue Maurice Antiste.

Je regrette la baisse de 10 millions d’euros des autorisations d’engagement. En Guadeloupe, par exemple, la plupart des établissements scolaires restent encore à mettre aux normes sismiques, alors que l’on réserve le « fonds Barnier » prévu à cet effet aux collectivités ayant obtenu un accompagnement du ministère des outre-mer au titre du FEI.

Le quatrième point, et non des moindres, concerne les prisons et, plus particulièrement, la maison d’arrêt de Basse-Terre. Louis Mermaz l’a qualifiée de « bagne » et Louis Le Pensec parlait de « la honte de la République ».

À l’heure actuelle, subsiste encore à Basse-Terre, dans un environnement vétuste et déplorable, un encellulement en dortoirs. Compte tenu de l’absence de travail ou d’activité, de dix à douze détenus sont contraints d’y demeurer entassés près de vingt heures par jour !

Au regard de cette situation inhumaine, je regrette que les prisons de Guadeloupe n’aient pas été retenues parmi les établissements concernés durant les trois premières années du plan d’amélioration et de construction des prisons. J’espère que cette prison de plus de deux siècles sera reconstruite dans un avenir proche.

Je ne saurais conclure mon propos sans faire état d’une désagréable surprise; voire de la consternation de la Guadeloupe, depuis que le projet de reconstruction du CHU de Pointe-à-Pitre/Les Abymes a été retiré de l’ordre du jour du COPERMO, le comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers, qui devait le valider le 25 novembre dernier. Nous n’avons pas eu d’explication à ce revirement inopiné. Pourtant, en juillet dernier, la ministre de la santé avait qualifié ce projet d’« enjeu majeur au plan national » !

Nous, élus guadeloupéens, demandons solennellement que la programmation annoncée pour cette reconstruction soit respectée !

Quoi qu’il en soit, je voterai, bien entendu, les crédits de la mission « Outre-mer ». (Mmes Maryvonne Blondin et Karine Claireaux ainsi que M. Guillaume Arnell applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.

M. Jacques Gillot. Madame la ministre, je tiens, tout d’abord, à saluer le pari que vous avez réussi en maintenant globalement le niveau des crédits mobilisés dans le cadre de la mission « Outre-mer », dans le contexte de contraction du budget de la nation. Cela permet à l’outre-mer, mais, surtout, à la Guadeloupe, d’obtenir des réponses à deux questions prioritaires : le chômage des jeunes, avec la création de 6 000 postes pour les volontaires du SMA, et la sanctuarisation de la LBU, la ligne budgétaire unique, pour la construction de logements sociaux.

Cependant, je m’interroge sur le devenir de projets phares pour la Guadeloupe, pour lesquels aucune budgétisation n’est actuellement prévue, et le statu quo perdure d’année en année.

Oui, l’outre-mer entend prendre sa juste part à l’exercice de solidarité nationale auquel on ne peut se soustraire. Mais, dans le même temps, l’audace commande de tenir compte des difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités locales, minées par des transferts de compétences mal compensés par l’État.

Aussi, il convient d’aborder les difficultés que rencontre le conseil général de Guadeloupe pour financer ses principales obligations sociales que sont l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, et le RSA, le revenu de solidarité active.

Cela implique aussi de comprendre la nécessité de créer, en Guadeloupe, un fonds d’investissement destiné au rattrapage du retard des DOM en matière d’équipements structurants ; je veux parler des 300 millions d’euros nécessaires aux équipements pour le traitement des déchets ménagers et aux 400 millions d’euros indispensables à la réfection des canalisations d’eau potable qui correspondent à un engagement du gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre. Cet engagement a d’ailleurs été pris en Guadeloupe par les ministres concernés.

Pour la santé de nos compatriotes, l’audace et l’ambition commandent également de sanctuariser, une fois pour toutes, les 590 millions d’euros nécessaires à la reconstruction du CHU de Pointe-à-Pitre.

Sur ce point, je veux rappeler que ces crédits n’ont fait l’objet d’aucune inscription budgétaire, ni dans le cadre de la loi de finances initiale, ni dans celui de la loi de finances rectificative du projet de loi de financement de la sécurité sociale. De surcroît, l’examen du projet inscrit à l’ordre du jour du COPERMO, le 25 novembre dernier, à la suite des engagements pris par la ministre de la santé, lors de son nouveau déplacement en Guadeloupe en juillet dernier, a été une fois de plus reporté. Madame la ministre, c’est insupportable ! Quelle grande déception pour nous de constater que les engagements pris sur des questions aussi importantes que la santé de nos populations ne sont pas suivis d’effets !

Nous attendons de votre part, en votre qualité de ministre des outre-mer – nous le savons, la santé ne relève pas de votre compétence –, un soutien sans faille et un engagement fort auprès du Gouvernement pour faire en sorte que ce projet de reconstruction, dont la nécessité et l’urgence ont été confirmées il y a quelques mois par la Haute Autorité de santé, fasse l’objet d’une traduction budgétaire, dès 2015, à hauteur de 590 millions d’euros. De même, nous attendons qu’un COPERMO extraordinaire statue sur la validation du projet.

L’audace exige aussi, madame la ministre, de mieux cibler le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, en faisant en sorte qu’il soit davantage adapté à notre tissu économique, composé de très petites entreprises avec une faible masse salariale. Nous pourrions ainsi améliorer les effets sur le secteur marchand, en vue de créer davantage d’emplois dans le privé.

L’audace et la compréhension de la réalité de nos territoires impliquent, madame la ministre, de prendre toute la mesure des conséquences désastreuses de l’instauration d’un système de licence pour la vente au détail de tabac dans les départements d’outre-mer.

Vous n’êtes pas sans savoir que nous attendons toujours la publication du décret d’application du système instauré par la loi de finances de 2011. D’ailleurs, c’est heureux, puisque les conseils généraux de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion ont adopté chacun une motion demandant la révision de ce dispositif, et ce pour plusieurs raisons.

Ici, madame la ministre, l’audace consisterait à accepter de surseoir à la mise en œuvre de cette réforme, conformément aux motions adoptées, je le répète, par plusieurs collectivités ultramarines.

L’audace, c’est tout mettre en œuvre pour développer des secteurs porteurs tels que ceux de l’agro-nutrition, des énergies renouvelables et de la biodiversité.

Enfin, l’audace consisterait à permettre, demain, aux Guadeloupéens de jeter collectivement, sans carcan ni limite, les bases d’un nouveau contrat social, en créant les conditions de l’évolution institutionnelle qu’une immense majorité de Guadeloupéens appelle de ses vœux.

Madame la ministre, en attendant vos réponses, je voterai le budget des Outre-mer. (Mme Maryvonne Blondin et M. André Gattolin applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis, à l’instar de mes collègues, du budget outre-mer tel qu’il ressort du projet de loi de finances pour 2015.

En effet, après une augmentation marquée des crédits en 2013, un effort financier encore important en 2014, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit une progression de 0,3 % des crédits de paiement de cette mission.

Au-delà, l’effort budgétaire de l’État pour les outre-mer dépasse les seuls crédits de la mission que nous examinons aujourd’hui. Avec 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement pour 2015, la part de la mission « Outre-mer » est de 15 % des crédits de l’État et de 0,5 % du budget général. L’effort budgétaire et financier consacré à nos territoires ultramarins s’élève, au total, à 14,2 milliards d’euros. Les dépenses fiscales seront, quant à elles, de l’ordre de 3,9 milliards d’euros en 2015. Au total, l’effort de l’État est donc de 18,1 milliards.

Je concentrerai, dans un premier temps, mon propos sur l’aide à la continuité territoriale, l’ACT.

Le projet de loi de finances prévoit de passer d’un droit annuel à un droit triennal pour le bénéfice de l’ACT, avec des crédits en diminution de 10 millions d’euros.

Les crédits octroyés au titre du dispositif du passeport-mobilité études et du passeport-mobilité formation professionnelle, qui bénéficie aux jeunes ultramarins, ont été sauvegardés, et je me réjouis de cette décision. La baisse concerne les crédits de l’aide à la continuité territoriale dite « tout public », eu égard à la croissance continue des demandes.

Mon propos portera, madame la ministre, sur une dimension qui ne vous est pas étrangère, à savoir l’insularité liée à la continuité territoriale.

En effet, lorsque l’on parle d’« insularité », c’est, en premier chef, par rapport à la métropole.

Je suis désireux – mais c’est aussi le cas de la Guadeloupe, de la Polynésie française ou encore de Wallis-et-Futuna – d’attirer l’attention du Sénat et, plus largement, du Parlement, ainsi que du Gouvernement, sur la double insularité par rapport à l’île principale.

Les îles périphériques ou îles du Sud – Les Saintes, la Désirade, Marie-Galante – souffrent principalement de leur situation d’isolement. Elles sont confrontées à des handicaps particuliers liés à la double insularité.

En effet, les coûts des services et des marchandises y sont plus élevés qu’ailleurs, elles accusent un retard en matière d’infrastructures, les liaisons entre les îles sont difficiles et un exode massif se produit. En outre, aucune alternative économique structurée ne s’y développe, alors que la pêche et le commerce connaissent d’énormes difficultés. Les entreprises qui tentent de relever le défi, écrasées par la concurrence et par le poids des charges fiscales et sociales, sont très souvent acculées à la faillite.

Résultat : le taux de chômage est trop élevé, un chômage qui touche particulièrement les jeunes, plus de 30 %, contre 9,7 % en métropole.

Toutes les réformes institutionnelles, depuis 1946, ont ignoré la réalité d’archipel qui caractérise la Guadeloupe : le pays a été traité dans sa globalité, sans considération pour les nuances territoriales qui en font la richesse tout en complexifiant sa gestion administrative.

La continuité territoriale doit avoir trois objectifs : faciliter la circulation des personnes et des marchandises entre les îles périphériques et le reste de l’archipel, les îles avoisinantes et la France hexagonale ; éliminer les surcoûts liés aux transports aérien et maritime ; contribuer au développement des activités économiques, notamment au développement touristique, qui doit être l’un des plus importants moteurs économiques et l’une des principales sources de richesse et d’emplois.

En ce qui concerne les moyens nécessaires pour atteindre ces objectifs, il faut ne plus considérer seulement les collectivités majeures, mais envisager une dotation de continuité territoriale abondée par des fonds de l’Union européenne, de l’État et, bien sûr, des collectivités territoriales.

J’insiste sur la situation de ces îles car vous vous souvenez, madame la ministre, que l’un des engagements du Président de la République, François Hollande, consistait à prendre en compte le caractère archipélagique de la Guadeloupe dans la mise en place des décisions publiques.

Il nous appartient de trouver les voies et moyens pour créer de l’activité, et donc des emplois, dans des secteurs porteurs d’avenir, en particulier pour la mutation économique des îles périphériques ; je pense notamment au tourisme, aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, aux services à la personne et à l’agro-transformation, liée notamment à l’agriculture biologique.

Il nous appartient aussi de garantir la sécurité, d’assurer la couverture sanitaire, en particulier grâce à l’hôpital de Marie-Galante et au CHU de Pointe-à-Pitre/Abymes, et de réaliser la couverture numérique avec la solution satellitaire, en attendant le câble de fibre optique.

Il s’agit également de protéger la filière canne-sucre-rhum à Marie-Galante, qui est un laboratoire d’idées et d’expériences : plusieurs projets y sont en cours d’élaboration, comme la centrale thermique multi-biomasse de cogénération qui, à terme, permettra à l’île de satisfaire ses propres besoins électriques, voire d’alimenter la Guadeloupe continentale. La question se pose toutefois de la mise en place d’un câble électrique sous-marin entre Marie-Galante et la Guadeloupe, car son coût excède le budget du projet.

Madame la ministre, je voterai les crédits de la mission « Outre-mer », mais je vous demande quelle place le Gouvernement accorde dans ses ambitions aux outre-mer et à l’archipel guadeloupéen, singulièrement à ses îles périphériques. En particulier, comment entend-il prendre en compte l’insularité liée à la continuité territoriale, au vu de l’horizon prospectif qui se profile ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier pour la qualité des interventions, qui témoigne de l’intérêt que la Haute Assemblée porte à l’outre-mer. J’ai noté avec beaucoup d’intérêt vos interrogations et vos suggestions.

Trois commissions de votre assemblée m’ont fait l’honneur d’approuver à l’unanimité les crédits de la mission « Outre-mer » ; j’ai même entendu, ici ou là, des satisfecit adressés à la politique que nous menons, au sujet de laquelle nous entretenons des échanges réguliers. En vérité, la dotation de cette mission marque l’intérêt prioritaire que le Gouvernement accorde aux outre-mer, qui, nous sommes nombreux à le considérer, représentent une chance pour la France.

Bien entendu, les outre-mer sont dans la France ; il est donc normal que l’effort demandé à tout un chacun pour boucler le budget dans cette période difficile s’applique aussi aux outre-mer. Toutefois, nous avons eu soin de leur demander un effort moindre qu’à la majorité de nos citoyens.

Parmi les axes prioritaires de notre action figure la lutte contre le chômage, sur laquelle plusieurs orateurs ont insisté. C’est pourquoi l’emploi est le premier des objectifs que nous avons privilégiés dans ce budget.

Monsieur le rapporteur spécial, cher Georges Patient, vous avez souligné que les chiffres du chômage en outre-mer étaient souvent le double de ce qu’ils sont en métropole. Il est donc normal que la politique d’exonération de charges, qui est un volet extrêmement important du projet de loi de finances, soit complétée et renforcée par une amélioration du CICE dans les outre-mer. Au total, ce sont près de 2 milliards d’euros dont les entreprises ultramarines bénéficieront l’année prochaine au titre de la politique en faveur de la compétitivité. Sur l’ensemble du quinquennat, nous aurons augmenté les exonérations de charges de 200 millions d’euros.

Des orateurs de divers groupes ont souligné que ces exonérations devraient avoir pour contrepartie des créations d’emplois, qui sont si nécessaires dans les outre-mer. Bien évidemment, nous continuerons de mener avec les entreprises et avec leurs organisations représentatives un dialogue fraternel, si je puis dire, en tout cas appuyé à ce sujet.

Quant à la majoration du crédit d’impôt recherche, elle confortera la capacité d’innovation des outre-mer.

Je confirme, notamment à Mme la rapporteur spécial Mme Iriti, que les mesures que nous avons prises en faveur des entreprises ne nuisent pas aux dispositifs destinés aux collectivités territoriales, ni à aucun autre dispositif de soutien aux outre-mer.

Le deuxième axe prioritaire de notre politique est la formation professionnelle et la politique d’insertion. Nous avons bien sûr à l’esprit le niveau extrêmement élevé du chômage, en particulier du chômage des jeunes. Dans ce cadre, nous avons maintenu, voire augmenté, les crédits du service militaire adapté, le SMA, dont tous les orateurs ont fait observer le remarquable profit pour les jeunes d’outre-mer, notamment pour ceux qui sont en grande difficulté.

Que le chômage des jeunes ait commencé de diminuer grâce aux mesures récentes, il faut s’en féliciter, car c’est un premier pas en avant ; mais le niveau auquel il s’établit encore doit nous conduire à réfléchir tous ensemble au problème du décrochage. En effet, une grande partie des jeunes chômeurs sont des jeunes de 16 à 25 ans qui ont beaucoup de mal à accéder à l’emploi parce qu’ils ont quitté l’école sans qualification.

À cet égard, je pense que la stratégie mise en œuvre aujourd’hui par l’éducation nationale, en liaison avec le ministre du travail, pour lutter contre le décrochage et apporter des solutions aux jeunes qui en sont victimes est particulièrement adaptée aux outre-mer, où nous allons nous atteler à la mettre en œuvre.

S’agissant de notre troisième priorité, le logement, M. le rapporteur spécial de la commission des finances a souligné la hausse significative, de 25 %, connue depuis 2012 par les crédits de la ligne budgétaire unique, la LBU. Comme je sais que plusieurs d’entre vous sont inquiets au sujet de la « dette » de LBU, j’ai veillé, dans le cadre de la fin de gestion de l’année 2014, à la réduire par rapport à l’année dernière.

Dans le domaine du logement, le débat parlementaire sur la première partie du projet de loi de finances a permis des avancées supplémentaires : nous avons renforcé l’attractivité du dispositif Pinel outre-mer pour le logement intermédiaire et favorisé l’émergence d’un véritable crédit d’impôt pour la transition énergétique outre-mer, associé à un bouquet de travaux adapté à la situation particulière dans laquelle se trouvent les outre-mer, à l’exception notable de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je tiens également à saluer l’adoption par le Sénat, la semaine dernière, de l’amendement n° I–88 rectifié ter, présenté par Serge Larcher, visant à adapter l’éco-prêt à taux zéro.

Toutes ces mesures donnent corps au plan logement ambitieux que j’ai présenté pour l’outre-mer. Je remercie une nouvelle fois les parlementaires d’avoir massivement soutenu ces avancées.

Un autre point fort de ce budget réside dans le soutien à l’investissement public.

Certains orateurs ont exprimé des craintes à ce sujet ; je sais que je recevrai une écoute particulièrement attentive au Sénat en annonçant que les crédits alloués à la politique contractuelle en outre-mer progresseront de 6,5 % dès 2015, et de 11 % sur le triennal. Cet effort permettra la préservation intégrale des contrats de développement à Saint-Pierre-et-Miquelon et Saint-Martin, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’à Wallis-et-Futuna. Dans les DOM, la nouvelle génération des contrats de plan État-région s’inscrira en hausse de près de 180 millions d’euros par rapport à la précédente.

Je me propose d’en reparler avec les présidents des collectivités territoriales, pour que nous expliquions et mettions en valeur les progrès considérables que nous avons pu obtenir en ce qui concerne ces contrats.

Encore faut-il ajouter que l’enveloppe totale avoisine le milliard d’euros si l’on tient compte du plan très haut débit, particulièrement nécessaire dans les outre-mer compte tenu de leurs spécificités géographiques.

En réponse aux craintes exprimées par Mme la rapporteur spécial, je tiens à souligner que les crédits de paiement seront stables, à plus de 135 millions d’euros, sur le triennal. Par ailleurs, la maquette des contrats sur la période 2015-2020 atteint 177 millions d’euros, ce qui représente 700 euros par habitant, une somme largement supérieure à la moyenne métropolitaine.

En outre, je répète solennellement, après l’avoir déjà annoncé à l’Assemblée nationale, que, si les besoins d’autorisations d’engagement pour 2015 excèdent les montants prévus, nous ouvrirons les crédits nécessaires en gestion. Je vous confirme également que nous avons l’intention de réduire la « dette » de la LBU, qui sera ramenée de 65 millions d’euros à moins de 50 millions d’euros dès cette année.

Monsieur Thani Mohamed Soilihi, je vous remercie pour l’avis budgétaire que vous avez établi au nom de la commission des lois.

Le recours trop systématique aux ordonnances, que vous avez signalé, est un problème qui nous préoccupe. Pour y remédier, il convient que mon administration surveille de plus près les textes en préparation. Souvent, en effet, les autres ministères réfléchissent d’abord aux dispositions générales, et se demandent ensuite comment les adapter à l’outre-mer. Il faudrait au contraire que les dispositions nécessaires soient intégrées dans les textes dès leur préparation et leur discussion. Cette méthode a déjà été appliquée certaines fois, notamment à l’égard du projet de loi dont est issue la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Il faut donc que nous améliorions notre travail de veille et que nous commencions à travailler avec vous, parlementaires, dès qu’un projet de loi est annoncé, pour préparer les dispositions relatives aux outre-mer.

Par ailleurs, je me félicite, comme M. Mohamed Soilihi, que les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution s’engagent plus avant dans la voie des habilitations prévues à cet article. Dans le domaine de l’énergie, par exemple, des projets très intéressants ont été menés. M. le rapporteur pour avis de la commission des lois a suggéré qu’un bilan de ces habilitations pourrait être dressé ; je crois que nous pourrons confier une telle mission à l’Inspection générale de l’administration.

M. Mohamed Soilihi a également soulevé la question de l’homologation des peines d’emprisonnement prononcées par une collectivité d’outre-mer disposant d’un pouvoir à cet effet. Il est vrai que le dispositif actuel ne donne pas entière satisfaction, car les peines prononcées par les collectivités ne sont souvent homologuées qu’après plusieurs années. Nous allons donc mettre en place un système de veille particulier, pour que les homologations puissent intervenir au fil de l’eau.

Monsieur Didier Robert, qui étiez auparavant député et qui êtes devenu sénateur, vous avez déclaré que vous n’étiez pas très satisfait des crédits de la mission « Outre-mer », que vous jugez insuffisants à périmètre constant et en tenant compte de l’inflation.

Je tiens d’abord à rappeler que l’inflation a pratiquement disparu aujourd'hui. Ensuite, j’avoue que je suis un peu étonnée, car il me semble me souvenir que lorsque nous étions députés entre 2007 et 2012, vous aviez voté sans grandes critiques un budget de l’outre-mer pourtant en baisse d’environ 11 %. Sans doute la position de sénateur est-elle un peu différente… En l’occurrence, le budget ne diminue pas, il augmente, même s’il augmente peu. Vos critiques, monsieur le sénateur, ne sont donc pas raisonnables.

Vous vous êtes ensuite interrogé sur la dette de LBU. Celle-ci a beaucoup diminué entre 2012 et 2013 et baisse encore cette année, d’environ 25 millions d’euros. Par conséquent, nous sommes plutôt en progrès sur ce point.

Il n’y a pas de diminution effective des crédits consacrés à la résorption de l’habitat insalubre, la RHI. Il est vrai que ce budget est extrêmement important pour les outre-mer. Partout, nous faisons face à un problème d’habitat insalubre, qui est très difficile à régler. Il faut dire aussi qu’on assiste dans certains départements – M. Thani Mohamed Soilihi a évoqué Mayotte, mais on pourrait le dire aussi de la Guyane – à une sorte de course-poursuite entre l’augmentation de la population et le logement des nouveaux arrivants dans des conditions extrêmement précaires, d’une part, et le travail fait pour éradiquer l’habitat insalubre, d’autre part. Certes, le montant prévu est supérieur au montant utilisé les années précédentes, mais, j’en suis d’accord, nous devons faire le maximum pour lutter contre le fléau que constitue l’habitat insalubre.

J’ajoute que nous avons sanctuarisé la LBU et que l’enveloppe de l’ANRU – cette agence intervient beaucoup sur ces sujets –, qui sera annoncée prochainement par mon collègue Patrick Kanner, sera extrêmement généreuse pour les outre-mer. Nous pourrons ainsi remédier à ce problème.

L’aménagement foncier sera également favorisé dans les contrats de plan État-région, via les FRAPU, les fonds régionaux d’aménagement foncier et urbain. Nous pourrons ainsi, je pense, répondre à vos inquiétudes.

Vous vous inquiétez également concernant le dispositif d’aide à la continuité territoriale. Comme je l’ai dit à l’Assemblée nationale, un budget consiste à faire des choix. Par conséquent, puisque nous avions défini comme priorité l’accès à l’emploi et au logement, nous avons dû faire ou demander des efforts sur d’autres dispositifs.

Ainsi, s’agissant de l’aide à la mobilité, nous préférons maintenir, voire améliorer, l’aide pour les jeunes ayant besoin de venir en métropole pour un emploi ou pour une formation plutôt que d’améliorer ou de maintenir une aide permettant aux familles de venir connaître la métropole et de la visiter. Je respecte ce besoin de procéder à des échanges, mais je ne comprends pas pourquoi l’aide à la continuité territoriale fonctionne dans un seul sens. Peut-être les Réunionnais qui vivent en métropole, où ils occupent des emplois souvent extrêmement modestes, aimeraient-ils eux aussi rentrer voir leur famille au pays ?

La suggestion de M. Magras de constituer un groupe de travail sur cette question me semble être une bonne idée. Toutes les études qui ont été faites sur le dispositif existant, notamment celle de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, la CNEPEOM, montrent que, malgré l’intérêt de l’aide tous publics, il n’est pas possible d’avoir des crédits ouverts que l’on ne peut programmer, n’importe qui pouvant réclamer le remboursement de son voyage, parfois même après qu’il ait eu lieu. Il faut que l’on reprenne ce dossier et qu’on y travaille. Je suis positive : cherchons des solutions et essayons de prendre en compte les contradictions entre les uns et les autres. En tout cas, à ma connaissance, il n’y a pas de budget qui puisse laisser une ligne ouverte à volonté pour ceux qui souhaitent l’utiliser !

Sans doute la mesure que nous avons prise constitue-t-elle un effort, mais elle rend au dispositif sa logique de départ, qui est d’aider les personnes modestes à voyager. Je ne vois pas pourquoi l’État devrait en priorité aider les gens ayant les moyens de payer des billets, et gagnant par exemple 9 000 euros par mois, à voyager chaque année.

De toutes les manières, l’expérience a prouvé que les personnes modestes n’avaient pas les moyens de voyager tous les ans et qu’elles voyageaient tout au plus tous les trois ans. Nous allons donc aligner le dispositif sur la réalité.

M. Vergès nous a livré, comme d’habitude, nombre de réflexions très pertinentes et intéressantes sur l’outre-mer et sur les perspectives historiques dans lesquelles il faut se situer.

Vous le savez, monsieur le sénateur, nous ne partageons pas certaines de vos positions, dont plusieurs sont assez audacieuses. Vous faites ainsi depuis longtemps une proposition sur les sur-rémunérations, qui a le mérite d’être constante. Actuellement, même si la Cour des comptes se penche aussi sur ce sujet, il ne me semble pas que le dispositif que vous proposez soit particulièrement d’actualité. Sans doute aurez-vous l’occasion d’y revenir, mais la question des sur-rémunérations ne fait pas partie cette année des priorités que nous devons examiner.

En revanche, la nécessaire ouverture des régions d’outre-mer sur leur environnement doit être prise en considération. J’ai participé dans la Caraïbe à une réunion extrêmement intéressante sur la coopération régionale. Une réunion de cette nature aura bientôt lieu concernant l’Océan indien. Il faut effectivement réussir à améliorer la prise en compte des outre-mer dans la diplomatie française. Il faut que les ambassadeurs et les élus apprennent à échanger. Les ambassadeurs doivent s’appuyer sur l’atout que représentent les outre-mer français dans une zone.

La même argumentation vaut pour le Pacifique. L’Australie, où s’est récemment rendu le Président Hollande, est très intéressée par la France, car sa plus proche voisine est la Nouvelle-Calédonie.

Nous avons tout intérêt à avancer sur cette question.

Votre combat pour l’égalité réelle et le rattrapage est le fondement même de ce que nous essayons de faire dans les outre-mer.

S’agissant de la filière canne, nous avons travaillé sur la fin des quotas sucriers. Le Président de la République l’a redit à La Réunion, il est tout à fait prêt à aider les entreprises qui font du sucre à passer le cap de cette échéance. Nous sommes actuellement en discussion avec Bruxelles pour progresser sur cette question.

M. Arnell nous a livré lui aussi un certain nombre de réflexions extrêmement intéressantes. C’est vrai que j’ai apprécié le dynamisme des habitants de Saint-Martin, qui se sont remis au travail immédiatement après le passage de la tempête. C’est un exemple de résilience important.

Vous nous avez fait part de votre préoccupation concernant le reversement des recettes fiscales acquises à la collectivité. Nous ne comprenons pas pourquoi cela ne se fait pas alors que la loi organique et la convention fiscale de lutte contre la double imposition prévoient que le produit de la fiscalité de source locale revient à la collectivité. Nous allons donc retravailler ensemble sur cette question, sur laquelle il faut que nous avancions.

Vous avez évoqué l’aide à la rénovation hôtelière. Je suis consciente de l’importance du tourisme pour Saint-Martin, monsieur le sénateur, mais cette aide n’était pas utilisée. L’amendement récemment voté à l’Assemblée nationale visant à ramener la défiscalisation à Saint-Martin au niveau de celle des autres départements sera de nature à faciliter la rénovation hôtelière, de façon plus simple qu’aujourd’hui dans le cadre de cette aide particulière.

Je vous félicite de nouveau, monsieur Magras, pour votre désignation en tant que président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Je sais que vous reprendrez avec beaucoup de talent le travail constructif et exigeant qui a été effectué sous la houlette de Serge Larcher. Je suis évidemment tout à fait disponible pour travailler avec la délégation dans un esprit constructif.

Je ne reviens pas sur l’aide à la rénovation hôtelière, dont je viens de parler.

Vous avez également évoqué, monsieur le sénateur, la DGC négative qui frappe votre territoire. Nous sommes à vos côtés afin de trouver une solution pragmatique. Vous avez pu faire voter un amendement visant à réduire le montant de cette DGC négative. Nous nous assurerons dans la suite des débats que les choses vont dans le bon sens.

M. Vergoz est intervenu de façon extrêmement positive. J’essaierai de me souvenir du proverbe réunionnais qu’il a cité, que j’ai trouvé tout à fait pertinent et explicite.

Je salue votre intérêt pour l’économie sociale et solidaire, monsieur le sénateur. Elle est effectivement une priorité de mon action. Lorsque je viendrai à La Réunion, nous étudierons ensemble les moyens de mieux mettre en valeur le plan de développement de l’emploi en économie sociale et solidaire.

M. Frogier nous a rappelé ce que nous avons tous à l’esprit, à savoir les événements dramatiques que la Nouvelle-Calédonie a vécu il y a trente ans. Notre tâche aujourd'hui est de faire en sorte de ne pas créer les conditions d’un nouvel affrontement, qui serait tout aussi dramatique. Par conséquent, nous devons respecter l’accord de Nouméa et trouver une sortie correcte de cet accord.

Pour respecter l’accord de Nouméa, il faut respecter les termes de cet accord qui prévoient un référendum. Comment le Gouvernement pourrait-il se soustraire à un accord qui est quasiment constitutionnalisé ? Nous avons l’obligation de faire en sorte qu’un référendum puisse avoir lieu dans de bonnes conditions. Comme vous le savez, nous avons mis en place tous les moyens pour que le dialogue ait lieu entre les Calédoniens et entre les Calédoniens et les institutions de l’État, de manière que nous puissions trouver des solutions à chacun des sujets qu’il faut aplanir si l’on veut que le lendemain de ce référendum les choses se passent bien en Nouvelle-Calédonie.

M. Pierre Frogier. Avant, et non pas le lendemain !

Mme George Pau-Langevin, ministre. Aussi, nous devons continuer de travailler main dans la main. Tel était le sens symbolique de la visite du Président de la République en Nouvelle-Calédonie. C’était un symbole extrêmement émouvant.

Madame Claireaux, je vous félicite pour votre élection à la présidence du bureau du Conseil national de la mer et des littoraux. J’y vois un symbole fort de l’importance des outre-mer dans la richesse maritime de la France. Je pense que, grâce à vous, nous allons pouvoir améliorer cette croissance bleue que nous appelons tous de nos vœux.

Vous avez évoqué ce qu’il nous reste à faire pour soutenir le développement économique de l’archipel et donner tout son sens à la citoyenneté des habitants. Nous allons travailler d’assez près sur ces questions au cours de la période qui vient. Comme vous le savez, madame la sénatrice, le Président de la République a décidé de saluer le fait que Saint-Pierre-et-Miquelon ait été l’un des premiers territoires à rejoindre la France libre. Nous serons donc à Saint-Pierre-et-Miquelon le 24 décembre prochain. Je suis sûre que, en préparant cette visite présidentielle, nous pourrons lever un certain nombre de difficultés administratives qui s’opposaient à la réalisation de choses que nous voulions faire.

Monsieur Abdourahamane Soilihi, vous avez souligné un certain nombre de difficultés que rencontre Mayotte. Il est vrai que ce territoire est l’un de ceux que nous regardons avec le plus d’attention, compte tenu de ses équilibres fragiles et des déséquilibres qui s’y créent forcément, parce qu’il avance très vite sur la voie de la modernité. Il faut tout de même admettre que si Mayotte est un territoire où il y a beaucoup de problèmes, c’est aussi un territoire qui évolue très vite.

La majorité fait des efforts considérables pour aider Mayotte à rattraper son retard : revalorisation du RSA, alignement des allocations logement, mise en œuvre de la sur-rémunération, etc.

Surtout, au cours de la prochaine période, les fonds européens vont multiplier par quinze les capacités d’investissements à Mayotte.

Les constructions scolaires sont un problème que je connais bien pour m’en être occupée dans une vie antérieure. Vous le savez, si les constructions scolaires ne vont pas assez vite, c’est parce que le SMIAM, le syndicat mixte d’investissement pour l’aménagement de Mayotte, qui en était chargé avait les plus grandes difficultés à les réaliser, même avec les crédits. Par conséquent, nous y travaillerons, parce que nous sommes persuadés que c’est un enjeu extrêmement important pour Mayotte.

Mais je vous rappelle aussi que, s’il y a quelqu’un qui a pris à bras-le-corps le problème de la restauration scolaire pour les enfants de Mayotte, c’est bien moi, et j’ai pu effectivement améliorer la situation de manière significative.

Pour répondre à tous ces défis auxquels Mayotte est confrontée, nous avons lancé la démarche de dialogue « Mayotte 2025 », de sorte que tous les élus se pencheront sur le sujet et, bien évidemment, votre contribution sera essentielle.

Monsieur Karam, je vous remercie de tout ce que vous avez dit pour soutenir ce budget. Je ne reviens pas, puisque le temps m’est compté, sur les mesures d’allégement supplémentaires, mais je crois en effet qu’il faut que nous accompagnions la compétitivité des entreprises guyanaises et, surtout, que nous renforcions la place de la France en Amazonie et en Amérique du Sud ; à cet égard, le rôle de la Guyane est essentiel.

Monsieur Fontaine, là encore je ne reviens pas sur les dotations, puisque, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, si les outre-mer participent à l’effort général de la nation, la baisse de DGF qu’ils supportent est largement inférieure à l’effort que doivent consentir les communes de métropole. Aussi, il ne faut pas trop en parler.

Vous avez également évoqué la question des déchets. C’est effectivement un véritable problème pour les outre-mer, et il faut que le plan national présenté au début du mois de novembre par Mme Ségolène Royal comporte un volet spécifique pour les territoires d’outre-mer. Nous avons rendez-vous lundi ensemble, monsieur le sénateur, pour approfondir cette question. Je verrai aussi bientôt M. Jacques Gillot, qui a exprimé les mêmes inquiétudes que vous.

Je ne reviens pas sur le chômage des jeunes, si ce n’est pour dire que je suis vraiment prête à travailler de près avec les collectivités et les élus sur cette question de décrochage qui peut être une solution à un certain nombre de problèmes.

Monsieur Antiste, je tiens d’abord à vous remercier de la visite que nous avons réalisée chez vous, qui était extrêmement agréable, et au cours de laquelle nous avons pu voir concrètement les réalisations intervenues grâce au FEI.

Vos craintes à l’égard du FEI ne sont pas totalement fondées. En effet, les crédits de paiement sont maintenus, par conséquent les opérations déjà engagées seront bien financées. Par ailleurs, vous savez que nous avons fait évoluer dans un sens positif un certain nombre d’autres leviers : je pense notamment aux contrats de plan État-région et au plan très haut débit en outre-mer. Au titre des fonds européens, nous disposerons de crédits importants pour répondre aux besoins des outre-mer.

Monsieur Desplan, merci de vos appréciations sur le maintien des crédits consacrés aux outre-mer, notamment ceux qui sont alloués au SMA.

Vous avez exprimé vos préoccupations sur la situation carcérale dans les outre-mer. Vous avez participé au groupe de travail sur cette question. En termes de programmation, vous savez que des opérations ont été lancées aujourd’hui. Par exemple, la rénovation de la maison d’arrêt de Basse-Terre est prévue. Des besoins existent, mais le plan mis en œuvre par Mme Taubira devrait permettre de répondre à vos interrogations.

S’agissant du logement, je tiens à dire que c’est un sujet que nous suivons avec énormément d’attention et nous nous battons pied à pied avec la Commission européenne. Nous devrions normalement recevoir courant décembre une réponse positive de la Commission à notre demande d’intégrer le secteur du logement social dans les services d’intérêt économique général, et nous nous battons pour que le régime applicable aux dossiers en cours en 2014 soit cohérent avec ce qui entrera en vigueur l’an prochain. Nous suivons donc ces questions comme le lait sur le feu.

Monsieur Jacques Gillot, vous avez évoqué un certain nombre de sujets.

Sur la distribution des tabacs, il faut que l’on organise une concertation pour que cela se fasse correctement.

S’agissant de la gestion de l’eau, malheureusement, nous savons bien qu’il reste un énorme travail à faire pour que la gouvernance de l’eau puisse être viable en Guadeloupe. Là encore, je salue les efforts accomplis par les élus pour essayer de trouver une solution de compromis, mais, je le reconnais, le dossier est d’une complexité extraordinaire.

Nous avons lancé une mission d’expertise sur l’eau et l’assainissement, qui s’est rendue dans les cinq DOM. Nous pourrons donc travailler sur la base de ses conclusions.

Concernant le CHU de Guadeloupe, je vous confirme que le dossier est maintenu et que la nécessité de cette reconstruction n’est absolument pas remise en cause. Toutefois, le dossier a été mis au COPERMO du mois de février, parce qu’il y avait un certain nombre d’ajustements, notamment budgétaires, à faire, et les demandes concernant le plan de remise sur pied de l’hôpital, où le ministère voulait avoir des garanties. Mon conseiller social était cet après-midi même en liaison avec le ministère des affaires sociales afin de trouver une solution rapidement pour apaiser les inquiétudes des élus guadeloupéens.

Monsieur Cornano, vous avez souligné les problèmes tenant à la double insularité et il est vrai que cette question devra être prise en compte par le groupe de travail sur la continuité territoriale.

S’agissant de la modernisation de la sucrerie à Marie-Galante et de l’accès à l’emploi, vous savez que nous suivons le dossier de très près, et nous sommes en discussion permanente avec la commission pour l’énergie de manière à pouvoir faire fonctionner une usine moderne à Marie-Galante.

Je m’arrête là, mais je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions et préoccupations, et vous remercie de nouveau de la qualité de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Vincent Dubois et Michel Fontaine applaudissent également.)

Outre-mer
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Article 57

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Outre-mer », figurant à l’état B.

État B

(En euros)

Mission

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Outre-mer

2 090 724 692

2 060 066 193

Emploi outre-mer

1 391 923 517

1 378 673 517

Dont titre 2

141 836 941

141 836 941

Conditions de vie outre-mer

698 801 175

681 392 676

 

M. le président. L'amendement n° II–108 rectifié, présenté par M. D. Robert, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

 

(En euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Emploi outre-mer

Dont Titre 2

0

10 000 000

0

10 000 000

Conditions de vie outre-mer

10 000 000

0

10 000 000

0

Total

10 000 000

10 000 000

10 000 000

10 000 000

Solde

0

0

 

La parole est à M. Didier Robert, rapporteur pour avis.

M. Didier Robert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Il s’agit, par cet amendement, de rétablir les crédits de l’action relative à la continuité territoriale à la hauteur de ceux qui avaient été ouverts en lois de finances initiales pour 2013 et 2014, soit 51 millions d’euros.

Je considère que la baisse de crédits de 10 millions d’euros qui nous est proposée par le Gouvernement n’est pas acceptable, et ce pour deux raisons : d’abord, parce qu’elle revient à remettre directement en cause l’avenir du dispositif, qui est déjà sous-financé par l’État et ne permet pas aujourd’hui de répondre aux besoins ; ensuite, parce qu’elle constitue la traduction financière d’une réforme qui est encore très floue à l’heure où nous nous prononçons sur ces crédits et sur laquelle le minimum aurait été d’assurer la concertation avec les partenaires concernés. Je rappelle que les collectivités ultramarines financent l’aide à la continuité territoriale à hauteur de 45 %.

L’amendement que je vous propose est un amendement minimal et ne peut constituer qu’une solution temporaire dans le seul but de sauvegarder le dispositif pour l’année, avant que soit engagée une véritable réflexion sur son avenir – et nous nous y emploierons au Sénat. Je retiens, madame la ministre, que vous avez souhaité que le Sénat puisse apporter sa contribution à cette réflexion, et je m’en réjouis.

Les transferts de crédits seraient opérés depuis l’action consacrée au SMA, et je comprends bien que cela puisse faire débat. Je n’ai malheureusement pas d’autre choix du fait de la construction de la maquette budgétaire et des règles de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances.

Je ne souhaite évidemment pas remettre en cause la bonne marche du dispositif pour l’année à venir, et c’est pourquoi je vous propose de prélever ces crédits sur les dépenses d’investissement, et non sur celles de fonctionnement. Je souligne d’ailleurs que l’objectif SMA 6000 a encore été repoussé d’une année et que le Gouvernement lui-même n’a pas hésité à ajuster son budget sur les crédits d’investissement du SMA en séance publique à l’Assemblée nationale le 14 novembre dernier en faisant adopter son amendement n° II–8.

Par ailleurs, la part réelle et directe de la participation de l’État au financement du SMA a considérablement été revue à la baisse depuis 2014, puisque vous avez fait le choix, madame la ministre, de mobiliser au maximum les crédits européens au titre du FSE, le Fonds social européen, pour compenser le désengagement de l’État, réduisant là encore, par effet mécanique, les marges de manœuvre des collectivités locales.

La solution que je propose n’est certes pas optimale, mais je pense que nous n’avons pas d’autre choix si nous voulons préserver pour l’année à venir le dispositif de continuité territoriale, qui est essentiel pour garantir la cohésion nationale entre les territoires de la République sans remettre en cause les fondamentaux du SMA.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Georges Patient, rapporteur spécial. La commission des finances n’a pas pu statuer sur cet amendement. Toutefois, à titre personnel, j’émets bien sûr un avis défavorable, d’autant plus que cet amendement est gagé sur les crédits du SMA, comme M. Robert l’a dit lui-même.

Or il est clair que toucher à 10 millions d’euros de crédits d’investissement du SMA nuirait à l’efficacité de celui-ci et, surtout, à son action en faveur des nombreux jeunes ultramarins qui ont la chance de pouvoir bénéficier de cet outil, qui, comme je l’ai souligné lors de mon intervention, était jusqu’à présent loué sur toutes les travées du Sénat, de droite comme de gauche.

C’est pourquoi j’ai quelque peine à comprendre la position de M. Robert. Mais peut-être s’agit-il d’un amendement d’appel, quand on sait que les jeunes Réunionnais sont sans doute les plus nombreux à bénéficier de ce dispositif.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. Bien évidemment, cet amendement ne me semble pas du tout correspondre aux besoins des outre-mer.

Encore une fois, le problème majeur des jeunes dans les outre-mer, et les outre-mer en général, c’est le chômage, l’accès à l’emploi. C’est la raison pour laquelle nous avons obtenu de maintenir les budgets de la mission « Outre-mer » en axant notamment l’effort sur cette priorité qu’est la lutte pour l’emploi, mais aussi pour le logement décent.

Aussi, je ne comprends vraiment pas qu’un élu d’un département comme La Réunion, où le taux de chômage des jeunes atteint quasiment 60 %, puisse proposer de diminuer les crédits du SMA. Très franchement, cela m’échappe…

Je comprends qu’il est sans doute agréable ou souhaitable que les familles puissent aller en métropole plus souvent, mais il est incompréhensible de privilégier une telle option par rapport à la possibilité pour les jeunes de se former.

Par conséquent, et compte tenu de la proposition de M. Magras de constituer un groupe de travail sur la question, je ne peux que vous inviter à retirer cet amendement, monsieur Robert, parce que je considère véritablement qu’il nuit à l’image des outre-mer et qu’il va à l’encontre des préoccupations des populations d’outre-mer.

Je suis sûr, en effet, que leur préoccupation principale n’est pas de se rendre en métropole tous les ans. D’ailleurs, dans la réalité, on constate que les familles les plus modestes ne peuvent pas partir (Mme Maryvonne Blondin opine.), ou qu’elles partent au plus tous les trois ou quatre ans. Parmi les gens qui avaient manifesté devant la préfecture de La Réunion, il y avait une dame très convaincue qui disait : « Moi, je ne suis jamais allée en métropole, mais j’aimerais avoir la possibilité d’y aller chaque année ». Aujourd’hui, seules peuvent aller en métropole chaque année les personnes disposant de revenus suffisamment importants pour apporter le complément nécessaire.

Pour toutes ces raisons, je crois que ce dispositif n’est pas satisfaisant. Il faut qu’on y retravaille. C’était déjà la demande que formulait la CNEPEOM quand elle l’a analysé.

Pour notre image collective, il serait à mon sens préférable de retirer cet amendement.

M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, l'amendement n° II–108 rectifié est-il maintenu ?

M. Didier Robert, rapporteur pour avis. Pour ma part, je ne peux en aucun cas envisager de retirer cet amendement. Il n’y a aucune opposition à faire aujourd’hui entre le dispositif de continuité territoriale et tout ce qui peut être consacré à la formation professionnelle.

Vous savez très bien, madame la ministre, que, dans les différents territoires, les régions interviennent déjà, lourdement.

M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-108 rectifié. (MM. Jacques Gillot et Michel Magras demandent la parole.) Je ne puis vous donner la parole en cet instant.

M. Jacques Gillot. Monsieur le président, je peux m’exprimer dans le cadre d’un rappel au règlement, si vous le voulez.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-108 rectifié.

M. Michel Vergoz. C’est vraiment décevant !

M. Jacques Gillot. Encore une fois, l’outre-mer a tort !

M. le président. J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 47 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l’adoption 185
Contre 153

Le Sénat a adopté.

La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Je considère que l’adoption de cet amendement, contrairement au souhait de la grande majorité des parlementaires des outre-mer, à l’avis de la commission et à la suggestion du président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, dénature le budget que nous vous avions présenté. Par conséquent, je demande le rejet des crédits de la mission « Outre-mer ».

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Outre-mer », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix les crédits de la mission « Outre-mer », modifiés.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 48 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 185
Contre 155

Le Sénat a adopté.

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous propose d’achever l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » avant le dîner, c’est-à-dire à vingt heures trente au plus tard.

J’appelle en discussion les articles 57 et 57 bis, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Outre-mer ».

Outre-mer

Etat B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Article 57 bis (nouveau)

Article 57

I. – L’article 26 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer est abrogé.

II. – Cet article demeure applicable aux demandes d’aide déposées au plus tard le 31 décembre 2014.

M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz, sur l'article.

M. Michel Vergoz. Si je ne prenais pas la parole, nous serions plusieurs à partir un peu frustrés de cet hémicycle.

Monsieur le rapporteur pour avis Didier Robert, vous avez dit que vous n’aviez pas d’autre choix. Vous aviez un autre choix, un choix primordial : vous auriez pu accompagner la grande majorité de nos collègues ici présents, toutes sensibilités politiques confondues, dans leur refus de l’amendement anti-SMA. Vous ne l’avez pas fait, et je le regrette – j’allais dire « nous le regrettons », secrètement pour certains d’entre nous.

Une large majorité des sénateurs physiquement présents ont dit combien ce vote représentait un symbole négatif pour nos outre-mer. Pensez donc, mes amis, préférer les voyages au savoir, à la formation, à l’emploi ! (M. Michel Fontaine s’exclame.)

M. Didier Robert, rapporteur pour avis. Vous caricaturez !

M. Michel Vergoz. C’était cela l’enjeu. Il n’y a qu’à relire votre amendement : il est simple et explicite ; tout le monde peut le comprendre.

Frustrés, nous le sommes. Quelle est la conséquence de l’adoption de l’amendement anti-SMA ? Mme la ministre a été claire, et nous abondons dans son sens : la mission « Outre-mer », que tout le monde approuvait – en tout cas, la commission des affaires économiques avait émis à l’unanimité un avis favorable à l’adoption de ses crédits, ainsi que me le confirme Serge Larcher –, est dénaturée.

C’est un symbole fort : voyage pour tous contre emploi. Nous sommes défavorables à cette modification des crédits de la mission « Outre-mer ». Je partage la frustration de ceux qui restent silencieux sur les travées qui sont en face de moi. (L’orateur regarde les travées de l’UMP.)

Oui, nous avons l’assurance que l’Assemblée nationale rétablira la mission « Outre-mer » dans son intégrité, comme le souhaite la majorité des sénateurs ici présents. Les crédits du SMA seront réinstallés à leur juste et bonne place.

Je voudrais tout de même vous dire que l’histoire nous réserve des surprises terribles. En 2011, j’ai fait mes premiers pas dans cette institution. Comme vous, monsieur le rapporteur pour avis, j’ai rédigé un rapport pour avis sur la mission « Outre-mer ». Le SMA était l’un des dossiers dont j’avais la charge. Ce dispositif avait été porté pendant des années par des gouvernements que je ne soutenais pas. Pourtant, nous, les socialistes, et plus largement les progressistes, nous avons soutenu sans état d’âme ce fantastique outil qui existe depuis des décennies.

J’ai travaillé avec le SMA dans les années 1990 en tant que maire d’une petite ville. Cela me fait mal de voir qu’on a déposé un amendement anti-SMA pour affecter dix malheureux millions d'euros à des voyages. Je ne veux pas croire un seul instant que vous puissiez, depuis l’Hexagone, envisager que cette idée soit saine pour un pays qui compte 30 % de chômeurs et même 60 % parmi ses jeunes.

L’histoire réserve des surprises. Le SMA était inscrit depuis fort longtemps dans le budget. Ce soir, pour la première fois, un amendement l’agresse. Qui aurait cru qu’un tel amendement serait présenté par un membre de l’UMP ? Personne ne l’aurait pensé ; il l’a fait. L’histoire nous réserve de bien drôles de surprises.

Ce soir, le SMA est agressé. Cependant, madame la ministre – je vous remercie de votre vigilance –, il sera rétabli dans son intégrité par l’Assemblée nationale.

Je veux remercier toutes celles et tous ceux, toutes tendances confondues – membres des groupes UMP, UDI-UC, écologiste, RDSE ou CRC –, qui ont trouvé sur ce sujet un plus grand dénominateur commun. Voilà le chantier auquel nous devons travailler si nous voulons donner encore un peu d’espérance à cet outre-mer qui a tant besoin de croire en nous. Nous devons nous entendre sur l’essentiel. Or, ce soir, monsieur le rapporteur pour avis, nous avions l’essentiel à traiter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 57.

(L'article 57 est adopté.)

Article 57
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Sécurités - Compte d'affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers

Article 57 bis (nouveau)

Le second alinéa de l’article L. 6500 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° À la fin de la première phrase, les mots : « 90 552 000 € pour l’année 2011 » sont remplacés par les mots : « 84 547 668 € pour l’année 2015 » ;

2° La deuxième phrase est supprimée.

M. le président. La parole est à M. Vincent Dubois, sur l’article.

M. Vincent Dubois. J’aurais aimé également m’exprimer sur l’amendement de mon collègue Didier Robert tout à l’heure. Aussi, permettez-moi d’y revenir un instant. La question de la continuité est véritablement essentielle pour toutes nos collectivités territoriales. À ce titre, je comprends tout à fait le but visé à travers cet amendement, même si, il le sait, ma collègue Teura Iriti et moi-même ne l’avons pas soutenu.

Nous avons voté contre, simplement parce que déshabiller Pierre pour habiller Paul n’est pas une solution. Cela dit, le dépôt puis le vote de cet amendement révèlent un véritable problème, à savoir l’insuffisance des crédits accordés au titre de la continuité territoriale. C’est le message que nous voudrions faire passer ce soir.

Au-delà des termes de continuité territoriale, je pense que cette notion doit évoluer. Aujourd’hui, il me semble plus approprié de parler d’un droit à la mobilité pour les ultramarins, notamment, comme l’a souligné mon collègue, en raison de la double insularité, à laquelle beaucoup d’ultramarins sont confrontés. C’est le cas dans tous les territoires d’outre-mer et, vous le savez, madame la ministre, c’est le cas, bien évidemment, de la Polynésie française. Dois-je rappeler que cette collectivité est composée de plus d’une centaine d’îles, dont plus de soixante-dix sont habitées, réparties sur une superficie équivalant à celle de l’Europe ?

Aujourd’hui, lorsque l’on parle de mobilité, terme que je préfère à celui de continuité, on parle d’un droit à la mobilité afin de pouvoir accéder à l’éducation, à la santé, à l’emploi.

Vous avez, à juste titre, indiqué qu’il ne fallait surtout pas baisser les crédits du SMA, qui est véritablement un dispositif d’aide à l’emploi, mais, en l’absence de crédits suffisants affectés à la mobilité, on ne se donne pas les moyens d’une lutte cohérente et efficace contre le chômage.

À titre d’exemple, prenez les Polynésiens qui habitent aux Marquises, qui se trouvent à plus de 3 000 kilomètres de Papeete. Sur toutes ces îles, il n’y a pas de lycée, d’équipements de santé adaptés ni d’offres d’emploi suffisantes. Ces habitants des Marquises, ou des Australes, doivent donc se rendre à Tahiti pour trouver un emploi. Malheureusement, ils n’ont pas les moyens de payer ce transport. C’est vers la résolution de ce type de problème que nous devons tendre en mettant en œuvre ce principe de mobilité territoriale.

Avec la crise actuelle et la misère qu’elle engendre parmi la population, notamment en Polynésie française, le souci n’est pas tant, pour des habitants des îles éloignées de Tahiti, de pouvoir se rendre dans l’Hexagone que de pouvoir aller à Papeete pour y suivre une scolarité jusqu’au bac, bénéficier de soins efficaces et trouver de l’emploi.

Je reviens à l’article 57 bis. Je suis surpris que mes collègues socialistes aient été choqués par la baisse de 10 millions d’euros au titre du SMA, alors qu’ils ne se sont, à aucun moment, émus de la baisse de 6 millions d’euros de la dotation globale d’autonomie, la DGA, accordée à la Polynésie française.

Vous n’avez cessé, toute la soirée, de soutenir que le budget de l’outre-mer était équilibré, mais c’est faux ! Aujourd’hui, la Polynésie française subit une baisse de 6 millions d’euros de ses crédits. Est-ce que vous vous en êtes offusqués ? Je n’en ai pas eu l’impression.

M. Michel Vergoz. On parle du SMA !

M. Vincent Dubois. Je vous rejoins sur la baisse du SMA, mais vous devez aussi admettre que la baisse de la DGA pour la Polynésie française est importante. (M. Michel Vergoz s’exclame.)

Vous le savez, madame la ministre, aujourd’hui, le véritable souci des Polynésiens, c’est la misère qui touche la population, dont plus du quart vit au-dessous du seuil de pauvreté.

J’aimerais simplement rappeler, car mes collègues ne le savent peut-être pas, que, en Polynésie française, nous n’avons ni allocations chômage, ni RSA, ni allocation temporaire d’attente, l’ATA. Or je viens de constater, à l’occasion de la discussion des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », qu’une somme de 110 millions d’euros était affectée à l’ATA. Pour ce qui nous concerne, nous demandons simplement l’affectation de 20 millions d’euros pour combler le déficit du régime de solidarité de Polynésie française, le RSPF. Qu’est-ce que c’est, le RSPF ? C’est 83 euros par mois pour une personne sans revenu, avec un enfant à charge, tandis que l’ATA c’est quelque 340 euros par mois… pour des étrangers dans l’attente d’un travail.

Comprenez que je m’interroge légitimement sur l’étendue de la solidarité nationale,…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Vincent Dubois. … lorsqu’un Polynésien sans emploi ni revenu touche 83 euros par mois, alors qu’une personne qui n’est pas encore Française et qui n’a pas d’emploi touche 340 euros par mois…

C’est un sujet extrêmement sensible. En tout cas, avant de laisser éventuellement la parole à ma collègue Teura Iriti, je tiens à dire que nous sommes – malheureusement ! – pour cet article 57 bis, car, malgré la baisse que je viens d’évoquer, il nous accorde quand même une somme que nous ne pouvons refuser. Il s’agit donc d’un vote par dépit, mais nous demandons à nos collègues de nous soutenir en votant en faveur de cet article. (M. Hilarion Vendegou applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Magras, sur l'article.

M. Michel Magras. Vous l’aurez compris, j’interviens sur cet article pour exprimer ce que je n’ai pas pu dire tout à l’heure. Je suis dans une situation particulièrement embarrassante, pour plusieurs raisons.

La première tient non pas au seul chapitre du rapport que j’ai eu l’honneur de présider, mais à la CNEPEOM tout entière, qui a proposé, s’agissant de la continuité territoriale, que l’ACT soit encadrée, car il devenait évident qu’on ne pouvait pas ouvrir un droit sans en fixer les règles d’encadrement. Nous avions proposé, à cette occasion, de trouver une recette à affecter pour que, à l’avenir, les utilisateurs sachent où se situent les limites.

La deuxième raison vient du fait que je préside, depuis peu, la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Je ne peux pas prendre d’engagement au nom de mes collègues, mais, pour ma part, j’ai dit que j’étais très ouvert. Nous avons, le 9 décembre prochain, une réunion, au cours de laquelle nous établirons le programme. Il est clair que la question sera mise à l’ordre du jour et nous aurons peut-être à nous prononcer sur cette problématique afin de savoir quelle étude nous devons mener pour arriver à des résultats plus stables.

Enfin, troisième et dernière raison, nous vivons aujourd’hui une situation atypique. En effet, d’une manière générale, le budget de l’outre-mer a toujours fait au Sénat l’objet d’un consensus. Quel que soit le gouvernement, nous nous sommes toujours mis d’accord sur la mission « Outre-mer », dans la mesure où nous avons toujours été reconnaissants aux ministres qui se sont succédé de batailler dur pour défendre les intérêts de l’outre-mer face à un Gouvernement ou une France tout entière qui a besoin de réduire ses budgets et de faire des économies, d’aller dans le sens qui n’est celui dans lequel nous parvenons à aller puisque le budget de l’outre-mer est régulièrement en augmentation.

Je suis donc gêné par le fait que cette proposition aboutisse à un désaccord au sein des parlementaires ultramarins du Sénat, car nous n’y sommes pas habitués.

Pour ma part, si j’avais souhaité intervenir en explication de vote, c’était simplement pour proposer à mon collègue Didier Robert que son amendement puisse être considéré comme un amendement d’appel. Tel aurait pu être le cas si le Gouvernement nous avait demandé d’adopter les crédits en l’état en prenant l’engagement d’inclure dans le premier projet de loi de finances rectificative pour de 2015 un complément de financement correspondant à l’amendement.

Mais – vous avez entendu les propos que j’ai tenus à la tribune – je ne peux me résoudre à prendre sur le SMA, dont on sait tous qu’il est fondamental pour l’outre-mer, pour abonder la continuité territoriale.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Trop tard, c’est déjà fait !

M. Michel Magras. Pour ces raisons, je faisais partie des frustrés quant à la manière dont s’est déroulée la fin de la discussion de l’amendement. Monsieur le président, vous aviez annoncé la règle ; à cet égard, je regrette de ne pas avoir été suffisamment attentif ou de ne pas avoir eu suffisamment de temps à la tribune pour exprimer ce point de vue. L’occasion venant de m’en être donnée, je me suis permis de le faire, vous voudrez bien m’en excuser.

M. le président. Je mets aux voix l'article 57 bis.

(L'article 57 bis est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre. Effectivement, nous avons assisté à une solution assez paradoxale. Je devrais me réjouir, puisque les crédits de la mission « Outre-mer » sont adoptés. Je dois dire que ce vote correspondrait à la tonalité des débats que nous avons eus. Les travaux menés en synergie avec les parlementaires de tous les groupes ont bien montré que nous étions en train de construire ensemble un budget qui nous semblait tout à fait positif pour les outre-mer.

Cependant, l’épisode de l’amendement est regrettable à mes yeux, car, manifestement, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus. Vous avez fait voter cet amendement avec une majorité qui existe mais qui est contraire à l’avis de la grande majorité des sénateurs qui ont participé au débat et qui sont ici présents. En l’occurrence, la procédure n’est donc pas vraiment satisfaisante pour la clarté de nos débats.

Bien évidemment, ce dossier va revenir devant l’Assemblée nationale, qui rétablira la situation. Toutefois, il aurait été préférable que le vote corresponde un peu mieux à la tonalité des expressions que nous avons entendues aujourd’hui, et dont je me félicite.

S’agissant de la Polynésie, je tiens à redire à M. Vincent Dubois ce que j’ai expliqué au début à Mme Teura Iriti. Si on avait appliqué la règle mathématique telle qu’elle résultait de la loi, la DGA étant assise sur la DGF, on aurait assisté à une diminution drastique, de l’ordre de 9 millions d’euros. On s’est battu pour que ça soit nettement moindre, puisque la diminution n’est que de 3 millions d’euros. Je considère donc que nous avons vraiment sauvegardé la situation de la Polynésie française.

Par ailleurs, comme vous le savez, nous discutons pour remettre sur pied le régime de solidarité, parce que, nous en sommes conscients, comme vous, la Polynésie, au-delà des cartes postales, est une terre où il y a beaucoup de pauvreté. Aussi, nous travaillons main dans la main pour essayer d’avancer. Je comprends que vous ayez une expression un peu vive, mais elle ne me semble pas correspondre à la réalité des efforts que fait ce gouvernement. En l’occurrence, celui-ci agit de manière assez paradoxale puisque nous essayons de remédier au fait que, la Polynésie étant désormais autonome, un certain nombre de mesures, y compris sociales, que nous mettons en œuvre ne s’y appliquent pas. C’est une réalité juridique. Nous essayons d’en pallier les conséquences, mais nous sommes face à une difficulté majeure que nous ne pouvons pas totalement surmonter.

En tout cas, sachez que, malgré ces propos qui me semblent vifs, nous continuerons à travailler ensemble pour essayer d’améliorer la situation des Polynésiens, notamment des plus modestes d’entre eux. (M. Vincent Dubois applaudit.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Outre-mer ».

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente.)

Article 57 bis (nouveau)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2015
Article 59 septies (nouveau)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi de finances pour 2015, adopté par l’Assemblée nationale.

Sécurités

Compte d’affectation spéciale : Contrôle de la circulation et du stationnement routiers

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Sécurités » (et article 59 septies) et du compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».

La parole est à M. Philippe Dominati, rapporteur spécial.

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, il y a plusieurs manières d’apprécier la politique de sécurité de l’État que retracent les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » : d’un point de vue strictement budgétaire et d’un point de vue davantage politique, en appréciant leurs résultats.

Sur le plan budgétaire, les crédits proposés au titre des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » s’élèvent à 17,76 milliards d’euros en crédits de paiement, en progression de 0,49 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2014. Cette hausse reflète pour partie les créations de postes, qui se poursuivent en 2015, à hauteur de 405 emplois, dont 243 pour la police et 162 pour la gendarmerie.

Par rapport aux autres pays de l’Union européenne, la France se situe dans la moyenne, avec un policier ou un gendarme pour 270 habitants. Selon les années, certaines missions pèsent cependant sur l’activité des policiers ou des gendarmes, comme l’établissement des procurations de vote, qui ont requis l’équivalent de 737 emplois équivalent temps plein en 2012. Or notre pays connaîtra deux élections en 2015.

Enfin, les transfèrements de détenus font l’objet de la reprise d’un processus de transfert entamé en 2012 entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice et interrompu pour des raisons techniques. Ce transfert de compétences est nécessaire pour recentrer l’action des forces de sécurité sur leur cœur de métier.

S’agissant des postes pourvus, des écarts croissants sont observés entre les prévisions et les exécutions du plafond d’emplois de la gendarmerie nationale : la sous-exécution a atteint 1 810 emplois équivalent temps plein travaillé en 2013, soit 1,86 % des emplois du programme, ce qui traduit la difficulté des gestionnaires à appréhender les comportements individuels des agents, notamment les départs à la retraite. En conséquence, les effectifs de trop nombreuses brigades de gendarmerie sont aujourd’hui incomplets.

Concernant la masse salariale, la stabilisation des dépenses de personnel de la police nationale entre 2014 et 2015 s’explique par une surévaluation des crédits de titre 2 en loi de finances initiale pour 2014. À périmètre constant, les dépenses de personnel augmentent en réalité de 1,1 % par rapport à 2014. Pour la fin de la période couverte par le budget triennal, entre 2015 et 2017, la masse salariale devrait en revanche se stabiliser, sous l’effet d’un repyramidage et d’une baisse considérable des mesures catégorielles : de 20,88 millions d’euros en 2015, ces dernières chuteraient à 13,62 millions d’euros en 2016 et à moins de 1 million d’euros en 2017, soit un niveau historiquement bas. Une telle réduction des mesures catégorielles risque de poser un problème d’attractivité des métiers de la sécurité.

Une autre question récurrente est celle du stock d’heures supplémentaires du corps d’encadrement et d’application de la police nationale, estimé à 15 749 640 heures par le ministère de l’intérieur. La Cour des comptes a considéré que cette situation requérait la constitution d’une provision, dont elle a évalué le montant à 322 millions d’euros.

En investissement, je déplore que le rythme de renouvellement des flottes de véhicules entraîne leur vieillissement.

Si l’on considère à présent, d’un point de vue plus politique, les résultats de la politique de sécurité, force est de constater que les indicateurs de mission montrent une hausse généralisée de la délinquance en 2013.

L’évolution du nombre de crimes et délits en matière d’atteintes volontaires à l’intégrité physique des personnes constatés a augmenté l’an passé tant en zone police, de 1,29 %, qu’en zone gendarmerie, de 3,2 %. L’évolution des violences physiques non crapuleuses et des violences sexuelles a été en hausse de 1,1 % en 2013 en zone police et de 9,8 % en zone gendarmerie, au lieu d’une baisse de 9,2 % en 2012.

Le nombre de cambriolages a progressé de 7 %, tant en zone police qu’en zone gendarmerie, pour atteindre au total 390 000 en 2013. Le nombre de crimes et délits en matière d’atteintes aux biens constatés a augmenté en zone police de 2,7 % et en zone gendarmerie de 3,9 %.

Les résultats du premier semestre de 2014, détaillés dans le rapport spécial, sont contrastés.

De telles évolutions, en partie imputables à la situation économique, laisseront des traces durables sur le sentiment d’insécurité de nos concitoyens, même lorsque la situation s’améliorera, ce qui constitue un argument supplémentaire pour l’élaboration d’un indicateur sur le sentiment d’insécurité. En effet, il y a lieu de regretter que le sentiment d’insécurité ne soit toujours pas mesuré au sein du dispositif de performance. Dans les réponses au questionnaire budgétaire, la direction générale de la gendarmerie nationale a répondu que le calendrier des enquêtes conduites par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ne permettait pas de les intégrer dans les documents budgétaires. Il est dommage que les données issues des outils statistiques pourtant disponibles ne puissent pas être recueillies ni valorisées en cohérence avec la démarche de performance qui sous-tend les politiques publiques depuis l’adoption de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Par ailleurs, un indicateur mesurant la part des activités dédiées à la prévention et à la répression par les forces de police pourrait utilement être construit à partir de recueils de données auprès des agents sur leurs activités. Ce pourrait être l’un des objectifs du nouveau service statistique ministériel de la sécurité intérieure, créé cette année.

Enfin, l’Assemblée nationale a adopté un nouvel article tendant à permettre aux collectivités territoriales de participer, jusqu’en 2017, au financement d’opérations immobilières de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la justice. Ces dispositions, initialement instituées jusqu’en 2007 par la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, avaient déjà été rétablies une première fois par la deuxième loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure entre 2011 et la fin de 2013. Il est donc proposé de rétablir une nouvelle fois ce dispositif, au regard de la nécessité de conduire des opérations d’investissement en partenariat avec les collectivités territoriales. Un tel article est nécessaire pour conduire à bien ces opérations.

Je tiens enfin à saluer le courage et l’engagement des forces de sécurité, dont j’ai pu rencontrer les syndicats, ainsi que les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Mais la question des suicides est révélatrice d’un malaise : quelles sont les données actuelles, monsieur le ministre ? Quelles réponses le Gouvernement entend-il apporter ?

Je souhaite évoquer un dernier point, bien qu’il ne concerne pas directement les crédits de cette mission : le Gouvernement, par négligence, a paralysé l’action des forces de sécurité en supprimant toutes les écoutes légales. Il serait bon que vous nous apportiez un certain nombre de précisions.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d’adopter sans modification les crédits de la mission « Sécurités », qui concourt à la mise en œuvre d’une politique régalienne, et l’article 59 septies rattaché. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial.

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique de sécurité routière a porté ses fruits, puisque le nombre de tués et de blessés sur les routes françaises a fortement diminué de 2008 à 2013 : nous avons déploré 3 268 morts en 2012, et le Gouvernement entend passer sous la barre des 3 200 morts en 2015. Toutefois, il convient de ne jamais baisser la garde, car on relève une légère hausse du nombre de morts dans les huit premiers mois de 2014.

L’indicateur permettant de connaître l’évolution des facteurs de risques a disparu du projet annuel de performances, ce que je regrette, et les réponses au questionnaire budgétaire ne permettent pas de le remplacer.

Les dépenses inscrites sur le programme 207 « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités » restent stables, la forte diminution apparente étant due en fait à un transfert. En effet, à l’occasion du rattachement de la politique de sécurité et d’éducation routières au ministère de l’intérieur, l’ensemble des crédits et emplois correspondants sont transférés au programme 216. Les dépenses de personnel disparaissent ainsi du programme 207.

Le contexte des faibles taux d’intérêt permet de réduire la charge financière de l’État au titre du « permis à un euro par jour », dont la dotation diminue de 1 million d’euros. J’avais fait cette observation l’an dernier, et je constate qu’elle a été prise en compte cette année.

Enfin, une réforme du permis de conduire a été annoncée. J’y suis favorable sur le fond, mais je souhaite qu’elle se fasse à crédits constants, sans coût supplémentaire pour le budget de l’État.

En ce qui concerne le compte d’affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », le produit total des amendes de la circulation et du stationnement en 2014 devrait atteindre 1,671 milliard d’euros. Sur ce total, une somme de 1,377 milliard d’euros est inscrite en dépenses sur le compte.

Le Gouvernement prévoit la stabilisation du nombre de radars en 2015, soit à hauteur de 4 200, mais 253 d’entre eux seront remplacés, en particulier par des radars « chantier » et des radars « vitesse moyenne ». Le coût d’installation et de maintenance des radars s’établit à 117 millions d’euros, dont plus de 26 millions d’euros afin de remplacer les dispositifs anciens.

Je m’interroge néanmoins sur l’opportunité, dans le contexte budgétaire actuel, d’installer 40 nouveaux radars « vitesse moyenne », pour un coût unitaire de 167 000 euros, soit le triple d’un radar mobile-mobile par exemple, et 43 radars « chantier » pour un coût unitaire d’environ 200 000 euros. C’est pourquoi je proposerai un amendement tendant à réduire les nouvelles installations à 20 radars « vitesse moyenne » et 20 radars « chantier », soit une économie de 7,3 millions d’euros, cette économie pouvant augmenter d’autant le programme 754, « Contribution à l’équipement des collectivités territoriales pour l’amélioration des transports en commun, de la sécurité et de la circulation routières ».

La dotation affectée à l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions, l’ANTAI, diminue légèrement à 123,6 millions d’euros. Je vous proposerai d’adopter un amendement tendant à diminuer la subvention à l’ANTAI de 20 millions d’euros, afin de procéder à un prélèvement à due concurrence sur son fonds de roulement – nous avons beaucoup évoqué ce type d’opération pour d’autres organismes. Il me semble que ce fonds de roulement, dont le montant officiel n’a pu m’être communiqué à ce jour, dépasse le seuil prudentiel de 14,5 millions d’euros, même après un premier prélèvement au profit de l’Agence nationale des titres sécurisés.

En 2014, l’État dépensera 15,7 millions d’euros pour envoyer 17 millions de lettres simples informant du retrait ou de la restitution de points sur le permis de conduire. Or les automobilistes disposent aujourd’hui de moyens efficaces pour connaître leur nombre de points, même si leur efficacité peut être améliorée. Tel est le cas du site internet Télépoints, très fiable pour les permis de conduire obtenus à partir de 2013, mais un peu moins pour les permis antérieurs ; avec un mot de passe, son fonctionnement pourrait être très sérieusement amélioré.

En outre, le nombre de points retirés à chaque infraction est indiqué sur l’avis de contravention. Il est possible pour chacun de faire ses comptes très facilement. C’est pourquoi je vous proposerai, en vue de modifier le code de la route, deux amendements tendant à supprimer l’obligation d’envoyer des lettres simples à l’occasion du retrait ou de la restitution de points.

Le procès-verbal électronique, qui remplace le carnet à souches pour la constatation des infractions de la circulation et du stationnement routiers, est maintenant complètement déployé dans les forces de l’ordre au sein de l’État – plus de 15 600 outils de verbalisation électronique ont été répartis entre police nationale et gendarmerie nationale. Au 1er septembre 2014, 1 954 communes avaient fait le choix de doter leur police municipale du système de procès-verbal électronique, et ce nombre va bien sûr croissant. À cet égard, le fonds d’amorçage destiné à aider les communes à acquérir leurs équipements électroniques de verbalisation a été prorogé jusqu’en 2015 par la loi de finances pour 2014.

Il convient enfin de souligner que la mise en œuvre à compter du 1er janvier 2016 de la dépénalisation du stationnement payant, prévue par l’article 63 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, modifiera profondément le périmètre du compte d’affectation spéciale sur le contrôle de la circulation et du stationnement routiers.

Sous réserve de l’adoption des amendements que je présenterai, qui ont reçu un avis favorable de la commission des finances, je propose d’adopter ces crédits.

M. le président. La parole est à M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits du programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités » ne couvrent qu’une partie des moyens dédiés à la sécurité civile. S’agissant des moyens de l’État, ils forment 48 % des crédits de paiement de la politique transversale de sécurité civile.

Par ailleurs, le budget total des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, atteint 4,36 milliards d’euros dans les budgets primitifs pour 2014, soit cinq fois les crédits inscrits aux missions du budget de l’État. La politique de sécurité civile relève donc bien d’une responsabilité partagée. À cet égard, s’agissant de l’avenir des SDIS, vous avez confirmé, monsieur le ministre, lors du 121e congrès national des sapeurs-pompiers de France, le 4 octobre dernier, le rôle de l’échelon départemental, garant de la proximité, comme niveau d’organisation de la réponse opérationnelle. Peut-être pourriez-vous nous en dire davantage sur l’organisation future des SDIS et leurs perspectives de financement par l’État.

S’agissant du programme « Sécurité civile », les crédits de paiement proposés, à hauteur de 439,55 millions d’euros, sont en hausse de 0,6 % par rapport à 2014, sous l’effet d’une hausse des dépenses de personnel.

Le schéma d’emploi du programme traduit une diminution de 24 postes ou emplois équivalent temps plein. Malgré cette baisse, le projet de loi de finances propose une hausse de plus de 2 % des dépenses de personnel. En réalité, cette progression traduit la correction – attendue – d’une sous-budgétisation chronique des dépenses de personnel de la mission par rapport à l’exécution.

Cette année est marquée par la refonte et la simplification du dispositif de performance : cinq objectifs et neuf indicateurs sont proposés, au lieu de neuf objectifs et onze indicateurs dans le projet de loi de finances initiale pour 2014. Cette évolution tend à accroître la lisibilité des moyens dédiés à la politique de sécurité civile. Cependant, le changement d’indicateur mesurant la disponibilité des hélicoptères ne permet plus d’établir des comparaisons d’une année sur l’autre, alors qu’apparaissaient les conséquences néfastes du vieillissement de la flotte sur la performance. Avoir modifié cet indicateur apparaît comme une façon de « casser le thermomètre ».

S’agissant de la flotte d’aéronefs, le renouvellement de la composante aérienne de la sécurité civile, trop longtemps différé, devient urgent. Le remplacement des neuf Tracker, dédiés à l’attaque des feux naissants, est toujours prévu à l’horizon de 2020.

Dans les réponses au questionnaire budgétaire, vos services, monsieur le ministre, ont seulement indiqué que « la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, la DGSCGC, remettrait des propositions techniques pour le renouvellement de la composante Tracker, en étudiant différents modèles économiques – achat, location... ». Or, comme le reconnaît la DGSCGC, « la flotte d’avions d’investigation et de coordination Beechcraft 200 est vieillissante – âge moyen vingt-sept ans – et confrontée à des obsolescences », mais des réponses semblent en mesure d’être apportées à court et moyen terme puisque, toujours selon le ministère de l’intérieur, « dans le cadre du nouveau marché de maintien en condition opérationnelle, une rénovation avionique est prévue qui permettra de prolonger leur durée de vie. L’équipement de deux des trois avions de la flotte en moyens optroniques permettra de moderniser l’approche des missions d’investigation feux de forêt et de développer de nouvelles missions subsidiaires au profit du ministère de l’intérieur ».

Dans l’immédiat, ces choix engendrent des dépenses de maintenance accrues. Il serait donc utile d’effectuer des simulations sur les surcoûts liés au maintien de la flotte actuelle, en termes de maintenance et de révision des appareils, et le coût de l’acquisition de nouveaux appareils, au regard de l’obsolescence des appareils et de la nécessité d’assurer le plus haut niveau de sécurité des pilotes.

Il conviendrait aussi d’envisager de développer les mutualisations dans le recours aux appareils de la flotte des hélicoptères, au sein du même ministère, avec les forces de police et de gendarmerie, ou au niveau interministériel, par exemple avec les acteurs de la santé publique, en prenant bien sûr en compte les différences d’usage.

Il pourrait ainsi être envisagé une flotte nationale unique regroupant l’ensemble des hélicoptères actuels de la sécurité civile, de la gendarmerie et du SAMU, en définissant chaque année le crédit d’heures qui serait alloué pour chacune des missions, ainsi que de prédéfinir les règles de priorité d’emploi entre ces différents services. Cette disposition présenterait l’avantage d’une homogénéité du parc aérien et donc une économie du coût de sa maintenance, ainsi qu’une optimisation de l’emploi opérationnel des vecteurs aériens.

Je voudrais enfin dire un mot du développement du projet ANTARES – Adaptation nationale des transmissions aux risques et aux secours –, qui vise une meilleure interopérabilité des systèmes de communication des forces de sécurité. D’ici à 2018, le coût total d’investissement s’élèvera à 118,85 millions d’euros pour l’État. Le financement de l’investissement est partagé entre l’État, s’agissant du financement des infrastructures, et les SDIS, en ce qui concerne les postes mobiles et l’adaptation technique des dispositifs radio.

Au regard des investissements que doivent continuer à consentir les SDIS, il est regrettable que, depuis la loi de finances initiale pour 2013, il ne soit plus inscrit de crédits budgétaires en autorisations d’engagement au titre du Fonds d’aide à l’investissement instauré par l’article 129 de la loi de finances pour 2003, pour soutenir les SDIS dans leurs efforts d’investissement en équipements et en matériels. En effet, une partie importante des crédits du FAI concourait spécifiquement, depuis 2007, au financement du programme ANTARES.

En 2015 et 2016, le Gouvernement concentrera ses investissements sur la couverture par ANTARES de l’ensemble du territoire national, alors que le taux de couverture national du territoire, qui s’établirait à 95 %, pose toujours le problème de « zones blanches » non couvertes. Ce taux de couverture de 95 % correspond vraisemblablement aux résultats issus d’une modélisation de la couverture radio réalisée par l’emploi de modèles informatiques. Les mesures de couverture radio effectuées sur le terrain par certains SDIS font apparaître un taux de couverture du territoire sensiblement inférieur.

Il convient d’envisager des solutions techniques pour améliorer la couverture du territoire, tout en veillant à ce que leur coût ne soit pas excessif au regard de l’objectif poursuivi. À cette fin, je propose que soit créé un nouvel objectif de performance « Couverture optimale du territoire national par le réseau ANTARES en vue de la protection des populations », auquel serait associé un indicateur mesurant le pourcentage de la population couverte par le réseau, renseigné notamment par les résultats de mesures de couverture qui seraient réalisées sur le terrain.

Au final, et sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d’adopter sans modification les crédits de la mission « Sécurités », qui correspond à la mise en œuvre d’une politique régalienne, y compris en ce qui concerne la sécurité civile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, rapporteur pour avis.

M. Alain Gournac, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la gendarmerie nationale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au sein de la mission « Sécurités », l’enveloppe des crédits consacrés à la gendarmerie nationale s’élève à environ 8 milliards d’euros. Elle affiche une légère augmentation pour 2015, tant en autorisations d’engagement – 1,6 % – qu’en crédits de paiement – 0,4 %. C’est une progression certes modeste, mais qui démontre le caractère prioritaire de la gendarmerie et, plus largement, de la sécurité, dans un contexte budgétaire difficile.

Les crédits de personnel, soit 6,85 milliards d’euros, représentent une bonne part de cette enveloppe et enregistrent pour 2015 une évolution maîtrisée. Ils intègrent la création de 162 postes, qui viennent conforter le mouvement de remontée des effectifs entrepris en 2013, après des années de forte baisse. Ces créations de postes sont donc particulièrement bienvenues.

Hors titre 2, les crédits de la gendarmerie sont en augmentation de 95 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 4 millions d’euros en crédits de paiement.

En ce qui concerne les crédits de fonctionnement courant, leur augmentation ne signifie en aucun cas un desserrement de la contrainte puisqu’elle est essentiellement liée à la progression des loyers du parc immobilier. Ces loyers représentent à eux seuls 500 millions d’euros, soit près de la moitié de ces crédits. En conséquence, un certain nombre de postes subiront une modération, c’est le cas de l’entretien des véhicules, des dépenses de carburant, des déplacements ou encore de l’entretien léger du casernement. Dans tous ces domaines, les besoins sont estimés au plus juste et les crédits gérés à l’économie.

En revanche, ce budget comporte plusieurs avancées en matière de crédits d’investissement.

Première avancée : des moyens sont dégagés pour permettre l’achat d’équipements informatiques indispensables, tels que des ordinateurs, des terminaux 3G pour les véhicules de patrouille et pour permettre aussi de lancer un plan de modernisation des systèmes d’information et de communication, même si la dotation consacrée à ce plan en 2015 demeure limitée.

Par ailleurs, une expérimentation relative à l’utilisation de tablettes numériques devrait démarrer en 2015, l’idée étant que, à terme, chaque gendarme soit doté de sa propre tablette et donc connecté en permanence au réseau, même quand il se trouve en dehors de son véhicule.

Deuxième avancée : 41,4 millions d’euros en autorisations d’engagement devraient être consacrés à l’acquisition de 2 000 véhicules légers et motocyclettes. Cela va dans le bon sens, même si on est encore loin des 3 000 véhicules qu’il faudrait commander chaque année pour renouveler le parc automobile de la gendarmerie. Ce parc, vous le savez, est relativement ancien, les véhicules légers ayant en moyenne plus de six ans et les motocyclettes plus de cinq ans.

Troisième avancée, troisième motif de satisfaction : les crédits d’investissement destinés à l’immobilier sont en augmentation, s’élevant à 79,3 millions d’euros en autorisations d’engagement. Sur cette enveloppe, 70 millions d’euros serviront à financer la première année d’un plan de réhabilitation – attendu ! – du parc domanial et 9,3 millions d’euros seront consacrés à des opérations urgentes – très urgentes ! – de maintenance et au lancement d’études pour la réhabilitation de la caserne de Melun, dont l’état de délabrement est bien connu.

Ces crédits sont pourtant insuffisants au regard des besoins importants du parc domanial, dont la vétusté pèse sur le moral de nos gendarmes et de leurs familles. Selon la Cour des comptes, il faudrait au moins 160 millions d’euros par an pour remettre à niveau ce parc de logements.

J’ai relevé que 6 millions d’euros étaient prévus pour le versement de subventions aux collectivités territoriales qui investissent en faveur des casernes.

Il est en revanche regrettable qu’aucun crédit ne soit, cette année encore, consacré au renouvellement des hélicoptères et des véhicules blindés. Or l’âge moyen des hélicoptères Écureuil est de trente ans et celui des blindés de quarante ans. Cela laisse d’autant plus songeur que rien n’est prévu non plus dans le budget triennal, une telle dépense étant hors de portée.

Au final, ce budget pour 2015, bien que calculé au plus juste, répond aux besoins de la gendarmerie.

Notre principale préoccupation porte sur la régulation budgétaire, qui obère, dès le début de l’année, les faibles marges de manœuvre de ce budget et gèle pendant des mois les projets d’acquisition ou d’investissement. Il est absolument nécessaire que la levée de la réserve intervienne le plus tôt possible dans l’année. Monsieur le ministre, nous attendons de votre part des assurances sur ce sujet.

Pour conclure, je voudrais exprimer mon soutien à la gendarmerie nationale et saluer l’action remarquable qu’elle mène au quotidien, avec un dévouement tout républicain, pour la sécurité des Français sur une grande partie de notre territoire.

À titre personnel, je m’abstiendrai, estimant que c’est à la lumière de l’augmentation de la violence de notre société que les moyens de nos gendarmes doivent être examinés, puis déterminés. Ce que j’entends au sein de la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe me conforte dans le jugement selon lequel nous devons aller beaucoup plus loin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, rapporteur pour avis.

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour la gendarmerie nationale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité récente a par deux fois braqué ses projecteurs sur la gendarmerie et ses gendarmes : une première fois à Sivens ; une deuxième lors de survols simultanés par des drones de plusieurs de nos centrales nucléaires, dont la surveillance et la sécurité dépendent en partie, mais en partie seulement, des PSPG, les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie.

Ces deux événements, dont l’un a eu, hélas ! une issue tragique, illustrent les difficultés que rencontrent la gendarmerie départementale et la gendarmerie mobile pour remplir les missions de sécurité et d’ordre publics qui sont les leurs. À ce sujet, la question se pose dans un certain nombre de départements du terrain d’action des PSIG, les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, jugé trop vaste, et donc inopérant à sa périphérie.

Pour rester dans le domaine de l’ordre public et de la sécurité, force est de constater que nous connaissons un contexte de progression de la délinquance sur l’ensemble du territoire et de développement d’une nouvelle criminalité : itinérante, transnationale, organisée, en réseau, sans oublier la cybercriminalité.

Nous connaissons votre ambition, monsieur le ministre, d’équiper tous les gendarmes de tablettes afin qu’ils puissent communiquer plus rapidement que les voyous. Cet équipement permettra aussi de géolocaliser les gendarmes. Mais il faut également des véhicules puissants. Qu’en est-il, à cet égard, des avoirs criminels saisis, parmi lesquels on trouve de puissantes voitures, ainsi que de l’accélération et de la simplification de la procédure de transfert de ces véhicules à la gendarmerie ou à la police ?

Le travail accompli conjointement par les gendarmes mobiles et les gendarmes départementaux en prévention de proximité a permis de faire baisser depuis quelques mois, et parfois de façon assez notable, certaines formes de délinquance. Comment comptez-vous amplifier ces résultats ?

Nous pouvons d’ores et déjà vous féliciter d’avoir inversé la tendance baissière des effectifs de la gendarmerie.

Les gendarmes sont en attente d’une révision de la répartition des zones de compétence de la gendarmerie et de la police. Est-ce aussi le cas pour les policiers ?

La création des SGAMI, les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur, en mai 2014, élément favorisant les fonctions de soutien partagé entre police et gendarmerie, est-elle un outil de mutualisation efficace pour ces deux corps et quel en est le rythme de développement ? Le directeur général de la gendarmerie nationale souhaiterait, par ailleurs, procéder à des regroupements de brigades et, donc, aussi à des fermetures de brigades trop petites. Permettez-moi, monsieur le ministre, sachant le choc que peut causer la fermeture d’une brigade lorsque cela semble nécessaire, de suggérer que cela soit fait en concertation approfondie avec les élus locaux. La proximité est aujourd’hui affirmée et revendiquée fortement par les élus locaux, parce qu’elle permet confiance et réactivité.

Une autre forme de proximité, le numérique, la généralisation des smartphones, peut constituer un nouveau lien entre gendarmes et population en ce qu’il implique cette dernière. Quelles suites pensez-vous donner à ces pratiques et à ces nouvelles technologies ?

L’accent mis sur la proximité a sans aucun doute contribué aux bons résultats obtenus en 2014 dans l’application du plan national de lutte contre les cambriolages et les vols à main armée, notamment au niveau des exploitations agricoles. Rappelons que le ministre de l’intérieur avait lancé ce plan en septembre 2013, après le constat d’une forte augmentation du nombre des cambriolages commis. L’action multiforme mise en œuvre par la gendarmerie dans ce cadre – les groupes d’enquête et de lutte anti-cambriolages, les GELAC, les brigades d’observation et de surveillance, les BOS, au niveau local, la présence dissuasive sur le terrain, la surveillance des flux sur les axes de circulation, les systèmes d’alerte, le travail au sein de l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante, l’OCLDI, conjointement avec la police, sur le démantèlement de gros réseaux... – lui a permis d’inverser la tendance en 2014, avec une baisse de plus de 8 % du nombre de cambriolages sur les six premiers mois de l’année.

En ce qui concerne les autres missions de la gendarmerie, celles en rapport avec l’activité pénale sont très prenantes. Nous notons, notamment, qu’un accord a finalement été trouvé en ce qui concerne les transfèrements, lesquels devraient entièrement revenir à l’administration pénitentiaire à l’horizon de 2019.

Concernant la sécurité routière, la gendarmerie poursuit l’objectif de réduire le nombre de tués sur les routes en deçà de 2 000 par an. La lutte contre ce fléau incombe à la fois aux brigades et à des unités spécialisées, les escadrons départementaux de sécurité routière, les EDSR, et ce sur près de 85 % du réseau routier français.

Pour conclure, je voudrais préciser que, si mon collègue Gournac a annoncé qu’il s’abstiendra à titre personnel, pour ma part, je suis favorable, à l’instar de la commission des affaires étrangères, au budget de la gendarmerie pour 2015,…

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est la diversité de la commission des affaires étrangères, mais aussi son unité ! (Sourires.)

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. … lequel, même s’il reste en effet contraint, prend en compte les besoins de ce corps.

M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la sécurité. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais avant toute chose rendre hommage aux forces de l’ordre, en particulier aux agents qui ont fait le sacrifice de leur vie dans l’exercice des missions qui leur étaient confiées.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, les crédits examinés au titre de la mission « Sécurités », hors sécurité civile – le budget de ce dernier programme étant rapporté pour avis par ma collègue Catherine Troendlé –, s’élèvent à 17,8 milliards d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement sur un total de 18,2 milliards d’euros pour la mission, soit une stabilisation des crédits en euros courants par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour l’année 2014.

En tant que rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits de la mission « Sécurités », hors sécurité civile, je souhaiterais insister sur la question particulière des crédits de fonctionnement, notamment ceux dédiés à l’entretien et à la maintenance du parc immobilier et au renouvellement du parc automobile.

Si l’on peut saluer les efforts en matière immobilière, en particulier le plan triennal de 210 millions d’euros pour réhabiliter le parc immobilier de la gendarmerie nationale ou les crédits accordés pour le renouvellement du parc automobile des deux forces de la police et de la gendarmerie nationales pour l’année 2015, je souhaiterais souligner que les débats au sein de la commission des lois ont moins porté sur le montant des crédits accordés que sur les conditions d’exécution du budget. En effet, le gel précoce des crédits, et leur dégel parfois très tardif, est une pratique choquante : la représentation nationale ignore les montants qui seront gelés au moment du vote du projet de loi de finances.

Au-delà de l’effet direct sur l’activité opérationnelle des forces de l’ordre, car le gel des crédits de fonctionnement se répercute, par exemple, sur les dépenses de carburants, une telle pratique déresponsabilise les gestionnaires et désorganise les programmes d’achat. Ainsi, au 1er juillet de cette année, dans la gendarmerie nationale, 37 véhicules seulement avaient été commandés ; les 1 400 autres véhicules nécessaires pour renouveler le parc automobile n’ont été commandés qu’en octobre, à la faveur du dégel des crédits.

Enfin, cette situation a un effet direct sur le moral des agents des forces de l’ordre, que j’ai senti très affectés lors des auditions.

Face à ces contraintes sur les moyens de fonctionnement, il est nécessaire de réfléchir à d’autres sources de financement. En matière immobilière, le dispositif de l’article L. 1311-4-1 du code général des collectivités territoriales, qui permet à ces collectivités de conclure des conventions pour construire, acquérir ou rénover un immeuble en vue de le mettre à disposition de l’État, en échange d’une subvention et d’une compensation des dépenses éligibles au Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, prolongé par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, jusqu’en 2013, a été à nouveau prolongé par l’article 59 septies du présent projet de loi de finances jusqu’en 2017, ce dont je me félicite. En effet, ce mécanisme permet de financer la construction de brigades de gendarmerie ou de commissariats de police.

Pour ce qui concerne les moyens de fonctionnement en général, j’observe que, lors de votre audition par la commission des lois la semaine passée, vous avez évoqué, monsieur le ministre, l’idée d’attribuer aux services une fraction du produit des avoirs criminels saisis. C’est une excellente idée.

Je souhaiterais appeler votre attention sur les deux points précis suivants, dans le prolongement des débats qui ont eu lieu en commission.

Tout d’abord, quelles sont les mesures envisagées pour améliorer la situation actuellement constatée en matière de dépenses de fonctionnement des forces ? En particulier, nous souhaiterions savoir en quoi l’instauration des SGAMI permettra de mieux lisser dans le temps les programmes d’achat.

Ensuite, vous avez évoqué la possibilité d’attribuer au budget de fonctionnement des forces de l’ordre une fraction des avoirs criminels saisis. Pouvez-vous nous préciser l’état d’avancement des réflexions sur ce point ?

Sous réserve des observations liées aux effets particulièrement négatifs de l’utilisation de mesures de régulation budgétaire lors de l’exécution du budget, la commission des lois a émis un avis favorable sur les crédits de la mission « Sécurités », hors sécurité civile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la sécurité civile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais rendre hommage à tous les personnels de la sécurité civile, aux sapeurs-pompiers volontaires et professionnels, à tous les secouristes, qui, au péril de leur vie, s’engagent au quotidien au service des autres.

Je voudrais également saluer l’engagement des jeunes sapeurs-pompiers, qui contribueront, je le souhaite ardemment, à pérenniser notre modèle de sécurité civile en grande partie fondé sur le volontariat citoyen.

Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur les éléments strictement budgétaires qui ont été très précisément exposés par l’excellent rapporteur spécial, notre collègue Jean-Pierre Vogel.

Ce budget s’inscrit dans le droit fil des précédents, à commencer par le Fonds d’aide à l’investissement, pour lequel aucune autorisation d’engagement nouvelle n’est inscrite. Comme pour le présent exercice, la dotation correspondante de 3,8 millions d’euros en crédits de paiement est destinée au financement des investissements qui avaient bénéficié d’une subvention du FAI au cours des années précédentes, mais n’avaient pas encore été achevés.

La disparition programmée de ce fonds rend d’autant plus urgente l’adaptation de l’environnement normatif des secours aux moyens justement nécessaires requis par chaque mission afin de ne pas mobiliser inutilement des hommes et des matériels qui, tous, ont un coût pour la collectivité. Il importe aujourd’hui de mieux rationaliser l’organisation des secours en France, alors que les sapeurs-pompiers sont quotidiennement appelés à pallier l’indisponibilité des urgences médicales.

J’évoquerai deux autres grands chantiers portés par la sécurité civile.

Le premier grand chantier concerne le calendrier de mise en service du nouveau système d’alerte et d’information des populations, qui connaît des retards.

La loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure prévoyait l’achèvement du déploiement des sirènes de l’État pour la fin de 2015. Sur la base des crédits inscrits pour le triennat 2015-2017, il est aujourd’hui fixé à 2019. En outre, le solde des 32 millions d’euros destinés au volet téléphonie mobile n’est pas programmé à ce jour. Il s’agit pourtant d’un dispositif essentiel pour l’efficacité des secours. Sa réalisation doit donc s’inscrire parmi les priorités du programme.

Le second grand chantier a trait au réseau de radiocommunications numériques ANTARES.

Ce service est aujourd’hui disponible dans toute la métropole, puisque 95 % du territoire national est couvert et qu’aucun département n’est totalement exclu de la couverture. En revanche, dans certaines zones, en raison de leurs caractéristiques géographiques, la couverture est insatisfaisante, voire inexistante.

Je sais que votre ministère s’attache prioritairement à achever le développement du service et à améliorer son fonctionnement à la suite d’interruptions constatées lors de la survenance d’incidents climatiques. Une enveloppe budgétaire est destinée à des travaux d’optimisation du réseau.

La réflexion en cours sur les solutions permettant d’équiper la flotte d’aéronefs de la sécurité civile d’un système de radio compatible avec le réseau devrait parvenir – je l’espère ! – à identifier une solution d’ici à l’été prochain. Le règlement de cette difficulté est impératif pour permettre une pleine efficacité du réseau ANTARES, dont je rappelle que le déploiement a mobilisé des crédits très importants.

C'est sur ma proposition que la commission des lois a émis un avis favorable sur le budget de la sécurité civile. Cependant, monsieur le ministre, il reste deux questions que je souhaiterais vous poser.

La première porte sur le secours à personne. Le secours à victime et l’aide à personne constituent aujourd’hui près des quatre cinquièmes de l’activité des sapeurs-pompiers. Ces interventions sont en constante progression.

Sur la base de l’évaluation réalisée par l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale des affaires sociales, le comité de suivi et d’évaluation du référentiel commun SAMU-SDIS a engagé une réflexion qui s’appuie notamment sur la clarification des missions et la coopération des acteurs, la complémentarité des moyens humains et matériels, tant terrestres qu’héliportés. Les travaux menés entre sapeurs-pompiers et SAMU devraient déboucher au début de l’année 2015.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les mesures engagées par l’État pour remédier aux dysfonctionnements qui perdurent depuis de longues années ? Ces dysfonctionnements affaiblissent la pertinence et la réactivité des secours et sont coûteux en moyens humains et financiers.

J’achèverai mon propos en évoquant les sapeurs-pompiers volontaires. L’engagement recule régulièrement, même si cette désaffection s’est ralentie en 2013. Quels sont les moyens mis en œuvre pour conforter le volontariat et consolider le modèle français de sécurité civile dont il est une composante essentielle ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Le Gouvernement, quant à lui, dispose au total de vingt-cinq minutes pour intervenir.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer le travail des forces de police et de gendarmerie dans notre pays, qui assurent leurs missions dans des conditions souvent difficiles. J’ai une pensée particulière pour celles et ceux qui nous ont quittés : trente-six policiers et dix-sept gendarmes se sont suicidés au cours de l’année 2014.

Tout comme l’an dernier, nous ne pouvons que saluer la pérennité des moyens alloués à la mission « Sécurités ». Ainsi, les crédits de la police et de la gendarmerie nationales enregistrent, comme cela a été dit, une progression de 0,5 %. Vous annoncez même, monsieur le ministre, la création de 405 postes. Il y a donc, comme l’an dernier, une rupture avec la tendance qui prévalait depuis le début de l’application de la révision générale des politiques publiques, en 2008. Toutefois, les efforts consentis ne permettront toujours pas de garantir l’existence d’une véritable police ou gendarmerie de proximité.

Il faut donc aller plus loin et plus vite, car, d’une part, le sentiment d’insécurité – réel ou provoqué, c’est-à-dire le ressenti de nos concitoyens – continue malheureusement à être chaque jour un peu plus exacerbé et, d’autre part, le risque est grand de voir, sans réelle implication financière de l’État, ses missions décentralisées – ce que nous ne souhaitons pas – ou, pis, de les voir confisquées par une sécurité privée en expansion continue.

La même remarque vaut pour les investissements. Si nous notons avec satisfaction la progression des budgets d’investissement de la police nationale et de la gendarmerie et saluons les efforts supplémentaires destinés aux systèmes d’information et de communication, force est de constater que les budgets consacrés à l’équipement des fonctionnaires ou aux moyens mobiles demeurent stables, quand ils ne sont pas revus à la baisse. C’est une situation dommageable au regard du vieillissement préoccupant et de l’obsolescence des matériels.

Le budget qui nous est présenté est en trompe-l’œil – pardonnez-moi cette expression, je n’en trouve pas d’autres pour l’instant – et ne répond pas au besoin du service public qu’est la mission de prévention et de maintien de l’ordre public sur l’ensemble du territoire. En effet, les crédits de fonctionnement des deux forces, police nationale et gendarmerie, demeurent contraints, alors même que les attentes de nos concitoyens en matière de sécurité restent extrêmement élevées.

La mission « Sécurités » n’est pas épargnée par l’austérité que vous avez choisie, avec pas moins de 120 millions d’euros sur le budget triennal 2015-2017 de manque à gagner. L’économie atteindra 42 millions d’euros en 2016 et 45 millions d’euros en 2017.

Tout comme l’an dernier, nous déplorons que les fonds nécessaires à la réhabilitation du parc immobilier de la gendarmerie ne soient pas à la hauteur des enjeux et des besoins, puisque seulement 70 millions d’euros sont prévus, alors que ce sont près de 300 millions d’euros par an dont nous aurions besoin, tant pour les réhabilitations lourdes que pour la construction de nouvelles casernes.

Les crédits du programme « Sécurité civile » sont en légère augmentation par rapport à l’an dernier. Toutefois, cela ne parvient pas à endiguer la fragilisation progressive de la situation de la sécurité civile française. Cette fragilisation porte sur les moyens humains et, plus particulièrement, sur les sapeurs-pompiers volontaires, dont les effectifs diminuent de façon inquiétante. Comme nous avons eu l’occasion de le rappeler lors de l’examen de la proposition de loi de M. Courteau, en dix ans, pas moins de 14 000 volontaires sont partis sans pouvoir être remplacés. En cinq ans, pas moins de 600 casernes ont dû fermer sur tout le territoire.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Or les sapeurs-pompiers volontaires représentent 80 % du contingent des pompiers français.

De plus, comment adapter la réponse opérationnelle à l’évolution des missions, notamment à l’augmentation des secours à personne et aux contraintes de disponibilité des sapeurs-pompiers volontaires, alors que de lourdes contraintes financières pèsent sur les budgets des collectivités territoriales, limitant ainsi le recours au recrutement de sapeurs-pompiers professionnels supplémentaires, et qu'il existe de fortes tensions juridiques par rapport au régime de travail des sapeurs-pompiers professionnels ?

Si on l'aborde de manière transversale, ce budget est donc bien faible en comparaison de l'ensemble des missions qui lui incombent. La sécurité civile illustre parfaitement le désengagement de l'État, qui transfère des compétences aux collectivités – pourtant déjà en phase d'asphyxie avancée – sans leur donner, évidemment, les moyens financiers de les assurer, voire de les assumer.

Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur les crédits de cette mission. Il s'agit en quelque sorte d’une abstention « de vigilance », en songeant à l’avenir.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité est légitimement au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Il s’agit d’une prérogative régalienne, et le groupe du RDSE est attaché à ce qu’elle le reste. La question centrale est donc bien celle des moyens dédiés à cette mission et des priorités qu’elle se fixe.

Les deux derniers budgets, ceux de 2013 et de 2014, se sont caractérisés par une rupture avec la politique dite de « révision générale des politiques publiques », ou RGPP, menée de 2009 à 2012. Au cours de cette période, les programmes de la mission « Sécurités » ont perdu au total 9 269 emplois équivalent temps plein. Principalement fondée sur un objectif de suppression d’effectifs, la RGPP appliquée à la sécurité a montré ses limites, avec les effets qu’on lui connaît désormais : dégradation qualitative des emplois, précarisation et recul de l’État dans l’exercice de l’une de ses fonctions régaliennes par excellence.

Si la mission « Sécurités » participe à l’effort de maîtrise des dépenses publiques avec une économie de 120 millions d’euros sur le budget triennal 2015-2017, le budget pour 2015, dans le prolongement des deux précédents budgets, emprunte une direction salutaire pour la sécurité nationale. Nous ne pouvons que l’approuver.

Le projet de loi prévoit une hausse de 0,5 % des crédits de la police et de la gendarmerie nationales. Dans le contexte budgétaire actuel particulièrement contraint, le groupe du RDSE salue cet effort, qui traduit la mise en œuvre d’une priorité du Gouvernement. Plus précisément, dans une logique de rupture avec la RGPP, qui avait conduit à la suppression, entre 2007 et 2012, de 13 726 postes dans les deux forces de sécurité intérieure, il est proposé de créer 243 emplois dans le programme « Police nationale » et 162 emplois dans le programme « Gendarmerie nationale ». Cet effort – encore trop faible – doit être poursuivi.

La privatisation de la sécurité nationale, qui découle inévitablement de la suppression des moyens, ne pourrait advenir qu’au détriment du droit fondamental de tous à la sûreté.

Par ailleurs, le mouvement de mutualisation entrepris ces dernières années en matière logistique doit trouver un terrain d’application avec la mutualisation de la formation et de l’information. Là résident les vraies sources d’économies, car la réduction des effectifs conduirait à une dégradation continue du service public. Ainsi, si les groupes d’intervention régionale, les GIR, sont un bon exemple de la coopération opérationnelle entre la police et la gendarmerie, la mutualisation, elle, est par ailleurs très limitée. Des expérimentations locales doivent être menées en la matière afin de mesurer l’efficacité de tels regroupements.

Suivant la même ligne, le groupe du RDSE soutient l’effort de maintien des crédits du programme « Sécurité civile ». Le terme générique de « sécurité civile » recouvre une réalité protéiforme, qui conditionne la tranquillité de nos concitoyens. Elle va des sapeurs-pompiers aux militaires des unités d’instruction et d’intervention, en passant par les pilotes d’avions et d’hélicoptères ou les démineurs et porte sur des missions relatives à des inondations, des incendies, des crues, des cyclones tropicaux, des malaises… Bien vaste programme !

Nous savons tous qu’il n’est pas possible de rogner sur ce genre de dépenses, mais qu’il est difficile a contrario de les augmenter dans le contexte budgétaire serré qui est le nôtre.

La politique de sécurité civile est traditionnellement partagée entre sa définition, apanage de l’État central, et sa mise en œuvre, laissée à la discrétion des collectivités locales. Les dépenses d’ensemble de l’État pour la sécurité civile s’élèvent à 1 milliard d’euros. De leur côté, les collectivités locales y consacrent annuellement 5 milliards d’euros. Par exemple, dix ans après la départementalisation, le financement des services départementaux d’incendie et de secours repose à 56 % sur les départements. La pérennité de ce tandem touche aujourd’hui à la question de la définition d’un partenariat équilibré et renouvelé entre l’État et les collectivités, notamment en matière de dépenses.

Comme le soulignait la Cour des comptes, l’amélioration de l’efficacité des dépenses requiert une meilleure coordination entre les intervenants. Elle ajoutait : « L’État doit jouer tout son rôle dans la maîtrise des dépenses, au niveau central pour les normes d’équipement et la gestion des personnels, comme au niveau local pour une rationalisation des implantations et une plus grande mutualisation des moyens. » À ce titre, un rapport récent de notre ancien collègue François Trucy soulignait qu’il existait des gisements d’économies dans la mutualisation des moyens départementaux de la sécurité civile. Le rapporteur identifiait quatre priorités.

La première consiste en l’approfondissement de la démarche de mutualisation des achats des SDIS. Leur montant total s’élève aujourd’hui à 1 420 millions d’euros, dont 1 062 millions d’euros seraient susceptibles de faire l’objet de regroupements.

La deuxième priorité concerne le regroupement des centres de traitement de l’alerte, SDIS et SAMU, pour optimiser les effectifs.

La troisième priorité réside dans la rationalisation de l’emploi et le développement des équipements de formation. Le coût d’une « maison à feu », par exemple, s’élève à 2 millions d’euros environ et représente donc une charge qui pourrait être avantageusement répartie sur plusieurs SDIS.

La quatrième priorité est de définir un niveau pertinent de coordination des équipes et des moyens spécialisés des SDIS, qui serait celui de la zone de défense et de sécurité. L’économie résultant d’une telle réforme serait de l’ordre de 8 millions d’euros.

En outre, alors que nous venons de débattre de la proposition de loi déposée par notre collègue Courteau relative aux sapeurs-pompiers volontaires, il faut rappeler que la remise en cause du modèle binaire volontaires-professionnels conduirait au recrutement de plus de 60 000 sapeurs-pompiers professionnels, pour un montant de 2,5 milliards d’euros, qui serait supporté par les collectivités territoriales. Pour cette raison, le modèle doit être pérennisé et le volontariat encouragé par tous les moyens.

Mutualisation des moyens, rationalisation des structures, volontariat : tels sont aujourd’hui les enjeux d’avenir, qui permettront à la fois de ne pas brader notre sécurité civile et de réaliser des économies d’échelle efficientes.

Dans ces conditions, vous l’aurez compris, le groupe du RDSE approuvera les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité est la première des libertés que doit garantir l’État dans le cadre de ses missions régaliennes. Voilà une évidence devant laquelle tout le monde ici tombera d’accord. Mais, s’il s’agit d’une évidence dans la déclaration, tel n’est plus du tout le cas, et depuis longtemps, dans les faits. Pourtant, la sécurité est à la société ce que les fondations sont à une maison. Sans sécurité, la maison France est condamnée à la violence, à l’anarchie et à l’effondrement. Sans sécurité, point d’activités économiques viables, si ce n’est l’économie souterraine, l’économie de la drogue, qui fait des ravages à Marseille, dans un silence assourdissant du premier magistrat de la ville.

M. Stéphane Ravier. Nous nous devons par conséquent de considérer la sécurité comme la priorité, car elle conditionne tout le reste. Aussi l’augmentation des effectifs de police et de gendarmerie actée ici est-elle très loin d’être suffisante. Elle ne fait qu’entamer un timide début de rattrapage de la fonte des effectifs opérée sous la présidence de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, qui avait contribué, durant la même période, à une augmentation de 45 % des agressions sur les personnes physiques.

Depuis lors, l’insécurité a continué de se développer, malgré les statistiques coupées des réalités dont nous abreuve le ministère de l’intérieur. C’est ce que confirme le rapporteur spécial, en soulignant une hausse généralisée de la délinquance en 2013, conforme à la réalité du terrain.

Malgré les 18 milliards d’euros qui seront votés, l’insécurité n’est pas prête de reculer dans notre pays. Fidèle à son idéologie, qui veut qu’il n’y ait d’insécurité que d’insécurité sociale, rejetant toute responsabilité individuelle, le Gouvernement s’obstine à agir contre le seul sentiment d’insécurité. Cela se traduit par l’absence de réelle réponse judiciaire. Quant aux réponses apportées, elles vont à l’encontre du bon sens, découragent les forces de l’ordre et révoltent les victimes.

Depuis trop longtemps – les récents événements de Sivens l’ont rappelé –, la gauche et la droite sont en échec total face aux violences. Elles restent toutes deux prisonnières de leurs dogmes : laxisme, victimisation des coupables, désengagement de l’État, affaiblissement matériel et moral des forces de l’ordre. En bon Marseillais, j’ai peut-être tendance à exagérer…

M. Stéphane Ravier. Pourtant, lorsqu’il s’est agi de réprimer la Manif pour tous, l’État s’est montré impitoyable, usant de violences inouïes à l’encontre de familles qui manifestaient pacifiquement.

Mme Éliane Assassi. C’est terrible !

M. Stéphane Ravier. Nous aimerions observer autant de fermeté lorsqu’il s’agit de bandes d’extrême gauche qui saccagent les centres-villes pour contester les grands projets d’infrastructure. Nous aimerions autant de volontarisme lorsque des bandes de jeunes attaquent et détroussent en plein Paris des boutiques et des cars de touristes médusés et horrifiés. Encore une fois, les milliards d’euros consentis ici ne porteront leurs fruits que s’ils sont précédés de l’abandon de l’idéologie au profit du bon sens, et ce en apportant un soutien total aux honnêtes gens et aux victimes plutôt qu’aux délinquants, de la considération et des moyens matériels aux forces de l’ordre, qui risquent leur vie et la perdent trop souvent pour protéger nos compatriotes. Des tablettes face à des kalachnikovs, il y a là, assurément, un léger déséquilibre dans le rapport de forces !

Vider les prisons, panacée, semble-t-il, de Mmes Dati et Taubira, ce n’est pas respecter le travail des policiers et des gendarmes, et encore moins les victimes !

J’évoquerai très brièvement le volet de la sécurité routière. Je tiens simplement à souligner qu’il s’agit là du seul domaine où le tout-répressif est appliqué. On nous impose la prévention pour résoudre la délinquance, mais, pour la sécurité routière, la répression tourne à l’acharnement. Peut-être ce gouvernement, comme les précédents, trouve-t-il là une manne fiscale à peine déguisée.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Tout en nuance…

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que présidente de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, je ne pouvais manquer de venir m’exprimer ce soir.

J’irai droit au but, monsieur le ministre : ce serait un bon budget si nous étions en période normale. Dans les circonstances présentes, il faut plus de moyens, plus d’hommes, plus de matériels. Comprenez-moi bien, je ne cherche pas à critiquer votre action, et encore moins celle des forces de police et de gendarmerie, auxquelles tous ceux qui m’ont précédée à cette tribune ont rendu hommage à juste titre, mais j’exprime une inquiétude.

Dimanche dernier, M6 a diffusé un reportage sur les réseaux djihadistes en France. L’équipe de journalistes est parvenue à remonter une filière de vente de drapeaux à la gloire de Daech, dont le cœur était dans le département de l’Ain. En dépit des précautions prises par les journalistes pour masquer le nom des rues, ce sont les habitants du village concerné qui ont prévenu les forces de l’ordre, après avoir eux-mêmes reconnu les lieux à la télévision.

Cette anecdote pourrait s’arrêter là si elle ne venait malencontreusement renforcer ma conviction que nous ne consacrons pas assez de moyens à la lutte contre les réseaux djihadistes. Je connais votre détermination et vous connaissez la nôtre à cet égard. Il n’y a donc aucune d’ambiguïté. Simplement, il existe un décalage grandissant entre nos moyens de lutte contre ces réseaux et leurs récentes mutations. Nous avons aujourd’hui sur notre territoire des filières qui font l’apologie du terrorisme et qui travaillent à son financement. Ces mêmes filières se sont imposées comme la direction des ressources humaines de l’ennemi que nous sommes partis affronter en Irak et en Syrie.

J’ai lu avec beaucoup d’attention les rapports budgétaires. Pas un seul ne comporte le mot « terrorisme ». Pas un seul ne mentionne les enjeux auxquels nous devons faire face. Or ces moyens doivent bien servir à quelque chose. Certes, il s’agit de rapports budgétaires, mais nous ne sommes pas dans un cas de figure tout à fait classique à une époque tout à fait tranquille. Appelons un chat un chat : la délinquance de tous les jours n’est pas la délinquance djihadiste !

Dans le cadre de l’État de droit, auquel nous sommes tous attachés, nous avons voté avec plus ou moins de bonne humeur, le 13 novembre dernier, un texte relatif à la lutte contre le terrorisme, qui prévoit l’interdiction administrative de sortie du territoire, le blocage – qui a été obtenu avec beaucoup de difficultés – des sites internet faisant l’apologie du terrorisme, la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle. Mais toutes ces mesures ne suffiront pas !

Ce matin, j’ai demandé à votre collègue François Rebsamen s’il s’était assuré que ces djihadistes étaient bien répertoriés, notamment par les services de l’ANPE. En effet, des informations que nous pouvons avoir montrent que ces gens fraudent obstinément et avec beaucoup d’entrain nos services sociaux. Même si les sommes ne sont pas très importantes, il n’y a aucune raison que nous financions par les assurances sociales ou les indemnités chômage ceux qui s’apprêtent à commettre des actions terroristes et criminelles en Syrie ou en Irak.

M. Alain Gournac. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Par ailleurs, nous devons améliorer la coordination entre les services de sécurité des aéroports et la police, afin d’assurer le contrôle de mobilité que réclame depuis longtemps la police de l’air et des frontières, et renforcer la surveillance de l’aviation privée, qui est moins contrôlée que les compagnies traditionnelles.

Facilitons l’accès aux listes de passagers aériens par les autorités de police européennes. Je veux parler des fameux Passenger Name Record, ou PNR. Je sais que vous travaillez sur cette question, monsieur le ministre, à laquelle vous êtes extrêmement attaché. Le coordinateur européen de la lutte antiterroriste milite comme vous pour plus de données. Là aussi, il faudra des moyens supplémentaires pour contrôler tous ces gens.

Vous avez mis en place un numéro vert. C’est une excellente initiative, qui fonctionne très bien. Il faut continuer ce type d’action préventive.

Je profite du temps qu’il me reste pour vous dire, puisque vous êtes aussi le ministre en charge des cultes, qu’il faut renforcer les dispositifs de formation des aumôniers et des imams. Nous devons discuter de cette question sans stigmatiser personne. Je glisse ce sujet dans mon intervention, car je ne pourrai malheureusement pas être là vendredi matin. Quoi qu’il en soit, je lirai avec beaucoup d’attention votre réponse dans le compte rendu des débats.

Je sais que nos préoccupations sont aussi les vôtres. Toutes mes remarques n’ont donc d’autre but que de renforcer notre volonté collective de lutter contre un ennemi commun.

Je terminerai mon intervention en évoquant un dossier qui me soucie beaucoup. Je veux parler de la plateforme nationale des interceptions judiciaires.

Voilà déjà quelques mois, j’ai lu des choses qui m’ont beaucoup inquiétée. J’avais d’ailleurs posé une question d’actualité au Gouvernement le 17 juillet dernier à ce sujet. Que des sociétés réalisant les écoutes judiciaires menacent d’interrompre leurs activités, ce n’est ni républicain, ni courtois, ni conforme aux règles de droit et de protocole. Pour ma part, les gens qui me menacent ne m’intimident pas du tout. Ils auraient même tendance à m’agacer prodigieusement.

Qu’en est-il de ces écoutes ? Le système a été confié à la société Thales, qui est éminemment compétente. Reste que nous sommes tout de même passés de 17 millions d’euros à 47 millions d’euros. Mais peut-être faut-il soulever cette question dans le cadre de l’examen des crédits de la mission « Justice » ? Je me suis laissé dire que c’est une problématique que vous avez en partage avec Mme Taubira et que, lorsqu’on s’adresse à l’un, il faut ensuite s’adresser à l’autre... Je sens que ceux qui ont aimé le logiciel Louvois vont adorer la plateforme des écoutes judiciaires.

Monsieur le ministre, les écoutes constituent un moyen extrêmement important pour lutter contre ces réseaux. Nos adversaires, eux, ne s’embarrassent pas des règles de l’État de droit, des décisions du Conseil constitutionnel ou du contrôle de la CNIL. C’est parce qu’il est difficile de combattre avec des moyens légaux des gens sans foi ni loi, c’est parce que la situation budgétaire est très tendue, c’est parce que les enjeux sont fondamentaux que nous avons décidé de voter les crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen des crédits de la mission « Sécurités » nous donne un bref aperçu de la politique que le Gouvernement souhaite mener en matière de sécurité, un aperçu qui reste néanmoins éclairé par les résultats fournis par les statistiques.

Depuis 2002, la gauche semble avoir opéré une véritable inflexion dans son approche des thématiques sécuritaires. Je le dis avec bienveillance, monsieur le ministre : nous croyons tous ici à votre détermination personnelle à lutter contre l’insécurité sous toutes ses formes. Ainsi, l’examen des crédits de cette mission est de nature à conforter notre groupe dans cette appréciation, même si les derniers chiffres de la délinquance, conjugués à la politique pénale du Gouvernement, qui reste sujette à caution, nous conduisent à penser que la route est encore longue.

Tout d’abord, malgré une augmentation du budget et des réorganisations fonctionnelles louables, les forces de l’ordre manquent de moyens opérationnels suffisants.

Lorsqu’on examine les crédits de la mission « Sécurités », un chiffre émerge immédiatement, c’est celui des créations de postes. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2015, il est proposé de créer, comme en 2014, 405 postes dans la police et la gendarmerie. Avec ce choix, vous portez le total des créations d’emplois à 1 290 équivalents temps plein depuis 2013. Bien sûr, et vous auriez tort de faire autrement, l’essentiel de la communication gouvernementale en matière de sécurité s’articule autour de ces deux chiffres.

Cela se traduit par une augmentation par rapport à 2014 des crédits de paiement et des autorisations d’engagement pour atteindre respectivement 17,76 milliards d’euros et 17,74 milliards d’euros. En d’autres termes, la gendarmerie et la police nationales seront épargnées par les coupes budgétaires que subissent d’autres secteurs.

Cet arbitrage aura néanmoins un prix, celui d’une significative réduction des mesures catégorielles. Une comparaison est éloquente à ce sujet : les mesures catégorielles dans la police nationale passeront de 20,88 millions d’euros en 2015 à 13,62 millions d’euros en 2016 et à 0,65 million d’euros en 2017. Ce n’est pas tout : l’impact du schéma d’emplois ne sera que de 0,5 million d’euros en 2016, contre 19,5 millions d’euros pour l’année 2015. C’est à ce prix qu’on arrive à stabiliser une masse salariale malgré une augmentation des effectifs. Et je ne m’attarderai pas sur le stock d’heures supplémentaires, qui pourrait s’élever à plus de 300 millions d’euros !

Une stabilisation de ces dépenses est attendue pour les exercices 2016 et 2017 en ce qui concerne les dépenses afférentes à la police nationale.

Pour la gendarmerie, la situation est identique. La hausse des effectifs doit être compensée par « l’effet de repyramidage et la limitation des nouvelles mesures catégorielles ». Pour illustrer cette situation, signalons que les schémas d’emplois pour 2014 et 2015 n’entraînent qu’une hausse de 1,5 million d’euros de la masse salariale.

L’autre difficulté que pose ce « dogme des effectifs », si je peux m’exprimer ainsi, c’est la question des redéploiements qui visent à mettre davantage de personnels de police sur la voie publique.

Pour revenir un instant sur l’action du précédent gouvernement, de la précédente majorité, il est utile de rappeler que la nouvelle organisation de la police, notamment en ce qui concerne les patrouilleurs et les forces mobiles, nous avait permis, à effectif constant, d’augmenter le nombre de patrouilles sur la voie publique de près de 25 %.

Dans le cadre de l’examen de ce projet de loi de finances, le rapport souligne que des synergies administratives et directionnelles ont permis le redéploiement de 547 postes de policiers nationaux en deux ans. La méthode est sans doute la bonne, mais l’ampleur des redéploiements est insuffisante pour être véritablement perceptible par nos concitoyens.

Pour la gendarmerie, on observe un mouvement inverse puisque le plafond d’emplois consacré à l’exercice des missions de sécurité et de paix publiques a été diminué de 180 équivalents temps plein travaillé par rapport à l’année dernière.

L’autre dommage collatéral de ce budget, c’est l’effritement progressif des moyens opérationnels pour les forces de l’ordre, et cela, malgré des mutualisations croissantes entre police nationale et gendarmerie, même si nous saluons ce mouvement de mutualisation.

À ce titre, je dirai un mot de la création du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure. Le SAELSI s’est vu confier la synergie de la logistique de la gendarmerie et de la police nationales ; malheureusement, les économies faites n’apporteront pas de moyens matériels supplémentaires. Bien que le projet de loi de finances amorce un cycle d’investissement, il n’en demeure pas moins que les plus hauts responsables nous font part de leurs difficultés à répondre à la demande de leurs équipes, en ce qui concerne aussi bien l’entretien des véhicules, l’accès au carburant que le parc immobilier de l’État.

À présent, passons à l’épineuse question des chiffres de la délinquance, qui est extrêmement inquiétante dans ses manifestations. Je veux dire un mot de la méthode de calcul de ces chiffres, car ils révèlent quelques surprises.

Nous apprenions, il y a quelques mois, que vous aviez mis sur pied un nouveau service statistique ministériel visant, de manière impartiale, à intégrer les chiffres des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie « dans le champ labellisé de la statistique publique ». Pourquoi pas ? Mais alors que va devenir l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, l’ONDRP, qui vient de mettre en place un nouveau tableau de bord de la délinquance ? Avec quels instruments statistiques va-t-on mesurer les chiffres et leur évolution ?

Enfin, toujours en matière de statistiques, nous reprenons à notre compte les propos du rapporteur spécial, qui regrettait « que ne soit toujours pas mesuré le sentiment d’insécurité ».

Concernant les violences non crapuleuses, les chiffres sont particulièrement inquiétants. Selon le dernier bilan de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, on observe une hausse très significative des violences non crapuleuses au cours de la dernière année : de l’ordre de 4 % en zone police et de 7 % en zone gendarmerie.

En regardant plus attentivement la tendance de fond pour l’année 2013, les chiffres sont encore plus alarmants : le nombre de cambriolages est en augmentation de 7 %, pour atteindre au total le chiffre de 390 000 en 2013. Pour un certain nombre d’entre nous, maires de banlieue, nous savons ce qu’est l’inquiétude des populations face à l’accroissement du nombre des cambriolages.

On note également une hausse des crimes et délits en matière d’atteintes aux biens, aussi bien en zone police – près de 3 % – qu’en zone gendarmerie – près de 4 %. Plus important sans doute, on remarque une évolution préoccupante du nombre des crimes et délits en matière d’atteintes volontaires à l’intégrité physique des personnes, tant en zone police qu’en zone gendarmerie.

En matière de taux d’élucidation, les résultats doivent encore davantage nous interpeller. Ainsi, en zone police, ils ont nettement baissé pour les vols avec violence ainsi que pour les homicides. En ce qui concerne la gendarmerie, on ne constate pas d’évolution significative.

Pour conclure sur les chiffres de la délinquance, je reprendrai à mon compte les propos d’Alain Bauer. Interrogé en avril 2014 sur le système pénal français, qui ne permet pas de faire baisser la délinquance, il disait : « Le maillon faible aujourd’hui, c’est la justice » – certes, vous n’êtes pas garde des sceaux – « pas tellement parce qu’elle fait mal son travail, mais parce qu’elle est marquée par ce que j’appelle la "théologie de la libération", qui considère que toute politique pénale forte est injuste et discriminatoire. » En d’autres termes, alors que leur travail est de plus en plus difficile, comment les forces de l’ordre peuvent-elles encore être certaines que leurs efforts aboutiront à la neutralisation des malfaiteurs ?

À ce sujet, je voudrais dire un mot du mal-être des policiers. Malheureusement, l’actualité récente me touche personnellement puisque, dimanche dernier, nous apprenions qu’une policière de trente-trois ans s’était suicidée avec son arme de service. Elle était affectée au commissariat de Charenton-Saint-Maurice, qui pourtant n’est pas soumis à une très forte pression. Cet événement est d’une exceptionnelle gravité. De même, jeudi dernier, une capitaine de police s’est suicidée au commissariat de Bastia.

Ces deux policiers sont respectivement les quarante-huitième et quarante-neuvième à se donner la mort depuis le début de l’année. Ces chiffres doivent nous interpeller. Nous en sommes donc à nous demander si le record de suicides dans la police, qui date de 1996 et qui s’élevait à soixante-dix, ne va pas être battu.

Conséquence de cette triste actualité, le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, a réuni les syndicats de police sur ce sujet, le mercredi 5 novembre. Il a été évoqué la création d’un comité d’hygiène et de sécurité, qui se réunira après les élections professionnelles du 4 décembre prochain, et enfin une réunion que vous allez présider, ministre de l’intérieur, dès le début de l’année 2015. Pouvez-vous nous préciser ce qu’il en est, car les personnels de police sont manifestement très inquiets ?

Enfin, je veux dire un mot du revirement de dernière minute du Gouvernement en ce qui concerne le permis de conduire à puce électronique.

Nous apprenions, le 6 novembre, que le ministère de l’intérieur souhaitait retirer la puce électronique des nouveaux permis de conduire. Une directive européenne impose le format de carte de crédit à tous les États membres pour leurs permis de conduire. Au départ, la date de janvier 2013 avait été évoquée pour sa mise en place, avant d’être reculée à l’automne de la même année. Un an plus tard, trois millions de permis de conduire à puce électronique ont été distribués. Or, à partir de janvier 2015, les nouveaux permis de conduire, désormais délivrés au format « carte de crédit », ne disposeront plus d’une puce électronique.

Le Gouvernement justifie cette décision en invoquant le coût de ce type de permis de conduire, qui s’élèverait à 6 millions d’euros par an. Au total, il semble que le Gouvernement puisse espérer une économie de 90 millions d’euros étalés sur toute la durée de remplacement des anciens permis de conduire.

Permettez-moi, avec un certain nombre de nos collègues, de vous faire part de mon étonnement face à cette mesure, qui, à court terme, va pénaliser les entreprises françaises responsables de la fabrication des composants de ces puces électroniques, et qui, sur le long terme, est un bien mauvais calcul. En effet, le permis de conduire doté d’une puce électronique devait se transformer à terme en carte intelligente multi-usage, offrant des services divers et facilitant le travail des forces de police, qu’il s’agisse des différents types de permis, de l’assurance, des taxes ou du certificat du véhicule, qui auraient pu ainsi être contrôlés de manière globale.

En conclusion, comme j’ai eu l’occasion de le dire précédemment, mon groupe politique et moi-même ne porterons pas le fer sur les grands arbitrages de cette mission « Sécurités », notamment en ce qui concerne les effectifs. Pour autant, le choix d’augmenter légèrement les effectifs à enveloppe constante n’est pas sans conséquence ; c’est ce que nous avons vu avec les mesures catégorielles. Aussi, tâchons de rester vigilants afin que la hausse du nombre de patrouilles sur la voie publique, élément essentiel de notre politique de sécurité, ne se fasse pas au détriment de la carrière de nos forces de l’ordre. Sans doute les redéploiements d’effectifs doivent-ils être davantage utilisés.

Malgré ces arbitrages acceptables, le groupe UMP estime que les mesures opérationnelles ne sont pas de nature à apporter une réponse adaptée aux chiffres inquiétants de la délinquance qui viennent d’être dévoilés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2012, la sécurité et la justice font partie, tout comme l’éducation et l’emploi, des priorités du Gouvernement.

La maîtrise des dépenses, à laquelle le contexte budgétaire nous contraint, ne s’est pas accompagnée d’un désengagement de l’État de ses missions régaliennes, qui ont été au contraire préservées et qui ont vu, cette année encore, leurs budgets augmenter.

Les crédits de la mission « Sécurités », qui comprend non seulement la police et la gendarmerie, mais également la sécurité civile et la sécurité routière, sont globalement en hausse. La police voit son budget augmenter de 0,5 %, avec 9,69 milliards d’euros, et la gendarmerie de 0,4 %, avec 8 milliards d’euros.

Cette hausse des moyens a permis de mener à bien des réformes d’envergure, telles que la création, dès juillet 2012, de zones de sécurité prioritaires – il en existe aujourd’hui quatre-vingts – et le déploiement du plan anti-cambriolages et anti-vols à main armée en septembre 2013, dont l’efficacité est probante. En effet, les chiffres du service statistique ministériel de la sécurité intérieure présentés le 20 novembre dernier par le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, ont démontré une baisse significative des crimes et délits sur les dix premiers mois comparés à ceux de 2013. Cette transparence vous honore. Néanmoins, je souhaiterais que nous restions dans la logique que vous avez initiée, en faisant preuve de prudence par rapport à ces chiffres et en ne tombant pas dans les travers du précédent quinquennat.

L’efficacité des actions que vous avez menées repose également sur les moyens qui ont été déployés. La révision générale des politiques publiques avait supprimé 13 338 postes de policiers et gendarmes depuis 2007. En 2015, comme en 2014 d’ailleurs, 405 policiers et gendarmes supplémentaires seront recrutés. Nous ne pouvons que saluer ce renforcement des moyens humains après des années de réduction d’effectifs.

Je souligne aussi l’effort exceptionnel, à hauteur de 90 millions d’euros, qui a été effectué pour le renouvellement du parc automobile plus que vieillissant de la police et de la gendarmerie. Il ne permettra pas d’acheter les 6 800 véhicules dont la gendarmerie a cruellement besoin ou les 10 896 qui font défaut à la police, mais il faut