M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui un exercice entrepris voilà quelques mois. Nous avions en effet déjà débattu ici même, au mois d’avril, d’une actualisation de la programmation militaire.
On sait que les événements survenus ces deux dernières années, au Sud, au Moyen-Orient et sur les franges orientales de l’Union européenne, ainsi que sur notre territoire, particulièrement au mois de janvier, s’inscrivent tout à fait dans la perspective stratégique que nous avions esquissée dans le dernier Livre blanc. Celle-ci demeure. La gravité de ces événements a conduit à la prise de décisions au plus haut niveau de l’État, notamment par le Président de la République après le conseil de défense du 29 avril. Je salue sa détermination : ce n’était pas si simple compte tenu du contexte budgétaire actuel.
Au travers de cette actualisation de la programmation militaire, il s’agit non seulement de compléter les systèmes d’armes qui équipent nos forces, d’accompagner la montée en puissance du renseignement et de la cyberdéfense, mais également, pour reprendre vos mots, monsieur le ministre, de « densifier notre modèle de défense ». C’est en ayant cette perspective à l’esprit que je me propose d’aborder quelques points de ce projet de loi.
À la suite des attentats des 7 et 9 janvier, nos armées ont démontré qu’elles étaient des leviers puissants de résilience face à la déstabilisation voulue par les terroristes. L’efficacité avec laquelle elles ont relevé le défi de la lutte anti-terroriste sur notre sol tout en conservant un haut degré d’engagement à l’extérieur prouve que nous disposons d’un outil performant, servi par des femmes et des hommes d’un professionnalisme remarquable, et remarqué par tous nos concitoyens. C’est ainsi que l0 400 militaires ont pu être déployés dès le 13 janvier, dont 6 000 dans la seule région d’Île-de-France, en sus des 4 700 policiers et gendarmes, afin d’assurer la protection de plus de 800 points sensibles. À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle !
La LPM initiale fournissait un outil dont, faisant preuve collectivement d’une grande sagesse, nous avions vivement approuvé l’instauration, au travers de son article 6. J’en rappelle les termes :
« La présente programmation fera l’objet d’actualisations, dont la première interviendra avant la fin de l’année 2015. Ces actualisations permettront de vérifier, avec la représentation nationale, la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi et les réalisations. Elles seront l’occasion d’affiner certaines des prévisions qui y sont inscrites, notamment dans le domaine de l’activité des forces et des capacités opérationnelles, de l’acquisition des équipements majeurs, du rythme de réalisation de la diminution des effectifs et des conséquences de l’engagement des réformes au sein du ministère de la défense. »
Nous nous emparons de cet outil six mois avant la date prévue. Cette démarche inédite donne un souffle politique et la légitimité requise par un effort engageant la nation entière.
Nous allons, avec ce projet de loi, accélérer la modernisation de notre appareil de défense et l’adapter aux temps que nous vivons. Je fais naturellement référence ici non seulement à la réponse au défi sécuritaire, mais également aux nouvelles formes de représentation que permettront les associations professionnelles nationales de militaires et à la création du service militaire volontaire.
Je retiendrai trois marqueurs de l’ambition de cette actualisation.
En premier lieu, il s’agit de fournir des moyens supplémentaires, grâce à un effort budgétaire exceptionnel. En effet, si la démarche est inédite, l’ampleur des moyens alloués au budget de la défense ne l’est pas moins. Cette LPM sera vraisemblablement la première dont la trajectoire financière sera respectée dans son intégralité, et même au-delà. Cela mérite d’être signalé.
C’est ainsi que 3,8 milliards d’euros de crédits budgétaires supplémentaires seront alloués à l’effort de défense. Ils permettront, d’ici à 2019, de préserver 18 750 postes de la déflation prévue : 2,8 milliards d’euros y seront consacrés. L’arithmétique s’imposant à une intention que certains voudraient malicieuse, la réduction de la déflation sera évidemment le plus coûteuse en fin d’exercice, ce qui justifie l’importance des crédits fixés pour les dernières années de la programmation.
Je rappelle que la précédente loi de programmation militaire et la révision générale des politiques publiques, la RGPP, prévoyaient 54 000 suppressions de postes, contre 24 000 pour la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Finalement, le nombre de postes supprimés s’établira à environ 6 000.
Cette mesure essentielle en termes d’effectifs permettra d’honorer les contrats opérationnels demandés aux armées. C’est ainsi que l’armée de terre, parce qu’elle est la principale composante concernée par la protection des citoyens sur le territoire, verra sa capacité opérationnelle portée de 66 000 à 77 000 hommes.
Cette mesure profitera également à la cyberdéfense, aux forces spéciales, à hauteur de 1 000 personnels pour chacun de ces deux domaines, et aux services de renseignement. Au-delà, hors budget de la défense, diverses agences bénéficieront elles aussi d’effectifs nouveaux pour mettre en œuvre une politique de renseignement ambitieuse. Je laisse le soin à mon collègue Jeanny Lorgeoux d’évoquer le contexte géopolitique justifiant un tel effort.
Ensuite, et ce n’est pas le moins important, des crédits budgétaires seront substitués à des recettes exceptionnelles : demeureront 930 millions d’euros de cessions immobilières et de matériels. Cette substitution, que nous appelions de nos vœux, témoigne que les contrôles effectués par le Parlement ont porté leurs fruits. Le caractère trop aléatoire de ces recettes exceptionnelles contrastait avec la volonté présidentielle, plusieurs fois affirmée, de sanctuariser le budget de la défense. J’avais déjà eu l’occasion de le souligner ici même, au mois d’avril dernier.
En deuxième lieu, l’actualisation de la programmation militaire permettra un effort accru en matière d’équipement.
Je rappelle que la LPM faisait un pari en matière d’export, en particulier du Rafale. Ce pari est en passe d’être gagné grâce à la qualité de l’avion, à l’accompagnement par l’armée de l’air et, il faut le dire, à l’engagement du Gouvernement et de la diplomatie. À cet égard, je veux tout particulièrement saluer le vôtre, monsieur le ministre.
Les crédits d’équipement inscrits demeurent, avec un calendrier respecté : nous l’avons vérifié auprès de la DGA. C’est donc bien 1 milliard d’euros, sur 3,8 milliards d’euros, qui sera consacré à l’entretien programmé de nos matériels et à l’accélération de la modernisation de nos équipements.
L’insuffisante disponibilité de certains systèmes d’armes, en particulier ceux de retour d’opérations extérieures, est un souci pour nos armées et pour le ministère. Je sais, monsieur le ministre, que l’entretien programmé du matériel a constitué l’une de vos priorités. Ce n’est pas le tout, en effet, d’acheter du matériel nouveau ; encore faut-il bien l’entretenir. Monsieur le ministre, vous augmentez cet effort de 500 millions d’euros : c’est bien, d’autant que la LPM initiale avait déjà renforcé les moyens.
En fait, compte tenu du milliard d’euros qui devra être redéployé au profit des équipements, ce sont plus de 1,5 milliard d’euros supplémentaires qui seront affectés à l’équipement des forces.
Des hélicoptères Tigre et des appareils C 130 seront acquis, dont deux seront équipés de kits permettant le ravitaillement en vol des hélicoptères. Nous serons pour notre part particulièrement vigilants à l’entretien du parc des hélicoptères, lequel, reconnaissons-le, a connu quelques défaillances ces dernières années. Il est vrai que le taux de disponibilité remonte progressivement, mais il semble encore bien insuffisant au regard des besoins. L’aéromobilité est aujourd'hui une donnée incontournable de la réussite de l’action de nos forces en opérations extérieures, notamment dans la bande sahélo-saharienne. Nous l’avons mesuré de nos propres yeux.
Je ne détaillerai pas les autres équipements prévus. Ils concernent le ravitaillement en vol, le ciblage, des compléments d’équipement en matière de renseignement et, pour la marine, des bâtiments de soutien dont elle a le plus grand besoin.
En troisième lieu, l’actualisation de la programmation militaire permettra de renouveler l’esprit de défense.
Les événements récents conduisent aussi à changer le regard que la société civile porte sur la place des militaires. Je veux parler là non seulement de l’évolution de la représentation professionnelle des militaires, mais également du service militaire volontaire et du rôle accru de la réserve militaire dans les dispositifs opérationnels.
En effet, la création des associations professionnelles nationales de militaires apporte une réponse législative aux deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Il s’agit aussi de moderniser les modes de représentation des personnels. Je laisse le soin à Gilbert Roger d’évoquer cette question plus avant.
Enfin, la création d’un service militaire volontaire, qui fait l’objet d’un large consensus, participe du renouvellement du lien entre l’armée et la nation. Cette expérience est une transposition sur le territoire de la métropole du service militaire adapté d’outre-mer, dispositif que nous avons d’ailleurs évalué nous-mêmes lors d’une visite récente en Guyane.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Reiner. Je précise toutefois que, pour notre groupe, cette expérimentation d’un service militaire devrait être mise en œuvre, dans un premier temps, par le seul ministère de la défense.
Pour toutes ces raisons – moyens financiers en hausse, revue d’effectifs, équipements supplémentaires, renforcement du lien entre l’armée et la nation –, le groupe socialiste et républicain soutiendra cette actualisation de la programmation militaire, dont j’ai dit combien elle était inédite.
François Mitterrand disait que « les libertés qui nous paraissent aller de soi sont d’autant mieux assurées qu’on nous sait détenir les moyens suffisants pour les protéger ». Le présent projet de loi renforce ces moyens, qu’il s’agisse des équipements ou des hommes, dont on connaît la qualité. Je sais que beaucoup, sur de nombreuses travées du Sénat, sont prêts à apprécier cet effort à sa juste valeur. C’est la force de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de rendre cela possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Leila Aïchi et M. Jean-Marie Bockel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, voici maintenant près de six mois que l’opération Sentinelle a été déployée sur notre territoire, à la suite des terribles attentats qui ont frappé notre pays en début d’année. Je tiens, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, à saluer l’engagement remarquable de nos soldats au quotidien. En effet, dans le contexte particulièrement difficile que nous connaissons, l’armée est largement mise à contribution et elle participe de manière substantielle à la solidarité et à la cohésion sociale.
C’est justement parce que l’armée est sollicitée bien au-delà des contrats opérationnels initialement définis en 2013 et parce que les menaces se sont accrues que ce débat a lieu aujourd’hui.
Ainsi, l’actualisation que vous nous proposez, monsieur le ministre, présente deux points majeurs : d’une part, l’augmentation des ressources de 3,8 milliards d’euros de 2016 à 2019 et, d’autre part, la réduction de la tendance déflationniste qui prévalait jusque-là, en préservant 18 750 postes. Sont concernés, notamment, les forces opérationnelles terrestres, qui atteindront 77 000 hommes dès 2016 dans le cadre du nouveau « contrat de protection », ou encore le renseignement, dont les effectifs seront renforcés de 900 personnes.
Les écologistes soutiennent l’effort fait au niveau des effectifs, puisque, comme nous l’avons déjà dit, les soldats doivent être la priorité : ils sont au cœur de notre vision de la défense. Je sais, monsieur le ministre, que tel est également votre souci et je connais votre engagement en la matière.
Toutefois, il ne s’agit là que d’une première étape. Face à la multiplication des engagements de la France à l’étranger, la question des effectifs deviendra de plus en plus centrale. Avons-nous toujours les moyens d’intervenir à la fois en Afrique et au Moyen-Orient ?
Si nous reconnaissons bien évidemment que la menace terroriste a pris une dimension sans précédent dans ces régions, nous posons la question de la soutenabilité de notre engagement international et notons, à regret, l’absence criante d’une défense européenne.
Alors que la loi de programmation militaire pour les années 2014-2019 prévoyait un surcoût annuel constant sur la période pour les opérations extérieures, ou OPEX, de 450 millions d’euros, ce surcoût s’est déjà établi en 2014 à 1,12 milliard d’euros. Nous mesurons donc l’irréalisme de la trajectoire initiale, d’autant que cette même question risque de se poser l’an prochain. La multiplication des OPEX met la France dans l’incapacité de s’engager davantage aujourd’hui, à quelque niveau que ce soit, y compris dans le domaine humanitaire et celui de la prévention.
Or vous connaissez bien ma position sur ce sujet, monsieur le ministre : dans notre voisinage proche et éloigné, les risques engendrés par le stress environnemental seront les déclencheurs et signes avant-coureurs des crises de demain. Les principaux enjeux stratégiques sont intimement liés à l’accès aux ressources naturelles, aux matières premières, à l’énergie et à la démographie. Ces risques mettront au défi des structures étatiques dont l’effondrement et la faiblesse ont déjà été à l’origine de nombreuses opérations de maintien de la paix par le passé.
Face à ces risques, nous devons à tout prix avoir une approche ambitieuse et globale. En ce sens, monsieur le ministre, je me permettrais de dire quelques mots sur la dissuasion nucléaire. Vous connaissez la position des écologistes sur ce sujet. Toutefois, force est de constater que la réactualisation consacre la trajectoire définie en 2013 en matière de dissuasion, puisqu’aucune modification n’y est apportée. Nous le regrettons.
La modernisation de notre arsenal nucléaire relève-t-elle réellement de l’urgence ? L’arme nucléaire est-elle la réponse la plus adaptée aux défis sécuritaires d’aujourd’hui et de demain ? Ces questions doivent être posées.
Le maintien de notre dissuasion comme composante majeure de notre défense va continuer d’écraser le champ des capacités conventionnelles. Or celles-ci demeurent essentielles dans la prévention des crises, comme nous le voyons tous les jours.
En l’absence totale de débat autour du dimensionnement et de la posture de notre dissuasion, nous nous retrouvons aujourd’hui avec des marges de manœuvre largement réduites. Au total, mes chers collègues, près de 19,7 milliards d’euros de dépenses d’équipement seront dévolus aux armes nucléaires entre 2015 et 2019, soit 22,45 % des crédits d’équipement.
Alors que le Président de la République a mis en avant, lors du conseil de défense du 29 avril 2015, l’impératif d’équilibre budgétaire, les écologistes considèrent justement que la principale variable d’ajustement qui est aujourd’hui insuffisamment mise à contribution est bien évidemment la dissuasion nucléaire.
Malgré cette opposition de fond, que nous ne pouvons occulter, les écologistes tiennent toutefois à saluer une avancée importante de ce texte, à savoir la création des associations professionnelles nationales de militaires.
Il s’agit là, en effet, d’une étape importante, mise en œuvre a minima peut-être, mais qui va tout de même dans le sens d’une démocratisation et d’une plus grande transparence de l’armée. Sur ce point, il est important que les associations professionnelles soient interarmes, afin d’éviter tout corporatisme et de permettre ainsi une meilleure représentativité.
Même si certains amendements votés en commission sont venus limiter les prérogatives de ces associations, nous notons que, pour la première fois, les militaires bénéficieront de structures leur permettant d’exprimer leurs revendications et de défendre leurs intérêts professionnels. Ainsi, l’armée ne sera plus une exception à l’écart de la société.
Ce constat m’amène logiquement, enfin, à dire quelques mots sur le lien entre l’armée et la nation, qui me paraît être une priorité, particulièrement en cette période.
M. Roger Karoutchi. Ah ! tiens donc !
Mme Leila Aïchi. Les initiatives prises en ce sens par votre gouvernement doivent être soutenues, à l’image de la réserve citoyenne qui, si elle est bien encadrée et paritaire, peut promouvoir une citoyenneté engagée et renforcer les valeurs de la République.
J’avais également attiré votre attention, il y a peu, sur le projet de l’armée de l’air visant à établir un contact durable avec la jeunesse en coordination avec le milieu éducatif. Monsieur le ministre, pour lutter contre le terrorisme, ce genre d’initiative est indispensable et doit être encouragé. En effet, alors que la présence de l’armée est de plus en plus visible sur notre territoire, il est impératif que nous réfléchissions collectivement au renforcement du lien entre l’armée et les citoyens afin de rendre cette situation acceptable sur le long terme.
Nous le voyons de plus en plus, mes chers collègues, nous ne pouvons plus débattre de l’armée à huis clos. Cette dernière fait partie intégrante de la société française et doit contribuer à son dynamisme. Au moment où les passerelles se multiplient, il est de notre responsabilité de parlementaires de mettre en place les conditions nécessaires pour renforcer et pérenniser le dialogue entre l’armée et les citoyens. (Mme Bariza Khiari et M. Daniel Reiner applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.
M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en avril dernier, alors que nous évoquions déjà la nécessité d’actualiser la programmation militaire à la suite des événements tragiques du début de l’année, j’avais émis le souhait que s’arrête là la comptabilité macabre.
La liste des victimes s’est, hélas ! encore allongée et plus rien ne semble arrêter la barbarie djihadiste. Tout espoir d’un retour à la normale sur notre territoire national – si tant est qu’il ait existé – s’est évanoui. La pérennisation de l’opération Sentinelle est désormais perçue comme inéluctable. Le niveau d’engagement de nos troupes sur les théâtres extérieurs est également plus élevé que prévu, plongeant nos forces armées dans une situation de « surchauffe opérationnelle ». En outre, l’« arc de crises » se dessinant au sud de l’Europe, du Sahel à l’Afghanistan, se consolide pendant que l’État islamique poursuit sa progression, obtenant dans le même temps le ralliement de différents groupes terroristes.
Face à ce constat, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui tente d’adapter notre outil de défense à ces besoins accrus de sécurité.
Tout d’abord, il abonde le budget de la défense de quelque 3,8 milliards d’euros supplémentaires entre 2016 et 2019, mais surtout – et c’était une revendication de longue date – il sécurise ce budget par la limitation des ressources exceptionnelles, ou REX.
On retiendra surtout de ces fameuses « ressources exceptionnelles », issues du produit de cessions de biens immobiliers, de matériel militaire ou de fréquences hertziennes, qu’elles ont manqué en 2015 et ont conduit à imaginer des solutions pour le moins surprenantes, à l’image des sociétés de projet. Ces REX ne représentent plus que 930 millions d’euros pour la période 2015-2019, soit 0,6 % du budget contre 3,5 % dans la programmation initiale. Cette « rebudgétisation » représente, monsieur le ministre, un progrès notable qui ne manquera pas d’être souligné, je n’en doute pas, par l’ensemble de mes collègues.
Une part notable de ces 3,8 milliards d’euros, soit 2,8 milliards d’euros, servira à financer la révision de la trajectoire des effectifs. Le rythme des déflations d’effectifs ralentit et nous accueillons cette décision avec soulagement. Ainsi, 18 750 postes seront sauvegardés afin de pouvoir continuer à mobiliser, dans la durée, 7 000 hommes dans le cadre de l’opération Sentinelle, tout en assurant la relève sur les théâtres extérieurs et sans que la préparation, essentielle à l’efficacité et à la sécurité de nos soldats, soit pour autant négligée.
Il est encore prévu que les secteurs stratégiques du renseignement et de la cyberdéfense bénéficient de la création de 900 postes de spécialistes, ce que nous appelions aussi de nos vœux.
Sur cet effort financier, un milliard d’euros sera consacré pour moitié à l’achat d’équipements, l’autre moitié étant réservée à l’entretien programmé du matériel.
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, on ne peut que se réjouir que quelque 500 millions d’euros, dégagés par une évolution favorable de certains indices économiques, viennent compléter cette somme. Celle-ci sera destinée, pour l’essentiel, à la mise à jour capacitaire des moyens dédiés aux forces aériennes et au renseignement.
Dans l’aérien, la programmation est substantielle et, de fait, satisfaisante. Une dizaine d’hélicoptères supplémentaires, d’attaque mais aussi de transport, seront livrés en 2017 et 2018 ; un second escadron de Rafale viendra remplacer les Mirage ; trois avions ravitailleurs MRTT seront commandés de façon anticipée. Ce renouvellement de matériel sera par ailleurs accompagné – c’était indispensable – d’un plan de réorganisation générale du maintien en condition opérationnelle. Nous saluons cette initiative, car le matériel, sursollicité en OPEX, se détériore rapidement.
En ce qui concerne le renseignement, nos capacités d’observation spatiale seront renforcées par l’acquisition d’un troisième satellite de la composante spatiale optique, ou CSO, en coopération avec l’Allemagne. Pour les drones, les livraisons déjà prévues seront complétées par l’acquisition d’appareils embarqués de renseignement d’origine électromagnétique. Nous approuvons l’effort de recherche consenti pour rattraper notre retard en la matière. Ce retard nous contraint à nous fournir chez nos alliés américains et à chercher en urgence des mesures pour régler, notamment, la problématique du survol de sites sensibles par des mini-drones.
Les forces terrestres et spéciales, ainsi que la marine, ne seront pas en reste pour autant, comme en témoignent la régénération du parc de véhicules blindés, l’acquisition d’un quatrième bâtiment multimissions et de quatre bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers, etc. Personne n’a été oublié.
Ce projet de loi prévoit également quelques dispositions nouvelles, telles que l’expérimentation d’un service militaire volontaire. Si nous pouvions réserver à cette mesure un accueil plutôt favorable, considérant qu’il est essentiel de retisser un lien entre l’armée et la nation qui n’a cessé de s’étioler, permettez-nous, monsieur le ministre, d’être quelque peu déçus par la façon dont le dispositif est conçu, à savoir avant tout comme un dispositif d’insertion professionnelle destiné aux jeunes en difficulté auxquels il s’agirait de donner une seconde chance. Tant mieux si cette nouvelle version du service militaire permet de remplir cette fonction, mais lui assigner cette unique mission me paraît manquer d’ambition ! Est-ce bien là la vocation de nos forces armées que d’inculquer la ponctualité ? Nous nous contentons d’un décalque de ce qui existe outre-mer dans le cadre du service militaire adapté, alors que le dispositif mériterait d’être ouvert à d’autres profils et, également, d’être relié à l’objectif de montée en puissance de la réserve opérationnelle.
Sur la question inédite de la création d’associations professionnelles de militaires, décidée afin de nous mettre en conformité avec le droit européen à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, le texte, en permettant d’instaurer un dialogue strictement restreint à la « condition militaire », me semble être équilibré.
Enfin, il me faut encore dire un mot sur l’Europe de la défense, sujet sur lequel on ne peut que déplorer l’absence d’avancées concrètes ! Nous attendions beaucoup du Conseil européen des 25 et 26 juin dernier, mais les questions de sécurité et de défense ont été mises de côté, au profit d’autres préoccupations telles que celles liées à la crise grecque. Les déclarations d’intention doivent désormais se traduire par des actes.
L’Union européenne a besoin d’agir de façon autonome en s’appuyant sur des capacités militaires crédibles. Le scandale de la mise sur écoute de l’Élysée opérée par l’agence de sécurité des États-Unis a mis en évidence ce besoin d’une coopération étroite au niveau européen, à la fois pour exister parmi les grands et pour établir une protection réellement efficace.
Aussi, comment ne pas s’inquiéter quand le Conseil européen demande qu’une stratégie de défense européenne lui soit soumise d’ici à juin 2016 ? La situation exige que nous accélérions. La France, grande puissance militaire, doit jouer un rôle de premier plan dans cette relance.
Bien que cet attentisme européen dangereux nous alerte, nous constatons que le Gouvernement confirme qu’il a pris la mesure de la situation en présentant ce projet de loi et les ajustements importants qu’il contient. Les crédits budgétaires repartent à la hausse, la tendance s’inverse en ce qui concerne les coupes dans les effectifs et des priorités nouvelles sont affirmées. C’est pourquoi le groupe du RDSE est favorable à l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. Nous reprendrons l’examen de ce projet de loi à l’issue du débat sur la situation de la Grèce et les enjeux européens.