Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai bien entendu ce qui vient d’être dit à l’instant, mais je pense qu’il faut engager la discussion sur un autre terrain.
Il convient tout d’abord de reconnaître l’importance de ce à quoi nous assistons : la création de la métropole lyonnaise, qu’on l’approuve ou non, est l’innovation territoriale la plus remarquable de ces dernières années.
Nous connaissions la fusion de communes ; nous allons connaître la fusion de régions. Là, nous assistons à une invention territoriale unique, la fusion d’une communauté urbaine avec le morceau de département qui correspond à son territoire. C’est un moment rare qui appellera, je le pense, de nombreuses réflexions.
Les métropoles existent depuis un certain temps. Établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, elles constituent sans doute la forme la plus aboutie de l’intercommunalité. La première fut celle de Nice, et dix autres métropoles de droit commun ont été créées au 1er janvier 2015, parmi lesquelles je citerai la métropole bordelaise, à laquelle, je le sais, Mme la secrétaire d’État est très attachée. (Mme la secrétaire d’État opine.)
Ces dix métropoles ne jouent pas – pour prendre une image sportive – dans la même division que la métropole lyonnaise. Cette dernière est – c’est rare dans notre histoire administrative – une nouvelle collectivité territoriale à statut particulier, au sens de l’article 72, premier alinéa, de la Constitution.
Il s’agit d’un événement administratif doublé d’un événement politique, puisque cette métropole s’administre librement grâce à son conseil métropolitain.
J’ajouterai, pour réagir aux propos de François-Noël Buffet, que cette création peut étonner, c’est vrai. Le Conseil constitutionnel a même dû se prononcer sur cette question. Toutefois, sa décision du 23 janvier 2014 est sans appel : elle rejette tous les moyens dirigés contre les dispositions relatives à la métropole lyonnaise et constate la conformité de ces dernières à la Constitution.
Notre collègue regrettait que la parité n’ait pas cours au sein de la métropole. Nous sommes d’accord, mais nous n’y pouvons rien ! Le conseil métropolitain est composé des maires de la communauté urbaine de Lyon ; si cet ensemble ne respecte les règles de parité, la métropole n’a d’autre choix que d’en faire le constat. Cette situation résulte non pas d’une quelconque volonté politique, mais de la réalité de la composition des conseils municipaux.
J’aurais aimé, dans le peu de temps qu’il me reste, évoquer les compétences de la métropole et son mode de fonctionnement, objet des ordonnances dont nous discutons aujourd’hui.
Je vais pourtant développer un autre aspect du sujet, en posant une question que, d’ailleurs, chacun a en tête : l’exemple lyonnais peut-il faire école ? S’agit-il d’une expérimentation spécifique ou bien de la préfiguration d’un modèle ? Autant vous le dire tout de suite, mes chers collègues, je n’ai pas la réponse. Je constate seulement que la métropole lyonnaise n’a pu naître qu’à deux conditions.
La première condition, c’est l’existence d’un consensus local profond. C’est d’ailleurs une bonne leçon pour l’État : on n’impose pas ce genre de choses ; on ne peut que constater, après un long travail, que le dossier est mûr, qu’il est sur la table. Il faut donc féliciter tous les hommes de ce consensus : Michel Mercier et Gérard Collomb, bien sûr, ainsi que les autres élus du département et de la communauté urbaine.
Il convient aussi de saluer les autres acteurs de ce succès : le Parlement, qui a su se dégager de ses divisions pour défendre une vision plus générale et généreuse, mais aussi le Gouvernement, qui a participé à l’entreprise.
La seconde condition, c’est la coopération. J’ai beaucoup apprécié ce que Gérard Collomb a déclaré à ce sujet, il y a un instant. La métropole ne peut faire s’opposer machine urbaine et désert rural : il faut créer la richesse, puis la partager.
Au bénéfice de ces observations, mes chers collègues, le groupe socialiste votera avec ferveur,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. De la ferveur, il en faut !
M. Alain Anziani. … mais aussi avec attention, ces deux projets de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi ratifiant une ordonnance qui, pour l’essentiel, donne un cadre financier et fiscal à la métropole de Lyon, collectivité à statut particulier créée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM ».
Qu’une loi, ou en l’espèce une ordonnance, puisse prendre en compte des accords locaux – c’est ici le cas avec la métropole de Lyon et le département du Rhône – est en soi une très bonne chose. Que cet accord local puisse servir de cadre à une généralisation de la relation entre départements et métropoles de droit commun est une perspective à laquelle, en revanche, je ne puis adhérer.
Le statut particulier de la métropole lyonnaise prévoit que cette dernière reprend sur son territoire les compétences précédemment exercées par le conseil général du Rhône. Cette organisation territoriale singulière, au-delà des hommes qui l’ont promue, doit beaucoup à l’histoire déjà longue de la communauté urbaine du Grand Lyon, comme sans doute, Michel Mercier l’a rappelé, à l’indéniable prospérité de l’ensemble du département, qui excède donc le seul territoire métropolitain.
Ce statut particulier, je le redis, ne peut en aucune façon servir de modèle pour les territoires où sont situées les métropoles de droit commun, car ils sont généralement caractérisés par la coexistence de villes centrales créatrices de richesses et de zones périurbaines et rurales très fragiles.
Pour les départements ayant la chance de profiter de la force d’une métropole sur leur territoire, une séparation aurait des conséquences désastreuses. En effet, si l’on peut imaginer un système de compensation financière à la date de la séparation, les créations de richesses dans le temps n’évolueraient plus au même rythme. Année après année, les capacités de soutien du département en faveur des communes rurales et périurbaines se réduiraient inexorablement.
Aujourd’hui, seuls les départements, par leur capacité de redistribution, sont à même de préserver, voire de renforcer, des services publics de qualité sur l’ensemble de leur territoire ; c’est bien l’essentiel pour nos concitoyens.
En effet, il n’y a pas d’un côté des métropolitains et, de l’autre, des habitants de la ruralité. Chacun a son parcours de vie : périurbain à la naissance, métropolitain dans sa vie professionnelle, rural après la retraite, par exemple. Une seule chose est sûre : où qu’il habite, chacun s’attend, non pas à un service public identique, mais à un service public adapté et de qualité. Sans solidarité entre métropole et reste du département, celui-ci pourrait être largement mis à mal.
Par ailleurs, on pourrait s’interroger sur l’importance pour les métropoles de récupérer les compétences aujourd’hui correctement exercées par les conseils généraux. En quoi l’aide sociale, les collèges, les transports scolaires, participent-ils à la réalisation des objectifs de la métropole ? En quoi ces compétences départementales font-elles des villes des espaces plus attractifs, plus innovants, plus créateurs de richesse ?
Ces transferts ne sont en réalité générateurs d’aucune plus-value. Le Sénat a d’ailleurs fait cette analyse en remaniant profondément l’article 23 du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe.
Alors que la loi MAPTAM instituant les métropoles transmettait uniquement, et de plein droit, la voirie départementale, elle renvoyait à des conventionnements d’éventuels transferts de compétences supplémentaires. On peut les imaginer en matière de politique de la ville, par exemple.
Avant modification par notre assemblée, la loi NOTRe prévoyait, quant à elle, le transfert obligatoire de trois des sept groupes de compétences du département visés par la loi MAPTAM. En cas de désaccord, la totalité d’entre eux était transférée de plein droit à la métropole.
C’est en cela que la loi NOTRe pourrait sembler préfigurer une extension de la solution lyonnaise à l’ensemble des métropoles de droit commun. C’est pour cette raison, madame la secrétaire d’État, que je profite de nos discussions d’aujourd’hui pour vous demander de faire de la métropole lyonnaise et du conseil départemental du Rhône non pas un modèle, mais un cas unique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La discussion générale commune est close.
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de lyon
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon.
Article 1er
I. – L’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon est ratifiée.
II (nouveau). – Au premier alinéa et à la première phrase du second alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 précitée, après les mots : « aux communes » sont insérés les mots : « situées sur son territoire ».
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Au III de l’article L. 3642-2 du code général des collectivités territoriales, la référence : « L. 511-1 » est remplacée par la référence : « L. 511-2 ». – (Adopté.)
Article 3 (nouveau)
À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 3651-2 du code général des collectivités territoriales, après les mots : « des infrastructures routières » sont insérés les mots : « situées sur son territoire ». – (Adopté.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de lyon
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de Lyon.
Article 1er
L’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de Lyon est ratifiée.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
I. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 1615-2, après le mot : « communes », est inséré le signe : « , » ;
2° À la première phrase de l’article L. 3662-8, le mot : « tiennent » est remplacé par le mot : « tient ».
II. – À la troisième phrase du sixième alinéa du 1.2.4.1 de l’article 77 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, après les mots : « en 2015 », sont insérés les mots : « par la métropole de Lyon ». – (Adopté.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2014-1335 du 6 novembre 2014 relative à l’adaptation et à l’entrée en vigueur de certaines dispositions du code général des collectivités territoriales, du code général des impôts et d’autres dispositions législatives applicables à la métropole de Lyon.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)
10
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de quatre sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence française d’expertise technique internationale.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission des lois ont été invitées à présenter chacune une candidature.
Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
11
Nomination d’un membre d’un groupe de travail
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour le groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Didier Mandelli membre du groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité, en remplacement de M. Jérôme Bignon, démissionnaire.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
12
Transition énergétique
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (projet n° 16, texte de la commission n° 264 rectifié, rapports nos 263, 236, 237 et 244).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, que j’ai l’honneur de vous présenter et de soumettre à votre discussion, porte une haute ambition pour la France.
Il met en place des outils concrets, pragmatiques et accessibles à chacun, afin de réussir, ensemble, à faire de notre pays une puissance écologique performante qui améliore la vie quotidienne de tous les Français et crée des emplois, tout en contribuant plus efficacement à la lutte contre le dérèglement climatique, dont les menaces n’épargnent aucun continent.
Je tiens à remercier les présidents et les membres des commissions des affaires économiques, du développement durable, de la culture et des finances de la qualité de leur engagement dans la préparation du débat qui s’ouvre aujourd’hui. Je salue évidemment aussi les rapporteurs des différentes commissions, ainsi que les orateurs et chefs de file des groupes, notamment MM. Jean-Pierre Bosino, Jacques Mézard, Didier Guillaume et Ronan Dantec, qui se sont très attentivement penchés sur ce texte.
Vous le savez, le 14 octobre dernier, l’Assemblée nationale a adopté à une large majorité le projet de loi dont vous êtes saisis.
J’attends beaucoup des travaux de la Haute Assemblée pour enrichir les acquis de cette première lecture, au regard des territoires que vous représentez. Nous devons bâtir ensemble les convergences les plus constructives autour d’objectifs d’intérêt général que je crois dignes de nous rassembler en cette année cruciale pour le climat.
Ce projet de loi vise à atteindre cinq objectifs.
Premièrement, réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour reprendre en main notre destin climatique.
Deuxièmement, mieux garantir notre indépendance et notre souveraineté énergétiques en préparant l’après-pétrole et en réduisant le coût de nos importations, qui grèvent lourdement et structurellement notre balance commerciale.
Troisièmement, saisir la chance de la croissance verte pour stimuler l’innovation, améliorer la compétitivité de nos entreprises, développer des activités nouvelles et des filières d’avenir créatrices d’emplois non délocalisables.
Quatrièmement, protéger le pouvoir d’achat et la santé des Français en améliorant leur bien-être ; je pense aux transports propres.
Cinquièmement, et enfin, doter notre pays d’une législation qui serait l’une des plus avancées du monde, car elle serait la plus complète.
Vous le savez, la France se mobilise pour la Conférence Paris Climat 2015, qu’elle accueillera au mois de décembre prochain. Elle doit donc être exemplaire chez elle pour convaincre et entraîner les autres pays. L’ambition de ce projet de loi est de nous en donner les moyens.
Vous allez légiférer dans un domaine où tout se tient et dont les enjeux sont étroitement imbriqués : l’économie et l’écologie, dont le texte qui vous est soumis organise la réconciliation, le changement climatique et la biodiversité, le temps présent et les temps à venir, le local et le global…
Dans ce domaine passionnant, ceux qui réussiront seront ceux qui auront su accélérer à temps ; ceux qui garderont la main sur le frein seront les grands perdants d’une mutation déjà en marche qui se fera sans eux. Mais j’ai confiance dans notre capacité à faire les choix justes. Je vois tous les jours combien le mouvement pour une croissance verte gagne du terrain et combien l’intelligence collective des territoires multiplie les réalisations innovantes et probantes.
Permettez-moi de rappeler brièvement ici dans quelle histoire au long cours s’inscrit le projet de loi dont nous allons débattre. En effet, depuis un siècle, la modernisation de la France a été indissociable des grands choix énergétiques.
Ce fut le cas après la Première Guerre mondiale – il fallait en réparer les ravages –, avec la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique. Cette « houille blanche », comme l’on disait alors, est aujourd’hui encore la première de nos énergies renouvelables.
Ce fut le cas à la Libération, quand le pays était à reconstruire au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Le Conseil national de la Résistance avait alors fait de l’énergie la clef d’un nouveau développement économique et du rétablissement de notre souveraineté nationale. Les lois de 1946 en apportèrent les moyens, dans le contexte de l’époque, avec la création de puissantes entreprises nationales pour le charbon, le gaz et l’électricité.
C’est avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier que l’Europe a commencé à se construire. Dans les années soixante-dix, quand le premier choc pétrolier révéla la vulnérabilité liée à notre dépendance aux énergies fossiles, la France lança un programme nucléaire d’une rapidité et d’une ampleur inégalées dans le monde.
L’association du Parlement à ces grandes décisions fut, reconnaissons-le, très marginale.
Le projet de loi qui vous est présenté rend à la nation la maîtrise de son destin énergétique. Il met dans vos mains la définition de notre politique de l’énergie jusqu’en 2020, 2030 et 2050, avec des programmations pluriannuelles de l’énergie pragmatiques et révisables. Surtout, il associe les territoires, les entreprises et les citoyens, qui auront ainsi la base juridique stable pour voir clair et s’engager.
Durant les dernières décennies, le Parlement a plus souvent légiféré sur les questions d’énergie. Il a de plus en plus intégré la dimension environnementale, qui en est indissociable.
Je tiens à saluer l’action de tous mes prédécesseurs, dont Mme Chantal Jouanno, qui siège au sein de la Haute Assemblée. Quelles qu’aient été leurs sensibilités politiques, toutes et tous ont tracé le sillon. Le travail du Parlement l’a montré, bien des objectifs peuvent être partagés en ces domaines, sans sectarisme, ni considérations étroitement partisanes. Bien des efforts peuvent converger, et l’unité prévaloir.
À cet égard, le Grenelle de l’environnement, qui a été si ardemment voulu par Nicolas Hulot et piloté avec conviction par Jean-Louis Borloo, a été un moment d’une vraie richesse ; l’œuvre qui nous rassemble aujourd'hui s’inscrit dans cette perspective.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien de le reconnaître !
M. Jean-François Husson, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est grâce à Nicolas Sarkozy !
Mme Ségolène Royal, ministre. Il en va de même du débat national sur la transition énergétique. Le présent projet de loi marque une nouvelle étape. Pour le construire, je me suis appuyée sur toutes les parties prenantes de la transition énergétique et sur ce qui se fait de mieux dans nos entreprises et dans nos territoires.
Le 29 janvier dernier, je participais aux Assises de l’énergie à Bordeaux. J’ai constaté la mobilisation des villes, des territoires et de leurs élus de tous bords, ainsi que leur intelligence partagée des enjeux énergétiques et climatiques, leur envie d’agir et d’entraîner le pays tout entier. M. le maire de Bordeaux m’a remis, au nom des acteurs concernés, l’appel des collectivités pour agir vite dans la transition énergétique.
Hier, j’ai rendu publics les noms des 218 lauréats de l’appel à projets « territoires à énergie positive pour la croissance verte ». Je l’avais lancé au mois de septembre 2014 pour aider les initiatives les plus innovantes mettant en pratique et combinant sur le terrain différentes orientations du présent projet de loi : économies d’énergie dans les logements, les bâtiments et l’espace publics ; transports propres ; gestion durable des déchets et économie circulaire ; production locale d’énergies renouvelables ; préservation de la biodiversité et des paysages ; urbanisme durable ; bâtiments à énergie positive, développement de l’éducation à l’environnement et de l’écocitoyenneté.
Je l’avoue, j’ai moi-même été agréablement surprise par le nombre des candidatures reçues : plus de 500 territoires, émanant de 21 000 collectivités et groupements de collectivités de toutes tailles, se sont positionnés.
Ces projets multidimensionnels, localement très fédérateurs, bénéficieront d’un appui renforcé et de financements dédiés, issus notamment du Fonds de financement de la transition énergétique.
Preuve également de cette mise en mouvement dynamique et créative, les 58 lauréats de l’appel à projets « territoires zéro gaspillage, zéro déchet » ou encore les 162 dossiers qui seront accompagnés par les services du ministère de l’écologie dans le cadre des contrats régionaux de la transition énergétique.
Bref, le mouvement est lancé. Notre pays et toutes ses forces vives font preuve d’une belle réactivité. Mesdames, messieurs les sénateurs, les territoires dont vous êtes les représentants me trouveront toujours à leurs côtés pour aller de l’avant. Mais ils attendent une impulsion ; c’est le rôle de la loi que nous sommes en train de coconstruire.
Comment agir efficacement en articulant les enjeux globaux, ceux du changement climatique et de la raréfaction des ressources, et les enjeux locaux, ceux de l’emploi et de la qualité de vie au quotidien ? D’abord en traçant d’abord un cap clair et en donnant au pays un horizon stable pour agir dès maintenant.
C’est pourquoi le projet qui vous est soumis fixe des objectifs à moyen terme. Premièrement, réduire de 50 % notre consommation énergétique finale en 2050 par rapport à 2012. Deuxièmement, baisser notre consommation d’énergies fossiles de 30 %. Troisièmement, réduire de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre en 2030 et les diviser par quatre en 2050. Quatrièmement, rééquilibrer notre modèle énergétique en portant la part des énergies renouvelables à 32 % de notre consommation énergétique en 2030 et en réduisant la part du nucléaire dans la production d’électricité.
Je me réjouis de l’important travail réalisé par les commissions du Sénat en la matière, notamment sur la réduction de notre consommation d’énergie et le rééquilibrage de notre mix énergétique. Je souhaite évidemment une convergence sur les objectifs fondamentaux de ce texte.
Les titres II à IV créent de puissants outils pour économiser l’énergie dans les bâtiments, dans les transports et par le développement de l’économie circulaire.
La rénovation énergétique des bâtiments est prévue au titre II. C’est un levier majeur de créations d’emplois dans un secteur aujourd’hui fragilisé, qui attend impatiemment la mise en œuvre de cette loi. C’est aussi un gain de pouvoir d’achat pour les ménages : un logement bien isolé, ce sont des factures qui baissent ! C’est enfin, avec des bâtiments et des espaces publics moins énergivores, une source d’économies pour les budgets des collectivités locales.
Le développement des transports propres, objet du titre III, est indispensable pour réduire notre consommation d’énergies fossiles, améliorer la qualité de l’air, donc mieux protéger la santé de tous. Le projet de loi prévoit notamment l’acquisition d’au minimum un véhicule électrique ou hybride rechargeable sur deux lors du renouvellement des parcs de voitures dans le secteur public et l’implantation de 7 millions de points de charge d’ici à 2030, avec un objectif de 10 % d’énergies renouvelables dans tous les modes de transport en 2020.
Le titre IV vise à renforcer la lutte contre toutes les formes de gaspillage : il y a là un gisement d’économies dont nous ne mesurons souvent pas l’ampleur.
Dans cet esprit, tous les ministères se doteront dès cette année d’un plan « administration exemplaire », avec un objectif de diminution de la consommation énergétique de 20 % à 30 %.
Le projet de loi consacre l’entrée dans notre droit positif de la notion d’économie circulaire, qui va de l’écoconception des produits à leur recyclage, notamment dans le cadre de complémentarités entre les entreprises, pour faire des déchets des unes la matière première des autres.
Il vise notamment la diminution de moitié, à l’horizon 2025, des déchets mis en décharge et la valorisation de 70 % des déchets du bâtiment, comme c’est déjà le cas en Allemagne. Il affirme le principe de proximité : le traitement des déchets doit s’effectuer aussi près que possible de leur lieu de production.
Le titre V organise la montée en puissance des énergies renouvelables. Éolien, solaire, hydroélectricité, biomasse, géothermie, énergies marines, dont l’énergie thermique des mers qui est actuellement expérimentée dans nos outre-mer : toutes les ressources de nos territoires doivent être valorisées pour diversifier notre bouquet énergétique et créer des emplois non délocalisables.
La France doit devenir un leader de la production d’électricité en mer, en particulier de l’éolien offshore, filière très prometteuse pour notre pays, qui a déjà lancé six grands chantiers en réponse à des appels d’offres du ministère de l’écologie. Nous disposons d’industriels technologiquement très en pointe, et le secteur représente un potentiel, avec à court terme de nombreux emplois directs et indirects ancrés dans les territoires.
Le projet de loi vise à moderniser les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables et à améliorer les procédures d’appels d’offres pour accélérer le mouvement et développer des filières industrielles compétitives dans une perspective d’intégration progressive au marché et d’offensive à l’exportation, où la compétition fait rage. Il tend à renforcer la conditionnalité de l’aide financière apportée aux énergies vertes et à faciliter l’implication des communes et de leurs groupements dans la production locale d’énergies renouvelables, ainsi que le financement coopératif, afin de faire vivre, dans les territoires, une nouvelle citoyenneté énergétique.
Nous aurons des débats sur la question des cultures énergétiques dédiées à la méthanisation. Vos commissions ont souhaité, par exemple, retenir une rédaction plus souple que celle de l’Assemblée nationale, ce qui me semble opportun, au moins à titre transitoire, compte tenu des difficultés économiques que connaît cette filière.
Le texte qui vous est soumis rénove également, ce qui était attendu par de nombreux élus, le régime des concessions hydrauliques, en l’harmonisant à l’échelle des grandes vallées et en créant des sociétés d’économie mixte qui permettront de mieux associer les collectivités territoriales à la gestion des usages de l’eau.
Le titre VI, dont vous avez validé les orientations, renforce la sûreté nucléaire, la transparence et l’obligation d’information des riverains, et plus largement des citoyens. Il prévoit, notamment, que le démantèlement d’une installation interviendra le plus tôt possible après l’arrêt de celle-ci et vise à renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’Autorité de sûreté nucléaire.
Pour accélérer le tournant de la croissance verte, le titre VII clarifie et simplifie les procédures, afin de gagner en efficacité et en compétitivité. Il complète le dispositif du marché de capacité et rend plus transparente la méthode de construction des tarifs règlementés de vente de l’électricité et les règles d’utilisation des réseaux publics d’électricité, pour inciter aux investissements nécessaires et à l’amélioration de la qualité du service. Enfin, il tient compte des spécificités des entreprises électro-intensives, afin de mieux protéger leur compétitivité. Ces sujets feront débat entre nous.
Je crois toutefois possible que nous parvenions à un bon compromis sur la question des implantations d’éoliennes, par exemple, en permettant d’associer efficacement les territoires à leur développement sans ralentir le rythme des projets, tout en protégeant le patrimoine architectural et paysager de notre pays.
Pour donner aux citoyens, aux collectivités et à l’État le pouvoir d’agir ensemble dans la même direction, le titre VIII crée de nouveaux instruments de programmation cohérente de l’énergie et de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, à l’échelle locale et nationale : budgets carbone, stratégie nationale bas carbone et programmation pluriannuelle de l’énergie.
Le projet de loi améliore la gouvernance de la contribution au service public de l’électricité, afin de mieux en maîtriser les charges et de faciliter le contrôle du Parlement. Votre commission des finances soulève sur cette contribution des questions légitimes, auxquelles je m’efforcerai de répondre lors de la discussion des articles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est soumis renforce les instruments de pilotage du nouveau modèle électrique dont dispose l’État, en plafonnant à son niveau actuel notre capacité de production nucléaire et en instaurant pour tout exploitant produisant plus du tiers de la production électrique nationale un plan stratégique précisant les actions qu’il s’engage à mettre en œuvre pour respecter les objectifs de diversification de la production électrique inscrits dans notre programmation pluriannuelle de l’énergie, dont vous maîtriserez la montée en charge.
Si le niveau et le rythme du plafonnement ne font pas consensus encore entre nous, son principe n’est toutefois pas mis en cause. Nous disposons là d’une bonne base pour discuter ensemble et échanger nos idées.
Plusieurs articles renforcent le rôle des territoires dans la transition énergétique et reconnaissent un droit à l’expérimentation de boucles locales fédérant les producteurs et les consommateurs dans le cadre d’une production décentralisée de l’énergie, ainsi que la possibilité d’un déploiement expérimental de réseaux électriques intelligents, dans une perspective de développement de l’autoconsommation ou de construction de villes et de quartiers intelligents, avec tous les savoir-faire que la France doit pouvoir développer.
Ce titre prévoit également la création d’un « chèque énergie » traitant équitablement l’ensemble des énergies pour lutter contre la précarité énergétique. Je salue d'ailleurs les améliorations apportées par la commission des affaires économiques du Sénat à ce dispositif qui est très attendu.
Enfin, le projet de loi reconnaît pleinement la spécificité et le potentiel des outre-mer : les difficultés résultant de la non-interconnexion nous poussent à innover et peuvent se transformer en avantages pour que les territoires ultra-marins deviennent l’avant-garde de la transition énergétique et mettent le cap sur une autonomie énergétique fondée sur leurs propres sources renouvelables. Dans ces territoires où le chômage frappe durement, puisqu’il atteint 40 %, voire 50 % des jeunes, ces nouvelles filières constituent évidemment des atouts majeurs en termes de création d’activités et d’emplois non délocalisables.
Dans cette perspective, il s’agit non plus, pour les outre-mer, de « rattraper » un modèle à bout de souffle, mais, au contraire, d’anticiper et même de devancer, grâce à la valorisation de leurs atouts, le changement de modèle dont la croissance verte doit être le moteur dans tout le pays.
Dans des territoires où un jeune sur deux est aujourd’hui sans activité, je crois profondément qu’un tel changement de regard et d’approche permettra de créer des activités nouvelles, des emplois durables et un nouvel espoir.
J’en viens aux moyens que le Gouvernement entend consacrer à ces priorités. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
On me dit parfois que la transition énergétique coûterait trop cher. Il me semble que c’est plutôt l’inaction qui serait onéreuse ! Souvenez-vous, par exemple, des inondations qui ont touché notre pays et qui ont fait plusieurs victimes dans nos régions, y compris dans la mienne, en Poitou-Charentes-Pays de la Loire, une région qui a payé un lourd tribut au dérèglement climatique.
Dans le monde entier, d’ailleurs, les acteurs économiques commencent à prendre pleinement conscience de la difficulté. Je participais en septembre dernier au sommet mondial de l’Organisation des Nations unies, à New York, et j’ai été frappée de voir avec quelle énergie – si j’ose dire ! – des pans entiers du monde industriel et des affaires américains s’engagent désormais dans l’économie verte, où ils pèseront de tout leur poids. Nous ne pouvons pas être en retard sur ce mouvement.
En réalité, ils ont fait leurs comptes et ont compris que l’inaction a et aura un coût infiniment supérieur à celui de la transition énergétique. Le dérèglement climatique et la multiplication des événements météorologiques extrêmes menacent les infrastructures côtières et risquent de causer des pertes considérables.
Les acteurs économiques sont de plus en plus nombreux à comprendre que la croissance verte, qui réconcilie économie et écologie, devient un gisement d’innovations technologiques et de production de richesse. Le cinquième apport du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou le rapport sur la nouvelle économie climatique de Lord Stern et Felipe Calderón, l’ancien président mexicain, disent la même chose.
J’entends aussi, parfois, que les moyens ne seraient pas au rendez-vous. Eh bien si, les moyens sont là ! À nous de nous en saisir.
Pour les particuliers, le Gouvernement a créé, et vous avez voté, un crédit d’impôt pour la transition énergétique, simplifié, renforcé et élargi par la loi de finances pour 2015, qui permet de financer jusqu’à 30 % du montant des travaux d’isolation.
Par ailleurs, nous avons prévu la simplification et le déblocage de l’écoprêt à taux zéro, qui pourra bénéficier à 100 000 opérations de rénovation pour cette année. Le financement de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH, a été complété. La mise en place, pour ceux qui ne peuvent faire l’avance du financement des travaux, du tiers financement, à partir du vote de cette loi et de l’expérience des régions pionnières, permettra aux particuliers d’engager leurs travaux.
Pour les entreprises, la Banque publique d’investissement assumera pleinement ses responsabilités de banque de la transition énergétique, notamment avec les prêts verts aux entreprises qui ont des projets de réduction de leur consommation d’énergie.
Pour les collectivités territoriales, les prêts « transition énergétique et croissance verte » de la Caisse des dépôts et consignations sont disponibles depuis le 1er août dernier, avec une enveloppe de 5 milliards d’euros pour des prêts à un taux de 1,75 %, sans apport des collectivités et remboursables en quarante ans.
La Banque européenne d’investissement, dont j’ai pu apprécier l’efficacité comme partenaire des projets de la région Poitou-Charentes, mobilise également un milliard d’euros pour les travaux de rénovation énergétique dans les collèges, en soutien des départements.
Enfin, le fonds de financement de la transition énergétique est aujourd’hui opérationnel. Logé à la Caisse des dépôts et consignations, il est doté de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, une somme issue des certificats d’économies d’énergie, du programme des investissements d’avenir et des dividendes du secteur de l’énergie.
Ce fonds financera directement dans les territoires les actions des lauréats des appels à projets et permettra l’engagement rapide des travaux, au bénéfice de la filière bâtiment, des entreprises et des artisans du secteur, qui attendent avec impatience l’ouverture des marchés publics pour les travaux sur les bâtiments publics, les bâtiments privés, les logements sociaux et les logements des particuliers. Les moyens existent donc et certains sont déjà mis en place. Il était très important qu’ils soient stabilisés au moment où le Sénat examine ce texte.
Ce projet de loi, je tiens à le souligner, est l’aboutissement d’un dialogue renforcé avec les élus que vous êtes, mais aussi avec les associations, les scientifiques, les entrepreneurs et les artisans des filières de la croissance verte, ainsi que les membres des organismes consultatifs, en particulier le Conseil national de la transition écologique et le Conseil économique, social et environnemental.
Je souhaite que vos travaux et les propositions de vos rapporteurs, avec lesquels nous avons noué de fructueuses relations de travail au cours des dernières semaines,…