M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que notre pays est frappé par un chômage de masse et une stagnation de l’activité, le projet de loi qui est aujourd’hui soumis par le Gouvernement à la Haute Assemblée marque une rupture par rapport aux textes qui l’ont précédé.
Jusqu’à présent, les réformes reposaient sur un principe essentiel et une base incontestable : un accord des partenaires sociaux. L’échec de la négociation avec ceux-ci, au mois de janvier dernier, a souligné les limites du modèle français du dialogue social et contraint le ministre du travail à proposer des mesures que je qualifierai de « limitées ».
Pourtant, un dialogue social apaisé et efficace constitue, pour les entreprises, un facteur de compétitivité et, pour les salariés, une source de bien-être au travail. Il faut le reconnaître aujourd’hui, la France n’arrive pas à établir un niveau de dialogue social constructif tel qu’il existe dans de nombreux pays voisins. Il est peut-être temps de faire évoluer le modèle, apparemment à bout de souffle, qu’a tenté de faire fonctionner Gérard Larcher.
Pourtant, le présent texte est loin de cet objectif : les six volets de ce projet de loi ne sont pas vraiment marqués du sceau de la cohérence et de la concertation, et les apports de l’Assemblée nationale ont parachevé ce patchwork.
Comment qualifier le contexte législatif dans lequel le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi arrive au Sénat ? « Confus » me paraît être un terme un peu faible !
Alors que nous débattons en ce moment en séance publique, la commission spéciale se réunit pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi Macron, qui contient non seulement de très nombreuses dispositions relatives au droit du travail, mais aussi d’autres, et pas des moindres.
Dans un mois, la commission des affaires sociales examinera, elle, le projet de loi de modernisation de notre système de santé, alors que des dispositions relatives à la santé au travail ont été introduites au dernier moment, et avec l’accord du Gouvernement, à l’Assemblée nationale et que nous n’avons pu, pris au dépourvu et par le temps, procéder à des auditions.
Cet enchevêtrement de dispositions éparpillées dans plusieurs textes, ajoutées sans prévenir, nuit à la lisibilité et renforce l’impression que le Gouvernement n’a pas vraiment de cap et navigue à vue, au gré des ministres, en matière de droit du travail.
Après ces considérations générales, j’aimerais revenir sur les travaux de la commission des affaires sociales, qui a adopté soixante-six amendements afin de tenter de faire de ce projet de loi un véritable texte de simplification et de dissiper les craintes qu’il a suscitées et que j’ai entendues au gré de très nombreuses auditions.
En examinant l’article 1er, qui prévoit la création de commissions paritaires régionales interprofessionnelles, les CPRI, nous avons cherché à trouver un point d’équilibre acceptable par tous dans la lignée de la position qui est celle du Sénat depuis l’examen de la loi du 15 octobre 2010 : construire un modèle de représentation des salariés des TPE qui ne soit pas conçu contre l’avis des acteurs concernés mais constitue l’aboutissement du dialogue social.
Tout de même, monsieur le ministre, un projet de loi, dont l’intitulé comporte les termes « dialogue social », débutant par une disposition qui a conduit à l’échec des négociations, c’est un peu provocateur !
M. Jean Desessard. Comment faire autrement ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. La commission des affaires sociales a décidé de confier non pas à la loi, mais à un accord interprofessionnel la constitution de ces commissions : il appartiendra aux partenaires sociaux, par accord national, ou à défaut régional, de les mettre en place. Elle a également rétabli le texte initial du Gouvernement en ôtant à celles-ci toute mission de médiation et en réaffirmant le principe selon lequel leurs membres ne peuvent accéder à l’entreprise, sauf autorisation expresse de l’employeur et moyennant un délai de prévenance de huit jours.
La commission s’est également employée à corriger des fragilités juridiques et à faire disparaître les facteurs de complexité pour les entreprises et les partenaires sociaux présents dans le texte, résultant en partie de l’initiative de nos collègues députés, dont je tiens à saluer, sur certains points, une ténacité... quasi obsessionnelle.
Ancienne salariée d’entreprise, je me bats depuis quarante ans pour l’égalité professionnelle, car je sais ce qu’il en est. Je suis heureuse de voir que cet objectif est enfin partagé ; mais de là à faire abstraction de toute considération juridique ou pratique, il y a un fossé.
De même, quant à la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes entreprises, nous avons souhaité en revenir à l’esprit et à la lettre de l’Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013. Je pense que M. le ministre du travail nous en sera reconnaissant.
Les modifications apportées aux institutions représentatives du personnel, ou IRP, sont très largement acceptées, qu’il s’agisse de l’extension de la délégation unique du personnel, la DUP, ou de l’ouverture de la possibilité de regrouper, par accord, dans les grandes entreprises, les différentes IRP au sein d’une instance unique. Sur ces points, la commission a limité la présence des suppléants aux réunions. En outre, elle a renforcé l’encadrement du cumul et de la mutualisation des heures de délégation.
Un sujet omniprésent dans le débat public était toutefois absent du texte : celui des seuils. J’étais pourtant bien là, lorsque M. Macron a affirmé à mes collègues, et de manière systématique, que la place de ces seuils était bien dans ce projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi.
Mme Nicole Bricq. C’est bien le cas, ils y sont !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Pour chercher à réduire, en matière d’emploi, l’impact de ces seuils qu’une récente étude commandée par la délégation sénatoriale aux entreprises a mis en lumière, la commission propose de mettre en place, à titre expérimental, un mécanisme de lissage sur trois ans des obligations qui s’imposent aux entreprises franchissant les seuils fatidiques de onze et de cinquante salariés.
La commission a également pris acte de la rationalisation des procédures d’information et de consultation du comité d’entreprise, tout en donnant la possibilité à ses membres titulaires de conclure un accord avec l’employeur pour les adapter aux spécificités de l’entreprise.
Nous avons en outre simplifié les règles de calcul encadrant la création et la suppression du comité d’entreprise. Ainsi, nous assurons la mise en œuvre, avec diligence, de l’une des mesures du programme en faveur des TPE et des PME annoncé par le Premier ministre le 9 juin dernier.
J’en viens au volet consacré à la santé au travail et à la pénibilité, que l’Assemblée nationale a ajouté au présent texte.
Nous ne pouvons que nous féliciter des mesures de simplification et de sécurisation juridique du compte personnel de prévention de la pénibilité : l’actuelle majorité sénatoriale n’a cessé de dénoncer les aberrations du dispositif initial.
Mais toutes les craintes ne sont pas dissipées, tant s’en faut. Il faut éviter de recréer à terme des régimes spéciaux, lesquels entraîneraient une dérive des dépenses que chacun sait insoutenable. Aussi, l’homologation par l’administration des référentiels élaborés par les branches ne devra pas porter préjudice à la soutenabilité financière du fonds chargé de gérer les droits liés aux comptes pénibilité.
Mme Nicole Bricq. Nous nous en assurerons le moment venu !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Les dispositions relatives à la médecine du travail ont laissé la commission circonspecte. À nos yeux, ces mesures sont parcellaires et inabouties : quel projet de réforme le Gouvernement porte-t-il ?
Monsieur le ministre, vos explications sont attendues sur ce sujet, qui intéresse un grand nombre de nos concitoyens, alors que le troisième plan Santé au travail devrait bientôt voir le jour.
Je regrette la méthode employée, et je déplore que les rapports censés éclairer la réflexion du Gouvernement, et surtout des parlementaires, aient été remis tardivement. De ce fait, ces dispositions n’ont pas pu être examinées sereinement.
Sur l’initiative de notre collègue Jean-Marc Gabouty, la commission a supprimé l’article 19 bis, qui visait à faire adapter par décret les conditions dans lesquelles les pathologies psychiques pouvaient être classées maladies professionnelles par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, les CRRMP. Selon la commission, ce sujet doit être débattu dans le cadre du projet de loi de santé, sur lequel elle se penchera prochainement.
J’en viens à l’article 20, sur les intermittents du spectacle. Alain Dufaut, rapporteur pour avis de la commission de la culture, abordera ce sujet beaucoup plus en détail.
À l’origine, cet article prévoyait un dispositif permettant aux partenaires sociaux représentatifs de l’ensemble des professions de la production cinématographique, de l’audiovisuel et du spectacle, de négocier eux-mêmes les règles des annexes VIII et X, relatives à l’indemnisation du chômage des intermittents.
Or ce dispositif a été critiqué de toutes parts – j’insiste sur ce point. Il était entaché de nombreuses incertitudes juridiques, qui auraient pu, le cas échéant, fragiliser l’édifice de l’indemnisation chômage. De plus, ce système posait une question de principe, car il dépossédait les partenaires sociaux chargés de négocier la convention d’assurance chômage d’une part de leurs prérogatives et risquait de créer un précédent fâcheux.
La commission a donc remplacé ce dispositif par un mécanisme de concertation renforcée, afin que les partenaires sociaux concernés communiquent leurs propositions avant l’ouverture, et avant la conclusion, de la négociation sur l’assurance chômage.
Par ailleurs, nous avons souhaité que le ministère du travail prenne ses responsabilités et fixe par voie réglementaire la liste des partenaires sociaux qui seront consultés, afin d’éviter toute polémique au sujet de leur légitimité.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Au surplus, en accord avec Alain Dufaut, nous avons conféré au comité d’expertise une nouvelle mission, à savoir le suivi statistique de la mise en œuvre des annexes VIII et X.
Le Gouvernement a cherché à sauver les festivals de l’été 2015. Pour notre part, nous avons tenté de rendre ce mécanisme durable et pérenne.
Le titre IV du présent texte crée, à compter du 1er janvier 2016, la prime d’activité, en remplacement du RSA activité et de la prime pour l’emploi, la PPE. Mme la ministre vient d’en parler.
Si chacun peut souscrire, dans le principe, à cette réforme, les modalités de cette dernière doivent être étudiées avec précaution.
Le Gouvernement insiste sur le caractère novateur de cette prestation, censée dépasser les limites des dispositifs qu’elle remplace. C’est en partie vrai : la prime sera ouverte dès l’âge de dix-huit ans. Elle reposera sur une base ressources légèrement simplifiée et les sommes allouées chaque trimestre le seront définitivement.
Pour autant, cette prestation n’est qu’une version simplifiée et plus individualisée du RSA activité. Au reste, atteindre un taux de recours de 50 % l’an prochain suppose d’engager des efforts substantiels pour communiquer auprès des bénéficiaires potentiels et simplifier leurs démarches.
Cette volonté et la réalité de cette simplification me laissent, personnellement, dubitative. Je souhaite que ce débat nous apporte des réponses claires quant au contenu de la base ressources, notamment les pensions alimentaires, quant aux obligations déclaratives qui pèseront sur les demandeurs et à la manière dont l’administration fiscale et les caisses d’allocations familiales, les CAF, travailleront ensemble à la mise en œuvre de la réforme.
La commission s’est contentée de réécrire les modalités de calcul de la prime, afin de les rendre plus précises, je dirais même plus compréhensibles. Grâce à un amendement présenté par Albéric de Montgolfier, elle s’est également assurée d’un suivi plus fin de l’évolution du coût de la prime d’activité.
L’Assemblée nationale avait étendu le bénéfice de la prime aux étudiants et aux apprentis, à partir d’un certain niveau de rémunération. Nous ne sommes pas revenus sur ce point et n’avons pas non plus restreint aux seuls apprentis le bénéfice de la prime d’activité, comme le proposait la commission des finances.
Pour ma part, j’espère que la prime d’activité pourra être un outil de soutien au pouvoir d’achat de ces jeunes, mais je crains qu’elle ne les incite à travailler plus, au détriment de leurs études. Je redoute également un effet d’aubaine pour les étudiants qui ont fait le choix pédagogique d’une année en alternance. C’est le cas des masters 1 et 2, à la fois étudiants et apprentis qui ne sont pas réellement dans une situation de précarité. Tel est le sens d’un amendement que je défendrai en séance publique s’il est adopté par la commission.
Afin de ne pas prolonger excessivement mon propos, j’indique simplement que j’interviendrai, au fil de la discussion des articles, sur toutes les dispositions diverses, un peu hétéroclites, figurant dans le présent texte. Si j’étais animée d’un mauvais esprit, ce qui n’est pas le cas, je qualifierais même certaines de ces mesures de « cavaliers »... (Sourires.) D’autres relèvent d’un simple affichage politique, comme le compte personnel d’activité.
En revanche, monsieur le ministre, certains des amendements que vous venez de déposer au Sénat sont d’une portée plus adaptée à ce texte. Ils ont pour objet le contrat de travail. Nous en débattrons, je l’espère, sereinement.
Ma conclusion ne devrait pas vous surprendre : ce projet de loi n’est pas la réforme structurelle tant attendue, c’est un texte de simplification qui comporte quelques mesures bienvenues pour surmonter le caractère formel des règles actuelles. Il ne comble pas la principale insuffisance du modèle français : la faible représentativité des partenaires sociaux.
Il faut espérer que la commission Combrexelle aboutira à clarifier et à simplifier durablement les relations de travail et les relations entre partenaires sociaux.
Mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’a pas apposé de prisme idéologique sur ce projet de loi.
M. Jean Desessard. Mais non !... (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nicole Bricq. Un petit peu, quand même…
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Elle a cherché à l’améliorer, pour le rendre conforme à son ambition initiale. Le texte qui est issu de ses travaux facilitera les relations dans l’entreprise.
Je vous invite donc à ne pas remettre en cause cet équilibre, et j’espère que nos collègues députés sauront apprécier ce travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut, rapporteur pour avis.
M. Alain Dufaut, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie du titre II de ce projet de loi, lequel prévoit de « conforter le régime d’assurance chômage de l’intermittence », et en particulier son article 20.
Voilà de nombreuses années que notre commission se consacre au sujet. Je peux même dire que nous y avons travaillé continûment depuis la grande crise de 2003, marquée par l’annulation de nombreux festivals, dont celui d’Avignon. Celui qui vous parle était à l’époque premier adjoint, chargé des finances, de la ville d’Avignon. Autant vous dire que je sais le traumatisme que peut causer la suppression d’un festival !
En la matière, de nombreux travaux ont été menés depuis dix ans. Je songe au comité de suivi, réuni à l’instigation de Jack Ralite et d’Étienne Pinte. Je pense aux nombreuses auditions, aux tables rondes, aux rapports d’information qui se sont succédé. Le dernier de ces rapports date de 2013 ; il a été remis par notre collègue Maryvonne Blondin, et j’ai modestement participé à sa réalisation.
Tous ces travaux nous l’ont appris, la réalité du monde des intermittents est bien éloignée de ce qu’en disent trop facilement les médias. La réforme des règles d’indemnisation est certes nécessaire, mais – il faut en convenir – elle se révèle particulièrement délicate à mettre en œuvre.
C’est bien pourquoi nous avons choisi, à propos de ce texte, une position constructive, au nom de la concertation sociale engagée l’été dernier, dans l’intérêt de l’activité culturelle et du développement de nos territoires.
La réforme est nécessaire, nous le savons tous. Oui, le déséquilibre des comptes de l’assurance chômage des intermittents du spectacle est exorbitant : 1,2 milliard d’euros de dépenses pour 200 millions d’euros de recettes, soit un delta de 1 milliard d’euros, qui correspond, au total, à un quart du déficit de l’UNEDIC depuis dix ans…
Nous sommes bien face à un véritable problème, même si l’on peut accepter l’idée que les comptes de ce secteur soient déséquilibrés, comme ils le sont pour les intérimaires ou pour les salariés en contrat à durée déterminée.
Nous savons également que les règles d’indemnisation spécifiques, fixées aux annexes VIII et X, sont devenues un régime, et même un « statut » des intermittents. Cette situation arrange les employeurs comme les salariés du spectacle, aussi bien que les donneurs d’ordre que sont les pouvoirs publics. Nous sommes tous, peu ou prou, élus des collectivités et, dans nos territoires, nous nous battons tous pour le développement culturel, pour nos festivals, pour le spectacle vivant qui, c’est vrai, est devenu dépendant des annexes VIII et X.
Le problème, nous le savons bien, c’est que l’on fait trop peser sur l’assurance chômage. L’UNEDIC est devenue le premier mécène culturel de notre pays, et cette charge est trop lourde pour la solidarité interprofessionnelle. Cela ne peut pas durer !
Mes chers collègues, vous savez comme moi ce qu’il advient quand une catégorie professionnelle s’arc-boute sur son statut, et que tout un pan d’activité en dépend : il faut rétablir la confiance, évaluer, négocier et, surtout, responsabiliser.
C’est ce qu’a fait avec bonheur la mission de concertation confiée à Jean-Patrick Gille, Hortense Archambault et Jean-Denis Combrexelle l’été dernier, alors que nous nous acheminions vers de nouvelles annulations de festivals et de tournages, vers un nouveau séisme dans le dossier des intermittents.
Pendant plusieurs mois, dans l’enceinte du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, les partenaires sociaux ont identifié les pistes de réforme. Ils ont commencé à les évaluer à l’aide d’un outil statistique commun. L’État et l’UNEDIC ont pris leur part de ce travail.
C’est parce que le titre II institutionnalise cette négociation et qu’il permet d’espérer une réforme plus profonde du régime des intermittents, c’est parce qu’il fait avancer les choses que notre commission des affaires culturelles l’a accepté dans son principe.
La reconnaissance légale de l’existence de règles spécifiques d’indemnisation du chômage des intermittents est un geste d’apaisement social, qui inscrit clairement cette indemnisation dans la solidarité interprofessionnelle.
S’agit-il d’une sanctuarisation, comme on l’entend dire ? Ouvre-t-on une brèche dans laquelle s’engouffreraient d’autres catégories professionnelles en demandant, à leur tour, la sanctuarisation de leurs annexes ?
Mes chers collègues, faites attention aux vocables utilisés et relisez le texte : la loi ne fait ici que reconnaître l’existence de règles spécifiques visant à « tenir compte des modalités particulières d’exercice des professions » du spectacle.
M. Jean Desessard. C’est bien !
M. Alain Dufaut, rapporteur pour avis. L’article 20 ne dit pas ce que doivent être ces règles !
D’autres professions pourraient-elles demander à en bénéficier ? Leur situation est souvent très éloignée de celle dont il s’agit ici. Quand bien même le demanderaient-elles, la reconnaissance légale de règles spécifiques ne conduit pas à sanctuariser un contenu, lequel, au demeurant, fait même l’objet en principe d’une négociation périodique.
S’agissant de cette négociation, nous avons convenu avec notre collègue Catherine Procaccia de remplacer le mécanisme de délégation de « l’accord » à l’échelon professionnel, par une concertation approfondie avec l’interprofession. Cela nous semble plus stable, plus crédible et, surtout, juridiquement plus sûr. Les auditions ont en outre montré que cette démarche était conforme à l’attente des professionnels, qui demandent à être entendus pour la définition des règles qui les concernent.
Enfin, je remercie tout spécialement Catherine Procaccia d’avoir tenu compte de nos avis et d’avoir repris nos suggestions. Nous renforçons le comité d’expertise, qui apportera son aide durant la concertation en évaluant les propositions de réforme. Tous nos interlocuteurs considèrent cette mesure comme un réel progrès.
L’article 20 prévoit, autre avancée, un réexamen des listes d’emploi et une négociation sur les conditions de recours au contrat à durée déterminée d’usage, le CDDU. Ce sujet est déterminant. La négociation peut conduire à mettre fin à de trop nombreux abus et, par voie de conséquence, à réduire le déficit, satisfaisant ainsi en partie aux exigences du document de cadrage.
Enfin, l’article 20 contient une demande de bilan concernant la couverture sociale des intermittents et la situation particulière des « matermittentes » – les femmes enceintes intermittentes, dont les droits sociaux sont moindres que ceux des autres salariées. C’est un autre motif de satisfaction. Depuis 2013, notre commission s’est saisie plusieurs fois de ce sujet et nous veillerons aux suites données à ces bilans.
Mes chers collègues, pour ces raisons, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a accepté le titre II, c’est-à-dire l’article 20, de ce texte. Après des décennies de dérive comptable des annexes VIII et X, après des années de divergence entre les partenaires sociaux, ce texte peut faire avancer la négociation et apporter enfin une réforme plus profonde, allant au-delà de la seule assurance chômage. Sachons saisir tous ensemble cette occasion ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Francis Delattre, en remplacement de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, il me revient donc de vous présenter, au nom de M. Albéric de Montgolfier, qui n’a pu être présent ce jour, l’avis de la commission des finances : après tant de louanges, la belle sérénité qui s’est installée dans notre hémicycle risque d’être troublée !
La commission des finances s’est saisie pour avis du titre IV de ce projet de loi, qui instaure la prime d’activité. Cette nouvelle prestation sociale, créée en remplacement de la prime pour l’emploi et du RSA activité, représente un enjeu financier majeur, de l’ordre de 4,1 milliards d’euros. Elle sera entièrement financée par le budget de l’État. La commission des finances s’est déjà intéressée au premier jalon de cette réforme : la suppression du crédit d’impôt qu’est la PPE par la seconde loi de finances rectificative pour 2014.
Dans l’ensemble, la prime d’activité proposée par le Gouvernement semble corriger certains défauts des dispositifs antérieurs. Elle répond notamment aux problèmes de saupoudrage et de décalage dans le temps de la PPE, que rappelait à l’instant Mme la ministre. De plus, elle a le mérite de remplacer deux dispositifs par une seule et même aide.
Toutefois, la commission a souhaité attirer l’attention sur certaines limites comme sur les éléments qui appelleront notre vigilance.
Premièrement, le Gouvernement nous indique que l’objectif de la prime d’activité est à la fois d’encourager la reprise ou la poursuite d’une activité professionnelle et de soutenir le pouvoir d’achat des travailleurs modestes.
Il est toutefois permis de douter que la prime d’activité ait un impact notable sur le niveau d’emploi, surtout dans un contexte de chômage de masse.
De même, les temps partiels, notamment les plus petits, sont souvent subis par les travailleurs. Ce n’est donc pas la prime d’activité qui, tout incitative qu’elle soit, les conduira à travailler davantage, mais bien une politique économique différente de celle qui est conduite depuis trois ans, c’est-à-dire une politique efficace de lutte contre le chômage.
Deuxièmement, le dispositif législatif est très vague, alors même que le mécanisme de la prime est extrêmement complexe. Le projet de loi se borne, en effet, à fixer le cadre général. De nombreux éléments, pourtant substantiels, sont renvoyés au pouvoir réglementaire, par exemple, le rythme de versement et les règles de calcul.
Je m’étonne que l’ancien sénateur que vous êtes, monsieur le ministre, ne nous fournisse pas un aperçu plus clair des décisions à venir, en plus des formules très complexes émanant de différents rapports, s’agissant de dispositifs engageant profondément les finances publiques.
De plus, la complexité de la formule de calcul est telle que sa définition législative est pratiquement illisible ! Je salue à cet égard la proposition de notre collègue rapporteur de la commission des affaires sociales, qui vise à améliorer la rédaction, très elliptique, de l’article 24 du présent projet de loi pour la rendre plus compréhensible.
Troisièmement, la simplification proposée par le Gouvernement paraît bien relative.
Tout d’abord, la formule de calcul de la prime d’activité, à la fois « familialisée » et individualisée, intégrant différents bonus, est si complexe qu’il sera toujours malaisé, voire impossible, pour un bénéficiaire d’anticiper le montant qui lui sera versé sans faire usage d’un ordinateur !
Ensuite, la base des ressources prises en compte n’est désormais plus identique à celle qui s’applique au RSA socle. L’exclusion de certaines aides, utilisées par ailleurs pour le calcul d’autres prestations sociales, introduit également de la complexité, ce qui emportera des effets sur les conseils départementaux, dont il n’est pourtant pas fait mention, monsieur le ministre.
Enfin, la prime d’activité continue de reposer sur un système déclaratif, qui exigera, des bénéficiaires, la fourniture d’un certain nombre de justificatifs et, des caisses d’allocations familiales, un important travail de vérification et de gestion. Les CAF semblent prêtes à gérer cette nouvelle prestation, mais il est permis de penser que le calcul des primes d’activité sera un exercice complexe et que le risque d’erreurs restera élevé. Certes, des échanges d’informations entre l’administration fiscale et les CAF sont annoncés, mais ils ne devraient être automatisés qu’à la fin de l’année 2016.
Monsieur le ministre, le Gouvernement manque d’ambition dans ce projet. Au lieu de « replâtrer » le RSA activité existant, il aurait pu proposer une véritable réforme reposant sur un mécanisme automatique de soutien financier aux travailleurs modestes, lié à l’imposition des revenus.
Paradoxalement, au moment même où le Gouvernement annonce la mise en œuvre progressive du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, il abandonne toute orientation en ce sens dans ce texte. Il s’agirait pourtant d’une simplification majeure par rapport aux simples aménagements qui sont ici proposés.
Quatrièmement, l’ouverture de la prime d’activité aux étudiants et aux apprentis soulève au moins une question de principe, que nous voulons introduire dans ce débat afin qu’elle soit tranchée, même notre lecture diverge ici de celle qu’en fait la commission des affaires sociales. Compte tenu des seuils d’éligibilité retenus – environ 900 euros –, ne risque-t-on pas d’encourager les étudiants exerçant une activité professionnelle à travailler davantage, au détriment de leurs études ? D’autres avant moi ont souligné que la population étudiante était très composite et que les situations étaient d’une très grande diversité.
Pour la commission des finances, accorder le bénéfice de la prime d’activité aux étudiants est un mauvais signal et constitue une réponse inadaptée aux difficultés que certains d’entre eux rencontrent. Nous reconnaissons, en revanche, l’effort engagé s’agissant des bourses, qui constitue, selon nous, une bonne solution.
De plus, cette extension du champ de la prime, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement, est paradoxale au regard de son objectif principal : inciter et encourager l’exercice ou la reprise d’une activité professionnelle.
Concrètement, très peu d’étudiants et d’apprentis devraient finalement pouvoir y prétendre, compte tenu des critères très restrictifs envisagés. La somme prévue, de l’ordre de 100 millions d’euros, illustre mieux que tous les discours la limite du dispositif.
Le Gouvernement est ainsi prisonnier de ses propres contradictions : tout en affirmant que la prime a pour objectif d’inciter à l’exercice d’une activité professionnelle, il annonce l’ouverture de son bénéfice aux étudiants et aux apprentis et propose, finalement, un dispositif très circonscrit ciblant les étudiants les plus susceptibles de privilégier une activité professionnelle par rapport à leur scolarité !
L’intégration des étudiants dans ce dispositif relève d’ailleurs d’une décision politique, les études préparatoires à ce projet n’en faisant pas mention.
Notre commission des finances a par conséquent adopté un amendement qui tend à restreindre l’ouverture du bénéfice de la prime aux seuls apprentis répondant aux conditions de rémunération et de durée d’activité prévues par le texte. Nous avons souhaité déposer à nouveau cet amendement afin que le débat puisse avoir lieu en séance publique.
Enfin, d’un point de vue financier, l’enveloppe de 4,1 milliards d’euros prévue repose sur des hypothèses de taux de recours et des paramètres de calcul difficiles à vérifier.
Le Gouvernement estime que seulement 50 % des personnes éligibles demanderont effectivement à bénéficier de la prime, mais ce taux paraît très incertain, en l’absence d’expérimentation locale préalable. Un aléa majeur pèse donc sur le coût réel du nouveau dispositif : si la totalité des personnes éligibles y avait recours, son coût atteindrait 6 milliards d’euros !
Par ailleurs, je souligne que cette enveloppe représente déjà un effort financier de 300 millions d’euros supplémentaires par rapport à ce qu’auraient coûté la PPE et le RSA activité en 2016. Or le Gouvernement propose d’élargir à nouveau le champ des bénéficiaires aux étudiants et aux apprentis, pour 100 millions d’euros de plus.
Il conviendra donc d’être très vigilant au cours de l’examen de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du budget de l’État dans les prochaines années, sur le coût de cette nouvelle prestation. Nous avons connu les débuts – et la fin ! – du RMI, un dispositif dont le coût a été multiplié par huit ou par dix par rapport aux prévisions initiales.
Dans cette perspective, et afin d’identifier de façon plus précise les déterminants de la dépense, la commission des finances a adopté un amendement, intégré au texte issu des travaux de la commission des affaires sociales, visant à compléter le rapport d’évaluation du Gouvernement prévu à l’article 28. Ces informations pourraient, en effet, se révéler utiles pour réfléchir à des ajustements visant à contenir le coût de ce nouveau dispositif.
Pour conclure, si la prime d’activité a le mérite de gommer certains défauts de la PPE et du RSA activité, le mode de calcul et les modalités d’attribution de cette nouvelle prestation sociale restent très complexes. On peut donc regretter que le choc de simplification n’ait pas inspiré le calcul du montant, de la prime d’activité, à la fois « familialisée », individualisée et agrémentée de bonus individuels. Ces mots indiquent bien que les choses ne seront pas simples !
Sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle a proposés, la commission des finances a émis un avis favorable à l’adoption du titre IV du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l’UDI-UC.)