M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Corinne Bouchoux. Pour toutes ces raisons, nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, que vous pourrez répondre à nos inquiétudes et, surtout, nous dire quand interviendra une véritable réforme de la DGF, qui permettrait aux conseils départementaux d’avoir une vision stabilisée. Si nous nous réjouissons de l’instauration du ticket qui permettra – c’est au moins la vertu de cette élection – d’avoir plus de femmes au sein des exécutifs des conseils départementaux, nous ne pouvons toutefois que relever cette évidence : la France est l’unique pays au monde où des candidats, qui seront élus dans trois semaines, ne savent que dire à leurs électeurs ! Nous devons nous contenter de : « votez pour moi, j’ai de beaux projets et de bonnes idées, mais je ne sais pas exactement ce que je ferai pour vous. »
M. Antoine Lefèvre. C’est un scandale !
Mme Corinne Bouchoux. Face à une situation aussi compliquée, nous souhaitons bénéficier, monsieur le secrétaire d’État, de votre éclairage. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP.)
MM. André Reichardt et Antoine Lefèvre. Très bien ! Bravo !
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. La situation financière des départements mérite bien d’être débattue au Sénat, tant elle est aujourd’hui alarmante. C’est un sujet majeur pour les habitants, l’activité économique et les territoires.
Depuis des années, les élus locaux, par le biais de leurs associations, notamment l’Assemblée des départements de France, ne cessent de dénoncer l’effet ciseaux résultant de l’écart croissant entre les dépenses et les recettes budgétaires.
Depuis des années également, l’État, contrairement à l’esprit des dispositifs de décentralisation, ne compense plus intégralement les transferts de compétences. Dans le même temps, les dispositions mises en œuvre par les différents gouvernements n’ont cessé de réduire l’autonomie financière des collectivités, particulièrement celle des départements, au point de les enfermer dans un carcan qui les fragilise durablement.
Aujourd’hui, la contribution de 11 milliards d’euros imposée aux collectivités territoriales dans le cadre du plan de réduction de 50 milliards d’euros de la dépense publique, s’ajoutant aux réductions déjà décidées en 2014, conduit tout particulièrement les départements dans une impasse financière généralisée.
Les études, évaluations et projections menées récemment, que ce soit par les membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, à la fin de l’année 2014, ou par l’ADF, début 2015, pour ne citer que ces deux structures, en attestent : toutes constatent des détériorations déjà visibles, et évoquent, démonstrations à l’appui, des situations financières « insoutenables » à court terme.
D’ores et déjà, certains départements ou communes ne sont pas encore parvenus à équilibrer leur budget pour 2015, ou le font au prix d’une remise en cause drastique de services publics utiles aux habitants.
Dans ce contexte de régression des dotations de l’État, les départements sont particulièrement touchés par la conjonction de trois facteurs.
Il s’agit, d’abord, de l’évolution des allocations individuelles de solidarité, dont l’État a confié la charge aux départements, sans que ces derniers disposent d’une quelconque marge de manœuvre, puisque ces allocations relèvent de normes nationales. Parmi celles-ci, le RSA connaît une progression considérable, qui suit celle du chômage, tandis que se creuse davantage encore l’écart entre le montant de cette allocation et les compensations financières de l’État.
La croissance, en 2013, de la charge nette de l’allocation RSA pour les départements est saisissante. L’Observatoire national de l’action sociale décentralisée en témoigne : « Concrètement, la charge restant à financer par les départements après compensation de l’État s’élève à 2,3 milliards d’euros en 2013, alors qu’elle était de 1,5 milliard d’euros l’année précédente. »
Nous ne disposons pas encore des données nationales pour 2014. Mais, dans le Val-de-Marne, le versement du RSA a connu l’an dernier une augmentation de 17 millions d’euros, soit plus de 8 %, passant de 192 millions d’euros à 209 millions d’euros. L’écart entre les allocations versées et les compensations de l’État a dépassé les 90 millions d’euros. Au total, le montant cumulé annuellement des non-compensations de l’État des allocations individuelles de solidarité atteint la somme de 672 millions d’euros, soit le même ordre de grandeur que l’encours global de la dette du département.
Deuxième facteur de tension, une part non négligeable des recettes des départements s’appuie sur des ressources fragiles, car dépendantes de la conjoncture, et de surcroît difficiles à anticiper. Il s’agit des droits de mutation, de la taxe d’aménagement et de la CVAE.
Cette dernière, créée en remplacement de la taxe professionnelle, s’avère particulièrement inéquitable et imprévisible. Elle est inéquitable à l’égard des entreprises elles-mêmes, car elle a très peu bénéficié aux PME et TPE. Si elle a permis une économie globale de quelque 6 milliards d’euros, ce sont principalement les grandes entreprises qui ont été gagnantes. Elle est aussi inéquitable à l’égard des territoires : inégalement répartie, elle représente selon les départements un apport de 37 euros à 400 euros par habitant, soit un rapport de un à dix.
Enfin, les diverses réformes intervenues ont progressivement privé nos départements de leur autonomie fiscale. C’est particulièrement marquant depuis la réforme, en 2011, de la taxe professionnelle, puisque ces collectivités ne disposent plus désormais que du levier du taux de la taxe foncière sur le bâti.
Aujourd’hui, de très nombreux départements sont en grande difficulté budgétaire, y compris pour assumer leurs seules compétences obligatoires. Il est par conséquent urgent de réorienter les choix présidant aux dangereuses évolutions annoncées.
Car à quoi tout cela conduit-il ? Certainement pas à un redressement des comptes publics de la nation ! La réalité démontre que les coupes sombres déjà opérées sur les finances des collectivités n’ont pas empêché la dégradation des finances publiques et de la dette.
Cela ne conduit sûrement pas non plus à une amélioration des finances des collectivités. Celles-ci, faut-il le rappeler, sont globalement saines : leur budget est obligatoirement équilibré et leur endettement est à ce jour marginal par rapport à celui de l’État. En revanche, leurs lourdes contraintes budgétaires tendent à dégrader rapidement leur taux d’épargne brut et leur capacité de désendettement, les menant au risque du surendettement et du déséquilibre.
Cela ne conduit pas davantage à une amélioration de la situation économique : actuellement, la plupart des collectivités se trouvent dans l’obligation de réduire non seulement l’emploi public, mais aussi l’investissement, affectant gravement l’activité du secteur du BTP, notamment, dans lequel des centaines de milliers d’emplois sont en jeu.
Enfin, tout cela ne favorise pas le déploiement et l’efficacité des services publics de proximité. L’augmentation du chômage et de la précarité tout comme la dégradation du pouvoir d’achat de nombreuses familles appellent non pas la réduction de services, mais plus de solidarités, d’initiatives et d’innovations publiques.
C’est donc bien la question d’une réorientation radicale des choix politiques et budgétaires qui est posée, pour préserver les capacités d’action de nos départements, dont peu de monde conteste aujourd’hui l’utilité sociale et économique.
Ainsi, le RSA constitue pour les départements une charge financière particulièrement lourde. En même temps, ces derniers n’apportent ni plus-value ni visibilité aux bénéficiaires de cette allocation. Dès lors, pourquoi l’État n’en reprendrait-il pas intégralement la gestion ?
S’agissant des recettes, la redéfinition d’un impôt économique plus juste et plus transparent pourrait être engagée. Encourageant l’emploi et le développement solidaire des territoires, il pourrait être modulé en fonction de la masse salariale et de la valeur ajoutée de l’entreprise.
Par ailleurs, le principe de la libre administration des collectivités appelle le rétablissement de leur autonomie fiscale.
En outre, rappelons que les contraintes imposées aux collectivités pourraient être largement compensées par des dispositifs de justice fiscale, parmi lesquels l’instauration d’une taxe de 0,5 % sur les actifs financiers qui rapporterait 30 milliards d’euros.
D’autres propositions mériteraient bien entendu d’être étudiées. Quoi qu’il en soit, elles dépendent de choix dont les fondements politiques peuvent se révéler opposés. Soit l’État s’acharne, sous la pression de la Commission de Bruxelles, à s’inscrire dans le processus dévastateur de réduction de la dépense publique et conforte le système actuel, qui pèse fortement sur les départements et les oblige à sacrifier leurs politiques publiques, malgré quelques mesurettes marginales. Soit s’affirme la volonté, responsable mais résolue, de faire de l’action et des investissements publics les leviers de la relance économique, de la satisfaction des besoins humains et du développement des territoires. Une telle orientation suppose l’existence de collectivités de proximité fortes et reconnues dans leur existence, leurs compétences et leurs ressources. C’est particulièrement vrai pour les départements, dont les missions sont au cœur des cohésions sociales et territoriales.
Mon groupe s’inscrit avec détermination dans cette seconde hypothèse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Je commencerai mon propos en évoquant la situation de mon département, notamment la façon dont y sont traités les phénomènes climatiques. Le massif pyrénéen a connu des épisodes neigeux et le conseil général ainsi que les services du département sont immédiatement intervenus pour rétablir la circulation. Un village ayant été coupé du monde extérieur du fait d’un glissement de terrain, les quelques habitants prisonniers ont pu rapidement regagner la vallée pour se ravitailler, grâce à la proximité des services du département. Celle-ci est indispensable pour ce qui concerne non seulement les routes, notamment en cas de déneigement, mais aussi l’aide sociale.
Si l’aide sociale a été généreusement confiée au département, personne d’autre ne souhaitant exercer cette mission, au nom de quelle logique le Gouvernement a-t-il décidé d’attribuer la compétence des routes à la région, surtout lorsque celle-ci s’étend de Gavarnie aux contreforts des Cévennes ?
En la matière, et surtout dans le cadre de dérèglements climatiques, l’efficacité ne se mesure qu’à une capacité extrêmement rapide d’intervention liée à une bonne connaissance du terrain. Comment demander à quelqu’un se trouvant à Toulouse ou Montpellier de connaître parfaitement les vallées pyrénéennes ? La proximité et l’efficacité permettent donc des actions positives, qui sont reconnues.
De la droite à la gauche, on nous dit unanimement que les départements fonctionnent bien. Certes, moi qui ai connu la décentralisation Defferre, je peux vous assurer, mes chers collègues, qu’il leur a fallu un certain nombre d’années pour se mettre « au goût du jour ». Dès lors, pourquoi détruire quelque chose qui fonctionne bien ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Telle est bien la question !
M. François Fortassin. Quelle logique a bien pu présider à une telle aberration ?
À titre personnel, je ne suis certes pas concerné, puisque, après avoir exercé un mandat pendant trente-six ans, j’ai décidé de ne pas me représenter. Toutefois, je me demande quels propos pourront tenir les malheureux candidats aux élections départementales à leurs concitoyens durant la campagne électorale. Mis à part affirmer qu’ils feront pour le mieux, ils ne pourront pas dire davantage, dans la mesure où les compétences ne sont pas encore définitivement déterminées et où la réforme ne comporte aucune ligne directrice. En tout cas, pour ma part, je ne l’ai pas vue !
Je ne résisterai pas au plaisir de vous rappeler, mes chers collègues, certaines déclarations assez cocasses. Ainsi, voilà encore très peu de temps, Mme Lebranchu déclarait que les départements avaient toute leur pertinence et qu’il était indispensable de les conserver. Seulement, une fois l’automne passé et les feuilles mortes envolées, nous avons vu un changement d’attitude extrêmement net, qui est loin de nous satisfaire.
Cela étant, les orateurs précédents l’ont indiqué, la situation financière des départements est catastrophique, non pas parce que les départements n’auraient pas procédé à une gestion pertinente, mais tout simplement parce que l’État n’est plus au rendez-vous d’un certain nombre de dépenses qu’il nous impose – relevons la baisse des dotations sur la période allant de 2014 à 2017.
L’épargne brute a connu une érosion continue ; elle est même négative dans certains départements. La baisse des dotations entraîne elle aussi une dégradation extrêmement importante. Enfin, la capacité de désendettement, qui s’échelonnait sur trois ans environ il y a encore peu de temps, s’étalerait, selon les expertises, sur dix-sept années en 2018. À ce niveau, la faillite n’est pas loin !
De vives inquiétudes se font donc jour : les associations d’élus, notamment départementaux, et la Fédération nationale des travaux publics ont récemment demandé au Gouvernement la tenue dans les plus brefs délais des assises de l’investissement public local. En effet, ne l’oublions pas, dans notre pays, les collectivités territoriales assurent l’essentiel de l’investissement, qui se traduit par des emplois pérennes.
M. Antoine Lefèvre. On l’oublie un peu effectivement !
M. François Fortassin. Seulement, encore faut-il qu’elles puissent investir !
Je conclurai en abordant un point, qui peut-être est le plus important – je l’ai évoqué tout à l’heure : la difficulté pour les candidats aux élections départementales à faire campagne sans savoir exactement ce qu’ils ont dans leur besace. Que pourront répondre demain les conseillers généraux, bientôt départementaux, qui sont en permanence sur le terrain, au moins dans les zones rurales, à leurs concitoyens qui les interrogent ? Ils vont perdre à la fois en autorité, en crédibilité, voire en dignité.
Monsieur le secrétaire d’État, je sais que vous êtes un spécialiste de la question départementale, alors empressez-vous de nous donner la ligne directrice qui a guidé l’action du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. À quelques jours des élections départementales, ce débat a le mérite d’être pleinement d’actualité. Malheureusement il est également tronqué ! En effet, on ne sait pas de quoi on parle ! Les charges qui incomberont aux conseils départementaux sont, à l’heure actuelle, inconnues. Le projet de loi NOTRe est encore en pleine discussion, et je n’ose imaginer qu’il en reste à la version issue des travaux de la Haute Assemblée, tellement nos collègues députés l’ont modifié.
Les véritables objectifs du Gouvernement restent flous. Monsieur le secrétaire d'État, au mieux, vous ne savez pas où vous allez, au pire, vous cachez aux Français une nouvelle fois votre véritable finalité, que l’on sait dictée par Bruxelles, à savoir faire disparaître les départements. Cette mesure figurait d’ailleurs dans la première version du projet de loi précité.
Seulement, comme vous avez compris que les Français étaient attachés à cet héritage et que vous n’auriez certainement pas la capacité de modifier la Constitution, vous avez changé de stratégie et choisie une façon plus sournoise d’arriver à vos fins : d’un côté, vous enlevez des compétences aux conseils départementaux – on ne sait pas encore lesquelles, mais, si j’en crois les discussions en cours à l’Assemblée nationale, elles seront nombreuses –, de l’autre, vous diminuez drastiquement les dotations financières de ces mêmes instances.
Ainsi, les conseils départementaux, ayant moins de responsabilités, beaucoup moins de moyens financiers, vont perdre de leur pouvoir, de leur capacité de faire de la politique au sens premier du terme. En résumé, ils vont devenir une coquille vide, qu’il sera ensuite facile de faire disparaître.
Or le département est un marqueur de l’identité française, un outil de proximité, de solidarité, de services publics. Il constitue aussi un moyen de maintenir un équilibre dans la diversité du territoire français entre la ruralité et l’urbanité.
Pour en revenir à la question des finances, en coupant les vivres aux départements au motif de réaliser des économies – je le souligne en passant, elles sont rendues nécessaires du fait des politiques désastreuses que vous avez mises en place depuis des années – vous les empêchez de mener les politiques de proximité qui manquent tant aux Français.
Il est clair que les conseils départementaux peuvent faire des économies, je pense notamment aux dépenses de communication et subventions en tout genre qui servent plus souvent le clientélisme que le bien commun. Un peu moins de communication et plus d’action : voilà un programme que nous souhaitons mettre en œuvre dans les départements !
Il faut également lutter contre la fraude dont sont victimes les départements en tant que distributeur de nombreuses prestations sociales, notamment pour ce qui concerne l’attribution du RSA.
Malgré ces pistes d’économies, la situation financière des départements, due, d’une part, à une mauvaise gestion des deniers publics par vos amis, et, d’autre part, à la baisse des dotations de l’État, contraindra ces collectivités de proximité à diminuer leur investissement, ce qui affectera fortement le tissu de PME qui maille notre territoire. Mais c’est sans doute ce que vous cherchez ! Favoriser les grandes régions sans identité, favoriser les métropoles sans les campagnes, favoriser les grands groupes sans les PME !
La situation financière des conseils départementaux est difficile, mais, fait plus grave, il en est de même de la situation tout court des conseils aujourd’hui généraux, demain départementaux ! Sur pression de Bruxelles, ils sont sur la sellette !
Nous sommes viscéralement attachés au triptyque communes-départements-État, et nous luttons contre votre vision UMPS intercommunalités, grandes régions, Union européenne. Il faut cependant le reconnaître, dans la Haute Assemblée, mes chers collègues, vous êtres heureusement nombreux, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, à partager notre vision !
Au moins, on peut dire, monsieur le secrétaire d'État, que vous êtes pour une fois clairvoyant et cohérent, étant donné la claque électorale que vous êtes sur le point de prendre aux élections départementales, puisque vous supprimez les départements ! C’est une curieuse conception de la démocratie représentative, mais cela illustre bien votre absence de vision pour la France, ou plutôt votre vision dictée par Bruxelles ! Prenez garde, à ce rythme vous allez bientôt être obligé de faire disparaître toutes les institutions !
M. le président. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel.
M. Guy-Dominique Kennel. Je crains d’être redondant eu égard aux interventions précédentes, mais les départements vont mal, très mal ! Aujourd’hui, ils lancent un véritable appel au secours ! Ils sont le reflet de la triste réalité de notre pays. Eux, à qui l’on a confié la charge des solidarités territoriales et sociales, sont en passe de ne plus pouvoir assumer leur rôle naturel d’amortisseur social de la crise, parce que, paradoxalement, l’État se refuse à faire jouer la solidarité nationale.
Si seuls quelques conseils généraux étaient touchés par ce phénomène, on pourrait parler de mauvaise gestion. Seulement aujourd’hui, ce sont l’essentiel des départements qui connaissent des difficultés. Par conséquent, nous sommes face à un problème structurel des finances départementales qui mérite une réponse globale.
Comme l’ensemble de mes collègues présidents de conseil général, je suis tout à fait disposé à contribuer à l’effort de redressement des comptes de la nation en adaptant mon budget à la raréfaction de l’argent public. Encore faut-il que nous en ayons les moyens ! Or, monsieur le secrétaire d'État, nous ne les avons plus ! La dévitalisation que vous souhaitiez est en bonne voie. J’en veux pour preuve un certain nombre d’indicateurs qui ne cessent de se dégrader.
Depuis le début de la crise, face aux dépenses de solidarité qui ont explosé, l’épargne nette des départements n’a cessé de baisser. Alors qu’elle était, à l’échelon national, de 4 milliards d’euros en 2013, elle tombe à 1 milliard d’euros en 2015, et est estimée à moins de 8 milliards d’euros en 2020. Pour mon département, j’enregistre une perte d’épargne nette de 54 millions d’euros, soit la moitié de l’épargne figurant au budget prévisionnel de 2014. Je pense que ce constat n’est pas isolé au plan national.
Vous comprendrez aisément que cela met en péril notre capacité à financer des opérations d’investissement, et, par conséquent, à jouer un rôle actif de donneur d’ordre pour l’économie locale. Ainsi, des milliers d’emplois, notamment dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, sont menacés par l’absence de marché, lancé soit directement par les départements, soit par les collectivités locales qui renoncent à leur projet, faute de subventions départementales.
Pour limiter ce phénomène, de nombreux départements ont fait le choix de maintenir un niveau élevé d’investissement en recourant à des emprunts, mais cette situation n’est pas viable dans le temps, car ces collectivités s’endettent pour soutenir l’économie locale. Le délai de désendettement est passé de 4,6 années en 2013, à 8,8 années en 2015, et il est estimé à 24 années en 2016. Si je prends le Bas-Rhin comme illustration de mon propos, ce délai est passé de 5,3 années en 2013 à 7,6 années en 2014, et encore ne s’agissait-il que de maintenir un investissement autour de 200 millions d’euros par an. Aujourd’hui, je ne veux pas obérer l’avenir, et j’estime que le délai de huit années ne doit pas être dépassé, ce qui conduit à diviser malheureusement par deux un investissement pour 2015. Imaginez les conséquences !
C’est donc l’équilibre même des budgets départementaux qui est menacé. Nous sommes dans une situation d’insolvabilité latente face, d’un côté, à des dépenses de solidarité qui explosent et à des charges incompressibles, et, de l’autre, à des recettes qui fondent année après année. En témoigne l’autonomie fiscale des départements qui n’a cessé de diminuer ; celle de mon département est passée de 77 % en 2006 à moins de 44 % aujourd’hui.
Facteur aggravant, le taux de couverture par l’État du reste à charge des dépenses sociales est en diminution constante : il s’établit cette année à 45 % dans le département du Bas-Rhin, alors qu’il était encore de 65 % en 2007, soit 162 millions d’euros à prendre sur mon propre budget cette année, et plus de 900 millions d’euros depuis 2008. C’est tout simplement inacceptable et insupportable ! Mais cette situation, pour être alarmante, ne doit pas devenir désespérée. Je veux rester positif : si l’État ne veut pas asphyxier financièrement les départements et veut leur conserver un rôle éminent d’opérateur économique local, il peut, je crois, encore le faire. Seulement, en a-t-il la volonté ? Vous nous le direz peut-être, monsieur le secrétaire d'État.
Pour cela, l’État dispose de quelques leviers, qui pourraient permettre d’inverser la tendance et de redonner au département les marges de manœuvre qui ont été les siennes et qui lui ont permis de jouer pleinement son rôle d’aménageur et de garant des solidarités territoriales.
Je souhaite faire en cet instant plusieurs propositions.
La première d’entre elles consiste à revoir le partage de l’effort de redressement des comptes publics. Il faut déduire les charges supportées par les départements au titre des allocations individuelles de solidarité de l’assiette des recettes départementales prises en compte. Cela permettrait de donner de l’air aux finances des conseils généraux, qui pourraient alors se désendetter tout en programmant de nouveaux investissements.
La deuxième de mes propositions vise à revenir sur un principe bafoué par tous les gouvernements durant ces dernières années : celui de la compensation des dépenses de solidarité envers les plus fragiles de nos concitoyens.
Dans le Bas-Rhin, le nombre de ceux-ci est passé de 15 000 en 2008 à 35 000 en 2015. L’absence – toujours plus pesante – de compensation de ces dépenses obligatoires par l’État nous oblige à puiser davantage dans notre propre budget pour financer une charge que nous acquittons au titre de la solidarité nationale.
Aussi ne me semble-t-il pas déraisonnable de demander la compensation intégrale des dépenses liées à la seule prise en charge des bénéficiaires du RSA, afin de permettre aux conseils généraux de jouer leur rôle en termes de solidarités aussi bien sociales que territoriales. À défaut, laissons l’État-décideur reprendre à son compte la mise en œuvre du RSA.
Ma dernière proposition permet d’aller un peu plus loin en matière de décentralisation des compétences, dont chacun s’accorde à dire qu’elle permet un meilleur exercice des responsabilités publiques, du point de vue tant de la proximité que de l’efficacité.
Ainsi, l’État pourrait utilement confier aux départements non plus seulement la charge des allocations individuelles de solidarité, mais aussi la définition des normes et des barèmes qui en régissent l’attribution. La disparité entre territoires ne justifie pas toujours un traitement centralisé et uniforme de la mise en œuvre et du calcul de ces allocations. L’adaptation à la situation locale permettrait de garantir un service public de meilleure qualité au juste coût.
Dans la mesure où les départements sont les principaux financeurs, il est logique qu’ils soient également les principaux décideurs. À moins qu’il faille tirer un trait sur trente ans de décentralisation en redonnant à l’État la maîtrise de l’ensemble des compétences sociales déléguées, avec la certitude – avérée – qu’il n’est pas en mesure de les exercer…
Là est le véritable problème des départements, qui sont pris en otage. C’est non pas la hausse des impôts qui leur permettra d’assurer pleinement leur mission de service public de proximité, mais bien la maîtrise de la gestion de leur propre politique sociale.
Telles sont, mes chers collègues, les trois propositions dont je tenais à vous faire part. Je crois qu’elles sont aujourd’hui partagées par bon nombre d’élus départementaux de toutes sensibilités.
Monsieur le secrétaire d’État, la situation est très grave, n’attendez pas qu’elle soit désespérée ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé.
M. Vincent Eblé. Ce débat, souhaité par la majorité sénatoriale, est utile pour rappeler le contexte dans lequel évoluent les départements français depuis de nombreuses années, singulièrement depuis les lois dites « de décentralisation » de 2004, soutenues par notre éminent collègue de la Vienne, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre.
En 2004, mes chers collègues, mon voisin seine-et-marnais et néanmoins ministre chargé du budget, Jean-François Copé, rappelait devant le Parlement que les transferts de charges se feraient à l’euro près. Je crois pouvoir dire que nous avons unanimement constaté combien cela s’est révélé inexact.
Il faut bien admettre aujourd’hui que les lois de 2004 portent en elles le germe de la lente asphyxie des départements, asphyxie que nous n’avons cessé de dénoncer ces dernières années, alors même que, sur les travées de droite, on expliquait parfois doctement que les difficultés que nous pointions du doigt n’étaient que le fruit de notre gestion hasardeuse.
Je ne ferai pas ce procès à nos collègues présidents de département de droite, lesquels se plaignent désormais avec véhémence de ne plus pouvoir boucler leurs propres budgets.
Je ne vous ferai pas de mauvais procès non plus, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, pour avoir proposé la tenue de ce débat aujourd’hui, à quelques jours du premier tour des élections départementales, tant nous savons, sur ces travées, que nos douleurs départementales ne sont pas nées de la victoire de la gauche en 2012.
Nous avons tous fait des efforts pour financer des dépenses de solidarité utiles, mais imposées – j’y reviendrai. Vous en avez fait, à droite de l’hémicycle, dans vos départements ; nous en avons fait, à gauche, dans les nôtres. Cela s’est traduit – chacun le sait – par la remise en cause de certaines politiques innovantes et volontaires, par une réduction, parfois sensible, des investissements, par des efforts de gestion incontestables en termes de frais généraux et de dépenses de personnel, alors même que s’abattait sur nos collectivités un véritable effet de ciseaux, lui-même amplifié par certaines décisions prises lors du précédent quinquennat visant, entre autres, à remplacer une taxe dynamique, la taxe professionnelle, par une autre qui ne l’est pas, la CVAE.
Mais nous ne sommes pas là pour refaire le match sur la pertinence de cette réforme fiscale : chacun sait qu’elle a eu des effets bénéfiques pour les plus grosses entreprises de notre pays et négatifs pour les PME, notamment artisanales et de services.
Venons-en au point majeur, à l’origine des maux des départements. Il s’agit d’une spécificité tout à fait inédite au sein des collectivités françaises et européennes : les départements sont les seules collectivités librement administrées, dont les représentants sont élus au suffrage universel, assumant financièrement une charge lourde dont elles ne fixent ni le montant ni les modalités d’attribution. Je veux bien entendu parler du RSA.
À partir du moment où cet élément majeur de la solidarité nationale n’est pas pris en charge par l’État, les finances des départements sont mises à mal, et plus encore en période de crise.
Depuis les transferts de l’APA, de la PCH et surtout du RSA, les départements ont permis à l’État de réaliser 55 milliards d’euros d’économies, mes chers collègues. Voilà qui a failli porter le coup de grâce à nombre d’entre eux, de gauche comme de droite.
Dès la fin 2012, l’ADF a obtenu du Gouvernement qu’il mette en œuvre un mécanisme permettant aux départements les plus menacés de boucler leur budget. Ce pacte de confiance s’est traduit, en 2013, par le transfert des frais de gestion de la taxe sur le foncier bâti, désormais perçue par les départements, et par la possibilité ouverte de porter à 4,5 % le taux des droits de mutation à titre onéreux dont se sont saisis quatre-vingt-onze des cent un départements, qu’ils soient de gauche ou de droite.
À cela s’est ajouté un fonds de solidarité entre départements visant à « corriger » les inégalités de reste à charge des trois allocations de solidarité, alimenté par un prélèvement sur le produit des DMTO.
Le fonds de compensation péréquée, alimenté par le produit des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties – la TFPB –, est venu compléter ce dispositif, ce qui a permis de ramener à 22 % les écarts à la moyenne de reste à charge des AIS.
Ces dispositions, certes conjoncturelles, constituent un premier pas. Toutefois, comme le montrent toutes les études, les départements sont ou seront plongés dans des impasses budgétaires d’ici à trois ou cinq ans. La future réforme doit donc être structurelle. J’en profite d’ailleurs pour souligner le travail fructueux du Sénat qui en a défendu toutes les spécificités, toutes les aspérités et même toutes les grâces dans le cadre du débat sur les compétences territoriales. Cela était justifié, et je pense que nous avons collectivement été entendus par le Gouvernement.
S’agissant de la question des finances, je vous accorde que les choses ne sont pas encore réglées. Il va falloir que l’État joue son rôle. Je propose que nous réfléchissions ensemble à un mécanisme de financement plus proche des réalités des territoires concernés.
Personnellement, je ne crois pas que la péréquation soit la solution magique à tous nos maux. En effet, elle vise à corriger la situation financière inégale existant entre les collectivités les plus favorisées et celles qui le sont moins. Or j’estime que cette inégalité doit être traitée et corrigée à la source, c’est-à-dire au niveau des critères fiscaux permettant aux collectivités de dégager des recettes financières.
Je donnerai un exemple : je suis l’élu d’un département – la Seine-et-Marne – qui fournit nombre de salariés à l’ensemble de l’Île-de-France, mais qui accueille peu d’entreprises par rapport à Paris ou aux Hauts-de-Seine et qui profite donc peu de la CVAE, mécanisme fiscal inadapté en ce qu’il ne tient compte que du siège social de l’entreprise pour déterminer la collectivité perceptrice de l’impôt, alors que la charge financière est assumée par le département où réside le salarié.
Or, bien que la péréquation tente de réduire les inégalités financières entre départements, elle est très loin de les compenser. Revoir les critères de répartition de la CVAE en regard d’éléments plus pertinents tels que la domiciliation des salariés, par exemple, se révélerait bien plus équitable et efficace que n’importe quel outil de péréquation. (M. Guy-Dominique Kennel marque son approbation.)
Les départements ont également besoin d’équipements et de services pour accompagner les dynamiques démographiques, qui ne sont malheureusement pas corrélées aux dynamiques fiscales. La Seine-et-Marne, qui est le département francilien et l’un des départements français dont la population augmente le plus rapidement, n’occupe que le quatre-vingt-dix-neuvième rang en termes de DGF par habitant.
Nous devons clairement nous réinterroger sur tous ces mécanismes, afin d’assurer un peu plus de justice dans nos territoires. L’espace de dialogue ouvert avec le Gouvernement sur la question des compétences peut se poursuivre sur la question financière.
Nos départements ne quémandent rien ; ils veulent juste plus de justice, eux qui injectent 1 milliard d’euros dans les politiques sportives, pour les clubs, pour les équipements ; eux qui accordent 1,3 milliard d’euros à la culture, laquelle vit – ou survit – grâce – faut-il le rappeler ? – au soutien des collectivités territoriales ; eux qui sont venus en aide à plus de 2,5 millions de nos concitoyens et qui sont à l’origine de 1 million d’emplois dans les services non délocalisables avec 38 milliards d’euros de budget ; eux qui ont accordé 4,5 milliards d’euros à nos collèges en fonctionnement et en investissement ; eux qui sont les premiers financeurs publics du monde associatif ; eux qui donnent du travail aux TPE et aux PME de leurs territoires et qui répondent présents, aux côtés des communes et des EPCI, pour les investissements propres, à hauteur de 30 % en moyenne.
Oui, les départements doivent avoir les moyens de mettre en œuvre les politiques utiles à leur territoire et au pays. Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous serons toujours aux côtés des collectivités départementales, qui entreront demain dans une ère nouvelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)