M. François Pillet, corapporteur. Eh oui !
M. Emmanuel Macron, ministre. Il n’y fait référence que pour des questions particulières : au titre de l’obligation de reclassement, on mentionne, par exemple, le comité de groupe.
Les diverses sociétés réunies au sein d’un groupe disposent toutes d’une personnalité morale, assortie de droits et d’obligations qui lui sont propres. A contrario, un groupe n’a pas de personnalité morale. Voilà la véritable différence !
Certes, nous sommes en train de forger de nouvelles dispositions législatives. Mais, en faisant du groupe une entité disposant d’une personnalité morale à la place de ses sociétés, l’on créerait un monstre, sauf à accepter de généraliser le coemploi.
Le groupe n’existe pas juridiquement et n’est pas considéré comme responsable de ses filiales. Voilà pourquoi, en l’absence d’une faute reconnue, la Cour de cassation estime que la responsabilité de la maison mère ne peut être recherchée en droit social.
L’équipementier électronique Molex était considéré comme n’étant pas en situation de coemploi à l’égard de son groupe. On ne lui a donc pas demandé de coopérer au PSE. En revanche, dans le cas de la société Sofarec, le groupe aurait aggravé la situation financière, déjà difficile, de sa filiale française, par des décisions qui n’étaient profitables qu’à son actionnaire unique.
On le constate bien : il faut absolument qu’une ingérence du groupe soit prouvée pour que cette procédure juridique soit mise en œuvre. Mais on ne peut agir par la loi. Il faut passer par la notion de coemploi.
Je le rappelle, le coemploi repose sur le critère économique jurisprudentiel de la triple confusion d’intérêts, d’activités et de direction, détaché de tout lien individuel de subordination avec la société coemployeur. Ce sujet a suscité un contentieux massif.
Depuis de récents arrêts, la Cour de cassation s’attache à cerner le problème par la notion de responsabilité délictuelle. Les trois arrêts importants rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation les 2 et 8 juillet 2014 ont précisément permis d’aller dans ce sens.
Le dernier de ces arrêts, en date du 8 juillet, précise en toute logique que les salariés ayant fait l’objet d’un licenciement pour motif économique peuvent valablement exercer une action en responsabilité extracontractuelle à l’encontre de la maison mère de la société qui les employait, et à laquelle des fautes ayant concouru à la « déconfiture » – je cite l’arrêt en question – de la société et aux licenciements économiques sont reprochées, dès lors que ces fautes supposées ne concernent pas le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi ou de l’obligation de reclassement.
Monsieur Vincent, vous le voyez bien : à travers cette jurisprudence, c’est-à-dire par le droit positif, ce qui est recherché, c’est la responsabilité du groupe lorsqu’il a lui-même organisé la « déconfiture » d’une de ses sociétés.
La définition du coemploi a déjà été précisée, en juillet 2014, par les arrêts Molex et Sofarec. Elle me semble désormais satisfaisante. Elle permet d’imposer la mobilisation des moyens du groupe, en cas de coordination des activités économiques ou des flux financiers entre une entreprise et le groupe auquel elle appartient. À mon sens, l’on couvre réellement le risque que vous évoquez, à travers cette jurisprudence récente comme à travers cet article 101. En effet, ce dernier le précise : indépendamment de tout coemploi, c’est-à-dire de cette responsabilité qui peut être exigée du groupe, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, lorsqu’un PSE est déclenché, l’administrateur liquidateur va requérir les moyens du groupe pour faire face aux obligations financières.
À la lumière de ces éléments, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement. Le sujet qui vous préoccupe est déjà traité.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, au cas où je n’aurais pas le temps de vous le dire demain lors des explications de vote sur l’ensemble, je tiens à vous l’assurer dès aujourd’hui : j’apprécie que vous preniez le temps de nous exposer les enjeux de chaque question. Cela ne signifie pas que je me réjouis toujours de voir nos débats se prolonger au-delà d’une certaine heure. Comme nous tous, j’ai des obligations à respecter… Mais, à mon sens, la méthode que vous suivez mérite d’être saluée.
En l’occurrence, votre argument est le suivant : définir les groupes dans la législation et détailler la manière dont ils sont rattachés à leurs filiales reviendraient à créer un « monstre ». Je note d’emblée que cela reste à voir : il me semble plus juste d’affirmer que cette question reste à travailler.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. D’ailleurs, en cas d’optimisation, le « monstre » existe déjà !
M. Jean Desessard. Vous nous rappelez une jurisprudence que vous semblez approuver : si un groupe a fait subir des ingérences manifestes à l’une de ses filiales, en lui imposant des surfacturations, en l’obligeant à opter pour tel fournisseur ou, plus généralement, à faire des choix non rentables pour elle, il est normal qu’une solidarité s’impose. Ce principe est fixé par la jurisprudence. Mais, dès lors, pourquoi ne pas le transposer dans un article de loi ?
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas si simple !
M. Jean Desessard. Puisqu’une jurisprudence existe, il serait tout de même intéressant que les relations entre un groupe et ses filiales soient retranscrites, avec les responsabilités qui en découlent, dans le code du travail.
Je comprends bien les difficultés qui se font jour : il ne faut pas, en proposant une définition de la notion de groupe, créer un « monstre ». Je le répète, ce terme me laisse un peu perplexe… Pourquoi ne pas définir plus précisément la responsabilité d’un groupe par rapport à ses filiales, et ses obligations en cas de plan social ? La question reste posée.
S’il est maintenu, je voterai donc le présent amendement.
M. le président. Monsieur Vincent, l’amendement n° 542 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Maurice Vincent. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 542 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 925 rectifié bis, présenté par MM. Cadic, Canevet, Guerriau, Delahaye, Tandonnet et Pozzo di Borgo, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à l’article L. 1233-4, l’obligation de formation, d’adaptation et de reclassement est mise en œuvre dans l’entreprise. Si l’entreprise appartient à un groupe, l’employeur, l’administrateur ou le liquidateur sollicitent les autres entreprises du groupe auquel elle appartient afin d’établir une liste d’emplois qui y sont disponibles et de la mettre à disposition des salariés susceptibles d’être licenciés. » ;
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. Cet amendement tend à rétablir la possibilité de limiter les obligations de reclassement au seul niveau de l’entreprise en difficulté.
Cette disposition figurait effectivement dans le projet de loi initial, mais l’Assemblée nationale l’a supprimée.
La commission considère cette suppression comme justifiée : il ne faut pas multiplier les règles spécifiques aux entreprises en difficulté. De plus, nous venons de l’observer, l’article 100 simplifie déjà les règles de reclassement.
Voilà pourquoi je demande le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Delahaye, l’amendement n° 925 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Vincent Delahaye. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 925 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 1315, présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – Après l’article L. 1233-63 du code du travail, il est inséré un article L. 1233-63-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1233-63-1. – Lorsque le plan de sauvegarde de l’emploi est mis en œuvre dans le cadre d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, et que l’entreprise concernée appartient à un groupe, l’entreprise mère, au sens des articles L. 511-20 du code monétaire et financier et L. 233-16 du code de commerce, est solidairement responsable avec sa filiale du financement du plan de sauvegarde de l’emploi. Dans ce cas, l’institution de garantie mentionnée à l’article L. 3253-14 du présent code reste tenue de garantir les créances résultant de la rupture des contrats de travail mentionnées à l’article L. 3253-8 du même code, pour l’ensemble de la somme dont la filiale est solidairement redevable. »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mes chers collègues, cet amendement tend à responsabiliser les entreprises en instaurant une obligation d’abondement des plans de sauvegarde de l’emploi, les PSE, par les groupes et non par les seules filiales concernées. Vous le constatez, nous prolongeons ainsi le débat qui vient d’avoir lieu !
Dans sa rédaction actuelle, l’article 101 conduit à demander à des entreprises en difficulté financière de financer des PSE.
En outre, il nous expose à un autre écueil, à savoir un risque accru de fraude et une incitation à la mise en redressement ou en liquidation judiciaire de la part des groupes. Pourquoi ces derniers se priveraient-ils de mettre en difficulté l’une de leurs filiales ? Ils pourraient ainsi réduire leurs coûts en délocalisant, et sans payer un sou au titre du PSE ! Les exemples existent déjà, et l’on pourrait détailler nombre d’entre eux.
Voilà pourquoi cet amendement vise à compléter le présent article, en y ajoutant un paragraphe rendant obligatoire la solidarité du groupe à l’égard de ses entreprises. Cela étant, j’ai bien compris qu’une telle mesure posait des difficultés.
M. le président. L'amendement n° 1316, présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – L’article L. 3253-8 du même code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 3253-8. – L’assurance mentionnée à l’article L. 3253-6 couvre :
« 1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l’employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;
« 2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :
« a) Pendant la période d’observation ;
« b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
« c) Dans les quinze jours, ou dans les trente jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
« d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou dans les trente jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité ;
« 3° Les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposé le contrat de sécurisation professionnelle, sous réserve que l’administrateur, l’employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé ce contrat aux intéressés au cours de l’une des périodes indiquées au 2° , y compris les contributions dues par l’employeur dans le cadre de ce contrat et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié ;
« 4° Les mesures d’accompagnement résultant d’un plan de sauvegarde de l’emploi déterminé par un accord collectif majoritaire ou par un document élaboré par l’employeur, conformément aux articles L. 1233 24 1 à L. 1233 24 4, dès lors qu’il a été validé ou homologué dans les conditions prévues à l’article L. 1233 58 avant ou après l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;
« 5° Lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d’un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues :
« a) Au cours de la période d’observation ;
« b) Au cours des quinze jours, ou dans les trente jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;
« c) Au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés prévus par les articles L. 621 4 et L. 631 9 du code de commerce ;
« d) Pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation et au cours des quinze jours, ou dans les trente jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité.
« La garantie des sommes et créances mentionnées aux 1° , 2° et 5° inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d’origine légale, ou d’origine conventionnelle imposée par la loi. »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pour le Gouvernement, le principal problème auquel l’administration du travail est confrontée est le manque de temps. En conséquence, nous proposons de porter de vingt et un à trente jours la durée dont l’administration du travail dispose pour vérifier les plans de sauvegarde de l’emploi. Ainsi, les salariés bénéficieront des garanties nécessaires pour l’ensemble de cette période.
À travers cet article 101, le Gouvernement a décidé de pérenniser la situation actuelle, à savoir l’exonération des responsabilités des groupes lorsqu’une de leurs filiales se trouve en difficulté. En contrepartie, il nous paraît indispensable d’apporter cette garantie aux salariés : que l’ensemble des parties prenantes aient le temps d’étudier convenablement le PSE.
Nous craignons également que cet article ne conduise à créer un mécanisme incitant les groupes à organiser eux-mêmes, artificiellement, le redressement ou la liquidation judiciaire de leurs filiales. De tels cas de figure se présentent déjà, malheureusement !
Dans ces conditions, nous savons que les PSE seront moins favorables aux salariés et moins bien financés. Je le dis et je le répète, il est indispensable de donner à l’administration du travail le temps nécessaire pour vérifier en profondeur les choix proposés. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 1318, présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – L’article L. 3253-14 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les organisations syndicales représentatives au niveau national sont représentées au sein de l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, et prennent part aux décisions. »
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’association pour la gestion du régime de garantie de créances des salariés, l’AGS, intervient en cas de redressement, de liquidation judiciaire de l’entreprise, ou encore, sous certaines conditions, en procédure de sauvegarde. Elle assure le paiement dans les meilleurs délais des sommes dues aux salariés – salaires, préavis, indemnités de rupture, etc. –, conformément aux conditions fixées dans le code du travail.
Nonobstant son statut d’organisme patronal, l’AGS bénéficie d’une convention de gestion avec le régime d’assurance chômage. Elle intervient donc directement dans le paiement des salaires. Il semble dès lors cohérent et indispensable d’y associer les organisations représentatives du personnel.
Les délégations de l’UNEDIC et de l’AGS présentes sur l’ensemble du territoire sont appelées à prendre des décisions déterminantes pour l’avenir des salariés. Associer les instances représentatives du personnel à ces travaux serait une mesure de transparence et d’équité. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. L’amendement n° 1315 tend à instituer une obligation, pour la maison mère, de solidarité financière à l’égard d’une filiale en difficulté qui met en œuvre un PSE. Comme cela a déjà été souligné, cette piste de réflexion doit être approfondie. Il convient de l’inscrire dans une stratégie globale relative aux droits et obligations des groupes, et prenant en compte l’attractivité de notre pays à l’égard des groupes internationaux. L’avis est donc défavorable.
S’agissant de l’amendement n° 1316, le d) du 2° de l’article L. 3253-8 du code du travail oblige l’AGS à garantir les salaires « pendant le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l’activité ». L’amendement vise à porter cette période de vingt et un à trente jours. Si l’intention est louable, la commission craint qu’elle ne pose des difficultés à l’AGS, déjà confrontée à des problèmes financiers importants. L’avis est par conséquent défavorable.
L’amendement n° 1318 vise à intégrer la participation des organisations syndicales représentatives au niveau national à la gouvernance de l’AGS. La création de l’AGS relève d’une initiative des employeurs, et il a semblé difficile à la commission de modifier sa gouvernance sans entendre au préalable les parties prenantes, ce sujet n’ayant jamais été abordé lors des auditions. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 101, modifié.
(L'article 101 est adopté.)
Article 102
(Non modifié)
L’article L. 1235-16 du code du travail est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « mentionné », sont insérés les mots : « au dernier alinéa du présent article et » ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« En cas d’annulation d’une décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 en raison d’une insuffisance de motivation, l’autorité administrative prend une nouvelle décision suffisamment motivée dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à l’administration. Cette décision est portée par l’employeur à la connaissance des salariés licenciés à la suite de la première décision de validation ou d’homologation, par tout moyen permettant de conférer une date certaine à cette information.
« Dès lors que l’autorité administrative a édicté cette nouvelle décision, l’annulation pour le seul motif d’insuffisance de motivation de la première décision de l’autorité administrative est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne lieu ni à réintégration, ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur. »
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. Cette intervention vaudra défense de l’amendement n° 92.
On le sait, si l’administration ne motive pas suffisamment sa décision de validation de l’accord collectif ou d’homologation du document unilatéral valant PSE, cette décision peut être annulée. Dans ce cas, l’employeur doit, selon l’article L. 1235-16 du code du travail, réintégrer le salarié dans l’entreprise avec maintien de ses avantages acquis, sous réserve de l’accord des parties, ou, à défaut, verser au salarié une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Pour éviter cette situation, l’article 102 du projet de loi prévoit qu’en cas d’annulation d’une décision d’homologation d’un PSE par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi – la DIRECCTE - en raison de son insuffisance de motivation, l’administration sera juste tenue de prendre une nouvelle décision « suffisamment motivée ». Dès lors, l’annulation sera « sans incidence sur la validité du licenciement » et ne donnera lieu « ni à réintégration, ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur ». En outre, ce dernier devra porter à la connaissance des salariés licenciés à la suite de la première décision administrative la nouvelle décision, par tout moyen permettant de conférer une date certaine à cette information.
L’objectif a été clairement exprimé par le rapporteur thématique à l’Assemblée nationale, ce dernier ayant indiqué : « à mon sens, le simple fait d’instaurer ce mécanisme a de fortes chances de dissuader les avocats de soulever le grief d’insuffisance de motivation ». Il semble surtout que ce projet de loi, au-delà des avocats, vise à dissuader les représentants du personnel et, plus généralement, les salariés d’engager des procédures judiciaires à l’encontre de leurs employeurs. Ainsi le Gouvernement se félicite-t-il sans cesse du succès de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, au motif que le nombre des recours engagés a très fortement diminué !
Désormais, il s’agit de sécuriser non plus l’emploi, mais les employeurs ! En effet, l’article 102 tend à éviter que l’employeur ne subisse, en présence d’un licenciement collectif impliquant la mise en place d’un PSE, les conséquences de l’annulation pour insuffisance de motivation d’une décision d’homologation ou de validation par le juge administratif. Ces conséquences, rappelons-le, sont inévitablement celles qui sont envisagées par l’article L. 1235-16 du code du travail, sur lequel ma collègue Annie David a déjà eu l’occasion d’intervenir.
Mais est-ce ainsi qu’il faut apprécier l’efficacité d’une loi ? Les recours ont-ils diminué parce que les salariés sont satisfaits de leur sort ou parce qu’ils ne disposent plus de recours efficace ?
À limiter ainsi les droits de recours, l’État pourrait finir par ne plus respecter l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Mais il prend aussi le risque de voir les salariés utiliser d’autres moyens que les voies judiciaires pour tenter d’être respectés.
De plus, il faut souligner que la décision rendue le 22 avril 2014, dans l’affaire Comité central d’entreprise HJ Heinz France SAS, par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est la seule que la commission spéciale de l’Assemblée nationale cite dans son rapport pour étayer cette modification législative. Or ce jugement critiquable a depuis été infirmé par la Cour administrative d’appel de Versailles.
Le montage que vous proposez, monsieur le ministre, vise en réalité à priver d’effet l’annulation par le juge administratif d’une décision non motivée de l’autorité administrative, décision ne constituant rien de moins, soulignons-le, qu’une condition de validité des licenciements.
Plus fondamentalement, il neutralise le développement d’un contentieux et d’une jurisprudence qui contribueraient, par touches successives, à définir les éléments de la motivation des décisions d’homologation ou de validation, c’est-à-dire le contenu de l’obligation de motiver posée à l’article L. 1233-57-3 du code du travail. Vous cherchez donc, une fois encore, à prendre le contrepied de la jurisprudence.
De plus, cet article 102 est un prolongement de la volonté initiale du Gouvernement de neutraliser partiellement la fonction même de l’homologation.
C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 102.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 92 est présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 491 est présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste.
L'amendement n° 958 rectifié est présenté par MM. Collombat, Arnell, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard et Requier.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L’amendement n° 92 a été défendu.
La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 491.
M. Jean Desessard. Nous avons déjà beaucoup discuté du sujet, à l’occasion de l’examen de l’amendement du Gouvernement à l’article 101. Dès lors qu’il y avait déjà renvoi vers l’article, l’adoption de cet amendement conduira à rallonger la loi en indiquant deux fois la même chose.
Tout comme l’amendement du Gouvernement, l’article 102 tend à retirer de l’importance aux décisions du juge. Il est effectivement prévu, en cas d’annulation d’une décision de validation ou d’homologation pour insuffisance de motivation, que l’autorité administrative prenne une nouvelle décision suffisamment motivée. Une fois celle-ci prise, donc après le jugement du tribunal, l’annulation pour le seul motif d’insuffisance de motivation de la première décision de l’autorité administrative est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne donc droit ni à la réintégration ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur.
Selon moi, mais M. le ministre s’est engagé à nous fournir des explications, il y a là un véritable mépris des décisions de justice et une atteinte aux revendications légitimes des salariés. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article 102.
Sans vouloir argumenter à nouveau, lorsqu’une autorité invalide une décision, des compensations sont généralement prévues, soit sous une forme financière, soit par la réintégration en entreprise. Aujourd'hui, on nous oppose le contraire, ce qui a lieu de nous surprendre. D’ailleurs, si cet article 102 n’était pas supprimé, cela donnerait raison à mes collègues du groupe CRC qui, tout à l’heure, cherchaient à supprimer les alinéas 5 et 6 de l’article 101. Pour ma part, je me fondais, comme l’a souligné fort justement et judicieusement M. le président de la commission spéciale, sur l’article actuel du code du travail.