M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.
M. François Pillet, corapporteur. J’avais parfaitement compris l’objet de votre amendement. Je considère simplement que, même dans le cadre d’une vente à distance, il s’agit d’une garantie supplémentaire accordée au consommateur et qu’il est inutile de l’en priver.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Je ne veux pas prolonger le débat outre mesure, mais je rappelle que le délai de rétractation est limité dans le temps. Si l’on commence à le faire courir trop tôt, le consommateur disposera de moins de temps pour se rétracter. Il pourrait même arriver que le délai de rétractation soit échu lors de la livraison du produit. L’amendement du Gouvernement introduit donc une distinction afin que le consommateur qui commande un produit en ligne puisse user de son droit de rétractation.
M. le président. Je mets aux voix l'article 58, modifié.
(L'article 58 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 58
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1280 rectifié, présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 58
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre III du titre III du livre II du code du commerce est complété par une section … ainsi rédigée :
« Section …
« Des dommages sanitaires, environnementaux et des atteintes aux droits fondamentaux
« Art. L. 233-... – I. – Dans le cadre de ses activités, de celles de ses filiales ou de celles de ses sous-traitants, toute entreprise a l’obligation de prévenir les dommages ou les risques avérés de dommages sanitaires ou environnementaux. Cette obligation s’applique aussi aux dommages résultant d’une atteinte aux droits fondamentaux.
« II. – La responsabilité de l’entreprise, dans les conditions ci-dessus définies, est engagée à moins qu’elle ne prouve qu’elle n’a pu, en dépit de sa vigilance et de ses efforts, prévenir le dommage en faisant cesser son risque ou en empêchant sa réalisation compte tenu du pouvoir et des moyens dont elle disposait. »
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Conformément aux principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en juin 2011, cet amendement vise à instaurer un devoir de vigilance pour les sociétés dans le cadre de leurs activités économiques ou commerciales.
La Commission européenne encourage vivement les États à transposer les principes des Nations unies dans leur droit interne. Il est en effet impératif que les entreprises s’efforcent de prévenir ou d’atténuer les effets négatifs de leurs activités, produits ou services sur les droits humains, même si elles n’ont pas contribué directement à les provoquer. L’objectif est d’obtenir des entreprises qu’elles fassent « preuve de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme ».
En matière de responsabilité civile, il existe déjà dans notre droit un certain nombre de principes de prudence et de vigilance inspirés par le souci d’assurer la sécurité des personnes et des biens et de garantir l’efficacité des activités utiles à la collectivité. Le devoir de prudence concerne tous les types d’activité et s’impose à toutes les personnes physiques et en toutes circonstances. Il impose de veiller à la sécurité d’autrui comme à sa propre sécurité, ainsi qu’au respect des biens, y compris ceux de nature environnementale.
La prudence requise d’un professionnel dans l’exercice de sa profession est appréciée en fonction des usages de cette profession, des moyens dont il dispose lorsqu’il agit et de l’attitude que l’on peut normalement attendre d’un bon professionnel dans sa spécialité.
Le devoir de vigilance, quant à lui, s’inscrit dans le principe d’anticipation. Ainsi, un professionnel ne devrait pas attendre passivement les événements qui entraînent des risques. Dans certains domaines, la vigilance doit être accrue en raison de la nature des actes, notamment pour ceux qui concernent la sécurité des personnes. Elle consiste à envisager tous les incidents qui pourraient éventuellement perturber l’exécution d’un contrat ou causer un dommage au tiers afin d’élaborer des mesures pour y remédier par anticipation.
Il s’agit, enfin, d’étendre ce principe de vigilance aux personnes morales et à tout type de société dans leurs relations commerciales ou économiques. Ces obligations doivent toutefois s’imposer aux sociétés en fonction des moyens dont elles disposent, les PME ne pouvant bien évidemment pas mettre en œuvre les mêmes procédures de contrôle que les multinationales.
M. le président. L'amendement n° 1281 rectifié, présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 58
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le titre IV bis du livre III du code civil, il est inséré un titre … ainsi rédigé :
« Titre …
« De la responsabilité du fait des dommages sanitaires, environnementaux et des atteintes aux droits fondamentaux
« Art. 1386-... – Est présumée responsable la personne morale, qui dans le cadre de ses activités, de celles de ses filiales ou de celles de ses sous-traitants, ne démontre pas avoir pris toutes les mesures nécessaires et raisonnablement en son pouvoir en vue de prévenir ou d’empêcher la survenance d’un dommage ou d’un risque certain de dommage notamment sanitaire, environnemental ou constitutif d’une atteinte aux droits fondamentaux et dont elle ne pouvait préalablement ignorer la gravité. »
… – Au troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, les mots : « ou de sécurité » sont remplacés par les mots : « de sécurité ou de vigilance ».
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, corapporteur. L’amendement n° 1280 rectifié vise à proposer, de façon juridiquement très innovante, qu’une société soit tenue pour responsable des dommages causés par ses filiales et sous–traitants en matière sanitaire ou environnementale ainsi qu’en cas d’atteinte aux droits de l’homme. Ce dispositif a probablement été inspiré par le scandale qui s’est déroulé au Bangladesh. Il part donc d’une intention généreuse.
Comme Mme Beaufils l’a évoqué lors de la présentation de son amendement, il existe depuis 1804 un article du code civil très bien rédigé – à cette époque, on savait rédiger la loi –, correspondant aujourd’hui à l’article 1382, qui dispose que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Quel est l’étudiant en droit qui ne connaît pas par cœur ce type d’article ? (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. François Pillet, corapporteur. Ce principe de responsabilité est du reste reconnu par le Conseil constitutionnel et rappelé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il permet d’ores et déjà d’engager la responsabilité d’une entreprise et, s’il y a lieu, de ses dirigeants, pour tous les dommages dont elle est l’auteur. Il suffit de prouver devant le juge l’existence d’un dommage, d’une faute et d’un lien de causalité. Nous connaissons tous des procès d’entreprises françaises qui peuvent illustrer ce principe, en particulier en matière de dégâts environnementaux.
Cela étant, vous admettrez que si une personne était responsable d’actes fautifs commis par une autre personne, a fortiori si ces actes fautifs étaient commis en dehors du territoire français, cela constituerait une sérieuse innovation juridique. Je doute d’ailleurs qu’une telle mesure soit constitutionnelle. En effet, on ne peut pas être tenu pour responsable des actes d’autrui.
S’agissant des actes fautifs commis par une filiale, la jurisprudence française considère que la responsabilité de la société mère peut utilement être recherchée dès lors qu’il apparaît que la filiale ne disposait en réalité d’aucune autonomie de direction et de gestion. Ce n’est pas envisageable dans les autres cas, par exemple pour les sous-traitants, compte tenu de la portée même du principe de responsabilité.
À cet égard, je ne sais pas si le Sénat aura l’occasion d’examiner la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, adoptée le 30 mars dernier à l’Assemblée nationale, mais ce texte vise exactement la même finalité que cet amendement. Compte tenu des difficultés juridiques et constitutionnelles que je viens d’évoquer, les auteurs de cette proposition de loi ont dû se contenter de prévoir l’établissement par les grandes sociétés de plans de vigilance à l’égard de leurs filiales et sous-traitants, dont seule l’absence serait sanctionnée. Le texte introduit en quelque sorte une obligation de précaution qui pourrait être sanctionnée en l’absence de tout mécanisme de responsabilité.
Compte tenu de ces arguments juridiques, qui, dans certaines hypothèses, permettent de répondre parfaitement à votre souhait, et en raison des difficultés qu’il y aurait à élargir la responsabilité des sociétés, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1281 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 58 bis A
I. – L’article L. 225-94-1 du code de commerce est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle ne peut exercer simultanément plus de deux autres mandats dans une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé si elle exerce un mandat de directeur général, de membre du directoire ou de directeur général unique dans une telle société. » ;
2° (nouveau) Au deuxième alinéa, après la référence : « L. 233-16, », sont insérés les mots : « ou dans lesquelles une participation est détenue, au sens de l’article L. 233-2, ».
I bis (nouveau). – Le premier alinéa de l’article L. 225-95-1 est ainsi modifié :
1° Les mots : « financier ou » sont remplacés par le mot : « financier, » ;
2° Sont ajoutés les mots : « ou d’une société dont l’activité consiste à gérer des titres de participations et de valeurs mobilières ».
II. – Les directeurs généraux, membres du directoire et directeurs généraux uniques disposent d’un délai d’un an à compter de la date de publication de la présente loi pour se mettre en conformité avec le premier alinéa de l’article L. 225-94-1 du code de commerce, dans sa rédaction résultant du I du présent article. À défaut, ils sont réputés démissionnaires de tous leurs mandats.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1553, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article L. 225-94-1 du code de commerce est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce nombre est réduit à trois pour les mandats sociaux exercés au sein de sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé par les personnes exerçant un mandat de directeur général, de membre du directoire ou de directeur général unique dans une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé et qui emploie au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger. » ;
2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa, ne sont pas pris en compte les mandats d’administrateur ou de membre de conseil de surveillance exercés, par le directeur général, les membres du directoire ou le directeur général unique des sociétés dont l’activité principale est d’acquérir et de gérer des participations au sens de l’article L. 233-2, dans les sociétés qui constituent des participations. »
II. – Les dispositions du présent article entrent en vigueur au plus tard l’année suivant la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Cet amendement vise à limiter la réduction des possibilités de cumul des mandats d’administrateur aux dirigeants mandataires sociaux des grandes entreprises cotées et à maintenir une limitation globale à cinq mandats pour les autres dirigeants et administrateurs.
L’article 58 bis A, qui a été introduit par l’Assemblée nationale, plafonne à trois le nombre de mandats d’administrateur ou de mandataire social que peuvent détenir les dirigeants de grandes sociétés cotées françaises, afin de traiter le problème de la « consanguinité », qui est un héritage du capitalisme croisé français des années 1960, 1970 et 1980 mais parfois aussi des années 1990 et 2000. Pour les autres dirigeants ou administrateurs, le plafonnement global du nombre de mandats reste fixé à cinq.
L’amendement du Gouvernement vise à rectifier deux modifications introduites par la commission spéciale.
D’une part, la commission a exclu des règles de cumul les mandats de représentant d’une société dont l’activité consiste à acquérir et à gérer des titres de participation et de valeur mobilière. Il existe en effet des sociétés de gestion dont certains membres peuvent avoir pour profession de gérer des participations. Si je comprends tout à fait le principe selon lequel la nouvelle règle applicable aux dirigeants de grandes sociétés cotées qui restreint le cumul à trois mandats ne doit pas entraîner d’effets négatifs sur l’activité des sociétés d’acquisition et de gestion des participations, je ne suis pas favorable à l’extension de ce principe aux autres administrateurs, c’est-à-dire aux administrateurs non mandataires sociaux. Cet élargissement reviendrait en effet à assouplir la règle actuelle, qui plafonne le cumul à cinq mandats. Sur ce point, j’estime que la commission est allée trop loin.
D’autre part, la commission spéciale a choisi d’appliquer le nouveau plafond de trois mandats à l’ensemble des dirigeants mandataires sociaux. Or il me semble préférable de réserver ce nouveau plafond aux dirigeants des grandes sociétés cotées afin de ne pas pénaliser certains dirigeants de PME à la tête de plusieurs structures juridiques qui ne seraient pas organisées dans un groupe au sens du code de commerce. Tout d’abord, cette flexibilité est nécessaire à leur bon fonctionnement. Ensuite, la « consanguinité » que nous souhaitons réguler ici ne concerne ni les PME ni les TPE.
Le dispositif proposé par la commission spéciale couvre donc de manière indirecte et involontairement le cas de dirigeants qui n’ont pas nécessairement organisé leur PME dans un groupe et qui peuvent détenir plusieurs mandats, sans pour autant qu’on puisse y déceler un conflit d’intérêts. De telles situations résultent d’une organisation choisie par ces dirigeants ou d’une stratégie d’absorptions successives. Sur ce sujet également, la commission me semble être allée trop loin.
M. le président. L'amendement n° 1748, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A. – Avant l’alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... – La section 2 du chapitre V du titre II du livre II du code de commerce est ainsi modifiée :
1° Au deuxième alinéa de l’article L. 225-21, les mots : « contrôlées au sens de l’article L. 233-16 » sont remplacés par les mots : « qui sont contrôlées, au sens de l’article L. 233-16, ou dans lesquelles une participation est détenue, au sens de l’article L. 233-2, » ;
2° Au deuxième alinéa de l’article L. 225-77, les mots : « contrôlées au sens de l’article L. 233-16 » sont remplacés par les mots : « qui sont contrôlées, au sens de l’article L. 233-16, ou dans lesquelles une participation est détenue, au sens de l’article L. 233-2, ».
B. – Alinéa 3
Remplacer la première occurrence du mot :
Elle
par les mots :
Cette personne physique
La parole est à M. François Pillet, corapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 1553.
M. François Pillet, corapporteur. L’amendement n° 1748, par coordination avec les modifications qui ont été apportées par la commission spéciale concernant les mandataires sociaux dirigeants, vise à étendre aux sociétés dans lesquelles est détenue une participation la dérogation applicable actuellement aux sociétés contrôlées en matière de règle de cumul de mandat pour les mandataires non exécutifs administrateurs et membres du conseil de surveillance. En outre, il apporte une petite précision rédactionnelle.
L’amendement du Gouvernement tend à rétablir le texte adopté par l’Assemblée nationale en matière de limitation de cumul de mandats pour les dirigeants mandataires sociaux des sociétés cotées. Le dispositif de cet amendement ne permet plus aux mandataires exécutifs de ces sociétés d’exercer plus de deux autres mandats non exécutifs dans les sociétés cotées. De plus, il complète la règle de cumul par une exonération bénéficiant aux sociétés dont l’objet est de prendre des participations dans d’autres sociétés. Je ne saisis pas clairement l’intérêt d’un tel amendement, car il me paraît en grande partie satisfait par le texte de la commission.
D’une part, le texte de la commission spéciale clarifie et simplifie la restriction apportée à la possibilité pour les dirigeants de cumuler des mandats. Non seulement il est plus lisible, mais il ne comporte plus le seuil de 5 000 salariés, filiales françaises incluses, ou de 10 000 salariés, toutes filiales incluses, qui était source de complexité, nuisait à la clarté et aurait par définition entraîné des effets de seuil liés aux dépassements, qu’il aurait été difficile de gérer. Les représentants des entreprises que j’ai auditionnés m’ont indiqué que, en raison de ce problème, ils préféraient que le seuil soit supprimé et que la nouvelle règle s’applique à toutes les sociétés cotées, quelle que soit leur taille.
D’autre part, la rédaction adoptée par la commission spéciale exonère de la restriction les mandats dans les sociétés au capital desquelles une participation est détenue, au même titre que les mandats dans les sociétés contrôlées, ce qui peut paraître cohérent. Elle en exonère également les sociétés dont l’objet est de prendre des participations ; du reste, s’agissant de ces sociétés, dont M. le ministre a parlé il y a quelques instants, l’amendement du Gouvernement est plus restrictif que ne le laisse entendre son objet, puisqu’il vise seulement les sociétés dont l’activité principale est de prendre des participations. L’amendement n° 1748 que je défends au nom de la commission spéciale vise à compléter cette prise en compte des participations au titre du cumul des mandats non exécutifs.
J’ajoute que, s’agissant de l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles de cumul, qui est un aspect assez important, l’amendement du Gouvernement est moins complet que le texte de la commission, qui précise à titre transitoire la marche à suivre pour les dirigeants exécutifs qui détiendraient un nombre de mandats trop important. Au demeurant, notre texte se borne à reprendre le dispositif de la loi relative aux nouvelles régulations économiques adoptée en 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin.
Dans ces conditions, et comme une large partie des préoccupations de M. le ministre sont satisfaites par le texte de la commission, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 1553.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 1748 ?
M. Emmanuel Macron, ministre. L’amendement n° 1748 tend à instaurer une dérogation générale à la limite de cinq mandats d’administrateur ou de membre de conseil de surveillance prévue par le code de commerce : il s’agit d’exclure du champ des mandats pris en compte non seulement les mandats détenus dans des sociétés contrôlées par celle dont on considère les administrateurs ou les membres du conseil de surveillance, mais également les mandats détenus dans les sociétés au capital desquelles cette société participe. En pratique, donc, les mandats détenus dans toutes ces sociétés ne seraient pas pris en compte pour l’application du plafond légal de cinq mandats.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprenez bien que l’adoption de cet amendement renforcerait la possibilité pour les dirigeants mandataires sociaux des grandes sociétés cotées de cumuler des mandats ; l’amendement n° 1553, au contraire, est fidèle à la philosophie du projet de loi, qui consiste à la réduire.
Au fond, le Gouvernement et la commission spéciale ont deux sujets de désaccord, qui justifient que j’invite le Sénat à rejeter l’amendement n° 1748 et à adopter l’amendement n° 1553.
En premier lieu, la commission spéciale instaure une dérogation pour régler le cas des sociétés de gestion, ce que je conçois d’autant mieux que l’amendement du Gouvernement vise précisément à les prendre en compte, mais elle l’étend au-delà de ces seules sociétés, ce que je désapprouve.
En second lieu, la commission spéciale a supprimé le seuil que l’Assemblée nationale avait adopté, en conséquence de quoi la restriction s’appliquera aux mandats détenus dans des PME et des ETI. Ce sujet de désaccord est, à mes yeux, encore plus substantiel que le premier. Je vous suggère, monsieur le rapporteur, de demander aux organisations représentatives de ces entreprises, en particulier à ASMEP-ETI, ce qu’elles en pensent !
Les ETI, que nous voulons encourager, sont des entreprises à capitaux de long terme, souvent familiaux, qui grossissent par acquisitions et consolidations, suivant un processus qui est très bon pour les filières françaises. Or, très souvent, elles n’absorbent pas les structures juridiques qu’elles acquièrent, de sorte que leur mandataire social peut finir par cumuler plus de cinq mandats, parce qu’il n’a pas opéré de restructuration.
Ainsi donc, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous n’adoptez pas l’amendement n° 1553, vous gênerez les ETI dans leur croissance. Mettez-vous en rapport avec les patrons d’ETI de vos territoires, et vous constaterez que, compte tenu du modèle de développement que suivent ces entreprises, fondé sur des acquisitions, il faut les exonérer de la restriction instaurée en matière de cumul de mandats.
Nous cherchons à traiter un problème très concret du capitalisme français : le cumul par certains grands dirigeants de multiples mandats sociaux. Ce phénomène n’est pas sain, parce qu’il est source de consanguinité, d’opacité et, parfois, d’intérêts liés ; du reste, il a conduit à de mauvaises décisions collectives, dont nous mesurons encore aujourd’hui les conséquences. De là la nécessité d’une restriction.
L’amendement n° 1553 tend à exclure de cette restriction les sociétés de gestion, puisque la multiplication des mandats est leur objet même. Nous commettrions une erreur en n’en excluant pas également les ETI et les PME, au sein desquelles les termes du problème sont très différents.
M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.
M. François Pillet, corapporteur. Monsieur le ministre, je sais écouter les interlocuteurs avec lesquels je débats. Puisque nous sommes appelés à nous revoir en commission mixte paritaire, dans des conditions que j’espère favorables, je vais prendre au pied de la lettre la suggestion que vous m’avez faite de m’entretenir avec les associations représentatives des PME et des ETI : je vais les auditionner, ce qui me permettra de mesurer le bien-fondé de votre argument.
Vous comprendrez que, pour l’heure, je maintienne la position que j’ai défendue au nom de la commission spéciale. Vérification faite, s’il y a lieu d’en changer, nous devrions arriver à un accord en commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote sur l’amendement n° 1553.
M. Patrick Abate. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, aucun de vous ne nous a totalement convaincus, et nous n’avons pas, à cet instant, les moyens de trancher entre les deux options que vous venez de défendre au cours de votre dispute, au sens propre du terme.
L’article 58 bis A marquait une certaine avancée sur la voie d’une démocratisation, certes relative, des instances et des organes dirigeants de nos plus grandes entreprises. De fait, le partage des responsabilités au sein de ces entreprises privilégie largement les héritiers des fondateurs, les héritiers au sens large et les parents, cousins et alliés, sans oublier de hauts fonctionnaires désireux de réaliser une ou deux expériences rémunératrices dans le secteur privé. C’est à juste titre, monsieur le ministre, que vous avez parlé de consanguinité.
Permettez-moi de présenter trois remarques d’ordre général, dont découle notre position.
Premièrement, la logique de non-cumul des mandats, d’exemplarité et de transparence que nous nous imposons à nous-mêmes, ou que du moins nous essayons de nous imposer, devrait infuser dans toute la société et s’étendre à toutes les fonctions de représentation, y compris dans le monde de l’entreprise.
Deuxièmement, les deux amendements qui ont été présentés ne vont même pas aussi loin que le code de bonnes pratiques établi par le MEDEF et l’AFEP. C’est dire leur ambition ! Ils sont en vérité assez éloignés des préconisations de ceux qui, comme nous, espèrent de nouvelles avancées de la démocratie sociale.
Troisièmement, une entreprise ne se résume pas à un résultat opérationnel courant, une marge nette, un résultat d’exploitation ou un résultat net, bref à des données permettant de distribuer des jetons de présence et des dividendes, de préférence « en famille » et dans le cadre de responsabilités croisées assez opaques.
Monsieur le ministre, nous regrettons que l’amendement du Gouvernement s’écarte très largement du dispositif adopté par l’Assemblée nationale sur l’initiative de Mmes Rabault, rapporteur général du budget, et Berger. Autant dire que l’avis favorable que vous aviez émis sur leur amendement n’aura duré que le temps qu’il aura fallu au projet de loi pour parvenir au Sénat… Sans nul doute, il faut lutter contre la consanguinité au sein des conseils d’administration et de surveillance ; mais ce n’est pas en prenant le problème par le petit bout de la lorgnette, ni en adoptant des mesures timorées, que l’on remettra au cœur des préoccupations des grandes entreprises et de leurs dirigeants l’intérêt de l’outil de travail, de l’économie de notre pays et de la croissance qui vous est chère.
Aucun de ces amendements ne nous convient ; nous nous abstiendrons donc sur les deux.