M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier les divers orateurs du soutien qu’ils ont exprimé, très largement, à la ratification de cet accord.
La question a été soulevée à plusieurs reprises, et je tiens à insister de nouveau sur ce point : cette ratification n’ouvre pas la voie à une adhésion à l’Union européenne.
M. Alain Néri. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Elle s’inscrit bien dans le cadre de la politique de voisinage et non dans celui de la politique d’élargissement.
Cette politique de voisinage vaut pour elle-même.
M. Alain Néri. Il est bon de le préciser !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Elle est un enjeu pour la modernisation, le développement économique, la démocratisation,…
M. Daniel Reiner. Oui !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. … la stabilité et la sécurité des pays concernés, qui se trouvent aux frontières de l’Europe – en l’espèce, aux frontières de l’Est, s’agissant du Partenariat oriental.
Dans le préambule de cet accord d’association, il est précisé que l’Union européenne et ses États membres « prennent acte » des aspirations de la République de Moldavie et de son choix de se tourner vers l’Europe. Mais aucun engagement n’est pris sur ce point. Certains orateurs l’ont rappelé : il ne faut pas entretenir de fausses interprétations et de fausses lectures à ce sujet.
La déclaration fondatrice du Partenariat oriental, adoptée au sommet de Prague le 7 mai 2009, est très claire à cet égard : le Partenariat oriental vise à réaliser une association politique et une intégration économique, « sans préjudice des aspirations exprimées par les différents pays partenaires en ce qui concerne leurs futures relations avec l’Union européenne ».
Cela étant, on le constate, il s’agit d’un partenariat fort, qui présente un caractère politique. C’est donc bien un choix d’amitié très fort envers la Moldavie que fait le Gouvernement, en demandant au Parlement d’autoriser la ratification de cet accord d’association.
Plusieurs d’entre vous ont insisté sur l’enjeu que représentent les relations avec la Russie, compte tenu, notamment, de la crise en Transnistrie.
Que les choses soient claires : la Moldavie doit pouvoir choisir souverainement son avenir. Signer un accord d’association avec l’Union européenne ne signifie nullement, pour elle, renoncer à ses relations avec la Russie. Le Partenariat oriental n’est dirigé contre aucun pays. Il ne vise pas à créer de nouvelles lignes de fracture. Son seul objet est la modernisation politique et économique de nos voisins, au bénéfice de tous, au service et dans le respect de la souveraineté de chacun.
À ce titre, l’accord d’association entre l’Union européenne et la Moldavie, qui comprend la création d’une zone de libre-échange complète et approfondie, ne remet pas en cause les relations économiques que la Moldavie a pu nouer au fil du temps avec certains de ses voisins, notamment avec la Russie mais aussi avec la Biélorussie et l’Ukraine.
Madame la rapporteur, je tiens à vous remercier de nouveau, et très chaleureusement, de la qualité du rapport que vous avez établi et de la manière dont vous avez préparé ce débat. Votre travail a permis le consensus très large que l’on observe aujourd’hui. J’aurais souhaité un accord unanime, mais j’espère convaincre ceux qui nourrissent encore des réserves. Au reste, même si certains ont annoncé qu’ils allaient s’abstenir, j’ai noté qu’il n’y avait pas d’opposition.
Avec cet accord, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons pouvoir franchir un pas pour appuyer le développement économique, la modernisation et l’ancrage démocratique de la Moldavie. C’est un très grand enjeu pour l’avenir de ce pays, pour l’amitié entre la France et la Moldavie, mais aussi pour la sécurité de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. le vice-président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique.
projet de loi autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'union européenne et la communauté européenne de l'énergie atomique et leurs états membres, d'une part, et la république de moldavie, d'autre part
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République de Moldavie, d'autre part (ensemble trente-cinq annexes et quatre protocoles), signé à Bruxelles le 27 juin 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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Convention de l'Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées
Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées (projet n° 246, texte de la commission n° 257, rapport n° 256).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi s’inscrit dans une tradition déjà longue : celle de l’engagement de la France dans les activités de l’Organisation internationale du travail, l’OIT.
La France est, avec l’Espagne, le pays qui a ratifié le plus grand nombre de conventions de l’OIT. Au-delà des chiffres, c’est notre attachement au respect et à la défense des règles internationales du travail que nous manifestons ainsi.
Dans un monde où les acteurs sont de plus en plus interdépendants, il est nécessaire de construire un cadre de travail et un cadre social internationaux auxquels des pays en nombre toujours plus grand puissent adhérer. C’est un rôle que l’OIT assume avec volonté dans un cadre original, celui du tripartisme. Je tiens à saluer la durée et l’importance des travaux menés par cette instance.
La convention n° 181 de l’OIT s’inscrit dans ce contexte. Elle prend acte du fait que, depuis deux décennies, de nombreux pays font participer des agences d’emploi privées à l’intermédiation des demandeurs d’emploi et fixent un cadre pour réguler à la fois leurs conditions d’intervention et les droits des salariés qu’elles emploient.
Il s’agit donc d’un texte protecteur, s’inscrivant pleinement dans la lignée de principes qui, pour la France, sont fondateurs dans le champ du service public de l’emploi.
Dans la pratique, les garanties prévues par cette convention existent déjà dans notre droit interne : il en va ainsi du principe de gratuité du service pour les demandeurs d’emploi et du respect du droit des travailleurs employés par ces agences et de ceux qui ont recours à leurs services, principe affirmé dès l’article 2 de la convention, aux termes duquel « la présente convention a, au nombre de ses objectifs, celui de permettre aux agences d’emploi privées d’opérer et celui de protéger, dans le cadre de ses dispositions, les travailleurs ayant recours à leurs services ».
Je veux également souligner le rappel, par la convention, des droits fondamentaux des travailleurs dont doivent bénéficier, comme tous les autres, les salariés des agences d’emploi privées. En voici quelques exemples, non exhaustifs : le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective, posé à l’article 4, les garanties en matière de salaires minimaux et de conditions de travail, ou encore l’accès à la formation, visé à l’article 11.
La convention affirme aussi le principe de gratuité du service public de l’emploi, à l’article 7, ainsi que la promotion de l’égalité des chances et de traitement dans l’accès à l’emploi et la protection des données personnelles des personnes ayant recours aux agences d’emploi privées.
Ce socle de droits et de pratiques est aussi le nôtre. La France est attachée au rôle de la puissance publique comme acteur et régulateur du service public de placement des demandeurs d’emploi, ainsi qu’aux grands principes qui structurent ce service public, comme la gratuité.
Ce n’est donc pas un hasard si la France est souvent perçue comme un pays jouant un rôle moteur, au sein du Bureau international du travail, le BIT, pour la protection des droits des travailleurs.
La convention de l’OIT ne prend pas position pour ou contre le recours aux agences d’emploi privées : elle prend acte de leur existence dans un nombre croissant de pays, et fixe un cadre protecteur pour l’exercice de leur activité. À ce titre, le BIT joue pleinement son rôle de régulation des formes et des pratiques d’emploi, pour répondre au mieux à la réalité des pays qui sont ses parties prenantes.
Pour la France, ratifier la convention n° 181 de l’OIT ne modifiera pas le droit interne, l’intervention des opérateurs privés de placement dans le champ de l’intermédiation étant déjà encadrée par des règles nationales et communautaires, et la protection des travailleurs étant déjà garantie à un niveau élevé.
En revanche, ratifier cette convention permettra de mettre en cohérence nos pratiques et nos engagements internationaux, et de réaffirmer notre attachement aux principes de protection que prévoit l’OIT.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 20 janvier dernier se tenait la dernière édition des entretiens entre la France et le BIT, qui ont concrétisé une nouvelle fois une communauté de valeurs et d’action, dans le champ normatif comme dans celui de la recherche. Cette organisation internationale est originale par son histoire et sa composition. Elle est la seule où se retrouvent dans un format tripartite les représentants des États, des employeurs et des travailleurs.
Cette originalité lui confère aussi un regard particulier sur la question des relations de travail et d’emploi. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, le cadre que pose la convention n° 181 pour les pratiques des agences d’emploi privées constitue une nouvelle illustration concrète des principes que nous devons continuer de promouvoir dans tous les domaines de l’emploi. C’est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir adopter le projet de loi autorisant la ratification de cette convention.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Néri, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail, relative aux agences d’emploi privées, vise d’abord à autoriser la création et les activités de celles-ci – qu’il s’agisse, au sens du droit français, des services de placement ou des entreprises de travail temporaire. Elle requiert des États signataires qu’ils assurent « les conditions propres à promouvoir la coopération entre le service public de l’emploi et les agences d’emploi privées ».
Pourquoi faire appel à des agences d’emploi privées ? Parce que le recours à ces opérateurs, en appui aux services publics de l’emploi et dans la mesure où il est encadré, comme c’est aujourd’hui le cas en France sous l’égide de Pôle emploi, permet de renouveler les méthodes de suivi en ce domaine. Il offre la possibilité aux opérateurs publics de se concentrer sur les demandeurs d’emploi les plus en difficulté et favorise ainsi l’employabilité des travailleurs, notamment en facilitant leur accès à la formation et l’acquisition d’expérience professionnelle.
La convention n° 181 de l’OIT, dans le même temps, vise à protéger les travailleurs qui ont recours aux services d’agences d’emploi privées. De ce point de vue, il s’agit d’un texte équilibré. La convention exige en effet la détermination d’un cadre juridique et des conditions d’exercice des activités qui garantissent une protection dite « adéquate » aux travailleurs faisant appel aux services d’agences d’emploi privées.
Concrètement, la convention requiert des États l’adoption des mesures nécessaires pour garantir cette protection en matière de liberté syndicale et de négociation collective, de salaires minimaux, d’horaires, de durée de travail et d’autres conditions de travail, de prestations de sécurité sociale, d’accès à la formation, de sécurité et de santé au travail, d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, etc.
La convention garantit aussi aux travailleurs recrutés par les agences d’emploi privées le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective, une protection contre toutes les discriminations et un traitement des données personnelles dans des conditions respectant la vie privée. Une protection spécifique pour les travailleurs migrants est également demandée, ainsi que la mise en œuvre de mesures assurant que le travail des enfants ne soit ni utilisé ni fourni par des agences d’emploi privées.
Enfin, la convention impose le respect du principe de gratuité des services fournis aux travailleurs par les agences d’emploi privées.
Notez bien, mes chers collègues, que l’ensemble de ces droits et garanties sont déjà inscrits dans notre droit du travail.
Cette convention, adoptée en 1997 avec le soutien de la France, se trouve aujourd’hui ratifiée par vingt-sept pays, dont douze États membres de l’Union européenne.
Pour la France, la ratification présente peu d’enjeux véritables. En effet, notre droit est d’ores et déjà conforme aux exigences de la convention, et ce depuis 2010, grâce à l’adoption de la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services, qui a supprimé les restrictions à la création d’agences d’emploi privées.
La possibilité même de la création d’agences d’emploi privées avait été introduite dès 2005, sous conditions, au travers de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, qui a mis fin au monopole de placement jusqu’alors détenu par l’Agence nationale pour l’emploi, l’ANPE, devenue Pôle emploi à la fin de l’année 2008.
Je rappelle que l’opérateur de l’État qu’est Pôle emploi détient aujourd’hui des prérogatives exclusives, dont l’inscription des demandeurs d’emploi, la gestion de leur liste et le contrôle de la recherche d’emploi.
En outre, en pratique, les agences d’emploi privées n’interviennent sur le marché du placement que dans le cadre des appels d’offres de Pôle emploi, notamment parce que, les services de Pôle emploi étant gratuits pour les entreprises, celles-ci n’ont pas d’intérêt à recourir directement aux agences d’emploi privées, dont les services sont payants pour les employeurs.
La ratification qu’il s’agit pour nous d’autoriser n’emportera donc aucune conséquence sur notre droit interne ni, sans doute, sur la pratique observée, non plus que, je dois le dire, sur le niveau d’emploi en France… Elle permettra seulement à notre pays de mettre en cohérence ses engagements internationaux avec sa législation, en dénonçant la convention n° 96 de l’OIT, que nous avions ratifiée en 1952 et qui, dans la mesure où elle prohibe les agences d’emploi privées, ne constitue plus depuis 2005 un engagement cohérent avec notre législation. L’enjeu se limite donc en somme à assurer une bonne articulation juridique entre droit interne et normes internationales.
Au bénéfice de ces observations, la commission des affaires étrangères a adopté le projet de loi visant à autoriser la ratification de la convention n° 181 de l’OIT relative aux agences d’emploi privées. Je vous propose, mes chers collègues, de suivre ses conclusions et de faire de même.
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est aujourd’hui appelé à se prononcer sur la ratification par la France de la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail, relative aux agences d’emploi privées.
La lecture de l’exposé des motifs du projet de loi révèle un paradoxe.
Sur la forme, tout d’abord, je remarque le décalage existant entre la signature de cette convention et sa date de ratification par le Parlement. En effet, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a été adopté par la Conférence internationale du travail en 1997 et est entré en vigueur en 2000. La France, quant à elle, a mis fin au monopole de placement jusque-là attribué à l’ANPE dès le 18 janvier 2005, au travers de la loi de programmation pour la cohésion sociale, et a ouvert l’exercice de l’activité de placement à tout organisme public ou privé par le biais de la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010. Or il nous est demandé de nous prononcer aujourd’hui sur la ratification de cette convention internationale, près de quinze ans après son entrée en vigueur. Que l’on me permette de m’interroger sur la crédibilité d’une telle démarche !
M. Alain Néri, rapporteur. Mieux vaut tard que jamais !
Mme Leila Aïchi. Toutefois, sur le fond, en dépit de cette ratification bien tardive, nous examinons un texte d’une actualité brûlante et qui concerne directement les Français, eu égard à la thématique qui le sous-tend. Nul ne peut le nier, tant la situation de l’emploi dans notre pays est dramatique. Les chiffres sont là pour nous le rappeler.
Ainsi, le mois de décembre dernier a été à l’image de la spirale négative qu’a connue notre pays tout au long de l’année 2014, avec une augmentation de 0,2 % du nombre des demandeurs d’emploi, soit 8 200 chômeurs de plus, et même 41 900 en incluant les personnes qui exercent une activité réduite mais sont toujours à la recherche d’un emploi.
Ainsi, 2014 a été une année noire sur le front de l’emploi, avec une augmentation de 5,7 % du nombre des chômeurs par rapport à 2013.
Enfin, si l’on a enregistré au mois de janvier 2015, pour la première fois depuis décembre 2007, une diminution du nombre de chômeurs n’ayant exercé aucune activité au cours du mois, à hauteur de 20 100 personnes, le nombre des inscrits à Pôle emploi, toutes catégories confondues, a encore augmenté de 16 400 ce même mois. Gardons-nous donc de tout triomphalisme, tant la tâche demeure ardue.
Concernant les différentes dispositions prévues dans le texte qui nous occupe aujourd’hui, j’aborderai plus en détail la recommandation n° 188, qui accompagne la convention et en précise les modalités de mise en œuvre, notamment en matière de protection des travailleurs. Malheureusement, comme son nom l’indique, il ne s’agit là que d’une recommandation, dénuée par conséquent de valeur juridique contraignante.
Ainsi, les dispositions concernant les travailleurs migrants figurant à l’article 8 de la convention restent relativement floues et peu contraignantes, notamment à l’endroit des agences d’emploi privées du pays d’origine : « Tout membre doit […] prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées […] pour faire en sorte que les travailleurs migrants recrutés ou placés sur son territoire […] bénéficient d’une protection adéquate. » Je m’interroge sur ce que recouvre exactement cette protection.
Afin d’assurer une pleine concordance avec la recommandation n° 188, qui fait tout de même partie intégrante du projet de loi et contient, je le rappelle, des dispositions que la France aurait voulu voir insérer directement dans la convention n° 181, il conviendrait que la ratification de la convention s’accompagne d’un renforcement effectif de la réglementation et des contrôles de police et de l’inspection du travail sur la situation de ces migrants en matière de protection des droits sociaux et démocratiques, d’accès à la formation professionnelle et de protection contre les accidents du travail.
Les travailleurs migrants employés par les agences d’emploi privées non nationales travaillent fréquemment dans les secteurs du BTP ou de la construction navale. Or ces deux secteurs sont connus comme dangereux. En outre, il est primordial de sécuriser l’instruction des plaintes visée à l’article 10.
C’est pourquoi, de manière plus générale, la ratification de cette convention ne doit pas nous empêcher de repenser le service public de l’emploi dans sa globalité, pour ce qui concerne tant ses missions que son efficacité.
Le recours aux agences d’emploi privées ne peut être la seule réponse à la hausse du taux de chômage que nous avons connue ces dernières années, d’autant que, dans un rapport de juillet 2014, la Cour des comptes a pointé des « dysfonctionnements » dans le suivi des chômeurs confié à des sociétés privées : nombre de transferts de dossiers en baisse, garanties insuffisantes quant à la capacité opérationnelle et technique des opérateurs à délivrer des prestations adéquates et lourdeurs administratives au sein de Pôle emploi. Toutefois, la Cour des comptes insiste sur la nécessité de continuer à travailler avec les acteurs privés, qui pallient les manques structurels de Pôle emploi face à certains cas.
Malgré les quelques réserves formulées par le rapporteur, le groupe écologiste votera en faveur de l’adoption du projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 181 de l’OIT, dont le texte est en conformité avec le droit français. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la convention n° 181 de l’Organisation internationale du travail permet aux agences d’emploi privées d’intervenir dans le placement des demandeurs d’emploi de façon concurrente avec le service public de l’emploi. Comme le précise l’étude d’impact, il s’agit de promouvoir la libéralisation des activités des agences d’emploi privées.
Cette ouverture au privé est certes encadrée par la convention. Ainsi, les États continuent à régir les statuts de ces agences, ainsi que les droits fondamentaux des travailleurs.
En revanche, la gratuité des services pour les demandeurs d’emploi peut désormais être remise en cause puisque des dérogations sont possibles dans certains cas « pour certaines catégories de travailleurs et pour des services spécifiquement identifiés ». Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous préciser de quels services il s’agit ? Nous avons bien noté l’obligation de consulter les organisations syndicales pour autoriser ces dérogations, mais cela n’atténue pas notre inquiétude.
Après l’adoption du présent texte, cette convention s’imposera à la France : notre législation devra toujours être en conformité avec elle. Sa ratification n’est donc pas une simple formalité ; c’est la confirmation de l’inscription, au cœur de notre droit, de l’activité des entreprises privées de placement de demandeurs d’emploi.
Pour notre part, au regard des enjeux qui sous-tendent ce projet de loi, nous considérons que la Haute Assemblée doit avoir un véritable débat sur ce sujet, d’autant que les critiques que nous émettons sur l’objectif visé au travers de cette convention sont partagées par l’actuel directeur général de Pôle emploi. Lors de son audition par la commission des affaires sociales, le 10 décembre 2014, M. Jean Bassères avait souligné que le service rendu par les opérateurs privés de placement n’était pas de meilleure qualité que celui fourni par Pôle emploi. Il avait ajouté que, tenant compte des critiques de la Cour des comptes, qui estime à 80 millions d’euros le coût de cette sous-traitance, Pôle emploi allait ré-internaliser l’accompagnement des personnes les plus en difficulté. Dès lors, nous nous interrogeons sur la pertinence de la ratification de cette convention.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 janvier 2005, le « marché de la recherche d’emploi » est ouvert aux entreprises privées. À l’époque, nous nous y étions opposés et avions, avec les parlementaires socialistes, alerté sur les dangers d’une libéralisation du secteur de la recherche d’emploi.
La volonté du Gouvernement de faire entrer cette convention dans notre droit interne signifie-t-elle qu’il souhaite désormais encourager l’intervention directe des agences privées sur le marché de la recherche d’emploi ?
Cette volonté de conforter l’activité des entreprises privées dans ce secteur est d’autant plus incompréhensible que nous avons maintenant suffisamment de recul pour affirmer que les résultats sont loin d’être positifs. L’une des explications avancées tient au mode de fonctionnement des opérateurs privés, qui interviennent le plus souvent en tant que sous-traitants du service public de l’emploi et recourent à des salariés précaires, employés sous contrat de courte durée, pour accomplir la mission qui leur a été déléguée.
Ces salariés précaires sont chargés de trouver du travail à des demandeurs d’emploi, sans avoir les moyens ni la possibilité de maîtriser pleinement leur sujet. En effet, comment développer un réseau d’acteurs, mobiliser des aides, connaître le type d’emplois localement disponibles lorsque l’on a un contrat de travail de quelques mois ?
À ce sujet, le rapport parlementaire sur la performance comparée des politiques sociales en Europe souligne, à juste titre, que « le succès de l’accompagnement tient principalement à la pratique du conseiller, c'est-à-dire à sa bonne connaissance du bassin d’emploi local […] ; sa capacité à mobiliser des aides utiles pour le demandeur d’emploi […] ; sa connaissance des prestations d’aides au retour à l’emploi et de leurs effets ; sa relation avec le demandeur d’emploi. »
Les compétences et le savoir-faire des conseillers de Pôle emploi sont donc l’une des clés d’un service public de l’emploi performant. Or toutes les qualités requises s’acquièrent et se développent grâce à l’expérience accumulée au fil de l’exercice du métier, expérience dont ne bénéficient pas, du fait de leurs conditions d’emploi, les salariés des entreprises privées de placement.
Toutefois, les effets positifs du savoir-faire des personnels de Pôle emploi sont contrariés, on le sait, par le manque de moyens. Cette situation est largement exploitée par les opérateurs privés à la recherche de marchés publics, qui ont tout intérêt à décrier le service public, qualifié parfois d’« inefficace », de « trop cher » ou d’« inadapté », même si ces agences privées peinent à convaincre en raison de leurs résultats pour le moins mitigés.
D’ailleurs, de récentes affaires ont mis en lumière le manque de sérieux de ces opérateurs privés, qui ont parfois défrayé la chronique. Ainsi, l’entreprise C3 Consultants a été sanctionnée par l’État en raison de soupçons de fraude portant sur plusieurs marchés en Seine-Saint-Denis, notamment. La presse a également révélé que des entreprises privées ont dû fermer après avoir été sanctionnées par Pôle emploi pour ne pas avoir respecté le cahier des charges.
La pertinence du recours aux agences privées est donc loin d’être démontrée. C’est pourquoi nous regrettons que, par une délibération de février 2014, le conseil d’administration de Pôle emploi ait adopté le principe d’un changement d’orientation stratégique majeur pour 2015 : « Les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail, qui constituaient les publics souvent confiés aux opérateurs privés, ne se verront plus proposer d’accompagnement externalisé, mais un accompagnement renforcé dans le cadre interne de Pôle emploi ; en sens inverse, une nouvelle prestation serait créée dans le but de sous-traiter au secteur privé l’accompagnement des demandeurs d’emploi les plus autonomes. »
Pour notre part, nous estimons que le marché de l’emploi n’est pas un marché comme un autre et qu’un gouvernement de gauche devrait avoir à cœur de remettre en cause les choix politiques arrêtés au travers de la loi de 2005 et, par conséquent, refuser de ratifier cette convention. Aussi nous étonnons-nous, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement s’empresse de demander au Parlement d’adopter un projet de loi autorisant cette ratification, alors même que d’autres conventions, plus favorables aux salariés, restent malheureusement dans les tiroirs.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte, qui conforte les entreprises privées de placement de demandeurs d’emploi, alors qu’il faudrait, au contraire, renforcer le service public de l’emploi.