Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais d'abord, au nom du groupe UDI-UC, remercier le groupe UMP d’avoir organisé ce débat sur l’évolution des finances locales. Certes, entre l’examen de la loi de finances pour 2015 et celui de la loi de programmation des finances publiques, nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet, mais la pédagogie est l’art de la répétition ! Concernant les finances des collectivités territoriales, il est des choses dont il faut bien se pénétrer, sauf à aller droit dans le mur.
C'est entendu, l’état budgétaire et financier de notre pays impose des efforts, et nous sommes tous d’accord pour que les collectivités locales y participent. Cependant, ces efforts doivent être justes et équitablement répartis : c'est là que le bât blesse !
Nous n’avons pas la même conception des économies à réaliser que le Gouvernement. Ce dernier considère que si la dépense augmente un peu moins vite, on fait déjà des économies. Pour nous, madame la ministre, une économie, c'est une diminution de la dépense. Selon vous, comme cela apparaît dans la loi de programmation des finances publiques, si la dépense publique n'augmente que de 60 milliards d’euros en trois ans, alors qu’elle aurait dû s'accroître de 110 milliards d’euros, on fait 50 milliards d’économies.
Voilà comment est calculée l’économie de 50 milliards d’euros qui nous est présentée ! On nous dit ensuite que, sur cette masse, la part des collectivités, c'est 11 milliards d’euros, mais il s’agit en fait, pour elles, d’une véritable diminution de la dépense, et non d’une décélération de sa hausse ! Il existe donc dès le départ entre nous un malentendu, et il sera impossible d’avancer si nous ne le levons pas.
Si l’on fait le cumul, on voit que, en 2017, les dotations des collectivités seront inférieures de 28 milliards d’euros par rapport à 2014, soit une baisse de 13 % au regard des 220 milliards d’euros de budget de l’ensemble des collectivités locales ! J’aimerais que l’État fasse les mêmes efforts : nous n’aurions plus de problèmes budgétaires ni de déficit, nous serions sortis d’affaire !
Mais l’État dit qu’il lui est impossible de réduire l’exercice d’un certain nombre de missions. Pourtant, c’est bien ce que font les collectivités, qui représentent 20 % des dépenses publiques et 9 % de l’endettement, contre 33 % des dépenses publiques et 90 % de l’endettement pour l’État. C'est donc l’État qui vit au-dessus de ses moyens ! Il lui incombe, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, de faire des efforts. Je souhaite la transposition à l’échelon de l’État de la règle d’or, évoquée par M. Baroin, qui s'applique aux collectivités territoriales. Cela nous aiderait à faire collectivement les efforts qui s'imposent.
Les collectivités locales connaissent donc une baisse considérable, déraisonnable, de leurs dotations, mais elles subissent de surcroît les conséquences, sur leurs recettes, de dispositions antérieures. Ainsi, la taxe professionnelle a été remplacée par différentes taxes, notamment la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, dont l’évolution annuelle du produit est incompréhensible pour les élus locaux : les services fiscaux ne sont pas en mesure de leur expliquer les motifs de baisses tout à fait imprévisibles. Les collectivités locales, qui bénéficiaient auparavant d’une taxe professionnelle assez dynamique, sont donc confrontées à un sérieux problème de gestion.
Je ne m'attarderai pas sur la dynamique des droits de mutation, qui s'est totalement inversée. Par ailleurs, même si nous partageons tous l’objectif de solidarité entre les collectivités, la mise en œuvre et le rythme de progression de la péréquation ont été décidés à une époque où l’on parlait de gel des dotations, et non de baisse drastique ! (M. Michel Bouvard applaudit.) Le contexte n’est donc plus du tout le même, et nous devons remettre à plat ce système de péréquation.
En ce qui concerne les dépenses, certaines nous sont imposées par l’État.
M. Vincent Delahaye. Je veux bien que l’on revalorise les personnels de catégorie C pour compenser le gel de la valeur du point d’indice, mais qui supporte cette dépense ? D’abord les collectivités locales, et non l’État ! C'est très facile de distribuer de l’argent versé par d’autres…
De même, la suppression du jour de carence entraîne un coût supplémentaire pour les collectivités locales. La réforme des rythmes scolaires représente aussi pour elles une charge considérable ! Je pourrais également évoquer l’augmentation des cotisations au Centre national de la fonction publique territoriale, des retraites… Toutes ces décisions ne relèvent ni des maires, ni des présidents de conseil général, ni des présidents de conseil régional, mais ce sont les collectivités territoriales qui en supportent les conséquences financières.
Dans le même ordre d’idées, le millefeuille territorial constitue sur le plan local un facteur de dépenses supplémentaires, et non d’économies ; la Cour des comptes l’a elle-même reconnu. Telle est la réalité, qui n’est pas conforme à ce qui avait été prévu. Certains transferts et intégrations de compétences ne sont pas accompagnés du transfert des personnels correspondants. On a encouragé l’intégration à l’échelon des intercommunalités, mais je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure réponse à apporter. Il convient, selon moi, de favoriser et d’encourager davantage la mutualisation. Intégration et mutualisation ne doivent pas être confondues : ce sont deux notions différentes. Tâchons d’identifier ce qui peut être mutualisé entre collectivités territoriales. À mes yeux, c’est une voie à suivre pour l’avenir.
Des recettes en forte baisse et des dépenses en hausse : cette situation met forcément en péril l’investissement local, variable d’ajustement risquant de subir de plein fouet la baisse des dotations. C’est un danger pour notre économie, 70 % de l’investissement public reposant sur les collectivités locales. On ne peut donc pas trop jouer sur ce levier. Sinon, la croissance de l’économie française, qui n’est déjà pas très brillante, en prendra encore un coup.
J’en viens à la fiscalité locale. C’est inscrit dans la loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement anticipe son augmentation. Il est vrai que faire des économies et réduire l’investissement sera sans doute insuffisant : je suis convaincu que de nombreuses collectivités territoriales seront contraintes d’augmenter les impôts, même si elles ne l’ont pas annoncé, même si elles ne l’avaient pas prévu, même si elles ne le souhaitent pas. Elles seront tout simplement dans l’incapacité de faire autrement.
Par ailleurs, Mme la ministre a donné son accord à la réforme, annoncée par le Gouvernement, de la dotation globale de fonctionnement. À mes yeux, dans le contexte actuel de baisse drastique et historique de cette dotation, il s’agit d’une mission impossible.
Certaines collectivités sont d’ores et déjà au bord du gouffre. Comment pourraient-elles accepter une réforme de la DGF qui fera forcément des perdants ? Vous n’y arriverez pas, j’en prends aujourd'hui le pari, sauf à renforcer encore la tempête qui souffle sur les finances locales et à susciter la révolte des dindons de la farce, à savoir les collectivités territoriales. On a eu la révolte des pigeons, celle des poussins, demain ce sera celle des dindons ! On sent monter, sur le terrain, les protestations des élus locaux. Si le Gouvernement ne les entend pas, la révolte viendra non seulement d’eux, mais aussi de tous les habitants, qui subiront à la fois les coupes effectuées dans les services publics et les augmentations d’impôts. Nombre de nos concitoyens ne l’admettront pas.
Je souhaite que l’on prenne le temps de tout remettre à plat, que l’on regarde bien les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle, de la mise en œuvre de la péréquation et des diverses dispositions qui ont été prises, qu’il conviendrait selon moi de geler. Nous n’en prenons pas le chemin, car le projet de loi NOTRe impose aux régions d’élaborer un schéma de développement économique. Je dis « stop » ! Laissons aux régions le soin de décider, si elles le souhaitent, l’élaboration d’un tel schéma, dont le coût n’est pas nul. Pourquoi rendre cette dépense obligatoire pour les régions ? Il faut laisser aux collectivités de la liberté, ainsi que les moyens de vivre, de se développer, de faire des choix. Au contraire, le Gouvernement leur impose aujourd'hui des baisses drastiques des dotations, qui finiront par provoquer, je vous l’assure, une révolte tant des élus locaux que des habitants.
J’espère que le groupe UDI-UC sera entendu et que cette remise à plat sera mise en œuvre. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard.
M. Michel Bouvard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l’intervention de François Baroin, ni sur la nécessaire contribution des collectivités à l’amélioration de la situation de nos finances publiques. Cependant, après le gel des dotations décidé dans le passé, on leur demande un effort considérable, sans précédent, de 28 milliards d’euros d’ici à 2017.
Je ne reviendrai pas non plus sur les propos de Charles Guené, qui a rappelé avec raison que la DGF n’était que la transformation d’une ancienne fiscalité locale, et non pas une dotation généreusement accordée par l’État.
Je voudrais aborder, dans le temps qui m’est imparti, la problématique de la péréquation. Évidemment, plus on diminue les dotations et plus les collectivités, qui se sentent étranglées financièrement et cherchent à faire face aux dépenses qui leur incombent, en appellent à une péréquation plus importante.
La péréquation, entre ses composantes verticale et horizontale, représente 10 milliards d’euros, c'est-à-dire une somme équivalant à l’effort demandé chaque année aux collectivités.
Il faut également évoquer, monsieur le secrétaire d’État, la sédimentation caractérisant l’ensemble de notre dispositif en matière de fiscalité locale. La péréquation a commencé avec le FSRIF, le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, instauré en 1991. Depuis, nous avons créé six autres fonds de même nature : un pour le bloc communal, le FPIC, le Fonds de péréquation intercommunal et communal, quatre pour les départements et un pour les régions.
Ce dispositif est-il aujourd'hui satisfaisant ? La Cour des comptes rappelle, dans son rapport sur les finances publiques locales, que le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour développer les dispositifs de péréquation existants et en créer de nouveaux. Elle précise que, « pour autant, l’augmentation des moyens financiers consacrés à la péréquation ne s’est pas accompagnée de l’adoption d’un cadre global permettant d’assurer la cohérence de l’ensemble et d’en évaluer l’efficacité. La péréquation financière ne s’accompagne pas d’une définition claire des objectifs qui lui sont assignés. Elle repose sur un ensemble de dispositifs ajoutés les uns aux autres par sédimentation. » Tout est dit !
Madame la ministre, je souhaite que, en même temps que nous travaillerons sur l’évolution de la DGF, nous réfléchissions aussi sur la péréquation, afin de l’adapter, comme cela a été fait dans d’autres pays. La péréquation ne doit pas s’appuyer simplement sur la ressource fiscale des collectivités territoriales, qui, certes, présente des écarts importants : elle doit également prendre en considération la réalité des charges. J’ai étudié la manière dont la péréquation financière est mise en œuvre en Suisse, avec un dispositif de compensation pour charges excessives : il ne s’agit pas seulement des charges sociodémographiques, comme c’est souvent le cas chez nous, mais aussi des charges géotopographiques.
On ne doit pas non plus oublier que la montée en puissance de la péréquation affecte principalement les communes, les départements et les régions qui assurent l’essentiel des 70 % de l’investissement public financés par les collectivités.
C’est notamment le cas des communes touristiques, qui sont aussi des entreprises ayant besoin de se développer, de financer des aménagements pour rester compétitives dans l’un des seuls secteurs où notre pays crée encore des emplois. Or elles subissent parfois un prélèvement de 1,5 million d’euros par an au titre du FPIC. Leur capacité d’investissement se trouve de ce seul fait réduite de 15 millions d’euros, ce qui n’est pas neutre.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Il s’agit de Courchevel ?
M. Michel Bouvard. Il n’y a pas que Courchevel, qui n’est d’ailleurs pas la commune qui paie le plus ! Aujourd'hui, la quasi-totalité des communes touristiques subissent un prélèvement au titre du FPIC.
Les communes touristiques s’étaient vu attribuer, voilà quelques années, une dotation leur permettant justement d’accompagner leur développement. Or il se trouve – chacun a fait des erreurs, il faut avoir l’honnêteté de le dire – que, dans le cadre de la réforme de la DGF de 1995, la DGF des communes touristiques a été cristallisée, ce qui signifie que les communes qui ont continué à investir n’ont pas vu progresser leur dotation touristique, alors que celles qui bénéficiaient d’un effet de rente l’ont acquis définitivement. En effet, dans le cadre de la cristallisation, la péréquation qui existait au sein de l’ancienne dotation touristique a été supprimée.
Il convient donc de remettre à plat l’ensemble du dispositif, en examinant, conformément à ce qui a été inscrit dans la loi de finances – j’en sais gré à nos collègues et au Gouvernement –, la soutenabilité de la péréquation.
C’est un sujet qui concerne aussi les départements. En effet, un certain nombre d’entre eux se trouvent aujourd'hui face à une double mécanique de péréquation, celle-ci étant inhérente à la DGF des départements. Vous le savez, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la réfaction de la DGF des départements a un effet péréquateur, dans la mesure où on prend en compte à la fois le revenu moyen par habitant, censé représenter les charges des départements – ce qui n’est pas le cas –, et le niveau des taux de fiscalité, censé représenter les marges de manœuvre possibles. Or, à cette diminution de la DGF s’ajoutent les prélèvements sur les droits de mutation à titre onéreux. Dans certains départements, c’est 25 % du budget d’investissement qui disparaît du fait de la combinaison de ces deux facteurs.
Voilà pourquoi, madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que l’on puisse procéder à une remise à plat des dispositifs de péréquation. (M. Charles Revet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Boulard.
M. Jean-Claude Boulard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en matière de finances locales, nous souhaiterions d’abord avoir un peu de stabilité, en contrepartie de la durabilité de nos engagements. Mais je sens bien que ce vœu a peu de chances d’être entendu…
L’effet cumulé du recul des dotations, du financement de la péréquation et de la réforme de la DGF risque de poser des problèmes tout à fait redoutables dans certains territoires.
Le recul des dotations peut être comparé à un régime. Les premiers kilos ne sont pas trop difficiles à perdre, mais les choses se compliquent lorsque l’on commence à perdre de la masse musculaire… Un repli massif de l’investissement constitue un risque bien réel pour 2016 et 2017. Nous avons en effet une gestion prudentielle, un culte de l’excédent, et nous nous dirigeons probablement vers un recul très important de l’investissement. Ne négligeons pas ce premier phénomène.
Concernant la péréquation, on lui fait jouer aujourd'hui un rôle un peu pervers. Elle a été instaurée pour réduire les écarts de richesse. Je rappelle toutefois qu’un territoire subit un prélèvement au titre de la péréquation dès lors que sa richesse atteint seulement 90 % de la moyenne. On utilise de plus en plus la péréquation pour atténuer les effets des reculs des dotations. Ceux qui croient qu’une telle situation pourra perdurer s’illusionnent. Il s’agit en effet d’un usage assez pervers de la péréquation.
Enfin, la réforme de la DGF ne peut pas se limiter à la réduction des écarts. En effet, certains écarts s’expliquent, sont légitimes, par exemple ceux qui sont liés au niveau d’intégration des compétences, justifiant l’existence d’un coefficient d’intégration fiscale, sur lequel est indexée la DGF, ou aux charges de centralité. À cet égard, permettez-moi de citer le cas du maire de Baugé-en-Anjou, ville de 3 800 habitants, qui crée une commune nouvelle pour mieux répartir ces charges de centralité. On ne peut donc pas limiter la réforme de la DGF à la simple réduction des écarts.
S’agissant maintenant de la fiscalité locale, je rappelle que, depuis quarante ans, on ne cesse de supprimer des impôts locaux au profit de dotations que l’État, mais que le gouvernement en place, quel qu’il soit, après avoir annoncé qu’il ne toucherait jamais à ces dotations parce qu’elles sont sacrées, finit toujours par les réduire.
Le Sénat avait donc souhaité, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, mettre effectivement en œuvre le principe de sanctuarisation de la fiscalité locale et, en conséquence, rétabli trois taxes qu’avait supprimées l’Assemblée nationale en première lecture : la taxe pluviale, la taxe de trottoirs et la taxe sur les spectacles de variétés. Malheureusement, nos collègues députés ne nous ont finalement pas suivis. On aurait pourtant pu penser qu’au moment où l’on assiste à un repli des dotations l’heure était venue de mettre définitivement fin à ce mouvement de suppression des impôts locaux.
Sommes-nous d’accord pour sanctuariser la fiscalité locale ?
Par ailleurs, il convient de clarifier cette fiscalité en actualisant l’ensemble des bases locatives, commerciales ou d’habitation. À cet égard, se présente évidemment une difficulté : s’agissant d’impôts de répartition, l’allégement des uns peut entraîner l’augmentation, fût-elle légère, des autres. La prudence s’impose donc dans cette démarche ; d’où la nécessité absolue de procéder à des simulations.
Dernier point : l’autonomie. Je ne pense pas que l’autonomie fiscale de certaines collectivités locales doive passer par la remise en cause de celle d’autres collectivités.
La réforme de la taxe professionnelle a eu pour conséquence de réduire extraordinairement l’autonomie des régions et des départements, mais le recouvrement légitime par elles de leur pleine autonomie fiscale ne doit pas se faire au détriment de celle du bloc communal. Or la tentation de procéder ainsi existe, comme on a pu le constater avec la question du versement transport.
Avant de conclure, mes chers collègues, je veux citer trois mots dont il faut se méfier dès lors qu’il est question de fiscalité locale.
Derrière le mot « simplification » – surtout lorsque ce sont des inspecteurs des finances qui l’emploient –, se dissimule l’idée de « suppression ».
Derrière le mot « toilettage », il y a l’idée qu’on peut être tondu. (Sourires.)
Et quand on parle de « mise à plat », il faut comprendre qu’on va rouler sur les jantes ! (Nouveaux sourires.)
Ces mots-là sont toujours dangereux !
Enfin, ne serait-il pas possible d’obtenir que l’emprunt qui finance l’investissement ne soit plus compris dans la dette publique ? Mais a-t-on encore le droit, à la tribune du Sénat, d’être keynésien ? Je n’en suis pas certain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Patrick Abate applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé.
M. Éric Doligé. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, bien sûr, je n’éviterai pas certaines redites puisque, comme notre collègue Michel Bouvard, je parlerai de la péréquation et, comme notre collègue Vincent Delahaye, je citerai un certain nombre de chiffres. Mais, ainsi que le disait tout à l’heure l’un des intervenants, il n’est pas inutile de répéter tant prévaut l’impression qu’on ne prend pas en compte toutes les remarques que nous pouvons formuler.
Bien sûr, madame la ministre, les élus ici présents et tous ceux qui ont des responsabilités exécutives sont conscients qu’il leur faut contribuer à l’effort national. Toutefois, ils s’interrogent sur cet effort : à quoi sert-il et est-il justement réparti ?
Je le rappelle, il était prévu que cet effort porterait sur 1,5 milliard d’euros par an pendant trois ans, à partir de 2014, soit 4,5 milliards d’euros, avant qu’on ne nous annonce les fameux 11 milliards d’euros. Comme l’a démontré tout à l’heure notre collègue Vincent Delahaye, au total, l’effort demandé sera de 28 milliards d’euros au bout de trois ans. Ce sont là des montants considérables au regard des recettes des collectivités locales.
Celles-ci auraient-elles fauté ? Auraient-elles commis des erreurs ?
M. Charles Revet. Non, elles sont bien gérées !
M. Éric Doligé. Elles ne sont pas responsables – ou si peu – des 2 000 milliards d’euros de dettes et, à la différence de l’État, elles ne sont pas contraintes d’emprunter à partir du mois d’octobre pour couvrir leurs frais généraux et leurs frais de fonctionnement.
Vous savez certainement, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que le poids relatif des prélèvements obligatoires des administrations publiques, qui comprennent les impôts locaux et le transfert des recettes fiscales, a baissé entre 2009 et 2013.
Vous savez aussi que les collectivités réalisent 70 % des investissements publics.
Et vous n’ignorez pas que, plus les années passent, plus la liberté fiscale de nos collectivités s’amenuise. Ce mouvement, enclenché voilà trois ou quatre ans, se poursuit au fil du temps. À ce jour, l’État dispose de la majeure partie des budgets locaux. Si je prends le cas des départements, ceux-ci maîtrisent au maximum 20 % de leur fiscalité, l’État décidant de l’essentiel de leurs dépenses, sans oublier les transferts non financés.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Éric Doligé. Quelques mots sur la péréquation financière des départements.
Nous constatons une accumulation des dispositifs de péréquation, qui sont devenus complexes et illisibles. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration qui l’ont démontré dans des rapports.
Par ailleurs, les dispositifs sont inéquitables. Ainsi, 79 % des fonds départementaux de péréquation vont aux départements détenus par la majorité (M. Michel Bouvard applaudit.), lesquels représentent 60 % de l’ensemble des départements. Cela signifie qu’ils perçoivent 11 euros par habitant, contre 5 euros pour les départements dirigés par l’opposition.
On constate également que les taux d’administration sont disparates et que les dispositifs sont inefficaces au regard de l’ampleur des dépenses sociales.
Tous ces constats devraient nous conduire à envisager une péréquation s’appuyant sur de véritables critères de bonne gestion. On nous dit toujours que ce n’est pas possible. Pour ma part, j’ai la conviction qu’on peut définir de tels critères et je vais d’ailleurs vous en citer quelques-uns : le rythme d’évolution de la masse salariale – cela devrait vous plaire puisque, à plusieurs reprises, j’ai entendu dire qu’il fallait la maintenir –, le rythme d’évolution des charges à caractère général, les taux d’imposition et leur évolution, enfin, le niveau du taux d’épargne et la capacité de désendettement.
Autre proposition : la nature et la répartition des ressources fiscales devraient reposer sur des principes simples et lisibles par tous ; il n’est plus possible d’affecter des impôts et des taxes procycliques à des dépenses également procycliques. Comment peut-on financer le RSA, qui ne cesse d’augmenter, au moyen des DMTO, qui, eux, baissent ? C’est impossible !
Le principe d’autonomie financière doit également être revisité.
Je vais citer des exemples vécus de transferts sournois imposés par le Gouvernement en 2015.
Dans mon département, la réévaluation du RSA, c’est 1 % du budget ; la baisse de la dotation globale de fonctionnement, c’est 2 % ; la perte du produit de l’écotaxe, c’est 1 % ; la péréquation de la CVAE, le fonds de solidarité, la loi Peillon et la réforme des rythmes scolaires, les mesures en matière de ressources humaines, c’est 1 % ; l’accroissement du reste à charge des allocations individuelles de solidarité, c’est 2 %. Au total, on en arrive à une surcharge annuelle de 7 % du budget, soit 42 millions d’euros.
Madame la ministre, ce sont 42 millions d’euros de pertes dans un département moyen comme le mien, mais quand même 4 milliards d’euros sur le plan national. Cela veut dire de l’autofinancement en moins, de la capacité d’investissement en moins et donc de l’emploi en moins.
Les chiffres du chômage viennent juste d’être publiés : au mois de décembre, on a enregistré 8 100 chômeurs de plus, soit 189 000 de plus en un an ; on en compte désormais 3,496 millions. Il n’y a pas de quoi parler de réussite ! Et que faites-vous ? Vous pénalisez les collectivités !
Tout à l’heure, François Baroin, chiffres à l’appui, a expliqué les conséquences de ce moindre investissement des collectivités par la réduction de leurs capacités d’autofinancement.
Madame la ministre, tout cela devrait donner à réfléchir. Écoutez-nous et entendez-nous ! En 2015, nous allons à la catastrophe. Je me permets de le dire une nouvelle fois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. Eh oui !
M. René-Paul Savary. Merci de le rappeler !
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe UMP nous propose donc aujourd’hui un débat sur l’évolution des finances locales. Il me semblait pourtant que celui-ci avait déjà eu lieu récemment – il fut chaque fois très long, d’ailleurs –, tant lors de l’étude de la trajectoire de nos finances publiques que lors du vote de la loi de finances pour 2015.
Peut-être nos collègues se sont-ils rendu compte qu’en ces différentes occasions, ils n’avaient pas voulu s’extraire du seul débat sur la baisse des dotations de l’État pour porter un jugement plus nuancé et aller vers des propositions plus constructives sur le sujet qui nous occupe.
Je ne saurais, en tout cas, faire le moindre rapprochement entre ce troisième débat sur les finances locales au sein de notre assemblée et quelque échéance électorale que ce soit. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Le rapport d’information sur l’évolution des finances locales à l’horizon 2017 déposé par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation s’ouvre sur une évidence : « La nécessité de redresser les finances locales ne date pas des dernières annonces du Gouvernement. » Plus loin, ses auteurs écrivent : « Avant même l’annonce par l’État de la réduction de 11 milliards supplémentaires du concours aux collectivités d’ici 2017, la poursuite de la divergence observée entre les dépenses et les recettes locales apparaissait difficile à envisager... »
Le rapport précise qu’en 2013, entre 10 % et 15 % des communes de plus de 10 000 habitants et des départements affichaient d’ores et déjà un encours de dette représentant plus de quinze années d’épargne brute, c’est-à-dire qu’ils étaient techniquement en situation d’insolvabilité.
Il est clair que la baisse programmée des dotations de l’État pour les années 2015-2017 ne peut qu’aggraver la situation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le groupe socialiste a souhaité étaler dans le temps cette baisse de dotations, et nous reprendrons sans doute cette proposition lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016.
Pour autant, mes chers collègues, n’oublions jamais les causes premières de cette baisse de dotations, et avant tout celles qui ont contribué à dégrader les structures financières de notre pays. Rappelons-nous : la loi de programmation pour les finances publiques votée en 2008 prévoyait pour 2012 un déficit de 0,5 %. Le résultat du gouvernement Fillon a été de 4,9 %, soit dix fois ce qui était espéré ou, en tout cas, annoncé.
Alors, certains objecteront que le pays a eu à faire face à une crise sans précédent en 2008. Certes ! Pour autant, alors qu’elle était soumise à la même crise, l’Allemagne a affiché dès 2012 un budget excédentaire, là où nous frôlions, mes chers collègues, les 5 % de déficit.
Voilà la réalité crue de dix années de gestion de la droite, voilà la situation du pays que nous a laissée le parti – l’UMP – qui, aujourd’hui, nous propose ce débat : c’est sans doute qu’il souhaite en tirer toutes les conséquences... Bossuet ironisait sur ces hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils chérissent les causes.
Qui faut-il croire ? Ceux qui, légitimement, s’inquiètent des difficultés des collectivités locales ou ceux – mais ce sont parfois les mêmes – qui préconisent par ailleurs, avec François Fillon, un doublement des économies à engager à hauteur de 110 milliards ou de 120 milliards d’euros, avec à la clé, forcément, de nouvelles diminutions de ressources pour les collectivités locales ?
Notre récent débat sur la loi de finances pour 2015 a, sur ce point, été éclairant, les pistes d’économies pour le budget de l’État présentées par la majorité sénatoriale étant particulièrement pauvres au regard de l’ambition revendiquée.
Une fois les responsabilités clairement identifiées, peu parmi nous contestent la nécessité vitale pour la nation de contenir le déficit du budget de l’État et de la dette publique. La plupart de nos collègues comprennent parfaitement que les collectivités locales contribuent au rétablissement des comptes publics.
Je l’ai déjà dit ici, plus que l’ampleur de l’effort demandé, c’est la vitesse à laquelle celui-ci devra être réalisé qui pose question – nous sommes tous d’accord sur ce point –, tant sont rigides les budgets de nombre de collectivités.
Ce sujet reviendra donc à coup sûr en débat lors de la prochaine loi de finances.
Pour l’heure, nous devons réfléchir aux voies et moyens qui permettraient aux collectivités de passer au mieux ces années forcément tendues, particulièrement en ce qui concerne le bloc communal, qui, fournissant à leurs citoyens un grand nombre de services publics, ont à faire face à de nombreuses charges de centralité.
La prise en compte par les communes membres des intercommunalités de ces charges de centralité, notamment pour les bourgs centres en milieu rural, devra être rapidement recherchée, sauf à risquer de voir la situation de ces bourgs centres se dégrader rapidement.
De même, les schémas de mutualisation doivent se multiplier et certaines délégations de service public être renégociées.
Les politiques d’achat public doivent être revues, tout comme les consommations de fluides et d’énergie.
En matière de ressources, une action peut être engagée sur les assiettes de l’impôt local, ainsi que sur les tarifs des services publics.
Ces différentes mesures et quelques autres permettront de répondre pour partie à l’objectif du Gouvernement. Il nous faut partout prendre des initiatives pour aider chacun des responsables locaux à les mettre en œuvre.
Plus largement, l’année à venir doit être mise à profit pour revisiter la répartition de la baisse des dotations entre les collectivités du bloc communal. La répartition selon les recettes réelles de fonctionnement, que nous avons choisie, pourrait être affinée eu égard à l’effort demandé, en tenant compte, peut-être, des revenus par habitant et de l’effort fiscal.
On le voit, le temps qui est devant nous doit être celui, non plus de la polémique, mais plutôt du nécessaire travail sur l’efficience et la pertinence des politiques publiques locales, dans l’attente d’un nouveau débat qui nous réunira à la fin de l’année, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, sur les conditions de la poursuite – revues, je l’espère – de la baisse des dotations de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)