Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaires :
MM. François Fortassin, Philippe Nachbar.
2. Candidatures à un organisme extraparlementaire
3. Accord France–États-Unis relatif à la lutte contre la criminalité grave et le terrorisme. – Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État
Adoption de l’article unique du projet de loi.
4. Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
Suspension et reprise de la séance
5. Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
projet de loi relatif au renseignement (suite)
Amendement n° 61 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 104 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 66 rectifié bis de M. Claude Malhuret. – Rejet.
Amendement n° 21 rectifié ter de M. Jean-Jacques Hyest. – Adoption.
Amendement n° 40 de M. Jean-Yves Leconte. – Devenu sans objet.
Amendement n° 105 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 169 du Gouvernement. – Retrait.
M. Bernard Cazeneuve, ministre
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 92 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 177 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 132 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 133 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
6. Questions d'actualité au Gouvernement
exécutions capitales en arabie saoudite
Mme Nathalie Goulet, M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger
Mme Élisabeth Lamure, M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
M. Alain Bertrand, Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité
chiffrage des aménités positives et des externalités négatives de l'agriculture conventionnelle/bio
MM. Joël Labbé, Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement
MM. Michel Billout, François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
rapport duron - trains intercités
MM. Jean-Jacques Filleul, Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche
MM. André Trillard, Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche
enseignement supérieur et recherche
Mmes Dominique Gillot, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche
Mme Delphine Bataille, M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
rapport duron – trains intercités
Mme Caroline Cayeux, M. Alain Vidalies, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
7. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
8. Organisme extraparlementaire
9. Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
projet de loi relatif au renseignement (suite)
Amendement n° 36 de M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. – Retrait.
Amendement n° 32 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° 93 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 50 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 135 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 186 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 136 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 137 rectifié bis de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 94 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 80 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 138 rectifié de M. Claude Raynal. – Retrait.
Amendement n° 75 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rectification.
Amendement n° 75 rectifié bis de M. Jacques Mézard. –Rejet.
Amendement n° 51 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 139 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 52 rectifié de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 142 rectifié de Mme Sylvie Robert. – Retrait.
Amendement n° 55 de Mme Cécile Cukierman. – Retrait.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 54 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 140 rectifié de M. Claude Raynal. – Rejet.
Amendement n° 143 rectifié de Mme Sylvie Robert. – Rejet.
Amendement n° 144 rectifié bis de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 145 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 95 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 146 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 96 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 97 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 98 de Mme Esther Benbassa. – Adoption.
Amendement n° 147 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Devenu sans objet.
Amendement n° 148 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 57 de Mme Cécile Cukierman. – Retrait.
Amendement n° 179 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 211 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 149 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 150 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 151 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 23 rectifié bis de M. Claude Malhuret. – Rejet.
Amendement n° 184 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 191 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 14 rectifié de Mme Catherine Morin-Desailly. . – Retrait.
Amendement n° 172 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 152 rectifié de Mme Sylvie Robert. – Retrait.
Amendement n° 58 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
Amendement n° 167 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 53 rectifié ter de M. Jean-Jacques Hyest. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 29 rectifié sexies de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.
Amendement n° 153 rectifié bis de M. Gaëtan Gorce. – Rejet.
Article 1er bis A (nouveau) – Adoption.
Articles 2 et 3 (précédemment examinés)
Amendement n° 189 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 198 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 199 rectifié de la commission. – Adoption.
Amendement n° 200 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 173 rectifié du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 3 bis
Amendement n° 187 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
M. Bernard Cazeneuve, ministre
M. Bernard Cazeneuve, ministre
Amendement n° 22 rectifié ter de M. Jean-Jacques Hyest. – Retrait.
Amendement n° 201 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 168 du Gouvernement. – Adoption.
Amendement n° 37 de M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. – Retrait.
Amendement n° 106 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 162 rectifié de Mme Sylvie Robert. – Rejet.
Amendement n° 176 du Gouvernement. – Retrait.
Amendement n° 107 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Article 5 – Adoption.
Amendement n° 202 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 82 de M. Jean-Yves Leconte. – .
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Amendement n° 203 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 210 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 108 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 62 de Mme Michelle Demessine. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 63 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 163 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Retrait.
Amendement n° 164 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet par scrutin public.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 109 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 204 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 214 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 111 de Mme Esther Benbassa. – Adoption.
Amendement n° 110 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 11 bis
Article 12 (suppression maintenue)
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l'article 13
Amendement n° 212 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 213 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles 15 bis et 15 ter (nouveau) – Adoption.
Amendement n° 170 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 16
Amendement n° 206 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, rapporteur
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux
Renvoi de la suite de la discussion.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de sénateurs pour siéger au Conseil national de la mer et des littoraux.
La commission des lois a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Pierre Frogier pour siéger comme membre titulaire et celle de M. Thani Mohamed Soilihi pour siéger comme membre suppléant au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
3
Accord France–États-Unis relatif à la Lutte contre la criminalité grave et le terrorisme
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme (projet n° 48, texte de la commission n° 387, rapport n° 386).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’accord qui vous est soumis aujourd’hui est particulièrement important dans le contexte sécuritaire actuel international et européen.
Cet accord vise au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme entre la France et les États-Unis.
En effet, depuis les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont fait de la sécurité intérieure une priorité absolue. Bien entendu, la lutte contre le terrorisme, la sécurisation des frontières, la gestion de crise et la cybercriminalité relèvent de cette priorité.
Dans ce cadre, la coopération judiciaire et opérationnelle est très intense avec les États-Unis. Toutefois, outre le canal de l’Organisation internationale de police criminelle, ou Interpol, cette coopération n’est pas institutionnalisée au travers d’un service centralisé, en raison d’une multiplicité d’acteurs fédéraux appartenant à différents ministères : département de la sécurité intérieure, ou DHS, département de la justice, ou DOJ, département de la défense, ou DOD, tous chargés, selon leur juridiction, de l’application de la loi.
Une fois ratifié, cet accord renforcera indéniablement les échanges opérationnels entre nos deux pays.
On peut s’en étonner, mais il n’existait jusqu’ici aucun accord bilatéral de coopération entre la France et les États-Unis en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme. Cet accord sera donc le premier du genre. J’ajoute qu’à ce jour une vingtaine d’autres États membres de l’Union européenne ont signé un accord du même type.
J’en viens maintenant plus précisément au contenu de cet accord.
Vous le savez, les filières et réseaux criminels sont désormais multinationaux, et les individus concernés sont particulièrement mobiles, menant des opérations ou des actions sur les continents tant européen qu’américain. Les mouvements extrémistes violents et des groupes criminels organisés sont capables de contourner les nouvelles méthodes et techniques d’investigations mises en œuvre par les services d’enquête.
C’est la raison pour laquelle les outils internationaux sont devenus indispensables pour lutter contre la criminalité grave et transfrontalière et contre le terrorisme. Dans ce contexte, le renforcement de la coopération transatlantique est devenu une nécessité. À titre d’exemple, c’est un renseignement américain qui a permis en juin 2012 la saisie de 113 kilos de cocaïne dans le port du Havre.
Or – et c’est là-dessus que je souhaite insister –, seules les données dactyloscopiques et génétiques permettent aujourd’hui d’établir de façon certaine l’identité des personnes et de procéder à des identifications lors de l’utilisation par un même individu d’états civils différents.
Il est donc essentiel que toutes ces vérifications puissent être établies par la consultation des fichiers existants, dans le respect bien évidemment des libertés et des droits fondamentaux.
L’accord qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, vise précisément à renforcer la coopération entre la France et les États-Unis en matière d’échange d’informations sur les profils génétiques et les empreintes dactyloscopiques, ainsi que par la transmission spontanée d’informations à titre préventif.
L’objectif est de permettre aux points de contact nationaux d’accéder mutuellement aux bases de données dactyloscopiques et génétiques pour une consultation automatisée, au cas par cas.
Il est important de bien comprendre les principales modalités de mise en œuvre de l’accord, même si elles sont un peu techniques, afin d’avoir une vision concrète des avancées qu’il contient.
Le point de contact national de l’État requérant est informé par voie automatisée de l’absence de concordance ou des données indexées pour lesquelles une concordance a été constatée.
Les consultations de données dactyloscopiques s’opèrent dans le respect de la législation nationale de l’État à l’origine de l’interrogation.
La consultation automatisée de données génétiques n’est permise, pour procéder à des comparaisons sur la base d’une interrogation « concordance ou pas de concordance », que lorsque chaque législation nationale l’autorise et selon le principe de réciprocité.
Pour la France, les fichiers interrogés sont le fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, pour les profils ADN, et le fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED, dont la finalité est exclusivement judiciaire.
À ce stade, cette information ne constitue pas une donnée à caractère personnel. La seule information qui parvient alors à l’État à l’origine de l’interrogation est la confirmation que l’empreinte de l’individu figure dans la base de données interrogée par la transmission des données indexées, lesquelles ne permettent toutefois pas l’identification directe de la personne concernée.
En effet, cette identification n’est en aucun cas automatique. Elle n’intervient que lors d’une seconde étape.
Il s’agit là, à nos yeux, d’un point essentiel.
Les dispositions de cet accord limitent les droits de consultation aux fins de prévention et de détection des infractions entrant dans son champ d’application, ainsi qu’aux enquêtes, exclusivement dans le domaine du terrorisme et de la criminalité organisée.
Par ailleurs, toujours dans le domaine du terrorisme et de la criminalité organisée, cet accord permet, en application de la législation nationale de chaque État, des échanges d’informations d’initiative, dont des données à caractère personnel, pour prévenir la commission d’infractions.
Enfin, je tiens à rappeler le contexte dans lequel s’inscrit le présent accord.
Dès 1986, le gouvernement fédéral des États-Unis a mis en place un programme d’exemption de visas à destination des pays développés. Le but était alors de faciliter le tourisme et les voyages d’affaires sur le territoire américain, pour des séjours n’excédant pas trois mois.
Or, vous le savez, depuis les attaques terroristes de septembre 2001, pour continuer à bénéficier de ce programme d’exemption de visas, les pays concernés doivent développer des échanges d’informations avec les États-Unis, plus particulièrement pour la prévention et la lutte contre la criminalité grave et le terrorisme.
Dès lors, les États-Unis ont proposé la conclusion d’accords de coopération en matière de prévention et de répression de la criminalité organisée et du terrorisme aux États membres de l’Union européenne qui bénéficiaient du programme d’exemption de visas et se montraient désireux de le conserver.
À ce jour, seuls la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne, la Croatie et Chypre n’en font pas partie.
Nos principaux partenaires européens – je songe à l’Allemagne, à l’Italie et à l’Espagne – ont ratifié un tel accord pour continuer à bénéficier du programme d’exemption de visas. Il s’agit là, en outre, d’un enjeu pour l’attractivité économique de notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les principales dispositions de l’accord relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de présenter l’accord dont nous débattons aujourd’hui en commission des affaires étrangères, laquelle l’a adopté, ainsi que mon rapport, à l’unanimité des présents.
Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une coopération déjà ancienne entre la France et les États-Unis. En effet, nos deux pays sont déjà liés par deux accords : le premier, datant de 1996, est relatif à l’extradition ; le second, adopté deux ans plus tard, est relatif à l’entraide judiciaire.
Depuis 2007, 475 demandes d’entraide ont été adressées aux États-Unis par les autorités françaises, dont 48 en matière de terrorisme. Parallèlement, les autorités américaines ont adressé 225 demandes d’entraide à la France, dont 37 en matière de terrorisme.
Cela étant, la France refuse toute entraide dans une affaire judiciaire pouvant conduire à une condamnation à la peine de mort aux États-Unis. Il est important de le souligner !
À cette coopération judiciaire s’ajoute une coopération opérationnelle très efficace, notamment avec le ministère de la sécurité intérieure et les agences fédérales qui dépendent du ministère de la justice, comme le FBI ou la Drug Enforcement Administration.
Le caractère international des mouvements terroristes et des réseaux du crime organisé, l’extrême mobilité de leurs membres, leur remarquable capacité à contourner les techniques d’investigation des services d’enquêtes, même les plus modernes, rendent nécessaires le renforcement de la coopération. Le but est de pouvoir identifier de manière certaine, au moyen des données dactyloscopiques et génétiques, des personnes qui utilisent de multiples identités.
À l’heure actuelle, les échanges de données biométriques entre la France et les États-Unis s’effectuent dans le cadre de lettres d’entraide internationale via Interpol et restent très limités, faute d’un outil adapté.
Les États-Unis sollicitent le renforcement de cette coopération. Ils conditionnent le maintien du programme d’exemption de visas pour des séjours de moins de trois mois, le Visa Waiver Program, mis en place en 1986 avec un certain nombre de pays, au développement des échanges d’informations dans les domaines de la prévention et de la répression du terrorisme et de la criminalité grave.
Ainsi, en 2008, la France a été invitée à négocier un accord sur l’échange de données génétiques et dactyloscopiques, lequel a finalement été signé en mai 2012.
Inspiré du traité dit « de Prüm », du 27 mai 2005, lui-même partiellement incorporé dans les décisions du Conseil de l’Union européenne en date du 23 juin 2008, le présent accord prévoit une coopération judiciaire pénale reposant essentiellement sur un accès automatisé d’une partie aux bases de données d’empreintes génétiques et dactyloscopiques de l’autre partie.
Toutefois, notons que le champ du présent accord est un peu moins étendu que celui du texte européen.
Premièrement, cet accord ne vise que la consultation des données dactyloscopiques et génétiques ainsi que l’éventuel transfert des données correspondantes. A contrario, le traité de Prüm permet, par exemple, la consultation des registres d’immatriculation de véhicules.
Deuxièmement, le présent accord n’implique pas une transmission automatique des données personnelles.
Troisièmement, ce texte encadre plus fortement les conditions d’envoi des données.
Cet accès est assuré via des points de contact nationaux, désignés par les parties qui les autorisent, dans un premier temps, à procéder à des comparaisons par une interrogation de type « concordance ou pas de concordance ». Ce n’est qu’une fois la concordance établie définitivement que la transmission de données à caractère personnel est effectuée, selon la législation nationale de la partie requise.
C’est à ce stade que devra être précisément justifiée l’inscription de la demande de transmission des données personnelles dans un cadre de police judiciaire. Pour que ces données puissent être valablement utilisées comme preuves ultérieurement, leur transmission sera encore souvent assurée par le biais d’une demande d’entraide judiciaire.
En France, le point de contact devrait être la sous-direction de la police technique et scientifique de la direction centrale de la police judiciaire.
Ces droits de consultation sont strictement encadrés. Ainsi, ils doivent être exclusivement employés dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une procédure d’enquête relatives à des crimes graves et visant une ou plusieurs personnes déterminées.
Sont concernées les infractions relatives à la criminalité grave et au terrorisme, définies en annexe, ainsi que les autres faits passibles d’une peine privative de liberté égale ou supérieure à trois ans.
Les fichiers automatisés susceptibles d’être consultés à la demande des États-Unis sont le fichier national automatisé des empreintes génétiques pour les profils ADN, le FNAEG, et le fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED.
Dans les cas d’urgence ou de péril imminent, l’accord ouvre la possibilité d’une transmission spontanée de données personnelles, à titre préventif, au vu de circonstances particulières laissant présumer qu’une personne est susceptible de commettre des infractions terroristes ou liées à la grande criminalité. Cette transmission est opérée par l’intermédiaire des points de contact désignés et peut être assortie de conditions d’utilisation.
En France, c’est l’unité de coordination de la lutte anti-terroriste, l’UCLAT, rattachée au directeur général de la police nationale, qui devrait être le point de contact.
J’en viens à la protection des données à caractère personnel.
La longueur des négociations s’explique par les garanties exigées par la France en la matière, étant donné que les États-Unis ne sont pas considérés comme un État tiers hors Union européenne qui assure « un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux » au sens de l’article 68 de la loi du 6 janvier 1978.
Ces garanties sont détaillées à l’article 10 du présent accord, lequel érige en principe le respect de la confidentialité et la protection appropriée des données à caractère personnel transférées.
En conséquence, les parties s’engagent à ne transmettre que les données à caractère personnel « adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont communiquées », à s’assurer que toute erreur constatée soit signalée à la partie destinataire en vue de sa rectification et à conserver les données transmises pendant la seule durée d’utilisation nécessaire à la procédure judiciaire pour lesquelles elles ont été demandées.
S’y ajoute une garantie supplémentaire : la transmission des données obtenues en provenance d’un État tiers est soumise à l’autorisation de ce dernier. La tenue d’un registre des données reçues ou transmises permet d’assurer la traçabilité des échanges, la sécurité des données et le contrôle effectif des dispositions de l’accord.
Ainsi, mes chers collègues, la France peut refuser de répondre positivement à une demande d’entraide judiciaire si l’exécution de cette dernière risque de porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre juridique ou à d’autres intérêts essentiels. De surcroît, je le répète, elle refuse toute entraide dans une affaire judiciaire pouvant conduire à une condamnation à la peine de mort aux États-Unis.
L’accord comporte également des engagements de la partie américaine à assurer la protection des données communiquées. Là encore, il revient au Gouvernement français, comme à notre administration, d’être vigilant quant à la réalité de sa mise en œuvre.
Un mécanisme de contrôle par une autorité indépendante est prévu, qui peut être l’autorité compétente en la matière de la partie concernée, comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, en France. La transparence et l’information des personnes concernées sont exigées.
En outre, un droit de recours approprié est garanti à toute victime d’une violation de ses droits, ainsi que la protection des données à caractère personnel, indépendamment de la nationalité ou du pays de résidence de l’intéressé.
L’effectivité de ce recours suppose une adaptation de la législation américaine par le Congrès en vue d’étendre aux Français, et plus généralement aux Européens, le droit de recours judiciaire prévu par le Privacy Act de 1974, qui ne concerne actuellement que les Américains et les résidents aux États-Unis.
Annoncée par le président Obama en janvier 2014, puis réclamée par l’ancien procureur général des États-Unis et ministre de la justice américain Éric Holder en juin 2014, cette extension n’a pas encore été adoptée. J’appelle donc notre diplomatie à s’engager fortement sur ces dossiers essentiels.
Un suivi et des consultations entre les parties au sujet de la mise en œuvre de l’accord sont prévus, particulièrement en cas d’évolution des négociations sur l’accord dit « parapluie » entre l’Union européenne et les États-Unis, relatif à la protection des données personnelles lors de leur transfert et de leur traitement aux fins de prévenir les infractions pénales, dont les actes terroristes.
Il importe de souligner que toutes les données conservées en contravention avec les dispositions de l’accord pourront être écartées comme éléments de preuve, et leur pertinence réexaminée.
Par ailleurs, l’accord peut être suspendu en cas de manquement substantiel, et après consultation bilatérale des parties.
En conclusion, ce projet de loi facilitera la coopération judiciaire entre la France et les États-Unis, à un moment où les services de police français et américains ont de plus en plus besoin d’échanger rapidement des données dans des conditions techniques et juridiques sûres. Il permettra, de surcroît, de maintenir à nos compatriotes le bénéfice de l’exemption de visa pour des séjours de moins de trois mois.
C’est pourquoi la commission s’est prononcée à l’unanimité de ses membres présents en faveur de l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons ce matin de ce projet de loi dans un contexte particulier : l’étude de cette convention intervient en effet alors que le Sénat examine actuellement le projet de loi relatif au renseignement.
Or ces deux textes soulèvent une seule et même question, celle de l’arbitrage entre la protection des libertés individuelles et la nécessaire lutte contre le terrorisme. La recherche d’un équilibre entre ces deux dimensions n’est évidemment pas nouvelle. Elle remonte à l’origine de la philosophie politique et fut au cœur de la réflexion du penseur anglais Thomas Hobbes.
Ainsi, sécurité et liberté entretiennent une relation complexe. La première constitue à la fois la condition de la jouissance de la seconde, et la source de sa restriction.
Aujourd’hui, nos sociétés suivent des trajectoires dictées par le terrorisme international, qu’elles tentent, coûte que coûte, de combattre. Cette trajectoire est celle du « tout sécuritaire ».
Au fil des années, nous avons donc entériné une surenchère législative, légitimant un accroissement des pouvoirs de police et une surveillance accrue, voire quasi généralisée, de la population. Avons-nous seulement pris le temps de dresser le bilan de ce qui a fonctionné ou non ? Il ne faudrait pas que l’impératif de rapidité d’action phagocyte entièrement la raison et la réflexion.
Pour revenir à notre texte, cet accord vise à entériner la coopération judiciaire pénale entre les États-Unis et la France, en matière de criminalité grave et de terrorisme. Les données échangées sont les empreintes génétiques et dactyloscopiques de nos concitoyens.
Ces derniers mois, au sein de cet hémicycle ou encore en commission des affaires européennes, j’ai eu l’occasion de défendre longuement la nécessité de combattre efficacement le terrorisme, et d’y consacrer les moyens adéquats. Loin de moi, donc, l’idée de remettre en cause une telle lutte !
J’estime cependant que cette lutte ne saurait se faire au détriment des libertés des citoyens. Et cet impératif vaut également, et surtout, pour les accords conclus avec d’autres États. Or c’est bien au regard de la transmission et de la protection de données à caractère personnel que le texte en débat paraît problématique.
À ce titre, il est fort regrettable que le Gouvernement n’ait pas associé la CNIL à la conclusion de cet accord, alors qu’il en avait la possibilité. Un travail en commun aurait très certainement représenté une garantie de contrôle du respect des libertés.
L’article 10 de cet accord établit, certes, des garanties en matière de protection et de traitement des données à caractère personnel. Il prévoit ainsi la nécessité d’un contrôle par une autorité indépendante et le droit à un recours approprié.
Pourtant, lorsqu’on examine de près la législation américaine, on réalise qu’elle est, pour l’heure, loin d’être conforme à ces exigences.
De plus, le cadre de protection fixé par ce texte n’est pas satisfaisant.
Tout d’abord, les États-Unis ne disposent pas d’autorité indépendante équivalente à la CNIL. L’accord prévoit seulement la garantie – hélas bien maigre ! – que la désignation de cette autorité devra figurer dans des « arrangements administratifs ultérieurs ».
Laisser un point aussi essentiel à des arrangements ultérieurs fait planer une incertitude dérangeante quant à la nature, au fonctionnement et aux prérogatives de cette autorité dont on ne connaît pas encore les contours. De plus, cela nous empêche, nous parlementaires, de nous exprimer en temps utile sur un élément qui intéresse pourtant au premier chef les garanties entourant la protection des données personnelles transmises.
Ensuite, le droit américain pèche au regard du droit au recours pour violation du droit à la protection des données à caractère personnel. Là encore, il ne répond pas aux garanties affichées par l’article 10 précédemment cité. Alors que ce droit doit être assuré quels que soient la nationalité et le pays de résidence du requérant, la législation américaine le réserve aux seuls citoyens américains et aux résidents des États-Unis.
Malgré des annonces en ce sens de la part du président Barack Obama, aucun acte législatif du Congrès n’a pour le moment été voté. Comment être certain qu’un tel vote interviendra prochainement, au vu des fluctuations des décisions du Congrès, et du Sénat en particulier, au cours des dernières semaines ?
Cette question est d’autant plus sérieuse que les négociations entre les États-Unis et la Commission européenne au sujet d’un « accord parapluie » relatif à la protection des données à caractère personnel échangées dans le cadre de la coopération policière et judiciaire achoppent sur la question de l’octroi d’un recours juridictionnel aux citoyens européens.
Pourtant, rappelons-le, le droit à un recours juridictionnel effectif est garanti par nos textes les plus fondamentaux.
Ainsi, le Conseil constitutionnel le déduit de l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il découle de la combinaison des articles 6 et 13 de la Convention. Montesquieu lui-même n’hésitait pas, dans ses écrits, à lier procédure et liberté.
Ces deux insuffisances majeures en termes de garanties font écho à deux des points qui occupent nos débats sur le projet de loi relatif au renseignement : les prérogatives de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et le droit de recours devant le Conseil d’État.
Dans ces conditions, approuver un tel accord serait contraire à toutes les valeurs que nous défendons.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe écologiste votera contre cet accord.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’accord entre la France et les États-Unis que nous sommes amenés à ratifier ce matin, est essentiellement consacré au sujet sensible et délicat de la coopération judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme, mais aussi contre la criminalité grave.
Comme l’a rappelé Mme la rapporteur, la coopération en matière d’entraide pénale entre nos deux pays est ancienne, puisqu’elle date de la fin des années quatre-vingt-dix.
Par la suite, en 2008, nous avons été sollicités par les États-Unis pour négocier un accord de coopération policière sur l’échange de données génétiques et d’empreintes digitales, afin de lutter contre la criminalité organisée.
Les finalités de cet échange d’informations ont d’ailleurs été rapidement étendues à la lutte contre le terrorisme, ce qui est tout à fait compréhensible, au vu de l’évolution inquiétante de ce phénomène à travers le monde.
Le texte soumis à ratification aujourd’hui seulement a été finalement signé, après de longues négociations, en mai 2012. Il prévoit une coopération judiciaire pénale reposant essentiellement sur l’accès automatisé d’un pays aux bases de données d’empreintes génétiques et dactyloscopiques de l’autre.
En France, les fichiers automatisés susceptibles d’être consultés à la demande des États-Unis sont le fichier national automatisé des empreintes génétiques pour les profils ADN, ou FNAEG, et le fichier automatisé des empreintes digitales, ou FAED.
Il faut relever qu’il est prévu de rendre possible cet accès réciproque automatisé aux fichiers avant même que nos législations aient été harmonisées. L’accord tient ainsi compte de l’organisation fédérale des États-Unis, chaque État possédant son propre fichier automatisé d’empreintes génétiques sans qu’un fichier fédéral existe encore.
En nous présentant cet accord, le Gouvernement a insisté sur le fait que la longueur des négociations s’expliquait par les exigences dont nous avions fait preuve en matière de garantie des droits fondamentaux et des libertés individuelles.
Cet argument me laisse perplexe, étant entendu, par exemple, que le gardien du respect de la vie privée en matière de fichiers, la CNIL, n’a pas été associée au travail d’élaboration de l’accord.
De la même façon, je suis sceptique au sujet du mécanisme de contrôle par une autorité indépendante, dans la mesure où il n’existe pas, aux États-Unis, d’autorité administrative dans ce domaine.
Enfin, d’autres éléments m’incitent également à la prudence à l’égard de cet accord. C’est le cas, par exemple, de cette remarque de Mme la rapporteur insistant sur « la nécessité d’un travail scrupuleux de vérification de l’application de cet accord par chacune des parties ».
Au-delà de la formulation, sans doute valable pour tous les types d’accords, cette phrase me semble bien exprimer le sentiment que certaines questions restent en suspens et n’ont pas été véritablement réglées.
Enfin, l’argument de Mme la rapporteur selon lequel il serait nécessaire de ratifier cet accord pour maintenir le bénéfice de l’exemption de visa, par les États-Unis, pour des séjours de moins de trois mois pour nos compatriotes, me laisse dubitatif. La France ne sollicite aucune faveur dans le domaine de la liberté de circulation de nos compatriotes. Elle ne marchande pas non plus.
Toutes ces réserves me conduisent à penser que les garanties obtenues sont insuffisantes, particulièrement sur plusieurs points : l’effectivité du droit de recours accordé par les États-Unis aux ressortissants français ; l’accès réciproque automatisé aux fichiers ; la possibilité d’une transmission spontanée de données personnelles à titre préventif ; l’instauration d’un mécanisme de contrôle par une autorité indépendante.
Dans ces conditions, bien que l’accord ne porte que sur la coopération en matière d’enquêtes judiciaires, il faut s’interroger sur les effets négatifs d’une conception et d’une législation différentes dans nos deux pays en matière de protection des données personnelles.
La ratification intervient aussi dans le contexte particulier de la discussion actuelle du projet de loi relatif au renseignement, dans lequel la question de la protection des données personnelles fait précisément débat.
De même, le débat parlementaire aux États-Unis s’attache aujourd’hui à la question d’une éventuelle réduction des capacités de la NSA à collecter un très large champ de données personnelles indifférenciées.
Ainsi, notre appréciation de cet accord ne peut éluder la question de la conception particulière qu’ont les États-Unis de la collecte massive de renseignements à partir de données personnelles. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, ils pratiquent une politique de surveillance mondiale – en particulier à travers internet –, laquelle passe notamment par des partenariats avec certains services de renseignement européens.
Souvenons-nous qu’un scandale a tout récemment éclaté en Allemagne, qui a révélé que le partenariat germano-américain de coopération sur la collecte de métadonnées indifférenciées et sur l’interception des flux internet avait servi à la surveillance d’hommes politiques et de responsables industriels européens, parmi lesquels des Français.
Je refuse les amalgames, mais je ne souhaite pas non plus que la coopération avec les États-Unis en matière de lutte contre le terrorisme s’effectue de façon déséquilibrée, en fonction des exigences propres de ce pays.
Entendons-nous bien : il est à mon sens impératif de nous donner des moyens efficaces de coopération internationale pour lutter contre le terrorisme. Au vu, toutefois, des réserves sérieuses que suscite à mon avis cet accord, je refuse d’oublier les exigences de notre État de droit au prétexte de la lutte contre le terrorisme.
Pour cet ensemble de raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’amitié entre la France et les États-Unis a été scellée voilà plus de deux siècles : pensez à La Fayette, Benjamin Franklin ou Thomas Jefferson !
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Nos deux nations partagent depuis longtemps des valeurs et un idéal de paix qui les engagent bien souvent sur la scène internationale. Certains de ces engagements en faveur de la liberté exposent nos concitoyens, notre territoire et nos intérêts au risque terroriste.
Au début de cette année, l’attaque contre Charlie Hebdo est une illustration tragique de cette menace qui met au défi notre pays par rapport à la sécurité de nos concitoyens. Visant un symbole de la liberté d’expression, cet attentat a eu un retentissement planétaire, tout comme celui contre le World Trade Center en 2001, dont la dimension spectaculaire avait frappé d’effroi le monde entier.
Aussi, la lutte contre le terrorisme est un combat international qui mobilise fortement la France et les États-Unis. L’accord relatif au renforcement de la coopération judiciaire qu’il nous est proposé d’approuver aujourd’hui participe de ce combat commun. Il est le prolongement d’une coopération transatlantique déjà à l’œuvre dans le domaine de la criminalité grave et du terrorisme. En effet, comme l’a rappelé Mme la rapporteur, deux accords existent déjà, concernant l’un, l’extradition, l’autre, l’entraide judiciaire. Mais, au regard des événements dramatiques qui ponctuent régulièrement l’actualité, ainsi que de l’évolution des méthodes des organisations terroristes, il est nécessaire de renforcer la coopération entre la France et les États-Unis.
Effectivement, il faut rapidement approfondir cette coopération pour l’adapter aux nouvelles menaces. Je pense en particulier aux filières djihadistes, qui se jouent des frontières et des techniques d’investigation pour perpétrer leurs funestes opérations. M. le Premier ministre l’a rappelé mardi dernier devant le Sénat, lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement : « Il est en effet indispensable que notre dispositif de lutte contre le terrorisme s’adapte en permanence à une menace particulièrement mouvante qui ne cesse d’évoluer et de s’intensifier. »
Il est aujourd’hui évident que la localisation et l’identification, à l’échelle internationale, de personnes suspectées de préparer un attentat ou d’appartenir à une organisation criminelle sont un axe important de la lutte contre le terrorisme. Les sénateurs de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe l’ont d’ailleurs souligné dans leur rapport en proposant de lever les obstacles aux coopérations judiciaires bilatérales.
À cet égard, il était donc urgent d’examiner le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires entre les États-Unis et notre pays, cet accord ayant été signé dès 2012.
Comme vous le savez, mes chers collègues, cet accord s’inspire du traité de Prüm. Dans cette ville d’Allemagne, d’ailleurs peu éloignée des Ardennes françaises, sept États membres de l’Union européenne ont signé en 2005 ce traité, qui permet l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales et de données à caractère personnel. Dans la même optique, il s’agit ce jour d’encadrer la consultation automatisée de données dactyloscopiques et de profils ADN dans le cadre de l’entraide franco-américaine. Le champ d’application d’une telle mesure est bien sûr limité aux infractions relatives à la criminalité grave et au terrorisme.
Si le contenu de cet accord ne pose pas de problème de principe pour l’ensemble des membres du groupe du RDSE, je soulignerai seulement notre attachement au respect de la protection des données à caractère personnel. Comme nous avons eu l’occasion de le rappeler encore tout récemment dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, dans le domaine touchant au recueil et à l’analyse d’informations personnelles, il importe bien évidemment de toujours rechercher l’équilibre entre sécurité et liberté.
En l’espèce aussi, nous devons faire montre d’efficacité sans pour autant porter atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles pour lesquelles la France et l’Union européenne ont des exigences fortes, probablement plus fortes qu’outre-Atlantique. En effet, certaines dispositions du Patriot Act autorisant la collecte massive et indiscriminée de données témoignent de cette différence ; le USA Freedom Act, adopté mardi dernier par le Congrès des États-Unis, semble encore timide en matière de respect de la vie privée.
Cependant, malgré les réserves que nous pouvons avoir sur la politique générale de recueil de données aux États-Unis, nous pouvons être satisfaits des garde-fous qui ont été apportés au sein de l’accord qui nous intéresse.
Parmi ces garanties, citons le système de l’accès aux données de type concordance / pas de concordance, ou encore la consultation de celles-ci uniquement au cas par cas dans le respect de la législation nationale. On peut également apprécier les dispositions de l’article 10 de l’accord relatives à l’utilisation des données, s’agissant notamment des principes de sécurité liés à leur manipulation.
Les mesures d’information des personnes concernées et celles qui visent le droit de recours vont naturellement dans le bon sens : la protection de la vie privée. Mon groupe défend ce droit depuis toujours, ou plutôt depuis plus d’un siècle : à défaut d’être le plus nombreux, c’est en effet, mes chers collègues, le groupe le plus ancien du Sénat ! (Sourires.)
La lutte contre le terrorisme est devenue une préoccupation majeure des pouvoirs publics. L’accord en cause est un pas supplémentaire dans le combat commun que nous devons mener contre ce fléau, face auquel les démocraties doivent être plus fortes, plus unies et plus inflexibles.
C’est pourquoi les membres du RDSE apporteront leur plein et entier soutien au texte proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Christiane Kammermann applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à ce stade du débat sur un accord international qui ne pose pas vraiment de difficultés, je lèverai d’emblée le suspense : bien évidemment, le groupe UDI-UC votera en faveur de son approbation.
Ce texte est extrêmement important, comme les orateurs précédents l’ont souligné. Voilà quelques mois, en tant que présidente de la commission d'enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, j’ai pu rencontrer, en compagnie du coprésident, André Reichardt, et d’autres collègues, le directeur de la CIA, John Brennan. Celui-ci a beaucoup insisté non seulement sur l’importance de cet accord et l’urgence de son approbation, mais également sur la qualité des échanges d’informations avec les services français et, plus généralement, de ses relations avec la communauté du renseignement de notre pays. Cela atteste que l’extrême qualité de notre renseignement est reconnue.
Dans cette enceinte, nous traitons depuis quarante-huit heures de ce sujet. On aura pu remarquer, fait rare, la présence au banc du Gouvernement du garde des sceaux, des ministres de l’intérieur et de la défense, et même du Premier ministre, venus défendre le projet de loi relatif au renseignement. Cela témoigne de l’engagement gouvernemental en faveur de nos services de renseignement – ô combien investis –, en faveur de ces hommes qui servent notre pays et la coopération antiterroriste.
Je veux donc ce matin apporter mon propre témoignage de la qualité de ces services, et rappeler qu’il est absolument normal que le Parlement donne aux hommes qui travaillent afin de garantir la sécurité nationale et internationale l’ensemble des moyens dont ils ont besoin. Le terrorisme ne connaît pas de frontières, nous le savons.
Le présent accord comporte un certain nombre de dispositions déjà décrites par les précédents orateurs. Reste le problème de la peine de mort, qui est encore en vigueur outre-Atlantique, et parfois appliquée. Il faut des garanties en ce domaine, mais l’accord en prévoit évidemment.
Permettez-moi d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, une digression au sujet de notre base militaire d’Abu Dhabi. L’accord signé entre les Gouvernements français et émirati formalisant le cadre juridique de cette base laisse ouverte la possibilité que la peine de mort soit infligée à nos agents par les tribunaux des Émirats arabes unis. Je souhaiterais par conséquent que vous accordiez une attention particulière à l’application de cet accord, afin d’assurer la protection de nos agents.
Pour en revenir au texte examiné aujourd’hui et au problème de la protection des données personnelles, cet accord octroie des garanties, comme le mentionne le rapport de la commission. Par ailleurs, le Congrès américain vient de refuser de reconduire un certain nombre de dispositions du Patriot Act et a retiré à la NSA certains de ses moyens. Ces évolutions nous donnent bon espoir quant à la réalisation d’un équilibre entre sécurité et liberté. Notre niveau d’exigences est désormais le même.
Le système d’échange d’informations prévu dans cet accord est évidemment essentiel. Toutefois, il est regrettable qu’il soit exclusivement articulé autour des États-Unis, qui ont conclu un très grand nombre de conventions de cette nature.
Nous devrons formuler, comme pour le passenger name record, le PNR, des exigences à l’échelon européen. En effet, un accord avec les États-Unis seulement sera insuffisant.
Monsieur le secrétaire d’État, il serait également utile de réfléchir, au plan administratif et réglementaire, à la façon dont nous pourrions articuler l’application de cet accord avec les dispositions contenues dans le projet de loi relatif au renseignement, afin qu’il trouve sa pleine application et toute sa force. La concomitance des textes nous appelle à une meilleure articulation, notamment par le biais du contrôle exercé par la délégation parlementaire au renseignement.
Nul doute que cette délégation aura à cœur de faire des points de contact nationaux les interlocuteurs privilégiés. L’UCLAT fait évidemment un travail absolument remarquable : il ne saurait y avoir un autre interlocuteur qu’elle.
Au final, au-delà de ces trois problèmes d’articulation, d’extension à nos voisins européens, et de contrôle par la délégation au renseignement, je ne peux que saluer la conclusion de cet accord, ainsi que son examen en séance publique. Cela aussi est bon pour la transparence, d’autant plus que cet examen s’effectue de manière concomitante avec la discussion du projet de loi relatif au renseignement. Sous ces réserves d’usage, comme je vous l’ai dit en commençant mon intervention, le groupe UDI-UC votera tout naturellement en faveur de ce texte absolument nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Puisque nous souscrivons, mes chers collègues, à l’analyse exhaustive de l’accord qu’a effectuée dans son excellent rapport Joëlle Garriaud-Maylam, et puisque ce texte constitue à n’en pas douter un outil supplémentaire pour faire pièce à la guerre insidieuse que le terrorisme et le crime organisé livrent à notre pays avec constance et virulence, la seule question politique qui se pose alors, et qui a été posée par les orateurs qui m’ont précédé à la tribune, est de savoir si cet accord présente des garanties satisfaisantes du point de vue des libertés publiques.
Si l’on adopte cet angle d’analyse – je le dis sans ambages –, il apparaît clairement que les craintes à ce sujet, si tant est qu’elles existent réellement, sont dénuées de fondement, même si des lacunes ou des imprécisions demeurent dans ce texte. Qu’on en juge !
Il s’agit d’abord de compléter l’arsenal de coopération et d’entraide judiciaire déjà existant, autorisant l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales et palmaires et de données à caractère personnel. La connexion et le rapprochement de tels éléments permettront d’identifier des concordances ou des non-concordances de traces ADN et dactyloscopiques, ou d’autres données. Cela se fera dans des conditions encadrées.
Premièrement, la concordance constatée ne débouchera pas sur l’identification de la personne. Ce n’est que si des résultats du tri automatique intéressent les services concernés qu’une recherche de vérification, d’approfondissement ou de précision sera menée. Le harpon, pas le chalut...
Deuxièmement, si une urgence survient, une transmission « spontanée » peut être effectuée. Mais cela ne peut être fait qu’au cas par cas. Il s’agit d’être réactif, efficace et opérationnel ! Le temps est, dans ces circonstances, un facteur capital. Comme l’a souligné Nathalie Goulet, l’UCLAT sera la plateforme de contact national, assurant par là même une homogénéité de fléchage.
Troisièmement, la transmission de données personnelles sera réalisée conformément à la législation nationale, et la protection de ces données sera assurée par l’autre État. Sauf exception, un État tiers ne recevra pas de données personnelles.
Quatrièmement, il est exclu qu’une information française puisse constituer une aide à un jugement conduisant à la peine de mort aux États-Unis, et ce pour des raisons évidentes. À cet égard, il me plaît de rendre hommage à notre ami Robert Badinter.
Cinquièmement, les États s’engagent à assurer la confidentialité, la sécurité et la protection des données personnelles, et pourront, le cas échéant, rectifier, compléter, voire gommer les données dont l’intangibilité est bornée dans le temps.
Sixièmement, la transmission des données sera limitée à l’objet même de l’enquête, et son périmètre d’investigation sera proportionné, ne serait-ce que pour des raisons d’efficacité et de coût.
Septièmement, l’accord prévoit un mécanisme de contrôle exercé par une autorité de contrôle. Ce point est important, même si les organismes ne sont pas réellement nommés. Aussi, il conviendra de préciser ce volet ultérieurement.
Huitièmement, un registre des données sera tenu ; il permettra la traçabilité des échanges.
Quant aux personnes concernées, elles auront droit à la transparence et seront informées de l’action qui pourrait être menée à leur insu et, plus précisément, du contenu et de la raison du contrôle subi, du nom de l’auteur et du destinataire si tel est le cas. La seule exception – c’est parfaitement compréhensible ! – est liée au caractère grave d’une circonstance urgente.
Ces personnes pourront aussi, s’il advenait que de graves manquements soient mis au jour, engager un recours. C’est en tout cas possible en France, les États-Unis n’ayant, pour le moment, réservé cette possibilité qu’à leurs ressortissants et résidents dans le cadre du Privacy Act de 1974, comme cela a été indiqué par Mme la rapporteur. Il serait judicieux que nos amis américains comblent cette lacune législative.
Enfin – last but not least –, en cas de très graves dysfonctionnements, les États pourront toujours suspendre leur accord.
On le constate, l’accord est pragmatique, réaliste et concret. Même s’il est légitime de s’interroger, les garanties sont sérieuses, réelles et solides. Il n’y a donc pas lieu de suspecter un déficit démocratique réel. À l’inverse, chacun peut aisément comprendre combien l’échange et la possibilité du croisement de données peuvent faire surgir, ébaucher, dessiner des profils actifs ou dormants, dangereux ou menaçants, et aussi, à l’évidence, peuvent aider à débusquer le plus rapidement possible les sectateurs et les semeurs de haine, ainsi que les terroristes de tout acabit.
Échanger, confronter, partager nos informations est une bonne chose, au service de la sécurité et de la liberté. Cette recherche de l’équilibre est, au demeurant, l’apanage des démocraties. Nos amis américains viennent d’ailleurs de le démontrer avant-hier, en votant le USA Freedom Act, qui protège mieux la vie privée d’intrusions aveugles dignes de Big Brother.
Il faut donc se féliciter que le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme soit aujourd'hui soumis à notre vote. Cette procédure de coopération sera d’une grande utilité pour mener à bien des enquêtes très sensibles et toujours très difficiles et délicates, et ce sans verser dans le « tout sécuritaire ».
Il revient à nos deux nations de se doter des moyens financiers, matériels et humains adéquats. L’efficacité de notre sécurité collective et de notre liberté commune en sera renforcée.
C’est par conséquent une approbation franche que les membres du groupe socialiste apporteront à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Très bonne intervention !
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Je tiens avant tout à remercier Mme la rapporteur, Joëlle Garriaud-Maylam, qui s’est énormément investie sur ce texte. Elle a effectué de nombreux déplacements aux États-Unis et rencontré beaucoup de personnalités qualifiées sur le sujet.
L’accord entre la France et les États-Unis relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme est très important.
Tout d’abord, je veux rappeler que la collaboration entre la France et les États-Unis est ancienne, notamment en matière d’entraide pénale et judiciaire. Depuis 2001, nos pays et d’autres en Europe sont les cibles du terrorisme, dont les ramifications internationales sont de plus en plus difficiles à appréhender. De fait, la collaboration opérationnelle entre les États est décisive. Cela implique un échange d’informations utiles et exploitables par les services chargés de la sécurité des citoyens.
L’accord permettra de faciliter des échanges d’informations concernant les profils ADN et les données dactyloscopiques, c'est-à-dire l’échange d’empreintes digitales et génétiques. L’échange de ce type de données peut, je le sais, mes chers collègues, inquiéter certains d’entre nous ; c’est parfaitement compréhensible. Aussi, il est capital de préciser que ces échanges seront mis en place dans un cadre bien spécifique et sous des conditions particulières.
Rappelons que le transfert de données vers des États tiers, hors Union européenne, est soumis à un régime prévu par les articles 68, 69 et 70 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Cette loi transpose la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données. En outre, son article 68 précise que le transfert de ces données n’est possible que vers les États assurant « un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux ».
Dans la mesure où la Commission européenne estime que les États-Unis ne présentent pas un niveau de protection globale adéquat pour ces données, les échanges ne se feront qu’avec une appréciation du niveau de protection au cas par cas. Précisons que ces échanges ne seront ni systématiques ni automatiques.
L’accès aux données ne se fera que par des points de contact nationaux désignés par chacune des parties.
De plus, l’article 10 de l’accord oblige les parties à tenir un registre des données reçues ou transmises, ce qui permet la traçabilité des échanges, qui feront aussi l’objet d’un bilan, comme le prévoit l’article 12.
Par ailleurs, ne nous méprenons pas, ces échanges seront pratiqués pour des faits très graves, tels que le terrorisme, l’adhésion à un groupe criminel organisé, ou encore l’infraction de conspiration.
À ce stade du débat, je tiens à dire que cet accord ne vise pas que la lutte contre le terrorisme ; il concerne aussi la lutte contre la criminalité grave.
Aujourd’hui, la sécurité internationale est largement compromise par l’internationalisation du crime organisé, qui, depuis plus de vingt ans, connaît des mutations structurelles. Les États doivent faire face à des organisations criminelles transnationales, dont les domaines traditionnels d’activité évoluent.
En effet, la lutte contre le crime organisé doit s’adapter aux mutations créées par la mondialisation. Ce fut l’objet de la conférence de signature de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée qui s’est tenue à Palerme en 2000. L’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan déclarait alors : « Les groupes criminels n’ont pas perdu de temps pour adopter d’enthousiasme l’économie mondialisée d’aujourd’hui et les technologies de pointe qui l’accompagnent. Mais nos efforts pour les combattre sont restés jusqu’à présent très fragmentaires et nos armes pratiquement obsolètes. »
De fait, les États doivent modifier leur législation et leurs coopérations. Les mafias et les autres organisations criminelles n’ont pas disparu, bien au contraire ! En Chine, en Russie, en Europe, en Amérique latine, elles luttent pour garder le contrôle des trafics de drogue, de produits de contrefaçon et d’êtres humains. Cet aspect est, pour moi, très important. Les actions de ces organisations peuvent déstabiliser des régions entières du globe, notamment dans des États aux structures de gouvernance fragile.
L’accord dont nous débattons ce matin peut conduire à des progrès en matière de lutte contre ces mafias, et nous nous en félicitons. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État. La lutte contre la criminalité grave transfrontalière et le terrorisme est devenue, nous en convenons tous, de plus en plus compliquée et a fortiori de plus en plus nécessaire. Aussi convient-il de mettre en place des outils internationaux, car, comme vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, les groupes criminels ont une incroyable faculté d’adaptation aux situations nouvelles.
Oui, le renforcement de la coopération transatlantique est une nécessité absolue.
MM. Billout et Gattolin ont évoqué la question du droit de recours. Ce droit est prévu dans l’accord ; c’est même l’une des principales demandes émanant des Européens. Les Américains ont pris l’engagement de travailler avec le Congrès pour y parvenir.
En tout état de cause, l’accord franco-américain prévoit que toute personne considérant que ses droits sont violés doit avoir accès à un recours approprié. Des garanties ont d’ailleurs été négociées par le Gouvernement pour suspendre l’application de cet accord en cas de manquements graves à cette clause. Cette dernière doit donc être considérée au regard de ce droit de recours.
Ensuite, vous avez parlé, mesdames, messieurs les sénateurs, de la CNIL. À cet égard, je précise que, d’une part, le Conseil d’État a été saisi de ce projet de loi et l’a examiné et que, d’autre part, la France a veillé, dans le cadre de négociations dont Mme la rapporteur a souligné la durée, à se référer aux principes majeurs de la loi informatique et libertés.
Quoi qu’il en soit, la CNIL n’est habituellement pas saisie des projets de loi autorisant l’approbation d’accords de sécurité intérieure. En réalité, il s’agit d’une faculté et non d’une obligation, à laquelle le Gouvernement n’a pas recouru, car, comme je l’indiquais, les grands principes ont été respectés dans ce projet de loi.
Compte tenu des événements et de la nécessaire accélération de la lutte contre le terrorisme, j’estime que nous avons absolument besoin d’outils comme celui-là, et que le projet de loi sera très utile dans ce cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le gouvernement de la république française et le gouvernement des états-unis d’amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d'enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme (ensemble une annexe), signées à Paris le 3 mai 2012 et à Washington le 11 mai 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. En ma qualité d’ancien coprésident de la commission d’enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, je tiens à dire à quel point j’approuve ce projet de loi autorisant l’approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique. Je souhaite saluer la traduction législative d’un accord qui arrive à point nommé dans la lutte que nous menons contre le terrorisme.
Certes, la maturation de ce texte aura été longue. Cependant, Mme la rapporteur, Joëlle Garriaud-Maylam, a rappelé l’importance de parvenir à un bon équilibre entre la nécessité d’une lutte efficace contre le terrorisme et, naturellement, celle de la protection des données individuelles et des individus.
En effet, nous avons réellement besoin d’échanges d’informations entre les États-Unis et la France en matière d’empreintes digitales et génétiques. Pour m’être rendu aux États-Unis dans le cadre des travaux de la commission d’enquête précitée et avoir constaté l’antériorité, pour ne pas dire l’avance, dont dispose ce pays en matière de lutte contre le terrorisme – en raison bien entendu des attentats de 2001 –, je pense véritablement que toutes les mesures qui contribuent au rapprochement des méthodes et des dispositifs entre nos pays doivent être prises.
À mon tour, je souhaite élargir un peu les débats, en rappelant l’intérêt de tels échanges, non seulement avec les États-Unis, monsieur le secrétaire d’État, mais aussi avec tous les pays impliqués dans la lutte contre le terrorisme, puisqu’il s’agit là d’une action internationale.
Je tiens de nouveau à insister sur le fait qu’il y a urgence à appliquer correctement le code frontières Schengen aux frontières extérieures de l’Union européenne, car, à l’heure actuelle, tel n’est pas le cas !
Ainsi, le rapport de la commission d’enquête susvisée qui a été approuvé à l’unanimité a montré de nombreux dysfonctionnements. Certains d’entre nous ont parlé d’un espace Schengen « passoire » ; je ne suis pas loin de penser la même chose ! Pourtant, il n’est nul besoin de modifier le code frontières Schengen pour que celui-ci accorde aux différents pays de cet espace les moyens de réaliser ces indispensables échanges d’informations qui sont, aujourd’hui encore, insuffisants.
Quand on sait que la Commission européenne n’obtient pas de la part de pays qui se situent à nos frontières de réponses aux enquêtes qu’elle mène – par exemple, sur le nombre de migrants dont, malheureusement l’actualité est pleine, qui ont débarqué depuis des cargos et ont traversé le territoire –, on doit se poser la question de l’utilité d’un code frontières qui ne serait pas appliqué !
Par ailleurs, je voudrais signaler que la commission des affaires européennes a adopté à l’unanimité une proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne, qui va dans le sens de ce que j’indique.
Enfin, si le Gouvernement reprend actuellement, au travers du projet de loi relatif au renseignement, un certain nombre de préconisations qui figurent notamment dans le rapport de la commission d’enquête, il n’en reste pas moins, monsieur le secrétaire d’État, qu’il est absolument indispensable d’entreprendre un maximum d’efforts à l’échelon européen pour que la lutte contre le terrorisme soit menée dans les meilleures conditions et aboutisse aux résultats que nous attendons toutes et tous.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements au banc des commissions et sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État. Je tiens à remercier Mme la rapporteur du travail accompli et de son rapport très complet, ainsi que M. le président de la commission, tous les intervenants et tous les sénateurs présents dans cet hémicycle.
Cet accord constitue un outil véritablement indispensable dans la lutte que nous menons, au-delà de la question de la garantie des visas pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
4
Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des lois a proposé des candidatures pour le Conseil national de la mer et des littoraux.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Pierre Frogier membre titulaire du Conseil national de la mer et des littoraux et M. Thani Mohamed Soilihi membre suppléant de cet organisme.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à midi.)
M. le président. La séance est reprise.
5
RENSEIGNEMENT ET NOMINATION DU PRÉSIDENT DE LA COMMISSION NATIONALE DE CONTRÔLE DES TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement (texte n° 424, texte de la commission n° 461, rapport n° 460, avis n° 445), et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (texte n° 430, texte de la commission n° 462, rapport n° 460).
projet de loi relatif au renseignement (suite)
M. le président. Dans la discussion des articles du texte de la commission sur le projet de loi relatif au renseignement, nous avons entamé hier l’examen de l’article 3, appelé en priorité, dont je rappelle les termes :
Article 3 (priorité) (suite)
Le titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, tel qu’il résulte de l’article 2 de la présente loi, est complété par des chapitres III et IV ainsi rédigés :
« CHAPITRE III
« De la sonorisation de certains lieux et véhicules et de la captation d’images et de données informatiques
« Art. L. 853-1. – I. – Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre, peut être autorisée, lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé, l’utilisation de dispositifs techniques permettant la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, ou d’images dans un lieu privé.
« II. – Par dérogation à l’article L. 821-4, l’autorisation est délivrée pour une durée maximale de deux mois, renouvelable dans les mêmes conditions de durée.
« III. – Les dispositifs techniques mentionnés au I ne peuvent être utilisés que par des agents appartenant à l’un des services mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État.
« IV. – Le service autorisé à recourir à la technique mentionnée au I rend compte à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de sa mise en œuvre. La commission peut à tout moment demander que cette opération soit interrompue et que les renseignements collectés soient détruits.
« V. – Si la mise en œuvre de cette technique nécessite l’introduction dans un véhicule ou dans un lieu privé, cette mesure s’effectue selon les modalités définies à l’article L. 853-3.
« Art. L. 853-2. – I. – Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre, peut être autorisée, lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé, l’utilisation de dispositifs techniques permettant :
« 1° D’accéder à des données informatiques stockées dans un système informatique, les enregistrer, les conserver et les transmettre ;
« 2° D’accéder à des données informatiques, les enregistrer, les conserver et les transmettre, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données, telles qu’il les y introduit par saisie de caractères ou telles qu’elles sont reçues et émises par des périphériques audiovisuels.
« II. – Par dérogation à l’article L. 821-4, l’autorisation est délivrée pour une durée maximale de deux mois, renouvelable dans les mêmes conditions de durée.
« III. – Les dispositifs techniques mentionnés au I ne peuvent être utilisés que par des agents appartenant à l’un des services mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État.
« IV. – Le service autorisé à recourir à la technique mentionnée au I rend compte à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de sa mise en œuvre. La commission peut à tout moment demander que cette opération soit interrompue et que les renseignements collectés soient détruits.
« V. – Si la mise en œuvre de cette technique nécessite l’introduction dans un véhicule ou dans un lieu privé, cette mesure s’effectue selon les modalités définies à l’article L. 853-3.
« Art. L. 853-3 (nouveau). – I. – Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre, lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé, l’introduction dans un véhicule ou dans un lieu privé à la seule fin de mettre en place, d’utiliser ou de retirer les dispositifs techniques mentionnés aux articles L. 851-6, L. 853-1 et L. 853-2 peut être autorisée. S’il s’agit d’un lieu d’habitation ou pour l’utilisation de la technique mentionnée au 1° du I de l’article L. 853-2, l’autorisation ne peut être donnée qu’après avis exprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, statuant en formation restreinte ou plénière.
« L’introduction dans un véhicule ou un lieu privé ne peut être effectuée que par des agents individuellement désignés et habilités appartenant à l’un des services mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État.
« II. – La demande justifie qu’aucune mesure alternative ne peut être effectuée. Elle mentionne toute indication permettant d’identifier le lieu, son usage et, lorsqu’ils sont connus, son propriétaire ou toute personne bénéficiant d’un droit, ainsi que la nature détaillée du dispositif envisagé.
« III. – Par dérogation à l’article L. 821-4, l’autorisation, spécialement motivée, est délivrée pour une durée maximale de trente jours et est renouvelable dans les mêmes conditions de durée que l’autorisation initiale. Elle ne vaut que pour les actes d’installation, d’utilisation, de maintenance ou de retrait des dispositifs techniques.
« IV. – Le service autorisé à recourir à l’introduction dans un véhicule ou un lieu privé rend compte à la commission de sa mise en œuvre. La commission peut à tout moment demander que cette opération soit interrompue et que les renseignements collectés soient détruits.
« CHAPITRE IV
« Des mesures de surveillance internationale
« Art. L. 854-1. – I. – Le Premier ministre ou les personnes spécialement déléguées par lui peuvent autoriser, aux seules fins de protection des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3, la surveillance et le contrôle des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger. Ces mesures sont exclusivement régies par le présent article.
« L’interception des communications concernées et l’exploitation ultérieure des correspondances sont soumises à autorisation du Premier ministre ou des personnes spécialement déléguées par lui.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, définit les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés. Ces renseignements ne peuvent être collectés, transcrits ou extraits pour d’autres finalités que celles mentionnées à l’article L. 811-3.
« Un décret en Conseil d’État non publié, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et porté à la connaissance de la délégation parlementaire au renseignement, précise, en tant que de besoin, les modalités de mise en œuvre de la surveillance et du contrôle des communications prévus au présent I.
« II. – Lorsque les correspondances interceptées renvoient à des numéros d’abonnement ou à des identifiants techniques rattachables au territoire national ou à des personnes qui faisaient l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité en application de l’article L. 852-1 à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national, celles-ci sont exploitées dans les conditions prévues à l’article L. 852-1 et conservées et détruites dans les conditions prévues aux articles L. 822-2 à L. 822-4, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le délai de conservation des correspondances court toutefois à compter de leur première exploitation. Les données de connexion associées à ces correspondances sont conservées et détruites dans les conditions prévues aux articles L. 822-2 à L. 822-4.
« III. – De sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement s’assure que les mesures mises en œuvre au titre du présent article respectent les conditions fixées par le présent article, par les décrets pris pour son application et par les décisions d’autorisation du Premier ministre ou de ses délégués. »
M. le président. Je suis saisi de douze amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 61, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 20
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Compte tenu du caractère très intrusif des techniques de sonorisation, de captation d’images et de récupération de données informatiques dans les lieux privés, nous ne pouvons que nous féliciter que la commission des lois les ait soumises à un régime inspiré des dispositions applicables en matière judiciaire et qu’elle ait renforcé les garanties légales applicables. Néanmoins, en dépit de la gravité des atteintes que portent au droit, notamment au principe d’inviolabilité du domicile, ces techniques d’introduction dans un lieu privé, un véhicule ou un système informatique, leur mise en œuvre dans les conditions prévues à l’article 3 du projet de loi n’a pas été placée sous le contrôle du juge judiciaire, alors même que notre droit la prévoit déjà dans le cadre de procédures judiciaires.
Initialement prévue dans le cadre d’une information judiciaire, donc sous le contrôle d’un juge d’instruction, la possibilité d’utiliser ces techniques a été étendue aux enquêtes préliminaires portant sur des faits graves de délinquance, des affaires de criminalité organisée et des actes terroristes, lesquelles sont placées sous le double contrôle du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention. De la sorte, la sonorisation et la captation d’images et de données informatiques ne peuvent être mises en œuvre que si une infraction déterminée est soupçonnée. De fait, le recours à ces mesures particulièrement intrusives n’est légitime que lorsqu’il existe des raisons de soupçonner qu’un individu a commis, est sur le point de commettre ou prépare une infraction pénale.
Dans la mesure où l’utilisation de ces techniques est déjà permise dans des conditions très larges, et étant donné qu’il convient, selon nous, de la maintenir sous le contrôle du juge judiciaire, nous invitons le Sénat à supprimer les alinéas 2 à 20 de l’article 3 du projet de loi.
M. le président. L'amendement n° 104, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 4, 9 et 16, première phrase
Après les mots :
les renseignements,
insérer les mots :
relatifs aux finalités prévues aux 1°, 4° et 6° de l’article L. 811–3
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à restreindre l’utilisation des techniques de recueil de renseignements les plus intrusives à trois finalités déterminées : l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ; la prévention du terrorisme ; la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées.
M. le président. L’amendement n° 17 rectifié quater n’est pas soutenu.
Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 83 est présenté par M. Hyest.
L'amendement n° 160 rectifié est présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
deux mois
par les mots :
trente jours
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 83.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut bien mesurer que le chapitre III que l’article 3 du projet de loi introduit au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure s’applique non seulement à la lutte antiterroriste, dont nous avons débattu hier, mais à l’ensemble des cas dans lesquels les techniques de sonorisation et de captation d’images et de données informatiques pourront être mises en œuvre. Sans doute le recours à ces techniques devrait-il rester exceptionnel, puisqu’il supposera de prouver que d’autres méthodes ne peuvent pas être utilisées. Reste que la pose de micros et de caméras dans un lieu ou dans un véhicule privé n’est tout de même pas une mesure anodine !
Pour ma part, je suis convaincu que la mesure la plus protectrice de la vie privée consiste à autoriser l’emploi de telles techniques pour des durées relativement brèves. En effet, la nécessité de solliciter plus fréquemment l’autorisation de poursuivre l’opération contraint le service de renseignement à faire connaître plus rapidement les données utiles qu’il a éventuellement recueillies. Par ailleurs, si rien d’anormal n’a été découvert, la surveillance doit cesser dans un délai raisonnable.
De ce point de vue, la durée de deux mois prévue à l’alinéa 5 de l’article 3 pour l’utilisation des techniques de sonorisation et de captation d’images et de données informatiques n’est pas conforme au principe de proportionnalité dont le projet de loi prévoit l’application, d’autant que ces techniques, à l’instar de la géolocalisation, ont vocation à être efficaces dans un délai bref : si elles n’ont pas donné de résultats au bout de trente jours, elles n’en donneront pas davantage dans le mois qui suit. Sans compter qu’une sonorisation, par exemple, a de bonnes chances d’être découverte assez rapidement par ceux qui veulent échapper à la surveillance que le législateur cherche à organiser.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 160 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement, identique à celui qui vient d’être présenté, a été déposé par mon groupe dans le même état d’esprit et pour les mêmes motifs que ceux qui animent M. Hyest. J’ajoute qu’il se fonde sur des considérations d’ordre constitutionnel. Depuis 1999, en effet, le Conseil constitutionnel, auquel le projet de loi sera déféré, considère le droit au respect de la vie privée comme une composante de la liberté personnelle proclamée à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont résultent également le droit au secret des correspondances et le principe de l’inviolabilité du domicile.
Ainsi, dans sa décision du 2 mars 2004 relative à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Conseil constitutionnel a invoqué les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 en considérant qu’« il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu’au nombre de celles-ci figurent la liberté d’aller et venir, l’inviolabilité du domicile privé, le secret des correspondances et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 ».
Comme M. Hyest vient de le faire observer, la durée de deux mois prévue à l’alinéa 5 de l’article 3 pour l’utilisation de techniques représentant une intrusion effective, certes justifiée par des nécessités impérieuses, notamment de lutte antiterroriste, ne serait pas conforme au principe de proportionnalité, que le projet de loi énonce parmi les principes sur lesquels il se fonde.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié quater n’est pas soutenu.
L'amendement n° 66 rectifié bis, présenté par MM. Malhuret et Commeinhes, Mme Micouleau, MM. B. Fournier, Delattre, Falco et Fouché, Mme Lamure, MM. D. Laurent, Lenoir et de Legge, Mme Morhet-Richaud, MM. Bignon et Milon, Mmes N. Goulet et Cayeux, MM. Vial, Laufoaulu, Cadic et Kern, Mmes Imbert et Deroche et MM. Dériot, Carle et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … – Les dispositifs techniques utilisés à cette fin garantissent que les seules informations captées sont celles effectivement échangées lors d'une conversation sortant du lieu privé. Toute information recueillie accidentellement par ces dispositifs hors de ce cadre est détruite immédiatement.
La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Le présent amendement est assez différent de ceux qui viennent d’être présentés, mais il porte sur le même thème. Aussi serai-je assez bref.
Un même outil de captation des informations émises et reçues par le clavier et les périphériques audiovisuels d’un système de traitement automatisé de données peut être utilisé pour deux finalités distinctes. La première est la captation des communications passées entre une personne surveillée et son correspondant situé en un autre lieu, avant qu’elles ne soient chiffrées et donc rendues inaccessibles aux agents de renseignement par d’autres moyens. La seconde est la captation de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ou d’images dans un lieu privé.
MM. Hyest et Sueur viennent d’expliquer les problèmes qui se posent sur le plan juridique, et même constitutionnel.
Le présent amendement vise à empêcher que les outils prévus à l’article L. 853-2 du code de la sécurité intérieure puissent être utilisés pour obtenir des informations qui auraient nécessité la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 853-1 du même code, plus protectrices, en restreignant la possibilité d’opérer une captation aux moments où une communication est effectivement en cours.
Cet amendement, ainsi qu’un autre que j’ai présenté hier soir, tend à garantir le principe de « privacy by design », c’est-à-dire de respect intrinsèque de la vie privée par le dispositif lui-même, qui revêtira bientôt le caractère d’une obligation réglementaire au sein de l’Union européenne ; il est énoncé, par exemple, à l’article 23 de la proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.
M. le président. L'amendement n° 21 rectifié ter, présenté par MM. Hyest, Allizard, G. Bailly, Béchu, Bignon, Bizet et Bonhomme, Mme Bouchart, MM. Bouchet, Bouvard, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, MM. César, Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Commeinhes, Cornu, Dallier, Danesi, Darnaud et Dassault, Mmes Deroche, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Duvernois et Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa et Frogier, Mme Garriaud-Maylam, MM. J.C. Gaudin, J. Gautier, Genest et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grosperrin, Guené, Houel et Houpert, Mme Hummel, MM. Huré et Husson, Mme Imbert, M. Joyandet, Mme Kammermann, MM. Karoutchi et Kennel, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Lenoir, P. Leroy et Longuet, Mme Lopez, MM. Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mme Mélot, MM. Milon et de Montgolfier, Mme Morhet-Richaud et MM. Morisset, Mouiller, Nachbar, Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Paul, Pellevat, Pierre, Pillet, Pointereau, Portelli, Reichardt, Revet, Saugey, Savary, Sido, Vasselle, Vendegou, Vogel, Retailleau et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. – Par dérogation à l’article L. 821-4, l’autorisation de mise en œuvre de la technique mentionnée au 1° du I du présent article est délivrée pour une durée maximale de trente jours et celle mentionnée au 2° du même I pour une durée maximale de deux mois. L’autorisation est renouvelable dans les mêmes conditions de durée.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement vise à opérer, pour des cas différents, la même réduction de délai que l’amendement n° 83.
M. le président. L’amendement n° 40, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 12
1° Remplacer les mots :
de deux
par les mots :
d’un
2° Compléter cet alinéa par les mots :
pour une même durée et après autorisation judiciaire
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement s’inscrit dans la lignée des amendements présentés par MM. Hyest et Sueur relativement à la première partie de l’article 3 du présent projet de loi. Il tend à ramener de deux mois à un seul le délai prévu pour l’autorisation de mesures très graves, en particulier la captation de l’ensemble des données accumulées sur le disque dur d’un ordinateur non pas pendant trente jours, mais depuis le début de son utilisation.
Cette observation m’a remis en mémoire les auditions préparatoires à l’examen du projet de loi dont est issue la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Je me souviens que des juges antiterroristes nous ont signalé leur besoin de moyens complémentaires pour recueillir les informations nécessaires à leurs instructions ; ils nous demandaient plus que ce qui était prévu dans le projet de loi et ils avaient des doutes sur ce que la loi leur permettrait. Voilà que, pour les services de renseignement, tout sera possible, sans limite, alors que les juges antiterroristes nous demandaient plus pour pouvoir instruire !
J’ai entendu les arguments présentés en particulier par M. le président de la commission des lois. Assurément, la police administrative est importante, car elle vise à prévenir, ce qui vaut mieux que punir. Toutefois, des limites doivent être fixées. En effet, si les services de renseignement disposent de tous les moyens de recueil d’informations, mais que les magistrats instructeurs n’en bénéficient pas aussi, nous pourrions aller au-devant d’évolutions dangereuses. Mes chers collègues, je ne voudrais pas que les services de renseignement soient plus efficaces que les juges instructeurs !
Je répète que la mesure consistant à recueillir les données stockées sur un disque dur non pas pendant un mois, mais depuis la construction de l’ordinateur, est d’une particulière gravité.
Si, une fois la surveillance menée pendant un mois, rien d’anormal n’a été constaté, il n’est pas nécessaire de la poursuivre. Si des faits anormaux ont été découverts, l’affaire doit être transmise aux autorités judiciaires !
M. le président. L’amendement n° 105, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ... - Le nombre maximal de sonorisations pouvant être autorisées simultanément est arrêté par le Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La décision fixant ce contingent et sa répartition entre les ministères mentionnés à l’article L. 821-2 est portée à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. La sonorisation est une technique extrêmement attentatoire aux libertés individuelles, du fait notamment de son caractère totalement non discriminant des personnes surveillées. C’est pourquoi il importe de limiter le nombre des sonorisations autorisées, de même que sont limitées les interceptions de sécurité, en particulier pour connaître leur nombre.
Voici, mes chers collègues, ce qu’a déclaré Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité : « On dit qu’on va pouvoir sonoriser les appartements : est-ce que c’est 20, est-ce que c’est 200, est-ce que c’est 2 000, est-ce que c’est 20 000 par an ? » M. Delarue estime ainsi que le Gouvernement doit être « un peu précis sur ses intentions ». Comme il le dit lui-même, « une société où il y a 200 appartements sonorisés, on peut penser que c’est pour les criminels et les terroristes. Une société où il y en a 200 000, c’est ″La Vie des autres″ ! »
M. le président. L'amendement n° 169, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 18, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
sans préjudice du neuvième alinéa de l’article L. 821–2
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Cet amendement vise à préserver l’hypothèse dans laquelle le lieu faisant l’objet de l’intrusion est désigné par référence aux personnes faisant l’objet de la demande prévue à l’article L. 821-2 du code de la sécurité intérieure.
M. le président. L'amendement n° 76, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 19
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’introduction mentionnée au I et portant sur un lieu privé à usage d’habitation est autorisée après avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, le Conseil d’État est immédiatement saisi. La formation collégiale, le président de la formation restreinte mentionnée à l’article L. 773–2 ou le membre qu’il délègue statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter de cette saisine. La décision d’autorisation du Premier ministre ne peut être exécutée avant que le Conseil d’État n’ait statué, sauf si elle a été délivrée au titre du 4° de l’article L. 811–3 du présent code et que le Premier ministre a ordonné sa mise en œuvre immédiate.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement, auquel le Gouvernement est attaché, est important pour l’équilibre du texte.
Conformément au souhait exprimé par un grand nombre d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, il convient de renforcer les garanties afférentes à l’introduction dans un lieu privé à usage d’habitation en exigeant la saisine immédiate du Conseil d’État lorsque cette introduction a été autorisée après avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ou CNCTR. La saisine suspend l’exécution de l’intrusion ainsi autorisée, excepté en matière de terrorisme.
À travers cet amendement, le Gouvernement propose d’apporter une garantie très forte en termes de libertés individuelles, évoquées par les uns et les autres.
M. le président. Le sous-amendement n° 196, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Amendement n° 76, alinéa 3
1° Première phrase
Après les mots :
immédiatement saisi
insérer les mots :
par le président de la commission
2° Deuxième phrase
a) Remplacer le mot :
collégiale
par les mots :
spécialisée mentionnée à l'article L. 773-2 du code de justice administrative
b) Remplacer les mots :
à l'article L. 773-2
par les mots :
au même article
La parole est à M. le rapporteur pour présenter ce sous-amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements et sous-amendement.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Je salue cet amendement du Gouvernement que vient de présenter le ministre de l’intérieur en ce qu’il prévoit dans des cas tout à fait exceptionnels la saisine immédiate et obligatoire du Conseil d’État lorsque l’introduction dans un lieu privé – c’est une décision lourde de conséquences – a fait l’objet d’un avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Néanmoins, la commission des lois est en désaccord avec la solution proposée par le Gouvernement. En effet, elle enfermerait le Premier ministre dans une forme de schizophrénie. D’un côté, le Premier ministre délivre une autorisation pour mettre en œuvre une technique très intrusive et, de l’autre, il saisit le Conseil d’État pour annuler le recours à cette même technique.
L’analogie avec la saisine par le Président de la République du Conseil constitutionnel à propos d’un texte – celui-ci a été présenté en conseil des ministres – après son examen parlementaire a ses limites. En effet, en l’occurrence, nul besoin de saisir le Conseil constitutionnel de moyens d’annulation d’un texte, le Conseil devant examiner l’ensemble de la constitutionnalité de ce dernier. Il n’est prévu ni par la Constitution, ni par la loi organique, ni par aucun autre texte que la saisine du Conseil constitutionnel équivaut à une demande impérative d’annulation du texte dont il est saisi. À l’inverse, aux termes du code de justice administrative, une saisine du Conseil d’État correspond à une demande d’annulation ou à une demande de réparation d’un préjudice causé par un acte de l’administration.
Comment le Premier ministre peut-il demander l’annulation d’une autorisation qu’il a délivrée après avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ?
Cependant, je souscris à l’excellente intention du Gouvernent : offrir à tous nos concitoyens la garantie de la saisine du Conseil d’État en cas de recours à une technique de renseignement très intrusive décidé malgré un avis défavorable de la commission susvisée.
Par le biais du sous-amendement n° 196, la commission propose que ce soit le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, et non le Premier ministre, qui saisisse le Conseil d’État dans les mêmes délais. Cette solution me semble bien plus pertinente, dans la mesure où le président de cette commission a des raisons d’argumenter dans le sens de l’annulation, contrairement au Premier ministre.
Par ailleurs, je rectifie ce sous-amendement afin de prévoir que, en cas d’indisponibilité absolue du président de la Commission, pour respecter le délai imposé, la saisine puisse être faite par l’un des membres de cette commission qui a le pouvoir de donner un avis.
M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 196 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, ainsi libellé :
Amendement n° 76, alinéa 3
1° Première phrase
Après les mots :
immédiatement saisi
insérer les mots :
par le président de la commission ou, à défaut, par l’un des membres de la commission parmi ceux mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 831-1
2° Deuxième phrase
a) Remplacer le mot :
collégiale
par les mots :
spécialisée mentionnée à l’article L. 773-2 du code de justice administrative
b) Remplacer les mots :
à l’article L. 773-2
par les mots :
au même article
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 61 et 104.
Elle est favorable aux amendements identiques nos 83 et 160 rectifié.
La rédaction de l’amendement n° 66 rectifié bis pose quelques problèmes, notamment en ce qui concerne l’imputation à l’alinéa 11 de l’article 3 qui n’est pas correct du point de vue légistique. De surcroît, il me semble difficile que les dispositifs mis en œuvre pour la captation de données informatiques puissent comporter les distinctions que cet amendement implique matériellement. La commission émet donc un avis défavorable.
L’amendement n° 21 rectifié ter a paru extrêmement intéressant à la commission ; elle y est favorable.
L’amendement n° 40 vise à réduire à un mois la durée d’autorisation de mise en œuvre de la technique de captation de données informatiques et à soumettre le renouvellement à une autorisation du juge judiciaire. Ce dernier point est contraire à la Constitution, puisque le juge judiciaire doit s’occuper de répression, de sanctions pénales, et non de l’appréciation de la légalité des mesures de police administrative. En outre, pour ce qui concerne le délai, cet amendement sera partiellement satisfait si les amendements nos 83 et 160, auxquels la commission émet un avis favorable, sont adoptés par la Haute Assemblée.
Mme Benbassa a souhaité contingenter le nombre de sonorisations à travers l’amendement n° 105. La commission est défavorable à cet amendement, car cette mesure risque de contraindre fortement l’activité des services, alors même que des besoins essentiels pourraient se faire sentir pour la protection d’intérêts fondamentaux de la nation ou pour la lutte contre le terrorisme, par exemple.
La commission émet également un avis défavorable sur l’amendement n° 169.
À l’inverse, elle est favorable à l’amendement n° 76, si toutefois le sous-amendement n° 196 rectifié est adopté.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous me donner les raisons pour lesquelles la commission est défavorable à l’amendement n° 169 ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, cet amendement a pour objet de préciser que, dans les cas où la demande d’introduction dans un lieu privé est formulée sans que le service demandeur connaisse précisément le lieu, elle peut être faite en se référant simplement à la personne visée par la mesure, en application du droit commun.
Toutefois, cette précision semble inutile dans la mesure où les règles définies à l’article L. 853-3 du code de la sécurité intérieure s’ajoutent à celles qui sont définies par les dispositions de droit commun de l’article L. 821-2 du même code et, par conséquent, ne s’excluent pas. Ces dispositions sont applicables par principe, comme l’est la disposition de cet article selon laquelle lorsque le lieu n’est pas précisé, la demande fait référence à la personne.
Enfin, l’article L. 853-3 crée une obligation de moyens en imposant de fournir « toute indication permettant d’identifier le lieu », c’est-à-dire les informations disponibles, qui peuvent être très réduites, voire inexistantes.
Monsieur le ministre, c’est un motif de pure légistique, et non de fond, qui a conduit la commission des lois à émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout d’abord, monsieur le président, compte tenu des explications et de l’interprétation de M. le rapporteur – il en sera rendu compte dans le Journal Officiel –, je retire l’amendement n° 169.
Je souscris d’autant plus volontiers au raisonnement de M. le rapporteur que les motifs pour lesquels la commission s’oppose à cet amendement ne compromettent pas la bonne interprétation du texte qui convient au Gouvernement.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’ensemble des amendements présentés portent sur les techniques les plus intrusives prévues par ce projet de loi, à savoir les mesures de sonorisation, de captation d’images et de données informatiques, pouvant s’accompagner de l’introduction dans un lieu privé d’habitation ou d’un système de traitement de données d’informations. Ils sont tous motivés par des craintes concernant les effets que ces techniques peuvent avoir sur les libertés individuelles.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, même s’il comprend parfaitement l’intention de leurs auteurs. Par conséquent, je me dois d’expliquer précisément les raisons à l’origine de cet avis.
Premièrement, le régime applicable aux mesures qui font l’objet de ces amendements est particulièrement encadré et beaucoup plus exigeant que celui qui prévaut pour les autres dispositions envisagées par le projet de loi. Ainsi, la mise en œuvre des techniques mentionnées aux chapitres III et IV visés à l’article 3 est strictement encadrée par une procédure qui permet un contrôle de la légalité et de la proportionnalité de la mesure. Une autorisation ne pourra être délivrée que si la finalité invoquée par le service à l’origine de la demande est parfaitement en adéquation avec les missions qui sont les siennes et s’il n’existe aucune autre alternative possible pour obtenir les renseignements.
Deuxièmement, l’autorisation est limitée à deux mois, contre quatre mois pour toutes les autres techniques.
Troisièmement, lorsqu’elle s’accompagne de l’introduction dans un lieu privé d’habitation ou un véhicule ou lorsqu’elle vise des professions protégées, elle nécessite un avis exprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement en formation collégiale sans que les procédures d’urgence soient applicables – j’y insiste – sauf dans certains cas très particuliers visant les professions protégées, l’autorisation étant alors limitée à un mois.
Quatrièmement, il ne vous a pas échappé, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est soucieux d’apporter des garanties supplémentaires en la matière. Pour ce faire, l’amendement n° 76 vise à la saisine automatique du Conseil d’État si le Premier ministre veut passer outre l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement en cas de techniques s’accompagnant d’une intrusion dans un lieu privilégié d’habitation. Dans cette hypothèse, sauf en matière de terrorisme, l’autorisation est, bien entendu, suspendue dans l’attente de la décision de la haute juridiction.
À cet égard, j’ai entendu Philippe Bas craindre que la saisine de la CNCTR par le Premier ministre lui-même n’engendre une forme de schizophrénie. Je ne le crois pas, d’une part, parce que la CNCTR peut s’autosaisir et ainsi accéder à la totalité des éléments, ensuite parce que le fait que ce soit le Premier ministre qui la saisisse permettra simplement à l’autorité juridictionnelle, à savoir le Conseil d’État, d’examiner la totalité des sujets comme il pourrait le faire par lui-même. En réalité, cette façon de procéder est assez neutre.
Toujours est-il que cela n’a pas d’importance et je ne me battrai pas sur le sujet. Ce qui compte, c’est que le Conseil d’État soit saisi ; vous souhaitez qu’il le soit selon une procédure différente de celle qu’a retenue le Gouvernement, mais, à un moment donné, il faut bien faire un choix.
Par conséquent, s’agissant du sous-amendement n° 196 rectifié de la commission, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Ce qui importe, c’est que les garanties qui sont prévues soient confortées ; le reste peut faire l’objet d’un débat entre nous, mais ce n’est pas déterminant au regard de l’objectif que vise le Gouvernement à travers son amendement.
Le dispositif que nous proposons est de nature à apporter un certain nombre de garanties qui, selon nous, ne justifient pas les amendements visant à limiter les besoins opérationnels des services.
D’une part, c’est vainement que l’on invoquerait la restriction de l’usage de ces techniques au seul cadre judiciaire dès lors que le Conseil constitutionnel lui-même admet que les techniques de renseignement puissent être inspirées de celles qui sont mises en œuvre en police judiciaire – interceptions de sécurité, géolocalisation –, pourvu qu’elles le soient de manière adaptée et proportionnée, avec des garanties claires et encadrées. Or tel est bien le cas, comme je l’ai expliqué précédemment.
D’autre part, ces mesures ne sauraient être limitées à certaines seulement des finalités prévues par la loi, au risque de nuire à l’efficacité des services opérationnels et de ne pouvoir opérer une hiérarchisation entre les différents intérêts visés.
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l’amendement n° 61 de Mme Cukierman, qui ne me paraît pas conforme à l’état du droit.
J’émets également un avis défavorable sur l’amendement n° 104 de Mme Benbassa.
Il n’apparaît pas davantage opportun de limiter à un mois la durée de ces autorisations, déjà limitée par rapport au droit commun applicable aux autres techniques, à savoir quatre mois renouvelables pour une même durée.
Comme je vous l’ai dit, pour ces techniques, la durée est portée à deux mois renouvelables chaque fois pour une même durée, et à un mois lorsqu’elles impliquent l’intrusion dans un véhicule ou dans un domicile. Ces durées, particulièrement réduites, ne sauraient l’être davantage, sauf à décider de priver les services de toute efficacité. Auquel cas, c’est à la technique elle-même qu’il faudrait renoncer.
Par la suite, sauf à multiplier les demandes d’autorisation, qui, de surcroît, le plus souvent, n’auront pas encore été mises en œuvre ou n’auront pas encore produit leurs effets, il est souhaitable de s’en tenir aux durées actuellement prévues par le projet de loi.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 83 de M. Hyest et 160 rectifié de M. Sueur.
Pour une raison identique, il n’est pas souhaitable de contingenter les mesures de ce type, dont le nombre sera par définition restreint, compte tenu de la difficulté de les mettre en œuvre, puisqu’elles nécessitent une intervention humaine.
Je réponds là à la préoccupation que vous avez exprimée, monsieur Malhuret.
En tout état de cause, de telles techniques sont sans commune mesure avec les interceptions de sécurité, qui peuvent être opérées à distance, et leur nombre, je le dis très clairement devant le Sénat, sera nécessairement limité, pour des raisons consubstantielles à la nature de ces opérations, sans qu’il soit besoin de les contingenter.
La suppression de la possibilité de mettre en œuvre les techniques à l’encontre des professions protégées ne me paraît pas plus opportune.
S’agissant de la protection de certaines professions, le texte du Gouvernement a été très substantiellement enrichi à l’issue des débats devant l’Assemblée nationale et devant la commission des lois du Sénat. En ce domaine, je pense que nous sommes parvenus à un équilibre.
Je rappelle que l’article L. 821-5-2, dont le présent projet de loi prévoit l’insertion dans le code de la sécurité intérieure, prévoit, lorsque la demande de mise en œuvre d’une technique concerne un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste, que la CNCTR se réunit dans sa formation plénière pour rendre son avis, qu’elle est informée des modalités d’exécution des autorisations qu’elle délivre et que les transcriptions des renseignements ainsi collectés lui sont transmises.
En outre, la procédure d’urgence n’est pas applicable à ces professions.
Ces dispositions garantissent la conciliation nécessaire entre, d’une part, le respect du secret attaché à certaines professions et, d’autre part, la défense et la promotion des intérêts publics, y compris dans les finalités du renseignement.
De ce point de vue, M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a fait hier une intervention extrêmement limpide quant aux risques que comporterait la rupture de cet équilibre. Je partage tout à fait son point de vue.
Aller au-delà et interdire la mise en œuvre de ces techniques de renseignement dans les cabinets et locaux professionnels ne permettrait plus de garantir cette conciliation et apparaîtrait très disproportionné, car cela pourrait créer une sorte de sanctuaire particulièrement attractif, comme vous l’avez souligné hier, monsieur Raffarin, pour les personnes souhaitant porter atteinte aux intérêts de notre pays.
Enfin, M. Malhuret propose, par son amendement n° 66 rectifié bis, de soumettre au principe du privacy by design les captations de sons ou de données. C’est aujourd’hui techniquement impossible faute pour les dispositifs actuellement utilisés par les services de renseignement de pouvoir procéder à un tri de ces données pendant leur collecte. Cette opération ne peut s’effectuer que a posteriori.
C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 83 et 160 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour explication de vote sur l'amendement n° 66 rectifié bis.
M. Claude Malhuret. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je veux bien que vous soyez défavorables à mon amendement, mais n’utilisez pas l’argument de l’impossibilité technique. C’est tellement simple : il suffit que le dispositif d’interception se coupe automatiquement au moment où prend fin la communication avec l’extérieur. Un étudiant en première année d’informatique serait capable d’élaborer le code pour une telle procédure !
Certes, nous ne sommes pas tous spécialistes en informatique, mais n’en profitez pas pour prétendre que c’est techniquement impossible ! Trouvez un autre argument !
Je le répète, il est très simple de mettre fin à la surveillance au moment où la communication est coupée.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Mon cher collègue, dans votre amendement, vous proposez non pas que l’enregistrement soit coupé quand la conversation sort du lieu privé, mais exactement le contraire !
En effet, voici ce que vous écrivez : « Les dispositifs techniques utilisés à cette fin garantissent que les seules informations captées sont celles effectivement échangées lors d’une conversation sortant du lieu privé. » (M. Claude Malhuret s’exclame.)
Or vous nous avez dit à l’instant qu’il existait des dispositifs à la portée de n’importe quel étudiant de première année en informatique permettant de couper l’enregistrement quand la conversation sort du lieu privé.
M. Claude Malhuret. Quand la conversation se termine !
M. Philippe Bas, rapporteur. Excusez-moi, mais je n’y comprends plus rien !
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 40 n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'amendement n° 105.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 196 rectifié.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. Quitte à me répéter, je tiens à poser une nouvelle fois la question que j’ai posée hier avant le vote de l’article 2.
L’article 2 et l’article 3 prévoient le déploiement de nouvelles techniques dont l’acquisition requerra forcément des moyens financiers et l’utilisation des ressources humaines de manière à pouvoir traiter et analyser efficacement les informations recueillies, ces milliers de données ainsi captées, et éviter une surveillance généralisée.
Si nous autorisons ces techniques, c’est bien pour qu’elles soient utilisées !
À la suite des événements tragiques qu’a connus notre pays au mois de janvier, l’ensemble des spécialistes – y compris du renseignement – ont reconnu la difficulté d’anticiper de tels attentats au vu de l’immense masse de données à traiter et ont souligné la nécessité de pouvoir mieux les analyser.
Les méthodes de travail devront certainement évoluer pour être plus performantes et la ressource humaine être plus disponible.
Aussi, monsieur le ministre, je vous repose la question : l’étude d’impact du projet de loi étant muette à ce sujet, pouvez-vous nous indiquer le coût de l’ensemble des mesures visées aux articles 2 et 3 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la sénatrice, le Premier ministre et moi-même avons répondu à plusieurs reprises, et de façon extrêmement précise, à cette question. Néanmoins, je vais derechef vous indiquer l’ensemble des éléments dont vous estimez avoir besoin.
Le Premier ministre, dans son discours, et moi-même, tant devant l’Assemblée nationale que devant le Sénat, avons pris des dispositions dès le mois de janvier pour assurer le financement de l’ensemble des mesures de lutte contre le terrorisme, notamment l’allocation de moyens aux services de renseignement.
En ce qui concerne les moyens humains – et je sais à quel point votre groupe est attaché à ce que les services aient les moyens de fonctionner –, nous avons pris la décision, dès le début du quinquennat, d’augmenter de 432 les effectifs de la direction générale de la sécurité intérieure.
À la suite des événements du mois de janvier, le Gouvernement a considéré que cet effort devait être conforté. Aussi, il a été décidé de créer, au cours de la période 2015-2017, 1 500 emplois supplémentaires au sein du ministère de l’intérieur, qui se répartiront comme suit : 500 emplois supplémentaires pour la direction centrale du renseignement territorial – 150 emplois pour les services de renseignement territorial de la gendarmerie nationale et 350 emplois pour les services de la police nationale –, 500 emplois, en plus des 432 déjà prévus, pour la direction générale de la sécurité intérieure. Les 400 autres emplois seront répartis entre les différents services du ministère de l’intérieur : la direction centrale de la police aux frontières, le service de protection de hautes personnalités, la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité de la direction centrale de la police judiciaire, afin que nous puissions répondre à tous les enjeux de la lutte contre le terrorisme.
Par ailleurs, nous avons besoin de crédits dits « hors T2 ». Il a été décidé d’allouer, pour la même période, une enveloppe de 233 millions d’euros, dont 98 millions sont d’ores et déjà mobilisés pour 2015. Ces crédits serviront à l’équipement numérique des services et à la modernisation des infrastructures informatiques du ministère de l’intérieur.
Au moment du retour des trois djihadistes de Turquie, les défaillances du système CHEOPS avaient été évoquées : il est vrai qu’il n’avait pas été modernisé depuis quinze ans. C'est la raison pour laquelle nous investissons massivement dans la modernisation des systèmes informatiques.
Nous avons aussi décidé d’acquérir des véhicules et de doter le Renseignement territorial des moyens élémentaires dont il a besoin, des appareils photo, par exemple.
Telle est très précisément notre action : elle représente un effort considérable destiné à permettre à nos services de travailler dans de bonnes conditions.
M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles 2 et 3, qui avaient été appelés par priorité.
Nous reprenons le cours normal de la discussion des articles et en revenons à l’article 1er.
Article 1er (suite)
Les titres Ier à IV du livre VIII du code de la sécurité intérieure sont ainsi rédigés :
« TITRE IER
« DISPOSITIONS GÉNÉRALES
« Art. L. 811-1. – (Supprimé)
« Art. L. 811-1-1. – La politique publique de renseignement concourt à la stratégie de sécurité nationale ainsi qu’à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Elle relève de la compétence exclusive de l’État.
« Art. L. 811-2. – Les services spécialisés de renseignement sont désignés par décret. Ils ont pour missions, en France et à l’étranger, la recherche, la collecte, l’exploitation et la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu’aux menaces et aux risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation. Ils contribuent à la connaissance et à l’anticipation de ces enjeux ainsi qu’à la prévention et à l’entrave de ces risques et de ces menaces. Ils exercent leurs missions sous réserve des attributions de l’autorité judiciaire en cas de crime ou de délit.
« Ils agissent dans le respect de la loi, sous l’autorité du Gouvernement et conformément aux orientations déterminées par le Conseil national du renseignement.
« Art. L. 811-3. – Dans l’exercice de leurs missions, les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation suivants :
« 1° L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;
« 2° Les intérêts essentiels de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;
« 3° Les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ;
« 4° La prévention du terrorisme ;
« 5° La prévention :
« a) Des atteintes à la forme républicaine des institutions ;
« b) Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l’article L. 212-1 ;
« c) Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;
« 6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
« 7° (Supprimé)
« 8° (Supprimé)
« Art. L. 811-4. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et après information de la délégation parlementaire au renseignement, désigne les services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la défense et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes, qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre dans les conditions prévues au même livre. Il précise, pour chaque service, les finalités mentionnées à l’article L. 811-3 et les techniques qui peuvent donner lieu à autorisation.
« Un décret détermine les modalités de mise en œuvre des techniques mentionnées au titre V du présent livre dans les établissements pénitentiaires, ainsi que les modalités des échanges d’informations entre, d’une part, les services mentionnés à l’article L. 811-2 et au premier alinéa du présent article et, d’autre part, l’administration pénitentiaire pour l’accomplissement de leurs missions. Il définit les conditions dans lesquelles l’administration pénitentiaire peut demander à ces services de mettre en œuvre, dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II, une technique de renseignement au sein d’un établissement pénitentiaire et avoir connaissance des renseignements recueillis utiles à l’accomplissement de ses missions.
« TITRE II
« DE LA PROCÉDURE APPLICABLE AUX TECHNIQUES DE RECUEIL DE RENSEIGNEMENT SOUMISES À AUTORISATION
« CHAPITRE IER
« De l’autorisation de mise en œuvre
« Art. L. 821-1. – La mise en œuvre sur le territoire national des techniques de recueil de renseignement mentionnées au titre V du présent livre est soumise à autorisation préalable du Premier ministre délivrée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
« Ces techniques ne peuvent être mises en œuvre que par des agents individuellement désignés et habilités.
« Art. L. 821-2. – L’autorisation mentionnée à l’article L. 821-1 est délivrée sur demande écrite et motivée du ministre de la défense, du ministre de l’intérieur ou des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes. Chaque ministre peut déléguer cette attribution à trois représentants de l’autorité publique habilités au secret de la défense nationale et placés sous son autorité.
« La demande précise :
« 1° La ou les techniques à mettre en œuvre ;
« 1° bis (nouveau) Le service chargé de mettre en œuvre la ou les techniques ;
« 2° La ou les finalités poursuivies ;
« 3° Le ou les motifs des mesures ;
« 3° bis La durée de validité de l’autorisation ;
« 4° La ou les personnes, le ou les lieux ou véhicules concernés.
« Pour l’application du 4°, les personnes dont l’identité n’est pas connue peuvent être désignées par leurs identifiants ou leur qualité et les lieux ou véhicules peuvent être désignés par référence aux personnes faisant l’objet de la demande.
« Lorsqu’elle a pour objet le renouvellement d’une autorisation, la demande expose les raisons pour lesquelles ce renouvellement est justifié au regard de la ou des finalités poursuivies.
« Art. L. 821-3. – La demande est communiquée au président ou, à défaut, à l’un des membres de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement parmi ceux mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 831-1, qui rend un avis au Premier ministre dans un délai de vingt-quatre heures. Si la demande est examinée par la formation restreinte ou plénière de la commission, le Premier ministre en est informé sans délai et l’avis est rendu dans un délai de soixante-douze heures.
« Les avis mentionnés au présent article sont communiqués sans délai au Premier ministre. En l’absence d’avis transmis dans les délais prévus au même article, celui-ci est réputé rendu.
« Art. L. 821-4. – L’autorisation de mise en œuvre des techniques mentionnées au titre V du présent livre est délivrée par le Premier ministre pour une durée maximale de quatre mois. Le Premier ministre ne peut déléguer cette attribution individuellement qu’à des collaborateurs directs habilités au secret de la défense nationale. L’autorisation comporte les motivations et mentions prévues aux 1° à 4° de l’article L. 821-2. Toute autorisation est renouvelable dans les mêmes conditions que celles prévues au présent chapitre.
« 1° à 4° (Supprimés)
« Lorsque l’autorisation est délivrée après un avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, elle indique les motifs pour lesquels cet avis n’a pas été suivi.
« L’autorisation du Premier ministre est communiquée sans délai au ministre responsable de son exécution ainsi qu’à la commission.
« La demande et l’autorisation sont enregistrées par les services du Premier ministre. Les registres sont tenus à la disposition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
« Art. L. 821-5. – En cas d’urgence absolue et pour les seules finalités mentionnées aux 1° et 4° de l’article L. 811-3, le Premier ministre, ou l’une des personnes déléguées mentionnées à l’article L. 821-4, peut délivrer de manière exceptionnelle l’autorisation visée au même article sans avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Il en informe celle-ci sans délai et par tout moyen.
« Le Premier ministre fait parvenir à la commission, dans un délai maximal de vingt-quatre heures à compter de la délivrance de l’autorisation, tous les éléments de motivation mentionnés à l’article L. 821-4 et ceux justifiant le caractère d’urgence absolue au sens du présent article.
« Art. L. 821-5-1 (nouveau). – En cas d’urgence liée à une menace imminente ou à un risque très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération ultérieurement, les appareils ou dispositifs techniques mentionnés aux articles L. 851-6 et L. 851-7 peuvent, de manière exceptionnelle, être installés, utilisés et exploités sans l’autorisation préalable visée à l’article L. 821-4 par des agents individuellement désignés et habilités. Le Premier ministre, le ministre concerné et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement en sont informés sans délai et par tout moyen. Le Premier ministre peut ordonner à tout moment que la mise en œuvre de la technique concernée soit interrompue et que les renseignements collectés soient détruits sans délai.
« L’utilisation en urgence de la technique concernée fait l’objet d’une autorisation délivrée, dans un délai de quarante-huit heures, dans les conditions définies au présent chapitre, après avis rendu par la commission au vu des éléments de motivation mentionnés à l’article L. 821-4 et ceux justifiant le recours à la procédure d’urgence au sens du présent article. À défaut, le Premier ministre ordonne l’interruption immédiate de la mise œuvre de la technique concernée et la destruction sans délai des renseignements ainsi collectés.
« Art. L. 821-5-2 (nouveau). – Lorsque la demande de mise en œuvre d’une technique mentionnée au titre V du présent livre concerne un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste ainsi que leurs véhicules, bureaux ou domiciles, l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est examiné en formation plénière. L’article L. 821-5 n’est pas applicable. L’article L. 821-5-1 n’est pas applicable, sauf s’il existe des raisons sérieuses de croire que la personne visée agit aux ordres d’une puissance étrangère, ou dans le cadre d’un groupe terroriste ou d’une organisation criminelle.
« La commission est informée des modalités d’exécution des autorisations délivrées en application du présent article.
« Les transcriptions des renseignements collectés en application du présent article sont transmises à la commission, qui veille au caractère nécessaire et proportionné des atteintes le cas échéant portées aux garanties attachées à l’exercice de ces activités professionnelles ou mandats.
« Art. L. 821-6. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement adresse des recommandations et saisit le Conseil d’État dans les conditions respectivement prévues aux articles L. 833-3-2 et L. 833-3-4.
« Art. L. 821-7. – (Supprimé)
« CHAPITRE II
« Des renseignements collectés
« Art. L. 822-1. – Les procédures prévues au présent chapitre sont mises en œuvre sous l’autorité du Premier ministre dans des conditions qu’il définit.
« Le Premier ministre organise la traçabilité de la mise en œuvre des techniques autorisées en application du chapitre Ier du présent titre et définit les modalités de la centralisation des renseignements collectés.
« À cet effet, un relevé de chaque mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement est établi. Il mentionne les dates de début et de fin de cette mise en œuvre ainsi que la nature des renseignements collectés. Ce relevé est tenu à la disposition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui peut y accéder à tout moment.
« Art. L. 822-2. – I. – Les renseignements collectés par la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement autorisée en application du chapitre Ier du présent titre sont détruits à l’issue d’une durée de :
« 1° Trente jours à compter de leur recueil pour les correspondances interceptées en application de l’article L. 852-1 et les paroles captées en application de l’article L. 853-1 ;
« 2° Six mois à compter de leur recueil pour les renseignements collectés par la mise en œuvre des techniques mentionnées au chapitre III du V du présent livre, à l’exception des informations ou documents mentionnés à l’article L. 851-1 ;
« 3° Trois ans à compter de leur recueil pour les informations ou documents mentionnés à l’article L. 851-1.
« Pour ceux des renseignements qui sont chiffrés, le délai court à compter de leur déchiffrement.
« En cas de stricte nécessité et pour les seuls besoins de l’analyse technique, les renseignements collectés qui contiennent des éléments de cyberattaque ou qui sont chiffrés, ainsi que les renseignements déchiffrés associés à ces derniers, peuvent être conservés au-delà des durées mentionnées au présent I, à l’exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes concernées.
« II et III. – (Supprimés)
« IV. – Par dérogation au I du présent article, les renseignements qui concernent une requête dont le Conseil d’État a été saisi ne peuvent être détruits. À l’expiration des délais prévus au même I, ils sont conservés pour les seuls besoins de la procédure devant le Conseil d’État.
« Art. L. 822-3. – Les renseignements ne peuvent être collectés, transcrits ou extraits pour d’autres finalités que celles mentionnées à l’article L. 811-3.
« Les transcriptions ou les extractions doivent être détruites dès que leur conservation n’est plus indispensable à la poursuite des finalités pour lesquelles les renseignements ont été collectés.
« Art. L. 822-4. – Les opérations de destruction des renseignements collectés, les transcriptions et les extractions mentionnées aux articles L. 822-2 et L. 822-3 sont effectuées par des agents individuellement désignés et habilités. Elles font l’objet de relevés tenus à la disposition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
« Art. L. 822-4-1. – (Supprimé)
« Art. L. 822-5. – (Supprimé)
« Art. L. 822-6. – Le présent chapitre s’applique sans préjudice du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale.
« TITRE III
« DE LA COMMISSION NATIONALE DE CONTRÔLE DES TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT
« CHAPITRE IER
« Composition et organisation
« Art. L. 831-1. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est une autorité administrative indépendante.
« Elle est composée de neuf membres :
« 1° Deux députés et deux sénateurs, désignés, respectivement, pour la durée de la législature par l’Assemblée nationale et pour la durée de leur mandat par le Sénat, de manière à assurer une représentation pluraliste du Parlement ;
« 2° Deux membres du Conseil d’État, d’un grade au moins égal à celui de conseiller d’État, élus par l’assemblée générale du Conseil d’État ;
« 3° Deux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, élus par l’ensemble des magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour ;
« 4° Une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques, nommée sur proposition du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
« Le président de la commission est nommé par décret du président de la République parmi les membres mentionnés aux 2° et 3°.
« Le mandat des membres, à l’exception de ceux mentionnés au 1°, est de six ans. Il n’est pas renouvelable.
« Les membres du Conseil d’État ou de la Cour de cassation sont renouvelés par moitié tous les trois ans.
« La commission peut suspendre le mandat d’un de ses membres ou y mettre fin si elle constate, à la majorité des trois quarts des autres membres, qu’il se trouve dans une situation d’incompatibilité, qu’il est empêché d’exercer ses fonctions ou qu’il a manqué à ses obligations.
« En cas de vacance d’un siège de membre, pour quelque cause que ce soit, il est procédé à l’élection ou à la nomination d’un nouveau membre pour la durée du mandat restant à courir. Si cette durée est inférieure à deux ans, le mandat du nouveau membre est renouvelable une fois.
« Art. L. 831-2 (nouveau). – La formation plénière de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement comprend l’ensemble des membres mentionnés à l’article L. 831-1.
« La formation restreinte de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est composée des membres mentionnés aux 2°, 3° et 4° de l’article L. 831-1.
« Ces formations sont présidées par le président de la commission.
« CHAPITRE II
« Règles de déontologie et de fonctionnement
« Art. L. 832-1. – Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres de la commission ne reçoivent d’instruction d’aucune autorité.
« Art. L. 832-2. – Le président de la commission ne peut être titulaire d’aucun mandat électif et ne peut exercer aucune autre activité professionnelle.
« La fonction de membre de la commission est incompatible avec tout intérêt, direct ou indirect, dans les services pouvant être autorisés à mettre en œuvre les techniques mentionnées au titre V du présent livre ou dans l’activité de l’une des personnes mentionnées au II de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi qu’aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. La fonction de membre est également incompatible avec tout mandat électif, à l’exception de ceux des membres mentionnés au 1° de l’article L. 831-1.
« Art. L. 832-3. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement établit son règlement intérieur.
« Les avis sur les demandes mentionnées à l’article L. 821-2 sont rendus par le président ou un autre membre mentionné aux 2° et 3° de l’article L. 831-1.
« Toute question nouvelle ou sérieuse est renvoyée à la formation restreinte ou plénière. La formation restreinte et la formation plénière ne peuvent valablement délibérer que si respectivement au moins trois et quatre membres sont présents. Leurs décisions sont prises à la majorité des membres présents.
« En cas de partage égal des voix, la voix du président est prépondérante.
« La formation plénière se réunit au moins une fois tous les deux mois. Elle est informée des avis rendus sur les demandes mentionnées à l’article L. 821-2 lors de sa plus proche réunion.
« Art. L. 832-4. – La commission dispose des moyens humains et techniques nécessaires à l’accomplissement de ses missions ainsi que des crédits correspondants, dans les conditions fixées par la loi de finances. Ces crédits sont inscrits au programme de la mission “Direction de l’action du Gouvernement” relatif à la protection des droits et des libertés fondamentales. Le président est ordonnateur des dépenses de la commission. La loi du 10 août 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses engagées ne lui est pas applicable. La commission présente ses comptes au contrôle de la Cour des comptes.
« Le secrétaire général de la commission assiste le président. Il est nommé par le président de la commission.
« La commission peut bénéficier de la mise à disposition de fonctionnaires et magistrats et recruter, au besoin, des agents contractuels, placés sous son autorité.
« Art. L. 832-5. – Les membres de la commission sont autorisés ès qualités à connaître des informations ou des éléments d’appréciation protégés au titre de l’article 413-9 du code pénal et utiles à l’exercice de leurs fonctions.
« Les agents de la commission doivent être habilités au secret de la défense nationale aux fins d’accéder aux informations et documents nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.
« Les membres et les agents de la commission sont astreints au respect des secrets protégés par les articles 413-10 et 226-13 du même code pour les faits, actes et renseignements dont ils peuvent avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.
« Les travaux de la commission sont couverts par le secret de la défense nationale.
« CHAPITRE III
« Missions
« Art. L. 833-1. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement veille à ce que les techniques de recueil de renseignement soient mises en œuvre sur le territoire national conformément au présent livre.
« Art. L. 833-2. – Les ministres, les autorités publiques et les agents publics prennent toutes mesures utiles pour faciliter l’action de la commission.
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait d’entraver l’action de la commission :
« 1° Soit en refusant de communiquer à la commission les documents et renseignements qu’elle a sollicités en application de l’article L. 833-2-1, ou en dissimulant lesdits documents ou renseignements, ou en les faisant disparaître ;
« 2° Soit en communiquant des transcriptions ou des extractions qui ne sont pas conformes au contenu des renseignements collectés tel qu’il était au moment où la demande a été formulée ou qui ne présentent pas ce contenu sous une forme directement accessible ;
« 3° Soit en s’opposant à l’exercice des missions confiées à ses membres ou aux agents habilités en application de l’article L. 832-5.
« Art. L. 833-2-1 (nouveau). – Pour l’accomplissement de ses missions, la commission :
« 1° Reçoit communication de toutes demandes et autorisations mentionnées au présent livre ;
« 2° Dispose d’un accès permanent et direct aux relevés, registres, renseignements collectés, transcriptions et extractions mentionnés au présent livre, à l’exception de ceux mentionnés à l’article L. 854-1, ainsi qu’aux dispositifs de traçabilité des renseignements collectés et aux locaux où sont centralisés ces renseignements en application de l’article L. 822-1 ;
« 3° Est informée à tout moment, à sa demande, des modalités d’exécution des autorisations en cours ;
« 4° Peut solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de ses missions, à l’exclusion des éléments communiqués par des services étrangers ou par des organismes internationaux ou qui pourraient donner connaissance à la commission, directement ou indirectement, de l’identité des sources des services spécialisés de renseignement ;
« 5° Peut solliciter du Premier ministre tout ou partie des rapports de l’inspection des services de renseignement ainsi que des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services qui relèvent de leur compétence, en lien avec les missions de la commission ;
« 6° (nouveau) Peut solliciter du Premier ministre tous les éléments relatifs à la mise en œuvre des techniques prévues au titre V du présent livre dont elle a connaissance, sans que cette mise en œuvre soit intégralement retracée dans les relevés et registres mentionnés au présent livre.
« Art. L. 833-3. – De sa propre initiative ou lorsqu’elle est saisie d’une réclamation de toute personne souhaitant vérifier qu’aucune technique de renseignement n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard, la commission procède au contrôle de la ou des techniques invoquées en vue de vérifier qu’elles ont été ou sont mises en œuvre dans le respect du présent livre. Elle notifie à l’auteur de la réclamation qu’il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans confirmer ni infirmer leur mise en œuvre.
« Art. L. 833-3-1 (nouveau). – I. – Lorsqu’elle rend un avis sur la demande d’autorisation pour la mise en œuvre d’une technique de renseignement prévue aux chapitres Ier à III du titre V ou qu’elle en contrôle la mise en œuvre, la commission vérifie que la mesure relève de la police administrative et qu’elle respecte l’article L. 801-1.
« La commission veille également au respect de la procédure de délivrance de l’autorisation ainsi qu’à celui de l’autorisation délivrée par le Premier ministre.
« II. – Lorsqu’elle contrôle la mise en œuvre d’une technique de renseignement prévue au chapitre IV du titre V, la commission vérifie que les mesures mises en œuvre respectent les conditions fixées à l’article L. 854-1, les mesures règlementaires prises pour son application et les décisions d’autorisation du Premier ministre.
« Art. L. 833-3-2 (nouveau). – I. – La commission adresse, à tout moment, au Premier ministre, au ministre responsable de son exécution et au service concerné une recommandation tendant à ce que la mise en œuvre d’une technique soit interrompue et les renseignements collectés détruits lorsqu’elle estime que :
« - une autorisation a été accordée en méconnaissance du présent livre ;
« - une technique a été mise en œuvre en méconnaissance du présent livre ;
« - la collecte, la transcription, l’extraction, la conservation ou la destruction des renseignements collectés, y compris dans le cadre du II de l’article L. 854-1, est effectuée en méconnaissance du chapitre II du titre II.
« II. – La commission fait rapport au Premier ministre du contrôle prévu au II de l’article L. 833-3-1 en tant que de besoin, et au moins une fois par semestre.
« Art. L. 833-3-3 (nouveau). – I. – Le Premier ministre informe sans délai la commission des suites données à ses recommandations.
« II. – Le Premier ministre apporte une réponse motivée, dans les quinze jours, aux recommandations et aux observations que peut contenir le rapport prévu au II de l’article L. 833-3-2.
« Art. L. 833-3-4 (nouveau). – Le Conseil d’État peut être saisi d’un recours prévu au 2° de l’article L. 841-1 soit par le président de la commission lorsque le Premier ministre ne donne pas suite aux avis ou recommandations de la commission ou que les suites qui y sont données sont insuffisantes, soit par au moins trois membres de la commission.
« Art. L. 833-4. – La commission établit chaque année un rapport public dressant le bilan de son activité.
« Le rapport public de la commission fait état du nombre :
« - de demandes dont elle a été saisie et d’avis qu’elle a rendus ;
« - de réclamations dont elle a été saisie ;
« - de recommandations qu’elle a adressées au Premier ministre et de suites favorables données à ces recommandations ;
« - d’observations qu’elle a adressées au Premier ministre et d’avis qu’elle a rendus sur demande ;
« - d’utilisation des procédures d’urgence définies aux articles L. 821-5 et L. 821-5-1 ;
« - de recours dont elle a saisi le Conseil d’État et de recours pour lesquels elle a produit des observations devant lui.
« Ces statistiques sont présentées par technique de recueil de renseignement et par finalité.
« Art. L. 833-5. – La commission adresse au Premier ministre, à tout moment, les observations qu’elle juge utiles.
« Ces observations peuvent être communiquées à la délégation parlementaire au renseignement, sous réserve du respect du dernier alinéa du I et du premier alinéa du IV de l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
« Art. L. 833-6. – La commission répond aux demandes d’avis du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale, du président du Sénat et de la délégation parlementaire au renseignement.
« Dans le respect du secret de la défense nationale, la commission peut consulter l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ou répondre aux demandes de celle-ci.
« TITRE IV
« DES RECOURS RELATIFS À LA MISE EN ŒUVRE DES TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT SOUMISES À AUTORISATION
« Art. L. 841-1. – Le Conseil d’État est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du présent livre.
« Il peut être saisi par :
« 1° Toute personne souhaitant vérifier qu’aucune technique de renseignement n’est irrégulièrement mise en œuvre à son égard et justifiant de la mise en œuvre préalable de la procédure prévue à l’article L. 833-3 ;
« 2° La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dans les conditions prévues à l’article L. 833-3-4.
« Lorsqu’une juridiction administrative ou une autorité judiciaire est saisie d’une procédure ou d’un litige dont la solution dépend de l’examen de la régularité d’une ou de plusieurs techniques de recueil de renseignement, elle peut, d’office ou sur demande de l’une des parties, saisir le Conseil d’État à titre préjudiciel. Il statue dans le délai d’un mois à compter de sa saisine.
« Art. L. 841-2 (nouveau). – Le Conseil d’État est compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des contentieux résultant de la mise en œuvre de l’article 41 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, pour certains traitements ou parties de traitements intéressant la sûreté de l’État et dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État. »
M. le président. Nous en sommes parvenus, au sein de l’article 1er, à l'amendement n° 92, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, et ainsi libellé :
Alinéa 27
Compléter cet alinéa par les mots :
lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à préciser que le recours aux techniques de recueil de renseignements envisagées par le présent texte n’est possible que lorsque le recueil ne peut être fait par aucun autre moyen légalement autorisé.
Du fait de leur caractère particulièrement attentatoire aux libertés individuelles et à la vie privée, les techniques mentionnées dans cet article ne doivent pouvoir être employées qu’en l’absence de toute autre possibilité légale.
Nous considérons que ce principe doit absolument être affirmé dans la loi, ce qui n’est pas le cas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous nous inscrivons dans une autre logique, qui me paraît encore plus protectrice : elle consiste à faire en sorte que toutes les garanties soient prises pour que les mesures soient strictement proportionnées aux fins poursuivies. Ainsi, une mesure d’utilisation d’une technique de renseignement ne pourra jamais être reconnue comme légale si elle est disproportionnée aux fins poursuivies.
S’il fallait statuer, à chaque demande d’autorisation, pour savoir s’il n’y a pas de meilleur moyen pour obtenir les renseignements recherchés, on rendrait impossible la tâche de la commission nationale de contrôle. Celle-ci devrait, en quelque sorte, substituer son appréciation à celle de l’autorité ayant choisi en opportunité, dans toute la gamme des techniques possibles, de recourir à une technique plutôt qu’à une autre.
Ce qui nous importe, c'est non pas que l’administration ait choisi une technique par rapport à une autre, mais que la technique choisie soit utilisée dans des conditions légales. À partir du moment où toutes les garanties auront été prévues pour que ce soit le cas, il n’y a strictement aucune raison de situer les appréciations de la commission, du Premier ministre et du Conseil d’État dans une sorte de comparaison entre les techniques.
Nous avons déjà eu ce débat hier : l’avis de la commission était défavorable, et le Sénat a suivi la commission. Mes chers collègues, je vous demande donc de confirmer le vote que vous avez émis hier.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Avec grand regret, je ne suis pas favorable à cet amendement, pour des raisons que Mme Benbassa comprendra certainement et auxquelles – j’en suis convaincu – elle adhérera.
Cet amendement est moins protecteur pour le citoyen que ne l’est le texte du Gouvernement. Ce qui garantit la protection du citoyen – Philippe Bas vient de le dire –, c'est le principe de proportionnalité. Ce que vous proposez, madame la sénatrice, est de nature à altérer la portée de ce principe, qui est la pierre angulaire du texte. Il impose à l’administration, chaque fois qu’elle mobilise une technique de renseignement, d’être capable d’apporter la démonstration que la technique utilisée est proportionnée aux finalités pour lesquelles elle est mobilisée.
C’est la garantie la plus forte que l’on puisse donner aux citoyens. Nous ne souhaitons pas de disproportion entre la technique utilisée et la finalité recherchée.
Cette proportionnalité est, encore une fois, la garantie de la protection des citoyens, raison pour laquelle, même si j’entends bien que vous êtes animée des meilleures intentions, madame la sénatrice, je ne peux pas être favorable à un amendement qui, s’il était adopté, altérerait ce principe et produirait l’effet inverse de celui que vous recherchez avec cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 177 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 28, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Chaque ministre ne peut déléguer cette attribution individuellement qu’à des collaborateurs directs habilités au secret de la défense nationale.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L'autorisation de mise en œuvre d’une technique de renseignement est délivrée sur demande écrite et motivée du ministre de la défense, du ministre de l'intérieur ou des ministres chargés de l'économie, du budget ou des douanes. Chaque ministre peut déléguer cette attribution.
Eu égard au nombre élevé de demandes susceptibles d’être sollicitées, notamment s’agissant des données de connexion, il convient d’augmenter le nombre de personnes à qui chaque ministre peut déléguer une attribution si l’on veut que la procédure mise en place soit efficace.
Ces délégataires seront habilités secret-défense et placés sous l’autorité directe du ministre dont ils dépendent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a modifié le texte proposé pour l’article L. 821-4 du code de la sécurité publique pour que le Premier ministre détermine lui-même le nombre de personnes qui pourront, à ses côtés, en qualité de collaborateurs directs – la précision est importante –, prendre sur délégation de sa part les décisions d’autorisation.
Les ministres de l’intérieur et de la défense ont aussi la possibilité de déléguer leur attribution pour demander l’autorisation au Premier ministre d’utiliser une technique de renseignement. Le Gouvernement nous propose, par harmonisation avec la rédaction que nous avons adoptée à l’article L. 821-4, de prévoir la même disposition à l’article L. 821-1, à savoir la possibilité pour le ministre de déléguer son attribution individuellement à des collaborateurs directs habilités au secret de la défense nationale et à eux seuls.
Il s’agit d’éviter que ne se constitue une sorte de bureaucratie du droit du renseignement où les carrières s’enchevêtreraient, où l’on passerait des services sollicitant des autorisations à leur ministre aux conseillers des ministres qui font transiter la demande vers Matignon, aux membres des services de la commission nationale de contrôle et au cabinet du Premier ministre lui-même, dans une sorte d’entre soi complice qui diminuerait le niveau des garanties.
La décision prise par délégation d’une autorité politique gouvernementale doit se faire au profit non pas d’une administration ou d’une bureaucratie, mais de personnes qui permettent réellement que cette responsabilité politique soit engagée dans la décision prise, jusqu’au contrôle ultime par le Parlement.
L’avis est donc favorable.
M. le président. L'amendement n° 132 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 32
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 2° La finalité poursuivie ;
II. - Alinéa 37
Après les mots :
au regard de
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
la finalité poursuivie.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le texte proposé pour l’article L. 821-2 du code de la sécurité publique énonce la liste des précisions que doivent comporter les demandes de mise en œuvre, sur le territoire national, des techniques de recueil du renseignement.
La demande ainsi que son renouvellement doivent préciser, notamment, la ou les finalités poursuivies. Pour des raisons de simplification de la gestion des services, mais aussi pour faciliter le contrôle, il est parfaitement envisageable qu’une seule demande porte, s’agissant d’une ou de plusieurs personnes, sur l’emploi simultané ou successif de plusieurs techniques.
En revanche, une demande portant simultanément sur plusieurs finalités pourrait avoir pour effet de permettre aux services de se dispenser d’une motivation se rapportant à des suspicions ou des indices précis. Par rapport à la situation actuelle, ce serait donc affaiblir un contrôle que chacun s’accorde à dire qu’il faut renforcer.
C'est pourquoi il vous est proposé d’associer à chaque demande et, donc, à chaque demande de renouvellement, une seule finalité. En d’autres termes, s’il y a plusieurs finalités, il faut plusieurs demandes, afin de faciliter le contrôle et de renforcer les garanties apportées par le texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le sénateur, une demande de renseignement peut viser plusieurs finalités parmi celles que la loi prévoit, dès lors que certaines sont très proches et peuvent concerner la même cible.
Ainsi, une même personne peut être surveillée au titre de la prévention du terrorisme et au titre de la criminalité organisée, compte tenu de la porosité entre la criminalité organisée et certaines activités terroristes.
Dans votre amendement, vous ne remettez d’ailleurs pas en cause ce principe, mais vous souhaitez qu’il y ait autant de demandes, et donc d’autorisations, que de finalités.
Cette exigence conduirait d’abord à alourdir de façon considérable l’activité d’un service qui est déjà sous tension, mais aussi celle de la CNCTR et des services du Premier ministre.
Elle me paraît, ensuite, tout à fait contre-productive en termes de garantie des droits. Il est en effet utile que la CNCTR dispose, par une même demande, d’une vision d’ensemble des mesures de surveillance prises à l’encontre d’une personne. C’est la condition du bon exercice du contrôle de proportionnalité.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, si vous en êtes d’accord, monsieur le sénateur, de retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Sueur, l'amendement n° 132 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Si vous me confirmez que, dès lors qu’il y aura plusieurs finalités, chacune d’entre elles sera justifiée dans la demande, je retirerai mon amendement.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Sueur, vous avez toute garantie sur ce point, je m’y engage solennellement.
M. le président. Qu’en est-il en définitive de votre amendement, monsieur Sueur ?
M. Jean-Pierre Sueur. M. le ministre s’est solennellement engagé à ce que chaque finalité soit justifiée. Devant le caractère tout à fait affirmatif de cette déclaration, qui figurera au compte rendu de nos débats et, par conséquent, éclairera nos travaux, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 132 rectifié est retiré.
L'amendement n° 133 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 38
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque deux membres au moins lui en font la demande, le président réunit la commission en formation plénière. Elle formule le cas échéant un nouvel avis qui remplace l’avis initial.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement est important. L’Assemblée nationale a décidé de permettre à deux membres de la CNCTR qui contesteraient l’avis émis par le président de la commission ou l’un des membres chargés de le suppléer de demander au président de réunir la commission, laquelle devrait alors statuer dans un délai de trois jours ouvrables suivant l’avis initial. Dans ce cas, le nouvel avis émis par la commission remplacerait l’avis initial.
J’ai bien entendu que notre rapporteur, Philippe Bas, s’interrogeait sur le sort des renseignements collectés jusqu’à la formulation d’un avis différent. Nous pouvons vous rassurer, monsieur le rapporteur : il n’existerait pas difficulté juridique.
En effet, soit le Premier ministre interrompt le recours aux techniques de renseignement et, dans ce cas, les données recueillies sont détruites ; soit l’autorisation est maintenue, malgré l’avis défavorable de la CNCTR et, dans ce cas, le projet de loi exige une réponse motivée du Premier ministre et accorde à la CNCTR la faculté de saisir le Conseil d’État.
Par ailleurs, sur un plan plus général, je rappelle que le Sénat a ajouté au texte adopté par l’Assemblée nationale des garanties complémentaires, ce dont je me réjouis.
Aussi, monsieur le rapporteur, il serait dommage que, pour une fois, nous soyons en deçà de ce qu’ont voté nos collègues députés. Il est donc important de maintenir une voie de recours au sein même de la CNCTR.
Je sais que cette disposition est particulière, mais, chacun le voit bien, la matière dont nous traitons revêt précisément un caractère exceptionnel. En maintenant cette voie de recours, on introduit une garantie supplémentaire en matière de contrôle, tout en confortant le principe de collégialité applicable au sein de la CNCTR.
Au surplus, notons que la commission des lois n’est pas revenue sur la possibilité de saisine du Conseil d'État par au moins trois membres de la CNCTR.
Pour toutes ces raisons, nous pourrions vraiment reprendre cette disposition de l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. En préambule, la commission remercie l’un de ses membres les plus éminents, Jean-Pierre Sueur, d’avoir rappelé le sens de son travail ; celui-ci a en effet constamment consisté à renforcer les garanties de légalité et de contrôle de la mise en œuvre des techniques de renseignement.
Nous n’avons toutefois pas considéré que cet amendement contribuait réellement à l’amélioration de ces garanties. En effet, il organise en quelque sorte un bégaiement dans la procédure de consultation de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Après que celle-ci aurait émis un avis, plusieurs de ses membres, regrettant qu’il ait été donné dans une forme restreinte, demanderaient que la commission se saisisse de nouveau, cette fois en formation plénière.
Or, dans notre droit, quand une commission consultative a donné un avis, l’avis est donné et l’on passe à l’étape suivante. Or c’est précisément dans cette phase que seront offertes les meilleures garanties ! Là réside tout le sens du travail que nous avons mené en commun, dans une recherche du plus large consensus, et qui nous a permis de rendre effectif le contrôle du Conseil d'État, ce qu’il n’était pas, selon nous, ni dans le texte initial du Gouvernement ni dans celui de l’Assemblée nationale.
Dès lors qu’il suffit de trois membres de la CNCTR pour saisir le Conseil d'État, la garantie qui manquait est assurée. En revanche, si le bégaiement de la commission nationale était autorisé par l’adoption du présent amendement, cela serait source de désordre. Je m’explique : dès l’avis donné, l’autorisation est en principe délivrée et la technique de renseignement demandée mise en œuvre. Il faudrait donc dire « stop ! », et la commission, qui a rendu un avis en respectant la procédure prévue par la loi, devrait en formuler un nouveau, qui pourrait d’ailleurs, dans certains cas, être le même.
Il ne faut pas instaurer à mon sens un tel dispositif, qui, en réalité, n’apporte pas de garantie supplémentaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur Sueur, l’avis du Gouvernement est plus nuancé, bien que j’entende parfaitement dans votre argumentation, monsieur Bas, la recherche d’un équilibre entre la fluidité et la sécurité de la décision.
À l’Assemblée nationale, ce débat a eu lieu, puisque c’est à l’initiative des députés que la faculté pour deux membres de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de demander la réunion de cette commission en formation plénière avait initialement été introduite. Le Gouvernement avait alors été favorable à cette sécurité supplémentaire. En toute cohérence, puisqu’il entend cette préoccupation des parlementaires, il s’en remet aujourd’hui à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je remercie Mme la garde des sceaux de son appel à la sagesse du Sénat.
Je veux dire ensuite à M. Philippe Bas mon respect pour les personnes atteintes de bégaiement, respect qu’il partage, je le sais. Même si c’est parfois difficile, certains surmontent ce handicap avec aisance.
Mais la comparaison n’est-elle pas inappropriée ici ? Cette faculté de demander en somme une seconde délibération n’est pas inédite ; elle existe, par exemple, dans le règlement du Sénat et dans celui de l’Assemblée nationale. Ainsi, lorsque le Gouvernement demande une nouvelle délibération, nul ne prétend que l’Assemblée ou le Sénat bégaient.
En outre, il existe en maintes autres circonstances des possibilités de recours, et l’on ne dit pas alors que cela revient à bégayer !
Enfin, nous sommes attachés, comme parlementaires, à la deuxième lecture des textes que nous examinons, même si les gouvernements cherchent tous à simplifier quelque peu le processus ; là encore, personne ne prétend qu’il y a bégaiement.
Il s’agit donc ici, dans un cas particulier relatif à des questions d’ordre exceptionnel, de donner la faculté à deux membres d’une commission de solliciter une nouvelle délibération, en formation plénière.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je précise tout d’abord que la commission des lois a restreint le nombre de membres de la CNCTR, ce qui me semble indispensable. En effet, une commission pléthorique me paraît le meilleur moyen d’en garantir l’inefficacité !
Ensuite, je redoute que cette faculté ne suscite des divisions au sein de la CNCTR., au détriment du climat de confiance nécessaire au travail commun. Comparez cela, mon cher collègue, avec le fonctionnement de certaines juridictions, dans lesquelles existe la notion d’opinions dissidentes. Vous connaissez bien sûr cela, madame la garde des sceaux, cela existe dans certaines institutions ; mais pas en France : si l’on n’est pas d’accord, on est minoritaire !
En outre, il existe une possibilité de recours dès que trois membres le jugent utile. Cela me semble suffisant. Si l’on crée ce climat de suspicion entre les membres de la commission, je crains personnellement le pire : la zizanie et l’inefficacité !
Je ne voterai donc pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur Sueur, votre analogie entre la deuxième délibération d’une assemblée sur un texte et le dispositif de votre amendement ne tient pas.
M. Jean-Jacques Hyest. Cela n’a rien à voir !
M. Philippe Bas, rapporteur. En effet, si un avis a donné lieu à une autorisation, cela produit des effets juridiques ; en revanche, si une première délibération est suivie d’une seconde, il n’y a aucun acte créateur de droit entre les deux délibérations : on n’est donc pas du tout dans la même situation.
M. Jean-Pierre Sueur. C’était un peu facile, je le reconnais !
M. Philippe Bas, rapporteur. Je voulais tout de même le préciser, parce que, dans l’élan de l’argumentation en séance, il peut arriver que l’on fasse des analogies qui emportent ensuite la conviction de certains collègues alors qu’elles ne sont pas totalement adaptées au sujet.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison, monsieur le rapporteur, mais M. Hyest était vigilant !
M. Jean-Jacques Hyest. Comparaison n’est pas raison !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.
Je rappelle également que l'auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse. J’invite chacun à respecter son temps de parole et, ainsi, à s’entraîner à la maîtrise du temps ! (Sourires.)
exécutions capitales en arabie saoudite
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union des Démocrates et Indépendants – UC.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, l’Arabie saoudite recrute !
Aux termes d’une offre d’emploi diffusée dans les grands médias internationaux, l’Arabie saoudite recrute huit bourreaux pour procéder à des décapitations et à des amputations de mains, conformément à la charia.
La situation dramatique du blogueur Raïf Badawi est dans toutes les mémoires. Je sais que le Président de la République, lorsqu’il s’est rendu à Riyad, a évoqué le cas.
Notre pays est très lié à l’Arabie saoudite par des relations économiques qui croissent de manière exponentielle. Cela ne doit pas faire oublier la situation des droits de l’homme dans ce pays ni la nécessité d’y combattre les comportements indignes et, pour tout dire, moyenâgeux.
Il se trouve que, pour présider le groupe d’amitié avec les pays du Golfe du Sénat, je connais bien cette région. J’y insiste, nos relations économiques ne sauraient occulter les problèmes qui se posent dans ces pays sur le plan des droits de l’homme, notamment en Arabie Saoudite.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures comptez-vous prendre face à cette situation ? Notre pays est celui des Rafale, mais c’est aussi celui des droits de l’homme ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement sur un sujet gravissime, dont je ne suis pas sûr, d'ailleurs, qu’il invite à l’humour…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Vous évoquez des condamnations à mort et les peines atroces auxquelles un blogueur a récemment été condamné – une longue peine de prison assortie de mille coups de fouet.
La France, fidèle à sa tradition, a dénoncé ces situations et, ainsi que vous l’avez rappelé, le Président de la République, lorsqu’il a été invité, de manière inédite, au Conseil de coopération du Golfe, s’est exprimé de façon on ne peut plus claire sur ce sujet, en rappelant le combat permanent de la France pour l’abolition de la peine de mort.
Ce combat, c’est celui qu’ont mené Victor Hugo, François Mitterrand et Robert Badinter, qui, tous, ont siégé dans cette assemblée. C’est aussi celui qu’a mené l’ancien Président de la République Jacques Chirac, qui s’est engagé pour l’inscription de l’abolition de la peine de mort dans la Constitution.
Ce message est porté à tous les niveaux de l’État par notre diplomatie, et l’excellence de nos relations économiques avec l’Arabie saoudite de même que le dialogue très confiant que nous avons avec ce pays ne l’excluent en rien.
Concernant le blogueur Raïf Badawi, encore une fois, madame la sénatrice, la peine qui lui a été infligée est atroce. Les autorités françaises appellent l’Arabie saoudite à faire preuve de clémence à son égard, notamment à l’approche du pardon du Ramadan, et, au-delà de son cas particulier, à ne plus appliquer ce genre de peines. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
chiffres du chômage
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Lamure. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Monsieur le ministre, une fois encore, le malaise est grand après l’annonce, lundi soir, des chiffres du chômage.
M. Didier Guillaume. Ils se réjouissent de ces chiffres ?
Mme Élisabeth Lamure. Chacun de nous souffre de cette mauvaise nouvelle, qui masque quelque peu les timides perspectives de croissance.
Allons-nous, une fois encore, entendre les mêmes arguments dilatoires pour cacher l’échec du Président de la République, qui, dès 2013, a lui-même conditionné la réussite de son action à sa capacité à inverser la courbe du chômage ? Allons-nous, une fois encore, voir la situation qui prévalait avant 2012 invoquée comme seule justification ?
Les chiffres du mois d’avril, parmi les plus mauvais depuis le début du quinquennat, confirment la tendance. Rien ne semble arrêter la machine infernale. Pis, toutes les classes d’âge sont touchées !
Et, alors que notre taux de chômage dépasse allègrement 10 %, les Allemands et les Britanniques connaissent des courbes descendantes, avec un chômage passé en dessous de 6 %. De plus, nos voisins créent en majorité des emplois dans des secteurs à forte valeur ajoutée, quand nous, en France, créons des emplois aidés…
Vous annoncez ainsi 100 000 emplois aidés supplémentaires cette année. Or il faut plus de 3 milliards d’euros par an pour financer 450 000 contrats aidés ! Mais, monsieur le ministre, c’est dans le secteur marchand que les emplois créeront de la richesse.
D’ailleurs, que nous disent les représentants des entreprises ? Depuis six mois, la délégation aux entreprises du Sénat a rencontré, chez eux, plus d’une centaine d’entrepreneurs. Tous nous tiennent le même langage : il faut moins de contraintes, moins de normes, moins de charges. Tous nous disent qu’ils voudraient embaucher, mais qu’il faut, pour cela, lever les freins à l’embauche.
M. David Assouline. Qu’avez-vous fait, vous ?
Mme Élisabeth Lamure. Or le Gouvernement balance entre donner des gages à la gauche de sa majorité et accepter les règles de la compétitivité d’un monde ouvert. Mais les Français ne vous croient plus, et ils ne vous suivent plus ! Dès lors, comment comptez-vous sortir de ce dilemme, monsieur le ministre ?
Comme le président de notre groupe, Bruno Retailleau, vous y a déjà invité, ne laissez pas passer la formidable occasion de prendre de vraies mesures en faveur de la croissance que constitue le travail réalisé par la majorité sénatoriale sur le projet de loi de votre collègue, M. Macron. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la sénatrice, parmi les chiffres que vous avez cités, vous avez indiqué que le taux de chômage, dans notre pays, était largement supérieur à 10 %.
Il semble que vous n’ayez pas écouté les actualités ce matin ! En effet, l’INSEE vient d’annoncer que le taux de chômage avait reculé en France au premier trimestre. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Ils préféreraient peut-être se réjouir de la hausse du chômage ?
M. Francis Delattre. Nous ne vous croyons plus !
M. François Rebsamen, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe Les Républicains, vous avez tort de vous moquer de ces chiffres : ce sont ceux de l’INSEE, et ils sont les seuls à être reconnus et à servir à ce titre dans les comparaisons internationales ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Vous ne pouvez nier la réalité.
M. Francis Delattre. C’est un mensonge d’État !
M. François Rebsamen, ministre. Et moi qui pensais que vous alliez, comme moi, vous réjouir de cette annonce… Je regrette que ce ne soit pas le cas.
Mme Élisabeth Lamure. Et si vous nous parliez plutôt du fond ?
M. François Rebsamen, ministre. Que faire pour améliorer la situation ? Il faut continuer à encourager la reprise d’activité économique et à former nos chômeurs, pour qu’ils puissent, demain, répondre aux offres d’emploi qui leur seront présentées.
C’est pourquoi nous avons mis en place un dispositif d’emplois aidés, ce que la droite a d’ailleurs elle-même largement fait quand elle était au pouvoir. Étonnamment, l’histoire des contrats aidés montre qu’un pic a été atteint alors qu’Alain Juppé, personnalité que vous affectionnez, était Premier ministre : il y avait alors 850 000 contrats aidés. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. C’est faux !
M. François Rebsamen, ministre. Votre majorité, quand elle était au pouvoir, avait même programmé 385 000 emplois aidés pour le premier semestre de l’année 2012.
M. Gérard Cornu. Combien y avait-il de chômeurs, à l’époque ?
M. François Grosdidier. Oui, combien de chômeurs en 2012 ?
M. François Rebsamen, ministre. D'ailleurs, deux tiers d’entre eux avaient effectivement été créés au mois de mai de la même année.
Au contraire, nous mettons en place des politiques de soutien à l’activité, au travers, notamment, de deux projets de loi actuellement en cours de discussion, l’un défendu par mon collègue Emmanuel Macron, qui porte sur la croissance et l’activité, et l’autre, que je présenterai bientôt au Sénat et qui concerne le dialogue social.
Tout cela vise à lever les freins et à redonner confiance aux entreprises, car ce sont elles qui créent l’emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
M. Alain Bertrand. Monsieur le Premier ministre, vous le savez, un sentiment d’abandon au moins partiel envahit nos campagnes. L’angoisse grandit.
Nos concitoyens se demandent si l’on ne va pas voir advenir une deuxième France, déclassée, une espèce de sous-République où la devise « liberté, égalité, fraternité » serait moins vivante qu’ailleurs, ce phénomène affectant toutes les ruralités.
Pour autant, nous ne faisons pas la manche.
Vos priorités – l’emploi, la relance, le redressement des comptes, l’école, la sécurité, la lutte contre le terrorisme – favoriseront une République française plus juste et plus efficace. Nous les partageons. Mais les ruraux veulent savoir quel avenir vous leur proposez.
Comment imaginez-vous cet avenir ? Votre réponse à cette question conditionne leur maintien ou non dans les territoires ruraux, pour y créer ou non de la richesse et de l’emploi, y fonder une famille, y inscrire leur avenir.
Les questions que les ruraux se posent sont simples. Pourrons-nous toujours accéder à la santé, publique ou privée ? Pourrons-nous bénéficier de moyens de transports ? Pourrons-nous toujours nous déplacer ? Aurons-nous des secours aux personnes efficaces ? Pourrons-nous accéder à la téléphonie mobile et à internet ? Aurons-nous le droit au développement économique, au service public ? Rattraperons-nous nos retards en matière d’infrastructures ? Serons-nous aidés ou privés définitivement d’industries, d’enseignement supérieur, de culture, de sport ? Allons-nous arrêter de tout entasser dans les villes ?
Monsieur le Premier ministre, il vous appartient de délivrer aux ruraux français un message politique et stratégique convaincant. Vos cinquante mesures sur les ruralités, au rang desquelles la création de maisons de services au public et de maisons de santé, ne constituent pas une réponse assez organisée. Le message doit être plus fort, plus clair, décrire une vraie stratégie pour les vingt prochaines années, mettre en perspective une place durable pour les ruralités dans la République française.
M. Alain Gournac. Il n’y a pas que les messages ! Il faut aussi passer à l’action…
M. Alain Bertrand. Seule une loi d’avenir peut permettre au pays et aux ruraux de savoir où ils vont et quel sera leur futur.
Alors que vous êtes à mi-mandat, il est l’heure pour vous de compléter la réponse, partielle, que vous avez déjà adressée à plusieurs dizaines de millions de ruraux. Prenez les dispositions que vous jugerez utiles pour que ce travail soit engagé et mené à bien – avec bon sens, j’en suis sûr !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Bertrand. C’est indispensable, profondément républicain et juste. Et c’est le moment, alors que la France redémarre !
M. Francis Delattre. Elle redémarre en marche arrière !
M. Alain Bertrand. Monsieur le Premier ministre, pas de sous-citoyens, pas de sous-République dans notre pays ! Parlez aux ruraux : ils vous font confiance. Faites-leur confiance en retour ! Ils vous attendent. C’est le moment ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur Bertrand, vous venez de rappeler les inquiétudes et les préoccupations des territoires ruraux. Ces mêmes préoccupations ont été très largement relayées lors des Assises des ruralités que nous avons organisées à l’automne dernier et auxquelles vous avez été étroitement associé.
Ces rencontres ont alimenté, ont nourri la réflexion du Gouvernement. À l’issue du comité interministériel aux ruralités du 13 mars dernier, le Premier ministre a ainsi pu présenter un plan d’action et un certain nombre de propositions concrètes en termes d’aménagement équilibré du territoire en faveur et à destination des espaces ruraux.
Au-delà des mesures, le Gouvernement a bel et bien défini une nouvelle approche. Le Premier ministre l’a rappelé, il s’agit de porter un nouveau regard, de tenir compte de la diversité et des spécificités de ces territoires, qui constituent de réels atouts, de réelles opportunités pour le développement économique de notre pays, sans pour autant méconnaître leurs difficultés.
L’ambition que nous portons pour ces territoires s’articule autour de trois objectifs, dont le premier, vous l’avez rappelé, consiste à garantir l’accès aux services publics et aux services au public.
Pour y parvenir, nous allons accélérer le déploiement des maisons de service public pour en porter le nombre à 1 000 d’ici à 2016, grâce à un partenariat avec La Poste et au financement de différents opérateurs.
Nous allons également faire porter notre effort sur la santé, à travers l’installation et le déploiement des maisons pluridisciplinaires de santé et la mise en place d’un dispositif d’aides incitatives pour l’installation des professionnels de santé dans les territoires.
Dans votre rapport sur l’hyper-ruralité, monsieur Bertrand, vous aviez souligné combien l’ingénierie et l’appui technique aux collectivités étaient nécessaires pour développer des projets structurants en matière d’aménagement du territoire. Nous avons repris cette idée à travers le dispositif AIDER, pour Accompagnement interministériel au développement et à l'expertise en espace rural.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement a pris beaucoup de mesures au titre de l’ambition qu’il a pour ces territoires.
M. Alain Gournac. Bref, tout va bien !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Les ruralités constituent une préoccupation forte du Gouvernement. Nous avons, à ce titre, augmenté de 200 millions d’euros la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, pour leurs projets.
M. Alain Gournac. Nous sommes sauvés !
Mme Sylvia Pinel, ministre. L’ambition du Gouvernement est d’accompagner et d’aider les collectivités, ainsi que l’ensemble des acteurs. Nous serons présents à vos côtés, dans vos territoires, pour porter cette ambition. Oui, monsieur le sénateur, les ruralités font partie de la République ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
chiffrage des aménités positives et des externalités négatives de l'agriculture conventionnelle/bio
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Joël Labbé. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture.
Le prix de l’alimentation fait aujourd’hui l’objet d’un intense débat, qu’il s’agisse des difficultés des agriculteurs et éleveurs, de la nécessite d’offrir aux consommateurs une alimentation de qualité à des prix abordables pour tous ou encore des marges des distributeurs.
Je me concentrerai sur les coûts inhérents à la transition agricole que nous avons initiée fortement, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, avec la loi pour l’agro-écologie que vous avez portée, monsieur le ministre.
L’agriculture biologique – ou organic, comme l’appellent nos voisins anglo-saxons – est l’un des modèles constitutifs de l’agro-écologie. On entend encore souvent dire que l’agriculture biologie est trop chère, qu’elle offre de moins bons rendements que l’agriculture conventionnelle. S’il y a une part de vérité, c’est évidemment critiquable. Or plusieurs études montrent aujourd’hui que le différentiel en termes de rendement peut même être inférieur à 10 %. Une méta-étude publiée aujourd’hui par l’université de Washington va dans ce sens.
En revanche, on oublie la plupart du temps de tenir compte des externalités négatives associées à l’agriculture conventionnelles et de leur coût : pollution des eaux, ingestion de produits phytosanitaires par les consommateurs, maladies professionnelles des agriculteurs, perte de biodiversité, dégradation des sols…
En parallèle, il faut également tenir compte des aménités positives engendrées par l’agriculture biologique et de leur valeur : restauration de la qualité des sols – notamment en matières organiques–, filtration des eaux, amélioration de la qualité nutritionnelle, préservation de la biodiversité des écosystèmes, intensification de l’emploi – surtout en cette période –, revitalisation rurale chère à Alain Bertrand, maintien des paysages…
Nous avons besoin que l’État se penche sérieusement sur le calcul économique associé à ces externalités, positives ou négatives, et chiffre enfin,…
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Joël Labbé. … réellement, le coût et les bénéfices de la transition que nous attendons tous.
Monsieur le ministre, nous attendons du Gouvernement – pourquoi pas aujourd’hui ? – qu’il s’engage à faire mener cette étude économique exhaustive.
M. Charles Revet. Houla !
M. Joël Labbé. Quand nous aurons des décisions à prendre, nous pourrons ainsi le faire en nous appuyant sur des chiffres ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Vous avez, dans votre question longue…
M. Stéphane Le Foll, ministre. … et complète, ajoute le Premier ministre, présenté un certain nombre de remarques et d’analyses.
Vous avez évoqué en particulier les enjeux liés aux filières animales. Je l’ai dit devant une commission au Sénat ce matin, les filières animales – qu’il s’agisse de la viande bovine ou de la viande porcine – connaissent des difficultés de prix extrêmement importantes. Il faudra prendre des décisions pour réorganiser et soutenir ces filières, qui, je le répète, traversent une phase difficile.
Quant aux externalités, soyons honnêtes, l’agriculture a eu des conséquences environnementales, comme on a pu le constater à différentes occasions, qu’il s’agisse des algues vertes en Bretagne ou de la pollution de certaines nappes phréatiques. Les pesticides sont un sujet en eux-mêmes et il faudra bien, un jour ou l’autre, ouvrir le débat public.
Il faut tout faire pour que l’activité agricole garde sa dimension économique, productive, faute de quoi nous serons confrontés à des problèmes d’alimentation et d’accès à l’alimentation et, dans le même temps, développer des stratégies de performance environnementale. L’agriculture ne pourra être durable que si nous sommes capables de les intégrer.
Pour ce qui est du « bio », je peux d'ores et déjà vous annoncer que le Gouvernement va demander une étude sur les aménités positives de l’agriculture biologique, monsieur le sénateur.
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Par ailleurs, le différentiel de rendement peut osciller, selon les productions, entre moins 10 %, - voire moins, comme pour le tournesol, par exemple, dont le rendement est équivalent – et moins 40% ou 60 % sur les céréales, notamment le blé.
Nous devons être capables de porter un projet d’agro-écologie qui intègre bien évidemment l’agriculture biologique, mais qui aille également au-delà. Il s’agit de l’agriculture et de son avenir, donc tout le monde est concerné.
Nous disposerons bientôt d’un rapport sur l’agriculture biologique et ses évolutions. Toutefois, il revient également à cette forme d’agriculture de s’intégrer dans des stratégies collectives plus importantes, je pense en particulier à la question de l’utilisation de la photosynthèse. L’agriculture biologique peut très bien être dépassée par des modèles agro-écologiques utilisant davantage la photosynthèse.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il faut sortir de l’idée qu’il n’existe que deux solutions : le conventionnel ou le « bio ».
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Nous devons ouvrir une nouvelle voie, celle qui nous rassemblera tous, car la France a beaucoup d’atouts ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. Jean-Vincent Placé applaudit également.)
chiffres du chômage
M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
M. Michel Billout. Ma question s'adresse à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Monsieur le ministre, selon Pôle emploi, le chômage a connu une nouvelle progression au mois d’avril.
M. Alain Gournac. Mais non, il a baissé ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Billout. S’il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour François Hollande, qui déclarait, l’année dernière à Clermont-Ferrand, que « Si le chômage ne baisse pas d’ici à 2017, je n’ai, ou aucune raison d’être candidat, ou aucune chance d’être réélu », il s’agit surtout d’une très mauvaise nouvelle pour les personnes à la recherche d’un emploi, le chômage de longue durée ayant augmenté de 10,2 % en un an.
Ainsi – et l’INSEE ne peut contester ce chiffre –, ce sont 2,33 millions de personnes qui pointent à Pôle emploi depuis plus de douze mois. C’est insupportable !
La seule crise de la zone euro explique de moins en moins cette situation. Ce sont davantage les vieilles recettes utilisées soi-disant pour combattre le chômage qui en sont la cause. Où sont ainsi les effets promis du CICE, du pacte de responsabilité et des 41 milliards d’euros de réduction d’impôts et de cotisations sociales accordés aux entreprises en vue de les inciter à embaucher et investir ?
Ces cadeaux fiscaux, accordés principalement aux grandes entreprises sans réelles contreparties, n’ont d’autre résultat que l’augmentation des dividendes servis aux actionnaires. (M. Francis Delattre s’exclame.)
De plus, pour financer en partie ces crédits d’impôt, vous contraignez les collectivités territoriales à réduire l’emploi public et associatif et à baisser fortement leurs investissements.
Ainsi, la baisse des dotations de l’État aux collectivités entraînera, selon plusieurs études – notamment celle qu’a conduite l’Association des maires de France –, une réduction d’au moins 25 % de leurs investissements d’ici à 2017, ce qui ne sera pas sans conséquences sur la reprise de la croissance, déjà faible.
Dans la même veine de la réduction de la dépense publique, l’opportun rapport sur les trains Intercités, lequel préconise l’abandon de nombreuses dessertes ferroviaires au bénéfice, sans doute, des autocars « Macron », provoquera, si ses préconisations sont suivies, de nouvelles pertes d’emplois à la SNCF.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Michel Billout. Les importantes baisses de commandes qui s’ensuivront fragiliseront l’industrie ferroviaire en France, pourtant l’un des fleurons de notre pays.
M. Charles Revet. Tout le contraire de ce qu’il faut faire !
M. Michel Billout. L’État assume bien mal ses responsabilités d’actionnaire. La situation d’AREVA en est un triste exemple : alors que ce groupe souffre depuis de nombreuses années d’une sous-capitalisation chronique, la vente à la découpe et la suppression de 4 000 postes en France sont présentées aujourd’hui comme les seules solutions à même de le sauver. C’est une aberration pour un secteur aussi stratégique, sans parler de notre sûreté nucléaire.
Alors, oui, l’État montre malheureusement l’exemple. Tout est bon pour sans cesse baisser le fameux coût du travail et permettre les licenciements de masse : facilitation du droit de licencier, casse des prud’hommes, abaissement des seuils sociaux....
C’est cette mauvaise politique qui est la cause de l’augmentation massive du chômage !
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Michel Billout. Voilà déjà un an, les économistes du Fonds monétaire international affirmaient : « Les mesures d’austérité imposées aux pays en échange de l’aide accordée par le FMI nuisent à l’économie et à la croissance, en plus d’augmenter les inégalités socio-économiques ». (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Michel Billout. Quand le Gouvernement va-t-il enfin conduire une politique de gauche en faveur de la croissance et de l’emploi ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Oui, que faites-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur Billout, en écoutant le réquisitoire auquel vous vous livriez, je me disais que tout ce qui est excessif est insignifiant. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme Éliane Assassi. On peut faire mieux !
M. François Rebsamen, ministre. Toutefois, je ne voudrais pas limiter ma réponse à une remarque de ce genre.
À vous entendre, on a l’impression de vivre dans un pays qui connaît l’austérité. Or la politique menée par le Gouvernement est une politique de redressement de l’économie qui ne passe pas par l’austérité !
M. Alain Gournac. Une politique de destruction !
M. François Rebsamen, ministre. La preuve en est que le pouvoir d’achat des ménages a augmenté de plus de 1 % en 2014. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. C’est la réalité !
M. François Rebsamen, ministre. Connaissez-vous beaucoup de pays pratiquant l’austérité qui voient le pouvoir d’achat des ménages augmenter ?
Par ailleurs, la reprise économique arrive (Nouvelles marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.). Les annonces faites ce matin par la Banque de France démontrent que la politique de redressement que nous menons porte ses fruits.
Vous avez raison, le décalage est incontestable entre ces annonces d’une reprise économique et le vécu sur le terrain en matière d’emploi. Nous cherchons à combler ce décalage par la formation indispensable et prioritaire des chômeurs.
Cette grande avancée que constitue le compte personnel de formation…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Mais cela ne marche pas !
M. François Rebsamen, ministre. … va permettre à 160 000 demandeurs d’emploi d’accéder demain – nous l’espérons – à l’emploi en améliorant l’adéquation entre offres et demandes.
Ce dispositif va notamment profiter à ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire aux chômeurs de longue durée. Le problème ne date pas d’aujourd’hui et concerne toutes les formations politiques. Beaucoup trop d’emplois ne sont pas pourvus dans notre pays. Pour améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande, il faut renforcer la formation des demandeurs d’emploi.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. François Rebsamen, ministre. J’ajouterai enfin que les offres d’emploi sont en progression. Dans les prochains mois, nous constaterons que l’année 2015 sera meilleure que l’année 2014. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Tout va bien, alors !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez commandé un rapport sur les trains d’équilibre du territoire en novembre dernier afin de clarifier l’offre et de redresser le modèle économique de ce service ferroviaire, aujourd’hui maillon faible entre TGV et TER.
La commission constituée a décrit sans complaisance la situation actuelle des TET. Son rapport montre qu’il est urgent d’intervenir. Il était indispensable de tenir un discours de vérité pour permettre au Gouvernement d’agir.
En fait, l’appellation unique de « TET » cache une grande diversité de lignes : lignes du grand bassin parisien, radiales et transversales de longue distance, dessertes interrégionales ou lignes de nuit, sans évoquer la forte imbrication avec les dessertes TER.
La qualité de l’offre s’est profondément dégradée au cours des dernières décennies. Elle est de moins en moins adaptée aux considérables évolutions des mobilités.
Par ailleurs, la répartition des responsabilités, entre l’État, autorité organisatrice de transports pour les TET, et SNCF Mobilités, est confuse. La situation décrite montre que la suppression au fil de l’eau des TET est inéluctable si rien n’est engagé par les pouvoirs publics, d’autant que le matériel roulant, qui a plus de trente ans d’âge en moyenne, devient obsolète.
Ce rapport inscrit dans ses propositions une vision structurante de la mobilité, qui devient un marqueur de modernité permettant à la plus grande majorité des lignes TET, au même titre que les TGV et les TER, d’être renforcées, d’avoir du matériel roulant performant et attractif, l’objectif étant de ne laisser aucun territoire sans solution.
Toutes ces propositions passent par un renforcement indispensable de l’autorité organisatrice, c'est-à-dire par la création d’une agence spécialisée « TET » au sein du ministère des transports.
M. Charles Revet. Encore une agence !
M. Jean-Jacques Filleul. Ce rapport contient, au-delà du constat dressé, de nombreuses propositions décisives pour l’avenir.
Monsieur le secrétaire d’État, comme vous, nous voulons mettre l’usager au cœur de l’évolution de l’offre des trains d’équilibre du territoire.
Nous souhaitons que ce rapport soit pris en compte par le Gouvernement et porté par le plus grand nombre. Comment envisagez-vous de l’intégrer dans la politique des transports des voyageurs ? Quels éclairages pouvez-vous apporter aujourd’hui à la Haute Assemblée ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a effectivement chargé une commission, présidée par Philippe Duron, de réfléchir à l’avenir des trains d’équilibre du territoire. Le Sénat était représenté au sein de cette commission par vous-même, monsieur le sénateur, Annick Billon et Jean-Vincent Placé. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Des experts ont travaillé aux côtés des parlementaires pour ce rapport, qui a été publié la semaine dernière. Je veux souligner sa qualité. Il est sans concession, mais la complaisance n’entrait pas dans les méthodes de cette commission. Non seulement les auteurs dressent un constat, mais ils mènent aussi un travail de comparaison avec les solutions adoptées par d’autres pays et formulent un certain nombre de propositions.
Les constats, personne ne peut s’en exonérer.
Le premier d’entre eux, c’est le déficit du fonctionnement des TET. Alors que l’État est aujourd'hui autorité organisatrice pour les TET, le déficit pour l’année 2015 atteindra environ 400 millions d’euros. Si nous ne faisons rien, il sera de 500 millions d’euros dans deux ans. C’est la première difficulté que nous devons affronter.
Vient ensuite le constat, à mettre en exergue, comme vous l’avez fait, de la vétusté du matériel, de plus de trente-cinq ans d’âge, et du caractère absolument hétérogène des trains labellisés TET. On y trouve à la fois des grandes lignes correspondant à la définition initiale, des petits bouts de lignes, des lignes ne fonctionnant que le samedi à la place du TER, ou des trains de nuit. Tout cela mérite évidemment d’être précisé.
Les auteurs du rapport formulent ensuite des propositions. Le Gouvernement les étudiera et j’annoncerai au mois de juin une feuille de route. Il y a naturellement une imbrication forte entre la question des TER et celle des TET. La perspective de réorganisation des régions suppose qu’un travail de concertation soit mené, y compris avec les futurs exécutifs des grandes régions. Bien évidemment, il faut aussi réfléchir à la question du matériel.
Les propositions et le calendrier qui seront annoncés par le Gouvernement s’organiseront autour de trois principes : la réduction du déficit, le respect du droit à la mobilité pour chacun et le respect de l’avenir des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
zad de notre-dame-des-landes
M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour le groupe Les Républicains.
M. André Trillard. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Elle concerne Notre-Dame-des-Landes. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Nous avons, en Loire-Atlantique, des « zadistes » aux airs de beatniks, violents quand il le faut, déterminés quand ils savent qu’ils font peur à la gauche et peur au pouvoir.
Rappelons-nous les événements violents survenus voilà deux ans, sur les 1 600 hectares de la ZAD, la zone d’aménagement différé, de Notre-Dame-des-Landes, déjà achetés, pour le projet du futur aéroport.
Les conséquences sont encore bien visibles.
La route départementale n° 281 est fermée depuis deux ans, cas unique en Europe depuis l’ex-Yougoslavie !
M. Charles Revet. Quelle référence !
M. André Trillard. Sera-t-elle rouverte un jour ?
Une présence humaine est bien là, puisque 100 à 200 personnes sont installées dans des abris de fortune. Quelques fermes sont occupées et une cohabitation s’est installée avec des agriculteurs réfractaires au projet et au progrès.
Une économie dite « nouvelle » s’y développe, tout cela sous les yeux des habitants des communes proches, scandalisés par cette zone de non-droit.
On a l’impression que ce laisser-aller va fixer une population pour longtemps. Les élus parlent d’un « laxisme avéré des services de l’État » !
Pendant ce temps, des sommes fabuleuses, somme toute vraiment d’intérêt général, sont dépensées à proximité de l’aéroport actuel, Nantes Atlantique, comme si le transfert était acquis !
Qu’on en juge.
Déplacement du marché d’intérêt national de Nantes, le second de France après Rungis, pour un coût de plus de 70 millions d’euros.
Projet de construction, sur le même site, d’un nouveau CHU, lequel, dans l’axe des pistes de l’actuel aéroport situé à trois kilomètres, ne pourra peut-être pas ouvrir dans des conditions normales, compte tenu des nuisances vraisemblables. Évaluation ? Un petit milliard d’euros.
Les chiffres du développement du transport aérien sont pourtant sans appel et légitiment totalement cette infrastructure nationale nouvelle, à échelle internationale. J’en rappellerai deux : doublement prévisible du trafic dans les quinze ans et construction de 31 000 avions d’ici à 2030 par les deux plus grands constructeurs aéronautiques mondiaux !
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue
M. André Trillard. Je vous poserai deux questions, monsieur le secrétaire d’État. Allez-vous rendre possible la circulation sur les routes autour de Notre-Dame-des-Landes ? Comptez-vous un jour sortir du dilemme politique dans lequel vous enferment vos alliés Verts, pour qu’enfin les travaux commencent, sachant que vous n’avez plus guère les moyens de revenir en arrière ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Jean-Pierre Raffarin. Il faut faire venir Ségolène ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, le projet a fait l’objet d’une large concertation publique et la commission du dialogue, mise en place en 2012, a confirmé le bien-fondé de la réalisation de ce futur aéroport (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.), tout en suggérant des études complémentaires pour un diagnostic partagé et des pistes d’amélioration.
Deux études ont ainsi été réalisées. La première porte sur les nuisances sonores, dans l’hypothèse d’un maintien de l’aéroport actuel. Elle conclut que le nombre d’habitants soumis au bruit passerait à près de 80 000. La seconde s’est intéressée à un réaménagement de l’aéroport actuel. Le coût des travaux, pour permettre un développement dans le respect des règles de sécurité, serait proche de celui du futur aéroport, sans réduction des nuisances.
Ces études sont soumises à un débat contradictoire. Toutes les hypothèses, données et méthodologies ont été expliquées et rendues publiques. Le Gouvernement s’est attaché à respecter scrupuleusement les réglementations applicables à ce projet.
Plus de cinquante recours déposés par les opposants ont déjà été rejetés par la justice.
Par ailleurs, des mesures de compensation environnementale ont été précisées et complétées, et des prescriptions au maître d’ouvrage exigeantes et ambitieuses ont été inscrites dans les arrêtés « loi sur l’eau » et « espèces protégées ».
Pour garantir l’efficacité de ces prescriptions, l’État s’est imposé une obligation de résultat. Le projet de l’aéroport est conduit dans le respect du droit, dans un souci de transparence et de dialogue. Le Gouvernement n’a pas l’intention de commencer les travaux avant le jugement des recours juridiques actuellement déposés, qui sont tous en voie de finalisation.
Concernant les comportements sur la zone, tous les actes délictueux commis par les opposants radicaux à l’aéroport font l’objet de procédures judiciaires dès lors qu’ils sont portés à la connaissance des forces de l’ordre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. –Très bien ! sur les travées du groupe écologiste.)
enseignement supérieur et recherche
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour le groupe socialiste.
Mme Dominique Gillot. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la ministre, votre intense activité pour le collège pourrait faire oublier à certains que vous êtes, aussi, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Or vous n’avez ménagé ni votre attention ni vos efforts pour porter l’ambition politique du Gouvernement en faveur de la vie étudiante, la recherche et la valorisation de la culture scientifique, le développement universitaire et l’innovation, l’impact du numérique sur la pédagogie et les formations. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Ainsi, les derniers décrets d’application de la loi ESR sont publiés. Nous débattrons des rapports relatifs à sa mise en œuvre à une échéance de deux ans.
Pour la première fois cette année, les dotations ont été signifiées aux établissements sur l’analyse de leur compte administratif 2014, ce qui garantit un meilleur ajustement à leurs besoins financiers et à leurs capacités de réalisation.
Une étude de l’IGAENR, l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, a permis d’autoriser certains établissements à utiliser une part de leur fonds de roulement en fonctionnement, introduisant ainsi le souci d’une meilleure consommation de l’argent public, qui n’a pas vocation à être thésaurisé sans fin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Quel talent ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Gillot. Au retour du congrès de l’UNEF et des états généraux de la pédagogie menés par les associations étudiantes, vous avez lancé la concertation en vue de l’élaboration du plan national de vie étudiante.
La réforme des bourses en 2013 et 2014, le lancement d’un plan de 40 000 nouveaux logements étudiants, la caution locative étudiante, votre soutien à mon amendement (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) visant à renforcer la réussite des étudiants salariés, toutes ces actions s’inscrivent bien dans la volonté du Président de la République de faire de la jeunesse une priorité de son gouvernement.
M. Alain Gournac. La brosse à reluire…
Mme Dominique Gillot. La semaine dernière, rejoignant à Strasbourg la conférence des présidents d’universités, qui tenaient colloque sur le thème « Université 3.0 : nouveaux enjeux, nouvelles échelles à l’ère numérique », vous avez loué notre université, qui s’ouvre toujours plus et mieux pour enrichir ses méthodes et sa mixité et pour partager ses trésors de connaissance et de culture.
Vous avez réaffirmé l’objectif de 25 % d’une classe d’âge au niveau master et de 50 % au niveau licence. Pour ce faire, le numérique est un facteur d’accélération et de valorisation des savoirs.
M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue.
Mme Dominique Gillot. Madame la ministre, si beaucoup a été fait pour démocratiser l’enseignement supérieur et répondre aux défis de demain, comment soutenir les innovations et maîtriser les nouvelles sciences issues des technologies ?
Pour la rentrée prochaine, comment donner à chacun l’envie de se dépasser et de coopérer, pour une France de la réussite et de l’égalité au service de l’excellence ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je vous remercie de m’avoir posé cette question, qui me permet de revenir sur l’ambition du Gouvernement pour l’enseignement supérieur et la recherche.
Cette ambition est d’abord celle de la réussite. Vous avez raison, il faut le dire haut et fort, nous avons l’ambition d’atteindre, d’ici à dix ans, l’objectif de 50 % d’une classe d’âge diplômée d’une licence de l’enseignement supérieur.
J’en profite d’ailleurs pour saluer dans les tribunes les élèves du lycée Durzy de Villemandeur, à qui je souhaite de réussir aux épreuves du bac (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.), pour rejoindre très vite l’enseignement supérieur.
Pour réaliser cet objectif, il nous faut notamment lever les freins financiers, puisque les conditions de vie peuvent, parfois, bloquer les jeunes qui souhaitent poursuivre leurs études. C’est la raison pour laquelle nous avons veillé, depuis 2012, à consacrer beaucoup d’argent, 450 000 millions d’euros, aux bourses étudiantes, ce qui a permis en particulier à 130 000 étudiants, qui, auparavant, ne bénéficiaient de rien, de recevoir au minimum 1 000 euros par an. C’est un progrès considérable, sans parler de la revalorisation de l’ensemble des bourses étudiantes.
Vous avez également évoqué les logements étudiants et l’objectif de création de 40 000 nouveaux logements étudiants d’ici à 2017. Ce sont déjà 12 000 logements qui ont été réalisés, et nous allons continuer.
Mais il faut aller plus loin. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé cette concertation sur la vie étudiante, avec les associations d’étudiants, les établissements et les collectivités. Elle doit aboutir d’ici à l’été, pour que les premières mesures soient adoptées à la rentrée, qu’il s’agisse de dispositions de simplification des démarches administratives liées aux demandes de bourse, de logement ou au véritable parcours du combattant qui est celui des étudiants étrangers.
Je citerai également l’amélioration des conditions de vie de ceux des étudiants qui travaillent, en développant en particulier sur les campus de l’emploi de bonne qualité. Je pense à l’emploi dans les bibliothèques universitaires, qui permettra aussi des heures d’ouverture plus tardives. Nous prendrons également des mesures à cet égard à la rentrée. Il s’agira enfin pour le Gouvernement d’inciter les étudiants à s’engager et de valoriser cet engagement, notamment grâce à l’année de césure qui sera désormais permise.
Vous avez également évoqué, madame la sénatrice, le numérique, pour aller vite. C’est vrai, il faut aussi moderniser la pédagogie au sein de l’université, avec des méthodes plus interactives. Les universités françaises, avec le développement récent des MOOC, ou Massiv Open Online Courses, ont su démontrer leur rayonnement et faire la preuve de leur capacité à influencer, notamment dans l’espace francophone.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je conclurai en disant que demain, à Paris, je recevrai trente ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche de l’espace francophone (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), pour développer toujours plus cette e-éducation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
contrat de travail unique
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille, pour le groupe socialiste.
Mme Delphine Bataille. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Il est mis à contribution ; il faut en embaucher un autre !
Mme Delphine Bataille. Monsieur le ministre, cette semaine, les organisations syndicales et patronales ont été entendues par le Premier ministre…
M. Alain Gournac. Tout va bien, alors !
Mme Delphine Bataille. … afin d’évoquer leurs propositions et les pistes de travail pour favoriser l’emploi dans les très petites entreprises, les TPE, et les petites et moyennes entreprises, les PME.
Ces consultations pour encourager l’activité et l’embauche constituent une priorité pour lutter contre le chômage ; elles concernent tous les territoires de la République.
Beaucoup a déjà été fait et de nouveaux leviers d’action sont à l’étude : relations entre les sous-traitants et les donneurs d’ordre, délais de paiement, concurrence déloyale des travailleurs détachés, renouvellement des contrats de travail à durée déterminée.
M. Jean-Pierre Raffarin. Quelle question impertinente ! (Sourires sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Mme Delphine Bataille. Lors de ces rencontres bilatérales, le contrat de travail unique, régulièrement relancé par certains économistes et par le patronat, a fait, lui aussi, l’objet de discussions.
Outre le fait qu’une telle réforme serait difficile à mettre en œuvre – M. Sarkozy, qui l’avait annoncée dans son programme en 2007, y a finalement renoncé (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) –,…
M. Pierre Charon. Attention à ce que vous dites !
Mme Delphine Bataille. … son utilité n’est, à ce jour, nullement démontrée.
Le contrat unique, tel que voulu par le MEDEF,…
M. Bruno Retailleau. Et par M. Renzi !
Mme Delphine Bataille. … dans son obsession de flexibilité, constitue, en réalité, une régression sociale et, surtout, un non-sens économique.
Comme le démontre une étude européenne, et contrairement aux allégations de nos collègues de droite, les salariés français en contrat à durée indéterminée sont déjà nettement moins protégés qu’en Allemagne, pays modèle pour certains.
Un tel contrat ne ferait, au fond, qu’accroître l’insécurité et la précarité en matière d’emploi, générant notamment des difficultés d’accès au crédit immobilier ou au logement locatif. Il aurait en somme un effet négatif sur la consommation des ménages et sur notre croissance économique.
Le Gouvernement présentera, le 9 juin prochain, les mesures arrêtées après les consultations des partenaires sociaux.
M. le président. Pensez à votre question, ma chère collègue !
Mme Delphine Bataille. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que le contrat de travail à durée indéterminée ne sera pas remis en cause au profit d’un contrat unique plus précaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Alain Gournac. Et surtout du chômage !
M. François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Elle était bien préparée !
M. Didier Guillaume. C’est une bonne question, en effet !
M. François Rebsamen, ministre. Avec le Premier ministre et le ministre de l’économie, nous avons reçu cette semaine l’ensemble des partenaires sociaux. Cette délégation était composée de représentants d’organisations patronales et syndicales.
Depuis l’élection de François Hollande, le dialogue social a été érigé en méthode de gouvernement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Bariza Khiari. Eh oui !
M. Didier Guillaume. C’est un fait non discutable !
M. François Rebsamen, ministre. Cela implique deux exigences : l’écoute et le respect des partenaires sociaux. Tel n’a pas toujours été le cas dans le passé. (Mêmes mouvements.)
M. Didier Guillaume. Exactement !
M. François Rebsamen, ministre. Nous avons la conviction que c’est en avançant avec eux que les réformes peuvent donner des résultats…
M. Vincent Capo-Canellas. Il n’y a pas de résultats !
M. François Rebsamen, ministre. … et s’inscrire durablement dans le paysage français.
Encourager l’activité et l’embauche dans les PME et les TPE constitue, vous l’avez rappelé, une priorité pour lutter contre le chômage. C’est là en effet que se créent majoritairement les emplois.
Beaucoup a déjà été fait. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Ah bon ?
M. François Rebsamen, ministre. Je pense à l’allégement du coût du travail, aux mesures de simplification, qui étaient attendues, ou bien encore au soutien à l’activité et à l’apprentissage. Mais il faut aller plus loin et rechercher de nouveaux leviers pour agir concrètement en faveur de l’emploi.
M. Francis Delattre. Plus personne ne vous écoute !
M. François Rebsamen, ministre. Le Gouvernement annoncera les mesures arrêtées le 9 juin prochain après la tenue d’un conseil des ministres restreint autour du Premier ministre et du Président de la République. L’heure est toujours à la concertation.
M. Christian Cambon. Si c’était vrai, cela se saurait !
M. François Rebsamen, ministre. Nous achevons d’ailleurs, autour du Premier ministre, cette étape en ce moment même.
Pour vous répondre précisément, madame la sénatrice, je peux d’ores et déjà vous assurer qu’il ne sera pas question de remettre en cause le CDI ni le contrat de travail au sens large.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Christian Cambon. Mais oui, ne changez rien !...
M. François Rebsamen, ministre. Nous avons la chance d’avoir en France toutes les formes de contrat de travail. (Protestations sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Oui, cette diversité constitue une chance, pour les employeurs comme pour les salariés.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. François Rebsamen, ministre. Réformer par le dialogue social est un choix qu’a fait le Gouvernement ; ce n’est pas un choix à géométrie variable. Par conséquent, toucher au contrat de travail ne pourrait être envisagé qu’avec l’accord des organisations syndicales et avec leur soutien. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Guillaume. Voilà la différence entre eux et nous !
M. François Rebsamen, ministre. Tel n’est pas le cas. Je voulais donc vous assurer que le dialogue social constitue bien l’un des axes de la politique du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
rapport duron – trains intercités
M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux, pour le groupe Les Républicains.
Mme Caroline Cayeux. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de m’exprimer en tant qu’élue des territoires – nous le sommes tous ici, mes chers collègues, et je pense particulièrement à François Commeinhes, sénateur de l’Hérault –, mais aussi en tant que présidente de l’association Villes de France, sur les trains d’équilibre du territoire, les trains Intercités, sujet capital pour nos collectivités comme pour nos administrés.
Le ferroviaire régional et interrégional joue effectivement un rôle majeur dans la mobilité des personnes sur le territoire national, dans le déplacement des actifs mais aussi des étudiants, souvent pour leur formation, d’ailleurs.
Au vu de l’étude effectuée dans le cadre de la commission Duron, la pérennité de ces trains d’équilibre du territoire semble condamnée. Ce rapport préconise en effet la fermeture de lignes et l’allégement d’un certain nombre de dessertes – la liaison Bordeaux-Nice, par exemple –, alors que la démographie des territoires traversés est souvent positive. Cette offre devrait être profondément revue, essentiellement par la substitution d’autocars, le transfert aux régions ou la cessation de ces lignes.
Les élus des territoires, que nous représentons, estiment qu’il ne peut pas y avoir de démembrement sans débat préalable devant la représentation nationale.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Caroline Cayeux. En outre, en raison de l’abandon programmé par l’État du principe de conventionnement de ce service public, nous demandons une ouverture rapide de l’offre d’exploitation à la concurrence de toutes les lignes concernées, dans des conditions de transparence renforcées.
Nous condamnons également le « tout-TGV », logique privilégiant un polycentrisme parisien et allant à l’encontre d’un aménagement équilibré du territoire.
Quant au remplacement de ces trains par des services d’autocars, à l’heure où la France se prépare à accueillir la Conférence sur le climat du mois de décembre, il nous semble aller à l’encontre des principes essentiels du développement durable.
Monsieur le secrétaire d’État, l’État s’apprête-t-il, oui ou non, à renoncer demain à un outil efficace pour maintenir un maillage cohérent de nos territoires ?
Pouvez-vous nous dire si vous confirmez ces annonces et si, au cas où les intentions du Gouvernement en la matière étaient avérées, vous accepteriez, par respect pour les élus et la population qui vit sur ces territoires, d’y surseoir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, la situation dont rend compte le rapport remis au Gouvernement est le résultat d’une convention passée en 2010. Un constat s’impose : à cette date, la question du déficit financier n’a pas été examinée. Le matériel qui a aujourd’hui trente-trois ans avait déjà presque trente ans à l’époque, et personne ne s’en était soucié.
Vous voudrez donc bien, sans que j’y insiste trop, partager le fardeau avec moi, car aujourd’hui, malheureusement, il y a urgence.
Jamais, contrairement à ce que vous avez prétendu, le Gouvernement n’a annoncé qu’il allait procéder à un déconventionnement. Ce n’est pas juste de le dire. Le Gouvernement, autorité organisatrice, entend, dans un nouveau cadre, parvenir à la signature d’une nouvelle convention.
Le constat, quand on le regarde dans le détail, fait apparaître des réalités très hétérogènes. Toutes les lignes ne sont pas déficitaires. Certaines le sont d’une manière acceptable, et connaissent, par exemple, un déficit de 5 euros par voyageur et par jour. Ce n’est pas réjouissant, mais la mission de service public doit être remplie.
D’autres lignes, en revanche, annoncent un déficit de 275 euros par voyageur et par jour. Ceux qui nous rappellent si souvent à l’exigence de la maîtrise de la dépense publique, ces élus si responsables, pourraient peut-être prendre en considération cet aspect du problème ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Un tel déficit –275 euros par voyageur et par jour - pose question, et nous essayons d’y répondre.
Ce rapport n’engage pas le Gouvernement. Le Parlement en a été immédiatement saisi, puisque les commissions compétentes ont organisé un débat, à ma demande, sur la base de ce document. Je ferai connaître bientôt la feuille de route, dont vous avez eu raison de rappeler les principes : tenter de maîtriser le déficit, respecter les territoires et assurer le droit à la mobilité.
J’espère que, sur ces principes, vous serez tous au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement, et je constate, pour m’en réjouir, que la maîtrise du temps imparti à chacun s’améliore !
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants. Nous les reprendrons à seize heures quinze, pour la suite de la discussion du projet de loi relatif au renseignement. Je précise qu’il reste sur ce texte 96 amendements à examiner.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)
PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 28 mai 2015.
8
Organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Par lettre en date du 2 juin 2015, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom d’un sénateur appelé à siéger en remplacement de M. Bernard Cazeau au sein du Conseil d’orientation de l’agence de la biomédecine, en application des articles L. 1418-4 et R. 1418-19 du code de la santé publique.
La commission des affaires sociales a été saisie de cette désignation.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
9
Renseignement et nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
projet de loi relatif au renseignement (suite)
Mme la présidente. Dans la discussion des articles du texte de la commission sur le projet de loi relatif au renseignement, nous en sommes parvenus, au sein de l’article 1er, à l’amendement n° 36.
Article 1er (suite)
Mme la présidente. L'amendement n° 36, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :
Alinéa 40, deuxième phrase
Remplacer le mot :
des
par le mot :
trois
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a déposé cet amendement pour exprimer sa profonde inquiétude devant l’émergence d’un certain nombre de personnalités disposant de délégations leur permettant d’agir au nom du Premier ministre et d’autoriser à sa place l’utilisation de techniques spéciales de renseignement. Notre préoccupation était d’autant plus grande que six personnalités étaient clairement désignées à ce titre, alors que la délégation n’était pas définie. On pouvait donc craindre que cette petite équipe ne devienne un jour une sorte d’officine spécialisée dans le renseignement au sein du cabinet du Premier ministre.
C’est pourquoi nous avons proposé de ramener de six à trois le nombre de délégataires du Premier ministre pouvant décider à sa place de recourir aux techniques de renseignement, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.
L’existence de délégataires auprès des ministres également accentuait encore notre préoccupation. La création dans la République d’une sorte de statut de délégataire en matière de renseignement, avec des délégations peu précises, pourrait être source de dérives.
Pour ma part, je ne crains pas que de telles dérives se produisent avec un texte de cette nature. Il pourra y avoir des problèmes ponctuels, mais j’ai confiance dans l’appareil d’État, d’autant que les procédures sont bien encadrées par le dispositif du projet de loi.
En revanche, les techniques de renseignement étant en général assez bon marché, on peut craindre la multiplication d’officines privées dirigées par les membres d’une nomenklatura qui se seront formés deux ans au cabinet du Premier ministre et auront acquis une expertise du renseignement. C’est la raison pour laquelle nous tenons beaucoup à ce que le nombre de délégués du Premier ministre soit ramené à trois.
Dans ce contexte, trois bonnes nouvelles nous sont parvenues.
Premièrement, la commission des lois, qui a prêté une grande attention à notre proposition, a supprimé le chiffre de six délégués qui figurait dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, afin de laisser au Premier ministre le soin de fixer l’effectif. Le texte de la commission des lois précise la délégation en ces termes : « Le Premier ministre ne peut déléguer cette attribution individuellement qu’à des collaborateurs directs habilités au secret de la défense nationale. » Nous tenons beaucoup à cette précision, car le directeur de cabinet du Premier ministre, le directeur-adjoint ou le conseiller pour les affaires intérieures exercent des fonctions au sein de l’appareil d’État et ne sont donc pas irresponsables : ils ne sont pas simplement des délégataires. Je remercie la commission des lois de cette évolution positive du texte.
Deuxième motif de satisfaction, aux termes de l’amendement n° 177 rectifié du Gouvernement, que le Sénat a adopté tout à l’heure, « chaque ministre ne peut déléguer cette attribution individuellement qu’à des collaborateurs directs habilités au secret de la défense nationale ». Le Gouvernement a donc repris pour les ministres le dispositif introduit par la commission pour le Premier ministre. Il marque ainsi sa volonté d’affirmer le lien entre la délégation et la fonction officielle du collaborateur.
Troisième bonne nouvelle, le Premier ministre a lui-même confirmé que la délégation ne concernerait que des collaborateurs directs.
Des garanties réelles sont donc apportées et les responsabilités sont bien encadrées : on peut s’attendre à ce que les titulaires de cette délégation agissent dans le respect des règles de la République. Dans ces conditions, j’ai le bonheur de retirer cet amendement ! (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. L'amendement n° 36 est retiré.
L'amendement n° 32, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Alinéa 40, après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
« Ces derniers adressent au président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts, établies dans les conditions prévues aux quatre premiers alinéas du I et aux II et III de l'article 4 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, conformément à l’article 11 de ladite loi.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Je propose que les collaborateurs directs du Premier ministre délégataires de l’attribution visée à l’alinéa 40 soient assujettis à l’obligation de déclaration de patrimoine et de déclaration d’intérêts prévue par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Les propos de notre collègue Jean-Pierre Raffarin me donnent à penser que cet amendement est peut-être satisfait, mais je souhaiterais en avoir la confirmation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. L’inspiration de votre amendement est géniale, ma chère collègue ! (Exclamations amusées.) Je regrette d’ailleurs que vous ne soyez pas membre de la commission des lois,…
Mme Michelle Demessine. C’est une déclaration !
M. Philippe Bas, rapporteur. … dont la rédaction vous donne satisfaction (Sourires.), puisque les collaborateurs de cabinet des membres du Gouvernement doivent déjà produire une déclaration d’intérêts et une déclaration de situation patrimoniale. Il n’est donc pas indispensable que vous mainteniez cet amendement, auquel je regretterais de devoir donner un avis défavorable !
Mme Nathalie Goulet. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme Esther Benbassa et M. Alain Gournac. C’est l’apothéose ! (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 32 est retiré.
Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 93, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 45
Après la référence :
L. 811-3,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
le délai prévu à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 821–3 est ramené à une heure.
II. - Alinéa 46
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à imposer un avis préalable de la CNCTR, même en cas d'urgence absolue. Dans cette hypothèse, la CNCTR aurait une heure pour rendre sa décision. L'avis préalable de la CNCTR constitue une garantie essentielle, qui ne doit pas être supprimée.
Actuellement, en cas d'urgence absolue, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, peut rendre son avis en quarante-cinq minutes. Prévoir un délai d'une heure semble dès lors suffisant pour qu’une décision puisse être prise rapidement, en prenant en compte le caractère exceptionnel de la situation.
Mme la présidente. L'amendement n° 50, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Après la référence :
l’article L. 811-3
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
l’un des membres de la commission de contrôle des techniques de renseignement mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 831-1, ou des magistrats spécialement délégués par lui mentionnés à l’article L. 832-5, statue par tout moyen dans un délai maximal de deux heures. Si l’urgence n’est pas constatée, la demande est traitée conformément aux articles L. 821-1 à L. 821-4.
La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Nous avons beaucoup débattu, hier, du renforcement des pouvoirs de la CNCTR. Cette commission doit être à même de remplir sa mission, y compris dans l’urgence. Cela suppose qu’elle en ait les moyens.
Dans la justice judiciaire, le procureur de la République est de permanence la nuit et en fin de semaine et prend des décisions sur sollicitation téléphonique des policiers. Dans le même esprit, la CNCTR doit être en mesure de remplir sa mission dans l’extrême urgence pouvant s’attacher à certaines situations particulières et dans le nécessaire respect de la loi.
D’ailleurs, actuellement, la CNCIS peut intervenir dans l’urgence et rendre un avis dans les deux heures, jour et nuit. Un tel dispositif est donc viable, à condition que les moyens humains accordés permettent d’assurer des permanences utiles et qu’une volonté politique d’assurer un contrôle plus efficace exclue toute possibilité de dérogation à l’avis de l’autorité de contrôle.
Mme la présidente. L'amendement n° 135 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 46
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L’article L. 821-6 est alors applicable.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. La commission des lois a apporté des modifications à la rédaction du texte concernant les dispositions relatives à l’urgence absolue et à l’urgence opérationnelle. Je salue son souci de clarification, mais j’observe qu’elle n’a plus renvoyé explicitement à l’article L. 821-6 du code de la sécurité intérieure, ce qui entraîne l’attribution d’un certain nombre de pouvoirs à la CNCTR.
Le présent amendement, comme l'amendement n° 136 rectifié, visent à ajouter une garantie procédurale supplémentaire en précisant que la procédure d’urgence, que celle-ci soit absolue ou opérationnelle, selon le distinguo présenté par le Gouvernement et retenu par la commission des lois du Sénat, ne fait pas obstacle à ce que la CNCTR puisse se prononcer a posteriori, y compris sur le bien-fondé du recours à ladite procédure, et recommander l’interruption de la mesure, voire saisir, dans le cadre de la mise en œuvre du contrôle juridictionnel, le Conseil d’État.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 93. Prévoir un délai d’une heure lui semble déraisonnable et ne pas constituer la meilleure façon de faire face à l’urgence. Le dispositif adopté par la commission permet, quand l’urgence a motivé la mise en œuvre d’une technique de renseignement, d’opérer immédiatement un contrôle et d’interrompre celle-ci le cas échéant. Cette garantie me paraît supérieure à l’exigence de rendre une décision dans l’heure. Je signale que, selon le dispositif général que nous avons retenu, lorsque la CNCTR ne respectera pas le délai, l’avis sera réputé rendu. Il ne sert à rien de fixer un délai s’il est impossible à tenir dans la plupart des cas.
L’amendement n° 50 a reçu lui aussi un avis défavorable, pour les mêmes motifs.
Quant à l’amendement n° 135 rectifié, monsieur Sueur, aux termes de la rédaction proposée pour l’article L. 821-6 du code de la sécurité intérieure, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement adresse des recommandations et saisit le Conseil d’État dans les conditions prévues aux articles L. 833-3-2 et L. 833-3-4. Dès lors, il n’est nul besoin d’ajouter, à l’alinéa 46, une référence à cet article L. 821-6, qui s’appliquera du fait même des dispositions que je viens de citer, comme il s’appliquera d’ailleurs à la mise en œuvre d’autres techniques de renseignement dans d’autres circonstances.
D’ailleurs, si l’on devait à chaque fois préciser que l’article L. 821-6 s’applique, nous aboutirions à une rédaction un peu risquée, puisque cela signifierait que cet article ne s’applique pas dans tous les cas, mais seulement lorsqu’il y est fait explicitement référence.
Puisque le droit vous donne complète satisfaction, je vous invite à retirer cet amendement, monsieur Sueur, faute de quoi la commission se verra contrainte d’émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements, pour les raisons qui viennent d’être évoquées par le rapporteur.
Il est des circonstances dans lesquelles il est nécessaire de pouvoir agir vite, sans préjudice de la possibilité, pour la CNCTR, d’exercer ses prérogatives de contrôle. Le fait que l’on ne soit pas contraint, dans des contextes d’urgence ou de risque particuliers, d’attendre l’avis de la CNCTR pour agir ne signifie pas que les prérogatives de celle-ci soient piétinées : elles pourront être exercées dans les délais les plus brefs. C’est bien ce que nous prévoyons puisque, en cas d’urgence absolue, la CNCTR se verra transmettre, au plus tard dans les vingt-quatre heures, l’ensemble des éléments lui permettant d’exercer son contrôle. Elle pourra le faire sans attendre.
L’adoption de ces amendements priverait l’État de la possibilité d’intervenir dans un tel contexte d’urgence et rendrait inopérants les services dans des circonstances particulières.
Mme la présidente. Monsieur Sueur, l'amendement n° 135 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, eu égard aux explications fournies par M. le rapporteur puis par M. le ministre, je retire l’amendement n° 135 rectifié et, par voie de conséquence, je retire aussi l’amendement n° 136 rectifié.
Mme la présidente. Les amendements nos 135 rectifié et 136 rectifié sont retirés.
L'amendement n° 186, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 47, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
y compris lorsqu’ils sont utilisés au titre du I de l’article L. 852-1
La parole est à M. le ministre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable !
Mme la présidente. L'amendement n° 136 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 48
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L’article L. 821-6 est alors applicable.
Cet amendement a été précédemment retiré par son auteur.
Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 137 rectifié bis, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Avant l'alinéa 49
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 821-5-2. - Les techniques du recueil du renseignement mentionnées au titre V du présent livre ne peuvent être mises en œuvre à l’encontre d’un parlementaire d’un magistrat, d’un avocat ou d’un journaliste ou concerner leurs véhicules, bureaux ou domiciles que sur autorisation motivée du Premier ministre prise après avis de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement réunie en formation plénière.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. S'agissant des professions de magistrat, d’avocat et de journaliste et de la fonction de parlementaire, l’Assemblée nationale a inscrit dans le texte deux alinéas particulièrement et justement protecteurs.
Il se trouve que la commission des lois du Sénat a supprimé le premier de ces alinéas ; nous proposons de le rétablir en prévoyant explicitement que les techniques de renseignement ne peuvent être mises en œuvre à l’encontre de membres de ces professions protégées ou de parlementaires que sur autorisation motivée du Premier ministre, après avis de la CNCTR réunie en formation plénière. Ce dispositif nous paraît plus protecteur.
Il a été dit, en commission des lois, que ces dispositions figuraient déjà dans le texte.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons maintenu cet amendement, de manière que M. le rapporteur puisse nous préciser à quels endroits exacts du projet de loi elles sont inscrites. Si la nécessité d’une autorisation motivée du Premier ministre après avis de la CNCTR réunie en formation plénière figure bien dans le texte, nous pourrons retirer l’amendement. Nous pensons qu’il faut que les choses soient dites clairement, car nos débats sont suivis avec attention par les journalistes, les avocats et les magistrats.
Mme la présidente. L'amendement n° 94, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 49, première phrase
Après le mot :
parlementaire
insérer les mots :
, un médecin
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement tend à ajouter les médecins à la liste des professionnels à l’encontre desquels les techniques de renseignement ne peuvent être mises en œuvre que sur autorisation motivée du Premier ministre.
Mme la présidente. L'amendement n° 13 rectifié ter n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 137 rectifié bis et 94 ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je voudrais apporter des réponses aux questions que M. Sueur a fort justement soulevées.
Tout d’abord, lorsqu’une demande de mise en œuvre d’une technique de renseignement concerne un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste, le texte prévoit bien que la CNCTR devra se prononcer en formation plénière, par exception à la règle de droit commun qui veut que le président ou l’un de ses délégués peut prendre la décision seul. En l’espèce, l’avis sera obligatoirement rendu par la formation plénière.
Ensuite, les procédures d’urgence opérationnelle et d’urgence absolue sont-elles applicables aux membres de ces professions qualifiées de protégées ? La réponse est non. Il est dit expressément, dans le texte de la commission, que les articles L. 821-5 et L. 821-5-1 ne s’appliquent pas quand la mesure de surveillance concerne des personnes exerçant une profession protégée.
Enfin, dans ce cas, je confirme que l’autorisation du Premier ministre devra être motivée. En effet, au regard du recours devant le Conseil d’État, le fait que la décision contienne ses motifs facilite le contrôle de la juridiction administrative. Je vous renvoie à l’alinéa 40, qui prévoit expressément que l’autorisation délivrée par le Premier ministre comporte les motivations et mentions prévues à l’article L. 821-2 du code de la sécurité intérieure. J’ajoute que l’alinéa 49 ne fait pas exception à cette règle qui impose dans tous les cas une motivation dont les termes mêmes seront fixés par la loi, pour donner plus de garanties.
J’espère que ces réponses vous auront rassuré, mon cher collègue, et que vous accepterez de retirer l’amendement n° 137 rectifié bis. En réalité, nos efforts sont convergents et visent au même résultat.
L’amendement n° 94 tendant à élargir la liste des professions protégées a reçu un avis défavorable de la commission. Celle-ci a pensé qu’il fallait fixer des bornes à cette liste.
S’agissant notamment du secret médical, les médecins n’en ont pas le monopole : les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes ont également l’obligation de le respecter. Ce point peut être extrêmement important, surtout pour ce qui concerne les sages-femmes.
J’ajoute que n’importe quel salarié est assujetti au secret professionnel, dans la mesure où il détient des informations dont la divulgation serait susceptible de mettre son entreprise en péril.
En tout état de cause, dans tous les cas où une autorisation de mise en œuvre de techniques de renseignement sera demandée, il faudra veiller au respect du principe de proportionnalité par rapport aux objectifs visés. Cela implique que, quand cette demande concernera un professionnel assujetti au secret, les conditions de la légalité de l’autorisation de recourir à une technique de renseignement seront plus rigoureuses. Si j’ose dire, la barre est nécessairement placée plus haut, sans qu’il soit besoin de le préciser dans le texte.
C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable, sans pour autant méconnaître la nécessité de protéger le secret professionnel, quel qu’en soit le détenteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Ce ne sont pas les professionnels en tant que tels qui sont protégés, mais les secrets dont ils sont détenteurs et qui sont utiles au bon fonctionnement de la démocratie et de l’État de droit.
Pour certaines professions, dans le cadre des procédures judiciaires par exemple, des mesures spécifiques ont été mises en place de façon à assurer la protection des informations détenues : le secret des sources pour les journalistes, le secret de l’enquête, de l’instruction ou du délibéré pour les magistrats, le respect des droits de la défense pour les avocats.
Le Gouvernement s’est montré d’emblée très attentif à ce sujet. Il a présenté, à l’Assemblée nationale, un amendement tendant à protéger les secrets détenus par ces professionnels, qui prévoit que la CNCTR devra rendre son avis en formation plénière. Il a également été inscrit dans le texte que les transcriptions seront transmises à cette dernière et que les procédures d’urgence ne seront pas applicables à ces professions. Ces dispositions figurent encore dans le projet de loi, la commission des lois du Sénat en ayant introduit une autre faisant l’objet d’un amendement de M. Mézard que nous examinerons tout à l’heure.
C’est dans cet esprit que nous examinons toutes les dispositions concernant ces professions. La CNCTR veillera au respect des principes de nécessité et de proportionnalité, exigence affirmée dès le début du texte.
L’amendement n° 137 rectifié bis tend en fait à revenir à la rédaction issue des débats de l’Assemblée nationale. Celle-ci avait été adoptée avec le soutien du Gouvernement, mais, compte tenu des arguments développés par la commission des lois, nous nous en remettons à la sagesse de la Haute Assemblée.
L’amendement n° 94 vise à ajouter les médecins à la liste des professions protégées, dont ils relèvent dans le cadre des procédures judiciaires. Si le Gouvernement, en l’espèce, a estimé qu’il n’y avait pas lieu de les inclure dans cette liste, cela tient au fait qu’il s’agit ici de police administrative, donc de la collecte d’informations qui ne sont pas censées être versées d’emblée à une procédure et circuler, du moins entre les parties.
Néanmoins, soucieux du respect des principes de nécessité et de proportionnalité, ainsi que de l’effectivité des contrôles et, surtout, de la jurisprudence du Conseil d’État, aux termes de laquelle il ne doit pas y avoir de disproportion entre les prérogatives de l’autorité judiciaire et celles de l’autorité administrative, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée pour décider s’il y a lieu ou non d’ajouter les médecins à la liste des professions protégées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’amendement n° 137 rectifié bis.
M. Jean-Pierre Sueur. Je tiens à remercier Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur de leur effort de pédagogie. En effet, nous avons déposé cet amendement afin d’acquérir des certitudes, qui fussent énoncées en séance publique.
La décision de la commission des lois de supprimer l’alinéa dont nous proposons le rétablissement avait suscité des interrogations. Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur ont montré l’un et l’autre de manière très claire que la CNCTR délibérerait en formation plénière, que l’autorisation du Premier ministre devrait être motivée et que les procédures d’urgence ne s’appliqueraient pas.
Dans ces conditions, nous retirons l’amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 137 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 94.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 80 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et M. Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 49, deuxième et dernière phrases
Remplacer ces phrases par une phrase ainsi rédigée :
Les articles L. 821-5 et L. 821-5-1 ne sont pas applicables.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise à préciser que les procédures d’urgence ne sont pas applicables quand les personnes concernées par la demande d’autorisation de mise en œuvre de techniques de renseignement sont des parlementaires, des avocats, des magistrats ou des journalistes. Il s’agit pour nous d’adresser un message clair au Gouvernement.
On peut considérer qu’il est possible d’établir des distinctions entre ces quatre catégories. Personnellement, que l’on puisse recourir facilement à ce type de techniques et de procédures à l’encontre de parlementaires ou d’avocats, qui prêtent serment et sont placés sous le contrôle déontologique d’un conseil de l’ordre, me choque. Les journalistes ne sont pas, à ma connaissance, soumis à un code de déontologie ; mais c’est un autre débat.
Les députés ont inséré un dispositif relatif à la mise en œuvre des techniques de renseignement quand sont concernés des membres de professions protégées, magistrats, avocats, journalistes ou parlementaires. Selon les précisions apportées par le Gouvernement, ces dispositions sont justifiées par la nécessité de veiller à la conciliation du respect du secret attaché à l’exercice de certaines professions, à savoir le secret de l’enquête, de l’instruction et du délibéré pour les magistrats, le secret applicable aux échanges relevant de l’exercice des droits de la défense pour les avocats et le secret des sources pour les journalistes, avec la défense et la promotion des intérêts publics visés à l’article 1er du projet de loi.
La France est liée par des engagements internationaux qui garantissent le secret professionnel pour ces personnes. Ainsi, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’expression, notamment la liberté de la presse, à travers la protection du secret des sources des journalistes.
Nous considérons pour notre part que ce secret est inhérent à l’exercice de ces professions, comme à celui d’un véritable mandat parlementaire. Voilà pourquoi nous estimons que les procédures d’urgence doivent être inapplicables aux membres de ces professions et aux parlementaires.
Madame le garde des sceaux, j’ai entendu vos arguments et pris acte de l’attention que vous avez prêtée aux professions réglementées lors de l’examen de la loi Macron. Si je suis heureux que vous soyez présente ici pour les défendre de nouveau, il n’en reste pas moins que le recours à ce type de mesures n’est pas neutre. Cet amendement étant un message au Gouvernement, j’attends de votre part une réponse, afin qu’elle figure au Journal officiel.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme la présidente. L'amendement n° 138 rectifié, présenté par MM. Raynal, Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 49, dernière phrase
Remplacer les mots :
raisons sérieuses
par les mots :
indices graves et concordants permettant
La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Il s’agit d’un amendement de précision rédactionnelle. (M. Jean-Jacques Hyest proteste.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas seulement rédactionnel !
M. Claude Raynal. Il s’agit d’aligner la rédaction du texte sur la terminologie ayant cours en matière de fichage policier.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a longuement délibéré sur chacun de ces amendements.
S’agissant de l’amendement n° 80 rectifié, elle a parfaitement compris la nécessité d’apporter des protections à un certain nombre de professions. Elle a aussi compris tout l’intérêt que M. Mézard porte, à juste titre, à la profession d’avocat, ainsi qu’à un certain nombre d’autres qui concourent à la protection des libertés publiques. C’est le cas, en démocratie, de la profession de journaliste ou, bien entendu, de la fonction de parlementaire ; il n’est nul besoin de s’étendre sur ce point.
L’objet de cet amendement est d’empêcher, même dans le cas où l’on aurait de sérieuses raisons de croire que la personne agit aux ordres d’une puissance étrangère ou dans le cadre d’un groupe terroriste, la mise en œuvre des procédures d’urgence. Dans un tel cas, même dans une situation d’urgence, on interdirait donc par principe la mise en œuvre de la technique de renseignement. En effet, celle-ci deviendrait tout simplement impossible à appliquer si on laissait passer les quelques minutes ou l’heure qui offrent l’occasion de mettre en place la surveillance. Une telle proposition ne peut que susciter l’inquiétude.
Pour que l’article L. 821-5-1 puisse s’appliquer dans le cas où sont concernées des personnes appartenant aux catégories visées, qui doivent effectivement être spécialement protégées en raison de leur fonction ou de leur métier, il faudra qu’existent des raisons sérieuses de croire que la personne agit aux ordres d’une puissance étrangère, ou dans le cadre d’un groupe terroriste ou d’une organisation criminelle : ce niveau d’exigence très élevé constitue une garantie, d’autant que le contrôle de légalité par la CNCTR pourra s’exercer dans des conditions très ouvertes. C’est pourquoi on ne doit tout de même pas exclure a priori la possibilité de mettre en œuvre une technique de renseignement, sauf à refuser à l’autorité chargée d’assurer la protection des Français les moyens de remplir sa mission.
Au bénéfice de ces arguments et de ceux que Mme la garde des sceaux ne manquera sans doute pas d’invoquer, je sollicite le retrait de cet amendement : les professions et la fonction en question doivent être protégées, mais il faut également protéger les intérêts publics susceptibles d’être menacés par des personnes dont on aurait tout lieu de croire qu’elles sont à la solde d’une puissance étrangère.
Concernant l’amendement n° 138 rectifié, monsieur Raynal, l’expression « indices graves et concordants » appartient à la terminologie du code de procédure pénale.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Philippe Bas, rapporteur. Quand un crime ou un délit a été commis et que l’on peut établir des « indices graves et concordants » de la culpabilité d’un individu, celui-ci peut être déféré devant le tribunal, jugé et condamné le cas échéant.
Or, en l’occurrence, nous sommes dans une perspective non pas répressive, mais préventive. Il ne peut y avoir d’indices graves et concordants, puisque aucun crime ou délit n’a été commis : il s’agit précisément d’éviter la commission de tels actes. Le tout est de savoir si cette action de prévention est justifiée. Dans cette optique, l’expression « raisons sérieuses » est plus adaptée.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, mon cher collègue.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mézard, vous me cherchez querelle au sujet du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (Sourires.),…
Mme Éliane Assassi. Mais non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais vous êtes un parlementaire et un président de groupe trop avisé pour ignorer qu’un travail extrêmement important est effectué en amont des débats en séance publique, l’essentiel étant la qualité du texte établi. Or, en la matière, il ne me semble pas que vous ayez de griefs à exprimer envers la Chancellerie.
M. Jacques Mézard. Bien au contraire !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Merci, monsieur Mézard ! Même si vous les chuchotez, ces mots figureront au Journal officiel. (Sourires.)
Vous avez d’autant moins de raisons de me chercher querelle que le Gouvernement, contrairement à la commission, est favorable à l’amendement n° 80 rectifié. Cette disposition est conforme à l’esprit des mesures introduites par le Gouvernement, à l’Assemblée nationale, au sujet de la réunion en formation plénière de la CNCTR pour émettre son avis. Il convient d’apporter toutes garanties en vue de protéger ces professions. Hier, la Haute Assemblée a d’ailleurs adopté, à l’article 3, un amendement du Gouvernement relevant de la même logique.
Concernant l’amendement n° 138 rectifié, je confirme que l’expression « raisons sérieuses » relève de la terminologie classique en matière de police administrative. (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.) Elle implique que les faits soient non pas établis, mais hautement probables. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote sur l’amendement n° 80 rectifié.
M. Jacques Mézard. Madame le garde des sceaux, je ne vous ai nullement cherché querelle ! Je sais avec quelle conviction vous défendez les libertés individuelles, ce dont je suis heureux à la fois pour vous et pour la démocratie. À cet égard, je me réjouis que vous émettiez un avis favorable sur cet excellent amendement. (Sourires.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Avec un tel auteur, il ne pouvait qu’être excellent ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Il faut éviter toute confusion entre police administrative et police judiciaire.
Par ailleurs, en ce qui concerne les parlementaires ou les avocats, les situations évoquées sont hautement hypothétiques, d’autant qu’il est question de recherches menées sur la base de présomptions. Il ne faudrait pas en venir à soupçonner qu’un parlementaire est influencé par une puissance étrangère au motif qu’il appartient à tel ou tel groupe d’amitié… Cet exemple est caricatural, je le reconnais.
Pendant la Grande Guerre, certes, des parlementaires ont pu être inquiétés, en vertu de textes qui n’avaient rien à voir avec ceux que nous connaissons. Le président Clemenceau a subi la censure, qu’il a refusé ensuite d’utiliser, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre d’éminents parlementaires, y compris des membres de son groupe.
Pour autant, que l’on puisse considérer acceptable de recourir à des techniques de renseignement à l’encontre de parlementaires ou d’avocats dans le cadre d’une procédure d’urgence, sur la base de simples supputations, me choque profondément. Il existe, dans notre tradition républicaine, des principes fondamentaux qu’il convient de respecter.
Je me réjouis donc, madame le garde des sceaux, de vous entendre exprimer en ces termes la position du Gouvernement. On ne peut opposer les libertés individuelles à la protection de nos concitoyens, pour des situations qui, je le répète, me semblent essentiellement hypothétiques.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères a longuement débattu de cette question.
Je comprends tout à fait vos remarques, monsieur Mézard, au sujet des parlementaires, même si j’ai personnellement été confronté, lorsque j’étais Premier ministre, à un problème de cet ordre, dans des circonstances difficiles.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Ces faits relèvent du passé, mais dès lors que l’on inscrit, dans un texte de loi de la République française, que certaines professions ou fonctions sont protégées, on envoie un message à des pays étrangers qui peuvent voir quel parti tirer de ces protections. Certains éléments permettent de nourrir des suspicions…
Ce texte, dans son ensemble, est extrêmement protecteur. Cette règle générale connaît deux exceptions importantes, prévues respectivement aux alinéas 47 et 49 : en cas d’« urgence liée à une menace imminente » ou de « raisons sérieuses de croire que la personne visée agit aux ordres d’une puissance étrangère, ou dans le cadre d’un groupe terroriste ou d’une organisation criminelle », il est possible de recourir, à titre exceptionnel, à la procédure d’urgence pour la mise en œuvre de deux techniques de renseignement, à savoir la balise et l’IMSI catcher. Je ne conçois pas que l’on emploie ces dispositifs à l’encontre d’un journaliste, d’un avocat, d’un magistrat ou d’un parlementaire en dehors des deux situations que je viens de rappeler.
Certaines professions doivent certes être protégées, mais nous ne vivons pas dans un monde de bisounours ! Il nous faut signifier clairement que la France est déterminée à se défendre, y compris en recourant à une voie doublement exceptionnelle, sur le plan des procédures et des techniques mises en œuvre, contre les puissances étrangères qui voudraient tirer parti des protections offertes par sa législation pour porter atteinte ses intérêts.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Compte tenu des explications fournies par M. le rapporteur et Mme la garde des sceaux, je retire l’amendement n° 138 rectifié, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 138 rectifié est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l’amendement n° 80 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la garde des sceaux, il y a quelque temps, le Sénat a adopté en première lecture un projet de loi relatif à la protection des sources des journalistes. Il me semble que l’Assemblée nationale tarde à débattre de ce texte. Pouvez-vous nous indiquer à quelle date le Gouvernement compte inscrire son examen à l’ordre du jour ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Sueur, le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes a été présenté en conseil des ministres en avril 2013. Il a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale à la fin de cette même année. Certes, sa discussion tarde, mais c’est l’Assemblée nationale qui a la main, eu égard au principe de la séparation des pouvoirs. Le Gouvernement n’a pas l’initiative.
M. Jean-Pierre Sueur. La Constitution lui donne pourtant quelques pouvoirs en la matière…
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À plusieurs reprises, des députés ont appelé de leurs vœux l’inscription de ce texte à l’ordre du jour. Par ailleurs, sur l’initiative de sénateurs, il a été envisagé d’inclure certaines dispositions de ce projet de loi dans un autre véhicule législatif.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 80 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 196 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 332 |
Pour l’adoption | 155 |
Contre | 177 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 75 rectifié, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 49
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas où la mise en œuvre de techniques de recueil du renseignement mentionnées au titre V du présent livre concerne un avocat, la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement doit informer et auditionner le bâtonnier du barreau du ressort dans lequel exerce ce dernier et obtenir l’autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Par une tradition plus que séculaire – il ne s’agit pas de ces ordres professionnels qui ont été créés au milieu du siècle dernier –, le bâtonnier est informé des actions judiciaires concernant les avocats de son barreau, jouant ainsi un rôle similaire à celui des bureaux des assemblées pour les parlementaires. Cette pratique est inhérente à la manière dont fonctionne la défense dans notre pays.
Avec ce texte, il s’agit de la mise en œuvre de pratiques beaucoup plus intrusives encore. Il me semble dès lors normal de prévoir une information du bâtonnier, qui en fera ensuite ce qu’il voudra. La Haute Assemblée, dans sa sagesse proverbiale, fera ce qu’elle croira devoir faire !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Comme le président Mézard, je suis très attaché à l’épopée révolutionnaire et à la loi des 16 et 24 août 1790, qui a fondé notre organisation en ce qui concerne le contrôle des décisions de l’État.
La légitimité nationale l’a alors emporté sur le principe dynastique, avant que la légitimité démocratique ne vienne la conforter. Ce fut la fin des parlements d’Ancien Régime, qui pouvaient, par leurs jugements, entraver l’action du pouvoir royal. La loi des 16 et 24 août 1790 a interdit à tout magistrat d’entraver l’action publique, celle-ci étant devenue légitime à la suite de la Révolution française.
Aujourd’hui, plus de deux siècles plus tard, notre Constitution continue à appliquer les principes fondés par la Révolution française. Le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu comme un principe fondamental des lois de la République le partage de nos juridictions entre celles qui assurent la protection des libertés publiques par le contrôle des actes de la puissance publique – la juridiction administrative, au faîte de laquelle siège le Conseil d’État – et celles qui tranchent des litiges entre particuliers et sanctionnent les crimes et les délits – la justice judiciaire, avec à son sommet la Cour de cassation.
Le contrôle d’un acte de la puissance publique est exercé non par l’autorité judiciaire, mais par la juridiction administrative et le Conseil d’État, sauf, bien sûr, si cet acte constitue un crime ou un délit.
La politique de renseignement se rattache à la prévention de crimes ou de délits et à la protection des intérêts fondamentaux de la nation. Elle ne relève donc pas de la justice judiciaire. L’État de droit français n’est pas l’État de droit américain, auquel il est selon moi largement supérieur, comme le montrent les errements du Patriot Act aux États-Unis. Pourquoi s’obstiner à vouloir recopier des dispositifs incompatibles avec notre ordre constitutionnel en matière de contrôle indépendant des actes de l’autorité publique ?
Le présent amendement, en tendant à prévoir, notamment, que la mise en œuvre d’une prérogative exécutive serait subordonnée à une autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris, est, simplement mais radicalement, inconstitutionnel ! Son adoption créerait un trouble majeur dans la séparation entre les juridictions de l’ordre administratif, qui contrôlent la puissance publique, et les juridictions judiciaires, qui sanctionnent les crimes et délits, notamment.
C’est la raison pour laquelle la commission a rejeté cet amendement sans qu’un long examen soit nécessaire, tant il lui a paru que ces principes étaient solidement établis depuis la Révolution française.
En outre, l’information du bâtonnier en cas d’actions judiciaires visant à rechercher des éléments permettant de punir un crime ou un délit et d’en déterminer les auteurs n’est pas transposable à une procédure administrative tendant à prévenir la commission d’un crime ou d’un délit, et non à en poursuivre les auteurs.
J’ajoute que, comme chacun le sait, le bâtonnier n’est pas lui-même soumis au secret de la défense nationale. Dès lors, comment pourrait-il valablement donner le moindre avis éclairé sur la mise en œuvre d’une technique de renseignement à l’encontre d’un avocat ?
Tout en étant extrêmement soucieux de la protection des avocats, il me semble que l’adoption d’un tel amendement, outre que celui-ci est inconstitutionnel, créerait un obstacle très important à la réalisation de la finalité de prévention d’actes très graves assignée à ce projet de loi.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Concernant l’obtention de l’autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris, il n’existe pas de passerelle concevable entre les dispositions prises pour cette police administrative, d’une part, et une telle intervention d’un chef de juridiction de l’ordre judiciaire, d’autre part.
Par ailleurs, je sais quelles préoccupations vous conduisent à demander l’information du bâtonnier, monsieur Mézard. Le débat sur la participation d’un ou plusieurs bâtonniers à la CNCTR a été engagé, mais il n’a pas vraiment prospéré. L’idée ne me paraît pas si iconoclaste que cela. Nous avons envisagé avec les représentants des ordres qu’un bâtonnier honoraire puisse siéger au sein de la CNCTR. Cette idée n’est pas non plus choquante en soi, mais elle n’est pas mûre. Aura-t-elle le temps de mûrir avant la commission mixte paritaire ? Je ne sais pas.
Nous avons le souci du parallélisme entre les prérogatives de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif, les secondes ne devant pas être inconsidérément supérieures aux premières. Il n’empêche qu’il s’agit vraiment ici de police administrative ; le Gouvernement considère qu’il n’y a pas lieu d’informer le bâtonnier. Comme vient de l’indiquer le rapporteur, ce dernier n’est pas habilité au secret-défense. En revanche, un bâtonnier honoraire siégeant à la CNCTR pourrait recevoir cette habilitation.
En tout état de cause, les résultats du vote par scrutin public qui vient d’intervenir indiquent que le Sénat est partagé sur les moyens de garantir les protections que nous souhaitons apporter aux professions visées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je rectifie l’amendement, en supprimant le membre de phrase suivant : « et obtenir l’autorisation du président du tribunal de grande instance de Paris ». Je comprends en effet qu’il puisse poser un problème de constitutionnalité.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 75 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, et ainsi libellé :
Après l'alinéa 49
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les cas où la mise en œuvre de techniques de recueil du renseignement mentionnées au titre V du présent livre concerne un avocat, la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement doit informer et auditionner le bâtonnier du barreau du ressort dans lequel exerce ce dernier.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. En revanche, je maintiens le reste de l’amendement, par principe. Il est normal, en effet, que nous exprimions ici un certain nombre d’inquiétudes. Il ne s’agit pas pour moi de manifester une suspicion généralisée à l’égard de l’administration et de la police administrative, mais je constate que l’on cède chaque jour un peu plus sur des principes importants. Nous assistons tout de même à la victoire de la police administrative : en la matière, tout sera possible !
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Jacques Mézard. Si, telle est bien la réalité, malgré toutes les grandes déclarations ! La police administrative peut faire bien plus que la police judiciaire. Disant cela, je n’entends pas faire de procès à ceux qui sont souvent de très hauts fonctionnaires, ayant le sens de l’État, dévoués à la défense de la nation et formés au sein de la même école nationale…
M. Philippe Bas, rapporteur. … républicaine !
M. Jacques Mézard. Paraît-il…
Je mets en garde nos collègues : à force de lâcher sur les principes, point par point, à propos d’un texte d’une importance fondamentale pour les libertés, nous finissons par mettre celles-ci en péril. On ne peut pas tout permettre au nom de la sécurité de nos concitoyens : la défense de leurs libertés fait partie intégrante de leur sécurité !
Va-t-on piétiner allègrement le secret professionnel des avocats, mettre en œuvre, en matière de police administrative, des dispositifs pour enquêter sur les parlementaires, alors que, déjà, le secret de l’instruction s’appauvrit, des atteintes sont portées de toute part au secret professionnel, on écoute par ricochet les avocats, et pas simplement au titre de la police administrative ?…
M. Jean-Jacques Hyest. C’est surtout en matière de police judiciaire !
M. Jacques Mézard. Exactement, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest. Il y a d’ailleurs beaucoup plus de risques dans ce cas.
M. Jacques Mézard. Les risques, à mon avis, sont largement partagés. Le propre d’un limier, c’est de chercher ; telle est sa fonction. Mais l’État doit tout de même prendre garde à ne pas le laisser employer tous les moyens pour arriver à ses fins, car sinon il se permettra tout !
Certaines affaires d’écoutes de magistrats, d’anciens hauts personnages de l’État ont récemment fait une mauvaise publicité à la police judiciaire. Cela ne permet pas de faire n’importe quoi en matière de police administrative. L’arrêt « André et autres contre France » de la Cour européenne des droits de l’homme est venu rappeler que le secret est inhérent à la profession d’avocat.
Par conséquent, que l’on puisse considérer qu’un bâtonnier, parce qu’il n’est pas habilité au secret-défense, n’a pas à être informé de mesures pourtant très graves et intrusives à l’encontre d’un avocat de son barreau me choque ! (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 75 rectifié bis ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis de la commission reste défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis sensible à l’effort de M. Mézard. Néanmoins, comme je l’ai indiqué, l’information du bâtonnier ne nous semble correspondre ni à la lettre ni à l’esprit du texte.
De deux choses l’une : soit le bâtonnier n’est pas informé, soit il l’est utilement, c’est-à-dire qu’il est destinataire de suffisamment d’informations pour être en mesure d’apprécier la nécessité de la mesure prise à l’encontre de l’avocat. Or cette seconde branche de l’alternative suppose qu’il soit habilité au secret-défense. La seule hypothèse envisageable, dans cette perspective, est la présence d’un bâtonnier honoraire au sein de la CNCTR, que j’ai évoquée tout à l’heure.
Par conséquent, l’avis du Gouvernement demeure défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement, on pourrait envisager qu’un bâtonnier honoraire habilité au secret-défense participe aux délibérations de la CNCTR. Il aurait alors accès aux motifs de la mise en œuvre de la technique de renseignement : ce n’est plus seulement de l’information…
Certes, on peut vouloir se faire peur, et peut-être avec raison : après tout, il est arrivé, dans le passé, que l’on écoute des journalistes. Cependant, croyez-vous vraiment que, sans motifs extrêmement sérieux, un ministre de la République signerait une demande d’interception de sécurité concernant un magistrat ou un avocat, que la CNCTR y donnerait un avis favorable, que le Premier ministre l’approuverait ? Cela provoquerait un immense scandale dans les quarante-huit heures ! (M. le rapporteur opine.) Nous sommes tout de même dans une démocratie !
Moi aussi, monsieur Mézard, j’ai toujours défendu la profession d’avocat et le secret professionnel, mais je pense que l’information du bâtonnier n’est pas la solution pour protéger les avocats : la meilleure protection, c’est le contrôle de la CNCTR, à condition bien sûr que l’on y croie, ce qui, apparemment, n’est pas le cas de tout le monde. Pour ma part, je pense que l’exécutif sera assez sage pour suivre les avis de la CNCTR.
M. Jean-Yves Leconte. Si le président en est Paul Bismuth, on ne sait jamais !
M. Jean-Jacques Hyest. À mon vif regret, je ne pourrai voter l’amendement de M. Mézard.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 75 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous indique qu’il reste encore quatre-vingt-quatre amendements à examiner et que, pour le moment, il n’est pas prévu que nous siégions cette nuit…
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 51, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 56
Après les mots :
sous l’autorité
insérer les mots :
de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et
II. – Alinéa 57
1° Avant les mots :
Le Premier ministre
insérer les mots :
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et
2° Remplacer le mot :
organise
par le mot :
organisent
3° Compléter cet alinéa par les mots :
au sein des locaux de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. M. Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, a décrit, lors de son audition au Sénat, la future CNCTR comme un colosse aux pieds d’argile, en particulier parce qu’elle ne bénéficiera pas d’un accès direct aux données collectées, contrairement à la CNCIS, qui peut consulter les interceptions de sécurité depuis ses propres locaux.
Pour répondre à ses critiques, la commission des lois a adopté un amendement du rapporteur, qui a récrit les actuels alinéas 57 et 58 de l’article 1er. Au travers du présent amendement, nous proposons d’aller plus loin en précisant que la centralisation des renseignements collectés s’effectuera au sein des locaux de la CNCTR.
Le contrôle par la CNCTR ne sera effectif que si les données sont recueillies en son sein, et non dans des services spécialisés. Un accès libre aux locaux de ces services n’est pas suffisant : la CNCTR doit avoir la maîtrise du logiciel utilisé, pour pouvoir accéder aux données et organiser un véritable contrôle.
Mme la présidente. L'amendement n° 139 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 57
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il garantit à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement un accès direct, complet et permanent aux renseignements collectés.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’une question importante. En effet, l’article L. 822-1 du code de la sécurité intérieure confie au Premier ministre le soin d’organiser la traçabilité de l’exécution des techniques de renseignement autorisées et de définir les modalités de la centralisation des renseignements collectés.
Le présent amendement vise à prolonger les missions du Premier ministre afin d’éviter tout recul par rapport à la législation existante, qui garantit à la CNCIS un accès direct et permanent aux données collectées.
Je sais que plusieurs personnes, qui ont déjà été citées, considèrent que la centralisation des données constitue une garantie solide au regard de l’effectivité du contrôle.
Nous nous sommes enquis de cette question auprès de différents interlocuteurs, et nous avons eu l’occasion d’en parler avec vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur. Vous avez fait valoir que l’état actuel des nombreuses et complexes techniques de renseignement rendait peut-être difficile d’envisager la centralisation en un seul lieu de l’ensemble des données, comme cela est fait aujourd’hui sous l’autorité du groupement interministériel de contrôle, le GIC.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons élaboré cet amendement pour prendre en compte cette réalité. Nous comprenons tout à fait qu’on ne puisse centraliser un grand nombre de données qui, par nature, sont diverses et dispersées.
Toutefois, si cela est bien le cas, il nous apparaît absolument nécessaire d’inscrire noir sur blanc dans la loi que la CNCTR dispose d’un accès direct, complet et permanent aux données collectées, c’est-à-dire sans intermédiaire, exhaustif et 365 jours par an, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Nous avons déjà eu ce débat en commission. Vous avez alors considéré, monsieur le rapporteur, qu’au moins deux de ces adjectifs figuraient déjà dans le texte. Je voudrais avoir l’assurance que le troisième, à savoir « complet », y figure aussi. Si tel n’était pas le cas, il faudrait à mes yeux l’introduire. En effet, il est très important, pour la garantie de l’effectivité du contrôle, que la CNCTR puisse disposer d’un accès direct, complet et permanent aux données collectées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 51.
Quant à l’amendement n° 139 rectifié, monsieur Sueur, la CNCTR est dotée de presque tous les pouvoirs que vous voulez lui donner, mais ils sont prévus à l’alinéa 118, aux termes duquel cette instance dispose d’un accès permanent et direct à l’ensemble des informations recueillies. Je suis tout à fait d’accord pour ajouter, par voie d’amendement, l’adjectif « complet », mais à cet alinéa 118, et non après l’alinéa 57, comme vous le proposez. Le début de l’alinéa 118 sera alors ainsi rédigé : « 2° Dispose d’un accès permanent, complet et direct aux relevés,… »
Au bénéfice de cet engagement, peut-être accepterez-vous de retirer votre amendement, mon cher collègue ?
Mme la présidente. Monsieur Sueur, l’amendement n° 139 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je fais confiance à M. le rapporteur et je retire l’amendement. Il est à nos yeux essentiel que l’adjectif « complet » figure également dans la loi.
Mme la présidente. L'amendement n° 139 rectifié est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 51 ?
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 52 rectifié, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 59 à 62
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Art. L. 822-2. – I. – Les renseignements collectés par la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement autorisée en application du chapitre Ier du présent titre sont détruits à l’issue d’une durée de trente jours à compter de leur recueil et dans un délai maximal de trois mois après leur première exploitation.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La question de la durée de conservation des renseignements collectés dans le cadre de l’exécution d’une technique de renseignement est l’un des nombreux points sensibles de ce texte.
Cette question ne doit pas être examinée du seul point de vue technique et opérationnel des services. Il convient d’abord de prendre en considération les atteintes qui pourraient être portées au respect de la vie privée et aux droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens.
Les renseignements collectés peuvent être de nature diverse, et on pourrait être enclin à leur appliquer un régime particulier en fonction de considérations techniques liées à leur forme ou aux moyens nécessaires à leur obtention. Cela aboutirait donc à établir un régime différencié selon la technique concernée.
Il est vrai, par exemple, que les interceptions de communications, les données de connexion, les captations d’images ou les données informatiques ne sont pas obtenues de la même façon ni par les mêmes moyens. Mais il n’en reste pas moins que, quels que soient leur nature et leur mode d’obtention, il s’agit toujours de renseignements d’ordre privé.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons fixer par la loi, et non par décret, comme cela était prévu dans le projet de loi initial, heureusement modifié par l’Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat, un régime unique de durée de conservation pour l’ensemble des cas de figure : les données devraient être détruites à l’issue d’une période de trente jours à compter de leur collecte et dans un délai maximal de trois mois après leur première exploitation.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 72 rectifié bis est présenté par M. Hyest.
L'amendement n° 141 rectifié est présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Alinéa 60
Remplacer le mot :
Trente
par le mot :
Dix
II. - Alinéa 61
Remplacer les mots :
Six mois
par les mots :
Quatre-vingt-dix jours
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour présenter l’amendement n° 72 rectifié bis.
M. Jean-Jacques Hyest. La question des délais de conservation des données n’est pas nouvelle. Le Gouvernement avait pensé l’esquiver, en renvoyant à un décret…
Lors de l’élaboration de la loi de 1991, le Gouvernement avait proposé que les enregistrements réalisés à l’occasion des interceptions de sécurité soient détruits à l’expiration d’un délai de trente jours ; le Parlement a décidé de fixer le délai à dix jours.
Le Gouvernement a formulé la même proposition à l’occasion de la discussion de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Nous avons eu un débat de fond sur ce point. Pourquoi pas trois mois, six mois, cinq ans, tant qu’on y est ? Plus le délai est long, mieux c’est, semble-t-il…
Comme je l’ai déjà indiqué, la restriction de la durée d’utilisation des données collectées fait partie des garanties offertes aux citoyens. Si les données ne sont pas exploitées, il ne sert à rien de les conserver indéfiniment. On nous objecte que l’on manque de traducteurs, de ceci ou de cela… Or le dispositif, avec un délai de dix jours, fonctionne sans problème depuis 1991. Pourquoi porterait-on aujourd'hui le délai à trente jours ?
L’Assemblée nationale a accepté la durée de trente jours, bien sûr ! Les services de renseignement ont de la mémoire et de la persévérance : tout le monde finit par se laisser convaincre ! Mais moi, j’ai encore plus de mémoire qu’eux ! C’est un amendement que j’avais déposé, en 1991, qui a fixé le délai à dix jours. Cela fonctionne très bien ainsi depuis cette date : pourquoi donc changer ? Quels arguments pouvez-vous avancer, monsieur le ministre, alors même que l’on va octroyer plus de moyens aux services de renseignement ? Je ne comprends pas cette position du Gouvernement, l’étude d’impact n’expliquant rien.
Du moins est-il heureux, monsieur le rapporteur, que nous ayons prévu que le délai courra à partir du recueil des données, et non de leur première exploitation ! (M. le rapporteur opine.) Sinon, nous étions complètement refaits ! Il est même incroyable que l’on ait osé proposer de prendre pour point de départ la première exploitation des renseignements !
Pour toutes ces raisons, la Haute Assemblée s’honorerait de maintenir, en dépit des sollicitations, la position qui est la sienne depuis de très nombreuses années. Il s’agit là d’une question importante ! Si les données sont conservées indéfiniment après leur première exploitation, on ne pourra jamais être sûr qu’elles ne serviront pas à d’autres fins.
Limiter strictement les délais de conservation des données constitue une garantie fondamentale pour les citoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 141 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Que l’on me permette de faire observer que, en fait, la position de M. Hyest a évolué sur cette question des délais. En effet, concernant les métadonnées, notre collègue avait d’abord déposé un amendement visant à faire passer le délai de trois ans à deux ans, avant d’en revenir à trois ans, ce qui correspondait à la position du groupe socialiste.
Je me souviens moi aussi de la loi de 1991 : j’avais l’honneur d’appartenir au gouvernement de l’époque, en tant que secrétaire d’État. Je me souviens également des débats sur la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, dont Jean-Jacques Hyest et Alain Richard furent les corapporteurs.
Nous sommes bien sûr très attentifs à cette question sensible du délai de conservation des données. Nous écouterons avec intérêt les explications de M. le ministre. Nous nous trouvons dans l’état d’esprit de parlementaires désireux d’aboutir en commission mixte paritaire, ce qui suppose l’adoption de solutions acceptables par les uns et les autres…
Mme la présidente. L'amendement n° 142 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mme Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 60
Remplacer le mot :
Trente
par le mot :
Vingt
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit d’un amendement de repli.
Mme la présidente. L'amendement n° 55, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 60, 61 et 62
Remplacer les mots :
de leur recueil
par les mots :
de la première exploitation et dans un délai maximal de trois mois après leur recueil
La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Nous avons précédemment proposé une unification des régimes de conservation, quelles que soient les données ou les informations traitées.
Cependant, le caractère exceptionnel des mesures de surveillance, dont la mise en œuvre aboutit à la collecte de renseignements très divers, nécessite et justifie aussi que l’on prévoie des durées de conservation raisonnables. Nous entendons par là que les services doivent pouvoir accomplir efficacement leur travail, mais que les citoyens doivent eux avoir la garantie que les renseignements les concernant ne soient pas conservés pendant une durée excessive.
L’une des difficultés, pour définir cette durée de conservation, tient évidemment à la fixation d’un point de départ. Pour notre part, nous pensons qu’il serait judicieux d’établir à trente jours la limite de conservation des renseignements après leur première exploitation, afin d’inciter les services à utiliser le plus rapidement possible les renseignements collectés.
En effet, comme l’a très justement fait remarquer l’un de nos collègues, dans un domaine où la réactivité est primordiale, un renseignement qui n’est pas traité rapidement se périme. En revanche, il ne sert à rien de conserver des données inexploitées, sauf, éventuellement, à les accumuler pour les utiliser à d’autres fins. C’est pourquoi il convient également de fixer une limite de temps à partir de la date de la collecte.
Une telle disposition pourrait inciter les services à ne pas conserver trop longtemps des données inexploitées ou insuffisamment exploitées. Dans ce cas, la durée de conservation ne pourrait excéder trois mois.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement n° 52 rectifié.
Concernant les amendements identiques nos 72 rectifié bis et 141 rectifié, je dois rendre compte des réflexions de la commission.
La commission est unanime à considérer que le délai de conservation des données doit être aussi court que possible, s’agissant de procédures dérogatoires au droit commun, qui portent atteinte au secret de la vie privée et, éventuellement, à un certain nombre de libertés. C'est la raison pour laquelle la commission a veillé à ce que le délai courre non pas à partir de l’exploitation des informations, qui peut avoir lieu plusieurs semaines après leur collecte, mais à compter de cette dernière, ce qui permet de fixer un point de départ certain. C’est un élément très important.
Par ailleurs, la commission a raccourci un certain nombre de délais par rapport à ce que prévoyait le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Il faut observer que si l’exploitation des données tarde, cela donne le sentiment que la demande d’autorisation de les recueillir n’était pas aussi justifiée que l’on pouvait le croire.
Cela étant, qui peut dire, dans l’absolu, quel est le délai idéal ? En ce qui me concerne, je ne me sens pas totalement qualifié pour affirmer sans hésitation qu’il convient de fixer le délai de conservation à dix, vingt ou trente jours. De ce point de vue, il est essentiel que le Gouvernement nous donne son propre sentiment sur les conditions matérielles devant être réunies pour exploiter les données, tout en sachant que la commission souhaite que les délais soient aussi courts que possible. Nous attendons donc d’entendre l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 72 rectifié bis, 141 rectifié et 142 rectifié.
Enfin, la commission est défavorable à l’amendement n° 55.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous touchons là à une question extrêmement importante où des préoccupations de natures différentes semblent s’opposer les unes aux autres et nourrissent le débat.
Certains sénateurs, comme Jean-Jacques Hyest ou Jean-Pierre Sueur, ainsi que ceux qui – j’en suis convaincu – les rejoignent dans cette argumentation, considèrent que la durée de conservation des interceptions de sécurité et autres données de connexion constitue un élément de la protection des libertés. Le raisonnement développé par Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Sueur, deux sénateurs qui connaissent bien ces sujets, repose sur une argumentation assez simple : plus la durée de conservation des interceptions de sécurité est courte, plus la protection des libertés individuelles est garantie.
Si cette argumentation a sa propre cohérence, son propre sens et sa propre force, elle se heurte cependant à quelques problèmes concrets, qui résultent de la véritable nature de l’activité opérationnelle des services de renseignement, qui font face à un niveau de menace très élevé. Pour illustrer cette confrontation, j’évoquerai des situations qui montrent que la question de la durée de conservation ne peut être appréhendée au travers du seul prisme des amendements en discussion. D’autres considérations entrent, aujourd’hui, en ligne de compte.
Ainsi, au cours d’enquêtes judiciarisées, nous avons constaté que des individus, empêchés de commettre les actes funestes auxquels ils se préparaient, et qui en apparence agissaient seuls, ont en réalité bénéficié de l’aide d’un ensemble de complices qui, tout en participant à des opérations à caractère terroriste, n’étaient pas toujours tous conscients de la nature des actions auxquelles ils participaient.
Sans en révéler le contenu, je prendrai l’exemple de l’une de ces enquêtes, en évoquant uniquement les éléments déjà rendus publics : dans l’affaire concernant M. Coulibaly, nous savons que des complices ont été mobilisés pour procéder, d’abord, à l’achat et à la vente de véhicules, puis avec l’argent obtenu à l’achat et à la vente d’armes. Or ces individus présents dans l’entourage de M. Coulibaly n’avaient pas nécessairement conscience qu’en se livrant à de tels trafics ils contribuaient à l’accomplissement d’un acte terroriste.
De surcroît, les services de renseignement sont parfois confrontés à des situations où les interceptions de sécurité concernent des communications dans une langue rare, ce qui entraîne, tout d’abord, la mobilisation de moyens de traduction importants. Cela implique, ensuite, que la traduction puisse faire l’objet d’interprétations complexes, notamment lorsque sont utilisées des données cryptées. Par ailleurs, des interceptions ultérieures peuvent révéler d’autres éléments nécessitant que l’on revienne sur le contenu de l’interception initiale.
De telles enquêtes sont très souvent complexes à traiter, y compris en matière de police administrative, de sorte que si l’on réduisait le délai de conservation des interceptions de sécurité, comme vous le proposez, la perte en ligne opérationnelle serait très significative !
J’ai déjà développé cette argumentation, de façon extrêmement précise, à l’occasion de l’examen de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, alors que le Parlement, fidèle aux propos que Jean-Jacques Hyest avait développés en 1991, a tenu – en particulier, Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, je m’en souviens – le même discours qu’aujourd’hui.
Or, depuis cette date, j’ai constaté qu’à côté de ces principes il y avait une réalité !
M. Roger Karoutchi. Absolument !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En acceptant le principe d’une durée de conservation de trente jours, le Conseil d’État a cherché à rendre compatibles les principes et la réalité. Cela correspond à notre démarche !
Considérons que le délai de trente jours, non pas à compter de l’exploitation des données, mais de leur recueil,…
M. Jean-Jacques Hyest. Il s’agit d’une nuance tout de même importante !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Hyest, je vais être très clair à ce sujet : nous sommes favorables à un délai de trente jours à compter du recueil des interceptions et non de leur exploitation !
Je propose que nous retenions cette durée-là, parce qu’elle est de nature à protéger les individus – le Conseil d’État a d’ailleurs considéré qu’il s’agissait d’une durée satisfaisante – et à nous permettre d’accomplir correctement notre travail. En effet, depuis 1991, le travail de renseignement a beaucoup évolué et le niveau de menace est désormais très élevé.
Par ailleurs, je suis convaincu que si nous ne retenions pas une telle durée, nous nous retrouverions dans des situations qui poseraient problème. Il serait alors trop tard ! Dans cette hypothèse, on dira que le Parlement, lorsqu’il a eu à trancher le sujet de la conservation des données, a agi dans un sens qui n’était pas nécessairement le bon !
Pour autant, comme je l’ai souligné, je reconnais la pertinence de la question que vous soulevez. C’est pourquoi je m’efforce d’y répondre avec précision. Il faut, en effet, faire attention, car il s’agit d’un problème délicat.
Il en est ainsi également pour les autres durées de conservation, comme celle relative aux contenus, images ou fichiers, ou encore celle concernant les données de connexion. Pour cette dernière, alors que le projet de loi initial prévoyait un délai de conservation de cinq ans, la commission souhaiterait qu’il s’établisse à trois ans et le Gouvernement préfèrerait qu’il soit de quatre ans. Sans entrer de nouveau dans le détail des différents délais de conservation, il est important de trouver le bon équilibre !
En définitive, compte tenu du raisonnement que je viens de développer, qui consiste à montrer que les principes et les contraintes opérationnelles doivent être conciliés pour trouver une durée adéquate de conservation des interceptions, je ne peux être favorable à ces amendements. J’ajoute, dans l’hypothèse où vous retiendriez une durée de dix jours, que les difficultés seraient grandes ! Je préfère donc en alerter le Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Il est assez rare que je prenne la parole dans cet hémicycle pour soutenir le Gouvernement. Toutefois, dans le cas qui nous intéresse, je suis un peu sceptique face aux interventions de mes collègues.
Monsieur le ministre, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises au début de l’année, à la suite des événements qui ont frappé notre pays. Considérer et continuer d’affirmer dans cet hémicycle que nous nous trouvons dans une situation normale, semblable à celle que l’on connaissait il y a sept ou huit mois, en novembre 2014, lorsque se sont déroulés les débats au Sénat sur la loi relative au terrorisme, ou à celle que nous connaissions il y a plus de vingt ans – pardonnez-moi, monsieur Hyest –, n’est pas juste ! Nous sommes dans une situation d’exception !
On ne peut pas écouter le Premier ministre et les divers dirigeants politiques de gauche ou de droite déclarer que la France est en guerre, puis dire au ministre chargé d’assurer la sécurité du pays : tant pis s’il y a un problème après le délai de dix jours, par exemple le douzième ou le quinzième jour !
Si je reconnais – et je le dis volontiers à M. Hyest – que fixer le délai de conservation des interceptions de sécurité à compter de leur exploitation pose un problème, car un temps extrêmement long – plusieurs mois peut-être – peut s’écouler entre le recueil des données et leur exploitation, je crois, en revanche, que le délai de trente jours est raisonnable ! Le Conseil d’État l’accepte d’ailleurs…
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Roger Karoutchi. Mais si, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest. On n’a pas demandé l’avis du Conseil d’État !
M. Roger Karoutchi. Si, le Conseil d’État l’accepte, et je ne doute pas qu’il soit plus sévère que nous ! Les parlementaires détiennent désormais une véritable responsabilité politique sur le sujet !
Je ne suis pas un soutien du Gouvernement, mais je me vois mal dire à nos services de renseignement que si leur enquête n’a pas abouti au bout de dix jours, c’est bien dommage pour eux, qu’on va supprimer les interceptions et que si un problème survient le quinzième ou le vingtième jour, ils seront responsables !
De deux choses l'une : soit nous considérons que toute la nation est mobilisée et, en conséquence, nous faisons confiance aux institutions de la République pour nous défendre ; soit nous continuons à mettre en place un système qui crée des difficultés et nous met en danger ! Dans la deuxième hypothèse, on aura beau jeu d’affirmer que l’on a défendu la République ! Mais quelle République ? Qui la menace en vérité ? S’agit-il des institutions qui ont besoin de trente jours pour exploiter des données ou de ceux qui commettent des attentats ? N’inversons pas les rôles en chargeant ceux qui défendent la République plutôt que ceux qui la mettent en cause !
Je ne voterai donc pas en faveur d’amendements qui tendent à réduire le délai de conservation des interceptions de sécurité à dix jours.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les propos de M. Karoutchi correspondent à la nature de la menace qui pèse sur la République. Nous avons déjà eu ce débat hier. Je le répète : les services de renseignement ne sont pas des services entièrement à part, mais sont des services à part entière, ceux qui les composent sont habités de la volonté de protéger les Français, et nous nous situons à un niveau élevé de menace.
Monsieur Jean-Jacques Hyest, le délai de conservation de trente jours fixé pour les interceptions de sécurité a bien été considéré par le Conseil d’État comme tout à fait conforme aux principes de notre droit, dans la mesure où ce délai figurait dans le texte initial du Gouvernement, lui-même soumis au Conseil d’État et validé par celui-ci.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’amendement n° 52 rectifié.
Mme Nathalie Goulet. Certes, le débat est légitime. Je soutiendrai cependant le Gouvernement sur cette question. Nous avons vu à de très nombreuses reprises, lors d’enquêtes récentes, et des plus douloureuses, que les choses sont rarement simples.
Dès lors que le délai de trente jours court à compter du recueil et non de l’exploitation des communications, on évite une perte de temps en ligne, puisque disparaît ainsi le délai qui sépare le moment de la collecte et le moment de l’exploitation.
En l’état, le délai de trente jours à compter du recueil des interceptions me semble raisonnable, d’autant que les événements qui ont concerné la France récemment ont montré que nous n’avons pas nécessairement affaire à des loups solitaires. Il importe, par conséquent, de pouvoir recouper et conserver les données.
J’ai écouté attentivement notre collègue Roger Karoutchi : évidemment, on peut être sensible à l’idée d’un raccourcissement du délai, mais la réalité nous conduit à maintenir le délai de trente jours, afin de tenir compte, notamment, du problème des communications dans une langue rare et du temps nécessaire pour exploiter l’intégralité des données. Il est important de garantir davantage de sécurité à une époque où, reconnaissons-le, nous en manquons un peu.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Sans entrer dans une polémique avec le ministre, le projet de loi initial renvoyait la durée de conservation des interceptions de sécurité et des données de connexion à un décret en Conseil d’État, afin d’éviter tout débat !
Mes chers collègues, on mélange deux choses : l’exploitation des renseignements et la durée d’autorisation. Une personne peut parfaitement être écoutée pendant quatre mois ! Ici, il n’est question que de l’exploitation des productions. L’exemple du ministre n’est pas approprié. Dans l’affaire Coulibaly, nous n’avons appris les faits que lors de l’enquête judiciaire et non grâce au travail des services de renseignement ! Autrement, les attentats auraient peut-être pu être évités !
Quoi qu’il en soit, la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, a gagné, je retire mon amendement ! (Exclamations.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce sont les durées maximales de conservation qui figuraient dans le texte initial du Gouvernement. Par conséquent, le Conseil d’État a validé une durée maximale fixée à un mois, en ce qui concerne les interceptions de sécurité.
Le texte prévoyait, par ailleurs, qu’un décret ouvre la possibilité pour le Gouvernement d’aller en deçà de cette durée maximale. Ce que je vous ai dit précédemment est donc exact. Le Conseil d’État a bien accepté que la durée maximale de conservation des interceptions de sécurité s’établisse à un mois. Ce sont les députés qui ont souhaité, au travers du dépôt, puis de l’adoption d’un amendement, que la totalité des durées soit inscrite dans la loi.
De plus, monsieur Hyest, le débat n’oppose pas la DCRI aux libertés ! D’ailleurs, la DCRI n’existe plus puisque s’y est substituée la DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, qui est rattachée directement au ministre de l’intérieur. Bref, il ne s’agit pas d’un débat entre DGSI et libertés !
Au contraire, la DGSI, garante et comptable des principes républicains et des libertés, agit au service de notre protection et de notre liberté en s’opposant aux terroristes et à tous les individus qui, mus par le seul instinct de la violence, cherchent à remettre en cause nos valeurs en s’en prenant aux principes fondamentaux de la République, comme l’ont fait les auteurs des récents attentats.
Je suis d’accord avec M. Karoutchi, non que je cède à une conception binaire du monde, pensant que les bons seraient d’un côté et les méchants de l’autre, mais parce qu’il est évident que ce ne sont pas les agents des services de renseignement qui portent atteinte aux valeurs de la République, à la faveur de délais de conservation du reste prévus par la loi, mais ceux qui, au mépris des lois et par la violence, s’en prennent aux principes républicains fondamentaux.
Le débat n’est donc pas : la DGSI contre les libertés. En vérité, la DGSI défend les libertés dans le respect du droit, par une action encadrée par la loi et qui le sera davantage encore après l’adoption du présent texte.
Monsieur Hyest, monsieur Sueur, nous pouvons à tout moment être frappés de nouveau. Il m’importe que ce propos soit consigné au compte rendu de la séance, et qu’une trace demeure des positions que j’ai défendues devant la représentation nationale. Si nous sommes frappés, que se passera-t-il ? Je vais vous le dire. En vertu d’un réflexe pavlovien, qui s’accompagne parfois de grégarisme, nous verrons fleurir immédiatement, avant même que les causes des événements n’aient été analysées et les responsabilités établies, des prises de position et des articles de presse sur les failles des services de renseignement. Ce sera mécanique !
M. Roger Karoutchi. C’est certain !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui appellent aujourd’hui à donner aux services de renseignement des pouvoirs limités, au motif qu’il est risqué pour la démocratie qu’ils en aient trop, qui accuseront ces services d’avoir failli !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis solennellement : lorsqu’il s’agit de prévenir les actes terroristes, compte tenu de la complexité des réseaux qui sont à l’œuvre, des langues employées par ceux qui y sont engagés ou impliqués, et du temps parfois nécessaire à la collecte d’informations sur des complices – un temps qui peut rendre nécessaire de réanalyser une interception –, le délai de trente jours n’est pas trop long dans la pratique. Un délai de dix jours serait assurément trop court pour permettre une exploitation de la totalité des données dont nous disposons. Je vous dois la vérité, ce que je vis tous les jours en tant que ministre de l’intérieur me conforte dans cette conviction.
Bien entendu, il appartient au Sénat et à l’Assemblée nationale de décider, mais il convenait que la Haute Assemblée fût pleinement éclairée des contraintes opérationnelles auxquelles les services sont confrontés.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Sans me prononcer sur la question particulière qui est en débat, je tiens à faire état du malaise que peuvent susciter certains des arguments présentés au cours des dernières minutes.
Soit, comme on nous l’a assuré, le projet de loi a été préparé de longue date, de sorte que, même si le contexte est difficile, nous pouvons l’examiner dans la sérénité et selon nos modes de délibération habituels. Dans ce cas, l’argument avancé par MM. Sueur et Hyest est parfaitement recevable : le Parlement ayant considéré à plusieurs reprises, contre l’avis du Gouvernement, que le délai de trente jours était excessif et devait être ramené à dix jours, nous devrions nous en tenir à cette ligne de conduite.
Soit le projet de loi est, dans certaines de ses dispositions, justifié par un contexte, ce qui n’aurait rien de choquant. Certes, on affirme depuis le début du débat qu’il n’en est rien, mais j’ai du mal à le croire… Quoi qu’il en soit, si c’est le contexte – dégonflons l’hypocrisie – qui demande des mesures d’exception, même si l’expression déplaît, alors dans ce cas nous devrions nous ranger à l’avis de M. le ministre, qui dispose de l’appréciation la plus sûre et la plus directe de la situation.
Si la menace est élevée, si la République est en danger, il faut nous annoncer clairement que nous connaissons une situation exceptionnelle, appelant des décisions exceptionnelles, que nous devons assumer. Nous y sommes d’ailleurs prêts. Mais ne nous mettez pas en permanence en porte-à-faux !
Nous entendons que les risques sont grands. Seulement, si nous prévoyons des dispositifs exceptionnels, nous devons les entourer de garanties supplémentaires, en commençant par les limiter dans le temps. À propos d’une autre disposition, ne nous a-t-on pas dit qu’elle devait être limitée dans son usage à la lutte contre le terrorisme et dans le temps à une durée de trois ans ? Si l’on considère que les services de renseignement ont aujourd’hui besoin, pour faire face à l’afflux de problèmes et de menaces auquel ils sont confrontés, de mesures particulières adaptées à une situation particulière, pourquoi pas ? Mais limitons leur usage à deux ou trois ans. En tout état de cause, ne brandissons pas ce contexte pour ouvrir une brèche dans une position que le Parlement a constamment maintenue : oui à un dispositif exceptionnel, mais pour une durée limitée.
Si l’on accepte l’idée, qui se comprend, que nos services de renseignement ont besoin de plus de pouvoirs et de facilités, il n’en demeure pas moins important de renforcer le contrôle en aval. Je conçois parfaitement que les services aient besoin de latitude pour agir ; mais que l’on donne alors aux citoyens et à ceux qui les représentent la possibilité de vérifier, via l’intervention des structures habituelles, que tout s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes après-coup – car il ne s’agit pas de gêner sur le moment l’action des services.
À cet égard, je regrette que, hier, ma proposition de renforcer les responsabilités de la délégation parlementaire au renseignement n’ait pas été retenue. Je proposerai tout à l’heure que l’on renforce les responsabilités de la CNIL pour s’assurer que les fichiers mis en place à partir des données pourront être contrôlés dans des conditions qui garantissent le secret de la défense nationale.
S’il en est ainsi, je suis tout à fait d’accord pour ramener à dix jours le délai de conservation des données afin de limiter dans le temps une mesure exceptionnelle, d’autant que la représentation nationale disposera de contrôles a posteriori lui garantissant que cette mesure aura été utilisée d’une manière conforme à ce qu’elle pouvait attendre.
Monsieur le ministre, monsieur Karoutchi, je ne crois pas qu’une telle position mette en cause l’esprit républicain de nos fonctionnaires et de nos services. Il ne fait aucun doute qu’ils agissent avec le souci de respecter la loi et dans un esprit républicain. Simplement, nous connaissons les circonstances dans lesquelles ils sont appelés à intervenir. Nous savons aussi qu’un service de renseignement ne peut pas être comparé à un service d’aide à domicile ou à un service administratif quelconque. Il présente des caractéristiques particulières et agit dans des circonstances particulières, avec des pouvoirs particuliers, qui justifient que la République se préoccupe de contrôler la manière dont il travaille.
Donnons plus de pouvoirs à nos services, mais prévoyons aussi les limites nécessaires dans le temps et instaurons des mécanismes de contrôle a posteriori !
Ce qui me gêne dans ce débat, depuis le début, c’est que l’on ne veut pas trancher. Si l’on nous demande d’agir dans un contexte particulier, ce que nous pouvons comprendre, alors nous prendrons les mesures nécessaires, mais en les assortissant de garanties supplémentaires. Si, à l’inverse, l’on considère que le débat doit se dérouler de façon tout à fait normale, vu qu’il est engagé depuis deux ans, alors qu’on ne reproche pas au Parlement de mettre en danger la République parce qu’il est simplement fidèle à sa doctrine !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Gorce, ce projet de loi n’est pas un texte de circonstance ; mais ce n’est pas une raison pour ignorer toutes les circonstances dans lesquelles il s’inscrit !
Que ce texte ne soit pas dicté par l’émotion des attentats du mois de janvier dernier est un fait incontestable, puisque sa préparation a été décidée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault de longs mois avant que les attentats ne soient commis ; le travail parlementaire lui-même avait largement commencé dès avant les attentats. Néanmoins, faut-il faire comme si les événements de janvier n’avaient pas eu lieu ? Nous ne pouvons pas ignorer le contexte de l’heure, car il nous appartient de faire face à la situation.
Vous avez expliqué que, compte tenu des circonstances dont on ne peut ignorer la particularité, il convenait d’instaurer des dispositifs d’encadrement spécifiques. Tel est précisément l’objet du projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous connaissent bien, pour y avoir travaillé, la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications. Vous mesurez bien que le mécanisme d’encadrement des services de renseignement prévu à l’époque n’a rien à voir avec celui que nous proposons aujourd’hui.
Ainsi, les pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont sans commune mesure avec ceux de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Quant au contrôle juridictionnel, il n’existait pas en dehors de l’autosaisine par le Conseil d’État pour contester les actes administratifs pris dans le cadre de l’activité des services de renseignement. Désormais, il pourra être sollicité par la CNCTR, et le juge pénal pourra même intervenir dès lors que des infractions pénales auront été constatées dans la mobilisation d’une technique de renseignement. En outre, la délégation parlementaire au renseignement, dont M. Gorce souhaite le renforcement, vient de voir ses prérogatives élargies en matière de contrôle par rapport à la législature précédente.
Monsieur le sénateur, vous avez tellement raison que tout ce que vous demandez figure dans le projet de loi.
Je vous le répète : ce projet de loi n’est pas un texte de circonstance, mais nous ne devons pas ignorer que le contexte a changé depuis sa rédaction. Parce que les circonstances sont particulières, les mécanismes de contrôle sont nettement renforcés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne remets aucunement en cause la qualité du travail de la DGSI, dont M. le ministre a eu raison de rappeler l’existence, ni l’engagement de ses services, ni le dévouement et l’éthique de l’immense majorité de ses agents. Simplement, j’ai le droit de souligner qu’il y a eu certaines tentatives par le passé pour échapper aux contrôles.
On parle toujours du terrorisme, mais ces techniques ne sont pas, contrairement à certaines mesures spécifiques avec lesquelles j’étais d’accord, réservées à la lutte antiterroriste : il s’agit de mesures générales. D’où ma mise en garde. Faut-il conserver les données aussi longtemps dans les cas de violences collectives ?
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je demande la parole.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de cinq à dix minutes avant que nous ne procédions au vote sur ces amendements.
Mme la présidente. Nous allons donc interrompre nos travaux pour cinq minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
La parole est à M. Michel Boutant, pour explication de vote.
M. Michel Boutant. Nous avons tous le sentiment que quelque chose d’important se joue. Avec Jean-Pierre Sueur, et quelques autres collègues, dont Gaëtan Gorce, je suis le signataire de l’amendement n° 141 rectifié, qui est identique à l’amendement n° 72 rectifié bis retiré par M. Jean-Jacques Hyest.
L’argumentation développée par M. le ministre de l’intérieur donne à réfléchir. Il est vrai que les sénateurs ne sont pas aussi informés que lui ou que le ministre de la défense de la situation nationale ou internationale dont s’occupent l’ensemble de nos services de renseignement.
Les échanges entre M. Philippe Bas et M. Jean-Pierre Sueur, qui a défendu nos amendements, n’ont pas pu aboutir à la rédaction d’un sous-amendement. Par conséquent, il me semble difficile de les maintenir.
Nous faisons confiance au ministre de l’intérieur, comme nous faisons confiance aux services qui interviennent dans ce contexte très particulier, car nous aimerions pouvoir mettre un terme à l’extension de l’État islamique et à ses actions de recrutement sur notre territoire.
À défaut de trouver une autre solution, je retire donc les amendements nos 141 rectifié et 142 rectifié.
Mme la présidente. Les amendements nos 141 rectifié et 142 rectifié sont retirés.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. On ne gagne jamais rien à travailler sous le coup de l’émotion. Je ne comprends pas cette façon de procéder. Nous venons d’autoriser l’exploitation de données, non pas en dix jours, mais en trente jours, à titre préventif, au nom de la sécurité, au prétexte que la CNCTR a considéré qu’une personne méritait d’être écoutée parce qu’elle présentait un danger. Si ce sont les moyens qui manquent à nos services, dites-le ! Simplement, il n’est pas cohérent d’affirmer tout à la fois qu’il est nécessaire, pour des raisons de sécurité, de réaliser des écoutes, et de demander que ces données soient exploitées en trente jours, au lieu de dix !
Mme la présidente. L'amendement n° 54, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 63
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Nous souhaitons attirer plus particulièrement l’attention sur les données chiffrées. À notre avis, pour ce qui les concerne, le délai de conservation ne peut débuter qu’à partir de leur déchiffrement, c’est-à-dire de leur seule exploitation ou décryptage par les services. Dans une telle hypothèse, la durée de conservation est laissée à la discrétion des services, sans aucune limitation.
Ces données, sous prétexte qu’elles sont chiffrées, ne doivent donc pas se voir appliquer un régime spécifique qui laisserait ainsi aux services toute latitude pour en retarder l’exploitation et en allonger de fait la conservation.
Nous proposons donc d’aligner les données chiffrées sur le même régime que les autres types de renseignements, en les détruisant à l’issue d’une durée de trente jours à compter de la première exploitation, et en tout état de cause dans un délai maximal de trois mois après leur recueil.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 140 rectifié, présenté par MM. Raynal, Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 64
Remplacer les mots :
des éléments de cyberattaque
par les mots :
des éléments relatifs aux infractions constitutives d’atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’expression « cyberattaque » n’est pas à proprement parler une notion juridique. De ce fait, il nous paraît important pour la précision du texte de reprendre l’intitulé du chapitre III du titre II du livre III du code pénal intitulé : « Des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données. »
Loin d’être une simple précision sémantique, ce changement de vocabulaire a pour objet d’encadrer au mieux l’action des services tout en garantissant les droits fondamentaux des individus, puisque ces éléments renvoient alors à des éléments clairement définis juridiquement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Défavorable. L’acception du mot « cyberattaque » est plus large.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Sueur. Dommage !
Mme la présidente. L'amendement n° 143 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant et Reiner, Mme Jourda, MM. Gorce, Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 64
Remplacer les mots :
au-delà des durées mentionnées au présent I
par les mots :
pendant dix ans
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. J’espère rencontrer avec cet amendement un plus grand succès que pour le précédent…
L’alinéa 64 concerne les renseignements collectés par les services qui contiennent des éléments de cyberattaque. En l’état, le projet de loi prévoit qu’ils soient conservés au-delà des durées prévues pour les autres catégories de données. En revanche, aucun délai de conservation n’est mentionné, ce qui est étrange.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, s’il faut prévoir des délais partout, pourquoi les renseignements visés à cet alinéa feraient-ils exception à cette règle ? Le Conseil constitutionnel pourrait ne pas y être favorable, ledit délai ne pouvant être infini et devant être justifié au regard des finalités.
Afin de sécuriser juridiquement le dispositif, et par analogie avec les autres catégories de données, nous proposons de faire figurer dans la loi un délai plus que raisonnable pour la conservation des éléments chiffrés ou de « cyberattaque » – néologisme qui figure dans le texte –, délai que nous souhaitons fixer raisonnablement à dix ans.
Eu égard au débat que nous venons d’avoir à l’instant, personne ne pourra dire que dix ans, ce n’est pas raisonnable !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. D’un point de vue technique, il s’agit non pas de données se rapportant à une personne, mais de données de type « virus informatique » pouvant présenter un intérêt scientifique. Leur conservation ne présente aucun inconvénient pour aucune personne. En revanche, elle peut permettre de reconstituer des méthodes de cyberattaque. La commission est défavorable à l’amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je souscris totalement à l’argumentation de Philippe Bas : il est question ici de données concernant non pas des personnes, mais des codes, des moyens de cryptologie.
Monsieur Sueur, votre amendement vise à limiter à dix ans la durée de conservation des renseignements chiffrés, ainsi que ceux qui contiennent des éléments de cyberattaque, qui peuvent être conservés au-delà des durées autorisées aux seules fins d’analyses techniques.
Cet alinéa 64, je le répète, ne porte que sur les activités de cryptanalyse, c’est-à-dire sur les activités ayant pour objet non pas de surveiller des cibles – c’est ce que vient d’expliquer le rapporteur à l’instant –, mais de « casser » des codes. Or ce travail technique nécessite de très longues séries temporelles. Un délai de dix ans, pour des éléments de cryptologie très sophistiqués, pourrait se révéler trop bref.
Je rappelle que ces données sont conservées en cas de stricte nécessité, pour les seuls besoins d’analyses techniques et à l’exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes concernées. Cela paraît donc suffisant pour contrebalancer l’absence d’encadrement de leur durée de conservation.
Pour conclure, les renseignements visés à cet alinéa ne concernant pas les personnes, le grief d’inconstitutionnalité soulevé par Jean-Pierre Sueur ne me paraît pas devoir être opérant.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole sur cet amendement, n’étant pas un spécialiste de ces questions.
Pour en revenir au débat précédent, je le dis en toute sincérité à nos collègues socialistes, j’aurais plutôt été favorable au délai de dix jours si j’avais le sentiment que les services de renseignement disposent aujourd’hui du personnel nécessaire. Les choses étant ce qu’elles sont et le Parlement n’ayant pas la capacité de créer des postes à tour de bras en quelques jours, il faut donc du temps.
S’agissant de l’amendement n° 143 rectifié, après avoir entendu le propos de Philippe Bas, je pensais me rallier à la position de la commission. Or M. le ministre nous explique que les renseignements visés à cet alinéa pourront être conservés au-delà des durées mentionnées pour les autres catégories de données dès lors qu’elles ne sont pas utilisées pour la « surveillance des personnes concernées ». Mais de qui parle-t-on ? Qui sont les personnes concernées ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sans doute ne me suis-je pas exprimé avec suffisamment de précision. Ces données sont conservées sur une durée très longue pour obtenir des renseignements, non sur des personnes, mais sur des codes de cryptologie. Voilà ce qui nous intéresse.
Mme la présidente. L'amendement n° 144 rectifié bis, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéas 67 et 68
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. L. 822-3. – Les données ne peuvent être collectées, transcrites ou extraites à d’autres fins que celles mentionnées à l’article L. 811-3. Les données ne présentant aucun lien direct avec la personne visée par la mesure et les finalités mentionnées à l’article L. 811-3 ne peuvent donner lieu à aucune extraction ou transcription.
« Les transcriptions ou extractions doivent être détruites, sous l’autorité du Premier ministre, dès que leur conservation n’est plus indispensable à la réalisation de ces finalités.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit, là encore, d’un amendement protecteur, comme le sont d’ailleurs tous ceux que nous présentons.
Il vise à préserver les garanties offertes aujourd’hui par les articles L. 242-5 et L. 242-7 du code de la sécurité intérieure. Ces dispositions autorisent la transcription des seuls éléments en lien avec l’un des motifs légaux limitativement énumérés. Elles confient au Premier ministre la responsabilité de vérifier que les transcriptions sont détruites conformément au cadre légal et que des procès-verbaux en attestent.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Il est possible qu’au cours d’une enquête de police administrative soient découverts des éléments étrangers à celle-ci et dont l’exploitation par les services de renseignement soit justifiée, conformément au cadre légal dans lequel s’inscrit leur action. Interdire par avance toute exploitation de renseignements découverts à l’occasion de la mise en œuvre d’une technique de renseignement serait excessif. Si ces informations sont exploitées, c’est qu’elles sont essentielles. Par conséquent, il vaut mieux permettre leur exploitation.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour compléter ce que vient de dire M. le rapporteur, il s’agit de mesures de police administrative, c’est-à-dire visant à prévenir un acte portant atteinte à l’ordre public.
Par conséquent, la collecte de ce type de renseignements ne se fait pas intuitu personae. Puisqu’il s’agit non pas de mesures judiciaires de poursuites, mais de mesures de prévention, si l’on récupère des éléments sans lien direct avec la personne visée par la mesure et les finalités définies par le présent texte, mais qui peuvent être utilisés pour prévenir des actes criminels ou de nature à porter gravement atteinte à l’ordre public, faut-il renoncer à les utiliser ? Quel serait le sens d’une telle démarche et comment pourrait-on justifier que, sous prétexte que cela ne concernait pas la personne interceptée, l’on ait détruit des éléments qui pouvaient permettre de prévenir des troubles graves à l’ordre public, des actes terroristes ou criminels, alors que les services avaient entre les mains tous les éléments qui leur permettaient d’éviter que ces actes ne soient commis ?
Votre raisonnement, monsieur le sénateur, dont je comprends l’inspiration, préside aux dispositifs de caractère judiciaire. Or il s’agit là de mesures de police administrative. Par conséquent il n’est pas possible de raisonner comme vous le faites. Le cas échant, nous serions bien en peine d’expliquer la raison de la destruction d’éléments qui pouvaient permettre la prévention d’actes graves.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Les propos du ministre paraissent frappés au coin du bon sens. Par la force des choses, cela signifie que les données recueillies font logiquement l’objet d’une exploitation, bien qu’elles n’aient aucun lien direct avec la personne visée par la mesure et les finalités définies par le projet de loi. Cela signifie également que seront créés des fichiers destinés à exploiter ces données.
Je souligne que le projet de loi, à aucun moment – et c’est sa faiblesse –, ne prévoit que ces fichiers feront l’objet d’un contrôle. C’est en quelque sorte un point mort dans notre réflexion.
C’est pourquoi je présenterai tout à l’heure un amendement visant à ce que les fichiers constitués dans le cadre de la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignements fassent l’objet d’un contrôle. L’objectif n’est pas de gêner l’action des services, mais, bien au contraire, d’apporter à nos concitoyens les garanties qu’ils sont en droit d’attendre.
L’argumentation du Gouvernement me paraît recevable à la condition que nous puissions nous assurer que l’exploitation ultérieure de ces données « externes » se fera dans des conditions suffisamment protectrices, de manière générale, et non au cas par cas.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez raison, et c'est d’ailleurs ce que prévoit le projet de loi, puisqu’il n’est possible d’agir que dans le cadre des sept finalités déterminées par le texte. Si des éléments concernant une personne autre que celle interceptée peuvent justifier des écoutes spécifiques, il faudra faire une nouvelle demande d’autorisation, selon les procédures fixées dans la loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. J’entends les propos du rapporteur et de M. le ministre. Depuis le début de la discussion de ce projet de loi, les représentants du Gouvernement et les parlementaires ne cessent de dire que ce texte est protecteur des libertés et qu’il présente des garanties : en effet, toutes ses dispositions obéissent à des finalités précises, strictement déterminées et ciblées – il en va ainsi des recherches concernant une personne comme des algorithmes qui seront utilisés.
Nous avons largement répété, comme nous l’avons fait encore hier soir longuement, que nous récusions tout ce qui pourrait s’apparenter à du « pompage » c’est-à-dire, pour employer une expression plus littéraire, à de la captation d’un très grand nombre de données, sans finalité particulière. C’est cela qui nous distingue des pratiques d’autres pays – je pense notamment au système mis en place aux États-Unis sur lequel le Sénat américain est, à juste titre, revenu.
Nous maintenons donc cet amendement, qui pourrait sans doute, il est vrai, être amélioré sur la forme. Nous souhaitons marquer notre différence et conserver l’état d’esprit qui a présidé à la rédaction de ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Sueur, ce n’est pas parce que vous allez obtenir des informations sur un citoyen B dans le cadre de l’interception de sécurité dont fait l’objet un citoyen A que vous faites de la surveillance de masse ! Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai bien compris !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. À quelle situation nous conduirait l’adoption de votre amendement ? Je prendrai un exemple très concret : si j’obtiens, dans le cadre d’une interception concernant, par exemple, une affaire terroriste, des informations concernant un autre citoyen que celui surveillé, il nous faudra passer de nouveau devant la CNCTR pour avoir le droit d’intercepter ces autres éléments.
Votre amendement empêchera la transcription d’éléments de l’interception de sécurité relatifs à ce dernier, et donc d’utiliser des informations extrêmement utiles et précieuses, dans le cadre de la prévention de la lutte contre le terrorisme, notamment au titre de mesures de police administrative pour lesquelles ce texte a été élaboré.
Il faudrait ôter la deuxième phrase du premier alinéa. Ainsi rédigé, votre amendement ne nous conduirait pas à une situation où l’État ne pourrait pas transcrire des informations précieuses et où il serait obligé de les détruire, ce qui rendrait inefficace son action de police administrative.
Si vous acceptez ma proposition, qui a pour but de vous montrer ma bonne foi, je pourrais être favorable à votre amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, je suis navré de ne pouvoir m’associer à votre tentative de compromis. Il se trouve que l’alinéa 68 du texte de la commission correspond exactement à l’amendement n° 144 rectifié bis, tel que vous souhaitez qu’il soit rédigé. Je crains fort que votre proposition ne soit pas réellement une solution, mais peut-être ai-je mal compris ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le rapporteur, c'est vous qui avez parfaitement bien compris ! Cela montre bien la difficulté à laquelle je suis confronté lorsque j’essaye de donner satisfaction à des auteurs d’amendements qui ne m’ont pas convaincu, particulièrement dans le cadre d’une discussion parlementaire portant sur un sujet sensible.
Compte tenu de la précision que vous venez d’apporter, je suis donc obligé de confirmer mon avis défavorable sur l’amendement n° 144 rectifié bis, à moins que Jean-Pierre Sueur n’accepte de le retirer.
Mme la présidente. Monsieur Sueur, l'amendement n° 144 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai été sensible à la proposition de M. le ministre. Il est clair que la conjonction de la première phrase et de la dernière phrase de mon amendement permet de répondre à notre préoccupation, sans entraîner les inconvénients que peut engendrer la deuxième phrase.
Le rapporteur a raison lorsqu’il dit que cela figure déjà à l’alinéa 68. Simplement, la dernière phrase précisait, ce que M. le ministre était prêt à accepter, que la destruction avait lieu « sous l’autorité du Premier ministre ». Cette référence au Premier ministre pourrait être ajoutée.
Néanmoins, compte tenu de la position de M. le ministre et de la remarque juste du rapporteur, j’accepte de retirer mon amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Premier ministre est déjà mentionné dans le texte. Il n’est donc pas utile de dupliquer cette référence. En effet, au début du chapitre II intitulé « Des renseignements collectés », à l’alinéa 56, l’article L. 822-1 du code de la sécurité intérieure, le texte de la commission prévoit déjà que les procédures sont mises en œuvre sous l’autorité du Premier ministre.
Mme la présidente. L'amendement n° 144 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 145 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 69
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 822-4. – Les procès-verbaux de la destruction des données collectées, transcriptions ou extractions mentionnées à l’article L. 822-3 sont tenus à la disposition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’amendement se justifie par son texte même, qui est très limpide. Il nous paraîtrait singulier qu’il en aille autrement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je tiens à le rappeler, tous les membres de la commission des lois ont été associés à l’élaboration du texte dont nous débattons aujourd’hui.
L’alinéa 69 adopté par la commission comprend, en réalité, beaucoup plus de garanties que l’alinéa présenté dans l’amendement n° 145 rectifié. Disparaissent, en effet, un certain nombre d’éléments utiles du texte de la commission, comme la référence aux agents habilités à procéder aux opérations de transcription et d’extraction.
Comme cet alinéa ne comporte pas exclusivement des dispositions sur les procès-verbaux et l’accès qu’en a la CNCTR, la commission souhaiterait le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y serait défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a lieu de le retirer, en effet !
Mme la présidente. L'amendement n° 145 rectifié est retiré.
Je suis saisie de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 95, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 79
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 1° Un député et un sénateur désignés conjointement par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat, dont au moins un appartient à un groupe ne soutenant pas le Gouvernement, après chaque législature de l’Assemblée ou renouvellement partiel du Sénat ;
II. - En conséquence, alinéa 78
Remplacer le mot :
neuf
par le mot :
sept
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à limiter la place des parlementaires qui composent actuellement près de la moitié de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
En effet, nous considérons, à l’inverse de nos collègues socialistes, que le nombre de quatre parlementaires, sur neuf membres de la commission, est trop important pour permettre un contrôle actif et permanent de la CNCTR. Nous proposons donc de limiter leur nombre à deux.
De surcroît, il est nécessaire que, parmi la représentation parlementaire, il y ait un membre d’un groupe ne soutenant pas le Gouvernement, afin d’assurer une représentation pluraliste. Il est donc proposé que le député et le sénateur soient désignés conjointement par les présidents des deux assemblées.
Mme la présidente. L'amendement n° 146 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 79
Remplacer les mots :
Deux députés et deux sénateurs
par les mots :
Trois députés et trois sénateurs
II. – Alinéas 80 et 81
Remplacer le mot :
deux
par le mot :
trois
III. – En conséquence, alinéa 78
Remplacer le mot :
neuf
par le mot :
treize
IV. – Alinéa 85
Remplacer les mots :
moitié tous les trois ans
par les mots :
tiers tous les deux ans
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à revenir au texte adopté par l'Assemblée nationale.
Mme la présidente. Les amendements nos 115 rectifié, 86 rectifié et 81 rectifié ne sont pas soutenus.
L'amendement n° 96, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 82
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« 5° Une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de respect des droits et libertés, nommée sur proposition du Défenseur des droits.
« Le représentant mentionné au 5° exerce son activité à titre bénévole.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’amendement n° 96 ainsi que l’amendement suivant, n° 97, visent à élargir et à diversifier la composition du collège de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, en y incluant, d’une part, une personne nommée par le défenseur du droit et, d’autre part, une personne nommée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Par leur expertise et leur indépendance, ces deux personnes nous semblent à même de renforcer l’effectivité du contrôle de la CNCTR.
Mme la présidente. L'amendement n° 97, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 82
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« 5° Une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière des traitements automatisés et de protection des données personnelles, nommée sur proposition de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
« Le représentant mentionné au 5° exerce son activité à titre bénévole.
Cet amendement vient d’être défendu par son auteur.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Ces amendements sont contraires au texte de la commission, qui préfère le sien à celui de l’Assemblée nationale, ce qui ne surprendra aucun de nos collègues participant au débat ! La commission est donc défavorable à l’ensemble des amendements.
L’amendement de Mme Benbassa tend à réduire à un seul représentant par assemblée le nombre de parlementaires, ce qui est préjudiciable au pluralisme. Par ailleurs, il prévoit que ces parlementaires seront désignés par les présidents des deux assemblées. Nous préférons qu’ils le soient par les assemblées elles-mêmes après une procédure plus démocratique.
Les amendements nos 96 et 97 tendent à ajouter au collège des personnalités qualifiées. Cette proposition me semble être de nature à déplacer le centre de gravité que le texte avait donné à la CNCTR en définissant ses missions. La Commission dispose de services techniques, dont elle a besoin, mais elle n’est pas composée de techniciens.
Elle est composée, puisqu’il s’agit de questions de droit, de parlementaires, de conseillers à la Cour de cassation et de conseillers d’État. En effet, son objectif est de chercher des solutions légales permettant de concilier au mieux, d’une part, les nécessités de l’action publique portant sur des motifs d’intérêt national avec, d’autre part, les exigences de respect de la vie privée et des libertés. En déplaçant le centre de gravité de cette commission du côté des techniciens, on risque de l’empêcher d’accomplir ses missions. C’est pourquoi nous émettons un avis défavorable.
Quant à l’amendement n° 146 rectifié, qui vise purement et simplement à reprendre le texte de l’Assemblée nationale – qui était d’ailleurs contraire à celui du Gouvernement –, il conduit à créer une commission aux effectifs beaucoup trop importants. Or non seulement cela nuirait à la qualité de son travail, mais surtout cela poserait un problème de recrutement. Ne croyez surtout pas que les membres de la Cour de cassation et du Conseil d’État vont se précipiter pour siéger dans une commission dont les missions, pour intéressantes qu’elles soient puisqu’elles contribuent à la qualité de l’action publique et à la protection des libertés, ne sont pas de même nature que celles de ces juridictions, qui mobilisent souvent l’engagement et parfois la passion des magistrats.
Par conséquent, il sera très difficile de trouver davantage de magistrats pour siéger dans cette commission. D’ailleurs, il sera compliqué aussi de recruter plus de parlementaires, dans la mesure où ceux-ci ont déjà – nous le voyons jour après jour, y compris aujourd'hui – un emploi du temps extrêmement chargé, qui les empêche de siéger trop souvent dans ce type d’instances extérieures.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, sauf pour l’amendement n° 146 rectifié au sujet duquel il émet un avis de sagesse.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 146 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 197 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 126 |
Contre | 199 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 96.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 98, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 82
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La composition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement respecte une représentation équilibrée de chaque sexe. L’écart entre chaque sexe ne peut être supérieur à un. Un décret fixe les conditions dans lesquelles est appliquée cette parité. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à rétablir une disposition relative à la parité figurant dans le texte de l’Assemblée nationale et supprimée par la commission des lois du Sénat. Le groupe écologiste est très attaché à la défense de la parité, quelle que soit l’institution dont il est question. Aussi, il nous semble important que soit inscrit dans la loi le principe de représentation équilibrée de chaque sexe au sein de la CNCTR. Il est dur d’accepter les femmes !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je voudrais que nul ne doute de l’attachement de la commission des lois à la mixité…
Mme Éliane Assassi. À la parité ! Ce n’est pas pareil !
M. Philippe Bas, rapporteur. … qui constitue pour nous un objectif extrêmement important. Mais nous avons remarqué, malheureusement, que les institutions qui seront amenées à désigner les membres de la CNCTR, à commencer par le Parlement, ne sont pas encore, et c’est bien sûr regrettable, paritaires.
Vouloir que des institutions non paritaires désignent paritairement les membres d’autres institutions est très difficile.
Par ailleurs se pose une autre difficulté puisque quatre institutions – la Cour de cassation et le Conseil d'État pour les magistrats ; l’Assemblée nationale et le Sénat pour les parlementaires – désigneront les membres de la commission. Comment se fera le calcul ? Nous nous trouverons, me semble-t-il, devant une équation impossible.
M. Philippe Bas, rapporteur. Je le déplore, mais la commission, en raison de ces deux obstacles assez lourds…
M. Philippe Bas, rapporteur. … et même dirimants, a cru de son devoir de formuler un avis défavorable sur l’amendement n° 98.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. En dépit de toute la considération que j’ai pour M. Bas, son argumentation est celle d’un conservateur manchois, ce qui est logique puisqu’il est président du conseil départemental de la Manche. (Sourires.)
Je m’explique : le raisonnement de M. Bas consiste à constater que, par conservatisme, par absence de modernité, les institutions parlementaires ne sont pas paritaires, et à inférer de cet état de fait qu’elles sont incapables de créer les conditions de désignation paritaire dans des organismes qui dépendent d’elles. C’est la double peine ! Cela signifie que des instances qui ne sont pas paritaires…
Mme Éliane Assassi. Et qui ne le seront jamais !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … seraient incapables de désigner des femmes dans d’autres organismes pour que la parité y soit possible. Mais on peut très bien, dans une institution non paritaire comme le Sénat, corriger cette situation…
Mme Nathalie Goulet. Pour la rattraper !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … en faisant en sorte que, dans les organismes qui en dépendent, la parité soit réalisée !
Pour ma part, je fais le choix du raisonnement inverse. Voilà pourquoi je suis très favorable à l’amendement n° 98 de Mme Benbassa.
M. Philippe Bas, rapporteur. Quelle démagogie !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je le suis d’ailleurs d’autant plus que c’est la première fois que je peux l’être. (Sourires.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Sans doute la dernière aussi !
Mme Esther Benbassa. On demande l’égalité, pas la charité !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce n’est pas le sens de mon propos, madame la sénatrice. J’aimerais plus souvent être en accord avec vous. Je ne cache donc pas ma joie ici.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Merci, monsieur le ministre, de vos propos. Vous ouvrez le débat.
Monsieur Bas, ça fait des années que j’entends de tels arguments. Je suis professeur à l’université, où nous sommes 10 % de femmes à ce rang. On nous a toujours dit qu’il était très difficile d’en recruter plus à cause des périodes de grossesse qui nous empêchaient d’enseigner !
Regardez l’hémicycle, c’est triste qu’il y ait si peu de femmes ! Nous sommes 25 % et nous nous sommes battues pour cela ! Les arguments que vous nous opposez sont fallacieux ! Depuis des siècles, on soulève sans cesse les difficultés que pose l’acceptation des femmes ! Il est temps que l’on s’ouvre à cette idée. Le Sénat se porterait mieux avec plus de femmes !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Il faut la proportionnelle pour cela !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Plus sénateur que sénatrice, je dirai néanmoins quelques mots par solidarité avec Mme Benbassa.
En l’espèce, je soutiens absolument le ministre dans ce débat entre Bas-Normands. (Sourires.) Ce n’est pas parce qu’une institution n’est pas paritaire qu’elle ne peut pas tendre à ce que d’autres le soient ! En outre, il ne s’agit pas de « mixité », mais de « parité » ! Par solidarité, je soutiendrai l’amendement n° 98.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle André, pour explication de vote.
Mme Michèle André. Il y a quelques années, lorsque nous avons créé le Haut Conseil des finances publiques, nous avons eu un débat de cette nature. Le ministre qui représentait alors le Gouvernement dans l’hémicycle n’était pas opposé à l’idée d’une parité, même s’il ne voyait pas très bien comment procéder concrètement. Nous sommes aujourd'hui dans une situation similaire.
En tout état de cause, sachez que Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, dont la composition est aujourd'hui paritaire, m’a dit il y a quelques jours combien il appréciait cet équilibre.
De la même manière, il a fallu nommer un nombre égal d’hommes et de femmes à la Banque publique d’investissement, la BPI.
Nous nous sommes démenés pour trouver les hommes et les femmes qui pourraient siéger, en nombre égal, dans ces deux instances, tout en respectant des équilibres politiques et un certain nombre d’autres exigences. C’est un peu compliqué, mais nous avons prouvé que c’était possible, et on en voit aujourd'hui les bienfaits !
Dès lors, je voterai cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Mme Benbassa, dont je soutiens l’amendement, s’est laissé emporter à critiquer la charité, qui est un beau sentiment. Nous le savons bien à La Charité-sur-Loire, qui est une belle ville dont j’ai longtemps été le maire ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Cet amendement participe à l’évolution de la condition des femmes. Même si je ne suis pas une féministe exacerbée, je pense que les femmes doivent pouvoir faire entendre leurs voix. Pourquoi une assemblée, même non paritaire, ne désignerait-elle pas des femmes pour siéger dans une instance ? Je ne saurais donc me dissocier de la position de mes collègues et je voterai l’amendement de Mme Benbassa.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 98.
(L'amendement est adopté.) – (Mme Esther Benbassa applaudit.)
Mme la présidente. L'amendement n° 113 rectifié bis n'est pas soutenu.
L'amendement n° 147 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 98, deuxième phrase
Remplacer le mot :
quatre
par le mot :
six
Cet amendement n'a plus d’objet.
L'amendement n° 148 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 105
Remplacer les mots :
doivent être
par le mot :
sont
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il est retiré, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 148 rectifié est retiré.
L'amendement n° 57, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 110
Supprimer les mots :
sur le territoire national
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Il est également retiré, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 57 est retiré.
L'amendement n° 12 rectifié ter n’est pas soutenu.
L'amendement n° 179, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 114
Après le mot :
formulée
supprimer la fin de cet alinéa.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement a pour objet d’améliorer la rédaction des dispositions relatives au délit d’entrave à l’action de la CNCTR, en supprimant la pénalisation de l’absence de fourniture du contenu des transcriptions ou extractions sous une forme directement accessible.
Il vise notamment les situations dans lesquelles les contenus ne sont pas directement lisibles – par exemple, en cas de données chiffrées, de données dont la traduction s’avère complexe ou de données dégradées, difficilement lisibles ou audibles.
Dans la mesure où la CNCTR dispose d’un accès permanent aux renseignements recueillis, il est possible qu’elle sollicite cet accès à un moment où ces renseignements ne sont pas encore déchiffrés, mis au clair ou exploités. Dans cette situation, il serait excessif d’engager mécaniquement la responsabilité pénale des agents pour l’absence de fourniture d’un contenu qui n’a pas encore pu être rendu lisible ou exploitable pour leurs propres besoins.
La rédaction qui résulterait de l’adoption de cet amendement serait davantage conforme aux standards de rédaction de la définition du délit d’entrave, tel qu’on peut la retrouver, par exemple, à l’article 12 de la loi du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’adoption de cet amendement aurait une conséquence très grave. Si les données transmises à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ne le sont pas sous une forme directement accessible, autant dire qu’il ne sert à rien de les transmettre !
M. Jean-Jacques Hyest. Bien sûr !
M. Philippe Bas, rapporteur. Le délit d’entrave à l’exercice des pouvoirs de la CNCTR, que le Sénat a pris l’initiative de poser, serait vidé de sa substance s’il était permis aux services de fournir des données dont la forme n’est pas exploitable. J’estime d’ailleurs que la transmission de telles données serait assimilable à une mesure dilatoire de la part d’un agent ou d’un service.
C’est pourquoi la commission, avec beaucoup de fermeté et à l’unanimité, a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 211, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 118
Après le mot :
permanent
insérer le mot :
, complet
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous nous sommes engagés à déposer cet amendement tout à l'heure, en vue de sortir d’une discussion difficile sur un autre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Il est vraiment important de préciser que l’accès de la commission à l’ensemble des données sera permanent, complet et direct.
Mme la présidente. L'amendement n° 149 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 119
Compléter cet alinéa par les mots et deux phrases ainsi rédigées :
et dispose à cette fin, notamment, d’un droit d’accès direct, complet et permanent aux dispositifs utilisés pour les techniques de renseignement prévues au présent titre. Elle procède à toute mesure de contrôle de ces dispositifs. Elle est préalablement informée de toute modification qui leur est apportée et peut émettre des recommandations.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il est retiré compte tenu du vote intervenu à l’instant, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 149 rectifié est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 150 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 122
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Peut avoir connaissance des données décryptées issues de la plateforme nationale de cryptanalyse et de déchiffrement, ainsi que des conditions de production de ces données.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement et le suivant concernent la plateforme nationale de cryptanalyse et de déchiffrement, la PNCD, sujet important et délicat.
Cette plateforme, qui émane de la direction générale de la sécurité extérieure et qui est désormais mutualisée entre les services de renseignement, a longtemps été présentée comme n’existant pas. Il se trouve que le Gouvernement a changé de position à son sujet.
Ainsi, le 12 mai dernier, alors que les ministres de la défense et de l’intérieur étaient auditionnés conjointement par la commission des lois et par la commission des affaires étrangères, il a été demandé à M. Jean-Yves Le Drian s’il était possible que la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ait connaissance des données décryptées issues de la PNCD. À cette question, M. le ministre de la défense a répondu par la positive.
À ma connaissance, c’est la première fois que le Gouvernement apporte une telle réponse, ce qui prouve qu’il est d’accord pour que la CNCTR puisse contrôler l’ensemble des dispositifs, y compris la PNCD. Je salue cette évolution.
Nous avons déposé les amendements nos 150 rectifié et 151 rectifié, le second étant un amendement de repli, de manière que l’existence de cette plateforme et les conditions d’accès aux données décryptées qui en sont issues puissent nous être confirmées en séance publique.
Il s'agit, bien évidemment, d’amendements d’appel, visant à ce que les précisions qui ont été apportées en commission soient répétées et éventuellement développées dans l’hémicycle. Nous n’avons jamais considéré que la loi devait recenser l’ensemble des dispositifs techniques existants ou susceptibles d’exister ! Ce n’est pas sa fonction.
Nous ne demandons donc rien d’autre qu’une confirmation en séance publique de ce qui a déjà été annoncé devant la commission des lois et la commission des affaires étrangères du Sénat.
Mme la présidente. L'amendement n° 151 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 122
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Peut avoir connaissance des données décryptées issues de la plateforme nationale de cryptanalyse et de déchiffrement.
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission partage le souci de Jean-Pierre Sueur de recevoir davantage d’informations du Gouvernement, à l’occasion de ce débat, sur cette plateforme nationale de cryptage et de décryptage.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le ministre de la défense a effectivement fait état, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, de l’existence du pôle national de cryptanalyse et de décryptement, dit PNCD.
Cet outil, créé en 1999, est consacré au déchiffrement, c'est-à-dire au traitement des chiffres, des codes. Ce n’est pas une plateforme, et ce n’est en aucun cas un outil de surveillance.
La rédaction du futur article L. 822-2 du code de la sécurité intérieure fait implicitement référence à l’activité de déchiffrement, mais il nous paraît finalement exclu de prévoir l’existence de cet outil dans la loi.
Par ailleurs, les données décryptées rejoignent le droit commun et sont donc accessibles à la CNCTR. Dans cette mesure, cet amendement ne nous paraît pas utile.
Dès lors, le Gouvernement vous invite, monsieur Sueur, à retirer cet amendement, sur la base des explications que je viens de donner.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, quel est le fondement juridique de ce dispositif ? L’ensemble des règles s’appliquant à la mise en place de traitements de données et de fichiers a-t-il été respecté conformément à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il n’est pas besoin d’une autorisation ou d’une base juridique pour créer un service administratif dont la mission relève en quelque sorte des mathématiques et ne présente aucun caractère de surveillance, comme je l’ai dit dans ma déclaration.
Mme la présidente. Monsieur Sueur, les amendements nos 150 rectifié et 151 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Jean-Pierre Sueur. Non, je les retire, madame la présidente.
Nous prenons acte de la déclaration du ministre de la défense dont M. le ministre de l’intérieur vient de nous faire part.
Mme la présidente. Les amendements nos 150 rectifié et 151 rectifié sont retirés.
L'amendement n° 23 rectifié bis, présenté par MM. Malhuret et Commeinhes, Mme Micouleau, MM. B. Fournier, Delattre, Falco et Fouché, Mme Lamure, MM. D. Laurent, Lenoir et de Legge, Mme Morhet-Richaud, MM. Bignon et Milon, Mmes N. Goulet et Cayeux, MM. Vial, Laufoaulu, Cadic et Kern, Mmes Imbert et Deroche et MM. Dériot, Carle et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 123
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 833-3-… – I. – La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement réalise l'agrément des dispositifs mettant en œuvre les techniques de renseignement prévues aux chapitres Ier à III du titre V, afin de vérifier leur conformité aux restrictions techniques imposées par les dispositions du présent livre.
« II. – Seuls les modèles de dispositifs agréés par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement peuvent être utilisés pour les finalités prévues aux chapitres Ier à III du titre V.
« III. – Les I et II entrent en vigueur un an après la promulgation de la loi n° … du … relative au renseignement.
La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Nous avons déjà examiné hier des amendements voisins tendant à ce que les dispositifs d’interception de type IMSI catchers et autres soient agréés par un organisme indépendant, à savoir la CNIL.
Le Gouvernement et notre rapporteur nous ont répondu qu’une telle garantie n’était pas nécessaire, car un service – l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI – était déjà chargé de cet agrément.
Mais si l’on ne précise pas ce qu’est l’ANSSI, d’aucuns pourraient croire qu’il s’agit d’une autorité indépendante. Or c’est tout le contraire : cette agence, qui a succédé en 2001 à la Direction centrale de la sécurité des systèmes d’information, dépend du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. L’ANSSI est donc rattachée au Premier ministre.
Depuis le début de nos débats, vous ne cessez de dire, monsieur le ministre de l’intérieur, que les plus grandes précautions ont été prises pour éviter tout risque de dérapage en matière d’interceptions de sécurité. À vous entendre, tout serait sous le contrôle de la CNCTR, y compris le mécanisme d’autorisation préalable.
Or si la CNCTR n’a connaissance ni des procédures d’interception ni – plus important encore – des caractéristiques et des paramétrages du matériel d’interception, les autorisations qu’elle délivre et les contrôles qu’elle effectue perdent beaucoup de leur poids. Il s’agit d’une condition essentielle au bon exercice de sa mission.
Il est primordial que ce ne soit pas un service de l’exécutif, mais bien cette autorité indépendante – dont on nous dit qu’elle est la garante de tout le dispositif –, qui agrée les matériels, qui puisse en connaître et en approuver les caractéristiques et l’usage, qui en suive les évolutions et qui vérifie leur conformité aux restrictions techniques imposées par les dispositions du présent livre.
Hors ces conditions, tous les discours sur l’efficacité de la CNCTR et la confiance que nous pouvons avoir dans les garanties qu’elle apporte ne sont que paroles en l’air.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises. Ce n’est pas la vocation de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement que d’agréer des matériels.
Elle est chargée de porter une appréciation beaucoup plus délicate qu’une évaluation technique, celle de savoir si les finalités d’intérêt général invoquées par les services sont suffisantes pour justifier des mesures de surveillance mobilisant des techniques de renseignement énumérées dans le texte dont nous discutons.
Dans la mesure où existe déjà une commission – prévue par le code pénal – chargée de l’examen des configurations et des qualifications nécessaires de ces matériels, il n’est pas nécessaire de changer la vocation de la CNCTR.
La commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 23 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 184, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 126
Supprimer cet alinéa.
II. - Alinéa 130
Supprimer les mots :
, y compris dans le cadre du II de l’article L. 854-1,
III. - Alinéa 131
Supprimer cet alinéa.
IV. - Alinéa 133
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il s’agit d’un amendement de coordination, suite aux dispositions adoptées hier par la Haute Assemblée relatives à la surveillance internationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. L’amendement n° 85 rectifié n’est pas soutenu.
L'amendement n° 191, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 145
Après le mot :
communiquées
insérer les mots :
par le Premier ministre
II. - Alinéa 149
Compléter cet alinéa par les mots :
et des fichiers intéressant la sûreté de l'État
III. - Alinéa 155
1° Remplacer les mots :
en premier et dernier ressort, des contentieux résultant de
par les mots :
dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant
2° Remplacer le mot :
certains
par le mot :
les
3° Supprimer la troisième occurrence du mot :
et
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est un amendement de précision et d’harmonisation rédactionnelle. Avis favorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 14 rectifié quater, présenté par Mme Morin-Desailly, M. L. Hervé, Mme Goy-Chavent et MM. Roche, Bignon et Kern, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 141
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« - d’utilisation des dispositions des articles L. 821-5-2, L. 852-1, L. 853-1, L. 853-2 et L. 854-1 ;
La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Cet amendement tend à compléter les informations qui figureront dans le rapport public de la CNCTR.
Il s’agit d’y ajouter : le nombre d’utilisations des techniques de recueil de renseignements par les services, à l’encontre d’un magistrat, d’un avocat, d’un parlementaire ou d’un journaliste ou concernant leurs véhicules, bureaux ou domiciles ; le nombre d’utilisations des dispositions techniques d’interceptions de sécurité ; le nombre d’utilisations des dispositifs techniques de sonorisation de certains lieux et véhicules, et de captation d’images et de données informatiques ; le nombre d’utilisations des mesures de surveillance internationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Une partie des éléments que les auteurs de cet amendement proposent de faire obligatoirement figurer dans le rapport de la CNCTR est déjà mentionnée à l’article L. 833-4 du code de la sécurité intérieure.
Les autres éléments que cet amendement tend à faire inscrire dans le rapport concernent des techniques de renseignement appelées à ne jouer qu’un nombre très limité de fois par an, ce qui pourrait avoir pour effet – nous a-t-on expliqué – de dévoiler plus que ce que les services de renseignement ne devraient publiquement révéler.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Kern, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement et d’accepter de vous contenter de la rédaction actuelle de l’article L. 833-4.
Mme la présidente. Monsieur Kern, l'amendement n° 14 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Claude Kern. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 14 rectifié quater est retiré.
L'amendement n° 172, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 143
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’aurais proposé d’adopter cet amendement en lieu et place de l’amendement présenté à l’instant par M. Kern, s’il n’avait été retiré. L’objectif est comparable, mais s’appuie sur un dispositif juridique plus solide.
Cet alinéa prévoit que le rapport de la CNCTR porte sur des statistiques présentées par techniques de recueil et par finalités.
Le Gouvernement ne peut que partager le dessein de transparence de l’amendement précédent et souhaite que les citoyens soient informés le plus largement possible des modalités de mise en œuvre de la présente loi.
Toutefois, rendre publiques les statistiques par techniques de recueil serait inapproprié, car le croisement des données sur des nombres pouvant être faible, il est susceptible de révéler des techniques d’enquêtes privilégiées. Il est donc préférable de s’en tenir au nombre de demandes et d’avis, de réclamations, de recommandations et de leurs suites, d’observations, ainsi que d’utilisation des procédures d’urgence.
Par ailleurs, Jean-Pierre Raffarin a déposé un sous-amendement n° 208 à l’amendement n° 205 de M. Bas, à l’article 13. Ce sous-amendement tend à ce que soient communiquées à la délégation parlementaire au renseignement les statistiques détaillées sur l’utilisation des techniques de renseignement.
L’adoption de ce sous-amendement permettra de satisfaire cette préoccupation sans mettre en péril les opérations en cours et les impératifs de sécurité nationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cette matière a été étudiée de manière très approfondie par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, notamment par son président, Jean-Pierre Raffarin.
Je sais que ce dernier a été sensible aux préoccupations exprimées par le Gouvernement sur l’alinéa 143 tel qu’adopté par la commission des lois, sur proposition de la commission des affaires étrangères.
Ce dialogue très constructif mérite de se poursuivre dans cet hémicycle, raison pour laquelle il serait bon que Jean-Pierre Raffarin nous donne l’avis de sa commission avant que la commission des lois ne se prononce définitivement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Je comprends les préoccupations du Gouvernement.
Il est vrai que ces données figurent aujourd’hui dans le rapport public de la CNCIS. Il serait assez utile de disposer, par finalités et par techniques, de ces informations et statistiques qui nous permettraient de développer cette culture du renseignement dont le pays a besoin pour dissiper les fantasmes.
Tout cela n’est pas simple, je le comprends bien. Si le Gouvernement, comme l’a dit M. le ministre voilà quelques instants, donne un avis favorable à notre sous-amendement n° 208, cette proposition serait satisfaite, ce dont je remercie et le Gouvernement et la commission des lois.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Dans ce type de circonstances, il me faudrait demander une suspension de séance afin de réunir la commission des lois. À titre exceptionnel, je prends sur moi de faire évoluer la position initialement retenue par la commission des lois en passant d’un avis de sagesse à un avis favorable.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 152 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant et Reiner, Mme Jourda, MM. Gorce, Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 147
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Dans le respect du secret de la défense nationale, la commission peut faire appel, en tant que de besoin, à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et au Défenseur des droits.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’édifice entier du contrôle de légalité de la mise en œuvre des techniques de renseignement va reposer sur la CNCTR avant d’éventuelles saisines du Conseil d’État.
La composition, le fonctionnement et les prérogatives de cette commission sont donc primordiaux.
Toutefois, étant donné l’activité incessante des services de renseignement, le degré de technicité des dossiers sur lesquels elle devra prendre position, la CNCTR aura d’abord besoin que ceux qui la composent soient présents et disponibles. Je tiens à le souligner, car beaucoup de parlementaires sont membres de nombreuses instances. Il serait quelquefois utile de faire le bilan de ces participations.
Toujours est-il qu’il paraît sage d’inscrire dans le projet de loi que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement pourra solliciter l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, la CNIL ou encore le défenseur des Droits autant que de besoin.
Si, au cours des débats parlementaires, le rapporteur, le ministre, voire les deux, ont déjà confirmé que cela allait de soi, je considérerai cet amendement comme satisfait.
Mme la présidente. L'amendement n° 58, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 147
1° Après les mots :
des postes
insérer les mots :
, la Commission nationale de l’informatique et des libertés et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information
2° Remplacer les mots :
de celle-ci
par les mots :
de celles-ci
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Dans son rôle renforcé de contrôle de recueil des renseignements, la CNCTR devra s’entourer de multiples expertises, que les membres qui la composent, femmes et hommes à parité, aussi avisés soient-ils, ne seront pas en mesure de lui apporter, tant les techniques et les renseignements collectés sont complexes.
Aussi, en raison de ses missions transversales, elle aura besoin d’aller bien au-delà de la simple connaissance du fonctionnement des réseaux et de ce qui constitue le champ de compétence de l’ARCEP.
Pour l’essentiel, la saisine de l’ARCEP ne porterait que sur la possibilité de vérifier si la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement par les services est détectable. Or, du point de vue du respect des droits et des libertés fondamentales, le contrôle doit aussi pouvoir s’exercer sur le recueil des données.
Toutefois, en l’état actuel du texte, il n’existe aucun moyen de vérifier avec exactitude que les fichiers qui seront constitués à partir des données collectées seront tenus conformément aux objectifs et à la durée de conservation fixés par la loi, et dont nous venons de débattre.
En effet, à la différence du régime auquel sont actuellement soumis tous les autres fichiers, qu’ils soient publics, privés ou de police, il n’est pas envisagé que la CNIL puisse exercer des pouvoirs d’inspection et de contrôle sur ces nouveaux fichiers. Il est donc nécessaire que la CNCTR puisse également disposer de conseils de la CNIL en matière de protection des données à caractère personnel.
Nous pensons en outre que l’ANSSI – Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information – devrait être sollicitée sur des thématiques relevant de la sécurité informatique.
Il conviendrait enfin que la CNCTR ait, à son tour, la possibilité de saisir ces deux autorités.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission est défavorable à ces deux amendements.
L’amendement n° 152 rectifié porte sur un alinéa prévoyant la possibilité, pour la Commission nationale de contrôle, de solliciter l’avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. En effet, s’agissant de communications électroniques, la CNCTR peut avoir besoin de demander un avis technique. La disposition prévue à l’alinéa 147 nous paraissait donc bienvenue puisqu’elle tendait simplement à lui permettre de consulter l’ARCEP : la CNCTR aurait formulé une demande sur une question d’ordre général et l’ARCEP y aurait répondu.
Ce vous proposez, monsieur Sueur, c’est autre chose : il serait possible de « faire appel » non seulement à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, mais aussi à la Commission nationale de l’informatique et des libertés et au Défenseur des droits.
Deux points posent problème.
Le premier est l’expression « faire appel ». Que signifie-t-elle ? « Faire appel », ce n’est pas « consulter ». Les mots ont un sens ! « Faire appel » laisse supposer qu’il pourrait y avoir un échange s’agissant d’un certain nombre de données.
Comment la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont les travaux, en raison d’une autre disposition figurant à l’alinéa 107 du même article, « sont couverts par le secret de la défense nationale », pourrait-elle, en faisant appel à d’autres institutions administratives indépendantes, leur fournir des informations ? Certes, la rédaction de l’amendement prévoit que c’est dans le respect du secret de la défense nationale que la CNCTR pourrait faire appel à ces autorités administratives indépendantes. Toutefois, elle se trouverait dans une situation bizarre : soit elle ne pourrait pas respecter l’obligation du secret, soit elle devrait renoncer à donner aux autres autorités des éléments utiles pour que celles-ci puissent apporter un éclairage pertinent sur la question posée.
Plus importante encore est la question de savoir pour quelles raisons la CNIL ou le Défenseur des droits auraient une expertise à apporter à la CNCTR.
La CNCTR n’a jamais à se prononcer sur des fichiers. Par conséquent, la seule expertise que pourrait apporter la CNIL à la CNCTR est parfaitement étrangère aux missions de cette dernière.
Quant au Défenseur des droits, il a un rôle qui le tient tout de même très éloigné de la réalité des missions de la CNCTR. Il ne pourrait d’ailleurs pas intervenir dans des dossiers individuels concernant la CNCTR et il n’est pas non plus habilité à se prononcer sur des questions d’ordre général ayant trait à la mise en œuvre de mesures de surveillance fondées sur des finalités d’intérêt national.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
De la même manière, elle est défavorable à l’amendement n° 58, mais elle sera favorable à l’amendement n° 167 du Gouvernement, qui sera présenté ensuite.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Concernant l’amendement n° 152 rectifié, je ferai remarquer que rien n’interdit à la CNCTR d’interroger ou de solliciter des avis. Il n’y a pas nécessité d’une base législative pour que cette commission, si elle le souhaite, consulte d’autres autorités. Le Gouvernement a entendu prévoir la présence, au sein de la CNCTR, d’une personnalité qualifiée en la matière, laquelle sera désignée par l’ARCEP.
Il n’y a donc pas matière à légiférer sur la possibilité pour la CNCTR de consulter, en tant que de besoin, ces autorités.
Simplement, cela ne se ferait sans doute que dans un seul sens, et cela me permet d’en venir à l’amendement n° 58, dont l’objet précise que la CNCTR pourra répondre à des demandes de ces autres autorités. S’il devait en être ainsi, il y aurait, d’une part, une confusion des missions et, d’autre part, un changement même de la nature des prérogatives reconnues par la loi à la CNCTR. Celle-ci n’a pas à répondre à des demandes formulées par ces autorités.
Pour ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° 152 rectifié, considérant qu’une disposition législative n’est pas nécessaire à cet égard puisque la CNCTR pourra apprécier d’elle-même la nécessité éventuelle de consulter d’autres autorités, et il est défavorable à l’amendement n° 58, qui vise à ouvrir la possibilité, pour la CNCTR, de répondre à des demandes de ces autorités.
Mme la présidente. L’amendement n° 152 rectifié est-il maintenu, monsieur Sueur ?
M. Jean-Pierre Sueur. Vous me voyez, madame la présidente, dans une certaine perplexité, la position de M. le rapporteur n’étant pas exactement celle de Mme la ministre, ce qui n’a d’ailleurs rien d’anormal dans cette démocratie qui nous réunit tous.
En effet, monsieur le rapporteur, vous avez expliqué que l’expression « faire appel » posait problème. Dès lors, si je rectifiais cet amendement en remplaçant « faire appel » par « consulter », émettriez-vous un avis favorable ?
M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi l’inscrire dans la loi ?
M. Jean-Pierre Sueur. Il y a deux sujets différents, monsieur Hyest : soit on considère que cela peut figurer dans la loi, à condition de mettre le verbe « consulter », soit on considère que cela n’a pas lieu d’y figurer !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Si vous rectifiiez ainsi votre amendement, mon cher collègue, sans aucun enthousiasme, je suis obligé de vous le dire, la commission s’en remettrait probablement à la sagesse de notre assemblée… (Sourires.)
Dans notre droit, l’expression « faire appel » est utilisée, s’agissant des relations entre autorités administratives indépendantes, d’une manière qui implique la participation à l’examen d’un dossier. Cela exposerait donc la CNCTR, dans le cas qui nous intéresse, à devoir partager un secret de la défense nationale que, par ailleurs, le présent texte interdit de partager.
En remplaçant « faire appel » par « consulter », vous retireriez bien le venin – pardonnez-moi l’expression – du dispositif de votre amendement. En revanche, on pourrait dire que sa portée juridique serait inexistante. En effet, demander un avis entre institutions est déjà possible.
Voilà pourquoi, cher collègue, je n’irais pas jusqu’à émettre un avis favorable.
Mme la présidente. Monsieur Sueur, que décidez-vous ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je constate que, dans cette réponse, M. le rapporteur rejoint in fine la position exprimée par Mme la garde de sceaux, selon laquelle rien ne s’oppose à ce que la CNCTR demande leur avis à d’autres institutions.
Je salue d’ailleurs cette position. En effet, j’ai parfois le sentiment que l’on considère la CNIL comme un élément quelque peu démoniaque, ou à tout le moins problématique, en la matière. La vérité m’oblige à dire que nous n’avons pas tous, sur cette question, la même position, y compris au sein de nos groupes respectifs.
Pour ma part, je tiens seulement à affirmer que la CNIL est une institution de la République, comme d’ailleurs le Défenseur des droits. Que la CNCTR considère qu’elle peut, pour des raisons d’expertise, consulter une autorité de la République parfaitement légitime et tout à fait respectable me paraît la moindre des choses.
Puisque M. le rapporteur a conclu son second argumentaire en affirmant cette position, qui avait été précédemment articulée par Mme la garde des sceaux, je vais vous faciliter la tâche, madame la présidente, et retirer mon amendement. Suivant les paroles prononcées par M. le rapporteur et Mme la garde des sceaux, je considère qu’il est naturel que la CNTCR puisse procéder à des consultations, dans le respect, naturellement, du secret de la défense nationale.
Mme la présidente. L’amendement n° 152 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l’amendement n° 58.
Mme Cécile Cukierman. Vous vous êtes prononcée, madame la garde des sceaux, sur l’exposé des motifs de notre amendement, mais c’est son contenu qui doit avant tout être considéré.
Tel qu’il est rédigé, l’alinéa 147 prévoit un lien réciproque entre la CNCTR et l’ARCEP. Nous proposons qu’il soit étendu à la CNIL et l’ANSSI. Cela pourrait être utile ; je dirai même que cela sera de toute façon nécessaire au bon fonctionnement de la CNCTR, pour lui permettre de remplir les missions que vous lui avez assignées.
J’aimerais savoir si la position de refus exprimée à l’endroit de notre amendement a trait au fond du dispositif ou si elle tient simplement à la formulation retenue dans son objet écrit.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je remercie d’abord Jean-Pierre Sueur d’avoir bien voulu retirer son amendement.
Je souhaite ensuite répondre très directement à Mme Cukierman. L’objet écrit d’un amendement est éclairant. C’est une marque de respect vis-à-vis des parlementaires que de s’assurer de la compréhension du dispositif d’un amendement en se référant à son exposé des motifs, l’auteur de l’amendement ayant fait l’effort d’expliciter son intention.
Au-delà de cela, vous savez que les débats parlementaires vont servir de référence. Par ces débats, on contribue aussi à construire la doctrine de la CNCTR. En effet, ils lui serviront tant, sans doute, pour l’élaboration de son règlement intérieur que dans son activité courante. Il lui arrivera probablement de se demander quelle était l’intention du législateur. C’est la raison pour laquelle la référence à l’objet de votre amendement était tout à fait pertinente.
Le dispositif de cet amendement pose une autre difficulté, sur laquelle je ne me suis pas appesantie. Vous proposez que la CNCTR consulte diverses autorités, mais aussi une agence qui ne dispose même pas de la personnalité juridique.
Par ailleurs, il n’est pas nécessaire qu’une disposition juridique autorise la CNCTR à consulter qui elle veut, si elle juge que cela peut l’aider à exécuter ses missions, missions qui, elles, sont définies par la loi. Nul besoin de base législative donc, surtout si c’est pour citer une agence ne disposant pas de la personnalité juridique.
Mme Cécile Cukierman. C’est tout de même étonnant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement maintient donc, sans vouloir être désagréable, son avis défavorable. (Sourires.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de l’article 1er du projet de loi relatif au renseignement.
L'amendement n° 167, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 150
Avant les mots :
Le Conseil d'État
insérer les mots :
Sous réserve des dispositions particulières prévues par l’article L. 854–1,
La parole est à M. le ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 53 rectifié ter, présenté par MM. Hyest, Bignon, Bizet et Bonhomme, Mme Bouchart, MM. Bouchet, Buffet et Calvet, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, MM. César, Chaize, Chasseing, Chatillon, Cornu, Dallier et Danesi, Mmes Deroche, Deromedi, di Folco, Duchêne et Duranton, MM. Duvernois, Emorine, Falco, B. Fournier, Frassa et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grosperrin, Guené, Houel et Houpert, Mme Hummel, MM. Huré et Husson, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Lenoir et P. Leroy, Mme Lopez, MM. Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mme Mélot, M. Milon, Mme Morhet-Richaud et MM. Morisset, Nachbar, Nougein, Paul, Pellevat, Pierre, Pillet, Pointereau, Reichardt, Revet, Saugey, Sido, Vasselle, Retailleau et Gremillet, est ainsi libellé :
Alinéa 152
Après le mot :
et
insérer les mots :
, hormis pour une requête présentée en référé,
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Le projet de loi institue un recours administratif préalable obligatoire auprès de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement avant toute saisine du Conseil d’État par un particulier.
Si cette condition de recevabilité se justifie pour les requêtes au fond, elle n’est pas pertinente pour les requêtes présentées en référé. Dans ce dernier cas, la condition d’urgence doit justifier, en contrepartie, la possibilité de la saisine directe du Conseil d’État.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans un premier temps, le Gouvernement, après avoir envisagé de solliciter le retrait de cet amendement, pensait s’en remettre à la sagesse du Sénat.
Il faut se référer à trois dispositions : celle qui concerne les conditions de saisine du Conseil d'État, l’alinéa 4 de l’article 4, qui institue le Conseil d’État comme juge des référés, et l’article L. 841-1 du code de la sécurité intérieure, qui s’applique également en cas de référé.
Le Gouvernement hésitait parce que, selon la jurisprudence administrative, le Conseil d'État siège en cas de référé-suspension. Le texte prévoit qu’il en soit ainsi même si la personne a saisi la CNCTR.
Néanmoins, ce qui va sans dire va parfois mieux en le disant. Il s’agit d’une jurisprudence de droit commun, qui concerne seulement le référé-suspension. Il reviendra au justiciable de prouver qu’il a saisi la CNCTR. Peut-être ne serait-il pas superflu faire figurer cette précision dans le texte.
Par conséquent, le Gouvernement s’associe finalement à l’avis favorable de la commission sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour explication de vote sur l'article.
M. Claude Malhuret. Avec le vote sur l’article 1er, nous terminons ce soir le débat sur les trois principaux articles de ce projet de loi.
Le débat a donné lieu, en tout cas en ce qui nous concerne vous et moi, monsieur le ministre de l’intérieur, à un dialogue de sourds. Nous ne sommes d'accord que sur un point : la nécessité de renforcer l’efficacité de la lutte contre les dangers qui nous menacent. Sur le reste, nous nous opposons.
Vous nous dites que les méthodes qui permettent d’intercepter les données de connexion de tous les Français ne sont pas des traitements de masse. Je prétends le contraire.
Vous nous dites que les métadonnées ne sont pas une intrusion dans la vie privée. Je vous réponds que ce sont des données ultrapersonnelles.
Vous nous dites que ce projet de loi est bien plus protecteur des libertés que le Freedom Act. Je vous dis qu’au moment où les Américains ferment leurs « boîtes noires », nous ouvrons les nôtres.
Vous donnez, par les logiciels espions et d’autres moyens, des possibilités d’intrusion dans les lieux privés. Ce faisant, notre collègue Jean-Yves Leconte vous l’a dit ce matin, vous donnez aux services de renseignement plus de moyens que n’en ont les juges antiterroristes eux-mêmes.
Vous nous dites que la future CNCTR apportera toutes les garanties pour le respect des libertés publiques lors des interceptions de sécurité. Je vous ai demandé comment une commission de sept membres pourrait examiner 200 000 demandes d’autorisation par an sans être une chambre d’enregistrement, et vous ne m’avez pas apporté de réponse précise.
Vous avez refusé à Mme Cukierman que cette commission puisse contrôler les logiciels d’interception, et vous m’avez refusé qu’elle soit en mesure de vérifier et d’agréer les matériels utilisés, alors que son nom est « Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement » !
Je passe sur tout le reste, monsieur le ministre. C’est la dernière fois que j’interviens dans ce débat. Je ne vous importunerai plus, puisqu’il semble que j’ai été importun.
Madame la garde des sceaux, si je m’adresse à M. le ministre de l’intérieur, ce n’est pas que je vous tienne pour quantité négligeable. D’une part, c’est avec lui que j’ai « discuté », si l’on peut dire, tout au long de ce débat. D’autre part, j’ai cru comprendre, mais je me trompe peut-être, que, depuis le début de l’examen du texte à l’Assemblée nationale jusqu’à maintenant, votre position était probablement beaucoup plus proche de la mienne que de celle du ministre de l’intérieur. Mais c’est à vous d’en décider.
Je ne voterai pas l’article 1er, monsieur le ministre. Je ne voterai pas votre projet de loi. Ne vous en faites pas : dans le contexte émotionnel de la période où vous le présentez, je ne doute pas que vous trouverez facilement une majorité.
Je vous ai dit, et cela ne vous a pas plu, que la mise en place de moyens sécuritaires disproportionnés et problématiques au regard de nos libertés publiques, chèrement acquises, était un cadeau fait aux terroristes, dont l’objectif est précisément, comme ce fut le cas aux États-Unis voilà quinze ans, de nous amener à rompre l’équilibre difficilement obtenu entre nécessité de notre sécurité et exigence de nos libertés.
Je vous souhaite vivement, monsieur le ministre de l’intérieur, que d’ici quelques années il ne se trouve pas un Snowden français pour nous révéler que cette loi a ouvert la porte à des écarts que vous n’aviez pas voulus. Je vous le souhaite, et je le souhaite à notre pays.
Vous nous dites que c’est impossible. Je dis, moi, que vous en ouvrez le risque. L’avenir dira qui de nous deux avait raison.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 29 rectifié sexies, présenté par M. Gorce, Mme S. Robert, MM. Leconte, Raynal, Duran, Desplan et Aubey, Mmes Monier et Jourda, M. Tourenne, Mme Claireaux, MM. Poher, Cabanel et Durain, Mmes Lienemann et N. Goulet et MM. Assouline et Malhuret, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 822-1 du code de la sécurité intérieure, tel qu’il résulte de l’article 1er, il est inséré un article L. 822-1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 822-1-.... – Les fichiers constitués dans le cadre de la mise en œuvre d’une technique de recueil du renseignement autorisée en application du présent livre font l'objet d'un contrôle effectué par la Commission nationale de l'informatique et des libertés siégeant en formation restreinte selon des modalités adaptées fixées par décret en Conseil d'État.
« Cette formation est constituée à partir des membres nommés au titre des 3° à 5° du I de l’article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et spécialement habilités.
« Ce contrôle porte sur la conformité de ces traitements aux dispositions de la loi n° 78–17 du 6 janvier 1978 précitée, s'agissant des catégories de données collectées, leur durée de conservation, leurs destinataires et les transferts dont ces données peuvent éventuellement faire l'objet.
« Ces contrôles visent à s'assurer du respect des règles relatives à la protection des données personnelles. Ils ne peuvent en aucun cas conduire à un contrôle de l'activité des services de renseignement.
« Leur résultat n'est communiqué qu'au ministre responsable du traitement ayant fait l'objet du contrôle ainsi qu'au Premier ministre selon des modalités sécurisées. »
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Les interrogations et les craintes qui se sont exprimées pourraient être levées si nous acceptions de renforcer le contrôle sur un domaine qui échappe pour l’instant à toute investigation complète, celui des fichiers de renseignement.
Le dispositif prévu dans la loi de 1978 précise les conditions dans lesquelles les fichiers de renseignement sont créés et déclarés, ainsi que les avis que peut rendre la CNIL. Il est d’ailleurs indiqué qu’un décret peut dispenser d’un certain nombre de contraintes les textes réglementaires concernant ces fichiers : non-publication de l’avis, non-publication du décret.
Pour l’instant, le seul décret que nous ayons concerne les règles applicables aux fichiers créés ou exploités par des services tels que la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, ou la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI. Nous ne sommes pas informés sur les fichiers de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD, ce qui peut se comprendre.
En résumé, selon le législateur, les utilisateurs de fichiers de ce type doivent se conformer aux exigences contenues dans la loi de 1978. Or, pour garantir le respect des règles, il faut des moyens de contrôle adéquats. Je ne mets pas en cause la déontologie des fonctionnaires concernés, je rappelle un simple principe de droit et, pour tout dire, de précaution républicaine.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a choisi de renforcer les moyens des services de renseignement et de développer des techniques de renseignement désormais plus intrusives. Il a également accepté que ces techniques fassent l’objet d’un encadrement juridique et d’un contrôle, celui de la CNCTR, qui faisaient jusqu’à présent défaut. C’est une avancée, même si l’encadrement porte seulement sur les données recueillies en utilisant ces techniques.
Il faut compléter l’ensemble. Le dispositif serait incomplet si nous n’avions pas l’assurance que les fichiers constitués à partir des données recueillies peuvent faire l’objet d’un contrôle.
Je reviendrai sans doute sur les arguments des opposants à l’intervention de la CNIL, qui, sauf à suggérer une autre solution, est aujourd'hui l’institution la plus qualifiée pour remplir cette mission ; elle a d’ailleurs été créée pour cela.
Je souhaite que notre amendement soit soutenu par le Gouvernement, afin de nous apporter les garanties de sécurité nécessaires dans la mise en place de la présente loi. En réalité, le sort qui lui sera réservé conditionnera mon vote sur l’ensemble du projet de loi. Je ne pourrais pas approuver un texte qui n’irait pas au bout de la démarche et qui ne nous apporterait pas toutes les garanties nécessaires. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du vide juridique actuel.
M. le président. Les amendements nos 5 rectifié quater et 99 ne sont pas soutenus.
L'amendement n° 153 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme S. Robert et M. Desplan, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le IV de l’article 44 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifié :
1° Les mots : « dispositions du présent article » sont remplacés par les mots : « modalités de contrôles prévues au deuxième alinéa du présent IV » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La conformité des traitements mis en œuvre dans ce cadre est contrôlée par un ou plusieurs membres de la Commission désignés par le président parmi les membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d’État, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes. Le contrôle est effectué dans des conditions permettant d’en assurer la confidentialité. Les conclusions du contrôle sont remises au seul ministre compétent. Les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont précisées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Cet amendement participe du même esprit que mon amendement précédent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements, qui portent d’ailleurs sur une matière dont nous avons déjà débattu.
Des règles imposent de purger les fichiers des renseignements que l’administration n’aurait pas le droit de conserver. En outre, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dont les moyens d’investigation sont très étendus, peut avoir accès à tout renseignement conservé par les différents services appartenant à la communauté du renseignement. J’ajoute qu’un délit d’entrave pourra être retenu contre tout agent qui refuserait de transmettre une information demandée par la CNCTR.
Comme, de surcroît, il existe aussi la possibilité, dans des conditions très libérales, de faire un recours devant le Conseil d’État, le dispositif de contrôle sera extrêmement puissant, caractéristique d’ailleurs de notre État de droit et s’inscrivant dans notre tradition, en évitant de sortir du droit commun du contrôle exercé sur les activités de police administrative.
Ces amendements ont en commun de vouloir introduire la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans ces contrôles, mais cela supposerait que puissent intervenir, dans les services de renseignement, deux institutions administratives indépendantes différentes, exerçant leur contrôle sur des objets différents. Certes, la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut bénéficier, pour certains de ses membres, de l’habilitation au secret de la défense nationale. Cependant, il ne faut pas confondre l’habilitation au secret et la nécessité ou le besoin d’avoir accès à tous les secrets.
La mission de la Commission nationale de l’informatique et des libertés est d’une tout autre nature que celle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. D’ailleurs, elle ne vise pas, dans ses contrôles, à faire en sorte que les renseignements soient légalement détenus par les services ; c’est une appréciation qu’elle ne peut pas porter, en vertu de la loi de 1978. Il semble donc que ce contrôle ne soit pas opportun du point de vue de la surveillance de l’activité des services spécialisés.
Par ailleurs, il risque de se produire des conflits entre, d’une part, les contrôles plus approfondis destinés à vérifier la légalité de l’utilisation des techniques de renseignement et de la conservation des données qui en sont issues et, d’autre part, le contrôle de la CNIL visant simplement à déterminer si des données ont été conservées plus longtemps que la loi ne le prévoit et si les gestionnaires de fichiers ont correctement assumé leur obligation de « nettoyer » régulièrement leurs fichiers pour que n’y figurent pas des données qui ne pourraient plus être conservées parce qu’elles auraient été recueillies depuis trop longtemps.
Pour éviter ce conflit entre une institution qui garantit des droits, notamment le secret de la vie privée, comme la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, et une autre institution qui garantit également des droits, mais pas les mêmes, à savoir ceux qui ont trait à la conservation de données personnalisées, il vaut mieux rester dans le cadre de la CNCTR.
C’est la raison pour laquelle nous recommandons le rejet de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Gorce, je sais que ces amendements portent sur un sujet que vous connaissez bien, un sujet qui vous tient à cœur, et que la démarche qui vous inspire n’est pas la contestation des objectifs du texte, mais la volonté de lui donner un équilibre, lequel est souhaité par le Gouvernement lui-même. Compte tenu de votre engagement, je voudrais vous apporter la réponse la plus précise possible.
Les services spécialisés de renseignement mettent en œuvre, aux fins d’accomplissement de leurs missions, des traitements de données à caractère personnel, dont les fichiers de souveraineté, énumérés dans le décret du 15 mai 2007. Six d’entre eux sont mis en œuvre par des services spécialisés : la direction générale de la sécurité extérieure, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la direction du renseignement militaire, la direction générale de la sécurité intérieure et Tracfin - traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins. Comme tout fichier, ceux-ci sont pleinement soumis aux dispositions de la loi « informatique et libertés ».
Je tiens à dire très clairement que le projet de loi dont nous débattons n’enlève rien aux prérogatives actuelles de la CNIL, qui exerce aujourd'hui un réel contrôle sur les fichiers de renseignement.
En amont, d’abord : la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés prévoit que les actes réglementaires - décrets en Conseil d’État, décrets simples ou arrêtés - créant ou modifiant les fichiers de souveraineté sont pris sur avis de la CNIL. Celle-ci continuera donc d’exercer, aux termes de ce projet de loi, un droit de regard sur la conception de ces fichiers.
En aval, la CNIL met en œuvre le droit d’accès indirect, en vérifiant si le requérant est enregistré ou non sur un fichier de souveraineté. Ce mécanisme permet de préserver l’intégrité des fichiers de renseignement - une personne fichée à juste titre ne connaît pas les informations détenues sur elle ni même ne sait si elle est enregistrée -, tout en autorisant un contrôle par « sondage » sur les fichiers de renseignement.
Le droit d’accès indirect, qui existait auparavant et qui demeure, constitue ainsi la possibilité d’exercer un contrôle des fichiers de renseignement énumérés par le décret de 2007, permettant de garantir que ces fichiers sont mis en œuvre dans le respect de la protection des données personnelles et des textes applicables en la matière - loi du 6 janvier 1978 modifiée et lois spéciales -, auxquels ces dispositifs sont soumis.
Le projet de loi ne réduit donc en rien les prérogatives de la CNIL, mais il renforce le contrôle sur les données recueillies dans le cadre du renseignement.
Deuxième point sur lequel je veux insister : le projet de loi relatif au renseignement conforte le contrôle exercé sur les fichiers.
En amont, la CNCTR exerce un contrôle dans la phase de recueil. Pour l’accomplissement de ses missions, le projet de loi donne à cette commission des pouvoirs sans précédent.
Ainsi, la CNCTR reçoit communication de toutes demandes et autorisations du Gouvernement.
Elle dispose d’un accès permanent et direct aux relevés, registres, renseignements collectés, transcriptions et extractions, ainsi qu’aux dispositifs de traçabilité des renseignements collectés et aux locaux où sont centralisés ces renseignements. Autant il est difficile de centraliser tout en un même lieu, autant, pour tenir compte des remarques formulées par le président de la CNCIS, nous pouvons prendre l’engagement de créer les conditions d’une accessibilité facilitée à ces éléments.
La CNCTR est informée à tout moment, à sa demande, des modalités d’exécution des autorisations en cours.
Elle peut solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de ses missions.
En cas de manquement, la CNCTR dispose du pouvoir de recommander la cessation de la mise en œuvre de la technique et l’effacement des données collectées irrégulièrement.
En cas d’inobservation d’une recommandation, la CNCTR peut saisir le Conseil d’État, qui peut lui-même tout faire cesser sur-le-champ.
En aval, le Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel très important : il peut soulever d’office tout moyen et a le pouvoir d’ordonner la cessation de la mise en œuvre ainsi que, le cas échéant, l’indemnisation de la personne lésée. Il peut également, en cas de manquement susceptible de constituer une infraction, saisir le procureur de la République si cette infraction a un caractère pénal.
Par ailleurs, s’agissant plus particulièrement des fichiers de renseignement, le Conseil d’État deviendrait, en vertu du projet de loi dans sa version actuelle, juge en premier et dernier ressort du contentieux de l’article 41 de la loi « informatique et libertés », relatif au droit d’accès indirect d’un requérant souhaitant vérifier s’il figure ou non sur un fichier de souveraineté.
Dans la situation qui prévaut aujourd’hui, l’application du principe du contradictoire l’empêche de se fonder sur des éléments dont le secret doit être protégé. Grâce au projet de loi, l’aménagement du principe du contradictoire permettra au Conseil d’État d’exercer pleinement son contrôle en se fondant sur l’ensemble des éléments pertinents. Il s’agit là, monsieur Gorce, comme vous pouvez le constater, d’un progrès extrêmement sensible par rapport à la situation que nous connaissions jusqu’à présent.
Lorsque la formation du Conseil d’État traitera du contentieux relatif à la mise en œuvre du droit d’accès indirect, la formation de jugement se fondera sur les éléments contenus le cas échéant dans le traitement, sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement de ces fichiers. Lorsqu’elle constatera que le traitement ou la partie du traitement faisant l’objet du litige comporte des données personnelles concernant le requérant qui sont inexactes, ou dont la collecte ou la conservation sont interdites, elle en informera le requérant.
Voilà très précisément ce que prévoit ce projet de loi ; je tenais à l’exposer de façon très détaillée parce qu’il est important que ces éléments figurent au compte rendu de nos débats.
Je conclus en répondant à la question qui sous-tend votre proposition.
Dès lors que nous réalisons un progrès considérable, deux attitudes sont possibles : la première consiste à le prendre pour solde de tout compte, la seconde à chercher à aller plus loin. Pourquoi ne pouvons-nous pas aller plus loin ?
Plusieurs raisons expliquent le statut particulier des fichiers de souveraineté. L’architecture de ces fichiers, j’insiste sur ce point, est fondée sur la règle du cloisonnement et de la traçabilité, qui garantissent qu’un même agent ne peut avoir accès à l’ensemble des données enregistrées. Le juge judiciaire lui-même ne dispose pas d’un accès à ces fichiers, dont le contenu est classifié.
Je fais par ailleurs observer que les services étrangers partenaires des nôtres ne sont pas soumis à ce type de contrôle. Ce n’est pas un élément négligeable.
En outre, comme l’a annoncé le Premier ministre, une mission sera confiée au cours du second semestre à l’inspection des services de renseignement afin d’étudier beaucoup plus finement la question de l’articulation du contrôle de la CNIL avec celui de la CNCTR, ce qui permettra d’améliorer encore les choses.
En résumé, le projet de loi renforce les garanties entourant le contrôle des fichiers, tant dans la phase du recueil du renseignement que dans celle du contrôle des traitements. Je vous invite donc, monsieur Gorce, sur la base de ces explications que j’ai souhaitées aussi complètes que possible, à retirer vos amendements ; à défaut, le Gouvernement se trouverait contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Je vous remercie, monsieur le ministre, de la précision de votre réponse, plus satisfaisante d’ailleurs que celle de mon collègue président de la commission des lois, Philippe Bas. Au regard du petit conflit qui vous a opposés hier, je tiens à dire que, si Alexis de Tocqueville avait assisté à notre débat, il pencherait naturellement de votre côté, monsieur le ministre. (Sourires.)
En effet, M. Bas nous a dit au fond que nous étions confrontés à une concurrence de contrôles alors qu’il s’agirait bien de contrôles distincts. C’est aussi le point qui nous distingue, monsieur le ministre, dans les conclusions auxquelles vous parvenez.
Je voudrais d’abord donner acte au Gouvernement de l’effort très important qui a été accompli. Si nous regardons d’où nous partons, ce que vous avez décrit à l’instant montre une réelle volonté d’encadrer de la manière la plus stricte possible un domaine extrêmement complexe.
Cela mérite d’être rappelé, tant il est vrai que ce texte fait l’objet de procès notoirement excessifs.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Gaëtan Gorce. Pour autant, lorsque vous évoquez le contexte du terrorisme, cela ne vous surprendra pas que j’évoque pour ma part celui de l’affaire Snowden, qui nous a appris à nous méfier des situations considérées comme satisfaisantes en l’absence d’un ensemble de précautions et de garanties.
Certes, faire intervenir la Commission nationale de l’informatique et des libertés serait une innovation, qui n’a pas d’équivalent dans d’autres pays. Ce serait néanmoins un pas en avant qui, de mon point de vue, ne mettrait nullement en danger le fonctionnement des services de renseignement. En effet, il ne s’agirait en rien de contrôler l’activité de ces derniers, mais bien de s’assurer que les fichiers qui sont constitués répondent aux caractéristiques fixées par la CNIL et par le Gouvernement lorsque ceux-ci ont été créés. Personne n’y veille aujourd'hui.
D’après vous, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est suffisante. Toutefois, elle n’outrepassera pas les compétences qui lui sont dévolues, c’est-à-dire les données recueillies grâce aux techniques de renseignement définies par la loi. Cela ne recouvre donc pas les renseignements obtenus par ailleurs, non plus que les mises en relation entre les différents renseignements, leur traitement et les fichiers concernés. Il y a donc là un vide juridique qu’il apparaîtrait logique de combler.
Cela mettrait-il en danger l’équilibre du pouvoir ? Cela créerait-il une confusion et une concurrence juridiquement préjudiciables, au-delà des risques pour la confidentialité qui ne me paraissent pas justifiés quand on connaît le sérieux des fonctionnaires et des responsables de ces différentes autorités indépendantes ? Je ne le crois pas, puisque, comme je l’ai indiqué, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement n’interviendra que dans le cadre de la loi dont nous débattons aujourd’hui. Elle veillera simplement au respect des techniques et des règles fixées par cette loi. Dès lors, dans la mesure où elle n’aura pas compétence sur les fichiers, la CNIL apporterait un élément supplémentaire.
On peut également imaginer que ces contrôles ne seront pas systématiques ni permanents et que les deux autorités pourront facilement coordonner leurs interventions et échanger les informations si nécessaire.
Je continue donc à penser, même si cela peut vous paraître prématuré ou inadapté, que nous aurions intérêt à introduire cette disposition dans notre droit.
C’est pourquoi je maintiens mon amendement, monsieur le ministre, même si j’ai bien conscience qu’il ne recueillera pas, hélas, une majorité dans cette assemblée.
Je vous rejoins sur les progrès réalisés, que j’admets volontiers, nonobstant les désaccords que j’ai exprimés sur un certain nombre de points. Toutefois, il est dommage d’en rester là : il n’est pas satisfaisant que des fichiers sur des sujets aussi sensibles ne fassent pas l’objet d’un contrôle complet.
Quoi qu’il en soit, je pense que le débat rebondira. Vous avez d’ailleurs évoqué, et je salue cette initiative, le prolongement de cette réflexion à travers une mission que vous confierez à l’inspection du renseignement, en relation avec les autorités indépendantes. Tout cela va dans la bonne direction, mais il aurait été utile de franchir dès aujourd’hui ce pas qui me paraît indispensable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Dans le même esprit que Gaëtan Gorce, et même si j’ai exprimé un décalage avec la philosophie du texte, je tiens à remercier M. le ministre pour ses explications sur la différence entre la CNCTR et la CNIL.
L’amendement n° 173 rectifié du Gouvernement, dont nous débattrons ultérieurement, prévoit qu’un certain nombre d’informations susceptibles d’être collectées par les moyens dont nous discutons pourront ensuite « prospérer » pour d’autres raisons, au demeurant légitimes, que de stricte prévention au titre de la sécurité : cela prouve bien que des données seront traitées et que des échanges d’information interviendront.
On ne peut pas, d’un côté, affirmer la volonté de s’orienter vers le contrôle et la transparence, et, de l’autre, refuser de confier le traitement des données recueillies à la commission compétente en la matière.
Je le rappelle, les moyens et les compétences de la CNIL sont larges. Elle dispose de plus de 19 millions d’euros par an de crédits de paiement et de 189 équivalents temps plein. La CNCTR prendra la suite de la CNCIS. Or celle-ci n’est dotée que de 580 000 euros par an et de 6 équivalents temps. Je ne sais pas quel sera le profil de la CNCTR, mais je serais heureux de le connaître, monsieur le ministre. Quant à ses moyens, ils seront probablement beaucoup plus importants que ceux de la CNCIS…
M. Jean-Jacques Hyest. Ah oui !
M. Jean-Yves Leconte. Pour ce qui est du traitement des données, il nécessite tout de même une compétence spécifique différente de ce qui est attendu aujourd'hui de la CNCIS et, demain, de la CNCTR. C’est pourquoi il me semblerait justifié de transférer à la CNIL – c’est le sens de cet amendement – ce qui ne peut pas être au cœur de la CNCTR. Sinon, nous devrions créer les mêmes compétences dans deux autorités administratives indépendantes, au risque de laisser un vide concernant la capacité de traiter correctement, et dans le respect de la sécurité nationale, les données dont nous discutons aujourd’hui. Nous pourrons ainsi bien marquer les différences entre les autorités administratives indépendantes.
Monsieur le ministre, je souhaiterais obtenir quelques informations sur les moyens qui sont envisagées pour la CNCTR en termes de budget et de personnels.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 29 rectifié sexies.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n°198 :
Nombre de votants | 308 |
Nombre de suffrages exprimés | 306 |
Pour l’adoption | 46 |
Contre | 260 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 153 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er bis A (nouveau)
Après la vingt-troisième ligne du tableau annexé à la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, est insérée une ligne ainsi rédigée :
«
Président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement |
Commission permanente compétente en matière de libertés publiques |
»
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er bis A.
(L'article 1er bis A est adopté.)
Article 1er bis
(Supprimé)
Articles 2 et 3 (précédemment examinés)
M. le président. Je rappelle que les articles 2 et 3 ont été précédemment examinés par priorité.
Article 3 bis A
Aux 1° et 2° de l’article 226-3 du code pénal, la référence : « par l’article 706-102-1 du code de procédure pénale » est remplacée par les références : « aux articles 706-102-1 du code de procédure pénale et L. 853-2 du code de la sécurité intérieure ». – (Adopté.)
Article 3 bis
I. – Après le titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, tel qu’il résulte des articles 2 et 3 de la présente loi, il est inséré un titre V bis intitulé : « Des agents des services spécialisés de renseignement ».
II (Non modifié). – Au même titre V bis, il est inséré un chapitre Ier intitulé : « De la protection du secret de la défense nationale et de l’anonymat des agents » et comprenant les articles L. 855-1 à L. 855-3, tels qu’ils résultent des III et IV du présent article et du III de l’article 14 de la présente loi.
III. – Au début du même chapitre Ier, il est inséré un article L. 855-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 855-1. – Les actes réglementaires et individuels concernant l’organisation, la gestion et le fonctionnement des services mentionnés à l’article L. 811-2 et des services désignés par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 ainsi que la situation de leurs agents sont pris dans des conditions qui garantissent la préservation de l’anonymat des agents.
« Lorsque, en application du premier alinéa du présent article, un acte ne peut être publié, son entrée en vigueur est subordonnée à son enregistrement dans un recueil spécial, dispensé de toute publication ou diffusion et tenu par le Premier ministre. Seuls les autorités publiques compétentes et les agents publics justifiant d’un intérêt ainsi que, dans les conditions et sous les réserves prévues au dernier alinéa, les juridictions administratives et judiciaires peuvent consulter un acte figurant dans ce recueil.
« Par dérogation à l’article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, les décisions et les autres actes pris par les autorités administratives au sein des services mentionnés au premier alinéa du présent article peuvent comporter seulement, outre la signature, le numéro d’identification de leur auteur, attribué avec la délégation de signature et qui se substitue à la mention de ses prénom, nom et qualité. Le nombre de délégations de signature numérotées par service est fixé par arrêté du ministre compétent.
« Lorsque, dans le cadre d’une procédure engagée devant une juridiction administrative ou judiciaire, la solution du litige dépend d’une question relative à un acte non publié en application du présent article ou faisant l’objet d’une signature numérotée, ce dernier est communiqué, à sa demande, à la juridiction ou au magistrat délégué par celle-ci, sans être versé au contradictoire. »
IV. – Le même chapitre Ier est complété par un article L. 855-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 855-3. – I. – Tout agent d’un service spécialisé de renseignement mentionné à l’article L. 811-2 ou d’un service désigné par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 qui a connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, de faits susceptibles de constituer une violation manifeste du présent livre peut porter ces faits à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
« Lorsque la commission estime que l’illégalité constatée est susceptible de constituer une infraction, elle saisit le procureur de la République de l’ensemble des éléments portés à sa connaissance.
« II. – Aucun agent ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de recrutement, de titularisation, de notation, de discipline, de traitement, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, d’interruption ou de renouvellement de contrat, pour avoir porté, de bonne foi, des faits mentionnés au I à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Tout acte contraire aux dispositions du présent alinéa est nul et non avenu.
« En cas de litige relatif à l’application du premier alinéa du présent II, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’agent intéressé.
« Tout agent qui relate ou témoigne des faits mentionnés au I, de mauvaise foi ou avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits, encourt les peines prévues au premier alinéa de l’article 226-10 du code pénal. »
V. – Le même titre V bis est complété par des chapitres II et III ainsi rédigés :
« CHAPITRE II
« De la protection juridique des agents
« Art. L. 855-4. – Lorsque des faits commis hors du territoire national, à des fins strictement nécessaires à l’accomplissement d’une mission commandée par ses autorités légitimes, par un agent des services spécialisés de renseignement désignés par le décret prévu à l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée, sont portés à sa connaissance et paraissent susceptibles de constituer des infractions pénales, le procureur de la République territorialement compétent en informe le ministre dont relève le service de l’agent concerné aux fins de recueillir son avis préalablement à tout acte de poursuite sauf en cas de crime ou de délit flagrant. Hormis le cas d’urgence, cet avis est donné dans le délai d’un mois. L’avis est demandé par tout moyen dont il est fait mention au dossier de la procédure.
« L’avis figure au dossier de la procédure, à peine de nullité, sauf s’il n’a pas été formulé dans le délai précité ou en cas d’urgence.
« Art. L. 855-4-1 (nouveau). – Sans préjudice des dispositions du titre II du livre Ier du code pénal, les agents des services spécialisés de renseignement sont pénalement responsables de leurs actes lorsque ceux-ci n’ont été ni prescrits, ni autorisés par des dispositions législatives ou réglementaires, ni commandés par l’autorité légitime.
« CHAPITRE III
« De l’information des services de renseignement
« Art. L. 855-5. – (Supprimé)
« Art. L. 855-6. – Les services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 et les services désignés par le décret prévu à l’article L. 811-4 peuvent échanger toutes les informations utiles à l’accomplissement de leurs missions définies au titre Ier du présent livre.
« Les autorités administratives mentionnées à l’article 1er de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives peuvent transmettre aux services mentionnés au premier alinéa du présent article, de leur propre initiative ou sur requête de ces derniers, des informations utiles à l’accomplissement des missions de ces derniers.
« Les modalités et les conditions d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État. » – (Adopté.)
M. le président. L'amendement n° 189, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer les mots :
et des services désignés par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il convient de limiter la dérogation apportée par l’article L. 855-1 du code de la sécurité intérieure à la publicité des actes administratifs. L’amendement prévoit en conséquence de revenir au texte ayant reçu l’avis favorable du Conseil d’État, qui limite le champ d’application de cette disposition aux seuls services spécialisés de renseignement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission avait émis un avis défavorable sur cet amendement, mais compte tenu des explications du Gouvernement, je prends sur moi de m’en remettre à la sagesse de notre assemblée.
M. le président. L'amendement n° 198, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par les mots :
, dans le respect du secret de la défense nationale
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Dans le cadre de la procédure dite des « lanceurs d'alerte », il convient de préciser que la CNCTR devra également respecter le secret de la défense nationale lorsqu'elle décidera de saisir le procureur de la République.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 199 rectifié, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 17, première phrase
Remplacer les mots :
spécialisés de renseignement désignés par le décret prévu à l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée
par les mots :
mentionnés à l'article L. 811-2
II. – Alinéa 23
Après le mot :
décret
insérer les mots :
en Conseil d’État
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 200, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 855-4-1. – Les agents des services spécialisés de renseignement sont pénalement responsables de leurs actes dans les conditions définies au titre II du livre Ier du code pénal.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement tend à modifier la rédaction du renvoi au code pénal destiné à définir la responsabilité pénale des agents des services spécialisés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 173 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 24
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les services mentionnés au premier alinéa peuvent transmettre aux agents habilités des services de l'État, à ses établissements publics ou aux organismes de protection sociale mentionnés à l'article L. 114-16-3 du code de la sécurité sociale, les informations strictement utiles à l'accomplissement de leur mission, lorsque la transmission de ces informations participe directement à l’une des finalités prévues à l’article L. 811-3 du présent code.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les services de renseignement doivent être habilités à transmettre certaines informations aux services de l’État, à ses établissements publics ou à des organismes de protection sociale mentionnés à l’article L. 114-16-3 du code de la sécurité sociale, lorsque ces données sont strictement utiles à l’accomplissement de leurs missions et concourent directement aux objectifs fixés dans ce projet de loi.
Ces transmissions sont particulièrement utiles. Je songe notamment aux informations détenues par les services de renseignement relatives à la présence d’un ressortissant national sur un théâtre d’opérations terroristes. En effet, dans cette hypothèse, la transmission de cette information à certains organismes sociaux permettrait de suspendre le versement des prestations sociales indues, qui seraient susceptibles d’alimenter directement le financement de certaines actions terroristes.
Je sais que M. Bas est particulièrement sensible à ces enjeux. Mais, comme l’illustre cet amendement, le Gouvernement est, lui aussi, soucieux de ne pas laisser des prestations sociales à la disposition d’individus susceptibles de les employer à des fins terroristes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Nous suivons le Gouvernement !
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Tout arrive ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 3 bis, modifié.
(L'article 3 bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 3 bis
M. le président. L'amendement n° 187, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 3 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 1 du chapitre Ier du titre X du livre IV du code de procédure pénale est complétée par un article 694-… ainsi rédigé :
« Art. 694-… – Si une demande d'entraide émanant d'une autorité judiciaire étrangère concerne des faits commis hors du territoire national susceptibles d’être en lien avec les missions réalisées, aux fins de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation prévus à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, par un service spécialisé de renseignement prévu à l’article L. 811-2 du même code, le procureur de la République saisi de cette demande, ou avisé en application de l'article 694-1 du présent code, la transmet au procureur général qui en saisit le garde des sceaux, ministre de la justice, et donne, le cas échéant, avis de cette transmission au juge d'instruction.
« Le ministre de la justice en informe le ministre de la responsabilité duquel relève le service spécialisé de renseignement concerné et recueille son avis.
« Dans le délai d'un mois, ce dernier fait connaître au garde des sceaux, ministre de la justice si l'exécution de la demande d'entraide est de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels de la Nation.
« Le garde des sceaux, ministre de la justice informe, s'il y a lieu, l'autorité requérante de ce qu'il ne peut être donné suite, totalement ou partiellement, à sa demande. Cette décision est notifiée à l'autorité judiciaire initialement saisie et fait obstacle à l'exécution de la demande d'entraide ou au retour des pièces d’exécution. »
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sans remettre de quelque façon en cause les motifs classiques sur la base desquels les autorités judiciaires françaises peuvent décider de ne pas faire droit à une demande d’entraide pénale internationale, cet amendement tend à organiser un dispositif de demande d’avis tel que lesdites autorités judiciaires puissent recueillir l’avis du ministre compétent lorsque les faits invoqués à l’appui de la demande d’entraide pénale sont susceptibles de concerner un agent d’un service de renseignement français.
M. Raffarin connaît particulièrement bien ce dossier, et il est, je le sais, extrêmement mobilisé en la matière.
Il s’agit en somme de transposer, pour les agents des services de renseignement, la procédure de demande d’avis préalable avant poursuite, déjà applicable aux militaires.
Le Gouvernement espère que le Sénat adoptera cet amendement avec enthousiasme ! (M. le rapporteur pour avis sourit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 3 bis.
Article 4
Le code de justice administrative est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 311-4, il est inséré un article L. 311-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-4-1. – Le Conseil d’État est compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure et la mise en œuvre de l’article 41 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, pour certains traitements ou parties de traitements intéressant la sûreté de l’État.
« Le Conseil d’État peut être saisi, en premier et dernier ressort, comme juge des référés. » ;
2° Après le chapitre III du titre VII du livre VII, il est inséré un chapitre III bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE III BIS
« Le contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation
« Art. L. 773-1. – Le Conseil d’État examine les requêtes présentées sur le fondement des articles L. 841-1 et L. 841-2 du code de la sécurité intérieure conformément aux règles générales du présent code, sous réserve des dispositions particulières du présent chapitre.
« Art L. 773-2. – Sous réserve de l’inscription à un rôle de l’assemblée du contentieux ou de la section du contentieux qui siègent alors dans une formation restreinte, les affaires relevant du présent chapitre sont portées devant une formation spécialisée. La composition de ces formations est fixée par décret en Conseil d’État.
« Préalablement au jugement d’une affaire, l’inscription à un rôle de l’assemblée du contentieux ou de la section du contentieux de l’examen d’une question de droit posée par cette affaire peut être demandée. L’assemblée du contentieux ou la section du contentieux siègent dans leur formation de droit commun.
« Les membres des formations mentionnées au premier alinéa et leur rapporteur public sont habilités ès qualités au secret de la défense nationale. Les agents qui les assistent doivent être habilités au secret de la défense nationale aux fins d’accéder aux informations et aux documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission. Les membres de ces formations sont astreints, comme les agents qui les assistent, au respect des secrets protégés par les articles 413-10 et 226-13 du code pénal pour les faits, les actes et les renseignements dont ils peuvent avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.
« Dans le cadre de l’instruction de la requête, les membres de la formation de jugement et le rapporteur public sont autorisés à connaître de l’ensemble des pièces en possession de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ou des services mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 du code de la sécurité intérieure et utiles à l’exercice de leur office, y compris celles protégées au titre de l’article 413-9 du code pénal.
« Art. L. 773-3. – Les exigences de la contradiction mentionnées à l’article L. 5 sont adaptées à celles du secret de la défense nationale.
« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est informée de toute requête présentée sur le fondement de l’article L. 841-1 du code de la sécurité intérieure. Elle est invitée à présenter, le cas échéant, des observations écrites ou orales. L’intégralité des pièces produites par les parties lui est communiquée.
« La formation chargée de l’instruction entend les parties séparément lorsqu’est en cause le secret de la défense nationale.
« Art. L. 773-4. – Le président de la formation de jugement ordonne le huis-clos lorsqu’est en cause le secret de la défense nationale.
« Art. L. 773-5. – La formation de jugement peut relever d’office tout moyen.
« Art. L. 773-6. – Lorsque la formation de jugement constate l’absence d’illégalité dans la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement ou du traitement faisant l’objet du litige, soit parce que la personne concernée n’a fait l’objet d’aucune de ces mesures de surveillance, soit parce que ces mesures ont été mises en œuvre régulièrement, la décision indique au requérant ou à la juridiction de renvoi qu’aucune illégalité n’a été commise, sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre d’une technique.
« Art. L. 773-7. – Lorsque la formation de jugement constate qu’une technique de recueil de renseignement est ou a été mise en œuvre illégalement ou qu’une donnée ou un renseignement a été conservé illégalement, elle peut annuler l’autorisation et ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés.
« Sans faire état d’aucun élément protégé par le secret de la défense nationale, elle informe le requérant ou la juridiction de renvoi qu’une illégalité a été commise. Saisie de conclusions en ce sens lors d’une requête concernant la mise en œuvre d’une technique de renseignement ou ultérieurement, elle peut condamner l’État à indemniser le préjudice subi.
« Lorsque la formation de jugement estime que l’illégalité constatée est susceptible de constituer une infraction, elle en avise le procureur de la République et transmet l’ensemble des éléments du dossier au vu duquel elle a statué à la Commission consultative du secret de la défense nationale afin que celle-ci donne au Premier ministre son avis sur la possibilité de déclassifier tout ou partie de ces éléments en vue de leur transmission au procureur de la République.
« Lorsqu’elle traite du contentieux relatif à la mise en œuvre de l’article 41 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, la formation de jugement se fonde sur les éléments contenus le cas échéant dans le traitement sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement. Toutefois, lorsqu’elle constate que le traitement ou la partie de traitement faisant l’objet du litige comporte des données personnelles le concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte, l’utilisation, la communication ou la conservation est interdite, elle en informe le requérant. »
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. Le présent article fixe les règles applicables au contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement, relevant de la compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressorts. En d’autres termes, il prévoit les recours possibles pour les citoyens contre toute surveillance abusive.
Renforcer les capacités d’action intrusive a nécessairement pour effet d’élargir les occasions, pour les services spécialisés, de porter atteinte au respect de la vie privée et aux droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens. Sur ce point, le rapport de la commission des lois du Sénat est très clair. Une telle évolution ne peut s’envisager sans ses corollaires indispensables : d’une part, la création de contrôles effectifs, garantissant que ces atteintes s’exercent de manière légitime, nécessaire et proportionnée ; d’autre part, l’ouverture de voies de recours pour les personnes qui s’estimeraient victimes d’abus.
Qu’en est-il donc de ces contrôles et de ces voies de recours ? Face à l’extension des pouvoirs dévolus aux services de renseignement, ces corollaires se révèlent, hélas ! dérisoires.
Le Premier ministre, qui chapeautera l’action des services, pourra autoriser des opérations de surveillance en passant outre l’avis préalable de la CNCTR. Certes, le projet de loi crée une procédure contentieuse devant le Conseil d’État, qui pourra être saisi par la CNCTR et par les personnes s’estimant victimes de mesures de surveillance. Mais, dans les faits, celle-ci restera tout à fait opaque.
Tout le dispositif de recours est compromis par le secret qui entoure les techniques de renseignement et, dès lors, confère un caractère hasardeux aux demandes des justiciables. Ces derniers ne peuvent que soupçonner l’existence d’une surveillance mise en œuvre à leur encontre. Nul ne saura vraiment si un IMSI catcher a été déposé dans son entourage ou si l’algorithme fouillant les métadonnées – puisqu’on ne parle plus de « boîtes noires » – l’a pris dans ses filets.
Ce mode de fonctionnement, qui contraint les justiciables à avancer à l’aveugle, s’applique à l’ensemble de la procédure : la saisine de la CNCTR porte, par définition, sur des faits inconnus du requérant, lequel en est réduit à faire état d’indices ou d’impressions.
Non seulement le requérant est tenu de former un recours en restant dans l’ignorance totale de sa situation, mais il soutiendra ledit recours dans des conditions très éloignées d’un procès équitable, au sens où l’entend la Cour européenne des droits de l’homme. Face à l’État, il sera placé de facto dans une position inégalitaire.
En outre, ce projet de loi permet aux services de présenter au juge administratif des documents classés « secret » et d’obtenir des audiences à huis-clos. Le plaignant et son avocat seront alors, pour ainsi dire, mis sur la touche.
Ce texte conduira lentement et subrepticement nos concitoyens à modifier leurs comportements : inconsciemment, on commencera à s’autocensurer pour ne pas être surveillé, pour éviter de voir ses données personnelles et donc sa vie privée tomber dans le « domaine public », en l’occurrence les fichiers de l’État.
Il semblerait que l’on s’emploie à déployer le principe du panoptique imaginé par Jeremy Bentham et analysé par Michel Foucault dans Surveiller et punir. Le panoptique, c’est cette disposition architecturale qui permet, en prison par exemple, de voir sans être vu…
Force est de le constater, la question d’un recul démocratique se pose.
Monsieur le rapporteur, hier, vous avez cité Alexis de Tocqueville, penseur de la démocratie.
M. Philippe Bas, rapporteur. Absolument !
Mme Cécile Cukierman. Eh bien, je doute que Tocqueville eût approuvé ce texte,…
M. Philippe Bas, rapporteur. Au contraire ! Il aurait même pu l’écrire !
Mme Cécile Cukierman. … lui qui redoutait le « despotisme doux » d’une démocratie où « s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer [la] jouissance et de veiller sur [le] sort » des individus.
Au surplus, avec ce projet de loi, nous sommes bien loin du Livre noir des libertés publiques, que publiait le parti socialiste en 2009, époque à laquelle il était dirigé par Martine Aubry.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. C’était avant que le PS ne s’inspire à Poitiers… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. Cet ouvrage entendait « décrypter ce qu’est le sarkozysme, cette certaine idée des libertés publiques », et dénonçait « l’instauration d’une société de surveillance ».
« Défendre les libertés publiques serait, pour [Nicolas Sarkozy], nécessairement synonyme de laxisme, de désintérêt, voire d’incompréhension, pour les exigences de sécurité de nos concitoyens. » Voilà, cher Jean-Pierre Sueur, ce qu’écrivait le parti socialiste d’alors !
Je le sais, vous n’aimez guère les exemples journalistiques. Pour notre part, nous nous fions au travail sérieux et à la déontologie des journalistes, et, à cet égard, je tiens à citer un article de Mediapart :
« L’histoire de France nous a habitués à ce que des pouvoirs de droite, conservateurs par réflexe, autoritaires par habitude, s’en prennent aux libertés. Mais ce n’était pas une fatalité sans retour, puisque l’opposition de gauche devenait l’alternative en disant non à ce " coup d’État permanent ". Aussi, quand c’est au tour d’une majorité élue par la gauche d’y céder, avec le zèle des convertis et le soutien de la droite, le désastre est bien plus grand. Combattre la loi sur le renseignement, ce n’est pas seulement refuser la surveillance généralisée. C’est aussi sauver la République comme espérance et exigence démocratiques. »
Vous l’avez vu, nous n’avons pas baissé les armes face à ce projet de loi et, fidèles à nos valeurs, nous ne désarmerons pas !
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi d’aborder les impacts économiques du présent texte.
Ce matin même, nous avons débattu du coût de ce projet de loi. En la matière, diverses questions se posent : qu’en sera-t-il des hébergeurs, qui, d’ores et déjà, menacent de quitter le pays ? Et, après leur départ, que deviendront les emplois qui dépendent d’eux ? Pouvez-vous, sur ce sujet, nous apporter des éclaircissements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame Cukierman, il y a de cela plusieurs semaines, nous avons rencontré les représentants de tous les hébergeurs, lesquels ont, par l’intermédiaire d’OVH, publié un communiqué qui est aux antipodes de votre déclaration.
Mme Éliane Assassi. Nous demandons à voir…
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je vous en donnerai lecture et vous en remettrai une copie dès que mes services l’auront mis à ma disposition. Il est sans ambiguïté et sera de nature à vous rassurer pleinement.
Convenez-en, chaque fois que vous avez sollicité le Gouvernement, je me suis efforcé de vous donner des explications aussi précises que possible, pour vous prouver que, dans son contenu, le présent texte n’allait en rien dans le sens d’une surveillance généralisée. C’est même le contraire !
D’ailleurs, si, au terme de nos discussions, une partie, un article ou un alinéa du présent texte relevait à vos yeux d’un principe de surveillance généralisée, n’hésitez pas à nous l’indiquer : il est encore temps d’amender ce projet de loi. Toutefois, je vous le dis d’emblée, vous ne trouverez aucune disposition de cette nature.
Ce n’est pas en réitérant à l’infini les mêmes propos sur le contenu d’un texte, en laissant accroire qu’il contient des éléments dont il est fait dépourvu, que ces propos deviennent vérité.
Permettez-moi de vous répondre sur le terrain que vous avez choisi. Ce gouvernement de gauche encadre l’activité de services de renseignement qui, jusqu’à présent, ne faisaient pas l’objet d’un tel encadrement. Il place ces services sous le triple regard d’une haute autorité administrative, d’une délégation parlementaire au renseignement et d’un contrôle juridictionnel qui n’existait pas auparavant. Il garantit que les techniques susceptibles d’inspirer des interrogations seront utilisables, presque exclusivement, au titre de la lutte contre le terrorisme – c’est le cas de la détection sur données anonymes, du suivi en temps réel des terroristes, c’est-à-dire des procédés qui ont fait le plus débat.
Parallèlement, je le répète, ce gouvernement exclut la mise en œuvre de dispositifs de surveillance généralisée.
Le Gouvernement a entendu les interrogations d’un certain nombre d’institutions, comme la CNCDH – Commission nationale consultative des droits de l'homme – et il les a prises très au sérieux, au point d’y répondre systématiquement, de manière extrêmement détaillée, sur quatorze pages, et en se fondant non sur des impressions, mais tout simplement sur les éléments du droit, qu’ils soient issus des textes ou de la jurisprudence.
En agissant ainsi, nous procédons avec rigueur, à la suite de ceux qui, dans la famille politique à laquelle j’appartiens, ont toujours défendu les libertés et la République.
Aujourd’hui, défendre les libertés et la République, c’est protéger les Français contre le terrorisme, dans le respect rigoureux des principes constitutionnels et des principes généraux du droit. Il n’y a rien, dans ce texte, qui soit assimilable à ce que d’autres pays ont fait ; je songe notamment au Patriot Act.
Vous avez souvent dit que, dans cet hémicycle, on ne pouvait distinguer, d’un côté, les partisans de la sécurité, de l’autre, les tenants du laxisme. Mais il n’y a pas non plus, dans cet hémicycle, d'un côté, ceux qui défendent toujours les libertés publiques, parce qu’ils sont du côté du bien – peut-être aussi parce que ce combat a pour eux un attrait narcissique –, et, de l'autre, ceux qui les remettraient en cause, parce qu’ils exerceraient le pouvoir ou trahiraient certains principes.
M. Jacques Chiron. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Les choses sont plus compliquées que cela ! La rigueur intellectuelle, que nous avons veillé à garantir tout au long de ces débats, doit nous conduire à porter un jugement plus balancé, plus nuancé, sur une réalité complexe. C’est cette dernière qui, à travers ce texte, nous a conduits à nous mobiliser avec sincérité et exigence.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l'article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 4 de ce projet de loi n’est pas celui qui a fait le plus parler de lui ; il n’en est pas moins fondamental à mes yeux. Il s’agit en effet de prévoir les modalités de recours contre la mise en œuvre des techniques de recueil de renseignements dont nous avons débattu hier soir.
Le projet de loi attribue au Conseil d’État la compétence exclusive pour connaître de ces requêtes.
Si le groupe écologiste n’éprouve a priori aucune suspicion à l’endroit du juge administratif, l’exclusion totale du juge judiciaire du dispositif lui paraît toutefois appeler quelques remarques.
Selon notre rapporteur, l’article 66 de la Constitution n’a pas vocation à s’appliquer ici, en ce qu’il réserve l’intervention du juge judiciaire aux mesures privatives de liberté. Or, depuis 1999, les contentieux d’atteinte grave et prolongée à la liberté individuelle relèvent de la compétence de principe du juge judiciaire, de même que le contentieux des droits fondamentaux, qui lui est réservé par tradition, et des mesures privatives de liberté ne sont alors pas nécessairement susceptibles d’être prises.
Ainsi, le juge de la liberté et de la détention est compétent pour autoriser les perquisitions de nuit, ainsi que les visites domiciliaires et les saisies de pièces à conviction.
De la même façon, tous les contrôles d’identité, y compris de nature administrative, et toutes les fouilles de véhicules, même dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de police administrative prévus à l’article 78-2-4, sont placés sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
De surcroît, le droit au respect de la vie privée figure parmi les contentieux des droits fondamentaux, réservés par tradition au juge judiciaire.
Nous considérons que ces éléments ne peuvent être balayés d’un revers de la main et que les atteintes les plus graves à la liberté individuelle, impliquant à la fois la violation de la vie privée et du domicile, auraient pu être soumises au juge judiciaire.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. On vient de me faire parvenir le document dont je souhaitais vous donner connaissance, madame Cukierman. Voici ce qu’on peut y lire :
« Loi sur le renseignement : OVH satisfait des concessions du Gouvernement. Dans une série de tweets, Octave Klaba, le fondateur d’OVH, a fait part de sa satisfaction après le vote de l’amendement n° 437 lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement à l’Assemblée nationale. »
Suit un article complet expliquant comment nous avons travaillé et décrivant les compromis auxquels nous sommes parvenus.
Permettez-moi, madame la sénatrice, de vous remettre copie de ce document. (M. le ministre de l’intérieur prie un huissier de transmettre le document à Mme Cécile Cukierman.)
Mme Cécile Cukierman. Merci, monsieur le ministre !
M. le président. Je suis saisi de neuf amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 112 rectifié n'est pas soutenu.
L'amendement n° 22 rectifié ter, présenté par MM. Hyest, Allizard, G. Bailly, Béchu, Bignon, Bizet et Bonhomme, Mme Bouchart, MM. Bouchet, Bouvard, Buffet, Calvet et Cambon, Mme Canayer, MM. Cantegrit et Cardoux, Mme Cayeux, MM. César, Chaize, Charon, Chasseing, Chatillon, Commeinhes, Cornu, Dallier, Danesi, Darnaud et Dassault, Mmes Deroche, Deromedi, Des Esgaulx, Deseyne et di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, M. Dufaut, Mme Duranton, MM. Duvernois et Emorine, Mme Estrosi Sassone, MM. B. Fournier, J.P. Fournier, Frassa et Frogier, Mme Garriaud-Maylam, MM. J. Gautier, Genest et Gilles, Mme Giudicelli, MM. Gournac, Grosperrin, Guené, Houel et Houpert, Mme Hummel, MM. Huré et Husson, Mme Imbert, M. Joyandet, Mme Kammermann, MM. Karoutchi et Kennel, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, Legendre, de Legge, Lenoir, P. Leroy et Longuet, Mme Lopez, MM. Magras, Malhuret, Mandelli, A. Marc, Masclet et Mayet, Mme Mélot, MM. Milon et de Montgolfier, Mme Morhet-Richaud et MM. Morisset, Mouiller, Nachbar, Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Paul, Pellevat, Pierre, Pillet, Pointereau, Portelli, Reichardt, Revet, Saugey, Savary, Sido, Trillard, Vasselle, Vendegou, Vogel, Retailleau et Gremillet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il est saisi d’une requête concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, le Conseil d’État peut, à la demande de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision contestée si les moyens invoqués ou susceptibles d’être relevés d’office paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation de la décision contestée. » ;
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. La saisine du Conseil d’État par la CNCTR a été facilitée puisqu’elle relève désormais de son président, en cas d’avis défavorable à la mise en œuvre d’une technique de renseignement ou de l’insuffisance des suites données à une recommandation à ce sujet, ou d’une minorité d’un tiers de ses membres.
Dans une logique de sécurité juridique et de respect de la légalité, nous proposons de permettre au Conseil d’État de prononcer le sursis à exécution d’une décision de mise en œuvre d’une technique de renseignement. Cette procédure exceptionnelle serait réservée aux cas où l’illégalité apparaîtrait dès le stade de l’introduction de la requête.
L’initiative de cette procédure reviendrait uniquement à la CNCTR, et non d’un simple requérant, car elle seule dispose d’éléments suffisants pour apprécier la situation. Il appartiendrait alors au Conseil d’État de décider, ou non, avant toute décision au fond, de suspendre l’exécution de cette décision.
M. le président. L'amendement n° 201, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 7
Compléter cet alinéa par les mots :
et des fichiers intéressant la sûreté de l'État
II. - Alinéa 19
Supprimer les mots :
une donnée ou
III. - Alinéa 22
1° Au début de cet alinéa, insérer la référence :
Art. L. 773-8. -
2° Seconde phrase
Remplacer le mot :
personnelles
par les mots :
à caractère personnel
3° Compléter cet alinéa par les mots et deux phrases ainsi rédigées :
, sans faire état d’aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut également indemniser le requérant.
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. L'amendement n° 168, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par les mots :
et de l’article L. 854–1 du code de la sécurité intérieure
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement vise à préserver le régime spécifique de contrôle juridictionnel prévu par l’article 4 sur les mesures de surveillance internationale.
Il s’agit de rappeler la nature du contrôle juridictionnel pour les services qui interviennent à l’extérieur. Ce contrôle doit s’attacher à la conformité des mesures au cadre légal fixé dans ce texte ainsi qu’à la portée des actions de surveillance de communications électroniques. Il est en outre rappelé qu’il convient d’en vérifier les modalités, puisque seule la CNCTR peut saisir le Conseil d’État.
M. le président. L'amendement n° 37, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :
Alinéa 11, première et deuxième phrases
Remplacer les mots :
et leur rapporteur public sont habilités ès qualités au secret de la défense nationale. Les agents
par les mots :
, leur rapporteur public et les agents
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à soumettre les membres des formations de jugement et leur rapporteur public à la procédure d’habilitation de droit commun au secret de la défense nationale, afin de leur permettre d’accéder aux informations et aux documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission.
En effet, la loi ne fixe pas la composition de ces formations de jugement, non plus que le nombre, la procédure de nomination et la durée des fonctions de leurs membres.
Une habilitation ès qualités présenterait un risque tant pour la protection des informations que pour les personnes dépositaires des secrets, lesquelles peuvent être vulnérables. Il est préférable de recourir, pour ce qui les concerne, à la procédure d’habilitation de droit commun.
Cet amendement a pour objectif de montrer l’importance du secret-défense et de la procédure d’habilitation. Il vise à contrer les tentatives de généralisation de cette habilitation ès qualités.
Monsieur le président, vous mesurez l’importance de cet amendement. Cependant, devinant l’avis de la commission des lois aussi bien que celui du Gouvernement, pour nous faire gagner du temps, je le retire ! (Sourires.)
M. Philippe Bas, rapporteur. Je ne pourrai donc pas y répondre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est pour moi une immense frustration ! J’espérais un grand débat sur ce point ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. L'amendement n° 37 est retiré.
L'amendement n° 106, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Sans faire état d’aucun élément protégé par le secret de la défense nationale, elle informe le requérant ou la juridiction de renvoi qu’une illégalité a été commise et peut condamner l’État à indemniser le préjudice subi.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. La rédaction actuelle de l’alinéa 20 implique que le Conseil d’État ne puisse décider d’indemniser une personne que si cette dernière en fait la demande.
Il nous semble au contraire que, au regard de la complexité de la procédure, il n’y a pas lieu de limiter l’indemnisation aux seuls cas où elle aurait été préalablement demandée.
M. le président. L'amendement n° 162 rectifié, présenté par Mme S. Robert, MM. Sueur, Delebarre, Boutant et Reiner, Mme Jourda, MM. Gorce, Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 20, seconde phrase
Supprimer les mots :
Saisie de conclusions en ce sens lors d’une requête concernant la mise en œuvre d’une technique de renseignement ou ultérieurement,
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s’agit de revenir sur une rédaction encadrant le pouvoir d’appréciation du Conseil d’État.
Selon les cas d’espèce qui lui seront soumis, celui-ci mesurera l’étendue du préjudice et il lui sera loisible d’évaluer l’éventuelle réparation qui en résulte ; si bien qu’il doit pouvoir librement et en toute indépendance décider de la condamnation de l’État à indemniser un requérant.
M. le président. L'amendement n° 176, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Compléter cet alinéa par les mots et deux phrases ainsi rédigées :
, sans faire état d’aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut également indemniser le requérant.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit de préciser les pouvoirs du Conseil d’État lorsqu’il est saisi d’un recours dans le cadre du contentieux de l’accès indirect aux fichiers de sûreté.
Dans la mesure où l’amendement n° 201, qu’a présenté M. le rapporteur, contient la même disposition, je retire cet amendement du Gouvernement au profit de celui de la commission, auquel je suis évidemment favorable.
M. Philippe Bas, rapporteur. Merci, madame la garde des sceaux !
M. le président. L'amendement n° 176 est retiré.
L'amendement n° 107, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le fondement de renseignements qui ont été irrégulièrement collectés. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Dans sa décision n° 2014-693 du 25 mars 2014, le Conseil constitutionnel a considéré qu’aucune condamnation ne pouvait être prononcée sur le fondement d'éléments de preuve dont la personne mise en cause n’avait pu contester les conditions de recueil.
Dans son avis sur le présent projet de loi, le Défenseur des droits s’interroge sur « les éventuelles conséquences d’une décision du Conseil d’État constatant l’irrégularité de la mise en œuvre d’une technique de surveillance à l’égard d’une procédure pénale dans laquelle des renseignements recueillis auraient été versés au dossier ».
Cet amendement vise donc à préciser que, en cas de transfert des informations à l’autorité judiciaire, aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le fondement de renseignements irrégulièrement collectés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. L’avis de la commission est favorable sur les amendements nos 22 rectifié ter et 168, et défavorable sur les amendements nos 106, 162 rectifié et 107.
Mme Esther Benbassa. Pourquoi ?
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, pourquoi donc êtes-vous défavorable à l’amendement n° 162 rectifié ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous prenons ces amendements très au sérieux, car l’article 4 traite de la qualité, de la crédibilité et de l’efficacité du contrôle juridictionnel.
Nous sommes tous conscients qu’il s’agit là d’un texte de loi autorisant la mise en œuvre de techniques de surveillance très sophistiquées et dont l’usage peut être massif. Celles-ci sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée et à la vie familiale, ainsi qu’à l’inviolabilité du domicile et au secret des correspondances, dont la protection est garantie par notre droit civil. Le Conseil constitutionnel a même conféré à cette protection une valeur constitutionnelle. De surcroît, elle relève des engagements internationaux, notamment conventionnels, de la France. Cet article est donc d’une importance extrême.
Il est incontestable que les citoyens admettent la nécessité de ces services de surveillance. Tout le monde comprend que nous donnons enfin un cadre juridique à leurs missions.
Dans le même temps, tout le monde est attaché à la préservation des libertés, par culture juridique et philosophique. La demande d’assurances concernant la qualité et la crédibilité du contrôle juridictionnel est constante. Elle est légitime.
Nous avons donc beaucoup travaillé sur cette dimension et nous avons pu introduire des améliorations, y compris durant les débats à l’Assemblée nationale.
Les avis émis par le Gouvernement sur les amendements qui lui sont présentés doivent se comprendre à la lumière de ces éléments. Certains amendements peuvent en effet, tout en étant motivés par le souci d’améliorer le contrôle, conduire à le fragiliser ou à en restreindre le champ.
Ainsi, l’amendement n° 22 rectifié ter vise à limiter à la CNCTR la saisine du Conseil d’État pour décider d’un sursis à exécution. La rédaction actuelle est plus large : en référence au code de justice administrative, le texte permet à tout requérant de saisir la CNCTR.
Le Gouvernement vous demande donc très respectueusement, monsieur Hyest, de bien vouloir retirer cet amendement. Vous conviendrez, je n’en doute pas, qu’il est préférable que tout requérant puisse saisir la CNCTR.
Par votre amendement n° 106, madame Benbassa, vous entendez modifier le droit commun administratif. Celui-ci prévoit que le requérant peut demander une indemnité. Or il ne revient pas au juge de décider d’autorité du droit à indemnisation. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
D’une manière générale, notre préoccupation a justement été d’éviter, dans ces situations exceptionnelles, l’institution de procédures d’exception. Compte tenu des pouvoirs qui sont reconnus aux services de renseignement, dans le champ de leur mission, nous avons donc préféré, autant que possible, faire prévaloir des procédures de droit commun.
Je dois dire qu’en la matière M. Jean-Pierre Raffarin a suscité chez moi une frustration immense. J’espérais en effet, au vu de la sensibilité de cette chambre sur les questions de droit, que nous aurions ici un débat sur la question de l’habilitation au secret-défense ès qualités ou par la procédure de droit commun. Vous avez choisi, monsieur le Premier ministre, de ne pas le susciter ce débat cette nuit. Je m’incline donc.
Madame Benbassa, avec l’amendement n° 107, vous demandez qu’une personne qui a fait l’objet d’une surveillance non respectueuse des procédures ne puisse subir une condamnation. Ce débat aussi est important, car la démocratie se définit également par les garanties procédurales qui sont offertes au justiciable.
On peut comprendre votre position de principe. Toutefois, s’agissant de la police administrative, les éléments qui peuvent être recueillis n’ont pas valeur de preuve. En tout état de cause, pour engager une procédure judiciaire, il faudra une enquête, et donc la mise en œuvre des procédures nécessaires pour collecter les éléments qui auraient valeur de preuve et qui seraient soumis à l’examen contradictoire, ce qui implique qu’ils soient mis à la disposition de toutes les parties.
Par ailleurs, je vous rappelle que nous avons introduit dans le texte une possibilité de recours préjudiciel, avec un délai de décision imposé au Conseil d’État d’un maximum d’un mois. Ce recours préjudiciel fonctionne ainsi : lorsque, dans une procédure judiciaire, il est besoin de savoir si une technique de renseignement a bien été mise en œuvre dans des conditions régulières, le Conseil d’État peut être saisi d’office par le juge pénal ou à la demande du justiciable. Donc, ce recours préjudiciel permet de savoir, au cours d’une procédure judiciaire, s’il y a eu, ou non, respect des procédures de mise en œuvre des techniques de surveillance.
L’amendement n° 162 rectifié tend à suivre la même logique. Comme le Gouvernement préfère en rester au droit commun, il sollicite le retrait.
M. le président. Monsieur Hyest, l'amendement n° 22 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Jean-Jacques Hyest. J’entends bien que la saisine du Conseil d’État peut être ouverte non seulement à la CNCTR, mais aussi au requérant. Si le juge des référés peut procéder au sursis à exécution, je retire mon amendement puisque, de fait, la procédure que vous proposez offre un petit peu plus de liberté.
Par conséquent, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 22 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 201.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. M. le ministre de l’intérieur est parti mais, madame la garde des sceaux, je ne doute pas que vous lui ferez part de mes propos.
Tout d’abord, je tiens à préciser qu’il n’y a aucune complaisance narcissique à défendre tel ou tel amendement un jeudi soir à vingt-trois heures, sur un texte où il reste beaucoup à faire et alors que nous avons subi une discussion un peu chaotique, en tout cas fort éloignée de sa logique initiale.
Je tenais donc à rassurer M. Cazeneuve sur ce point-là : personne ici n’est narcissique, non plus que toutes celles et tous ceux qui, à travers des collectifs citoyens ou des associations professionnelles, expriment depuis plusieurs mois leur inquiétude au sujet de ce projet de loi.
Je ne veux évidemment pas faire une division entre les défenseurs des libertés publiques et ceux qui ne les défendraient pas : ce serait inacceptable. Il existe pourtant des divergences quant à la possibilité de défendre ces libertés.
Par ailleurs, M. le ministre de l’intérieur a cité une déclaration de M. Octave Klaba faite le 16 avril dernier. En réponse, je citerai sa déclaration du 5 mai, donc postérieure, où le fondateur du site OVH.com exprime son point de vue sur le présent projet de loi.
À la question : « Qu’allez-vous faire maintenant ? », M. Klaba répond : « Cette loi n’est pas bonne pour notre pays. » Je ne développerai pas ici les diverses raisons qu’il invoque pour justifier cette position. L’essentiel est qu’il exprime une crainte, parce que cette loi met en œuvre et légalise bien des pratiques secrètes de surveillance. Ces pratiques, peut-on redouter, amèneront la population à modifier ses comportements en matière de téléphonie ou de numérique.
Bien entendu, cet entrepreneur se félicite de l’amendement qui a été adopté à l’Assemblée nationale sur les activités d’hébergement, mais il précise bien qu’il s’agit d’un amendement a minima. Voici ses mots exacts : « OVH avec d’autres hébergeurs – AFHADS, Gandi, IDS, Ikoula, Lomaco, Online – ont alerté le Gouvernement que, si la loi renseignement passait telle quelle, elle serait extrêmement néfaste pour l’activité économique des data centres en France. Nous avons des clients qui ne sont pas uniquement français. […] Nous avons été invités par le Gouvernement à discuter de la loi pendant deux jours. La première journée, il nous a été dit que les intérêts économiques ne primaient pas sur les problématiques antiterroristes. Le Gouvernement ne voulait rien changer du tout. Les choses ont évolué le lendemain et nous avons pu rédiger l’amendement pour l’activité d’hébergement. C’est a minima, c’est-à-dire que la loi n’allait pas être retirée et nous n’avons pas pu y inclure tout ce que nous voulions. »
C’est ce que, au Parlement, on appelle un amendement de repli : il n’y a pas de pleine satisfaction, il reste des inquiétudes et des incertitudes. On peut les balayer d’un revers de manche, mais on peut aussi s’interroger collectivement sur le fait que ce projet de loi, aujourd’hui, fait peur. En dépit de son objectif premier, qui est d’assurer la sécurité de la population face à différentes menaces intérieures ou extérieures, ce projet peut également engendrer une anxiété, liée non plus à une menace extérieure, mais à un contrôle et à une mainmise de l’État.
Je tenais à rétablir très précisément ce que nous avions voulu exprimer dans nos interventions sur l’article 4. Je reste à la disposition de M. le ministre de l’intérieur pour analyser, si nécessaire, les différentes déclarations que l’on peut citer, et ce sans aucun penchant narcissique.
Quoi qu’il en soit, notre groupe votera contre cet article.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° (Supprimé)
2° Les articles L. 241-3 et L. 241-4 deviennent respectivement les articles L. 811-5 et L. 871-5 ;
3° Aux articles L. 811-5 et L. 871-5, tels qu’ils résultent du 2° du présent article, la référence : « présent titre » est remplacée par la référence : « présent livre » ;
4° L’article L. 242-9 devient l’article L. 871-6 et est ainsi modifié :
a) Le mot : « interceptions » est remplacé par les mots : « techniques de recueil de renseignement mentionnées aux articles L. 851-1, L. 851-3 à L. 851-5 et L. 852-1 » ;
b) Les mots : « ordre du ministre chargé des communications électroniques » sont remplacés par les mots : « ordre du Premier ministre » ;
5° (Supprimé)
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le chapitre IV du titre IV du livre II devient le titre VII du livre VIII, tel qu’il résulte de la présente loi, comprenant les articles L. 871-1 à L. 871-4, tels qu’ils résultent des 2° à 6° du présent article ;
2° Les articles L. 244-1, L. 244-2 et L. 244-3 deviennent, respectivement, les articles L. 871-1, L. 871-2 et L. 871-3 ;
3° L’article L. 871-1, tel qu’il résulte du 2° du présent article, est ainsi modifié :
a) La première phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :
– après le mot : « remettre », sont insérés les mots : « sans délai » ;
– la référence : « L. 242-1 » est remplacée par la référence : « L. 821-4 » ;
b) À la seconde phrase du premier alinéa et aux deux occurrences du second alinéa, après le mot : « œuvre », sont insérés les mots : « sans délai » ;
4° L’article L. 871-2, tel qu’il résulte du 2° du présent article, est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi modifié :
– la référence : « L. 241-3 » est remplacée par la référence : « L. 861-1 » ;
– le mot : « recueillir » est remplacé par le mot : « requérir » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes physiques ou morales mentionnées au premier alinéa du présent article sont tenues de répondre, dans les meilleurs délais, aux demandes formulées. » ;
5° À l’article L. 871-3, tel qu’il résulte du 2° du présent article, les mots : « l’application des dispositions du présent titre » sont remplacés par les mots : « , dans le respect du secret de la défense nationale, les dispositions du présent livre » ;
6° Après l’article L. 871-3, tel qu’il résulte du 2° du présent article, il est inséré un article L. 871-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 871-4. – Les opérateurs de communications électroniques mentionnés à l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique sont tenus d’autoriser, à des fins de contrôle, les membres et les agents de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, mandatés à cet effet par le président de la commission, à entrer dans les locaux de ces opérateurs ou de ces personnes dans lesquels sont mises en œuvre des techniques de recueil de renseignement autorisées en application du titre V du présent livre.
« Ils communiquent, dans les mêmes conditions, toutes les informations sollicitées par la commission ayant trait à ces opérations. »
M. le président. L'amendement n° 202, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
, les articles L. 871-5 et L. 871-6 tels qu'ils résultent de l'article 5 et l'article L. 871-7 tel qu'il résulte du 6° du II bis de l'article 2 de la présente loi
II. – Alinéa 11
Remplacer la référence :
L. 861-1
par la référence :
L. 811-5
III. – Alinéa 15
Remplacer les mots :
«, dans le respect du secret de la défense nationale, les dispositions du présent livre »
par les mots :
« l'application, dans le respect du secret de la défense nationale, des dispositions du présent livre »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 82, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Alinéas 6 et 8
Remplacer les mots :
sans délai
par les mots :
dans un délai de soixante-douze heures
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement important porte sur le cryptage.
Les alinéas 6 et 8 de l’article 6 viennent modifier la rédaction de l’article L. 244-1 du code de la sécurité intérieure, dont le 2° de ce même article 6 fait l’article L. 871-1 de ce même code.
Or cet article dispose actuellement :
« Les personnes physiques ou morales qui fournissent des prestations de cryptologie visant à assurer une fonction de confidentialité sont tenues de remettre aux agents autorisés dans les conditions prévues à l’article L. 242-1, sur leur demande, les conventions permettant le déchiffrement des données transformées au moyen des prestations qu’elles ont fournies. Les agents autorisés peuvent demander aux fournisseurs de prestations susmentionnés de mettre eux-mêmes en œuvre ces conventions, sauf si ceux-ci démontrent qu’ils ne sont pas en mesure de satisfaire à ces réquisitions.
« Un décret en Conseil d’État précise les procédures suivant lesquelles cette obligation est mise en œuvre ainsi que les conditions dans lesquelles la prise en charge financière de cette mise en œuvre est assurée par l’État. »
Cet article est issu d’une ordonnance n° 2012-351 du 12 mars 2012 relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure.
Les alinéas 6 et 8 de l’article 6 du projet de loi prévoient que les fournisseurs de prestations de cryptologie remettent « sans délai » aux agents autorisés les conventions permettant le déchiffrement de ces données.
Par le présent amendement, il est proposé d’instaurer un délai de soixante-douze heures. Ce délai raisonnable permettra notamment de parer à certains risques en matière de sécurité industrielle. En effet, faute de délai, ces dispositions risquent de conduire les fournisseurs à décrypter « au fil de l’eau », pour être prêts à communiquer rapidement les données sollicitées en cas de demande des agents autorisés, puisque ces dispositions permettent également auxdits agents de demander aux fournisseurs de « mettre eux-mêmes en œuvre ces conventions ».
En outre, les sociétés qui voudraient vraiment se protéger de ces risques de fragilité qu’entraîne de facto l’exigence de cryptage faible, donc de faible sécurité, devraient acheter des logiciels de cryptage à l’étranger, ce qui fragiliserait en fin de compte notre situation et remettrait en cause l’objet même des dispositions de l’article en discussion.
En voulant exiger la remise sans délai de ces conventions, on prend donc de vrais risques, parce qu’on affaiblit la capacité des entreprises à se protéger : elles n’auront plus à leur disposition que des cryptages basiques ou des dispositifs achetés à l’étranger et, par conséquent, souvent indisponibles pour les services de renseignement.
Une autre solution pourrait consister à laisser intacte la rédaction actuelle du code de la sécurité intérieure. En effet, je crois vraiment que, si nous le modifions en introduisant la mention « sans délai », nous risquons de perdre une maîtrise technique en la matière, ce qui constituera plus un facteur de risque qu’un facteur de sécurité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement exige de présenter le contexte.
Tout le monde ne sait pas – moi-même, je ne le savais pas avant d’être désigné rapporteur de ce projet de loi – que nos services de renseignement recourent aux prestations de sociétés d’informatique spécialisées dans le cryptage ou le décryptage.
Naguère, nos services de renseignement assuraient eux-mêmes ce type d’opérations mais, avec l’accélération du progrès technique, ils ont dû de plus en plus s’en remettre à des prestataires privés. C’est pourquoi le code de la sécurité intérieure a posé des règles.
En effet, tout en acceptant l’ouverture de ce marché, il convenait d’encadrer celui-ci de manière très rigoureuse, notamment pour s’assurer que, pour des motifs d’intérêt général, les prestataires apporteraient à nos services de renseignement, dans des délais aussi courts que possible, des réponses permettant à ces services d’être efficaces dans l’accès aux données chiffrées ou, au contraire, dans le chiffrement de leurs propres communications.
Au moment d’encadrer les techniques de renseignement, le Gouvernement s’est posé la question de savoir quels seraient les délais de réponse qui devraient être exigés de ces prestataires.
La cryptologie présente, on le voit, d’importantes difficultés pour les services de renseignement. Il est donc nécessaire que les fournisseurs de prestations de cryptologie, de logiciels, de clés de déchiffrement, apportent des réponses immédiates.
Or l’amendement qui nous est proposé vise à instaurer un délai de soixante-douze heures pour fournir ce que la loi appelle dans le code de la sécurité intérieure les « conventions de déchiffrement », c'est-à-dire, en réalité, le mode d’emploi qui permettra aux services de renseignement de déchiffrer les communications cryptées auxquelles ceux-ci ont eu accès. Il faut faire vite ! Or un délai de soixante-douze heures est beaucoup trop long pour permettre aux services de répondre dans l’urgence à des nécessités au regard des intérêts fondamentaux de la Nation.
Imaginez qu’il faille attendre soixante-douze heures pour avoir les conventions de déchiffrement des données cryptées concernant la préparation d’un crime, d’un délit ou d’un attentat terroriste ! Quelle que soit la préoccupation qui peut être la nôtre de ne pas mettre les prestataires dans une situation trop difficile, il faut demander à ces derniers de jouer le jeu, en fournissant sans délai les clés de déchiffrement nécessaires à l’action des services de renseignement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai écouté très attentivement les argumentaires présentés par M. Jean-Yves Leconte et M. Philippe Bas.
Par cet amendement, vous proposez, monsieur Leconte, de fixer un délai de soixante-douze heures. Ce délai ne suppose pas qu’il faille forcément attendre soixante-douze heures si le prestataire de services est en mesure de fournir les données immédiatement.
Vous estimez qu’il vaut mieux prévoir un délai de soixante-douze heures plutôt que d’exercer sur les prestataires une pression qui pourrait les conduire à réduire la qualité de leurs prestations, ce qui risquerait même de se traduire par des erreurs. Le Gouvernement rejoint votre préoccupation. Il est souhaitable de rappeler aux fournisseurs de prestations de cryptologie qu’ils doivent déchiffrer les données le plus rapidement possible, par souci d’efficacité, tout en leur octroyant ce délai, afin de leur permettre de réaliser leur travail dans de meilleures conditions.
C’est pourquoi le Gouvernement est favorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, je vous remercie très sincèrement de votre réponse.
Il n’y a pas que des terroristes qui font appel à la cryptologie, monsieur le rapporteur. Il y a également, nous en avons parlé hier, des entreprises qui représentent les intérêts fondamentaux de la Nation. Elles aussi ont précisément besoin de cryptage pour se protéger des intrusions d’autres services ou de concurrents.
Aussi, il importe que cet amendement soit adopté pour les intérêts de la Nation et pour nos intérêts économiques. À cet égard, je remercie le Gouvernement de l’avoir accepté.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le chapitre V du titre IV du livre II devient le titre VIII du livre VIII, tel qu’il résulte de la présente loi, comprenant les articles L. 881-1 et L. 881-2, tels qu’ils résultent des 2° à 4° du présent article ;
2° Les articles L. 245-1 et L. 245-2 deviennent, respectivement, les articles L. 881-1 et L. 881-2 ;
3° À l’article L. 881-1, tel qu’il résulte du 2° du présent article, les mots : « décision d’interception de sécurité, de révéler l’existence de l’interception » sont remplacés par les mots : « technique de recueil de renseignement, de révéler l’existence de la mise en œuvre de cette technique » ;
4° L’article L. 881-2, tel qu’il résulte du 2° du présent article, est ainsi modifié :
a) La référence : « de l’article L. 244-1 » est remplacée par les références : « des articles L. 871-1 et L. 871-4 » ;
b) (Supprimé)
c) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Est puni des mêmes peines le fait pour une personne exploitant un réseau de communications électroniques ou fournissant des services de communications électroniques de refuser, en violation du titre V du présent livre et du premier alinéa de l’article L. 871-2, de communiquer les informations ou documents ou le fait de communiquer des renseignements erronés. » ;
5° (Supprimé)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. L’article 7 n’a pas attiré l’attention de l’ensemble de nos collègues. Pour notre part, nous nous interrogeons sur l’une de ses dispositions, qui nous paraît appeler certains éclaircissements.
Cet article réprime les révélations de techniques de renseignement mises en œuvre ou le refus de transmettre des données de connexion dont le recueil a été autorisé.
Au-delà des opérateurs de télécommunications et des fournisseurs d’accès internet, pouvez-vous, madame la ministre, nous préciser quelles sortes de révélations sont visées et quel genre de lanceur d’alerte sera susceptible d’être puni ?
Combiné à l’article 1er, qui définit le champ de la surveillance, cet article semble expédier toutes les enquêtes menées par les journalistes et les lanceurs d’alerte, qu’elles concernent la diplomatie étrangère, la vie économique ou la politique intérieure. Karachi, Kadhafi, Dassault, Tarnac, Sivens, Bettencourt, Cahuzac, ventes d’armes, industrie pharmaceutique, établissements bancaires, et j’en passe : toutes les révélations qui font notre réputation pourraient être entravées par cette surveillance. Sans compter que, en France, les révélations n’épargnent pas le cœur du pouvoir d’État, la présidence de la République. Il semblerait qu’une affaire Snowden devienne absolument impossible en France, voire impensable.
À cet égard, rappelons que les documents divulgués par M. Snowden ont mis au jour la coopération de la DGSE avec la NSA et son homologue britannique. Alors qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni ou même en Allemagne les révélations de l’affaire donnaient lieu à des procès ou à des commissions d’enquête parlementaires, à Paris, le pouvoir a fait bloc, opposant silence ou démentis aux informations impliquant les agences françaises de renseignement.
Il s’agit là d’un déni particulièrement fréquent en France, qui répond bon an mal an à une nécessité : sans cadre juridique pour réguler ces pratiques, la moindre confirmation officielle de la France lui fait courir le risque d’une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, qui impose que toute ingérence des autorités dans la vie privée soit « prévue par la loi ».
C’est pourquoi je souhaite profiter de l’occasion qui m’est ici donnée pour alerter nos concitoyens sur l’état d’esprit ayant présidé à la rédaction de ce texte, qui s’inscrit dans une conception plus large de la société. L’ère du soupçon généralisé nous semble se profiler de plus en plus nettement.
Présente dans ce projet de loi, elle l’a été aussi lorsque, au cours de l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé un amendement visant à introduire dans le code du travail un article conférant aux agents de Pôle emploi un droit de communication portant sur de nombreuses données afférentes aux chômeurs, qu’il s’agisse de facturations détaillées, de données de connexion ou encore d’abonnements télévisuels. « Le ministre du travail s’est rendu compte que ça n’avait pas été suffisamment concerté », a tenté d’expliquer son entourage. Autrement dit, face au tollé provoqué par l’amendement, le Gouvernement a reculé.
Nous essayons de ne pas douter de la bonne foi du Gouvernement. Mais est-ce digne d’un gouvernement que d’armer les agents assermentés de Pôle emploi du pouvoir de « fliquer » les chômeurs, pardonnez-moi l’expression, afin de traquer d’éventuelles « brebis galeuses » qui perçoivent sans droit des prestations chômage ?
Le projet de loi de modernisation de notre système de santé est aussi empreint de cet état d’esprit. Ainsi, l’article 47 menace gravement la liberté d’informer. Toutes les informations recueillies dans les services hospitaliers devront passer par une commission avant d’être publiées, alors que l’ouverture des données du système de santé – statistiques anonymisées de l’assurance maladie et des hôpitaux – permet aux journalistes d’enquêter sur les dépassements d’honoraires, les inégalités d’accès aux soins, la qualité des soins et de traquer les éventuels dysfonctionnements du système.
Flicage d’un côté, médias muselés de l’autre : au sommet de ces mesures, passées inaperçues dans l’opinion publique, le projet de loi relatif au renseignement tend à officialiser la « société punitive » qu’entrevoyait Michel Foucault dans son cours au Collège de France de 1972-1973 : « C’est une société où le système de contrôle permanent des individus » est « une épreuve permanente, sans point final », « une enquête, mais avant tout délit, en dehors de tout crime. […] C’est une enquête de suspicion générale et a priori de l’individu, qui permet un contrôle et une pression de tous les instants, de suivre l’individu dans chacune de ses démarches, de voir s’il est régulier ou irrégulier, rangé ou dissipé, normal ou anormal. »
Nous ne disons pas que nous sommes dans ce système, mais tout concourt à ce que nous y entrions.
Le moment semble donc venu de nous interroger sur le modèle de société que nous souhaitons et, surtout, sur celui que nous ne voulons pas laisser à nos enfants. Or je crains que nous ne fassions tout pour satisfaire ceux qui sèment la terreur dans le monde. Il ne leur échappera pas que ce projet de loi conduira à un recul de notre démocratie. N’est-ce pas là leur donner raison ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
Le livre VIII du code de la sécurité intérieure, tel qu’il résulte de la présente loi, est complété par un titre IX ainsi rédigé :
« TITRE IX
« DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER
« CHAPITRE IER
« Dispositions particulières à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à La Réunion
« CHAPITRE II
« Dispositions particulières à Mayotte
« CHAPITRE III
« Dispositions particulières à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin
« CHAPITRE IV
« Dispositions particulières à Saint-Pierre-et-Miquelon
« CHAPITRE V
« Dispositions applicables en Polynésie française
« Art. L. 895-1. – Sont applicables en Polynésie française, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renseignement, les dispositions suivantes du présent livre VIII :
« 1° Les titres Ier à V bis ;
« 1° bis (Supprimé)
« 2° Au titre VI : l’article L. 861-1 ;
« 3° Au titre VII : les articles L. 871-1, L. 871-2, L. 871-4 et L. 871-6 ;
« 4° Le titre VIII.
« Art. L. 895-2 (nouveau). – Pour l’application des dispositions énumérées à l’article L. 895-1 :
« 1° À l’article L. 821-4, l’autorisation peut également être donnée sur proposition écrite et motivée du ministre chargé de l’outre-mer ;
« 2° À l’article L. 871-6 :
« a) Les mots : « des services ou organismes placés sous l’autorité ou la tutelle du ministre chargé des communications électroniques ou des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services de télécommunications » sont remplacés par les mots : « des organismes chargés de l’exploitation d’un service public de télécommunications » ;
« b) Les mots : « par des agents qualifiés de ces services, organismes, exploitants ou fournisseurs dans leurs installations respectives » sont remplacés par les mots : « par des agents qualifiés de ces organismes »
« CHAPITRE VI
« Dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie
« Art. L. 896-1. – Sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renseignement, les dispositions suivantes du présent livre VIII :
« 1° Les titres Ier à V bis ;
« 1° bis (Supprimé)
« 2° Au titre VI : l’article L. 861-1 ;
« 3° Au titre VII : les articles L. 871-1, L. 871-2, L. 871-4 et L. 871-6 ;
« 4° Le titre VIII.
« Art. L. 896-2 (nouveau). – Pour l’application des dispositions énumérées à l’article L. 896-1 :
« 1° À l’article L. 821-4, l’autorisation peut également être donnée sur proposition écrite et motivée du ministre chargé de l’outre-mer ;
« 2° À l’article L. 871-6 :
« a) Les mots : « des services ou organismes placés sous l’autorité ou la tutelle du ministre chargé des communications électroniques ou des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services de télécommunications » sont remplacés par les mots : « des organismes chargés de l’exploitation d’un service public de télécommunications » ;
« b) Les mots : « par des agents qualifiés de ces services, organismes, exploitants ou fournisseurs dans leurs installations respectives » sont remplacés par les mots : « par des agents qualifiés de ces organismes ».
« CHAPITRE VII
« Dispositions applicables à Wallis-et-Futuna
« Art. L. 897-1. – Sont applicables à Wallis-et-Futuna, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renseignement, les titres Ier à VIII du présent livre VIII.
« CHAPITRE VIII
« Dispositions applicables dans les Terres australes et antarctiques françaises
« Art. L. 898-1. – Sont applicables dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative au renseignement, les titres Ier à VIII du présent livre VIII, sous réserve des adaptations suivantes :
« 1° (Supprimé)
« 2° L’article L. 861-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 861-2. – Les exigences essentielles au sens du 12° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques et le secret des correspondances que doivent respecter les opérateurs ainsi que les membres de leur personnel ne sont opposables ni aux juridictions compétentes pour ordonner des interceptions en application de l’article 100 du code de procédure pénale, ni au ministre chargé des communications électroniques, dans l’exercice des prérogatives qui leur sont dévolues au présent titre. ;
« 3° À l’article L. 871-3, les mots : « Dans le cadre des attributions qui lui sont conférées par le livre II du code des postes et des communications électroniques, » sont supprimés ;
« 4° (Supprimé) »
M. le président. L'amendement n° 203, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. - Alinéas 17 et 30
Supprimer ces alinéas.
II. - Alinéas 18 et 31
Remplacer la référence :
et L. 871-6
par les références :
, L. 871-6 et L. 871-7
III. - Après l'alinéa 40
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 897-2. - Pour l'application des dispositions énumérées à l'article L. 897-1 :
« - À l'article L. 871-6 :
« a) Les mots : « des services ou organismes placés sous l'autorité ou la tutelle du ministre chargé des communications électroniques ou des exploitants de réseaux ou fournisseurs de services de télécommunications » sont remplacés par les mots : « des organismes chargés de l'exploitation d'un service public de télécommunications » ;
« b) Les mots : « par des agents qualifiés de ces services, organismes, exploitants ou fournisseurs dans leurs installations respectives » sont remplacés par les mots : « par des agents qualifiés de ces organismes ».
IV. - Alinéas 45 et 46
Remplacer la référence :
L. 861-2
par la référence :
L. 871-5
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 210, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 21 et 34
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les alinéas 21 et 34 prévoient que, pour l’application de la loi respectivement en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, l’autorisation de mise en œuvre des techniques de renseignement peut également être donnée par le Premier ministre, sur proposition écrite et motivée du ministre chargé des outre-mer. Le Gouvernement propose de les supprimer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission n’a pas délibéré sur cet amendement mais, à titre personnel, j’émets un avis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 8 bis
Les 6° et 7° de l’article L. 285-2, les 7° et 8° de l’article L. 286-2 et les 8° et 9° de l’article L. 287-2 du code de la sécurité intérieure sont abrogés. – (Adopté.)
Article 9
I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :
1° L’article L. 561-26 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) Au premier alinéa du III, après les mots : « personnes mentionnées », est insérée la référence : « au II bis du présent article et » ;
c) Après le II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Le service mentionné à l’article L. 561-23 peut demander à toute entreprise de transport routier, ferroviaire, maritime ou aérien ou à tout opérateur de voyage ou de séjour les éléments d’identification des personnes ayant payé ou bénéficié d’une prestation ainsi que les dates, les heures et les lieux de départ et d’arrivée de ces personnes et, s’il y a lieu, les éléments d’information en sa possession relatifs aux bagages et aux marchandises transportés. »
2° (nouveau) Au quatrième alinéa de l’article L. 561-29, après les mots « des faits », la fin de l’alinéa est ainsi rédigée : « qui concernent la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. »
II (nouveau). – Après l’article L. 1631-3 du code des transports, il est inséré un article L. 1631-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 1631-4. – Les entreprises de transport public routier de personnes sont tenues, à l’occasion de la fourniture d’un service régulier de transport routier international de voyageurs pour une distance à parcourir supérieure ou égale à 250 kilomètres, de recueillir l’identité des passagers transportés et de conserver cette information pendant une durée d’un an.
M. le président. L'amendement n° 108, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à supprimer l'obligation pour les opérateurs de transport routier de recueillir l’identité des passagers transportés et de conserver cette information pendant une durée d’un an.
Il n'y a pas lieu d'instaurer une obligation de fichage par les sociétés de transport routier. Par ailleurs, il apparaît incohérent d'instaurer une telle obligation dans le code monétaire et financier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Il convient, me semble-t-il, de maintenir les dispositions ayant été introduites dans le texte en vue d’améliorer l’efficacité des recherches en matière de renseignement de l’organisme Tracfin.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement, car ne sont concernés que les voyages de longue distance. De plus, la durée de conservation des informations est limitée à un an.
M. le président. Je mets aux voix l'article 9.
(L'article 9 est adopté.)
Article 9 bis
(Non modifié)
À l’article L. 574-1 du code monétaire et financier, la référence : « II » est remplacée par la référence : « III ». – (Adopté.)
Article 10
Le chapitre III du titre II du livre III du code pénal est complété par un article 323-8 ainsi rédigé :
« Art. 323-8. – Le présent chapitre n’est pas applicable aux mesures mises en œuvre, par les agents habilités des services de l’État désignés par arrêté du Premier ministre parmi les services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure, pour assurer hors du territoire national la protection des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3 du même code. »
M. le président. L'amendement n° 62, présenté par Mmes Demessine, Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Cet article vise à assurer une forme d’immunité pénale aux agents des services de renseignement lorsqu’ils agissent à l’étranger.
Nous avons déjà évoqué un sujet similaire lors de l’examen de l’article 3, au travers du dépôt d’un amendement sur lequel la commission et le Gouvernement avaient émis un avis défavorable. Comme je suppose que le sort de celui-ci sera identique et que je sais, par ailleurs, entendre les arguments avancés, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 62 est retiré.
Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Article 11
(Supprimé)
Article additionnel après l'article 11
M. le président. L’amendement n° 31 n’est pas soutenu.
Article 11 bis
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le 3° de l’article 74-2, sont insérés des 4° et 5° ainsi rédigés :
« 4° Personne inscrite au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes ayant manqué aux obligations prévues à l’article 706-25-7 ;
« 5° Personne inscrite au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes ayant manqué aux obligations prévues à l’article 706-53-5. » ;
1° bis (nouveau) L’article 230-19 est ainsi modifié :
a) Au 2°, après la référence : « 3° » est insérée la référence : « 7° » ;
b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« 15° Les personnes inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes pendant toute la durée de leurs obligations prévues à l’article 706-25-7 ;
« 16° Les personnes inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes dans les cas visés à l’article 706-53-8.
2° Après le troisième alinéa de l’article 706-16, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ces dispositions sont également applicables à la poursuite, à l’instruction et au jugement des infractions prévues à l’article 706-25-7 du présent code. » ;
3° Le titre XV du livre IV est complété par une section 3 ainsi rédigée :
« Section 3
« Du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes
« Art. 706-25-3. – Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes constitue une application automatisée d’informations nominatives tenue par le service du casier judiciaire national sous l’autorité du ministre de la justice et le contrôle d’un magistrat. Afin de prévenir le renouvellement des infractions mentionnées à l’article 706-25-4 et de faciliter l’identification de leurs auteurs, ce traitement reçoit, conserve et communique aux personnes habilitées les informations prévues au même article, selon les modalités prévues à la présente section.
« Art. 706-25-4. – Lorsqu’elles concernent une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles mentionnées à l’article 421-2-5 du même code, ainsi que les infractions mentionnées à l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure, sont enregistrées dans le fichier les informations relatives à l’identité ainsi que l’adresse ou les adresses successives du domicile et, le cas échéant, des résidences des personnes ayant fait l’objet :
« 1° D’une condamnation, même non encore définitive, y compris d’une condamnation par défaut ou d’une déclaration de culpabilité assortie d’une dispense ou d’un ajournement de la peine ;
« 2° D’une décision, même non encore définitive, prononcée en application des articles 8, 15, 15-1, 16, 16 bis et 28 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ;
« 3° D’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ;
« 4° D’une décision de même nature que celles mentionnées aux 1° à 3° prononcées par les juridictions ou les autorités judiciaires étrangères qui, en application d’une convention internationale ou d’un accord international, ont fait l’objet d’un avis aux autorités françaises ou ont été exécutées en France à la suite du transfèrement des personnes condamnées ;
« 5° D’une mise en examen lorsque le juge d’instruction a ordonné l’inscription de la décision dans le fichier.
« Le fichier comprend aussi les informations relatives à la décision judiciaire ayant justifié l’inscription et la nature de l’infraction. Les décisions mentionnées aux 1° et 2° sont enregistrées dès leur prononcé.
« Les décisions visées aux 1° et 2° sont inscrites dans le fichier, sauf décision contraire spécialement motivée de la juridiction ou, dans les cas prévus aux 3° et 4° du présent article, du procureur de la République.
« Lorsqu’elles concernent les infractions mentionnées à l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure, les informations ne sont enregistrées que sur décision expresse de la juridiction ayant prononcé la condamnation.
« Les décisions concernant des mineurs de moins de treize ans ne sont pas inscrites dans le fichier. Les décisions concernant des mineurs de treize à dix-huit ans ne sont pas inscrites dans le fichier, sauf si cette inscription est ordonnée par décision expresse de la juridiction ou, dans les cas prévus aux 3° et 4° du présent article, du procureur de la République.
« Art. 706-25-5. – Le procureur de la République compétent fait procéder sans délai à l’enregistrement des informations devant figurer dans le fichier par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique sécurisé. Ces informations ne sont toutefois accessibles, en cas de consultation du fichier, qu’après vérification, lorsqu’elle est possible, de l’identité de la personne concernée, faite par le service gestionnaire du fichier au vu du répertoire national d’identification.
« Lorsqu’ils ont connaissance de la nouvelle adresse d’une personne dont l’identité est enregistrée dans le fichier, lorsqu’ils reçoivent la justification de l’adresse d’une telle personne, ainsi que lorsqu’ils sont informés d’un déplacement à l’étranger, les officiers de police judiciaire, les services du ministre des affaires étrangères ou le service gestionnaire, selon les hypothèses prévues à l’article 706-25-7, enregistrent sans délai cette information dans le fichier par l’intermédiaire d’un moyen de communication électronique sécurisé.
« Art. 706-25-6. – Sans préjudice de l’application des articles 706-25-11 et 706-25-12, les informations mentionnées à l’article 706-25-4 concernant une même personne sont retirées du fichier au décès de l’intéressé ou à l’expiration, à compter du prononcé de la décision prévue au même article, d’un délai de :
« 1° Vingt ans s’il s’agit d’un majeur ;
« 2° Dix ans s’il s’agit d’un mineur.
« Lorsqu’elles concernent une infraction mentionnée à l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure, les informations mentionnées à l’article 706-25-4 du présent code concernant une même personne sont retirées du fichier au décès de l’intéressé ou à l’expiration, à compter du prononcé de la décision, d’un délai de :
« a) Cinq ans s’il s’agit d’un majeur ;
« b) Trois ans s’il s’agit d’un mineur.
« Lorsque la personne fait l’objet d’un mandat de dépôt ou d’un maintien en détention dans le cadre de la condamnation entraînant l’inscription, ces délais ne commencent à courir qu’à compter de sa libération.
« L’amnistie ou la réhabilitation ainsi que les règles propres à l’effacement des condamnations figurant au casier judiciaire n’entraînent pas l’effacement de ces informations.
« Ces informations ne peuvent, à elles seules, servir de preuve à la constatation de l’état de récidive.
« Les mentions prévues aux 1°, 2° et 5° de l’article 706-25-4 sont retirées du fichier en cas de décision définitive de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.
« Les mentions prévues au même 5° peuvent également être retirées sur décision du juge d’instruction.
« Art. 706-25-7. – Toute personne dont l’identité est enregistrée dans le fichier est astreinte, à titre de mesure de sûreté, aux obligations prévues au présent article.
« La personne est tenue :
« 1° De justifier de son adresse, une première fois après avoir reçu l’information des mesures et des obligations mentionnées au deuxième alinéa de l’article 706-25-8, puis tous les trois mois ;
« 2° De déclarer ses changements d’adresse, dans un délai de quinze jours au plus tard après ce changement ;
« 3° De déclarer tout déplacement à l’étranger quinze jours au plus tard avant ledit déplacement ;
« 4° Si la personne réside à l’étranger, de déclarer tout déplacement en France quinze jours au plus tard avant ledit déplacement.
« Si la personne réside en France, elle doit se présenter personnellement au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie dont dépend son domicile.
« Si une personne de nationalité française réside à l’étranger, elle doit se présenter personnellement au consulat de France ou à la section consulaire de l’ambassade de France le plus proche de son domicile.
« Si une personne de nationalité étrangère réside à l’étranger, elle doit adresser ses justificatifs par lettre recommandée avec demande d’avis de réception auprès du service gestionnaire.
« Les obligations de justification et de présentation prévues au présent article cessent de s’appliquer pendant le temps où la personne est incarcérée sur le territoire national.
« Toute personne inscrite au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes est enregistrée au fichier des personnes recherchées pendant toute la durée de ses obligations.
« La personne est astreinte aux obligations de justification et de présentation prévues au présent article, à compter du prononcé de la décision prévue à l’article 706-25-4, pendant un délai de :
« a) Dix ans s’il s’agit d’un majeur ;
« b) Cinq ans s’il s’agit d’un mineur.
« La personne condamnée pour une infraction mentionnée à l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure est astreinte aux obligations de justification et de présentation prévues au présent article, à compter du prononcé de la décision prévue à l’article 706-25-4, pendant un délai de :
« - cinq ans s’il s’agit d’un majeur ;
« - trois ans s’il s’agit d’un mineur.
« Lorsque la personne fait l’objet d’un mandat de dépôt ou d’un maintien en détention dans le cadre de la condamnation entraînant l’inscription, ces délais ne commencent à courir qu’à compter de sa libération.
« Le fait pour les personnes tenues aux obligations prévues au présent article de ne pas respecter ces obligations est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« La tentative de déplacement à l’étranger sans avoir procédé à la déclaration prévue au 3° du présent article est punie des mêmes peines.
« Le non-respect, par les personnes résidant à l’étranger, des obligations prévues au présent article est puni des mêmes peines.
« Art. 706-25-8. – Toute personne dont l’identité est enregistrée dans le fichier en est informée par l’autorité judiciaire soit par notification à personne, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée à la dernière adresse déclarée, soit, à défaut, par le recours à la force publique par l’officier de police judiciaire, avec l’autorisation préalable du procureur de la République.
« Elle est alors informée des mesures et des obligations auxquelles elle est astreinte en application de l’article 706-25-7 et des peines encourues en cas de non-respect de ces obligations.
« Lorsque la personne est détenue au titre de la condamnation justifiant son inscription au fichier et qu’elle n’a pas encore reçu l’information mentionnée au premier alinéa du présent article, les informations prévues au même article lui sont données au moment de sa libération définitive ou préalablement à la première mesure d’aménagement de sa peine.
« Art. 706-25-9. – Les informations contenues dans le fichier sont directement accessibles, par l’intermédiaire d’un système de communication électronique sécurisé :
« 1° Aux autorités judiciaires ;
« 2° Aux officiers de police judiciaire, dans le cadre de procédures concernant une des infractions prévues aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, et pour l’exercice des diligences prévues aux articles 706-25-7, 706-25-8 et 706-25-10 du présent code. Les officiers de police judiciaire peuvent également, sur instruction du procureur de la République ou du juge d’instruction ou avec l’autorisation de l’un de ces magistrats, consulter le fichier dans le cadre d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire ou en exécution d’une commission rogatoire ;
« 3° Aux préfets et aux administrations de l’État dont la liste est fixée par le décret prévu à l’article 706-25-14, pour les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation ;
« 4° Aux agents des greffes pénitentiaires habilités par les chefs d’établissement, pour vérifier que la personne a fait l’objet de l’information mentionnée à l’article 706-25-8 et pour enregistrer les dates de mise sous écrou et de libération ainsi que l’adresse du domicile déclaré par la personne libérée, ainsi qu’aux agents individuellement désignés et habilités du bureau du renseignement pénitentiaire de la direction de l’administration pénitentiaire ;
« 5° Aux agents individuellement désignés et habilités des services mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure et des services désignés par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 du même code pour la seule finalité de prévention du terrorisme ;
« 6° Aux agents du ministère des affaires étrangères habilités pour l’exercice des diligences de l’article 706-25-7 du présent code.
« Les autorités et personnes mentionnées aux 1°, 2°, 4°, 5° et 6° du présent article peuvent interroger le fichier à partir d’un ou de plusieurs critères fixés par le décret prévu à l’article 706-25-14, et notamment à partir de l’identité d’une personne, de ses adresses successives ou de la nature des infractions.
« Les personnes mentionnées au 3° du présent article ne peuvent consulter le fichier qu’à partir de l’identité de la personne concernée par la décision administrative.
« Les exécutifs des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales sont également destinataires, par l’intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier, pour les décisions administratives mentionnées au 3°.
« À l’issue des délais prévus à l’article 706-25-7, les informations contenues dans le fichier sont uniquement consultables par le service gestionnaire du fichier, les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaire mentionnés au 2° du présent article et les agents individuellement désignés et habilités des services mentionnés au 5° du même article.
« Art. 706-25-10. – Selon des modalités précisées par le décret prévu à l’article 706-25-14, le gestionnaire du fichier avise directement le ministère de l’intérieur, qui transmet sans délai l’information aux services compétents, en cas de nouvelle inscription, de modification d’adresse concernant une inscription, d’information sur un départ à l’étranger, d’un déplacement en France ou lorsque la personne n’a pas apporté la justification de son adresse dans les délais requis. Il avise directement le service gestionnaire du fichier des personnes recherchées des effacements auxquels il a procédé en application des articles 706-25-6 et 706-25-12.
« S’il apparaît que la personne ne se trouve plus à l’adresse indiquée, l’officier de police judiciaire en informe le procureur de la République, qui l’inscrit sans délai au fichier des personnes recherchées.
« Les services de police ou de gendarmerie peuvent procéder à toutes vérifications utiles et toutes réquisitions auprès des administrations publiques pour vérifier ou retrouver l’adresse de la personne.
« Art. 706-25-11. – Toute personne justifiant de son identité obtient, sur demande adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel elle réside, communication de l’intégralité des informations la concernant figurant dans le fichier.
« Les troisième à cinquième alinéas de l’article 777-2 sont alors applicables.
« Art. 706-25-12. – Toute personne dont l’identité est inscrite dans le fichier peut demander au procureur de la République de rectifier ou d’ordonner l’effacement des informations la concernant si les informations ne sont pas exactes ou si leur conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier, au regard de la nature de l’infraction, de l’âge de la personne lors de sa commission, du temps écoulé depuis lors et de la personnalité actuelle de l’intéressé.
« La même demande peut être faite au juge d’instruction lorsque l’inscription a été prise sur le fondement du 5° de l’article 706-25-4.
« La demande d’effacement est irrecevable tant que les mentions sont relatives à une procédure judiciaire en cours, sauf dans l’hypothèse d’une inscription sur le fondement du même 5°.
« Si le procureur de la République ou le juge d’instruction n’ordonne pas la rectification ou l’effacement, la personne peut saisir à cette fin le juge des libertés et de la détention, dont la décision peut être contestée devant le président de la chambre de l’instruction.
« Avant de statuer sur la demande de rectification ou d’effacement, le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention, le juge d’instruction et le président de la chambre de l’instruction peuvent faire procéder à toutes les vérifications qu’ils estiment nécessaires.
« Art. 706-25-13. – Aucun rapprochement ni aucune connexion, au sens de l’article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, ne peuvent être effectués entre le fichier prévu à la présente section et tout autre fichier ou recueil de données nominatives détenu par une personne quelconque ou par un service de l’État ne dépendant pas du ministère de la justice, à l’exception du fichier des personnes recherchées pour l’exercice des diligences prévues à la présente section.
« Aucun fichier ou recueil de données nominatives détenu par une personne quelconque ou par un service de l’État ne dépendant pas du ministère de la justice ne peut mentionner, hors les cas et dans les conditions prévus par la loi, les informations figurant dans le fichier.
« Toute infraction aux dispositions des premier et deuxième alinéas du présent article est punie des peines encourues pour le délit prévu à l’article 226-21 du code pénal.
« Art. 706-25-14. – Les modalités d’application de la présente section sont déterminées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret précise les conditions dans lesquelles le fichier conserve la trace des interrogations et des consultations dont il fait l’objet. »
II. – A. – Les articles 706-25-3 à 706-25-14 du code de procédure pénale relatifs au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes sont applicables aux auteurs d’infractions commises avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi, mais ayant fait l’objet, après cette date, d’une des décisions prévues à l’article 706-25-4 du même code.
Elles sont également applicables aux personnes exécutant, à la date d’entrée en vigueur de la loi, une peine privative de liberté.
B. – Les mentions figurant au casier judiciaire à la date d’entrée en vigueur de la présente loi et concernant des personnes condamnées pour des faits de nature terroriste relevant de l’article 706-25-4 dudit code sont inscrites dans le fichier si les délais fixés par l’article 706-25-6 du même code ne sont pas écoulés.
Il est procédé, par les services de la police ou de la gendarmerie nationales, à la demande du magistrat contrôlant le fichier, aux recherches nécessaires pour déterminer l’adresse de ces personnes et les inscrire au fichier et, le cas échéant, pour leur notifier qu’elles sont tenues aux obligations prévues à l’article 706-25-7 du même code.
Les recherches prévues au deuxième alinéa du présent B peuvent se faire par des traitements automatisés rapprochant l’identité de ces personnes avec les informations figurant dans les fichiers prévues à l’article L. 115-2 du code de la sécurité sociale, à l’article 1649 A du code général des impôts et aux articles 230-6 et 230-19 du code de procédure pénale. Ces traitements ne sont autorisés que pendant une période de trente-six mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.
La divulgation de l’identité des personnes dont l’adresse est recherchée en application des deuxième et troisième alinéas du présent B est punie des peines prévues à l’article 226-22 du code pénal.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Cet article crée un nouveau fichier, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes ou FIJAIT, qui a pour but de prévenir la récidive des infractions terroristes et de faciliter la recherche d’auteurs d’infractions en lien avec le terrorisme.
Ce fichier est certes distinct du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV, mais il est, en réalité, presque calqué sur celui-ci. J’en veux pour preuve que leurs champs d’application sont presque identiques.
Ce nouveau fichier vise donc à imposer à l’ensemble des personnes condamnées et mises en examen sur décision d’un juge d’instruction de déclarer leur adresse tous les trois mois, ainsi que tout départ à l’étranger pendant cinq à dix ans, tout cela sous peine de sanction pénale. Les données ainsi recueillies pourraient même être conservées pendant une durée encore plus longue.
Or il faut rappeler que les personnes condamnées pour des faits de terrorisme sont déjà fichées ! Elles le sont, en effet, à la fois dans le « traitement d’antécédents judiciaires », le « TAJ », pour lequel la durée de conservation des données est plus longue, et dans le fichier de « centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux », dit « fichier CRISTINA ».
De la même façon, les personnes qui sortent de prison ou celles qui sont condamnées pour des faits de terrorisme font déjà l’objet d’une surveillance spécifique de la part des services de renseignement. Quel sera donc l’apport de ce nouveau fichier pour les services compétents en matière de terrorisme ? N’aura-t-il d’autre effet que d’obliger les individus concernés à déclarer leur adresse ?
Comme le montre l’expérience du fichier des infractions sexuelles, les mesures relatives au FIJAIT risquent, en revanche, d’avoir rapidement des effets disproportionnés par rapport à l’objectif recherché. Je pense, en particulier, aux personnes les plus fragiles au niveau psychologique ou social, qui auraient véritablement cessé tout contact ou toute activité terroriste et sur lesquelles pèsera une pression très lourde.
Il me semble, d’ailleurs, nécessaire de supprimer dans cet article la référence à l’« irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », car il est injustifié d’assimiler une personne atteinte d'une maladie psychique à un terroriste en puissance.
A contrario, les terroristes chevronnés et toujours impliqués dans des activités dangereuses trouveront aisément le moyen de contourner cette obligation. En effet, de même qu’il existe de vrais faux papiers, ils trouveront assurément les moyens de déclarer une vraie fausse adresse et d’organiser clandestinement leur sortie du territoire. Tout cela risque donc de conduire à une pénalisation aggravée des actes commis par ceux qui auraient rompu avec les réseaux et que la loi soumettrait à des obligations importantes et de nature à les stigmatiser, sans effet réel sur la prévention du terrorisme.
Bien sûr, quelques aménagements à la marge, quoique non négligeables, pourraient être apportés à ce dispositif.
Compte tenu de l’importance des contraintes qui peuvent peser sur les personnes inscrites dans le FIJAIT, il serait intéressant, par exemple, que seul le procureur de la République puisse d’office demander l’effacement ou la rectification des données. On pourrait également limiter l’accès aux informations contenues dans ce fichier aux seuls maires et présidents des collectivités, en lieu et place des exécutifs dans leur ensemble, et inscrire dans la loi que la communication de l’intégralité des informations concernant la personne condamnée et figurant dans le fichier doit intervenir dans un délai de deux mois.
Toutefois, à nos yeux, ce nouveau fichier constitue, pour l’essentiel, une réponse inadaptée et illusoire dans le cadre de la prévention du terrorisme. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 11 bis.
M. le président. L'amendement n° 63, présenté par Mmes Cukierman, Demessine et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Ce sujet est, en effet, très important. Il existe déjà un fichier des auteurs de violences sexuelles, qui a été élargi aux auteurs d’autres violences, le FIJAISV.
Le fichier des personnes condamnées pour actes de terrorisme, le FIJAIT, vise, quant à lui, à assujettir ces personnes à des mesures de sûreté qui les obligent à se présenter régulièrement dans les commissariats de police ou les gendarmeries, pour que ceux-ci puissent les localiser, suivre l’évolution de leurs activités et s’assurer qu’ils ne présentent pas un risque de récidive trop évident.
Évidemment, l’intérêt du FIJAIT est d’être le plus complet possible. Or il existe deux types de situations différents. Il faut, en effet, distinguer les personnes condamnées pour actes de terrorisme avant l’entrée en vigueur de la future loi – qui ne saurait être une loi rétroactive – de celles qui seront condamnées après son entrée en vigueur.
Pour les personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la loi que nous examinons, le projet de loi issu des travaux de l’Assemblée nationale prévoit l’automaticité de l’inscription au FIJAIT : cette inscription ne résulte donc ni de la décision d’un juge ni de l’appréciation au cas par cas de l’opportunité de soumettre ces personnes à une mesure de sûreté.
Pour les futurs condamnés, en revanche, le même texte prévoyait la faculté pour le juge de prononcer cette mesure de sûreté. À ce stade, je tiens à signaler qu’une mesure de sûreté n’est en aucun cas une peine. C’est simplement une disposition prise pour prévenir la participation des personnes condamnées à de nouveaux actes de terrorisme.
Dans le texte qui était soumis à notre assemblée, il existait, par conséquent, une discordance assez inégalitaire ou injuste entre les personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la loi et celles qui le seraient après celle-ci.
Il nous a semblé, par analogie avec ce qui existe déjà pour le FIJAISV, qu’il était préférable que la mesure de sûreté – celle-ci, j’insiste sur ce point, est non pas une mesure de sanction, mais bien une mesure de surveillance –, ne soit pas non plus prononcée par le juge lorsque la personne est condamnée après l’entrée en vigueur de la loi. Ainsi, la commission assure un traitement égal de tous les condamnés, anciens comme futurs, ce principe d’égalité étant naturellement un principe qui nous tient à cœur.
Pour tempérer cette règle qui peut paraître sévère, le procureur de la République, saisi par la personne mise sous surveillance, a naturellement la possibilité de lever la mesure de sureté, quelle que soit désormais la date de la condamnation.
En outre, j’insiste sur le fait que la mesure de sûreté n’est applicable qu’à un certain nombre d’années. Vous pouvez vous référer au texte pour en savoir plus, car le schéma, qui est un peu complexe, a le mérite d’être précis.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émettra un avis défavorable non seulement sur l’amendement n° 63, mais aussi sur les amendements suivants. Parmi ces derniers, je serai ainsi défavorable à l’amendement n° 164 rectifié qui tend à prévoir que le juge ordonne une mesure de sûreté pour les nouveaux condamnés, tandis que ce serait au législateur et non au juge d’imposer, en quelque sorte, cette mesure aux anciens condamnés.
Je serai également défavorable à l’amendement n° 163 rectifié, qui vise les condamnés qui ont été exonérés de leur responsabilité pénale. En effet, la mesure de sûreté étant non pas une peine, mais une mesure de surveillance, il nous a semblé que l’exonération de responsabilité pénale ne devait pas conduire à renoncer à la surveillance qui sera appliquée à toute personne inscrite dans le FIJAIT. Il ne nous paraît pas indispensable de savoir si ladite personne était en pleine possession de ses moyens psychiques, mentaux et intellectuels au moment du crime.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S’agissant de l’amendement n° 63, je nuancerai tout d’abord l’analogie réalisée par Mme Assassi entre le nouveau fichier, le FIJAIT, et le fichier des auteurs d'infractions sexuelles, le FIJAISV, parce que les conditions d’inscription et les délais s’appliquant ne sont pas les mêmes et ne sont même pas comparables.
Ensuite, Mme Assassi a évoqué son intérêt pour l’amendement n° 111, qui tend à prévoir que seul le procureur de la République peut demander l’effacement de l’inscription. Au contraire, nous pensons que les intéressés eux-mêmes doivent pouvoir réaliser cette démarche. Il existe donc un point de désaccord entre nous à ce sujet.
Madame Assassi, vous faites également référence à deux fichiers, les fichiers TAJ et CRISTINA, ce qui suppose que vous admettez bien la nécessité du FIJAIT.
Mme Éliane Assassi. Non, j’évoque ces fichiers simplement parce que je sais qu’ils existent !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si vous faites référence à d’autres fichiers que le FIJAIT, cela signifie que vous admettez la nécessité de l’inscription des condamnés.
Mme Éliane Assassi. Mais non, voyons ! Vous savez bien que je suis opposé à la création de ce nouveau fichier !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardon si je l’interprète ainsi, madame Assassi, mais je pense que l’on ne nie pas absolument la nécessité d’un tel fichier, lorsque l’on défend l’argument – ce que je crois avoir entendu – selon lequel les fichiers TAJ et CRISTINA suffisent déjà au suivi des condamnés.
Je précise, à cet égard, que ce n’est d’ailleurs pas le cas de ces deux fichiers, puisqu’ils ne contiennent pas d’obligations. En revanche, figure bien dans le FIJAIT l’obligation pour le condamné de signaler ses déplacements et ses éventuels changements d’adresse. Tous ces fichiers n’ont donc pas la même destination.
En réalité, le FIJAIT a été conçu pour répondre à la nécessité d’identifier et de localiser des personnes qui ont fait l’objet de condamnations pour actes terroristes. En effet, il s’est trouvé, notamment au cours des attentats de janvier 2015, que des personnes qui avaient fait précédemment l’objet de condamnations pour actes terroristes ou association de malfaiteurs n’ont pas pu être identifiées en raison de l’absence de suivi de leur adresse. Ce fichier satisfait donc la nécessité de cette surveillance.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émettra un avis défavorable sur l’amendement n° 63.
M. le président. L'amendement n° 163 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. L’alinéa 19 de l’article 11 bis, que le présent amendement vise à supprimer, mentionne parmi les personnes qui pourront être inscrites au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes, le FIJAIT, celles ayant fait l’objet « d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».
Sans ignorer qu’une disposition similaire est en vigueur s’agissant des inscriptions au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAIS, j’estime, comme certainement nombre d’entre vous, mes chers collègues, qu’il serait très contestable d’assimiler les personnes atteintes de maladies ou de troubles psychiques à des terroristes en puissance. Les familles de ces personnes, qui sont des malades, ainsi que les associations qui les défendent sont extrêmement sensibles à ce point.
J’écouterai avec d’autant plus d’attention les explications de Mme la garde des sceaux – M. le rapporteur s’étant exprimé par anticipation – que l’alinéa 16 du même article instaure dans le code de procédure pénale un article 706-25-4 ainsi rédigé : « Lorsqu’elles concernent une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles mentionnées à l’article 421-2-5 du même code, ainsi que les infractions mentionnées à l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure, sont enregistrées dans le fichier les informations relatives à l’identité ainsi que l’adresse ou les adresses successives du domicile et, le cas échéant, des résidences des personnes ayant fait l’objet » de plusieurs décisions, parmi lesquelles une « décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».
Madame la garde des sceaux, je me demande si ces dispositions ne visent pas, sans qu’il soit nécessaire de les mentionner de façon particulière, les personnes qui, tout en étant atteintes d’une maladie psychique, ont été condamnées sur le fondement des articles mentionnés à l’alinéa 16. Si tel était le cas, le maintien de l’alinéa 19 serait superflu. Si l’on estime qu’il est nécessaire, il faut nous en expliquer la raison de manière très précise, afin de prévenir les faux procès.
M. le président. La commission a déjà fait connaître qu’elle était défavorable à cet amendement.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons déjà débattu de ce point, monsieur le sénateur. Lorsque cette question avait été abordée dans la discussion du projet de loi dont est issue la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, le Sénat avait pris l’initiative d’inverser le principe applicable en matière de sévérité de la peine, considérant que les troubles psychiques ou psychologiques devaient être des facteurs de réduction plutôt que d’aggravation des peines, à rebours de ce qui s’était passé au cours des années précédentes.
Les résultats de cette mesure sont d’ailleurs tangibles ; vous savez que nos établissements pénitentiaires accueillent un nombre élevé de personnes présentant des troubles psychiques.
Monsieur Sueur, j’entends votre préoccupation en ce qui concerne l’inscription de ces personnes au FIJAIT. Je vous rappelle simplement que, lorsqu’une décision d’irresponsabilité pénale est prononcée, la personne qui en fait l’objet est inscrite dans les autres fichiers. Le FIJAIT est un fichier de surveillance, de sûreté ; il n’induit pas une peine, mais permettra de retrouver facilement une personne qui a déjà commis des actes terroristes.
Certaines personnes atteintes de troubles psychiques devront faire l’objet de décisions de soins, y compris, le cas échéant, d’une hospitalisation sous contrainte. Les juridictions prendront les mesures qui conviennent en la matière et l’hôpital en répondra.
Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 163 rectifié : s’il était adopté, le FIJAIT serait le seul fichier dans lequel ne seraient pas inscrites les personnes ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale, qui sont inscrites au fichier automatisé des empreintes digitales, au fichier national des empreintes génétiques et au traitement d’antécédents judiciaires. Il n’en reste pas moins que la question des troubles psychiques reste vive et que nous devons la traiter.
Permettez-moi, monsieur le président, de répondre d’un mot à Mme Assassi en ce qui concerne la comparaison qu’elle a établie entre le FIJAIT et le FIJAIS. Je vous signale, madame la sénatrice, que la durée de conservation des informations, qui peut atteindre soixante-dix ans dans le FIJAIS compte tenu des délais de conservation dans le casier judiciaire, est limitée à dix ans pour les adultes et à cinq ans pour les mineurs dans le FIJAIT. Voilà une raison pour laquelle votre comparaison ne se justifie pas, comme je vous l’ai fait observer.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Compte tenu des explications qui nous ont été fournies par M. le rapporteur tout à l’heure et par Mme la garde des sceaux à l’instant, je vais retirer l’amendement n° 163 rectifié, étant entendu que le débat est éclairé par les propos qui ont été tenus sur l’ensemble des décisions relatives à l’irresponsabilité pénale : il sera injustifié de voir dans l’alinéa 19 de l’article 11 bis une quelconque stigmatisation des personnes victimes de troubles mentaux.
M. Jean-Jacques Hyest. On ne va pas réécrire à tout moment le code de procédure pénale !
M. Jean-Pierre Sueur. Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 163 rectifié est retiré.
L'amendement n° 164 rectifié, présenté par MM. Sueur, Delebarre, Boutant, Reiner et Gorce, Mmes S. Robert et Jourda, MM. Bigot, Raynal, Duran, Desplan et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 23
Remplacer les mots :
, sauf décision contraire spécialement motivée de la juridiction
par les mots :
sur décision de la juridiction
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement qui, lui, ne sera pas retiré, car nous y tenons, vise à rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale pour l’alinéa 23 de l’article 11 bis, qui est l’une des dispositions du nouvel article 706-25-4 du code de procédure pénale, relatif aux conditions d’inscription dans le FIJAIT.
Sur l’initiative de notre rapporteur, M. Philippe Bas, la commission des lois a renversé le principe du dispositif adopté par l’Assemblée nationale, en prévoyant une inscription automatique dans ce fichier, exception faite des infractions à l’interdiction de sortie du territoire et sauf décision contraire de la juridiction ou du procureur de la République.
Les auteurs de cet amendement proposent de restaurer le principe initial selon lequel l’inscription d’une personne nécessite une décision expresse de la juridiction ou du procureur de la République, d’autant que les condamnations peuvent ne pas être définitives.
Tout à l’heure, M. Bas a expliqué qu’il y avait un stock et un flux – pardonnez-moi d’employer ces mots pour parler de décisions visant des êtres humains. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)
Or s’il est réaliste et raisonnable de considérer que l’inscription doit être automatique en ce qui concerne le stock de décisions ayant été prises avant la promulgation de la loi, est-il illégitime de penser que, après la promulgation de la loi, cette inscription devra résulter d’une décision positive de la juridiction ?
Nous pensons que non, et qu’il n’y a pas lieu d’y voir une inégalité : il s’agit, d’une part, de gérer une situation existante, et, d’autre part, de mettre en œuvre un nouveau dispositif, qui prospérera tandis que diminuera le nombre des personnes inscrites dans le fichier au titre des décisions acquises au moment de la promulgation de la loi. Au fond, ce type de questions se pose à chaque fois qu’une disposition nouvelle est instaurée.
M. le président. La commission a déjà fait connaître qu’elle était défavorable à cet amendement.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le présent amendement vise à rétablir le dispositif adopté par l’Assemblée nationale sur l’initiative de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la commission des lois.
Le Gouvernement avait émis un avis favorable sur l’amendement de M. Le Bouillonnec, tout en étant conscient de la difficulté que M. le rapporteur a exposée il y a quelques instants, liée à la différence de traitement entre celles et ceux qui seraient inscrits sur le fichier de façon automatique, parce qu’ils ont été condamnés préalablement à sa création, et celles et ceux dont l’inscription au fichier résulterait de la décision explicite d’une juridiction.
M. le rapporteur a très clairement expliqué la logique qui est entamée par cette différence de traitement. Une autre logique peut se concevoir, consistant à soumettre à une décision précédée d’un examen la situation des personnes condamnées antérieurement à la création du fichier, de sorte que l’inégalité de traitement disparaîtrait. Cette idée ne serait pas extravagante, mais elle mériterait d’être étudiée plus sérieusement avant d’être peut-être retenue ; je puis déjà vous indiquer que 1 700 personnes environ seraient potentiellement concernées.
Le Gouvernement serait cohérent avec la position qu’il a prise à l’Assemblée nationale en se déclarant favorable à l’amendement n° 164 rectifié. Toutefois, le débat n’est pas mûr et la réflexion mérite d’être approfondie. Et comme il ne serait pas responsable d’introduire une différence de traitement sans en tirer les conséquences, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est presque minuit. Comme il nous reste dix-sept amendements à examiner, je vous propose de prolonger nos travaux jusqu’à la fin de la discussion du projet de loi.
Il n’y a pas d’opposition?...
Il en est ainsi décidé.
Je mets aux voix l'amendement n° 164 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 199 :
Nombre de votants | 326 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à zéro heure cinq, est reprise à zéro heure dix.)
M. le président. La séance est reprise.
L'amendement n° 109, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 46 et 47
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Si une personne réside à l’étranger, elle doit adresser les justificatifs prévus au 1°, 2° et 4° par lettre recommandée avec accusé de réception auprès du service gestionnaire. Elle n'est pas astreinte à l'obligation prévue au 3°.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Pour les Français résidant à l’étranger, le système de déclaration au consulat peut être extrêmement lourd au regard du faible nombre de sections consulaires dans certains pays, puisqu’ils doivent justifier leur adresse tous les trois mois.
C’est pourquoi il est proposé ici d’aligner la situation des Français sur celle des étrangers ; c’est d’ailleurs celle qui est prévue pour le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV.
En outre, il apparaît inutile d’astreindre les personnes résidant à l’étranger et voulant se déplacer dans un autre pays étranger à déclarer ces informations à l’autorité française, surtout si elles sont étrangères.
Il devrait être possible de déclarer les déplacements à l’étranger par courriel sécurisé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Benbassa, les dispositions de votre amendement ont attiré mon attention d’une part, sur la distorsion de traitement entre les Français résidant à l’étranger et les personnes de nationalité étrangère, et, d’autre part, sur les problèmes de distances et de modalités pratiques auxquels sont confrontés les Français résidant à l’étranger qui tentent de satisfaire les obligations prévues par l’article 11 bis.
Le Gouvernement est néanmoins défavorable à votre proposition, dans la mesure où elle nécessite une évaluation plus précise. Je le dis délibérément, pour que cela soit inscrit au Journal officiel : nous allons voir quelles dispositions prendre pour y remédier avant la commission mixte paritaire, l’objectif étant de résoudre les inégalités de traitement, tout en prenant en compte les contraintes géographiques et physiques de ces personnes résidant à l’étranger, afin de rendre possible l’exécution des obligations prévues.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Tout d’abord, je remercie Mme Esther Benbassa d’avoir déposé cet amendement, dont les dispositions ont attiré notre attention sur cette différence de traitement. Je remercie également Mme la garde des sceaux de sa réponse si cet amendement ne devait finalement pas être adopté.
Monsieur le rapporteur, en tant que membre éminent de la commission mixte paritaire, je vous demande de trouver une solution pour faire évoluer cette situation, afin qu’il n’y ait pas de différence entre un étranger et un Français qui serait soumis aux mêmes obligations.
Il faut savoir que, dans plusieurs grands pays, la distance moyenne entre la résidence d’un Français et le consulat se chiffre à des centaines de kilomètres, voire à mille ou trois mille kilomètres pour les plus grands États. Par conséquent, il est absolument indispensable de trouver une solution pour éviter cette différence de traitement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Je donne acte à Mme Benbassa et à M. Leconte d’avoir soulevé ce problème, qui est bien réel. J’espère en effet que nous pourrons trouver une solution dans le cadre de la commission mixte paritaire.
M. le président. L'amendement n° 204, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 65, première phrase
Après les mots :
code pénal
insérer les mots :
ou à l'article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement de coordination vise à permettre aux officiers de police judiciaire de consulter le fichier des auteurs d'infractions terroristes dans le cadre des enquêtes qu'ils mènent sur les infractions aux dispositions relatives à l'interdiction administrative de sortie du territoire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 73 rectifié n’est pas soutenu.
L'amendement n° 214, présenté par M. Bas, est ainsi libellé :
I Alinéa 72
Rédiger ainsi cet alinéa :
Les maires et les présidents des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales sont également destinataires, par l’intermédiaire des représentants de l'État dans le département, des informations contenues dans le fichier pour les décisions administratives mentionnées au 3°.
II Alinéa 66
Remplacer le mot :
préfets
par les mots :
représentants de l'État dans le département
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. J’ai souhaité reprendre dans ses grandes lignes l’amendement n° 73 rectifié de notre collègue Jacques Mézard. En effet, si ce dernier avait pu prendre part à nos débats de cette nuit – il a été présent tout au long de l’examen de ce texte –, il aurait souhaité pouvoir le défendre lui-même.
Cet amendement vise à améliorer la rédaction de l’alinéa 72, afin que les présidents de communauté de communes, comme les maires, à l’occasion des recrutements auxquels ils procèdent pour leur collectivité, soient destinataires des informations contenues dans le FIJAIT, et cela par l’intermédiaire non pas des préfets, comme il était écrit d’une manière imprécise, mais des représentants de l’État.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 111, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 74
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République peut également procéder d’office.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Au regard de l’importance des contraintes qui peuvent peser sur les personnes inscrites au FIJAIT, nous estimons qu’il est important que le procureur de la République puisse d’office demander l’effacement ou la rectification des données.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis favorable, dans la mesure où il ne voit aucune objection ni technique ni juridique à ce que le procureur procède à la rectification ou à l’effacement des informations erronées contenues dans le fichier.
M. le président. L’amendement n° 77 rectifié n’est pas soutenu.
L'amendement n° 110, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 84
Compléter cet alinéa par les mots :
, dans le seul but de contrôler les obligations prévues au présent article
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement vise à préciser que l'inscription automatique, pour des durées très longues, des personnes au fichier des personnes recherchées est faite à la seule fin du contrôle des obligations propre au FIJAIT, notamment de l'interdiction de déplacements internationaux, sauf autorisation.
Vu le nombre de personnes ayant accès au FPR et les durées de conservation des données, il semble important de réserver l'accès aux données des personnes inscrites au FPR via le FIJAIT aux seuls fonctionnaires concernés par les déplacements internationaux.
Cet amendement vise à répondre à une recommandation formulée par la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame la sénatrice, compte tenu des conditions qui s’y attachent, vous souhaitez que la consultation du FPR soit limitée aux obligations liées au FIJAIT.
La CNIL ayant évoqué ce problème en amont, nous l’avons traité avant que le texte ne soit examiné par le Conseil d’État. Celui-ci, compte tenu du caractère potentiellement dangereux des personnes inscrites à ce fichier, a considéré qu’il était souhaitable de maintenir ces conditions de consultation en l’état.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 11 bis, modifié.
(L'article 11 bis est adopté.)
Article additionnel après l'article 11 bis
M. le président. L'amendement n° 71 rectifié ter, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 11 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre IV du titre III du livre II du code de la sécurité intérieure est complété par un article L. 234-… ainsi rédigé :
« Art. L. 234-… – Dans la stricte limite de leurs attributions et pour les seuls besoins liés à la protection des intérêts mentionnés aux 4° et 5° de l'article L. 811-3, peuvent avoir accès aux traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l’article 230-6 du code de procédure pénale, y compris pour les données portant sur des procédures judiciaires en cours et à l’exclusion de celles relatives aux personnes enregistrées en qualité de victimes, les agents individuellement désignés et habilités des services de police et de gendarmerie nationales dont la mission principale est le renseignement. Peuvent également y avoir accès, pour la seule finalité de prévention du terrorisme, les agents individuellement désignés et habilités du service de renseignement du ministère de la défense chargé d’assurer la sécurité des personnels, des informations, du matériel et des installations sensibles.
« Un décret en Conseil d'État détermine les services concernés ainsi que les modalités et les finalités de l’accès aux traitements automatisés mentionnés au présent article. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement vise à permettre aux agents de la police et de la gendarmerie nationales, dont la mission principale est le renseignement, ainsi qu’à la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD, d’accéder en mode administratif au traitement d’antécédents judiciaires. Il répond à un impératif opérationnel majeur pour les services.
En effet, en l’état du droit positif, dans le cadre de leurs missions de police administrative, ces services ne peuvent accéder au traitement TAJ que dans le cadre des enquêtes administratives en application des articles L. 114-1 et L. 234-1 du code de la sécurité intérieure et pour l'exercice de missions ou d'interventions, lorsque la nature de celles-ci ou les circonstances particulières dans lesquelles elles doivent se dérouler comportent des risques d'atteinte à l'ordre public ou à la sécurité des personnes et des biens, en application de l’article L. 234-3 du code de la sécurité intérieure.
S’agissant de la DPSD, il importe qu’elle puisse s’assurer de l’absence de toute menace de développement de visées terroristes au sein des forces armées. L’accès de ses agents au TAJ sera donc limité à cette seule finalité.
Si je comprends bien, c’est donc un amendement émanant du ministère de la défense. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Je comprends, en écoutant Mme la garde des sceaux, que cet amendement lui tient particulièrement à cœur. (Nouveaux sourires.)
C’est la raison pour laquelle, au nom de la commission, j’émets un avis favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 11 bis.
Article 12
(Suppression maintenue)
Article 13
I. – L’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est ainsi modifié :
1° (nouveau) Le I est ainsi modifié :
a) Le 3° est complété par les mots : « ainsi que les éléments des rapports d’activités des services autorisés par le décret en Conseil d’État mentionné à l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure à recourir à certaines techniques mentionnées au titre V du même code concernant leurs activités de renseignement ;
b) Le 4° est complété par les mots : « et des services autorisés par le décret en Conseil d’État mentionné à l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, à recourir à certaines techniques mentionnées au titre V du même code, concernant leurs activités de renseignement » ;
c) Après le 4°, sont ajoutés un 5° et un alinéa ainsi rédigés :
« 5° Les observations que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement adresse au Premier ministre en application de l’article L. 833-5 du code de la sécurité intérieure.
« La délégation peut saisir pour avis la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement en application de l’article L. 833-6 du code de la sécurité intérieure. » ;
2° Le III est ainsi modifié :
a) La première phrase du premier alinéa est ainsi modifiée :
- les mots : « ainsi que » sont remplacés par le signe : « , » ;
- les mots : « spécialisés de renseignement » sont supprimés ;
- sont ajoutés les mots : « , accompagnés des collaborateurs de leur choix en fonction de l’ordre du jour de la délégation ainsi que toute personne placée auprès de ces directeurs et occupant un emploi pourvu en conseil des ministres » ;
b) La deuxième phrase du même alinéa est supprimée ;
c) (nouveau) Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La délégation peut entendre le Premier ministre, chaque semestre, sur l’application de la loi n° … du … relative au renseignement.
« Elle peut également entendre les personnes spécialement déléguées par le Premier ministre en application de l’article L. 821-4 du code de la sécurité intérieure pour délivrer des autorisations de mise en œuvre de techniques de renseignement visées au titre IV du code de la sécurité intérieure. » ;
d) Le second alinéa est ainsi rédigé :
« La délégation peut inviter le président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement à lui présenter le rapport d’activité de la commission ainsi que les observations que la commission adresse au Premier ministre en application de l’article L. 833-5 du code de la sécurité intérieure et les avis que la délégation demande à la commission en application de l’article L. 833-6 du code de la sécurité intérieure. Elle peut inviter le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale à lui présenter le rapport d’activité de la commission. »
II. – Les moyens et les archives de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité sont dévolus à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Les autorisations et les décisions régulièrement prises par le Premier ministre en application du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure et par la personnalité qualifiée mentionnée à l’article L. 246-2 du même code demeurent applicables, à l’entrée en vigueur de la présente loi, jusqu’à la fin de la période pour laquelle les autorisations et les décisions ont été données. Les demandes de mise en œuvre et les demandes de renouvellement sont présentées à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et instruites par celle-ci en prenant en compte les avis et les décisions pris avant son installation.
III. – (Supprimé)
IV. – Par dérogation au neuvième alinéa de l’article L. 831-1 du code de la sécurité intérieure, lors de la première réunion de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, sont tirés au sort celui des deux membres du Conseil d’État et celui des deux membres de la Cour de cassation qui effectuent un mandat de trois ans.
M. le président. L'amendement n° 205, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
a) Le 3° est ainsi modifié :
- les mots : « désignés par décret » sont remplacés par les mots : « mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure » ;
- sont ajoutés les mots : « et des services autorisés par le décret en Conseil d’État mentionné à l’article L. 811-4 du même code, à recourir à certaines techniques mentionnées au titre V du livre VIII dudit code, concernant leurs activités de renseignement » ;
II. – Alinéa 16
Remplacer les mots :
visées au titre IV
par les mots :
mentionnées au titre V du livre VIII
III. – Après l’alinéa 18
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... – Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du II de l’article L. 222-1, les mots : « au I de l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires » sont remplacés par les mots : « à l’article L. 811-2 du présent code » ;
2° Au 2° de l’article L. 234-2, les mots : « au I de l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires » sont remplacés par les mots : « à l’article L. 811-2 ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. Le sous-amendement n° 208, présenté par M. Raffarin, au nom de la commission des affaires étrangères, est ainsi libellé :
Amendement n° 205, après l'alinéa 5
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
I bis. - Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi qu'une présentation par technique et par finalité des éléments statistiques figurant dans son rapport d'activité mentionné à l'article L. 833–4 du code de la sécurité intérieure
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Nous en avons parlé tout à l’heure avec le Gouvernement : au sujet de ce texte se pose notamment à la fois la question des finalités – quelles interventions ? – et celle des techniques – par exemple les IMSI catchers –, l’une et l’autre très importantes.
Compte tenu de ce qui se faisait déjà dans le passé, la commission des affaires étrangères souhaite que le rapport d’activité de la CNCTR qui sera transmis à la délégation parlementaire au renseignement contienne une présentation par technique et par finalité des éléments statistiques y figurant.
On comprend bien que, pour des raisons parfaitement légitimes, le Gouvernement ait préféré que cette présentation n’apparaisse pas dans le rapport public. En revanche, nous estimons que la délégation parlementaire au renseignement, dont les membres, je le rappelle, sont soumis au secret-défense, doit pouvoir disposer de ces informations.
Tel est l’objet de ce sous-amendement, qui, vous l’aurez compris, me tient beaucoup à cœur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 208 ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avons toujours été soucieux que le rapport de la CNCTR soit le plus précis possible, afin de présenter une photographie exacte de l’activité des services de renseignement et du contrôle effectué par l’autorité administrative indépendante. Dans le même temps, nous étions aussi conscients du risque que soit faite une analyse a posteriori par technique et par finalité des éléments statistiques figurant dans le rapport et que soient ainsi fournies des informations à celles et à ceux qui auraient intérêt à comprendre comment fonctionnent à la fois les services de renseignement et l’autorité administrative.
Or l’adoption de l’amendement de la commission des lois, modifié par le sous-amendement de la commission des affaires étrangères, permettra à la représentation nationale, à travers sa délégation parlementaire au renseignement, d’être informée le plus précisément possible – et c’est légitime – sans que ces informations soient portées à la connaissance de personnes qui auraient des intentions contestables.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable tant sur le sous-amendement n° 208 que sur l’amendement n° 205
M. le président. Je mets aux voix l'article 13, modifié.
(L'article 13 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 13
M. le président. L’amendement n° 33 n’est pas soutenu.
L'amendement n° 165 rectifié, présenté par Mme M. André et M. de Montgolfier, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article 6 decies ainsi rédigé :
« Art. 6 decies. – Le président et le rapporteur général des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances, ainsi que les rapporteurs spéciaux de ces commissions qui suivent et contrôlent les crédits des services spécialisés de renseignement, sont autorisés ès qualités à recevoir communication des informations et éléments d’appréciation mentionnés au IV de l’article 6 nonies et relevant de leurs domaines d’attribution, que le Gouvernement décide de leur transmettre.
« Les agents des assemblées parlementaires désignés pour assister, dans ces domaines d’attribution, le président, le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux, mentionnés à l’alinéa précédent, des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances doivent être habilités, dans les conditions définies pour l’application de l’article 413-9 du code pénal, à connaître des mêmes informations et éléments d’appréciation. »
La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Le rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, et moi-même avons déposé ensemble cet amendement visant à améliorer les conditions dans lesquelles la commission des finances exerce sa mission de contrôle de l’emploi des crédits consacrés au renseignement, sachant bien sûr que cette mission ne porte pas sur l’activité opérationnelle des services, dont le contrôle incombe à la délégation parlementaire au renseignement.
Mes chers collègues, vous savez que la loi organique relative aux lois de finances donne mission aux commissions des finances des deux chambres – à leurs présidents, à leurs rapporteurs généraux et à leurs rapporteurs spéciaux – de suivre et de contrôler l’exécution des lois de finances et de procéder à l’évaluation de toute question relative aux finances publiques.
Les moyens consacrés aux services de renseignement sont appelés à mobiliser des ressources de plus en plus importantes. D’ailleurs, le rapporteur spécial de la mission « Sécurités », Philippe Dominati, consacre cette année ses activités de contrôle budgétaire aux moyens consacrés au renseignement au sein des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».
Le rapporteur spécial de la mission « Direction de l’action du Gouvernement », Michel Canevet, conduit, quant à lui, un contrôle sur l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.
Il peut se trouver des situations dans lesquelles il serait pertinent que le Gouvernement soit autorisé à transmettre aux rapporteurs spéciaux des informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale.
Cet amendement n’a d’autre objet que de permettre explicitement au Gouvernement, s’il le décide et sans qu’il y soit en aucune façon tenu, de transmettre de telles informations au président, au rapporteur général et aux rapporteurs spéciaux compétents en ces matières.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. Des discussions ont eu lieu entre la commission des affaires étrangères et de la défense, la commission des lois et la commission des finances. Parmi toutes les dispositions que nous avons envisagées, celle qui fait l’objet de cet amendement nous a semblé intéressante.
En effet, comme vient de le dire Mme André, il arrive que des documents budgétaires et, plus largement, financiers, classifiés, soient remis au rapporteur général ou à la présidente de la commission des finances, à leur demande ou sur l’initiative du ministère lui-même. Il leur est très difficile d’exploiter ces documents s’ils ne disposent pas de l’habilitation au secret-défense, auquel nous sommes, comme le rappelait le président Raffarin, très attachés.
Par ailleurs, il peut arriver que des documents soient parfois quelque peu hâtivement classifiés, souvent par précaution. Lorsqu’on les examine, on se rend compte qu’il n’y a aucun élément nécessitant une protection particulière.
Je tiens à le dire, il ne s’agit pas de permettre à la commission des finances d’imposer au Gouvernement la transmission de documents classifiés. Simplement, si celui-ci souhaite transmettre de tels documents, il faut qu’il puisse le faire sans que ses fonctionnaires enfreignent les exigences liées à la classification.
Dans la mesure où cet amendement tend à limiter strictement le champ d’application de cette possibilité, la commission y est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame André, le Gouvernement souhaiterait que vous retiriez votre amendement.
Je rappelle que le président et le rapporteur général de la commission des finances disposent d’un pouvoir de contrôle sur pièces et sur place – c'est une marque de confiance – et que le secret fiscal ne leur est pas opposable. Ce pouvoir d’investigation qui leur est confié place réellement l’action budgétaire de l’État, et par là même l’action de l’ensemble du Gouvernement, sous le contrôle du Parlement.
S’agissant de l’habilitation secret-défense que vous sollicitez pour le président, le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, le Gouvernement considère que cette habilitation n’est pas fondée ès qualités.
Madame la sénatrice, vous êtes animée par le souci de pouvoir contrôler, notamment sur le plan budgétaire, les moyens accordés aux services de renseignement : il me semble que la délégation parlementaire au renseignement, qui représente les deux assemblées, devrait être capable de le faire.
La question que vous soulevez renvoie à la nécessité d’accorder une attention toute particulière à la composition de cette délégation : il serait souhaitable qu’elle s’attache les compétences de parlementaires appartenant éventuellement à votre commission. Comme ces parlementaires seront habilités, la commission pourra disposer de la compétence technique et de l’expertise nécessaires.
M. le président. Madame André, l'amendement n° 165 rectifié est-il maintenu ?
Mme Michèle André. J’aurais aimé faire plaisir à Mme la ministre, mais je crains que le problème ne soit pas tout à fait celui qu’elle a présenté. En l’occurrence, il s’agit de permettre aux rapporteurs spéciaux compétents en matière de renseignement et de défense de travailler sur des documents qui, comme M. Bas l’a rappelé, sont portés à la connaissance, mais ne sont pas présentés publiquement.
Il est vrai que le rapporteur général et le président de la commission des finances peuvent déjà prendre connaissance d’un certain nombre de documents. Ma proposition vise davantage le travail des rapporteurs spéciaux, qu’elle veut faciliter au quotidien. De plus, elle n’engage pas beaucoup le Gouvernement, puisque la transmission des documents est subordonnée à son accord. Je me permets d’insister, car j’aimerais que mes collègues me suivent sur cette question.
Je maintiens donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur pour avis. Madame André, je comprends votre souci, mais je suis plutôt de l’avis du Gouvernement.
Nous sommes quelque peu à front renversé sur ce sujet, mais il me paraît tout de même problématique d’étendre l’accès aux rapporteurs spéciaux. En effet, il faudrait alors aussi l’étendre aux rapporteurs pour avis des autres commissions. Nous irions au-delà de ce que nous souhaitions faire en créant une délégation parlementaire au renseignement.
Si l’on veut que cette délégation devienne le lieu où est évaluée la politique de renseignement du Gouvernement – elle a toutes les capacités d’intervention pour mener à bien ce travail –, il faut faire preuve de cohérence.
Je le répète, si l’on étend l’habilitation aux rapporteurs spéciaux de la commission des finances, il faudra aussi l’étendre aux rapporteurs pour avis des autres commissions. Nous nous engagerions alors dans une démarche, assez déraisonnable, qui conduirait à élargir un domaine que l’on veut, au contraire, plutôt restreindre. L’architecture générale du contrôle de la politique du renseignement est définie, et la délégation parlementaire au renseignement en est l’une des articulations.
Si l’on permet à d’autres autorités de contrôler cette politique, cette instance perdra sa vocation initiale. Je voterai donc, à regret, contre votre amendement, madame André.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 13.
Article 13 bis
I. – L’article L. 4211-1 du code de la défense est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« V. – Les services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure peuvent avoir recours aux membres de la réserve militaire.
« Pour l’application de l’alinéa précédent, les volontaires de la réserve citoyenne sont affectés, avec leur accord, dans la réserve opérationnelle. »
II. – (Supprimé)
III. – À l’article L. 4241-2 du code de la défense, après le mot : « militaire », sont insérés les mots : « et les services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure ». – (Adopté.)
Article 14
I (Non modifié). – Le titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure est abrogé.
II (Non modifié). – Le 4° des articles L. 285-1, L. 286-1 et L. 287-1 du code de la sécurité intérieure est abrogé.
III. – L’article L. 2371-1 du code de la défense devient l’article L. 855-2 du code la sécurité intérieure et est ainsi modifié :
a) (nouveau) Au premier alinéa, après les mots : « services spécialisés de renseignement », sont insérés les mots : « mentionnés à l’article L. 811-2 » ;
b) (nouveau) Le dernier alinéa est supprimé.
IV (Non modifié). – Le titre VII du livre III de la deuxième partie du code de la défense est abrogé.
V (Non modifié). – Aux articles L. 2431-1, L. 2441-1, L. 2451-1, L. 2461-1 et L. 2471-1 du code de la défense, la référence : « et L. 2371-1 » est supprimée.
VI (Non modifié). – Au premier alinéa de l’article 413-13 du code pénal, la référence : « L. 2371-1 du code de la défense » est remplacée par la référence : « L. 855-2 du code de la sécurité intérieure ».
M. le président. L'amendement n° 212, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par les mots :
et la référence : « l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires » est remplacée par la référence : « l’article L. 811–2 du code de la sécurité intérieure »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas, rapporteur. La commission n’a pas eu le temps de l’examiner, mais, à titre personnel, j’y suis favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 14, modifié.
(L'article 14 est adopté.)
Article 15
Les articles 3 bis A, 9 à 14, 15 bis à 16 sont applicables en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna.
L’article 4 est applicable à Wallis-et-Futuna.
M. le président. L'amendement n° 213, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après les mots :
Les articles 3 bis A,
insérer les mots :
3 ter,
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Cet amendement a pour objet l’application du texte outre-mer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 15, modifié.
(L'article 15 est adopté.)
Article 15 bis
(Non modifié)
L’article L. 851-4 du code de la sécurité intérieure est applicable jusqu’au 31 décembre 2018. Le Gouvernement adresse au Parlement un rapport sur l’application de cette disposition au plus tard le 30 juin 2018.
M. le président. L'amendement n° 65 n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 15 bis.
(L'article 15 bis est adopté.)
Article 15 ter (nouveau)
Jusqu’à l’entrée en vigueur du décret en Conseil d’État prévu au premier alinéa de l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, les dispositions du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure, dans leur rédaction antérieure à la présente loi, demeurent applicables aux services dépendant des ministres de la défense, de l’intérieur ou chargé des douanes, autres que ceux désignés à l’article L. 811-2 du même code. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement exerce alors les compétences confiées par ces mêmes dispositions à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. – (Adopté.)
Article 16
À l’exception des articles 9 et 11 bis, la présente loi entre en vigueur à la date de publication au Journal officiel du décret nommant les membres de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
M. le président. L'amendement n° 170, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après la référence :
9
insérer la référence :
, 10
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit d’insérer une référence à l’article 10, qui crée une excuse pénale pour certaines actions informatiques équivalentes à des atteintes à des systèmes d’information situés à l’étranger, lesquels ne sont pas dans le champ de compétence de la CNCTR.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Bas. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 16, modifié.
(L'article 16 est adopté.)
Article additionnel après l’article 16
M. le président. L'amendement n° 206, présenté par M. Bas, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Après l'article 16
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi fera l'objet, après évaluation de son application par la délégation parlementaire au renseignement, d'un nouvel examen par le Parlement dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Il n’aura échappé à personne que le projet de loi dont nous achevons la discussion est d’une très grande importance pour nos institutions et pour la protection de la vie privée des Français, de leurs libertés comme de leur sécurité, ainsi que des intérêts fondamentaux de leur nation. Nos débats l’ont prouvé, ce texte comporte un certain nombre de points sur lesquels il a fallu trancher des questions très sensibles.
C’est la raison pour laquelle, comme nous l’avions fait en 1994 et en 2004 en matière d’éthique biomédicale, il m’a paru nécessaire, au nom de la commission des lois, de présenter un amendement tendant à imposer une évaluation de l’application de la loi par la délégation parlementaire au renseignement, suivie d’un nouvel examen par le Parlement, dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur.
Ainsi, la représentation nationale sera assurée, d’une part, de disposer d’une évaluation indépendante, réalisée par sa délégation parlementaire au renseignement, et, d’autre part, de pouvoir se saisir de nouveau des points qui auront éventuellement suscité des difficultés.
Ce nouvel examen est important, car, comme en matière d’éthique biomédicale, l’évolution des technologies qu’il s’agit ici d’encadrer est extrêmement rapide et peut nécessiter des ajustements de la loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est de bonne politique publique d’évaluer les actions du Gouvernement, notamment en matière d’application des lois, en particulier s’agissant d’un texte qui suscite autant d’inquiétudes, légitimes pour certaines, infondées pour d’autres, et qui porte sur des principes fondamentaux de la société.
Ces interrogations sont légitimes. Un nouvel examen par la représentation nationale de ce texte de loi nous paraît donc une très bonne chose.
Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 16.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des amendements déposés sur le projet de loi relatif au renseignement.
Nous passons à la discussion du texte de commission sur la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle de techniques de renseignement.
proposition de loi organique relative à la nomination du président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement
Article unique
(Non modifié)
Après la vingt-troisième ligne du tableau annexé à la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, est insérée une ligne ainsi rédigée :
«« |
Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement |
Président |
» |
M. le président. Je ne suis saisi d’aucune demande de parole ni d’aucun amendement sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi organique.
Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen du projet de loi relatif au renseignement et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Je vous rappelle que les explications de vote sur l’ensemble de ces deux textes se dérouleront mardi 9 juin, à quatorze heures trente.
Le vote par scrutin public du projet de loi relatif au renseignement aura lieu le même jour, de quinze heures quinze à quinze heures quarante-cinq, en salle des conférences.
Le vote par scrutin public ordinaire de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement se déroulera au même endroit, à quinze heures quarante-cinq.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le président, j’ai hésité à prendre la parole eu égard à l’heure tardive.
Toutefois, compte tenu de l’importance du texte dont nous avons débattu, je tiens à remercier le Gouvernement de l’excellent esprit de collaboration dont il a fait preuve tout au long de cette discussion.
Je veux aussi vous remercier, mes chers collègues, les uns et les autres, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez. En effet, j’ai ressenti, tout au long de la discussion, un effort certain pour rechercher des solutions consensuelles, non seulement aussi respectueuses que possible des libertés, mais encore attentives, autant que faire se pouvait, aux exigences du service de l’intérêt général auquel se consacrent les agents de nos services de renseignement.
Grâce à cet état d’esprit, nous avons pu déboucher sur un texte qui, sans bouleverser l’architecture de celui de l’Assemblée nationale, comporte un certain nombre d’avancées. Celles-ci vont, dans l’ensemble, dans la même direction et sont conformes à la tradition du Sénat : la défense des libertés publiques conjuguée à l’attention portée aux intérêts fondamentaux de la nation, dans un contexte marqué, le Gouvernement nous l’a rappelé, par une menace terroriste croissante au cours des années récentes.
Les progrès du texte portent notamment sur les principes de la politique publique du renseignement. C’est ainsi un véritable cahier des charges de la légalité des autorisations de mise en œuvre des techniques de renseignement qui est défini dans le nouvel article 1er de la loi. C’est utile, parce que cela permet tant à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement qu’au Gouvernement, puis au Conseil d'État, d’exercer un contrôle rigoureux du bon usage de ces techniques, dans le respect du principe de proportionnalité des moyens utilisés aux fins poursuivies.
Les finalités ont été précisées dans le texte et la communauté du renseignement a été mieux définie. Nous avons notamment écarté toute possibilité d’y intégrer les établissements pénitentiaires, sans pour autant empêcher les surveillances nécessaires des activités et des échanges des détenus, grâce aux signalements auprès des services de renseignement extérieurs au ministère de la justice.
En outre, les finalités permettant la mise en œuvre de la procédure d'urgence absolue ont été limitées notamment à la prévention du terrorisme.
La procédure d'autorisation des techniques a également été confortée, puisque les délégations données par les ministres compétents, pour les demandes qu’ils formulent, et le Premier ministre, pour les autorisations qu’il délivre, ont été restreintes. Par conséquent, d’une part, le secret de la défense nationale sera toujours maintenu, et, d’autre part, la nature politique des décisions prises, qui procèdent de la responsabilité du pouvoir exécutif, sera respectée, évitant ainsi de créer une sorte de bureaucratie du droit du renseignement.
La procédure d'urgence opérationnelle a été complétée par l’exigence d’une autorisation a posteriori. Par ailleurs, les délais de conservation des données de connexion collectées ont été ramenés de cinq ans à trois ans.
Quant à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, elle devient, avec les dispositions que nous avons adoptées, une véritable autorité administrative indépendante. La nomination de son président, grâce à la loi organique que Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons proposée, sera entourée de garanties d’indépendance, puisque le Parlement se prononcera dans le cadre de la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution.
Les pouvoirs de contrôle de la CNCTR sont renforcés. Ainsi, tout agent qui refuserait de fournir à cette commission les informations que celle-ci lui réclame commettra un délit d’entrave. L’affirmation des moyens budgétaires de la commission confirme l’autonomie de cette dernière, de même que le renforcement de ses capacités de recrutement autonome, puisqu’il était prévu que le Premier ministre nommerait lui-même le secrétaire général.
Surtout, le contrôle du Conseil d'État, qui pouvait apparaître au public, dans le texte dont nous avons été saisis, comme une sorte de leurre, devient réellement effectif.
En effet, trois membres seulement de la CNCTR, sur les neuf qu’elle comporte, soit un tiers du collège, suffiront pour saisir le Conseil d'État. Nous sommes donc assurés que cette juridiction aura régulièrement à se prononcer sur les autorisations délivrées par le Premier ministre, ce qui donne tout son sens à l’affirmation du principe de légalité, affirmé dès le premier article de cette réforme.
Il faut souligner aussi la possibilité du sursis à exécution donnée au Conseil d'État, qui peut également être saisi des fichiers de souveraineté.
Je ne reviens pas dans le détail sur les différentes techniques de renseignement, mais je veux tout de même souligner l’importance du travail accompli par le Sénat à propos des algorithmes, qui avaient concentré le plus d’inquiétudes dans l’opinion publique. La définition très contrainte de l’algorithme, sa restriction aux activités de terrorisme et la durée des autorisations garantissent qu’il s’agira bien de recherches ciblées, et non, comme on pouvait le craindre, de surveillance de masse, qu’il faut bien entendu exclure.
Nous avons voulu aussi restreindre l’étendue de l’entourage pouvant faire l’objet d’une surveillance, en ne retenant que les personnes qui peuvent avoir un rapport avec la surveillance de l’individu faisant l’objet de l’autorisation.
Quant aux garanties accordées en cas d’introduction dans un lieu privé à usage d’habitation, elles ont été renforcées, puisqu’une technique de renseignement ne pourra y être mise en œuvre qu’après avis exprès de la CNCTR statuant en formation plénière ou restreinte, et non d’un seul de ses membres.
Enfin, je suis très heureux que le Sénat ait adopté la disposition que j’ai eu l’honneur de lui proposer à l’instant et qui permettra un réexamen de cette loi après cinq ans d’application, sur le rapport de la délégation parlementaire au renseignement.
Mes chers collègues, je crois donc – je l’espère, du moins ! – qu’il sera reconnu que le travail du Sénat aura permis de renforcer toutes les garanties faisant de ce texte, comme nous le souhaitions, une véritable loi républicaine pleinement inscrite dans la tradition née de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. (M. Vincent Capo-Canellas applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne dirai que quelques mots de courtoisie et de remerciement, sans abuser de cette séance nocturne, que nous avons plaisir à partager.
Je tiens à dire que la qualité des débats, qui ne s’est jamais démentie, quelles qu’aient été l’intensité des échanges et la complexité des sujets, dont les enjeux n’étaient pas minces, montre à quel point chacun a pris très au sérieux l’importance de ce texte. Celui-ci touche en effet à des valeurs essentielles : la capacité de la puissance publique à assurer la sécurité des Français, mais aussi l’attachement, plus grand encore et profondément inscrit dans l’histoire et l’identité françaises, aux libertés individuelles et publiques.
Bien sûr, il est objectivement difficile de concilier ces deux obligations lorsque l’on traverse une période aussi paroxystique que la nôtre. Celle-ci démontre la nécessité d’assurer cette sécurité dans les meilleures conditions face à des menaces réelles et objectives, mais renforce en même temps cet attachement aux libertés, qui devient encore plus fort et s’exprime de façon encore plus élevée.
Cette difficulté est vécue par chacun d’entre nous, à nos places respectives et à des niveaux différents. Nous avons essayé de construire ensemble les meilleures réponses possible, de trouver ensemble la juste mesure entre l’exigence de sécurité et le respect des libertés individuelles et publiques.
Il reste une dernière étape de discussion, d’échange et d’amélioration de ce texte, à savoir la réunion de la commission mixte paritaire. Je ne doute pas que les membres qui y participeront veilleront à rester fidèles à l’esprit des débats qui ont eu lieu.
Au nom du Gouvernement, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie très chaleureusement de la très grande qualité de nos échanges sur un sujet aussi important. (Applaudissements.)
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 9 juin 2015 :
À neuf heures trente : vingt questions orales.
À quatorze heures trente : explications de vote des groupes sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement (n° 424, 2014-2015) et de la proposition de loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (Procédure accélérée, n° 430, 2014-2015).
De quinze heures quinze à quinze heures quarante-cinq : vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement.
Ce scrutin sera organisé en salle des conférences, avec la possibilité d’une seule délégation de vote par sénateur.
Conformément à l’instruction générale du bureau, le délai limite pour la transmission des délégations de vote expire à treize heures quinze.
Ces délégations doivent être transmises dans le délai précité à la direction de la séance (division des dépôts, des publications et des scrutins).
À quinze heures quarante-cinq : proclamation du résultat du scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au renseignement et scrutin public ordinaire en salle des séances sur la proposition de loi ordinaire relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
À seize heures : débat sur le thème « les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte ».
À dix-sept heures trente : débat sur le thème « l’avenir de l’industrie ferroviaire française ».
À dix-neuf heures : débat sur le thème « l’avenir des trains intercités ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 5 juin 2015, à zéro heure cinquante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART