M. Philippe Dallier. Mais la métropole, peut-être…
Mme Éliane Assassi. Par ailleurs, la réforme de François Hollande bafoue l’article L. 4122-1 du code général des collectivités territoriales, prévoyant que les limites territoriales des régions sont modifiées par la loi après consultation des conseils régionaux et des conseils départementaux intéressés.
Le regroupement des régions a été dessiné sur un coin de table et s’apparente, permettez-moi l’expression, mes chers collègues, à du « marchandage de tapis ». C’est un recul démocratique majeur, symbole d’un refus de dialogue avec les élus et les citoyens, symbole aussi d’une forme d’autoritarisme à caractère technocratique !
Quant à la droite, qui, à l’occasion de la première lecture, s’offusquait de la méthode employée, elle fait aujourd’hui alliance avec le parti socialiste pour ôter tout pouvoir d’intervention aux citoyens dans ce processus de modification des territoires de la République.
La droite sénatoriale n’a-t-elle pas voté, en première lecture, la motion référendaire demandant l’organisation d’un référendum sur ce texte de loi ? Simple position d’affichage ou manifestation d’une forme de « schizophrénie » ?
L’UMP et le PS sont en parfaite adéquation sur le fond de ce texte et les objectifs fixés, comme M. Kaltenbach l’a partiellement expliqué encore à l’instant. Cette entente montre qu’il est plus fait appel à des réflexes identitaires ou protectionnistes qu’à l’intérêt général - contrairement à la musique que j’entends trop souvent, ce n’est pas du tout dans nos pratiques. À ce niveau, on peut constater l’influence des « baronnies » régionales ! C’est particulièrement vrai pour l’Alsace, dont les élus exercent une certaine pression au nom d’enjeux n’ayant rien à voir avec l’intérêt général !
Mme Catherine Troendlé. Bien sûr que si !
Mme Éliane Assassi. C’est ici que commence la mise en concurrence des territoires !
M. Guy-Dominique Kennel. C’est vous qui le dites !
Mme Éliane Assassi. Cette approche conduit à privilégier une réflexion sur les périmètres des territoires, exacerbant les égoïsmes locaux, plutôt que sur le fond des choses : les raisons et objectifs conduisant à revoir le redécoupage des régions.
Étant donné l’importance des enjeux liés au renforcement des futures régions – enjeux tout à fait avérés -, nous attendions que soient appréhendées et mesurées les conséquences d’une telle refonte de la délimitation des territoires régionaux sur les plans économique, social, culturel, financier et, bien entendu, institutionnel et juridique, sans oublier le développement durable.
Cette exigence avait d'ailleurs été pointée du doigt au regard de l’extrême indigence des éléments contenus dans l’étude d’impact.
Il n’en a rien été ! Nous avons pourtant appris depuis longtemps que, si ce travail préalable n’est pas fait, l’échec est assuré.
Avant d’organiser une nouvelle carte des régions, la logique aurait voulu que nous examinions en priorité les fonctions et les compétences de ces nouvelles collectivités régionales pour déterminer l’espace qu’elles devraient occuper.
Mme Catherine Troendlé. Oui !
M. Jean-Marie Bockel. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. Avant de réfléchir aux périmètres de ces nouvelles institutions locales, il aurait fallu également s’interroger sur les moyens financiers et humains dont elles pourront disposer pour exercer leurs nouvelles compétences.
M. Philippe Dallier. C’est tout à fait vrai !
M. Henri Tandonnet. Là, vous avez raison !
Mme Éliane Assassi. Encore aurait-il fallu associer l’ensemble des forces sociales intéressées et organiser, j’y reviens, un véritable débat national tranché par une consultation populaire.
N’essayez pas de « cacher » aux citoyens que des régions de grande taille, disposant de compétences très élargies et d’un pouvoir réglementaire, portent le germe d’une organisation fédéraliste se substituant à notre République une et indivisible.
Avouez-le, derrière ce redécoupage des régions, sous couvert de renforcer l’attractivité de leur territoire, se cache un projet politique bien plus vaste, celui d’une réorganisation complète de notre République qui vise à faire disparaître bon nombre de collectivités locales.
Ce sera destructeur pour notre pacte social, destructeur pour notre pacte républicain.
Centralisatrice et inefficace, cette réforme va se traduire, en outre, par un véritable gaspillage des deniers publics. En effet, contrairement à la fable mille fois répétée par les partisans de ces « hyperrégions », les économies annoncées ne seront pas au rendez-vous. La réorganisation des services, les transferts de compétences envisagés, l’harmonisation des régimes indemnitaires des personnels, la refonte de toute la communication institutionnelle et de la signalétique régionale, seront autant de surcoûts qui sont totalement passés sous silence aujourd’hui.
Pour notre part, nous restons attachés à l’organisation de notre République, à ses trois niveaux de collectivités, même si nous pensons que d’importantes modifications devraient être mises en œuvre pour en démocratiser toujours plus le fonctionnement, pour améliorer les services publics locaux, développer tous les partenariats possibles, pour monter des projets communs entre collectivités territoriales, dans le respect de toutes les parties prenantes, pour renforcer l’efficacité de l’action publique et toujours mieux répondre aux besoins et aux attentes de la population. Comme vous pouvez le constater, nous ne sommes pas aussi archaïques que certains se plaisent à le dire !
Ce qui nous est présenté aujourd’hui, au nom du « parti du mouvement », ce fameux parti du mouvement, devrais-je dire, n’est qu’un mauvais « replâtrage » de notre monarchie républicaine, une Ve République bis, pire que la précédente par certains aspects.
Ce qui est devant nous, ce n’est pas la voie de la réforme, mais celle d’une contre-réforme centralisatrice, reniant le mouvement initié il y a trente ans par un gouvernement de gauche qui œuvrait alors pour une décentralisation démocratique au service d’un projet émancipateur.
Cette volonté politique, qui n’est plus portée par un certain nombre de nos collègues, nous anime toujours ; c'est la raison pour laquelle nous voterons une nouvelle fois contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi sur les fusions de région constitue pour nous l’un des pires exemples de la dérive de notre régime, au mépris de la démocratie parlementaire et de la démocratie tout simplement. (M. Michel Mercier s’exclame.)
Monsieur le secrétaire d’État, il fallait un exécuteur des mauvaises œuvres. Dois-je rappeler que ce texte ne résulte d’aucun programme, que rien n’avait préparé son annonce soudaine, en avril 2014 ? Il n’est en rien le fruit du rapport sénatorial Raffarin-Krattinger, comme certains ont osé l’affirmer ; les dénégations de nos deux collègues à ce titre sont claires, ce que nous avait d’ailleurs très fermement rappelé Yves Krattinger lors de la commission spéciale de juillet, je le cite : « Je ne trouve pas, dans le projet qui nous est proposé, de vision politique globale, lisible, claire ». Notre excellent ancien collègue socialiste ajoutait : « On ne peut pas dessiner la France des nouvelles régions en quelques heures, sur un coin de table » Et pourtant, vous le faites !
Ce texte, qui vise à bouleverser l’organisation territoriale, n’a été précédé d’aucune concertation – prétendre encore aujourd’hui le contraire est fallacieux –, d’aucune étude d’impact sérieuse ; il correspondait à un message médiatique consécutif à la débâcle des municipales.
La réforme territoriale méritait mieux que ce gâchis, cette absence totale de cohérence de texte en texte, de la loi MAPAM à la fusion des régions et au projet de loi NOTRe, du rétablissement de la clause de compétence générale à sa suppression, de l’annonce de l’élimination des départements puis des conseils généraux à leur maintien, le tout combiné avec l’arrivée du fameux binôme départemental, que nous avions ici été les premiers à condamner et dont aujourd’hui personne ne veut !
Quelle logique pouvait-il y avoir à découper de nouvelles régions avant de travailler sur leurs ressources financières et sur leurs compétences ?
Quelle logique, quand le découpage décidé ne tient nullement compte des bassins de vie,…
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jacques Mézard. … de la géographie, de l’histoire, de la sociologie, de l’économie, mais repose essentiellement sur les diktats des grands hiérarques du parti majoritaire, lesquels préparent de fait le pouvoir exorbitant de leurs successeurs de l’opposition actuelle avec, pour couronner le tout, l’entrée en force de l’extrême droite, inéluctable, en conservant l’ancien mode électoral appliqué à de grandes régions ?
Beau travail, monsieur le secrétaire d’État !
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Ce découpage partisan, nul ne saurait le nier lorsque l’on constate le maintien de la Bretagne, le transfert en cours de débat du Limousin vers l’Aquitaine, à la demande du maire de Tulle, qui s’en est prévalu publiquement, l’accord évident entre le président de l’Aquitaine et celui de Midi-Pyrénées pour se partager les fiefs voisins…
Pauvre région Centre, qui reste toute seule agrandie du titre de « Val-de-Loire »…
M. Jean-Pierre Sueur. Elle s’en trouve très bien ainsi !
M. Jacques Mézard. Évidemment !... Ce qui est la démonstration, monsieur Sueur, qu’il ne s’agissait pas de fabriquer de grandes régions, puisque vous restez une petite région…
M. Jean-Pierre Sueur. Six départements, une région forte !
M. Jacques Mézard. … mais, il est vrai, avec de grands élus !
Mme Jacqueline Gourault. Merci !
M. Jacques Mézard. Comment ne pas revenir sur la procédure utilisée par l’exécutif pour déposer d’urgence ce projet de loi, le combat du mois de juillet du Sénat sur le rejet de la procédure accélérée par la conférence des présidents, à ma demande, la saisine du Conseil constitutionnel sur la squelettique étude d’impact, la motion référendaire, rappelée par Éliane Assassi ?
L’exécutif a reproché au Sénat d’avoir rendu une copie blanche. Si nous avions fait des propositions, nous dit-il, il en aurait été tenu compte. J’ai annoncé dès mes interventions de ce mois d’octobre que le Sénat allait rendre une copie complète, un travail constructif, des propositions raisonnables en acceptant le principe de la fusion des régions, mais j’ai aussi annoncé que le Gouvernement ne tiendrait strictement aucun compte du travail du Sénat.
Et c’est exactement le cas, dans la mesure où vous faites balayer par vos députés pratiquement toutes les propositions émanant du texte sénatorial : sur le nombre des régions, en refusant la proposition de l’Alsace ; sur le Languedoc-Roussillon, en persistant à vouloir le marier de force avec Midi-Pyrénées ; sur le droit d’option des départements, que vous supprimez de fait.
Unique atténuation due à la sagesse du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, seul à être sensible aux propositions du RDSE : la garantie de quatre conseillers régionaux par département – hélas, en écartant un seul département, la Lozère, ce qui constitue une discrimination lamentable. Il s’agit d’ailleurs d’une avancée symbolique, puisque j’ai calculé que mon département compterait cinq élus. Toutefois, il fallait un message. Vous l’avez au moins retenu partiellement. Je tiens d'ailleurs à remercier notre rapporteur, François-Noël Buffet, d’avoir tenu compte de la position que j’avais exprimée et d’avoir beaucoup travaillé à convaincre l’Assemblée nationale et le Gouvernement.
Mais quel mépris à l’égard de la Haute Assemblée ! Le 12 juillet dernier, Mme la ministre Lebranchu répondait à la question d’actualité de notre regretté collègue Christian Bourquin : « Il va de soi que le Premier ministre laissera le débat au Sénat totalement ouvert ». Elle a dû confondre ouverture et cadenas !
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Jacques Mézard. De fait, ce projet de loi est un affront à tout promoteur du débat démocratique.
Alors que, voilà quelques jours, le Président de la République déclarait vouloir qu’il soit recouru au référendum pour les projets locaux à la suite de l’affaire du barrage de Sivens, le Gouvernement a refusé de consulter même les collectivités locales concernées, régions et départements. Exit les demandes de l’Alsace. Exit le vote du conseil régional d’Auvergne. Je souris en écoutant l’actuel président de la région Auvergne, qui a d’ailleurs changé d’avis en quelques heures, s’opposant au départ à ce projet de fusion avant de le trouver aujourd’hui excellent, alors qu’ils n’étaient que 14 sur 47, au sein du conseil régional d’Auvergne, à approuver la fusion et qu’une majorité de députés de toutes sensibilités s’est exprimée contre.
Le comble du mépris de la représentation régionale, c’est le Languedoc-Roussillon, mais j’y reviendrai.
Le Sénat, sur la proposition du rapporteur et de notre groupe, a rejeté la fusion de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon. Sachez, monsieur le rapporteur de la commission spéciale, que vous et moi avons été qualifiés dans les médias par le président Malvy d’avoir été « minables et médiocres ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Oh !
Mme Catherine Troendlé. C’est scandaleux !
M. Jacques Mézard. Voilà où mène l’excès de pouvoir des présidents de conseils régionaux, un pouvoir que le projet va encore conforter !
Mme Jacqueline Gourault. Jamais M. Mézard ne dirait cela !
Mme Catherine Troendlé. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Exactement, madame Gourault, je ne me le permettrais pas !
Le conseil régional du Languedoc-Roussillon a voté contre la fusion par 65 voix contre une, toutes sensibilités confondues. Le président Bourquin, notre collègue, était venu dans cet hémicycle, quelques semaines avant de décéder, lors de la séance de questions d’actualité du 12 juillet dernier, confirmer le regret absolu de cette fusion par son conseil régional. Pour ce qui est de la courtoisie à l’égard d’un homme qui venait exprimer un dernier cri, le Gouvernement ne s’est point illustré.
Oui, le Gouvernement a su profiter de la disparition de Georges Frêche, puis de Christian Bourquin pour perpétrer ce mauvais coup, contraire à toute l’histoire de ces deux régions. Il n’y a pas de place pour deux métropoles régionales dans la même région, monsieur le secrétaire d’État, région qui ira du Gard et de la Lozère jusqu’au nord du Lot. Ce n’est pas de l’aménagement du territoire. Imaginez la réaction de Georges Frêche face à un projet qui détruit son œuvre ! J’avais promis au président Bourquin de mener son combat jusqu’au bout ; je le fais avec fidélité et conviction.
Comment ne pas parler à ce moment des départements ruraux excentrés que ce projet va finir de marginaliser ? Vous créez des îles de l’intérieur, éloignées de Paris et tout autant, voire plus, des nouvelles métropoles régionales ; des départements dont la représentation tellement faible dans les nouveaux conseils régionaux étouffera définitivement l’expression et sans nul doute le développement. Mais je sais que cela intéresse peu le Gouvernement.
Quand j’entends vos représentants déclarer que la grande région Rhône - Alpes-Auvergne est tellement riche qu’elle nous fera nos routes et développera notre économie, je suis triste parce que je sais que c’est une tromperie. Dans un pays qui n’a jamais pu réaliser de liaisons transversales, éloigner encore plus nos territoires de la métropole régionale, c’est irresponsable.
Le Gouvernement sait que ces territoires crient à l’abandon, à l’injustice, d’où les déclarations sur l’égalité des territoires, mission confiée cyniquement, permettez-moi de le dire, au ministère du logement. Mais là, nous sommes dans la communication, pas dans le concret ni dans le lien avec le terrain, ce lien que vous détruisez avec les textes institutionnels que vous imposez sans concertation depuis deux ans : non-cumul – sauf pour les nouveaux grands conseillers régionaux -, absurde binôme départemental, projet de loi NOTRe et, demain, une partie de la loi Macron qui contribuera à vider les territoires ruraux…
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jacques Mézard. … de ce qui leur reste de matière grise, de professions libérales et de cadres, au profit de structures financières logées à Paris et dans les métropoles.
Merci, monsieur le secrétaire d’État !
En revanche, ces textes aboutissent à éradiquer des sensibilités politiques telles que celles que j’ai l’honneur de représenter. Et votre parti a encore enfoncé le clou lors des dernières sénatoriales.
Encore merci !
Cela étant, vous aurez aussi contribué, monsieur le secrétaire d’État, à avancer à grands pas vers l’éradication de votre propre sensibilité. Je ne sais si vous nous suivrez ou nous précéderez dans la tombe…
M. Jean-Pierre Sueur. Dans la tombe ? Tout cela est un peu excessif !
M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, avec humilité, j’ai souvent une pensée affectueuse pour le président Monnerville ; je ne saurais mieux conclure qu’en vous citant quelques mots de son discours du 18 décembre 1968 sur le référendum de 1969 : « […] messieurs du Gouvernement, il vient un jour où les peuples, enfin éclairés, refusent de pardonner à ceux qui les ont abusés ». Gaston Monnerville rappelait ensuite le discours que prononça Clemenceau – cher au Premier ministre, Manuel Valls – en 1910, sur le Sénat : « Les événements m’ont appris qu’il fallait donner au peuple le temps de la réflexion. […] Le temps de la réflexion, c’est le Sénat ».
Je constate que vous avez malheureusement peu à faire de la réflexion du Sénat. En conséquence, c’est à l’unanimité que le groupe du RDSE votera le texte du Sénat et rejettera celui du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos interventions, qu’il s’agisse de celles d’aujourd’hui ou des précédentes lectures, témoignent une fois de plus de l’absence de vision du Gouvernement dans sa démarche, comme vient de le souligner notre collègue Jacques Mézard avec talent.
Le Gouvernement a décidé, depuis le début, de mettre la charrue avant les bœufs, alors que la clarification des compétences, dont l’examen ne débutera que demain avec la discussion générale du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République aurait dû être le point de départ de toute réforme.
Nous le regrettons vivement.
Surtout, je demeure convaincu qu’aucune réforme territoriale ne pourra produire pleinement ses effets sans une réforme en profondeur de l’État. C’est bien là un préalable indispensable ! Or je constate que l’exécutif semble bien peu enclin – au-delà des paroles – à faire bouger les lignes sur ce sujet...
Malgré toutes ces critiques, le Sénat a démontré, lors de ses travaux tant en commission spéciale qu’en séance publique, qu’il entendait s’impliquer de manière constructive dans ce processus de réforme. Nous avons ainsi apporté des modifications substantielles à ce texte, notamment sur le droit d’option, et établi une carte équilibrée et cohérente en rejetant, lors d’un vote sans appel, un amendement visant à réformer la trop grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, ou ALCA.
Malgré cela, le Gouvernement et la majorité socialiste continuent de se montrer complètement fermés, ne laissant aucune place au dialogue et au bon sens. On l’a compris, le Gouvernement veut imposer sa carte à treize régions. Dans ce contexte, la commission mixte paritaire n’avait aucune chance d’aboutir.
Cette attitude jusqu’au-boutiste est d’autant plus incompréhensible que la formation de cette région ALCA – aussi grande que la Belgique ! – repose sur des arguments méconnaissant les réalités historiques, culturelles, sociales et économiques de nos territoires.
On nous rétorque que l’Alsace ne pourrait rester seule, car elle n’atteindrait pas la fameuse « taille critique » – vous l’avez encore dit à l’instant, monsieur le secrétaire d’État. Or, si l’on regarde nos voisins, on constate qu’il n’y a pas d’optimum régional. Par ailleurs, quid de la Corse et de la Bretagne, inchangées ? L’argument ne tient pas... Plutôt qu’à la taille des régions, c’est à leur gouvernance qu’il fallait s’atteler, en leur donnant plus de marges de manœuvre afin qu’elles disposent des moyens nécessaires pour mener des politiques territoriales ambitieuses.
À cet égard, l’Alsace souhaite toujours s’inscrire dans une démarche innovante à travers une union des collectivités alsaciennes, dotée de compétences nouvelles, financées par des transferts de fiscalité. Cette expérimentation unique, qui répondrait aux objectifs de simplification et de proximité, pourrait servir d’exemple... Les trois assemblées départementales et régionale se sont largement prononcées en faveur de cette option. Dès lors, pourquoi bâillonner cette initiative ?
On nous rétorque ensuite que l’hostilité des Alsaciens à cette grande région serait synonyme de repli sur soi... C’est tout le contraire ! Une telle affirmation laisse transparaître un raisonnement purement hexagonal, faisant fi de la position de l’Alsace, au cœur de l’Europe. Nous nous sommes engagés depuis plusieurs années déjà – plusieurs décennies, même – dans une coopération transfrontalière dense et dynamique dans le bassin rhénan, avec nos voisins suisses et allemands.
La carte, telle qu’elle a été modifiée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Gouvernement, a été perçue comme une provocation par les Alsaciens, ce qui n’a pas manqué de susciter – hélas ! – la résurgence d’un discours autonomiste, pourtant ultra-marginal depuis soixante-dix ans. Bravo ! Beau succès ! Moi qui suis issu d’une famille qui, dès l’entre-deux-guerres, a combattu les autonomistes et a été combattue par eux de manière virulente, je ne pensais pas que notre génération connaîtrait cette résurgence. Que voilà un bel exploit, monsieur le secrétaire d’État !
Par ailleurs, le républicain que je suis, et comme nous le sommes tous, ne peut que déplorer les propos outranciers tenus à notre encontre par quelques-uns, originaires d’autres régions. Je mets ces propos, pour l’essentiel, sur le compte d’une profonde incompréhension, voire d’un vrai désarroi.
Comment le Gouvernement peut-il rester sourd à la mobilisation des Alsaciens, très inquiets ? Un redécoupage ne peut procéder de l’improvisation, alors même que notre pays a signé, rappelons-le, la charte européenne de l’autonomie locale, qui prévoit une consultation préalable à toute modification des limites territoriales locales...
Monsieur le secrétaire d’État, la méthode employée par le Gouvernement est inacceptable : on nous demande de nous prononcer sur le contenant avant le contenu, sans études d’impact dignes de ce nom. On veut nous imposer une nouvelle carte des régions sans concertation, sans prise en compte des identités. On refuse de prendre en considération les apports du Sénat, émanation des collectivités locales. Vraiment, tout cela est très dommageable et laissera des traces...
À l’heure de cette ultime lecture, dont l’issue ne laisse guère de place à l’optimisme, je regrette que l’Alsace apparaisse comme une variable d’ajustement et que la voix de la Haute Assemblée, la voix de l’assemblée des territoires, ne soit pas suffisamment écoutée.
Une démarche pleinement concertée eût été pourtant indispensable pour poser les jalons d’une réforme territoriale réussie. Mme Assassi a fait allusion aux lois de 1982 : je fais partie de ceux qui ont voté ces textes, et je n’en retrouve pas ici le souffle !
Monsieur le secrétaire d’État, qui sème le vent, récolte la tempête ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ici même, à cette tribune, le Premier ministre, il y a quelques semaines de cela, déclarait vouloir être à l’écoute des territoires et du Sénat, qui en est le représentant.
On sait ce qu’il est advenu. Ouvrant avec vingt minutes de retard la réunion de la commission mixte paritaire chargée sinon d’établir un texte commun, du moins de rapprocher les positions des deux assemblées, son président déclarait qu’il n’y avait pas lieu de siéger, car aucun rapprochement n’était possible !
Ainsi, l’Assemblée nationale a rétabli un texte semblable à celui qu’elle avait adopté en deuxième lecture, hormis la disposition – introduite par notre assemblée – concernant la représentation des petits départements au sein des conseils régionaux.
La commission spéciale du Sénat, dans la continuité de ses travaux antérieurs, a établi un texte reprenant ses positions afin, comme l’a rappelé le président Larcher lors du lancement de la conférence territoriale le 10 décembre dernier, de « porter d’une voix commune les attentes des collectivités locales »...
Tout cela me conduira à formuler trois observations sous forme de critiques.
La première critique tient à la méthode.
Jamais une réforme territoriale n’aura été élaborée avec autant de légèreté. Nul n’ignore ici avec quelle précipitation et quelle confusion ce projet a été conçu par le Gouvernement, afin de lui permettre de répondre à l’urgence médiatique et d’afficher, pour un temps, un visage réformateur. L’objectif était visiblement non pas de créer des territoires pertinents et cohérents, mais d’afficher la division par deux du nombre de régions. Voilà qui explique le refus d’écouter le Sénat et l’absence de concertation avec laquelle ce projet a été conduit.
Autre point choquant, cette réforme répond aux intérêts de quelques-uns et non à ceux de tous les territoires.
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. Dominique de Legge. Là encore, personne n’ignore que ce projet de loi a été décidé par quelques-uns, dans leur intérêt, à l’insu de tous les autres.
Cette « réforme d’en haut » est donc la parfaite illustration des contradictions du Gouvernement, partagé entre ses incantations girondines et ses réflexes jacobins. Or on ne peut pas à la fois, monsieur le secrétaire d’État, être girondin et jacobin, pousser les régions à se déployer et décider de tout à leur place, y compris du choix du siège de la capitale régionale.
Enfin, cette réforme s’inscrit dans une chronologie totalement incohérente. En effet, comment le Parlement peut-il examiner un projet de loi visant à délimiter les régions, alors même que nous ne savons rien des compétences de ces futures collectivités ?
Nous avions voulu, avec l’article 1er A, corriger cette incohérence en mettant en perspective chaque échelon de notre administration territoriale et, ce faisant, poser quelques principes sur les missions et fonctions de chacun d’eux. Mais vous l’avez refusé.
Cette initiative sénatoriale était d’autant plus fondée qu’elle venait tenter de conclure une période de cacophonie gouvernementale. Souvenez-vous, monsieur le secrétaire d’État, de la clause de compétence générale : à peine avait-elle été rétablie dans le texte sur les métropoles, que Mme Lebranchu annonçait sa suppression. Souvenez-vous de la déclaration du président Hollande en janvier 2014 devant les Corréziens, affirmant que le département était l’échelon de proximité par essence, tandis que le Premier ministre annonçait sa suppression trois mois plus tard.
La délimitation des régions dépend étroitement du sort qui sera réservé plus tard aux départements. Il est inenvisageable de vouloir, dans le même temps, supprimer l’échelon départemental et diviser par deux le nombre des régions...
Débattre de la taille des régions avant de fixer leurs domaines d’intervention et refuser de préciser comment elles fonctionneront demain, en lien avec les autres collectivités territoriales – je vous le dis comme je le pense, monsieur le secrétaire d’État –, relève au mieux de l’amateurisme, au pire, je le crains, de l’incompétence notoire.
La deuxième critique tient aux principes qui guident ce texte.
Pourquoi cette fixation, cette obsession, sur la taille des régions, comme si c’était l’alpha et l’oméga de leur puissance et de leur efficacité ? Alors que toutes les études européennes contredisent l’idée que la taille fait la puissance, le Gouvernement n’a eu pour seul horizon que la taille de ces futures régions.
Ainsi cette réforme va-t-elle engendrer des régions sans logique territoriale, sans logique économique, sans logique démocratique, avec des élus encore un peu plus éloignés des territoires et des électeurs. Quant à l’argument des économies d’échelle, il a fait long feu ; même vous, vous n’osez le reprendre !
Venons-en maintenant aux compétences elles-mêmes. Alors que chacun s’accorde à dire que les régions doivent avoir des missions stratégiques, vous voulez leur confier des tâches de gestion qui, tout naturellement, seraient exercées de manière plus pertinente au niveau départemental, niveau que vous voulez supprimer – ou que vous vouliez supprimer, tant il est vrai que l’on ne sait plus vraiment ce que vous voulez ; d’ailleurs, le savez-vous vous-même ?
Je ne peux que regretter, une fois encore, votre refus de prendre en considération l’article 1er A, lequel avait au moins le mérite, à défaut de répondre à toutes les questions, de donner un cadre et une perspective.
Enfin, la troisième critique tient au fond du texte, je veux parler du cœur du dispositif, de cette nouvelle carte régionale ignorante des attentes comme des besoins !
Nous sommes nombreux sur ces travées à avoir déjà dénoncé un découpage arbitraire, sourd aux réalités locales comme aux demandes des populations et des élus.
Cette volonté gouvernementale de proposer un texte qui institue un point de non-retour dans le découpage des régions est on ne peut plus antidémocratique. C’est pourquoi il est indispensable d’offrir la possibilité à deux départements de fusionner, et à un département de demander son rattachement à une autre région.
C’est ce que nous avons appelé le « droit d’option ». Quand vous avez écrit ce texte, pour vous, la cause était entendue : il n’y avait plus de départements et vous pouviez donc faire l’impasse sur cet échelon territorial. Vous vouliez jumeler des régions deux à deux – ou à trois –, mais refusiez d’imaginer que des départements puissent changer de région.
Nous avions ici, au Sénat, introduit un droit d’option qui permettait des évolutions. Mais, pour que ce droit d’option puisse fonctionner, encore fallait-il qu’il ne devienne pas un droit de veto. C’est en ce sens que nous avions assoupli les conditions dans lesquelles un département pouvait quitter une région pour en préférer une autre.
Alors que, pour ce qui est de quitter une région, il fallait que trois cinquièmes des membres des conseillers régionaux de la région de départ expriment un désaccord, vous avez préféré permettre à une minorité de blocage de deux cinquièmes de s’y opposer.
Vos discours sur la libre administration des collectivités territoriales, sur l’initiative locale, sur l’adaptation aux territoires, ou encore sur la concertation, se trouvent en totale contradiction avec vos actes. Je ne peux pas, à ce stade, ne pas évoquer le cas d’une région qui m’est chère : comme d’autres ont parlé ou parleront encore de l’Alsace, permettez-moi de dire deux mots de la Bretagne.
Alors que vous avez invoqué une taille critique de quatre à six millions d’habitants pour refuser à l’Alsace ce qu’elle souhaitait, vous n’êtes pas du tout gêné de laisser la région Bretagne à quatre départements, avec trois millions d’habitants. Où est la logique ?