M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Cet après-midi, alors que nous traitions de questions ayant trait au droit, nous nous étions interrogés sur l’absence de Mme la garde des sceaux. Nous avons la réponse ce soir : l’idée fondamentale du Gouvernement est de rendre nos professions du droit compétitives à l’égard de celles d’autres pays. En somme, le droit n’est donc plus seulement la garantie du vivre ensemble d’un pays, mais une sorte de marchandise : on vend de l’expertise, de l’audit, du conseil… De fait, on considère que le droit est un marché. Tel est le sens de votre amendement, monsieur le ministre.
Sachez que les écologistes ne partagent pas cette conception. Pourtant, initialement, lorsque l’on nous a dit que la loi Macron allait taper sur des professions protégées, dans lesquelles on gagne bien sa vie, nous étions disposés à accompagner le mouvement… (Sourires.) Mais, dans un second temps, il nous est apparu que ce texte visait en fait à libéraliser, donc à porter atteinte au service public, c’est-à-dire aux garanties qu’offrent encore ces professions. Une telle réforme va à l’encontre de ce que nous souhaitons : les écologistes sont pour la préservation du service public, la proximité, le maintien des garanties actuelles. Nous ne nous reconnaissons absolument pas dans votre démarche.
Enfin, monsieur le ministre, si l’on mêle comme vous le proposez, au nom de la compétitivité, l’expertise, le droit, le conseil, comment les notaires, par exemple, pourront-ils assurer leur mission de contrôle ? J’ai expliqué, lors de la discussion générale, que, chaque année, les notaires déclarent à Tracfin quelque 1 000 anomalies. Ces 1 000 signalements – je dois dire que ce chiffre m’a étonné – montrent qu’il y a encore des professionnels du droit qui croient au service public. Quelle société, dans l’environnement concurrentiel que vous souhaitez promouvoir, prendra le risque, en déclarant les anomalies qu’elle aura constatées, de perdre des clients ? J’attends votre réponse, tout en doutant fort qu’elle puisse être de nature à changer notre vote contre, qui a été mûri…
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le sénateur, vous m’accorderez que je m’attache à répondre en détail sur chaque point du texte. En revanche, je ne peux répondre aux intentions cachées que vous me prêtez.
Libre à vous de croire qu’un grand dessein libéral se cache derrière chacune de ces réformes et de fonder la cohérence de votre position, que je respecte, sur cette idée, mais je vais essayer de vous montrer point par point qu’il n’en est rien, même si vous déclarez a priori que vous resterez de toute façon sourd aux clarifications que je pourrai vous apporter, votre jugement étant déjà arrêté. Pour ma part, je continue à croire aux vertus de la discussion.
Concernant tout d’abord la différence, en matière d’ouverture du capital, entre les professions du chiffre et celles du droit, je souligne que, pour les premières, cette ouverture existe déjà, avec des plafonds en termes de droits de vote. Nous proposons ici d’ouvrir le capital pour les secondes, mais à la stricte condition que celui-ci soit détenu à 100 % par des professionnels du droit.
Comparaison n’est pas raison, mais nous ne traitons pas les professions du droit moins bien que celles du chiffre. On le verra tout à l’heure, en ce qui concerne les interprofessions du droit et du chiffre, nous avons même prévu des contraintes plus dures pour les professions du chiffre éligibles à ces structures, afin d’éviter de transposer, en quelque sorte, aux professions du droit une ouverture qui existe déjà dans les professions du chiffre.
Aujourd’hui, les professionnels du droit ne peuvent exercer en société que sous deux formes juridiques : celles de société civile professionnelle et de société d’exercice libéral. Nous voulons leur offrir la possibilité de recourir à toute autre forme juridique, pour autant qu’elle ne confère pas aux associés la qualité de commerçant.
Le texte ne permettra pas à une banque ou à une compagnie d’assurance de prendre le contrôle d’une de ces structures. Je vous renvoie, sur ce point, au quatrième alinéa de l’amendement, qui précise explicitement que, pour détenir le capital et des droits de vote, une personne morale devra satisfaire aux exigences prévues par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990. C’est cette même loi qui interdit aujourd’hui à un cabinet anglo-saxon détenu majoritairement par une banque ou un fonds de pension de s’installer en France. Notre texte sécurise bien ce dispositif, et il ne saurait y avoir de malentendu sur ce point : je veux tordre le cou à l’idée, trop souvent relayée, que le texte viserait à ouvrir la voie à la financiarisation des professions du droit. Bien au contraire, des sécurités sont prévues pour que des personnes morales détenues majoritairement par des entités financières ne puissent contrôler des sociétés exerçant leur activité dans le domaine des professions du droit. Faire preuve de rigueur doit permettre d’aller au-delà des intentions cachées que l’on nous prête à tort.
En revanche, force est de constater que notre modèle d’organisation de ces professions juridiques n’est plus compétitif. Nombreux sont nos jeunes professionnels du droit – avocats, notaires, huissiers – qui souhaitent pouvoir créer des franchises à l’étranger. Or, ils supportent actuellement bien plus de contraintes que leurs collègues britanniques ou même allemands.
J’ajoute que notre situation est de plus en plus fragilisée au regard du droit européen, et nous sommes exposés à un risque croissant de contentieux. Ainsi, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne a donné raison à une structure juridique de droit allemand souhaitant installer une filiale en France, alors que le capital de la société mère était détenu par des banques régionales.
L’idée est donc de structurer nos professions juridiques afin qu’elles puissent s’organiser entre elles sans faire entrer d’entités financières à leur capital, donc en conservant les garanties de la loi de 1990. Nous pourrons alors défendre à l’échelon européen ce nouveau modèle français adapté, afin de ne pas subir l’implantation sur notre territoire de modèles qui ne nous conviennent pas.
Par ailleurs, vous avez soulevé à très juste titre, monsieur le rapporteur, la problématique cruciale des conflits d’intérêts entre professions.
Nous conservons en l’état la structure capitalistique de la société d’exercice libéral et nous maintenons une stricte application des règles déontologiques des différentes professions : par exemple, un notaire membre d’une telle structure n’en référera qu’au notariat ; aucun lien de subordination ne pourra exister entre les différentes professions représentées au sein de la société, quelle que soit la structure capitalistique.
Ainsi, c’est à une modernisation du cadre d’exercice des professions du droit que nous entendons procéder, en aucun cas à une financiarisation : le capital devra être détenu à 100 % par des personnes physiques ou par des personnes morales respectant le cadre de la loi de 1990 ; il n’y aura pas d’ouverture à des tiers. Le nouveau modèle d’organisation permettra à nos professions du droit d’être plus compétitives et de tenir leur place au niveau européen.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Monsieur le ministre, traiter de l’organisation des professions du droit au travers d’une loi relative à la croissance et à la compétitivité est tout à fait justifié. À l’évidence, le droit fait partie de l’environnement de l’économie. La commission des lois a d’ailleurs créé une mission spéciale sur la place du droit français dans le droit des affaires international.
Je vous en donne acte, la question aujourd’hui n’est pas la financiarisation des professions du droit par le biais de tiers ni une éventuelle mainmise des professions du chiffre.
En commission, M. le rapporteur nous avait dit que, à son avis, renvoyer à une ordonnance, comme le prévoyait la première mouture du texte, aurait sans doute finalement été plus efficace, tant le sujet est complexe. J’avais trouvé ce point de vue paradoxal mais intéressant.
L’Assemblée nationale a préféré se saisir du sujet, mais en occultant un point extrêmement important, sur lequel vous n’avez pas répondu. Pour une part importante de leur activité, les professions du droit s’adressent certes aux entreprises, mais elles travaillent aussi, au quotidien, pour des particuliers. Or, en matière de déontologie, on ne peut envisager chaque profession séparément. Que se passera-t-il lorsqu’un particulier fera appel à un huissier pour une exécution contre un client d’un avocat membre du même cabinet ? Quid si un notaire rédige un acte pour un client dont son associé avocat aura représenté l’adversaire ?
M. François Pillet, corapporteur. En effet !
M. Jacques Bigot. De telles questions ne sont pas du tout réglées par le texte, sauf erreur de ma part.
Je partage donc le sentiment de notre rapporteur. Sur ce sujet particulièrement complexe et technique, un travail de fond supplémentaire doit être réalisé pour mieux organiser la pluridisciplinarité au sein des professions du droit.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Excellente analyse !
M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.
M. François Pillet, corapporteur. Je salue l’objectivité de notre collègue Jacques Bigot.
On a besoin de sociétés dans le domaine des professions du droit. M. le ministre expose, à ce stade du débat, des choses assez claires, qui ne nous déplaisent pas a priori. Avec un bon logiciel de reconnaissance vocale, on aurait pu récrire le projet de loi de manière plus simple : pour l’heure, celui-ci est illisible, en particulier sur les points relevés par M. Bigot. Personne n’est d’accord avec votre texte, monsieur le ministre, alors que nous pourrions partager l’esprit qui le sous-tend. On est en train de passer à côté de quelque chose d’important ! C’est regrettable !
Pourquoi ne pas donner aux professions juridiques les mêmes garanties qu’aux experts-comptables ou aux commissaires aux comptes en matière de droits de vote ? Ce serait un pas dans la bonne direction. Tel que rédigé, votre texte est extrêmement dangereux : la déontologie, c’est ce qui fait l’âme, la force, l’image de ces professions.
Par ailleurs, même sur le plan purement technique, la mise en œuvre de ce texte extrêmement compliqué nous confrontera à des hypothèses absolument inacceptables ! Monsieur le ministre, vous serez passé à côté d’une loi pourtant attendue par les professionnels tout simplement parce que vous n’aurez pas voulu reprendre la plume. Ce n’est pas raisonnable !
C’est pourquoi mon avis est non seulement défavorable, mais aussi amer.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. On ne peut pas à la fois reprocher au Gouvernement de recourir aux ordonnances quand un sujet n’est pas mûr et, dans le cas contraire, quand un travail technique a débouché sur l’élaboration d’un texte, refuser d’envisager d’inscrire celui-ci dans la loi. Je veux bien déposer une demande d’habilitation à légiférer par ordonnance, si vous préférez, mais vous avouerez que ce serait paradoxal ! Chaque fois qu’il était possible de présenter un texte de loi plutôt que de recourir aux ordonnances, nous l’avons fait. C’est le cas en l’espèce, et il n’y a pas de raison d’être amer, monsieur le rapporteur…
La complexité dont vous vous plaignez est celle du droit actuel. Si la rédaction proposée vous semble pouvoir être simplifiée sans en perdre la substance, je suis prêt à en débattre. Mais, dans ce cas, il fallait non pas supprimer l’article, mais déposer des amendements de réécriture. Le Gouvernement, quant à lui, a fait son travail en proposant un texte.
Sur le fond, monsieur Bigot, ce que vous dites serait vrai s’il ne s’agissait pas de sociétés monoprofessionnelles. Votre argument vaut pour les structures interprofessionnelles.
L’objectif visé est de donner de la souplesse statutaire, de favoriser l’organisation sur les plans social, fiscal et juridique, mais un avocat et un notaire, par exemple, ne pourront exercer leur profession au sein de la même structure. Un avocat pourra simplement détenir des parts de capital dans une société de notaire : c’est tout à fait différent.
M. Jean Desessard. Quel intérêt ?
M. Emmanuel Macron, ministre. L’intérêt, c’est que les professions du droit s’organisent entre elles ! Ce sont elles qui ont émis le souhait de pouvoir bénéficier d’une telle souplesse d’organisation, qui n’est pas permise par des structures juridiques beaucoup plus contraignantes que le régime de la société par actions simplifiée, la SAS. Il ne s’agit pas de permettre l’entrée au capital de banques ou d’acteurs financiers. La déontologie sera préservée grâce au caractère monoprofessionnel des nouvelles structures.
Nous pourrons revenir sur le sujet tout à l’heure, quand nous débattrons des structures interprofessionnelles.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiens la position de M. le rapporteur. Nous travaillons au bénéfice des justiciables. Or ce qu’ils demandent, quand ils s’adressent à un cabinet d’avocats ou consultent un notaire, c’est de la sécurité, en matière de traitement de leur dossier, de respect de la déontologie, d’absence de conflit d’intérêts.
À cet égard, M. le ministre n’ayant pas répondu sur la question majeure des conflits d’intérêts, qui lui a pourtant été posée très clairement par M. le rapporteur, je suivrai la position de la commission sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.
M. François Pillet, corapporteur. Fait rarissime, la commission spéciale était allée jusqu’à vous dire, monsieur le ministre, qu’elle était prête à accepter une demande d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances sur ce sujet. Dans le cadre de cette habilitation, nous aurions fixé toutes les garanties auxquelles nous tenons.
Sur un plan plus technique, je voudrais avoir des assurances non seulement sur la détention du capital, mais aussi sur les droits de vote. En effet, celui qui détient le droit de vote décide de l’orientation du cabinet d’avocats, par exemple, vers une spécialité particulière, telle que le droit administratif ou le droit social, ou de l’embauche d’un collaborateur. Il faut donc distinguer droit de vote et détention du capital, comme pour les experts-comptables. Sur ce point, vos explications ne me paraissent pas suffisamment claires.
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.
M. Michel Bouvard. Ce débat laisse très interrogatifs ceux d’entre nous qui ne sont pas membres de la commission spéciale.
Tout le monde reconnaît la nécessité de bouger, ne serait-ce qu’au regard du droit communautaire, comme l’a souligné M. le ministre. Nous n’y échapperons pas ! Nous sommes systématiquement rattrapés par la patrouille, ce qui nous amène à légiférer en catastrophe à la suite de condamnations prononcées contre la France…
Je ne sais pas comment nous pouvons trouver un accord sur ce sujet, mais si nous ne bougeons pas, nous irons au-devant de grandes difficultés : notre pays sera condamné, comme d’habitude, tandis que des sociétés étrangères s’implanteront chez nous pour concurrencer nos professionnels.
Je souhaite bien entendu que les problèmes déontologiques et de conflits d’intérêts soient traités. C’est indispensable pour les clients comme pour les justiciables, mais on a le sentiment que l’on ne parvient pas à faire converger les positions alors que, sur le fond, tout le monde est d’accord avec le raisonnement tenu par M. le ministre.
Le recours aux ordonnances est désormais exclu. Si nous suivons l’avis émis par la commission et rejetons l’amendement, nous laisserons le dernier mot à l’Assemblée nationale, sans avoir forcément pu progresser s’agissant des garanties que nous souhaitons voir inscrire dans le texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Comme l’a très bien rappelé M. le rapporteur, la commission spéciale était disposée à accepter le recours aux ordonnances dès lors qu’auraient été maintenues les garanties qui nous semblent indispensables.
J’observe, monsieur le ministre, que si le texte de votre amendement fait quatre pages, son exposé des motifs se résume à une ligne et à un unique argument : il faut revenir au texte de l’Assemblée nationale. Dire cela au Sénat est tout de même inconvenant…
M. Jean-Claude Lenoir. Si tel est vraiment votre objectif, attendez la prochaine lecture du texte à l’Assemblée nationale, où vous disposez d’une majorité.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas sûr…
M. Jean-Claude Lenoir. Pourquoi infliger au Sénat ce camouflet ? Et surtout, pourquoi tout cela ? On ne voit pas très bien quel est l’intérêt du système que vous proposez.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. La question a été posée de savoir comment faire prospérer le débat sur un sujet qui, nous le voyons bien, n’est pas mûr.
Cet après-midi, M. le ministre a présenté un amendement relatif à la possibilité, pour les experts-comptables, d’exercer à titre accessoire des activités de nature juridique. Le Gouvernement faisait ainsi évoluer significativement sa position, à la suite d’échanges avec M. le rapporteur, pour prendre en compte un message clair de la commission et des professionnels concernés. M. le rapporteur a alors indiqué que la commission était prête à converger.
J’ai cru comprendre, monsieur le ministre, que vous n’étiez pas non plus fermé à une évolution sur le sujet dont nous discutons maintenant, même si des points de divergence subsistent entre nous. Dans ces conditions, il serait important de nous entendre au moins sur la nécessité de faire évoluer les choses, sachant que, pour l’heure, il convient que nous n’adoptions pas l’amendement, afin que le débat puisse prospérer, en commission mixte paritaire ou en nouvelle lecture. Il me semble en tout cas important de ne pas fermer la porte. L’Assemblée nationale doit entendre le message du Sénat, et M. le ministre reprendre la concertation avec M. le corapporteur, qui y est prêt !
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.
M. François Pillet, corapporteur. Je voudrais répondre à l’interrogation légitime de M. Bouvard : dans le domaine qui nous occupe, il n’y a aucune norme, directive ou règlement européen qui nous impose de recourir à ce type de sociétés. Sur ce point, mon cher collègue, nous pouvons encore faire du franco-français !
M. Jean-Claude Lenoir. Il est important de le rappeler !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le rapporteur, il y a tout de même un débat, à l’échelon européen, sur la liberté d’installation et les entraves à celle-ci qu’induit notre régime actuel. C’est l’une des motivations pour bouger.
Les règles d’ouverture sont beaucoup plus libérales pour les professions du chiffre que pour celles du droit : pour ces dernières, je le redis, notre proposition ne prévoit aucune ouverture du capital et des droits de vote à des tiers.
Cela étant, des cabinets d’avocats anglo-saxons implantent des bureaux en France et, de fait, y imposent leur modèle.
M. Michel Bouvard. Évidemment !
M. Emmanuel Macron, ministre. C’est la réalité d’aujourd’hui !
De grands cabinets français essaient de s’organiser. Le cabinet Gide-Loyrette-Nouel, par exemple, est constitué en association, parce que le régime de la SAS ne lui est pas ouvert et que les autres formes juridiques sont trop contraignantes. Les modèles de limited liability partnership, ou LLP, par exemple, permettent aux cabinets anglo-saxons de prospérer. Notre objectif, au travers de la création de sociétés monoprofessionnelles, est de donner à ces cabinets français qui veulent réussir, ouvrir des bureaux en Europe, les armes dont ils ont besoin. Cette réforme est nécessaire si l’on croit au modèle de droit continental, si l’on veut lui donner les moyens de réussir !
M. Michel Bouvard. Tout à fait !
M. Emmanuel Macron, ministre. Elle ne vise nullement à la financiarisation du secteur, à la conversion de notre droit au modèle anglo-saxon qui, de toute façon, est à nos portes : en maintenant les entraves actuelles à l’action des professionnels français, on laisse le champ libre à leurs concurrents anglo-saxons !
M. Michel Bouvard. Il a raison !
M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur Lenoir, reconnaissez au moins que l’argumentation que j’ai développée devant la Haute Assemblée va bien au-delà de l’exposé des motifs de cet amendement.
Au lieu d’engager un débat constructif, comme elle l’a fait en d’autres occasions, la commission a supprimé purement et simplement le présent article. M. le rapporteur a indiqué que le dispositif ne lui semblait pas clair et méritait d’être retravaillé, mais la commission n’a pas proposé de nouvelle rédaction. Dans ces conditions, je ne pouvais que renoncer à la réforme, demander une habilitation à procéder par ordonnance ou proposer de rétablir le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, comme je l’ai fait. Si j’en suis arrivé là, reconnaissez que c’est aussi parce que la commission ne s’est pas inscrite dans la même démarche que pour les articles précédents, en proposant des modifications au texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. L’offensive est habituelle : certains voudraient faire émerger des supermarchés du droit, en créant des sociétés où toutes les professions seraient mélangées.
Les situations que vous évoquez, monsieur le ministre, ne concernent pas les huissiers de justice, ni les commissaires-priseurs judiciaires : ces professions ne s’exercent guère à l’international, et sont même inconnues dans certains pays !
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Dans d’autres, tout le monde est avocat : il suffit d’avoir les diplômes requis pour s’installer comme on le souhaite.
Contrairement à ce que vous indiquez, monsieur le ministre, il est tout à fait possible de créer des sociétés d’exercice en France. Je connais de grands cabinets d’avocats qui sont constitués non pas en association, mais en société.
En fait, on comprend bien que l’objectif, en réalité, est de permettre la création de sociétés avec des avocats étrangers,…
Mme Nicole Bricq. Non !
M. Jean-Jacques Hyest. … ce qui explique la référence à la « qualification nationale ou internationale reconnue ». La Confédération helvétique, bien sûr, n’est surtout pas oubliée dans ces dispositions…
Je conçois très bien que l’on recherche les moyens de stimuler le dynamisme de la place de Paris en matière de droit, mais il n’est guère compréhensible que l’on veuille rendre possible l’ouverture du capital à d’autres professionnels. Sans aller jusqu’à proposer une option résolument capitaliste, car vous savez très bien que cela n’est pas possible, vous entendez permettre à des notaires de financer des cabinets d’avocats et à des avocats de financer des études de notaire. Je n’en vois pas bien l’intérêt…
Le vrai problème, c’est celui des grands cabinets d’avocats : bornons-nous à trouver des formes de société juridique qui leur permettent de se développer !
Mme Nicole Bricq. C’est ce qui est proposé !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Le rapport et le compte rendu des débats en commission font apparaître que nous nous inscrivons dans une démarche constructive, et non dans une attitude de simple refus. Je veux en donner acte au rapporteur, qui a en outre indiqué au Gouvernement qu’il était prêt à accepter une demande d’habilitation à procéder par ordonnance, afin qu’il puisse faire évoluer sa position. C’était là tout de même un signe de confiance et la preuve que nous souhaitons trouver une solution.
M. le président. En conséquence, l’article 20 ter demeure supprimé.
Article additionnel après l'article 20 ter
M. le président. L'amendement n° 443, présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 20 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article 1er quater de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, il est inséré un article 1er quinquies ainsi rédigé :
« Art. 1er quinquies. – Lorsque le propriétaire de l’office, d’une partie du capital social ou des droits de vote veut en céder une partie, il doit en informer les notaires salariés de l’office, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs notaires salariés de présenter une offre pour l’acquisition des parts et des droits.
« Le délai de deux mois court à compter de la date de la notification aux notaires salariés.
« La cession peut intervenir avant l’expiration du délai de deux mois dès lors que chaque notaire salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre.
« La cession intervenue en méconnaissance des trois alinéas précédents peut être annulée à la demande de tout notaire salarié. L’action en nullité se prescrit par deux mois à compter de la date de publication de l’avis de cession des parts et des droits. »
II. – Après l’article 3 ter de l’ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, il est inséré un article 3 quater ainsi rédigé :
« Art. 3 quater. – Lorsque le propriétaire de l’étude, d’une partie du capital social ou des droits de vote veut en céder une partie, il doit en informer les huissiers salariés de l’office, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs huissiers salariés de présenter une offre pour l’acquisition des parts et des droits.
« Le délai de deux mois court à compter de la date de la notification aux huissiers salariés.
« La cession peut intervenir avant l’expiration du délai de deux mois dès lors que chaque huissier salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre.
« La cession intervenue en méconnaissance des trois alinéas précédents peut être annulée à la demande de tout huissier salarié. L’action en nullité se prescrit par deux mois à compter de la date de publication de l’avis de cession des parts et des droits. »
III. – Après l’article 3 de l’ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 relative au statut des commissaires-priseurs, il est inséré un article 3 bis ainsi rédigé :
« Art. 3 bis. – Lorsque le propriétaire de l’office, d’une partie du capital social ou des droits de vote veut en céder une partie, il doit en informer les commissaires-priseurs salariés de l’office, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs commissaires-priseurs salariés de présenter une offre pour l’acquisition des parts et des droits.
« Le délai de deux mois court à compter de la date de la notification aux commissaires-priseurs salariés.
« La cession peut intervenir avant l’expiration du délai de deux mois dès lors que chaque commissaire-priseur salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre.
« La cession intervenue en méconnaissance des trois alinéas précédents peut être annulée à la demande de tout commissaire-priseur salarié. L’action en nullité se prescrit par deux mois à compter de la date de publication de l’avis de cession des parts et des droits. »
IV. – La section 2 du chapitre III du titre IV du livre VII du code de commerce est complétée par un article L. 743-12-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 743-12-2. – Lorsque le propriétaire d’un greffe de tribunal de commerce, d’une partie du capital social ou des droits de vote veut en céder une partie, il doit en informer les greffiers de tribunal de commerce salariés de l’office, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs greffiers de tribunal de commerce salariés de présenter une offre pour l’acquisition des parts et des droits.
« Le délai de deux mois court à compter de la date de la notification aux greffiers de tribunal de commerce salariés.
« La cession peut intervenir avant l’expiration du délai de deux mois dès lors que chaque greffier de tribunal de commerce salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre.
« La cession intervenue en méconnaissance des trois alinéas précédents peut être annulée à la demande de tout greffier de tribunal de commerce salarié. L’action en nullité se prescrit par deux mois à compter de la date de publication de l’avis de cession des parts et des droits. »
La parole est à M. Jean Desessard.