M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, c’est clair, il fallait actualiser la loi de programmation militaire de 2013 ! Cela était prévu, mais les circonstances imposent de le faire ici et maintenant.
Les crises extérieures se sont gravement accentuées. L’émergence de Daech marque une vraie rupture au regard du traitement habituel des menaces et représente un risque d’une extrême gravité pour notre sécurité. On a du mal, monsieur le ministre, à croire que la réponse militaire actuelle sera suffisante face à ce que l’on peut considérer comme un véritable fléau.
Par ailleurs, les « menaces de la force » ont fait leur retour avec l’annexion de la Crimée et les actes de guerre dans le Donbass, que peinent à contenir l’édifice utile de « Minsk 2 » et le dialogue sous « format Normandie », qui a ouvert une perspective mais laisse subsister bien des incertitudes.
Enfin, la menace intérieure, qui avait été pressentie et, d’une certaine manière, anticipée par les auteurs du Livre blanc de 2013, auxquels je veux rendre hommage, a pris corps avec les attentats de janvier et celui de l’Isère, au point que l’on peut dire que notre pays est aujourd’hui en guerre. Cela nous impose d’agir dans un esprit de rassemblement.
En 2013, certains paris avaient été faits. Ils sont aujourd’hui en partie « débouclés » : en positif avec la prise de risque récompensée s’agissant de l’exportation du Rafale, en négatif avec l’absence de cession des fréquences hertziennes, qui conduit aujourd’hui le Gouvernement à – enfin ! – budgétiser les ressources de la défense.
Permettez-moi de revenir un instant sur le rôle qu’a joué en la matière la commission des affaires étrangères, de la défense et des armées. En 2013, Jacques Gautier, Daniel Reiner et Xavier Pintat avaient conduit sa réflexion sur la trajectoire et sur la question des équipements. Robert del Picchia et Gilbert Roger avaient travaillé sur les ressources humaines, Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur le renseignement et les études amont. Yves Pozzo di Borgo et Michelle Demessine s’étaient penchés, quant à eux, sur le sujet de l’entraînement des forces.
Je citerai encore les travaux de Jean-Marie Bockel sur la cyberdéfense et l’Afrique, ainsi que ceux d’Alain Gournac et de Michel Boutant.
J’ai pu constater que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées réalisait dans la durée un travail de grande qualité, en étant capable de dépasser un certain nombre de conflits de circonstance pour essayer de penser l’avenir dans un esprit de responsabilité. Je suis heureux de m’inscrire dans cette perspective, que les présidents Carrère et de Rohan ont dessinée avant moi.
En 2013, c’est notre commission qui, par le biais d’un amendement cosigné de tous ses rapporteurs, avait introduit la clause de sauvegarde budgétaire en cas de défaut de ressources exceptionnelles. C’est une disposition très importante que nous réutilisons à propos de ce texte.
Nous avons pu constater, dans les arbitrages récents, un alignement sur la doctrine de notre commission, qui, je n’en doute pas, monsieur le ministre, a été une carte d’atout dans votre jeu, notamment dans le cadre des négociations avec certains de vos collègues du Gouvernement que je ne citerai pas ici, même si nous avons effectué un contrôle sur pièces et sur place dans leur ministère. Ce travail a d’ailleurs été très utile, tout comme le débat qui a eu lieu au Sénat le 2 avril dernier afin de préparer l’actualisation de la LPM. Nous avons ainsi pu démontrer qu’il manquait 3 milliards d’euros au budget de la défense, somme que nous avons fini, ensemble, par obtenir, monsieur le ministre ! Nous avons mis en lumière, ensemble, la nécessité de faire face à l’exigence de sécurité. Les arbitrages rendus ont été les bienvenus, mais nous ne devons pas pour autant relâcher nos efforts, les mêmes causes pouvant produire, demain, les mêmes effets. Nous souhaitons donc toujours que nous soit soumis un collectif budgétaire afin de donner une traduction concrète à ces annonces.
Nous avons plusieurs motifs de satisfaction. Le plus important d’entre eux est peut-être l’inversion de la tendance globale : pour la première fois depuis longtemps, la baisse des crédits est enrayée. Nous sommes également d’accord avec les priorités fixées par ce texte : la protection du territoire national, la cyberdéfense, le renseignement, l’aéromobilité, l’attention portée à l’entraînement, le rôle citoyen des armées, l’accent mis sur la réserve. Ces priorités nous paraissent pertinentes.
Cependant, des motifs d’inquiétude subsistent.
Ils concernent tout d’abord les ressources, et ce dès l’exécution 2015, puisqu’il faudra attendre les crédits budgétaires jusqu’à fin décembre. Ce calendrier va contraindre à poser des « rustines » : dégel des réserves, décrets d’avance, remboursements divers demandés à des tiers. La Direction générale de l’armement, la DGA, va devoir dépenser 2 milliards d’euros entre le 30 et le 31 décembre ! C’est de l’équilibrisme ! Les conséquences risquent d’être importantes pour les industriels. Cette situation nous amène à réclamer ici solennellement la présentation d’un collectif budgétaire anticipé. Nous avons confiance dans les choix qui ont été annoncés, mais plus tôt ce collectif interviendra, plus nous serons rassurés.
Nos préoccupations portent également sur les ressources exceptionnelles, notamment celles qui sont liées aux cessions immobilières et aux ventes de matériels. Ces ressources considérables, qui s’établissent à 930 millions d’euros, pourraient être menacées si un certain nombre de paramètres venaient à évoluer dans le mauvais sens. Nous en reparlerons, puisque nous appelons à faire jouer, en l’occurrence, la procédure des clauses de sauvegarde.
Le calendrier nous préoccupe aussi. Le profilage dans le temps des crédits conduit à une concentration sur la fin de la programmation : la majeure partie de l’effort est concentrée sur 2018 et 2019, pour un engagement total de 3,8 milliards d’euros supplémentaires, sans qu’un seul euro de plus ne soit sorti en 2015…
Nous disposons d’une vision d’ensemble, mais cette actualisation n’est qu’une étape pour ceux qui entendent défendre les moyens mobilisés afin d’atteindre les objectifs fixés par la loi de programmation militaire. Il nous faudra rester vigilants, compte tenu de l’ampleur des crédits nécessaires en fin de programmation. À cet égard, notre commission coopère dans les meilleurs termes avec la commission des finances. Je tiens à saluer, à cet instant, le travail de Dominique de Legge, avec lequel nous avons pu trouver, dans un climat de compréhension mutuelle, les bons équilibres.
Ce sujet est extrêmement important pour notre pays. La France est tout de même l’un des rares pays, en Europe et dans le monde, capables de protéger de manière autonome leurs ressortissants et leur territoire, y compris en intervenant militairement hors de celui-ci, de dissuader, grâce à leur force de dissuasion, tout agresseur qui menacerait leurs intérêts vitaux et de se faire entendre sur la scène internationale.
Vous pouvez compter sur nous, monsieur le ministre, pour maintenir cette vigilance. Nous saluons les arbitrages interministériels et présidentiels que vous avez pu obtenir. Il apparaît clairement, aujourd’hui, que le secteur de la défense est pour notre pays non pas une charge, mais une force d’avenir. Il dispose de grandes capacités technologiques, techniques et humaines. Notre organisation militaire reflète l’évolution sophistiquée de la gestion de l’autorité dans les sociétés modernes. La France est l’un des rares pays au monde où l’excellence se rassemble autour du dispositif de défense.
Il nous faut renforcer notre défense pour nous protéger, mais aussi pour assumer notre place au sein du Conseil de sécurité des Nations unies et pouvoir parler en étant écoutés. Il est clair que ce secteur peut contribuer fortement à faire respecter la France dans le monde.
Monsieur le président, pour une meilleure organisation de nos travaux, je demande, au nom de la commission, la réserve de l’examen de l’article 1er jusqu’à la fin de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Nous examinerons cette demande après l’intervention de M. le rapporteur pour avis de la commission des finances. Je ne pense pas que le Gouvernement y verra d’objection.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, chers collègues, j’irai à l’essentiel : concrètement, ce projet de loi d’actualisation comporte trois décisions d’importance majeure.
Premièrement, les recettes exceptionnelles prévues par la loi de programmation militaire pour la période 2015-2019 sont dans une très large mesure – à hauteur de plus de 5 milliards d’euros – remplacées par des crédits budgétaires.
Le projet de loi répond ainsi à la principale objection qui avait conduit un certain nombre d’entre nous à ne pas adopter le budget de la défense pour 2015.
On peut regretter que cette question n’ait pas été tranchée plus tôt, malgré les signaux d’alarme qui ont été tirés, notamment par notre assemblée, et que le Gouvernement se soit entêté à mettre en œuvre un « plan B » consistant en la fameuse opération de cession-relocation de matériel militaire à travers des sociétés de projet, cela alors même qu’un rapport réalisé par l’Inspection générale des finances, le Contrôle général des armées et la Direction générale de l’armement, fort opportunément classifié « confidentiel défense », concluait dès juillet 2014 que la vente des fréquences hertziennes ne serait pas au rendez-vous et émettait de fortes réserves sur les sociétés de projet, sur les plans tant financier et juridique qu’opérationnel. Je présenterai d’ailleurs un amendement visant à permettre aux commissions parlementaires de saisir la Commission consultative du secret de la défense nationale, la CCSDN, afin qu’elle puisse se prononcer sur le bien-fondé des classifications.
Toujours est-il que la raison a finalement prévalu : les ressources exceptionnelles, rebaptisées « recettes de cession », ne s’élèvent plus qu’à 930 millions d’euros, au total, de 2015 à 2019, et ne sont plus composées que de cessions immobilières, à hauteur de 630 millions d’euros, et de cessions de matériels militaires pour le solde.
Deuxièmement, le présent projet de loi prévoit d’augmenter les ressources totales du ministère de la défense pour la période allant de 2016 à 2019. Ce sont ainsi 3,8 milliards d’euros de crédits budgétaires supplémentaires qui seront répartis sur ces quatre années, dont 2,5 milliards d’euros après 2017.
Enfin, 18 750 équivalents temps plein seront maintenus, sur les 33 675 suppressions initialement prévues dans la loi de programmation militaire. Le coût de cette moindre déflation des effectifs représente 2,8 milliards d’euros, sur les 3,8 milliards d’euros de crédits supplémentaires dont bénéficie la défense.
Le milliard d’euros restant sera affecté pour moitié à l’entretien programmé des matériels et pour l’autre aux programmes d’équipement majeurs. Les programmes d’armement bénéficieront également du redéploiement de 1 milliard d’euros de crédits, grâce la baisse du coût des facteurs et des indices économiques sur lesquels se fondent les clauses d’indexation des contrats d’armement.
Le risque aurait été que le constat de gains de pouvoir d’achat du ministère de la défense ne conduise à des annulations de crédits. Le projet de loi prévoit au contraire que ces gains seront conservés par le ministère et consacrés à des dépenses d’équipement. Je tenais à le souligner.
Le projet de loi actualisant la programmation militaire va donc dans le bon sens, celui d’un renforcement et d’une sécurisation des moyens de la défense. Il remédie aux principaux reproches que l’on pouvait adresser à la loi de programmation militaire et au budget de la défense pour 2015. J’avais qualifié ce dernier d’insincère lors de son examen par notre commission, puis par le Sénat. Cela m’avait d’ailleurs valu quelques reproches. Pour autant, tout le monde savait que les recettes prévues ne seraient pas au rendez-vous. Les décisions annoncées par le Président de la République et ce projet de loi ne font que conforter cette analyse. Notre vote constituait un appel solennel adressé au Président de la République et au Gouvernement. Je me réjouis, monsieur le ministre, qu’il ait été entendu.
Il nous faudra cependant maintenir notre vigilance, afin que la défense bénéficie effectivement des ressources prévues dans le cadre de cette programmation actualisée.
C’est d’ailleurs le sens de trois amendements déposés par la commission des finances, qui ont été repris par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je veux en remercier Jean-Pierre Raffarin et nos collègues membres de cette commission.
Le premier de ces amendements porte sur les opérations extérieures, les OPEX. Le projet de loi prévoit de maintenir la provision pour les OPEX à 450 millions d’euros. C’est évidemment très en dessous du coût prévisible de ces opérations. En 2014, celui-ci a atteint 1,12 milliard d’euros, soit un dépassement de 650 millions d’euros ; en 2015, il en ira de même.
Le maintien de la provision à ce niveau inchangé est d’autant plus surprenant que le Gouvernement, dans l’exposé des motifs du projet de loi, précise que l’actualisation est rendue nécessaire par un engagement des forces qui se situe au-delà des seuils fixés dans le Livre blanc : il n’en tire pas les conséquences financières.
Par ailleurs, le principe d’un financement interministériel demeure, mais, dans la mesure où ce financement s’effectue plus largement, dans le cadre de la solidarité interministérielle, le ministère de la défense y contribue fortement. Je constate d’ailleurs, pour le regretter, que toutes les missions et tous les ministères ne contribuent pas de la même façon et à due proportion à ce financement interministériel. Le manque à gagner pour la défense s’élève à 79 millions d’euros selon la Cour des comptes, et à 54 millions d’euros selon un mode de calcul plus favorable.
Dans ces conditions, il est difficile de parler de sanctuarisation. On aboutit à un mécanisme qui rogne les moyens de nos armées alors même que celles-ci sont engagées sur des théâtres extérieurs. Cela est d’autant plus dommageable que s’ajoute désormais le coût des opérations intérieures. Je rappelle que le ministère de la défense est en outre son propre assureur en ce qui concerne le système de paie Louvois.
C’est pourquoi la commission des affaires étrangères et la commission des finances ont proposé que le ministère de la défense ne contribue pas au financement du dépassement de la provision au titre des OPEX.
Les deux autres amendements, repris également par la commission saisie au fond, portent sur les cessions immobilières.
Il s’agit, d’abord, de rétablir la clause de sauvegarde prévue par la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et supprimée par ce projet de loi, et, ensuite, de parer aux conséquences de la loi Duflot. La plus grande part des recettes viendra de la cession des emprises parisiennes, notamment de l’îlot Saint-Germain. Si la décote Duflot devait s’appliquer, les recettes prévues ne seraient point au rendez-vous.
Sans qu’ils fassent l’objet d’amendements, deux points méritent une vigilance particulière.
Il s’agit, en premier lieu, de l’entretien des matériels. Les équipements de nos forces engagées en opération extérieure s’usent de manière accélérée, notamment dans la bande sahélo-saharienne, en raison de conditions d’usage extrêmement abrasives. Un effort important doit être consenti pour leur régénération, sinon les forces armées ne pourront maintenir leur niveau d’engagement actuel. Le présent projet de loi y affecte 500 millions d’euros supplémentaires, alors que les besoins sont chiffrés à plus de 800 millions d’euros par l’état-major des armées. Il conviendra de prêter à cette question une attention particulière, car, si l’usure des matériels n’a pas d’incidence budgétaire tant que les réparations ne sont pas effectuées, elle représente bien une consommation des ressources de l’État.
Il s’agit, en second lieu, des ressources dégagées par redéploiement des crédits, soit 1 milliard d’euros. Elles reposent sur l’hypothèse que les indices économiques – taux de change, inflation, etc. – se maintiendront à un niveau bas durant le reste de la période de programmation. Il faudra surveiller leur évolution réelle et tirer éventuellement les conséquences de celle-ci le moment venu. De ce point de vue, l’amendement adopté par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées me paraît bienvenu.
Pour conclure, je rappelle que la LPM n’a qu’une valeur programmatique, les décisions normatives dans le domaine budgétaire relevant exclusivement des lois de finances. Or nous vivons toujours sous l’empire de la loi de finances de 2015. Cela signifie concrètement que la vente de fréquences figure toujours au budget de la défense, tout comme la diminution des effectifs, et que les crédits budgétaires annoncés en substitution des recettes exceptionnelles ne sont toujours pas inscrits.
Comme l’a souligné M. Raffarin, nous réclamons depuis plusieurs semaines, et pas seulement pour nos armées, une décision modificative. Monsieur le ministre, je prends acte de la réponse que vous avez bien voulu nous apporter par anticipation. Nous menons le même combat que vous. Puisque les décisions sont prises et que nous sommes, semble-t-il, d’accord, plus tôt le budget de 2015 sera revu dans le sens que nous espérons, mieux nos armées se porteront.
La commission des finances a souhaité enrichir ce projet de loi pour la bonne cause, monsieur le ministre. N’y voyez pas malice de notre part. Notre seule motivation est de conforter et de reconnaître l’action conduite par nos militaires sous votre autorité. Je forme le vœu que ce débat et la navette parlementaire permettent de trouver un équilibre satisfaisant pour nos armées et nos soldats, auxquels nous rendons hommage.
Sous réserve de ses amendements, la commission des finances a émis un avis favorable sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
Demande de réserve
M. le président. J’ai été saisi par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d’une demande de réserve de l’article 1er et du rapport annexé jusqu’après la fin de l’examen des articles.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis le vote de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019, nos forces armées ont eu à mener trois opérations extérieures majeures – dans le Sahel, en Centrafrique et en Irak –, ainsi que l’opération Sentinelle, à la suite des attentats de janvier dernier et du renforcement de la menace terroriste.
En raison de cette situation évolutive et aiguë, le groupe UDI-UC juge lui aussi nécessaire l’actualisation de la programmation militaire. Le contexte international actuel exige en effet que nous soyons dotés des outils de défense adaptés, en termes tant d’effectifs que d’équipements.
Les attentats tragiques du mois de janvier dernier à Paris, ainsi que ceux qui ont, depuis, touché le Danemark, la Tunisie, l’Égypte, le Yémen ou le Koweït, justifient que la communauté internationale réponde en urgence à la menace du terrorisme islamiste.
Monsieur le ministre, vous l’avez souligné, outre cette menace, la crise ukrainienne nous rappelle aujourd’hui la possibilité de la résurgence de conflits en Europe. Ainsi, soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un quart de siècle après la fin de la guerre froide, les tensions entre la Russie et l’Ukraine sont de sérieuses sources d’inquiétude et de déstabilisation pour l’Europe.
Devant ces enjeux transnationaux multiples et complexes, nous devons renforcer notre défense et veiller à ce que nos armées aient les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.
Dans le cadre de la loi de programmation militaire, nous avions fait le choix d’une armée ambitieuse et adaptable. La réactivité dont ont fait preuve les militaires français, non seulement dans le cadre de nos opérations extérieures en Afrique, mais aussi sur le territoire national au début de l’année, a confirmé une chose dont nous pouvons être fiers : la France demeure une puissance militaire importante et crédible sur la scène internationale. Notre armée, nos soldats y ont plus que leur part.
Nous sommes aujourd’hui le seul grand pays européen à avoir les capacités militaires et politiques de s’engager simultanément sur plusieurs théâtres d’opérations. Nous sommes aussi aujourd’hui le seul pays en Europe à s’engager de manière concrète dans des actions de combat, y compris au sol, en tout cas à cette échelle. Il s’agit donc d’éviter à tout prix le « décrochage » que causerait inévitablement un manque de moyens. Nous avons évoqué ce risque à plusieurs reprises et savons à quel point il est difficile ensuite de se remettre à niveau ; c’est pourquoi il faut, même en ces temps difficiles, se donner les moyens de l’écarter.
Pour ces raisons, la majorité des membres du groupe UDI-UC soutient la révision de la trajectoire financière et budgétaire prévue par le projet de loi actualisant la programmation militaire. Le renforcement du budget et des effectifs nous permettra, malgré le contexte économique contraint, d’assurer la totalité de nos missions et de conserver notre modèle d’armée adaptable.
L’engagement actuel des armées n’est pas tenable sans effectifs supplémentaires. Certains militaires ont déjà vu leurs permissions reportées, voire annulées, en raison du renforcement du rythme d’engagement. Je tiens à saluer à mon tour leur travail, leur engagement et leur courage constants au service de notre sécurité et de la défense des intérêts de la France, au péril de leur intégrité physique.
Nous parlementaires devons nous assurer qu’ils sont soutenus dans cet engagement par le renforcement des moyens qui leur sont accordés, de leur préparation, et le maintien en état de leurs équipements. Cela est nécessaire non seulement pour l’efficacité de leur action, mais aussi pour leur sécurité. J’espère d’ailleurs que l’effort de recrutement en cours, notamment pour l’armée de terre, porte ses fruits en dépit des difficultés à embaucher que connaît le secteur public.
En effet, l’accroissement de l’activité au titre des opérations extérieures doit nécessairement être compensé par un effort supplémentaire en termes de maintien en condition opérationnelle, prévu par le projet de loi.
Le renforcement des effectifs pour le renseignement et pour la cyberdéfense était particulièrement nécessaire eu égard au renforcement de la menace terroriste et à la multiplication des cyberattaques. Dans ce domaine, la France, qui était en retard voilà quelques années, est aujourd’hui à la pointe. Monsieur le ministre, je me félicite que vous ayez affirmé votre ambition que nous soyons les meilleurs en Europe dans ces secteurs. Il s’agit de ne pas perdre cette avance et, au contraire, de la conforter. (M. le ministre acquiesce.)
Dans ce domaine comme dans les autres, nous pouvons et devons nous appuyer sur la réserve. Au travers de la création d’une force de réserve opérationnelle de 1 000 réservistes « mobilisables en permanence » et de la mise à niveau de la réserve, le projet de loi souligne avec raison l’importance des réservistes dans nos armées. Ces derniers ont notamment un rôle crucial à jouer dans le cadre de la mission de protection du territoire national.
Or cette mission est devenue l’une des missions premières de nos forces armées : près de 1 600 résidents français sont partis combattre à l’étranger dans les rangs de Daech et sont prêts, par la suite, à revenir sur le territoire, ce phénomène n’étant pas propre à la France. L’emploi de nos forces armées sur notre territoire doit donc être au cœur de notre réflexion.
Sur ce sujet, des incertitudes demeurent. Quel type de missions pourra être mené ? Qui fait quoi ? Comment mettre en place une coopération efficace entre les militaires d’active et les réservistes déployés à l’intérieur du territoire et les forces de sécurité du ministère de l’intérieur, notamment la gendarmerie ? Cette dernière a d’ailleurs su, en matière de réserve opérationnelle, prendre une véritable longueur d’avance. De ce point de vue, elle peut certainement servir de modèle. (M. le ministre approuve.)
Monsieur le ministre, permettez-moi de revenir, à la suite du rapporteur et du rapporteur pour avis, sur les incertitudes relatives au budget et au financement que ce projet de loi ne lève pas entièrement.
L’abandon de l’option des sociétés de projet est une bonne décision, que le groupe UDI-UC soutient. Reste néanmoins à trouver une autre source de financement.
Vous semblez désormais compter sur la vente de fréquences hertziennes à très haut débit aux opérateurs de téléphonie mobile. Or, si les fruits de cette vente reviennent bel et bien à la défense, il ne s’agira de toute façon que d’une solution de court terme, car la somme obtenue, estimée à plus de 2 milliards d’euros, sera insuffisante, même si elle est importante, pour financer de manière pérenne les besoins supplémentaires de notre défense.
En l’absence de l’élaboration d’une loi de finances rectificative cette année, l’incertitude financière demeure, notamment concernant le financement des OPEX, qui doit répondre à une logique de besoins, et non à une logique de moyens.
Dans ce domaine, le travail accompli par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et par son président, Jean-Pierre Raffarin, a permis d’introduire des clauses de sauvegarde nécessaires pour sécuriser la trajectoire financière prévue par le projet de loi.
Ces amendements de clarification ont vocation à améliorer la mise en œuvre du texte, et non à faire échouer le nécessaire dialogue entre nos deux assemblées sur ce projet de loi. À chaque jour suffit sa peine.
Ainsi, loin d’être un « luxe » accordé à la défense, l’augmentation du budget était strictement requise et nécessitera une gestion financière précise pour produire les effets recherchés et donner à nos armées des moyens à la hauteur de la mission qui leur est confiée.
Ce contexte économique difficile ne touche cependant pas exclusivement la France et, alors que les menaces sont de plus en plus transnationales, il apparaît nécessaire de développer nos partenariats, en premier lieu avec l’Europe, qui devrait être davantage concernée. Je sais à quel point ce sujet, véritable serpent de mer, est difficile, parfois désespérant, mais il faut en parler.
Le Conseil européen qui s’est tenu à Bruxelles les 25 et 26 juin a été l’occasion, pour les États membres, d’évaluer les progrès accomplis en matière de politique de sécurité et de défense commune depuis décembre 2013. Si cette démarche est positive, ce Conseil européen a une nouvelle fois été marqué par le manque de vision stratégique commune de l’Union européenne.
Pourtant, les restrictions budgétaires que nous mentionnons aujourd’hui et qui limitent largement notre marge de manœuvre concernent également nos partenaires européens. Il est donc temps de faire preuve de plus d’ambition et de travailler ensemble à l’émergence d’une véritable Europe de la défense et au développement d’une base industrielle et technique de défense européenne. Le contexte économique et géopolitique l’exige. Les Européens sont aujourd’hui confrontés aux mêmes limites et aux mêmes menaces. Tout ce qui a jusqu’à présent freiné cette démarche européenne doit être aujourd’hui remis sur la table. En effet, les circonstances actuelles sont tout à fait exceptionnelles.
Comme cela a été dit avant moi, nécessité fait loi ! Je suis aussi conscient que tout un chacun de la difficulté de cet exercice. Nous sommes néanmoins nombreux à penser, tout en étant attachés à la souveraineté de la France dans bien des domaines, que nous avons un avenir européen, y compris en matière de défense.
Contrairement à ce que certains pourraient craindre, ce partenariat européen n’est pas en concurrence ou redondant avec notre engagement au sein de l’OTAN : il en est complémentaire. Les États-Unis ne manquent d’ailleurs pas de rappeler, lors de chaque sommet entre alliés, l’importance d’une prise de responsabilités européenne en matière de défense, y compris en termes budgétaires pour les États.
La France à un rôle à jouer en vue de trouver cette voie européenne vers une défense continentale commune, car sur ces questions au moins, notre pays est aujourd'hui – pourquoi ne pas le dire ? – le plus crédible. Eu égard à la menace que ressentent tous les citoyens européens, cela nous donne un véritable poids.
Ainsi, monsieur le ministre, la majorité des membres du groupe UDI-UC soutiendra l’adoption du projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019, dans la mesure où il renforce les moyens de notre défense. Néanmoins, des incertitudes financières demeurent, alors même que la diversité et l’intensité des menaces auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés nous imposent de faire preuve de rigueur et d’anticipation. Ce débat trouvera donc son nécessaire prolongement lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Pour l’heure, le présent texte marque un progrès, or il faut avancer. Nous vivons aujourd'hui un moment important pour notre défense. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)