M. Michel Mercier. L’amendement du Gouvernement nous rappelle quelques points essentiels relatifs au droit des étrangers dans notre pays.
Dans ce droit, la souveraineté de l’État s’exprime naturellement. Or il ne faut pas confondre les mesures qui tiennent à l’expression de la souveraineté de l’État dans le cadre de la police administrative avec celles qui relèvent du droit pénal.
Si je comprends très bien la position de la commission, elle confine à faire de la suppression de la carte de résident ou de séjour une sorte de peine complémentaire à la condamnation pénale. Or, entre le moment où les faits sont commis et celui où la condamnation pénale devient définitive, s’écoule forcément un délai extrêmement long, ne permettant pas à l’autorité administrative de faire correctement son travail. Il faut veiller à ce que l’action de police administrative, qui est une action de prévention, soit distinguée de l’action de politique pénale, qui est une action de répression. C’est d'ailleurs une position assez traditionnelle de notre droit, qui a été établie vers 1935 par le Conseil d'État.
C'est par fidélité à cette distinction entre police administrative et mesures pénales que je considère que nous pouvons sans problème voter l’amendement du Gouvernement et lui donner les moyens d’agir, sans que personne ne soit déjugé. Puisque M. le ministre nous a dit qu’il voulait être ferme, il serait malvenu que nous lui coupions les moyens de sa fermeté !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je remercie M. le rapporteur de l’avis qu’il a émis. Sa démonstration a été extrêmement précise et nous a permis de comprendre quelles avaient été les motivations de la commission des lois et la sienne propre.
Toutefois, pour conclure ce débat, je veux que chacun comprenne ici qu’il est de ma responsabilité de ministre de l’intérieur de garantir, avec la plus grande fermeté et la plus grande clarté – je l’assume complètement –, que l’accueil des réfugiés persécutés ait pour contrepartie une très grande rigueur à l’encontre de ceux qui, parmi eux, ne respectent ni les règles ni le droit de notre pays.
Dans un contexte de menace élevée et de risque avéré de troubles à l’ordre public de la part d’individus qui peuvent vouloir saper la République dans ses fondements, j’estime qu’il est normal que l’État se dote de tous les instruments de fermeté possibles, en usant des moyens de police administrative et sans attendre les condamnations, pour éviter la réalisation de ces troubles. Tel est l’esprit de l’amendement gouvernemental. Je souhaite, bien entendu, que le Sénat le comprenne.
Je souscris totalement aux propos de Michel Mercier sur la distinction entre police administrative et police judiciaire, sur le séquencement chronologique des pouvoirs des uns et des autres et sur la différenciation de ces pouvoirs. Néanmoins, j’ai besoin de cette mesure !
Je dois d'ailleurs vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’ai pris au cours des dernières semaines cinq mesures de déchéance de nationalité ; je rendrai compte devant vous de ces mesures, que j’ai annoncées hier, le 13 octobre prochain. Ces mesures extrêmement fermes, voire extrêmement dures, ont été prononcées à l’égard de personnes qui avaient bénéficié du statut de réfugié, mais dont les comportements étaient de nature à poser problème. Je vous indiquerai pourquoi j’ai pris cette décision, les conditions dans lesquelles je l’ai fait et le nombre de personnes concernées.
Lorsqu’existent des risques graves de troubles à l’ordre public, il n’est pas possible, sur le plan de la police administrative, d’agir autrement qu’avec la plus grande fermeté.
M. le président. La parole est à M. Guy-Dominique Kennel, pour explication de vote.
M. Guy-Dominique Kennel. Monsieur le ministre, je crois que votre volonté de fermeté a été entendue par tous. Elle vous honore !
À titre personnel, malgré l’amitié que je porte à notre collègue rapporteur, je voterai pour la proposition du Gouvernement. Je demanderai simplement à M. le ministre d’essayer de faire partager sa volonté de fermeté à certains de ses collègues du Gouvernement – vous voyez de qui je parle…
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Philippe Kaltenbach. Pas de polémiques inutiles !
M. le président. Je mets aux voix l'article 8 bis A, modifié.
(L'article 8 bis A est adopté.)
Article 8 bis
La sous-section 2 bis du chapitre III du titre Ier du livre III du même code est complétée par un article L. 313-7-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 313-7-2. – I. – La carte de séjour temporaire est accordée à l’étranger titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur qui vient en France, dans le cadre d’une convention de stage visée par l’autorité administrative compétente, effectuer un stage dans un établissement ou une entreprise du même groupe, qui justifie d’une ancienneté d’au moins trois mois et qui dispose de moyens d’existence suffisants. Elle porte la mention “stagiaire ICT”.
« La carte de séjour temporaire portant la mention “stagiaire ICT (famille)” est délivrée, s’il est âgé d’au moins dix-huit ans, au conjoint de l’étranger mentionné au premier alinéa du présent I ainsi qu’à ses enfants entrés mineurs en France, dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou lorsqu’ils entrent dans les prévisions de l’article L. 311-3, sous réserve du respect de la condition prévue à l’article L. 313-2. La durée de cette carte est égale à la période de validité restant à courir de la carte de séjour de leur conjoint ou parent.
« La carte de séjour temporaire portant la mention “stagiaire ICT (famille)” donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« L’étranger ayant été admis au séjour dans un autre État membre de l’Union européenne pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au premier alinéa du présent I peut effectuer une mission en France d’une durée inférieure ou égale à quatre-vingt-dix jours dans le cadre du 2° de l’article L. 1262-1 du code du travail, afin d’effectuer un stage dans un établissement ou une entreprise du même groupe sous couvert du titre de séjour portant la mention “ ICT ” délivré dans le premier État membre.
« II. – Lorsque cette mission est d’une durée supérieure à quatre-vingt-dix jours, l’étranger qui justifie de ressources suffisantes est autorisé à travailler et à séjourner en France au titre d’une carte de séjour portant la mention “stagiaire mobile ICT” d’une durée identique à celle de la mission envisagée, dans la limite d’une durée maximale d’un an.
« La carte de séjour temporaire portant la mention “stagiaire mobile ICT (famille)” est délivrée dans les mêmes conditions qu’au deuxième alinéa du I du présent article.
« La carte de séjour temporaire portant la mention “stagiaire mobile ICT (famille)” donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 8 bis.
Mme Esther Benbassa. Je m’abstiens !
(L'article 8 bis est adopté.)
Article 9
L’article L. 313-10 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 313-10. – Une carte de séjour temporaire, d’une durée maximale d’un an, autorisant l’exercice d’une activité professionnelle, est délivrée à l’étranger :
« 1° Pour l’exercice d’une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l’article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention “salarié”.
« La carte de séjour est prolongée d’un an si l’étranger se trouve involontairement privé d’emploi dans les trois mois précédant son renouvellement ;
« 2° Pour l’exercice d’une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée ou dans les cas prévus aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du code du travail, dans les conditions prévues à l’article L. 5221-2 du même code. Cette carte est délivrée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement, dans la limite d’un an. Elle est renouvelée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement. Elle porte la mention “travailleur temporaire” ;
« 3° Pour l’exercice d’une activité non salariée, économiquement viable et dont il tire des moyens d’existence suffisants, dans le respect de la législation en vigueur. Elle porte la mention “entrepreneur/profession libérale”.
« L’étranger se voit délivrer l’une des cartes prévues aux 1° ou 2° sans que lui soit opposable la situation de l’emploi sur le fondement de l’article L. 5221-2 du code du travail lorsque sa demande concerne un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, après consultation des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives.
« La carte de séjour prévue aux 1° ou 2° est délivrée, sans que lui soit opposable la situation de l’emploi, à l’étudiant étranger qui, ayant obtenu un diplôme au moins équivalent au grade de master ou figurant sur une liste fixée par décret dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national, souhaite exercer un emploi salarié et présente un contrat de travail, à durée indéterminée ou à durée déterminée, en relation avec sa formation et assorti d’une rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret en Conseil d’État. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 68, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3, première phrase
Après le mot :
indéterminée
insérer les mots :
ou sous contrat de travail à durée déterminée de plus de douze mois
II. – Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 68 et 69.
Au-delà de l’absence de dispositions relatives aux droits des travailleurs en situation irrégulière, comme le soulignent le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, le projet de loi fragilise le statut des travailleurs salariés en situation régulière.
L’article 9 distingue les travailleurs selon qu’ils bénéficient d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée. C’est ainsi qu’est supprimée la possible délivrance d’une carte « salarié » aux salariés titulaires d’un CDD de douze mois ou plus.
Monsieur le ministre, je vous avoue que nous ne comprenons pas que des membres du Gouvernement d’aujourd'hui qui, en leur temps, dénonçaient clairement les lois Sarkozy et Hortefeux orchestrent eux-mêmes « l’immigration choisie » par le biais de « passeports talent » et font reculer les droits des travailleurs les plus précaires.
Pour ces travailleurs, seule sera délivrée une carte « travailleur temporaire », sur laquelle figurera le nom de l’entreprise et la durée du contrat de travail. Autrement dit, il s’agira d’un titre de séjour extrêmement précaire !
Quels seront donc les droits de ces salariés, qui ne pourront jamais prétendre à une carte pluriannuelle, alors qu’ils sont bien souvent en France depuis des années ? Ils seront plus que d’autres soumis au bon vouloir de leur employeur afin de pouvoir rester dans la légalité.
Nous sommes également très inquiets de la persistance dans la loi d’une préférence nationale qui ne dit pas son nom, « l’opposabilité de la situation de l’emploi », qui se traduit par la définition de listes de métiers en tension par zone géographique lors de la délivrance de la carte de séjour « salarié ».
Le Premier ministre, alors ministre de l’intérieur, précisait pourtant dans sa circulaire du 28 novembre 2012 que « la situation de l’emploi ne sera pas opposée aux demandeurs » dans le cadre de l’admission exceptionnelle au séjour. Beaucoup de questions restent donc en suspens.
Ces amendements visent humblement, d’une part, à maintenir la délivrance du titre de séjour « salarié » aux travailleurs étrangers qui exercent une activité salariée sous contrat à durée déterminée pour une durée supérieure ou égale à douze mois et, d’autre part, à supprimer toute ambivalence quant à l’opposabilité de l’emploi.
M. le président. L'amendement n° 114, présenté par MM. Kaltenbach et Leconte, Mme Tasca, MM. Sueur, Delebarre, Marie, Desplan et Sutour, Mmes S. Robert, D. Gillot, Jourda, Yonnet, D. Michel et Cartron, M. Courteau, Mme Khiari, M. Yung et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3, première phrase
Après le mot :
indéterminée
insérer les mots :
ou d’un contrat de travail à durée déterminée d’une durée égale ou supérieure à douze mois
II. – Alinéa 5, première phrase
Après le mot :
déterminée
insérer les mots :
d’une durée inférieure à douze mois
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Cet amendement concerne les travailleurs temporaires et vise à s’assurer qu’ils ne verront pas leurs droits rognés par ce projet de loi.
L’article 9 vise à réorganiser l’article L. 313-10 du CESEDA relatif à la carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle en s’appuyant sur la distinction entre CDI et CDD. Si une telle distinction a le mérite de la clarté, elle a également pour effet pervers de marquer un recul des droits des détenteurs de CDD d’une durée égale ou supérieure à douze mois, comme vient de le souligner Mme Assassi.
Ainsi, les détenteurs d’un CDD d’un an ou plus ne relèveraient plus de la carte « salarié », mais de la carte « travailleur temporaire ». Or un tel changement de mention constitue un recul en termes de statut, les droits attachés à l’une ou l’autre carte n’étant pas équivalents.
D’abord, parce que l’autorisation de travail accordée au titulaire d’une carte « salarié » lui permet de changer d’employeur, ainsi que de métier, après la troisième année de séjour régulier, ce qui n’est pas le cas de l’autorisation de travail attachée à la carte « travailleur temporaire ».
Ensuite, parce que le titulaire d’une carte « salarié » est protégé contre les effets du licenciement sur le droit au séjour : en cas de perte involontaire d’emploi, la carte de séjour est en effet renouvelée à son expiration pour la durée des droits acquis au titre du chômage. Là encore, ce n’est pas le cas des salariés titulaires d’une carte temporaire.
Si nous souscrivons bien évidemment à la nécessité de simplifier la loi, cela ne peut se faire au détriment des droits des salariés. Le monde du travail est malheureusement marqué par un recours accru aux CDD, notamment dans les métiers peu qualifiés qu’occupent de nombreuses personnes migrantes, déjà précarisées par leur statut. N’ajoutons pas de la précarité à la précarité.
Tel est le sens de cet amendement du groupe socialiste, qui vise tout simplement à maintenir le droit en vigueur applicable aux travailleurs étrangers en CDD d’un an ou plus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. En l’état du droit, les cartes sont différenciées selon la durée du contrat : les cartes « salarié » sont destinées aux étrangers dont le contrat dure plus d’un an et les cartes « travailleur temporaire » aux étrangers dont le contrat dure moins d’un an.
Le Gouvernement a souhaité modifier ce critère de différenciation en privilégiant la nature du contrat, la carte « salarié » étant réservée aux contrats à durée indéterminée et la carte « travailleur temporaire » aux contrats à durée déterminée. Ce choix a le mérite de la clarté.
Nous ne souhaitons pas mélanger les critères de différenciation. La commission est donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. L’amendement n° 68 tend à prévoir la délivrance de la carte de séjour portant la mention « salarié » aux étrangers justifiant d’un contrat à durée déterminée d’une durée supérieure ou égale à douze mois.
Vous faites état de la précarité de la situation de l’étranger en CDD et bénéficiaire d’une carte de séjour portant la mention « travailleur temporaire ».
Le projet de loi prévoit de distinguer les modalités de délivrance des cartes de séjour « salarié » et « travailleur temporaire » en se fondant non pas sur la durée du contrat, mais sur sa nature, ce qui constitue un critère objectif et pertinent.
En effet, l’accomplissement d’un CDD, quelle que soit sa durée, est par nature temporaire et limité dans le temps. Un tel contrat répond à des objectifs précis – prévus par le code du travail – et comporte une échéance déterminée et connue de l’intéressé.
Le CDI, forme normale et générale de la relation de travail, présente un caractère pérenne. Le salarié bénéficie à ce titre des garanties spécifiques prévues par le code du travail.
L’étranger bénéficiaire d’un CDI s’inscrit dans le cadre d’un projet d’installation durable sur le territoire français, alors que le travailleur temporaire bénéficie d’un droit au séjour limité à l’exécution de son contrat. Les salariés titulaires d’un CDI et d’un CDD se trouvent ainsi, de par la nature même de leur contrat, dans des situations différentes.
Au demeurant, le salarié titulaire d’une carte de séjour « travailleur temporaire » est bénéficiaire des droits acquis à l’allocation d’assurance des travailleurs involontairement privés d’emploi dans les conditions prévues par le code du travail.
Pour ces raisons, le Gouvernement estime que le critère tiré de la nature du contrat rétablit une cohérence entre celle-ci et le droit au séjour, sans porter aucunement atteinte aux droits que les salariés tirent de la législation du travail.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement, ainsi qu’à l’amendement n° 114, pour des raisons similaires.
M. le président. L'amendement n° 69, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après les mots :
la situation de l’emploi
supprimer la fin de cet alinéa.
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 57 rectifié, présenté par MM. Leconte et Yung et Mmes Yonnet, Espagnac, Jourda et Lepage, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La carte de séjour prévue aux 1° ou 2° est délivrée, sans que lui soit opposable la situation de l’emploi, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l’article L. 311-7 n’est pas exigé.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le présent amendement vise à sécuriser le parcours d’intégration des jeunes étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance – l’ASE – entre seize et dix-huit ans et justifiant avoir suivi durant au moins six mois une formation destinée à leur apporter une qualification professionnelle en leur attribuant de plein droit une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié ».
Une telle possibilité n’existe actuellement que dans le cadre de l’article L. 313-15 du CESEDA relatif à l’admission exceptionnelle au séjour. Le présent amendement vise à rendre cette délivrance de plein droit si l’ensemble des conditions sont réunies.
L’adoption de cet amendement permettrait de délivrer des titres de séjour de manière égale sur l’ensemble du territoire. Il s’agirait d’une suite logique pour des jeunes confiés à l’ASE et dont les éducateurs et référents œuvrent à l’insertion professionnelle dans notre société sans que cela n’aboutisse nécessairement à l’obtention d’une carte de séjour.
Les dispositions de l’article L. 313-15 du CESEDA resteraient bien évidemment applicables aux étrangers qui ne seraient pas en mesure de fournir les formulaires CERFA exigés.
Les tribunaux administratifs, statuant dans le cadre de recours contre un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF, signifié par certaines préfectures, réaffirment régulièrement que la délivrance d’un titre de séjour sur la base de l’article L. 313-15 du CESEDA n’est pas conditionnée à la production d’un contrat de travail. Or l’harmonisation des pratiques administratives conduit pourtant à ce qu’un tel contrat soit demandé de manière quasi systématique par l’autorité administrative. Cet amendement vise donc à clarifier cette situation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le présent amendement vise à créer dans le CESEDA un nouveau cas de non-opposabilité de l’emploi en faveur des étrangers qui ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance. Une telle disposition existe dans le code du travail.
Toutefois, n’ayant pu connaître le nombre de personnes concernées par ce dispositif, j’en appelle à la sagesse du Sénat sous réserve, mon cher collègue, que vous acceptiez de rectifier votre amendement en visant non les dispositions de l’article L. 311-7 du CESEDA, mais celles de l’article L. 313-2 du même code.
M. le président. Monsieur Leconte, acceptez-vous de rectifier l’amendement n° 57 rectifié dans le sens suggéré par M. le rapporteur ?
M. Jean-Yves Leconte. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 57 rectifié bis, présenté par MM. Leconte et Yung et Mmes Yonnet, Espagnac, Jourda et Lepage, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La carte de séjour prévue aux 1° ou 2° est délivrée, sans que lui soit opposable la situation de l’emploi, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l’article L. 313-2 n’est pas exigé.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ainsi rectifié ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Cet amendement tend à prévoir la possibilité de délivrer de plein droit une carte de séjour portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » à l’étranger pris en charge par l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans, et justifiant suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle.
Si la situation des mineurs isolés étrangers devenus majeurs fait l’objet d’une attention particulière de la part du Gouvernement, l’entrée et le séjour en France d’un étranger pendant sa minorité ne constituent pas, en règle générale et à eux seuls, un élément de nature à lui reconnaître un droit au séjour à sa majorité.
La situation du mineur isolé devenu majeur ne peut ainsi, eu égard aux conditions de son entrée et de son séjour sur le territoire français, entrer dans le champ d’application de la délivrance de plein droit d’un titre de séjour.
Toutefois, afin de leur assurer une protection effective et de prendre en considération la spécificité de leur situation sur le territoire français, les mineurs étrangers peuvent solliciter, à leur majorité, le bénéfice d’une admission exceptionnelle au séjour, conformément à l’article L. 313-15 du CESEDA.
Ce dispositif permet d’apprécier la situation du mineur devenu majeur au regard de l’ensemble des pièces du dossier, en prenant notamment en compte le caractère réel et sérieux des études ou de la formation suivies.
Le Gouvernement émet par conséquent un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je voudrais rectifier l’un de mes propos : j’ai dit qu’un tel dispositif existait dans le code du travail ; il fallait comprendre qu’il figurait « auparavant » dans ledit code.
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.
M. Éric Doligé. Je me félicite d’avoir entendu le ministre souligner à deux reprises l’importance de la problématique des mineurs isolés étrangers devenus jeunes majeurs.
Il me semble nécessaire de clarifier rapidement la situation, notamment en termes de prise en charge. Qui des départements, des caisses d’allocations familiales, de l’éducation nationale doit s’occuper d’eux ? Sans compter les différentes aides dont ils peuvent bénéficier de la part de divers organismes. Entre leur dix-huitième et leur dix-neuvième anniversaire, nous sommes dans le flou, ce qui ne va pas sans poser problème.
M. le ministre a raison de souligner qu’il s’agit d’un vrai sujet ; essayons de le traiter rapidement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur Doligé, faut-il abandonner le mineur devenu jeune majeur sur lequel la puissance publique a investi ? Faut-il le laisser sur le bord de la route, quitte à le précariser, une fois sa majorité acquise ?
Cet amendement précise bien que le jeune majeur en question doit justifier suivre « depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française ».
Encore une fois, comment dire à ce jeune ne trouvant pas d’emploi qu’il ne peut rester sur notre territoire parce que, devenu majeur, il est désormais en situation irrégulière ? Ce n’est pas possible.
C'est la raison pour laquelle il nous faut sécuriser les parcours. Plus la zone grise entre droit et non-droit restera importante, moins nous pourrons lutter contre l’immigration irrégulière. Et lutter contre l’immigration irrégulière, c’est sécuriser les parcours et faire en sorte que ceux sur lesquels la puissance publique a investi puissent trouver leur place dans la société française et y occuper un emploi.