Sommaire
Présidence de Mme Françoise Cartron
Secrétaires :
M. Claude Haut, Mme Colette Mélot.
2. Remplacement d'un sénateur nommé au Conseil constitutionnel
3. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
4. Candidatures à des commissions
5. Candidature à une délégation sénatoriale
6. Fonctionnement du service public de l'éducation. – Débat sur les conclusions d’une commission d’enquête
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission d’enquête
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont
7. Nominations de membres de commissions
8. Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Suspension et reprise de la séance
9. Dématérialisation du Journal officiel de la République française. – Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission, après procédure d’examen en commission
M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi organique dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
10. Protection de l'enfant. – Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 16 rectifié bis de Mme Élisabeth Doineau. – Rejet.
Amendement n° 46 de Mme Claire-Lise Campion. – Adoption.
Amendement n° 23 rectifié de M. Jean-Noël Cardoux. – Adoption par scrutin public.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 17 rectifié bis de Mme Élisabeth Doineau. – Rejet.
Amendement n° 51 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 10 rectifié de Mme Hermeline Malherbe. – Adoption.
Amendement n° 24 rectifié bis de M. Jean-Noël Cardoux. – Adoption par scrutin public.
Amendement n° 9 rectifié de Mme Hermeline Malherbe. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 12 rectifié de Mme Hermeline Malherbe. – Rejet.
Amendement n° 18 rectifié bis de Mme Élisabeth Doineau. – Adoption.
Amendement n° 25 rectifié de M. Jean-Noël Cardoux. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Secrétaires :
M. Claude Haut,
Mme Colette Mélot.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 8 octobre 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Remplacement d'un sénateur nommé au Conseil constitutionnel
Mme la présidente. En application de l’article 57 de la Constitution et de l’article 4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il a été pris acte de la cessation, à compter du dimanche 11 octobre 2015 à minuit, du mandat de sénateur de M. Jean-Jacques Hyest, nommé membre du Conseil constitutionnel.
En application de l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précitée, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat qu’en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Anne Chain-Larché est appelée à remplacer M. Jean-Jacques Hyest en qualité de sénateur de Seine-et-Marne.
Son mandat a débuté le lundi 12 octobre 2015, à zéro heure.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite à Mme Anne Chain-Larché la plus cordiale bienvenue et j’ai une pensée pour le président Jacques Larché, notre ancien collègue.
3
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 26 août 2015.
4
Candidatures à des commissions
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe Les Républicains a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger :
- à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Jean Jacques Hyest, dont le mandat de sénateur a cessé ;
- à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Alain Vasselle, démissionnaire ;
- à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean Jacques Hyest, dont le mandat de sénateur a cessé.
Ces candidatures ont été publiées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.
5
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le groupe Les Républicains a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale à l’outre-mer, en remplacement de M. Alain Fouché, démissionnaire.
Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
6
Fonctionnement du service public de l'éducation
Débat sur les conclusions d’une commission d’enquête
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession, organisé à la demande de la commission d’enquête (rapport d’information n° 590 [2014-2015]).
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, mes chers collègues, mercredi 1er juillet, la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession m’a fait l’honneur d’adopter mon rapport.
Le débat d’aujourd’hui sur les conclusions de notre commission fait écho à l’avant-propos de mon rapport et aux deux maîtres mots qui m’avaient guidé tout au long de ce travail : sortir du déni face à un ensemble de problèmes et de difficultés connus depuis longtemps, mais face auxquels les pouvoirs publics n’ont pas véritablement réagi, et libérer la parole, à commencer par celle des personnels de l’éducation nationale qui vivent ces difficultés au quotidien.
Nous avons réalisé un travail en profondeur, sans exclusive ni esprit partisan. Il a permis d’aboutir à trois constats, qu’ont clairement mis en évidence nos auditions, nos visites et le vécu de la quasi-totalité des personnes entendues.
Premier constat : les incidents de janvier 2015 ont été un nouveau révélateur.
Si des incidents sont survenus dans de nombreuses écoles lors de la minute de silence, les services de l’éducation nationale ont été incapables de les quantifier. Le ministère a évoqué environ 200 incidents. Selon nos décomptes, il y en aurait plus du double, mais ce nombre est sans doute fortement sous-évalué, car une proportion significative d’incidents ne remontent pas.
Lors de son audition du 2 juin, la ministre avait quant à elle fait part de 816 signalements, mais il s’agit de faits de radicalisation, qu’il ne faut pas confondre avec les incidents dont on parle. Ce chiffre est à ce jour sous-estimé, voire dépassé.
Avec le recul, la minute de silence partait sans doute d’une bonne intention, mais elle a souffert d’une totale impréparation. Ce genre d’exercice n’était peut-être pas approprié pour traiter de la question. Comme l’a dit un de nos interlocuteurs, la compassion ne se décrète pas !
Dans tous les cas, la minute de silence aurait dû être précédée d’une « heure de parole », pour reprendre l’expression de la présidente de la commission d’enquête, Mme Françoise Laborde.
Mais l’essentiel est ailleurs : si les incidents de janvier n’ont pas affecté de manière grave le service public de l’éducation, ils ont révélé un état d’esprit, et même un malaise profond, que le rapport Obin, il y a dix ans, avait déjà parfaitement diagnostiqué.
Deuxième constat : le sentiment d’appartenance se délite. Le malaise de l’école est en bonne part lié au délitement du sentiment d’adhésion de beaucoup de jeunes à des valeurs qu’ils ne connaissent pas bien ou que, pour certains, ils rejettent.
De quelles valeurs parle-t-on ? Pour faire simple, j’ai gardé l’expression « valeurs républicaines », mais il serait plus judicieux de parler des « valeurs de l’école républicaine », sur lesquelles devraient s’accorder tous les membres de la communauté éducative. Elles incluent la laïcité et la neutralité des enseignements, l’égalité de tous sans considération d’origine, de religion ou de croyance, une stricte égalité entre les filles et les garçons, la conviction que l’émancipation de chacun passe par le savoir plutôt que par les dogmes, le respect mutuel entre tous les membres de la communauté éducative, ainsi que le crédit attaché à la parole de l’enseignant.
Cette liste n’est bien sûr pas figée et ces valeurs se déclinent au quotidien à tous les instants de la vie scolaire.
La laïcité reste la première de ces valeurs, car c’est par la laïcité que l’école parvient à assurer le vivre ensemble, sans distinction d’origine ou de confession religieuse, et la neutralité des enseignements.
Nos travaux avaient aussi montré, chez certains jeunes, une difficulté à se reconnaître membre à part entière de la communauté nationale, au profit d’autres repères identitaires comme le quartier, le groupe ethnique, la communauté religieuse, la nationalité des parents. Le problème est que ces groupes ont leurs propres lois, leurs codes, leurs repères, leurs croyances, ce qui place les élèves en porte à faux.
En tout état de cause, je considère que ces « valeurs particulières » ne doivent pas prendre le pas sur celles de la République, car la République est la seule à garantir à tous l’égalité devant ses lois, sans considération d’origine, de religion ou de croyance.
Si les valeurs de la République sont méconnues, voire rejetées, c’est parce que – l’avis est presque unanime – le mode actuel de transmission de nos valeurs nationales par l’école laisse fortement à désirer. Les enseignants sont d’ailleurs les premiers à le déplorer, eux qui ont un besoin de soutien dans cette mission essentielle.
Il est évident que la précarité économique et sociale des quartiers, le chômage et les phénomènes de ghetto ne facilitent pas l’adhésion aux valeurs traditionnelles prônées par l’école.
Les enseignants eux-mêmes subissent une dégradation constante de leur statut, à la fois matériel et social.
Aujourd’hui, la parole du professeur est de plus en plus concurrencée : généralisation du relativisme, envahissement du « bruit numérique », travail de sape des théories du complot...
Certes, le temps des fameux « hussards noirs de la République » est derrière nous, mais leur mission de transmission des valeurs demeure pleinement légitime.
Si elle veut contrer les dérives et restaurer les canaux de transmission du sentiment d’appartenance, l’école doit redonner à ses enseignants confiance en eux-mêmes ; c’est la première des priorités pour que, à leur tour, les professeurs soient à nouveau en mesure de transmettre des valeurs qui soient perçues non pas comme des contraintes imposées, mais comme des facteurs d’émancipation et de libre arbitre.
Troisième constat : la perte des repères résulte d’un certain nombre de fragilités structurelles. Nos travaux ont mis en évidence un certain nombre d’entre elles - elles sont largement détaillées dans notre rapport - auxquelles nous devons apporter des solutions ambitieuses.
Sans les énumérer toutes, je crois indispensable de pointer celle qui me paraît la plus grave : aujourd’hui, un taux considérable d’élèves ne maîtrise pas le socle de connaissances et de compétences requis à leur niveau, en particulier en français. Ce problème avait été soulevé par de très nombreux enseignants lors des auditions, et il apparaît clairement dans toutes les grandes enquêtes internationales sur les résultats de notre système d’enseignement.
Pour y remédier, la commission d’enquête suggère de travailler dans deux directions, vers les élèves, d’un côté, vers les enseignants, de l’autre.
Les élèves, d’abord : trop de jeunes arrivent en sixième sans maîtriser le français. Dès lors, comment leur transmettre des valeurs dans une langue qu’ils ne comprennent même pas ?
Nous proposons donc – c’est l’une de nos propositions fortes - d’investir massivement dans l’apprentissage du français dès la maternelle, à l’école primaire et au collège. Dans mon esprit, une maîtrise suffisante du français en fin de CM2 doit devenir une condition de l’accès en sixième.
Les enseignants et l’institution scolaire, ensuite : il faut en priorité – c’est la priorité la plus flagrante - revoir la formation des enseignants, surtout la formation continue, qui est en totale déshérence.
Par ailleurs, il faut permettre à l’école républicaine de pratiquer de manière tangible et au quotidien les valeurs qu’elle est chargée de transmettre, notamment en favorisant certains rites républicains. Loin de moi l’idée d’imposer une sorte de catéchisme laïc ! Il s’agit simplement de marquer un certain nombre de repères bien visibles favorisant l’émergence du sentiment d’adhésion.
Je crois indispensable d’associer les parents à cet effort et de les responsabiliser, car l’éducation ne s’arrête pas à la sortie de l’école : les familles sont à 100 % parties prenantes de ce processus.
Vous noterez que nous n’avons pas proposé de réforme institutionnelle majeure : l’idée était non pas de revenir sur la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, mais de faire en sorte que cette loi s’applique mieux et qu’elle favorise une authentique transmission des valeurs de la République.
En revanche, il a semblé à beaucoup d’entre nous que le Parlement n’était pas assez associé à la définition des choix stratégiques qui organisent l’école et qui, comme tels, déterminent la formation des citoyens de demain, même si les assemblées votent des lois comme celle de juillet 2013 et que, chaque année, nous avons un débat sur les crédits de l’enseignement.
Aussi, sur un thème aussi fondamental, le débat d’aujourd’hui trouve toute sa pertinence. À cet égard, nous regrettons fortement l’absence de Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ou de son secrétaire d’État, dont la présence aurait été un signal fort en direction des sénateurs et une marque d’intérêt pour la politique éducative.
Les représentants de la Nation doivent débattre plus régulièrement, et ce dans un cadre adapté, des orientations et des problématiques de l’éducation nationale, cette dernière constituant le premier poste du budget.
Mes chers collègues, vous connaissez les propositions de la commission d’enquête, organisées en quatre axes prioritaires. Elles sont encore plus nécessaires au regard de l’actualité. Permettez-moi de vous les rappeler : il faut favoriser le sentiment d’appartenance et l’adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté ; restaurer l’autorité des enseignants ; mettre l’accent sur la maîtrise du français, mieux responsabiliser tous les acteurs.
J’en tire au moins deux certitudes. La première est que nous avions dressé un constat général objectif qui, à mon avis, ne peut qu’être partagé par tous ceux qui ont participé à nos travaux ; la seconde est que l’école de la République est confrontée à une crise grave du fait de constantes revendications mettant en danger le respect de la laïcité dans son fonctionnement.
C’est pourquoi, à la suite de cette commission d’enquête, j’ai déposé une proposition de loi, cosignée par près de trente de nos collègues, visant à renforcer les repères républicains dans le fonctionnement du service de public de l’éducation.
M. Jacques-Bernard Magner. Ah ! C’était donc ça…
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Les mesures les plus importantes portent sur trois axes.
Premièrement, nous proposons une tenue vestimentaire uniforme pour les élèves, complétée par l’interdiction d’une tenue vestimentaire manifestant une appartenance religieuse étendue aux parents accompagnateurs lors des sorties scolaires, lesquels doivent être considérés comme des collaborateurs occasionnels du ministère de l’éducation nationale. On a d’ailleurs vu des mères porter le voile en déposant leurs enfants à l’école le matin, puis accompagner une classe dans la journée, tête découverte. La règle étant comprise, à nous, législateurs, d’être clairs et fermes.
Deuxièmement, l’accès au collège doit être subordonné à une maîtrise suffisante du français, dont on sait qu’il constitue l’assise nécessaire de tous les autres savoirs, le socle du socle.
Troisièmement et enfin, les allocations familiales doivent être modulées à la baisse en cas d’absentéisme. (Mme Maryvonne Blondin manifeste son désaccord.)
M. Jacques-Bernard Magner. Ah, voilà ! Grande réforme !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Nous avons retenu cette mesure pour aider les conseillers principaux d’éducation.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, la défense de l’école républicaine et la promotion des valeurs de la République à l’école doivent être un combat de tous les instants, le combat de chacun d’entre nous.
Nous le savons, l’école ne peut répondre seule à tous les problèmes, mais elle ne doit pas être une exception. Comme le disait Régis Debray, elle doit être caractérisée par une enceinte et par un règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer le rapporteur de la commission d’enquête, Jacques Grosperrin, qui vient de s’exprimer, ainsi que Mme Laborde, présidente de cette commission, qui ne peut être présente parmi nous aujourd’hui. Elle est en effet retenue dans son département par des engagements pris avant que la date de ce débat ne soit fixée.
Je remercie sincèrement Mme Laborde et M. Grosperrin d’avoir pensé à associer la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à leurs travaux, en amont de leur restitution, et notamment de leur présentation à la presse, il y a quelques semaines de cela. Je leur sais gré de cette marque de confiance, et de cette attention.
À cet égard, je souligne combien il est important de corréler les travaux des instances de contrôle parlementaire avec ceux des commissions permanentes.
Bien sûr, en tant que présidente de la commission de la culture, je serai particulièrement attentive au débat qui va avoir lieu. Au demeurant, je note que plusieurs membres de notre commission y prennent part. Ces échanges vont nécessairement nourrir notre réflexion au cours des prochaines semaines et des prochains mois.
Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame « la » présidente !
Mme la présidente. En effet…
M. David Rachline. … madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule à mon intervention, je tiens à saluer la qualité du travail mené par cette commission d’enquête et la très bonne direction proposée pour notre école à travers ses préconisations.
M. David Assouline. Vous avez le soutien du FN, monsieur le rapporteur ! Cela devrait vous faire réfléchir…
M. David Rachline. Monsieur le rapporteur, permettez-moi un léger bémol : pourquoi, quand vos amis étaient au pouvoir, il n’y a pas si longtemps, n’ont-ils pas mis en œuvre ces mesures ? C’est là la vraie question. Comme sur tant de sujets, la droite est forte dans ses propositions lorsqu’elle est dans l’opposition, mais bien faible lorsqu’elle a la possibilité de les mettre en œuvre.
Toutefois, ne boudons pas notre satisfaction. Vos propositions vont dans le bon sens…
M. Jacques-Bernard Magner. Et voilà !
M. David Rachline. … et rejoignent, pour un grand nombre, celles que contient depuis longtemps le projet du Front National. Ces mesures visent à redonner ses lettres de noblesse à l’école, qui est malheureusement devenue depuis des décennies le terrain de jeu de l’idéologie libertaire post soixante-huitarde, bien représentée ici.
M. André Gattolin. Merci ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quelle caricature…
M. David Rachline. Quelle mission pour l’école ? C’est la question fondamentale dans ce débat. Pour y répondre, je reprends volontiers les propos de M. François-Xavier Bellamy, jeune philosophe auditionné par votre commission : la mission propre de l’école est « la transmission du savoir et de la culture ». Il me semble nécessaire que les enseignants retrouvent ce rôle, si beau,de passeur, de transmetteur.
Transmettre quoi ? Les savoirs, à commencer bien sûr par notre langue. À cet égard, je rejoins totalement les propositions de votre troisième axe, monsieur le rapporteur.
Néanmoins, il faut également transmettre la culture, c’est-à-dire notre histoire, qui, je le rappelle, n’a pas commencé en 1789, voire en 1793, comme semble le considérer la gauche de cet hémicycle. Nos héros, et nos héroïnes, tout aussi nombreuses, nos valeurs, nos arts… La liste est suffisamment longue pour que l’on se concentre d’abord, à l’école, sur ces sujets.
Vous faites le constat que la société va mal et que la décadence de l’école,…
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Décadence ? C’est n’importe quoi !
M. David Rachline. … à l’œuvre depuis des décennies, en porte une large responsabilité.
Vous constatez que des jeunes Français, convertis, partent faire la guerre en Syrie contre nos valeurs, alors même qu’ils ont été formés et, en réalité, déformés par nos écoles et, plus largement, par notre société ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Scandaleux !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Lamentable !
M. David Rachline. Pourquoi ? Parce que vous ne leur avez jamais proposé, spécialement via l’école, de s’inscrire dans le roman national. Vous ne leur avez jamais proposé de héros ni d’idéal. Bref, vous ne leur avez jamais proposé de grands penseurs, dignes de celui qui, à la fin du XIXe siècle, déclarait : « À qui veut régénérer une société en décadence, on prescrit avec raison, de la ramener à ses origines ».
M. David Assouline. Et vous, qui vous a formé ? Les pétainistes ?
M. David Rachline. À ce titre, je me réjouis de cette prise de conscience qui transparaît dans les préconisations de votre axe n° 1, sur le sentiment d’appartenance nationale.
Pour conclure, je tiens à dire que le débat de ce jour me semble éminemment plus important que celui qui nous a occupés depuis des mois, sur les rythmes scolaires, malgré les difficultés opérationnelles que connaît leur mise en œuvre.
Depuis des décennies, les réformes de l’école se sont focalisées sur la forme et non sur le fond, qui, lui, était modifié en profondeur, mais en toute discrétion. Je crois que, malheureusement, cela était voulu.
Ce rapport marque une réelle prise de conscience, et j’espère que les mesures qu’il contient seront mises en œuvre rapidement pour redresser notre école. C’est là le préalable au redressement de notre pays, tant attendu par nos compatriotes !
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire que mon discours aura une tonalité légèrement différente du précédent... (Heureusement ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. David Rachline. On n’en doute pas !
M. François Fortassin. En effet, je suis, personnellement, un enfant de l’école publique et républicaine.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous aussi !
M. Jacques-Bernard Magner. Nous sommes nombreux à l’être dans cet hémicycle !
M. François Fortassin. Or les valeurs que dispense cette école publique et républicaine sont, à mes yeux, essentielles pour former des citoyens.
Bien entendu, cela ne signifie pas que notre modèle scolaire, bâti au XIXe siècle, ne peut connaître aucune évolution. Mais les axes de référence demeurent inchangés, n’en déplaise à certains.
Cette mise au point étant faite, je vous prie d’excuser l’absence de ma collègue Françoise Laborde. En tant que présidente de la commission d’enquête, elle avait demandé la tenue de ce débat, mais la date finalement retenue pour son inscription à notre ordre du jour ne lui permet pas d’être parmi nous, en raison d’engagements auxquels elle ne peut se soustraire. Elle m’a chargé de vous dire combien elle était satisfaite d’avoir pu conduire ce travail de fond, durant six mois, aux côtés des membres de la commission d’enquête et des services du Sénat qui les ont assistés.
Une seule équipe pédagogique a refusé de faire part de ses expériences à la commission d’enquête, sur les 170 personnes rencontrées hors les murs. À cette exception près, la parole s’est libérée, sans tabou. Les faits relatés, les souffrances morales, la passion et les compétences se sont dévoilés pour être partagés.
Il est inutile de revenir sur les événements qui ont servi de justification à la création de cette instance de contrôle, à la demande du groupe Les Républicains : le rapport les développe largement.
Madame la secrétaire d’État, en tant que présidente de la commission d’enquête, Françoise Laborde tient néanmoins à vous faire part de sa satisfaction. En effet, certaines des préconisations formulées par la commission d’enquête, parmi celles qui lui tenaient le plus à cœur, ont d’ores et déjà été reprises dans les annonces de la rentrée scolaire. C’est le cas, notamment, de la priorité donnée à l’apprentissage du français.
Dans ce domaine, la simplicité est certainement la plus grande des qualités. À ce titre, je ne résiste pas à la tentation de citer, sans préciser son nom, un précédent ministre, qui avait signé la préface d’un ouvrage de pédagogie, dont on pouvait dès lors considérer qu’il l’avait lu. Évoquant les enfants jouant dans la cour de récréation, sans doute avec un ballon de rugby, il avait eu cette phrase magnifique pour illustrer un propos principalement consacré à la simplicité : « Les apprenants tentent de maîtriser le paramètre rebondissant aléatoire dans un espace interstitiel de liberté. » (Sourires.)
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Vive les pédagogues !
M. François Fortassin. Tout le monde l’aura compris, en la matière, la simplification était au rendez-vous… (Nouveaux sourires.)
Mais j’en reviens au rapport, qui conclut à la nécessité de donner priorité à l’apprentissage du français, par un plan d’action global pour la maîtrise de la langue, ou encore à la formation des enseignants et à la grande mobilisation de l’école sur les valeurs de la République, « pour une école exigeante pour la réussite de tous les élèves, une école dans laquelle tous les élèves acquièrent les connaissances, les compétences et la culture requises dans notre société, une école qui permet, à tous, de mieux apprendre. »
Mes chers collègues, quand il s’agit d’affirmer des convictions profondes, je ne recule pas devant l’idée d’égratigner certaines personnes. Moi qui suis laïque jusqu’au bout des ongles et qui, dans une vie antérieure, ai été professeur d’histoire-géographie, je serais heureux que la notion de laïcité imprègne l’ensemble des enseignants de l’école publique, pour ne pas dire la totalité.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. De l’école publique et de l’université !
M. François Fortassin. Tel n’est pas toujours le cas,...
M. Jacques-Bernard Magner. Exact !
M. François Fortassin. … et ce n’est pas en cachant cette réalité que l’on améliorera les choses.
Dès l’instant où l’on s’engage dans cette profession, on doit en avoir les bénéfices, qui, c’est clair, ne sont pas financiers, mais qui se traduisent par une grande richesse, sur les plans du contact avec les élèves comme de la connaissance. Néanmoins, on doit également répondre aux exigences que la société peut fixer pour l’ensemble du corps enseignant de ce pays.
Ce n’est pas, de ma part, une critique violente ou virulente. C’est tout simplement un constat de bon sens.
M. Jacques-Bernard Magner. Il est bon de le rappeler !
M. François Fortassin. Ensuite, l’école ne peut pas résoudre tous les problèmes de notre société. On ne peut pas tout lui demander !
Enfin, l’éducation nationale, institution de la République, doit fonctionner de manière identique sur l’ensemble du territoire, en respectant les personnalités de chacun et en veillant à combattre les inégalités.
J’ai été un temps, par plaisir, professeur d’occitan. Je n’y voyais que des avantages. À vrai dire, j’apprenais surtout à mes élèves à chanter en gascon… (Sourires.) Toutefois, il ne faut pas tout mélanger : la base de l’apprentissage doit être la maîtrise du français.
Au-delà des difficultés spécifiques à chaque établissement et des disparités qui se font jour, l’une des missions de l’éducation nationale est aussi de donner à chacun de ses acteurs un certain nombre de réponses communes.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Fortassin. Or, parmi la vingtaine de propositions formulées dans le rapport, à court et à moyen terme, pour consolider l’avenir, ce qui suffit aux uns ne répond peut-être pas à la problématique des autres.
Bien entendu, il faut donner aux équipes pédagogiques les moyens dont elles ont besoin.
Pour les membres du RDSE, l’adhésion à toutes les valeurs de la citoyenneté doit être l’axe majeur de toute politique éducative dans notre pays !
Je vous remercie de votre attention, mes chers collègues, et je prie Mme la présidente de bien vouloir m’excuser si j’ai quelque peu dépassé mon temps de parole.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant tout, je tiens à dire à Mme la secrétaire d’État combien je suis ravie de la voir au banc du Gouvernement. En d’autres circonstances, j’aurais pu débattre avec elle de l’artisanat et des petites entreprises, sujets qu’il me semble assez bien connaître.
Néanmoins, les discussions d’aujourd’hui touchent à l’éducation nationale. À cet égard, je regrette que l’agenda de Mme la ministre de l'éducation nationale ne lui permette pas d’aborder avec nous la question essentielle qui nous réunit aujourd’hui. Son intitulé résume à lui seul l’ensemble des difficultés qui se font jour, et l’ensemble des inquiétudes que nous éprouvons tous.
Je tiens à saluer le travail accompli par nos collègues Françoise Laborde et Jacques Grosperrin, respectivement présidente et rapporteur de cette commission d’enquête. Certes, leur mission était ardue, mais ils ont su l’accomplir et ils ont tenu bon face aux critiques qui – on peut le dire sans exagération – se sont parfois révélées difficiles.
Mes chers collègues, en tant que vice-présidente de cette commission d’enquête, j’ai été au cœur de ces travaux, et je suis heureuse d’être aujourd’hui parmi vous, afin d’échanger dans le cadre de ce débat. En effet, il était important de revenir sur nos conclusions et sur nos propositions.
Malheureusement, certains ont trouvé là une occasion de polémiquer,…
M. Jacques-Bernard Magner. Mais non ! (Sourires sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. David Assouline. Il est vrai que les propositions de la commission d’enquête ne sont pas polémiques du tout…
Mme Françoise Férat. … alors que nous sommes tous animés, je le crois et l’espère, par les mêmes intentions, à la suite des attentats qui, en janvier 2015, ont endeuillé notre pays.
Je ne peux que regretter le procès d’intention qui a pu nous être fait. Comme moi, vous avez sans doute lu les articles de presse dénonçant « les vieux sénateurs réactionnaires », « bien loin des réalités de terrain », « qui ne se posent pas les bonnes questions ». On nous a même accusés de récupération politique.
M. Jacques-Bernard Magner. C’est bien le cas !
M. David Assouline. Et le FN récupère à son tour !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Il récupère tout…
Mme Françoise Férat. Il me semble que pointer un problème afin de trouver des solutions est une démarche positive. La politique de l’autruche n’est jamais constructive !
Nous avons parfois eu l’impression que les parlementaires n’avaient pas de légitimité à s’emparer de ce sujet. Bien au contraire, ce qui s’est passé nous oblige !
Comme je l’avais signifié lors de l’examen du rapport devant la commission d’enquête, j’ai beaucoup de mal avec la politique politicienne, et j’ai assez mal vécu le procès qui nous a été fait par certains. « Que la droite balaye devant sa porte ! », disiez-vous…
M. Jacques-Bernard Magner. En effet !
Mme Françoise Férat. Le constat dont nous avions tous connaissance, le drame de janvier dernier devaient déclencher une véritable et durable prise de conscience.
Nous sommes tous sur le terrain au quotidien. Je rencontre régulièrement, comme beaucoup d’entre vous, de nombreux professeurs de mon département. Nous connaissons les difficultés qu’ils vivent et combien ils se sentent souvent isolés et démunis pour y répondre. La perte des valeurs républicaines, des valeurs de l’école républicaine, en fait malheureusement partie. L’acceptation, la compréhension, l’appréhension de la laïcité sont au cœur de ce phénomène.
Bien évidemment, cela ne veut pas dire que des problèmes existent dans toutes les écoles, dans tous les collèges et dans tous les lycées de France et de Navarre (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) – cela n’a d’ailleurs jamais été dans l’esprit des membres de la commission d’enquête, me semble-t-il.
Rappelons qu’il y a eu seize semaines d’auditions, de tables rondes et de déplacements sur le terrain. Les membres de la commission ont réalisé un vrai travail d’analyse approfondi, toutes sensibilités politiques confondues, pour ceux qui ont bien voulu y participer.
La commission a donc été créée à la suite des différents incidents qui ont eu lieu lors de la minute de silence organisée, dans tous les établissements scolaires du pays, en hommage aux victimes des attentats et en signe de rejet de la barbarie.
Ces incidents n’ont évidemment pas été le reflet du soutien et de la solidarité exprimés par les élèves dans leur grande majorité, sur tout le territoire. Ils ont cependant bien eu lieu et les professeurs qui ont dû y faire face n’ont pas toujours été en capacité d’y répondre. Ils n’ont pas toujours su comment réagir, et on peut le comprendre. Aucune formation, aucun élément de langage n’étaient à leur disposition pour les aider à parler de ces événements avec leurs élèves.
Ce n’était pas la première fois que ce genre de problèmes survenait. En effet, déjà, lors des minutes de silence organisées pour les attentats du World Trade Center et à la suite de la tuerie perpétrée par Mohamed Merah, des événements dramatiques de ce type avaient déjà été signalés à plusieurs reprises.
De nombreux jeunes sont aujourd’hui en perte de repères et en recherche d’idéal. Fragilisés, ils ne se tournent pas toujours vers les bonnes personnes pour trouver des réponses. C’est une réalité, et nous devons essayer de trouver des solutions pour endiguer le phénomène.
Il est de notre responsabilité de nous emparer des difficultés que rencontre notre jeunesse pour l’aider. Il nous faut trouver pourquoi les jeunes sont aussi nombreux à se sentir incompris, exclus d’une société, la nôtre, dont ils sont censés être l’avenir.
La réponse à cette question n’est pas simple. Alors, au lieu de rejeter la faute sur les uns et les autres, nous devrions savoir travailler ensemble.
C’est pourquoi je pense sincèrement qu’il était opportun de créer cette commission d’enquête.
Nous ne sommes pas les seuls à nous être inquiétés de cette situation, d’ailleurs. De manière plus large, le ministère de l’éducation nationale lui-même, ainsi que le ministère de l’agriculture se sont également saisis de ce sujet.
La ministre a présenté onze mesures issues de la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, autour de la transmission des valeurs républicaines, de la laïcité, de la citoyenneté, de la culture de l’engagement, de la lutte contre les inégalités, de la mixité sociale et de la mobilisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, en précisant que cette grande mobilisation était celle de toute l’école, y compris de l’enseignement agricole et de l’enseignement privé sous contrat.
Vous connaissez d’ailleurs mon engagement tout particulier pour la défense de l’enseignement agricole : ce dernier n’a pas été en reste, plusieurs initiatives ayant été lancées afin d’en mobiliser l’ensemble de la communauté éducative. Trois débats ont notamment été organisés et un plan d’action a été mis en place, pour partie commun à l’éducation nationale et à l’enseignement supérieur, pour partie propre à l’enseignement agricole.
J’en viens plus précisément aux travaux de la commission. Quatre axes de réflexions et de propositions ont été développés.
Le premier axe vise à favoriser le sentiment d’appartenance et d’adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté. La maîtrise et la défense des valeurs de la laïcité et des valeurs citoyennes autour de sujets d’actualité sont primordiales.
Le deuxième axe, justement, tend à restaurer l’autorité des enseignants et à mettre en place une véritable formation des professeurs à la transmission des valeurs de l’école républicaine.
Le troisième axe vise à mettre l’accent sur la maîtrise du français et à veiller à une meilleure concentration des élèves. La maîtrise de la langue est essentielle. Nous avons malheureusement tous constaté le taux croissant d’élèves qui arrivent en classe de sixième avec de réels problèmes d’expression, d’écriture et de lecture. Des évaluations doivent absolument avoir lieu en amont pour que l’on puisse les aider. On en revient à l’éternel problème de la maîtrise du socle commun de compétences.
Le quatrième et dernier axe tend, quant à lui, à mieux responsabiliser l’ensemble des acteurs, que ce soit les familles, les professeurs ou le ministère de l’éducation nationale.
Ces pistes de réflexion et ces travaux ont pour objectif de faire bénéficier les élèves d’actions les aidant à développer une ouverture d’esprit, un respect des différences et d’autrui, ainsi qu’une notion de tolérance, en créant un lien social fort et en travaillant collectivement.
De nombreuses actions ont déjà lieu sur le terrain. Je prendrai pour exemple ce qui se fait dans mon département, la Marne. Nous avons développé de nombreuses mesures afin d’associer pleinement les parents à la mission éducative de l’école, ce qui me semble essentiel. Dans tous les collèges a été mis en place un espace numérique de travail, ou ENT, un espace collaboratif qui permet d’établir un lien virtuel entre le collège, les équipes administratives, les enseignants, les parents et les élèves. Ce lieu permet d’associer les familles de façon plus étroite au dialogue éducatif.
Des actions d’ouverture de ces établissements vers l’extérieur sont également mises en place, avec, par exemple, le dispositif « collèges en scène », qui regroupe dix-huit initiatives.
Nous ne sommes pas tous d’accord sur les solutions à apporter, certes : ce n’est ni la première fois ni la dernière et, quelque part, c’est heureux, car la confrontation des idées est toujours positive. Alors, pourquoi refuser d’échanger et de travailler ensemble sur un sujet aussi important ?
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, ma chère collègue.
Mme Françoise Férat. Au travers de leurs travaux, les membres de la commission d’enquête n’ont en aucun cas essayé de stigmatiser une catégorie de jeunes. Nous sommes bien évidemment conscients que nombre des incidents qui ont pu avoir lieu au moment de la minute de silence n’étaient que le simple reflet de provocations propres à l’adolescence.
Il nous faut agir à présent, et agir ensemble !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues, la commission d’enquête lancée sur l’initiative de nos collègues de droite butait, dès le départ, sur un écueil, celui de définir clairement son sujet pour mener des investigations précises, sauf à engager, si ce n’est un procès, du moins une mise en examen de l’école pour fonctionnement mal-républicain ou non-républicain, alors même que les perturbations lors de la minute de silence ont concerné – il faut tout de même le rappeler - quelques centaines de cas sur 65 000 établissements scolaires !
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
M. Patrick Abate. Par ailleurs, il est regrettable que cette commission se soit si souvent transformée en une commission sur la laïcité, avec une vision biaisée d’une laïcité qui exclut plutôt et stigmatise souvent.
Un certain nombre des propositions de ce rapport vont dans ce sens. Il en est ainsi des mesures discriminatoires ou répressives, comme la suppression des allocations familiales, l’évaluation, dont on a du mal à cacher qu’elle fonctionnera comme une sanction et un barrage en CM2, ou encore la création d’établissements spécialisés pour des jeunes difficiles, pour ne citer que ces quelques exemples.
Je regrette que certains de nos collègues se lancent ainsi, peut-être à l’approche d’échéances électorales, dans une course plutôt démagogique où ils dressent un tableau apocalyptique de notre école, qui serait rongée par un intégrisme larvé.
Je ne peux que marquer mon désaccord avec les préconisations du rapport et la proposition de loi de M. Grosperrin qui en découle. Je vois surtout quelques propositions qui n’en sont pas vraiment, car elles sont déjà satisfaites, comme le fait de faire figurer les emblèmes de la République au fronton de nos écoles, le meilleur signalement des absences et l’organisation d’un débat au Parlement, ou de simples propositions de bon sens, qui s’imposent sans qu’il y ait lieu de légiférer en grande pompe, comme le fait de mieux faire remonter les incidents, de veiller à une meilleure concentration des élèves, de remplacer systématiquement les enseignants en zone difficile et de ne pas y nommer de débutants, ou encore de requalifier la formation continue.
Pour le reste, les propositions sont marquées du sceau de la division entre les citoyens. Cette fuite en avant, cette recherche de la norme ethnocentrée ne peuvent que nous conduire à un désastre et à une guerre de tranchées dans les écoles, alors même que notre République s’est construite et affermie sur la rencontre de composantes hétérogènes qui s’enrichissent mutuellement.
Le rejet de ce rapport, globalement, par la communauté scolaire ne doit pas être vu comme une manifestation de plus du « mammouth scolaire », qui s’opposerait à tout changement.
Les enseignants le savent bien : on ne décrète pas l’efficacité de l’imprégnation des valeurs républicaines. C’est le résultat d’une alchimie complexe dans laquelle l’enseignant est un vecteur essentiel qui doit avoir les moyens de donner son cours, mais aussi de faire vivre sa classe par la reconnaissance et le respect de la diversité, ainsi que par l’esprit critique.
L’enseignement des valeurs républicaines passe par l’enseignement de symboles, par le biais de cours d’enseignement civique, d’histoire, de géographie et de français. Certes ! Pour autant, les programmes scolaires doivent permettre la transmission des valeurs de la République, non pas comme un étendard porté aveuglément, mais plutôt comme une prise de conscience de ses bienfaits.
À ce titre, l’instauration de rites républicains comme une fin en soi paraît au mieux inefficace, ne constituant qu’un vernis, au pire tout à fait contre-productive.
Je rappelle notre attachement au métier d’enseignant, à sa revalorisation, à son autorité – les deux étant liés –, qui passe par la formation initiale, la formation continue, les conditions de travail et la rémunération. Nous sommes en revanche opposés à la restauration de cette autorité de façon factice, selon des préceptes d’un autre temps. Les coups de règle sur les doigts en feraient-ils rêver certains ?
L’alchimie dont je parlais se construit et doit trouver son ancrage dans la démonstration irréfutable que la République est efficace et qu’elle est le régime politique le plus favorable au citoyen. L’école est, là, en première ligne.
Les attaques des gouvernements que la droite sénatoriale a soutenus ont mis à mal l’idéal républicain de l’école : suppression de la formation des enseignants, entrave à la scolarisation pour les moins de trois ans, concurrence entre les établissements, carte scolaire, réduction des personnels et des moyens de fonctionnement – RGPP oblige ! L’ensemble de ces mesures a affaibli l’école et terni l’image d’une école émancipatrice, capable de réduire les inégalités entre les enfants et permettant l’intégration de tous dans notre société.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Très bien !
M. Patrick Abate. Les mesures prises dans ces domaines par le gouvernement actuel améliorent, certes, les choses, mais sont encore insuffisantes. Au regard des enjeux et des ambitions affichées, le manque de moyens est encore criant !
De même, ce rapport est-il à la hauteur des enjeux ? Non ! Pour ne prendre qu’un exemple, ne serait-il pas plutôt naïf, voire un peu démagogique, de prêter à l’uniforme tant de vertus républicaines et égalitaires ? On mettrait ainsi des habits sur les inégalités plutôt que de les combattre…
À l’heure où la reproduction sociale est toujours aussi prégnante dans notre société, à l’heure où l’ascenseur social est en panne, il aurait été plus intéressant de s’intéresser aux raisons pour lesquelles certains jeunes se sentent coupés de la République de ce XXIe siècle, plutôt que de s’inspirer trop souvent d’un modèle hérité de la IIIe République !
Notre attachement à un système éducatif qui favorise la réussite et l’égalité de fait, indépendamment des conditions préalables d’existence et des déterminismes sociaux, est sans faille. C’est l’étape fondamentale à la sensibilisation républicaine.
Je citerai Camille Peugny qui, dans son ouvrage Le destin au berceau, rappelle que sept enfants de cadres sur dix exercent un emploi d’encadrement à l’issue de leurs études, quand sept enfants d’ouvriers et employés sur dix exercent, eux, des emplois d’exécution. L’école devrait pourtant permettre la réalisation de l’idéal républicain, l’émancipation et l’ascension sociale par le savoir et la raison.
Il ne s’agit pas ici de soutenir qu’aucune perturbation n’a eu lieu à l’occasion des commémorations des événements de janvier et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes en la matière. Il ne s’agit pas de faire l’autruche, chère collègue. Il s’agit de prendre un minimum de recul et de sortir du registre du pathos.
À ce titre, il paraît aujourd’hui essentiel de réfléchir à la pratique mémorielle dans notre pays.
Elle devrait permettre le dialogue autour des événements, ainsi que la réflexion et la prise de conscience d’une histoire collective. Aurions-nous eu ces perturbations si, au lieu d’une minute de silence, avait été organisée et préparée une journée de parole dans les écoles ?
Une minute de silence, c’est compliqué… Quand elle a été respectée, qui peut savoir si elle l’a été parce qu’elle a été péremptoirement imposée, ou si elle l’a été parce qu’elle a été bien comprise et intégrée ?
Mes chers collègues, c’est à la société tout entière, et à l’école en particulier, de permettre à ses enfants, tous ses enfants, de prendre racine, de se nourrir et de grandir, en puisant dans le sol et dans l’histoire de notre pays ce qui leur permettra de produire et de rendre, tel un arbre, à partir de leur propre histoire et de leurs singularités, les fruits qui feront notre richesse collective, les fruits qui feront République !
Nous sommes bien loin de cette vision des choses dans ce rapport. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe CRC ne s’inscrit pas dans les propositions de la commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Je tiens tout d’abord à rappeler que le groupe socialiste s’est opposé à la création de cette commission d’enquête voulue par les sénateurs UMP « à chaud », au lendemain des attentats de janvier 2015.
L’institution scolaire y était soupçonnée de cacher des informations, au moment même où notre pays avait besoin de cohésion pour faire front. Ce procédé accusatoire et stigmatisant a été vivement ressenti dans la communauté enseignante, car – il faut bien le dire – il a instauré un rapport de méfiance et un sentiment d’instrumentalisation. D’ailleurs, c’est la première fois que des personnes refusent d’être auditionnées, l’absence de conséquence à ce refus prouvant bien que le recours à une telle commission était disproportionné. La présidente de la commission d’enquête, Françoise Laborde, l’a reconnu elle-même, en précisant dès le départ qu’elle n’utiliserait pas les prérogatives d’une commission d’enquête.
Dès le début de cette procédure exceptionnelle, que nous avons jugée inadaptée aux circonstances et au débat, nous avons refusé de prendre des responsabilités dans le bureau de cette commission d’enquête, dont nous avons suivi les travaux sans la cautionner.
En effet, nous pensons toujours que les attentats de janvier et la légitime émotion qu’ils ont soulevée dans le pays méritaient mieux qu’une tentative d’instrumentalisation de certains faits, certes graves et significatifs, comme le refus ou la contestation de la minute de silence. Rappelons que, dès le lendemain de ces faits, des mesures fortes ont été prises par le Gouvernement pour que soient signalés et sanctionnés les actes ou paroles faisant l’apologie du terrorisme, du racisme, de l’antisémitisme et de la haine de l’autre.
Les attentats, mais aussi la montée des extrémismes et des populismes, ont montré que c’est malheureusement notre société elle-même qui est en proie à la confusion sur les valeurs de la République. Nous pensons que c’est à tous les niveaux de la société que des réponses fortes doivent être apportées.
Pour le rapporteur et son parti, Les Républicains, les maux seraient ancrés dans l’école et pollueraient une société qu’ils voudraient voir obéir à leurs standards et à leur programme électoral pour l’éducation.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Pas moi, non !
M. Jacques-Bernard Magner. « Perte de repères et rejet des valeurs républicaines depuis plus de dix ans », écrivez-vous dans votre rapport. Mais qui a enterré le rapport Obin sur les signes religieux à l’école, en 2004 ? La mise sous le boisseau d’informations dérangeantes, c’est la droite qui l’a pratiquée ! Tout au contraire, l’une des premières mesures, en 2012, prises par le nouveau ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, a été, en réaction aux procédés du quinquennat précédent, de rétablir la transparence, avec la publication de tous les rapports sans exception.
Et qu’a pointé en premier M. Obin, inspecteur général de l’éducation nationale, lors de son audition ? L’aggravation de la ghettoïsation des quartiers depuis dix ans et le manque de formation des professeurs,…
Mme Maryvonne Blondin. Exactement !
M. Jacques-Bernard Magner. … cette même formation que la droite a jugée superflue et a cru bon de supprimer !
Cette décision a été catastrophique pour notre système scolaire, et l’urgence a été de reconstruire une vraie formation professionnelle initiale, ce que nous avons fait avec la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Et ce sont les mêmes qui veulent aujourd’hui réviser les maquettes de formation des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPÉ, et qui demandent des moyens pour la formation continue et pour les remplacements, alors qu’ils ont supprimé 80 000 postes en cinq ans...
En apportant des moyens nouveaux en postes, en recréant une vraie formation professionnelle pour les enseignants, en installant de nouveaux rythmes scolaires adaptés (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), en instaurant la charte de la laïcité, en confiant la réforme des programmes au Conseil supérieur des programmes avec la création d’un véritable enseignement moral et civique, nous avons montré la voie à suivre pour construire une école bienveillante, mais aussi exigeante quant au respect des valeurs républicaines de laïcité et d’égalité que nous réaffirmons.
M. Guy-Dominique Kennel. Pour quel résultat ?
M. Jacques-Bernard Magner. Que nous propose la droite ? Un retour à de vieilles recettes inadaptées, autour du triptyque : répression, sanction, coercition. La panoplie est complète : il faudrait le retour du vouvoiement, de l’uniforme, du rituel matinal… Et surtout, le retour de la loi dite « Ciotti », qui instrumentalise la suppression des allocations familiales comme une arme de dissuasion à l’encontre des parents pour inciter au présentéisme scolaire. Pourtant, ce dispositif a déjà démontré son inefficacité par le passé !
Il en va de même avec votre proposition de créer, dans chaque département, un établissement labellisé « spécial perturbateurs». Vous voulez donc ajouter de la ségrégation à la ghettoïsation croissante dont souffre notre système scolaire.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Jacques-Bernard Magner. Les conclusions de cette commission d’enquête sont, en outre, en contradiction totale avec les politiques menées, dix ans durant, par la droite : elles défendent l’école dès trois ans, afin d’améliorer le niveau de langage des élèves, alors que la droite s’est opposée à la scolarité obligatoire à trois ans quand nous l’avons proposée. Je rappelle que les ministères successifs de droite ont réduit à la portion congrue la préscolarisation en maternelle, mais nous l’avons réactivée depuis 2012.
Je relève encore une contradiction flagrante : le rapport défend la transversalité de l’instruction morale et civique, donc l’interdisciplinarité, en citant même des exemples réussis. Mais qui dénonce sans relâche, depuis des mois, l’interdisciplinarité inscrite dans la réforme du collège proposée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem ?
Enfin, l’auteur du rapport constate le creusement des inégalités sociales et scolaires, constat sur lequel nous sommes tous d’accord, mais là, il s’abstient de toute proposition…
Or les premiers défis à relever pour la cohésion de notre société sont bien l’adhésion à la Nation, la mixité sociale. Dans cet objectif, nous avons fait adopter, dans la loi pour la refondation de l’école de la République, un amendement permettant qu’un même secteur de recrutement puisse être partagé par plusieurs collèges publics.
Depuis, l’éducation prioritaire a, elle aussi, été refondée, pour être plus juste, plus égalitaire.
M. Guy-Dominique Kennel. D’ailleurs, depuis, cela va vraiment mieux !...
M. Jacques-Bernard Magner. Face à ce bilan à charge très négatif pour l’école publique, nous condamnons l’instrumentalisation de cette commission d’enquête et de ses conclusions, qui visent en fait à présenter le programme éducatif de la droite pour 2017, en s’appuyant sur les événements dramatiques de janvier, qui méritent plus d’impartialité et d’objectivité.
En réalité, dans ce rapport, vous annoncez les éléments structurants de votre programme de 2017 pour l’école : notation et recrutement des professeurs par les chefs d’établissement – c’est un souhait ancien ! –, sanction financière pour les familles en cas d’absentéisme scolaire, mise en quarantaine des élèves perturbateurs, prestation de serment par les enseignants... Par ailleurs, vous émaillez votre texte de références permanentes à la prétendue exemplarité des établissements privés. Je ne pense pas que ce soit l’exemple à suivre pour les écoles publiques.
Et, pour finir, monsieur le rapporteur, vous utilisez le rapport de la commission d’enquête comme lanceur de la fusée qui porte votre propre proposition de loi. On comprend mieux, désormais, les vraies motivations qui présidaient à toute cette agitation autour de l’école…
Mme Françoise Férat. Oh !
M. Jacques-Bernard Magner. Nous avions des doutes sur la sincérité des objectifs annoncés lors de la mise en place de cette commission d’enquête. Les conclusions et l’utilisation politicienne qui en est faite nous donnent d’autant plus raison aujourd’hui.
Monsieur le rapporteur, vous avez au moins reçu, cet après-midi, le soutien que vous attendiez, avec l’approbation du représentant du Front National. Cela nous désole !
Mes chers collègues, je pense que le Sénat s’honorerait à ce que le travail de contrôle soit mis au service de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Sans revenir sur les vifs débats qui ont eu lieu au moment de l’installation de la commission d’enquête, je déplore l’occasion manquée au regard de la question que cette commission prétendait aborder.
Vous avez beaucoup travaillé, monsieur le rapporteur. Vous nous avez pris beaucoup de temps... Mais un siècle après l’invention de la stéréo, vous n’entendez toujours que de l’oreille droite ! (Rires sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Et pour quel résultat ? Les conclusions sont, en fait, un mélange contrasté.
Certaines des préconisations peuvent être partagées, comme veiller au remplacement systématique en zone difficile, ne pas y nommer de débutants, prêter un serment - je préfère un code de déontologie - et, bien sûr, mettre l’accent sur la maîtrise de la langue française. Et puis, requalifier la formation continue en déshérence – intéressant, pour une majorité qui avait supprimé les postes et la formation initiale !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela mérite d’être dit !
Mme Marie-Christine Blandin. Il y a aussi la reprise de dispositifs existants : les emblèmes de la République, les valeurs républicaines dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, le signalement des absences ou le débat au Parlement.
Et puis, il y a des propositions à risque, comme un sermon hebdomadaire nourri de la frénésie de l’actualité transmise par les médias, ou d’autres mal ciblées, comme l’interdiction des tablettes. Comme si c’était l’utilisation en classe du numérique qui diminuait la concentration, alors que la cause en est la télévision nocturne et les usages privés !
Il trouve surtout, dans votre rapport, le recyclage des vieilles propositions les plus droitières : la suppression des allocations familiales, l’évaluation barrage en CM2, l’interdiction des accompagnantes voilées ou les établissements pour perturbateurs.
Comment en est-on arrivé là ?
Par parti pris : vous ne vous êtes pas penché sur les incivilités liées, par exemple, à la montée de la xénophobie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ou du sexisme…
Mme Marie-Christine Blandin. La banalisation de ce type de discours m’inquiète plus que les mamans voilées accompagnantes.
Par manque de rigueur, ensuite : j’ai souligné des contre-vérités, par exemple la confusion entre les écoles Freinet et Montessori ou le travestissement des programmes d’histoire proposés par le Conseil supérieur des programmes. Et ces contre-vérités étaient énoncées face à des auditionnés qui avaient, eux, prêté serment de dire la vérité !
Enfin, par renoncement à enquêter vraiment : peu de questions précises, pas d’investigation poussée, une complaisance rare avec les commentateurs venus débiter le discours attendu.
Dans le même temps, vous criez au déni à chaque fois que des acteurs de terrain, ayant prêté serment, nuançaient vos alarmes, en montrant la diversité des difficultés, le trouble des lycéens et en présentant des outils pour surmonter les tentatives de déstabilisation.
Cette commission d’enquête a consommé de précieux moyens d’investigation du Parlement pour, comme dans les émissions people, mettre en scène des déclinistes, à mille lieues de la rigueur du Sénat et des valeurs intégratives de la République.
N’avez-vous pas envisagé, monsieur le rapporteur, la venue de Zemmour et fait entendre Natacha Polony le jour où nous devions recevoir Marcel Gauchet ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quelle honte !
Mme Marie-Christine Blandin. Cette commission d’enquête a renoncé à tirer la politique vers le haut, au service du bien commun, pour surfer sur une vague idéologique dont Mme Morano est l’écume.
Et pourtant, il y a des difficultés, et il y avait matière et il y a urgence à entendre.
Après les sinistres départs vers la Syrie de jeunes embrigadés, après l’indignation et l’émotion issues des attentats, plusieurs intervenants, aussi choqués que nous, nous ont dit, avec des mots différents, l’importance d’entendre les questions des jeunes, l’importance de ne jamais perdre le fil de la communication, lorsque des questions, des contestations, surgissent.
La représentante de l’association des professeurs d’histoire-géographie citait certaines questions de jeunes, par exemple : « Pourquoi avoir invité à la manifestation du 11 janvier des chefs d’État ne respectant ni la liberté d’expression ni la démocratie ? » Ou encore : « Un parti antisémite ou xénophobe peut-il être républicain ? » Il faut entendre les élèves, nous disait-elle, afin de déconstruire les stéréotypes. Leur intimer de se taire les enfermerait dans le faisceau d’opinions qu’ils pensent être des réalités.
Il faut du temps et une bonne formation pour appuyer la construction des réponses sur des faits et des savoirs, plutôt que sur des endoctrinements ou des théories du complot. Pas facile, alors même que l’école s’est retrouvée au cœur des questionnements de la société, voire au banc des accusés. Je reconnais qu’au fil des mois, monsieur le rapporteur, vous avez pris plus de précautions sur ce point, et la présidente Laborde y a veillé.
Néanmoins, le regard soupçonneux exclusivement tourné vers certains élèves, la commission n’a pas su exploiter les exemples de réussite et les pistes pour lever les difficultés que rencontrent les enseignants.
L’enjeu de notre école, c’est de permettre aux jeunes de sortir de la logique d’enfermement grâce à un travail patient et constant de désintrication entre les croyances, d’une part, les savoirs, d’autre part. La laïcité et les valeurs de la République – on peut d’ailleurs noter que le rapport omet curieusement la fraternité - ne se parachutent pas comme un catéchisme, sans preuve ni débat ; elles deviennent l’objet d’une adhésion par la démonstration quotidienne de leur intérêt.
Et il n’y a pas de démonstration sans échange, sans pratique, sans prise en considération de chacun, avec égale dignité, d’où qu’il vienne. La raison ne se construit pas dans l’arbitraire de la règle non expliquée ou, pire, dans la règle démentie par les faits, à commencer par l’égalité des territoires, des droits ou des orientations des élèves. Vous ne vous êtes pas assez penché sur cette égalité, valeur de la République !
Les écologistes ne sont ni naïfs ni angélistes, mais, contrairement aux prophètes de malheur, ils ont confiance dans l’école de la République, et ils aiment la France métissée ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Jean Desessard. C’est plus que de l’audio, monsieur le rapporteur, c’est de la 3D ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis quelques années, l’opinion est de plus en plus souvent alertée par les signes de dégradation des comportements scolaires traduisant un rejet des valeurs de l’école républicaine. Ces actes se multiplient et découragent les enseignants.
Les exemples, malheureusement nombreux, ont été parfaitement identifiés dans le rapport Faire revenir la République à l’École : refus d’assister à certains cours ou activités scolaires ou périscolaires, revendications identitaires exprimées au moyen de tenues vestimentaires à connotation clairement religieuse ou de régimes alimentaires spécifiques, absentéisme à répétition au moment de la célébration de fêtes religieuses, contestation systématique de certains contenus d’enseignement, comportements sexistes ou discriminatoires entre les élèves, notamment à l’encontre des jeunes filles, propos racistes, antisémites ou anti-Français, refus de la mixité, prosélytisme et pressions sur des élèves ne respectant pas certaines prescriptions religieuses, mise en cause de la légitimité des professeurs à intervenir sur certaines questions comme l’histoire des religions.
Ce rejet des valeurs républicaines à l’école a trouvé sa forme la plus poussée au lendemain des attentats de janvier 2015, lors de la minute de silence ou à l’occasion de débats auxquels ces dramatiques événements ont donné lieu en classe, entre élèves et enseignants. Des propos inadmissibles ont été tenus à cette occasion et certains élèves ont refusé de participer à la minute de silence.
Ces incidents ne peuvent pas trouver leur explication dans l’insuffisance des moyens du service public de l’éducation : la France se place en tête des pays européens par son investissement éducatif dans le domaine de l’apprentissage de la citoyenneté.
Depuis les années quatre-vingt-dix, notre pays mobilise dans ses programmes et instructions scolaires les trois principales dimensions qui peuvent constituer une éducation à la citoyenneté : premièrement, des cours d’éducation civique spécifiquement identifiés ; deuxièmement, une participation des élèves tant aux instances de gouvernance des établissements dans le secondaire qui permettent un engagement dans les affaires publiques de l’école - délégués de classe, représentants au conseil d’administration ou au conseil de la vie lycéenne – qu’à des débats dans l’heure de vie de classe ; troisièmement, enfin, des projets d’action éducative visant à ouvrir les jeunes à des actions de responsabilisation citoyenne dans et hors de l’école.
Globalement, le modèle français d’éducation à la citoyenneté présente théoriquement toutes les apparences d’un modèle pédagogique solide et bien articulé entre diffusion des connaissances et compétences autour de la citoyenneté et mise en action des élèves visant à leur faire acquérir attitudes et comportements citoyens au travers d’actes concrets dans lesquels ils s’engagent.
Alors que, dans d’autres pays européens, les notions à acquérir et réflexions à engager par les élèves en matière de citoyenneté sont intégrées dans d’autres disciplines humanistes, la France est le seul pays européen où les cours d’éducation civique sont, depuis le primaire jusqu’à la fin du lycée, à la fois clairement identifiés et, le plus souvent, dotés d’horaires spécifiques.
La crise de légitimité qui affecte le modèle républicain, liée en partie aux nouveaux défis lancés par la mondialisation, semble constituer l’un des facteurs du malaise actuel du système éducatif français. Dans ce contexte, face aux diverses manifestations du phénomène de repli identitaire, il apparaît indispensable que l’éducation civique s’adapte dans ses approches et sa pédagogie.
L’éducation civique doit alors se donner les méthodes nécessaires pour faire comprendre à l’élève que le repli identitaire doit être combattu.
Car le repli identitaire, c’est le communautarisme, qui constitue une menace pour l’unité de la République parce qu’il réduit l’identité de l’individu au périmètre exigu d’une seule appartenance : religieuse, ethnique, sexuelle, etc.
Le repli identitaire, c’est l’opposé du projet d’émancipation de l’individu né avec les premiers humanistes et transformé en volonté politique par la philosophie des Lumières. L’effet le plus diviseur du communautarisme sur la société est le multiculturalisme, cette coexistence au sein de la société de plusieurs systèmes de référence qui deviennent alors incompatibles avec les valeurs et les principes régissant les institutions communes et le droit commun.
Sur ce terrain, l’école a encore un rôle à jouer pour faire comprendre aux élèves la nécessité non seulement de respecter les lois du pays dans lequel ils sont appelés à vivre, mais également, et surtout, de s’en approprier les valeurs et les principes et de les intérioriser !
La crise de la cohésion sociale que nous connaissons actuellement complique aussi dangereusement l’enseignement de l’histoire qui se retrouve « déchirée » par la confrontation des mémoires de groupes. Cette discipline, qui a toujours mis son honneur dans la recherche de la vérité, est aujourd’hui en danger, parce qu’elle risque d’être réduite au plus petit dénominateur commun d’une histoire officielle composée de célébrations, de repentances et d’interdits, sous prétexte d’éviter les dissensions et les procès de mémoire. Non, ce n’est pas cela l’histoire de France !
C’est pourquoi, si l’on favorise chez les enfants la compréhension de la différence entre l’histoire et la mémoire, l’éducation civique pourra alors expliquer que ni le juge ni l’élu n'ont vocation à écrire l’histoire.
Autre réflexion : les premiers rudiments du civisme devraient être enseignés dès les années de maternelle, en même temps que les premières appropriations de la langue, dont ils sont indissociables. L’importance des premières années dans la maîtrise de la lecture et de l’écriture de la langue maternelle, voire simultanément d’une langue étrangère ou régionale, est avérée. L’appropriation précoce du langage est indissociable de l’éducation civique, dans la mesure où l’incapacité de communiquer est l’un des facteurs qui engendrent la violence.
La perte des repères républicains à l’école est aussi souvent corrélée au niveau scolaire des enfants et des jeunes. Être bien formé, faire preuve d’esprit critique suppose à la fois une bonne appropriation de la langue et la réussite scolaire.
Aussi, je crois sincèrement que nous ne faisons pas ce qu’il faut au moment où tout se joue, c’est-à-dire à l’école maternelle. Plutôt qu’à une réforme des rythmes scolaires qui n’améliorera en rien nos performances scolaires et qui grève déjà le budget de nos communes, travaillons donc à proposer des activités en dehors de l’école – peut-être avec les collectivités locales –, des activités de structuration de la langue par le biais du jeu, par exemple, et ce dès la maternelle.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail accompli par la commission d’enquête : elle a eu la volonté de sortir du déni et a permis de donner la parole aux personnels de l’éducation nationale qui vivent, constatent et subissent, dans leur quotidien, ces atteintes aux valeurs de l’école républicaine.
Je terminerai en rapportant le témoignage du mathématicien Laurent Lafforgue, qui a été auditionné par la commission d’enquête : « Si vous souhaitez que l’école de la République soit aimée de nouveau, rétablissez des enseignements qui nourrissent. Accordez la priorité absolue à la lecture, à l’écriture, à la grammaire, et à tout ce qui assure la maîtrise de notre langue. »
Mes chers collègues, ayons la simplicité du bon sens, revenons aux fondamentaux, et nous rendrons l’école républicaine et ses valeurs dignes de respect ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je regrette l’absence de Mme la ministre de l’éducation nationale.
M. Guy-Dominique Kennel. Nous aussi !
Mme Nicole Duranton. Permettez-moi de saluer l’excellent travail de Françoise Laborde et de mon collègue Jacques Grosperrin qui ont, pendant de nombreux mois, procédé à une étude approfondie pour présenter des propositions pratiques et surtout applicables.
Les attentats dramatiques de janvier 2015 ont plongé la France dans le chaos le plus total. Le respect d’une minute de silence a été demandé aux enfants le 8 janvier 2015 dans les établissements scolaires, ce qui a donné lieu à différents incidents. Des propos inadmissibles ont été tenus par certains élèves, qui n’ont parfois pas compris ce qui leur était demandé, allant même jusqu’à dire que les victimes avaient mérité ce qui leur était arrivé.
Ces incidents révèlent un état d’esprit, pis un malaise profond. Ce malaise avait déjà été parfaitement diagnostiqué il y a dix ans, dans le rapport Obin. Ces problèmes étaient connus depuis longtemps, et mon collègue Jacques Grosperrin a su sortir du déni, ce dont je le félicite.
Je voudrais insister sur un point fondamental : il est extrêmement inquiétant de constater qu’un pourcentage considérable d’élèves ne maîtrisent pas le socle de connaissances et de compétences requis à leur niveau.
M. Jacques-Bernard Magner. La faute à qui ?
Mme Nicole Duranton. Le plus grand échec du collège, c’est le primaire ! Avant de réfléchir à une réforme du collège, il faudrait, dans un premier temps, se pencher sur le primaire.
Les gouvernements successifs ont beaucoup investi depuis plusieurs années sur le collège et le lycée, et sous-investi dans l’enseignement primaire, alors que c’est dès le primaire qu’il faut s’attaquer aux échecs scolaires. Le décrochage en langues, et donc plus particulièrement en français, a lieu dès le début de la scolarité. Dès les premières années de l’école élémentaire, des élèves sont en difficulté et les problèmes ne font que s’amplifier au fur et à mesure que la scolarité avance.
Lorsque la ministre de l’éducation nationale insiste sur l’apprentissage obligatoire d’une seconde langue vivante dès la cinquième,…
M. Jacques-Bernard Magner. Elle a raison !
Mme Nicole Duranton. … c’est-à-dire un an plus tôt qu’aujourd’hui, pour les élèves en difficultés, elle accentue le décalage. Je crains que Mme la ministre ne prenne le problème dans le mauvais sens…
M. Jacques-Bernard Magner. Mais non, c’est vous qui vous trompez de sens !
Mme Nicole Duranton. Si l’apprentissage des langues est une priorité, c’est dans le primaire qu’il faut faire cet effort, en même temps que sur la compréhension de l’écrit et sur les mathématiques qui, je le rappelle, concernent 50 % des enseignements en primaire. Avec la réforme entreprise par Mme la ministre de l’éducation nationale, on va ajouter 54 heures de travail aux élèves de cinquième. Mais c’est déplacer le débat : le problème n’est pas celui du nombre d’heures consacrées à une matière, mais celui des méthodes d’enseignement, qui doivent perpétuellement évoluer, s’adapter aux enfants, et non pas l’inverse !
M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas le sujet !
Mme Nicole Duranton. Les élèves de collège, en France, reçoivent 1 000 heures d’enseignement par an, toutes matières confondues, quand la moyenne des pays de l’OCDE est de 900 heures. Il n’y a donc pas de corrélation entre le volume horaire et la performance éducative.
Je prendrai un autre exemple : nous apprenons que la réussite du système français dépendrait de la suppression du latin ou du grec, de l’inclusion des langues étrangères dans les programmes de cinquième, alors que la réussite dépend d’une réforme beaucoup plus globale du système.
M. Jacques-Bernard Magner. Hors sujet !
Mme Nicole Duranton. C’est pourquoi je tiens à nouveau à féliciter mon collègue Jacques Grosperrin d’avoir déposé une proposition de loi, que j’ai cosignée, dont l’article 3 réserve l’accès au collège aux élèves justifiant d’un niveau suffisant de maîtrise du français.
La plus flagrante des fragilités de notre système scolaire est en effet la faiblesse en français, à l’oral comme à l’écrit, d’un très grand nombre de jeunes élèves, qui arrivent en classe de sixième sans maîtriser leur langue maternelle.
Une telle disposition est positive à un double titre. Tout d’abord, elle va permettre de faire passer plus facilement le message des valeurs dans un langage accessible à tous. Ensuite, elle permettra d’attaquer à sa véritable source le problème du décrochage scolaire. Arriver au collège sans savoir ni lire ni écrire convenablement n’est pas concevable. Je félicite donc mon collègue d’avoir proposé cette mesure, car il a le souhait de résoudre le problème en amont, dès le primaire.
Subordonner l’accès au collège au résultat d’une évaluation de la maîtrise du français au cours de l’année du CM2 va aussi permettre naturellement aux méthodes d’enseignement d’évoluer et de s’adapter aux différentes situations.
Je ne vous apprends pas, madame la secrétaire d’État, que savoir lire, écrire et parler le français est la condition de l’accès à tous les domaines du savoir. Je ne vous apprends pas non plus que la langue française est un outil essentiel de l’égalité des chances.
Il est urgent de s’occuper de ceux qui ne réussissent pas dans ce système, en s’attaquant aux difficultés dès le commencement. La performance du système français d’éducation se dégrade, preuve en est le classement international de la France, qui empire depuis ces dernières années.
Mme Maryvonne Blondin. Cela a commencé il y a dix ans !
Mme Nicole Duranton. La proportion de bons élèves ne s’améliore pas et de plus en plus d’élèves sont en échec scolaire : 20 % à l’âge de quinze ans !
Les propositions de mon collègue, notamment l’article 3 de sa proposition de loi, vont donc dans le bon sens.
Aller dans le bon sens, c’est anticiper pour éviter l’amplification des difficultés des élèves.
Aller dans le bon sens, c’est faire en sorte que tous les élèves sachent lire, écrire et s’exprimer avant d’arriver au collège.
Telle est la condition essentielle pour que les enfants puissent s’épanouir, comprendre le sens des valeurs de l’école de la République et ainsi les respecter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque, à la suite des événements tragiques de janvier dernier et du refus de quelques élèves de respecter une minute de silence, la constitution d’une commission d’enquête sénatoriale sur le service public d’éducation, la perte des repères républicains et les difficultés rencontrées par les enseignants a été proposée, plusieurs d’entre nous se sont interrogés sur les motivations réelles de ceux qui avaient souhaité recourir à la formule tout sauf anodine d’une commission d’enquête.
Pour ma part, au-delà du côté formel de la procédure, j’ai voulu y voir un espace de réflexion pour contribuer ensemble, car le contexte nous obligeait tous, à enrichir la dynamique engagée ces deux dernières années afin de restaurer l’éducation comme « première, deuxième et troisième priorités », pour paraphraser Michelet.
Dans cet esprit, je me suis alors refusée à tout procès d’intention a priori contre cette commission et j’ai participé à ses travaux autant que faire se pouvait, avec plusieurs collègues du groupe socialiste.
Divers propos entendus lors des auditions, le titre final du rapport et plusieurs interventions à cette tribune démontrent que, pour certains, les objectifs étaient d’un autre ordre et qu’il s’agissait plutôt d’instruire un procès à charge ou, a minima, d’instrumentaliser les faits.
C’est pourquoi je vais tenter de remettre les choses en perspective.
Oui, notre système éducatif traverse des difficultés.
Oui comme dans la société, le vivre ensemble y est souvent difficile et les principes républicains y sont parfois malmenés.
Oui, le mal-être de certains enseignants est réel, et il est multifactoriel.
Oui, nous ne sommes pas bien classés, comme le montrent les chiffres de l’enquête PISA 2013, mais cette situation ne peut être imputée au gouvernement actuel, puisque cette étude porte sur la période 2003-2012.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. En vérité, depuis 2012, ce gouvernement n’a pas attendu le rapport du Sénat pour s’attacher à redresser la barre, à redéfinir le cap, et il y a beaucoup à faire !
Ainsi, alors qu’entre 2002 et 2012 80 000 postes d’enseignant avaient été supprimés, 35 000 ont d’ores et déjà été recréés, avec un objectif de 60 000 d’ici à la fin de 2017.
Et si le nombre de postes n’est pas l’alpha et l’oméga d’une politique éducative, il n’en reste pas moins qu’une classe surchargée n’offre pas le meilleur contexte pour que l’enseignant soit au plus près de chaque élève et lui inculque un contenu disciplinaire en même temps qu’un comportement citoyen.
Alors que, dans la même période, la formation initiale des enseignants avait été passée par pertes et profits, économies obligent, le Gouvernement a remis en place une véritable politique de formation, qui, aujourd’hui encore plus qu’hier, au regard de l’hétérogénéité des élèves accueillis et des profondes mutations de notre société, est d’autant plus fondamentale.
En effet, comment raisonnablement penser qu’être titulaire d’un master, pour important que soit ce diplôme, pouvait valoir capacité à exercer le passionnant mais difficile métier d’enseignant, qui ne se résume pas à la transmission de savoirs disciplinaires, contrairement à ce que croient ceux qui confondent l’éducation nationale de 2015 et l’instruction publique de 1932 ? (Mme Françoise Férat s’exclame.)
M. Jacques-Bernard Magner. Exactement !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Enseigner, mes chers collègues, c’est bien sûr faire partager des savoirs, mais c’est aussi transmettre un savoir-être et des valeurs, c’est contribuer à l’émancipation de chacun.
Contrairement à ce qu’avait osé affirmer un ancien Président de la République, prétendant que, dans la transmission des valeurs, le prêtre était plus important que l’enseignant,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On l’avait oublié celle-là ! Quelle honte !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. … c’est bien l’enseignant qui, avec la famille, est le vecteur essentiel de la transmission des valeurs de la République, les fameux « repères républicains »
Oui, triste discours de Latran, qui en dit long sur la pensée profonde de son auteur et de ses thuriféraires, qui en dit long sur leur mépris de notre système éducatif public et des enseignants, mais qui en dit long aussi sur leur conception – ce n’est pas la nôtre - de notre République laïque.
Et, puisque je parle de laïcité, permettez-moi de rappeler que le Gouvernement n’a pas attendu les sinistres événements de janvier pour agir auprès des élèves et rappeler le rôle fondamental de la laïcité dans l’école de la République.
Ainsi, dès le 8 juillet 2013, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, la charte de la laïcité a été affichée dans tous les établissements scolaires.
Par ailleurs, il faut se féliciter de ce que, dans le cadre de la réforme des programmes, soit prévu un enseignement moral et civique, du CP à la terminale, et que des modules spécifiques soient dorénavant introduits à cet effet dans la formation des enseignants.
Il y aurait encore tant de choses à remettre en perspective, mais mon temps de parole arrive à son terme.
M. Guy-Dominique Kennel. En effet !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Aussi dirai-je en conclusion qu’avec les collègues de mon groupe je me refuserai toujours à entrer dans le jeu des déclinistes de tous bords et à stigmatiser notre système éducatif en lui faisant porter tous les maux de la société.
Nous prenons acte de l’engagement de notre ministre de l’éducation nationale et, plus largement, du Gouvernement, de même que nous prenons acte des mesures prises pour que l’école de la République reste bien le pivot du modèle républicain. Qu’elle sache que nous l’assurons de notre soutien dans son action.
Pour toutes les raisons que j’ai dites, nous n’adhérons pas aux conclusions de ce rapport ni à nombre de ses préconisations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
M. Guy-Dominique Kennel. De l’éducation nationale ?...
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de l’éducation nationale, qui est actuellement dans les Alpes-Maritimes auprès des personnels de l’éducation nationale, particulièrement touchés par les terribles intempéries des 3 et 4 octobre.
L’école, notre école, est, par son histoire, profondément liée à la République et à ses valeurs. C’est pourquoi, dès la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, un accent particulier avait été mis sur les valeurs républicaines. Oui, l’école forme les citoyens de demain, et elle est bien, à cet égard, au cœur de la République.
Cette place explique l’intensité avec laquelle elle a été atteinte par les attentats de janvier, qui ont violemment mis en lumière les fractures qui endolorissent notre pacte républicain. Le Gouvernement a immédiatement réagi pour renforcer notre capacité collective à prévenir ce danger planétaire et permanent qu’est le terrorisme et à y répondre.
Garante des valeurs fondamentales de la République, creuset de la citoyenneté, l’école a immédiatement mobilisé l’ensemble des acteurs de la communauté éducative pour la défense de ces valeurs. Dès le lendemain des attentats, la ministre de l’éducation nationale a rencontré de nombreux acteurs de l’enseignement et du monde associatif pour construire avec eux la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, dont les onze mesures ont été annoncées le 22 janvier.
Au lendemain des attentats, des incidents se sont effectivement produits pendant la minute de silence et à l’occasion des échanges entre les élèves et leurs enseignants qui lui ont fait suite. Sur l’ensemble des établissements français, 200 incidents ont été recensés. Ils sont graves, car ils révèlent l’étendue des fractures qui traversent la société.
Ces données sont déclaratives et ne concernent que les incidents qui n’ont pu être réglés par les enseignants dans le cadre de la classe. Elles ne constituent donc pas un recensement exhaustif de l’ensemble des difficultés qu’ont pu rencontrer les équipes éducatives.
En tout état de cause, ces incidents ont fait l’objet d’une réponse alliant pédagogie et fermeté, conformément à l’exigence de Mme la ministre de ne laisser prospérer aucune atteinte aux valeurs de la République au sein de l’école, de ne laisser aucun incident sans suite.
L’école est le rempart des valeurs de la République et, je le répète, le creuset de la citoyenneté. Les rencontres conduites au lendemain des attentats l’ont montré : la laïcité est une condition indispensable à l’ensemble des autres valeurs. C’est en ce sens que la refondation de l’école, engagée dès 2013, a été conduite par le Gouvernement.
Cette refondation engage une véritable pédagogie de la laïcité, de manière active, par le biais de nouvelles ressources pédagogiques. Au travers du parcours citoyen, qui a été mis en place dès cette rentrée, chaque élève aura, du CP à la terminale, 300 heures d’enseignement moral et civique, qui doivent permettre aux élèves de développer leur esprit critique, de savoir trier les informations, de bien utiliser les outils numériques.
Cet enseignement doit aussi permettre aux élèves de comprendre le principe de laïcité, en s’appuyant notamment sur la charte de la laïcité, que les parents ont été invités à signer en cette rentrée. L’enseignement laïque du fait religieux a en outre été renforcé dans les nouveaux programmes.
Le parcours citoyen vise également à expliciter le bien-fondé des valeurs et des règles qui régissent les comportements individuels et collectifs, à reconnaître le pluralisme des opinions et à construire du lien social et politique. Il devra intégrer pleinement la participation de l’élève à la vie de l’école et de l’établissement, ainsi que les expériences et engagements qu’il connaîtra en dehors de l’école, notamment avec les partenaires associatifs. Il visera en outre à développer l’éducation aux médias et à l’information.
On voit là toute l’importance de la maîtrise du français pour les élèves, qui doivent pouvoir exprimer correctement leurs idées. Dans les nouveaux programmes qui entreront en vigueur à la rentrée prochaine, la maîtrise du langage est prioritaire, une évaluation devant intervenir au cours du premier trimestre de CE2 afin de vérifier les acquis et d’adapter l’enseignement.
Au collège aussi, l’acquisition des fondamentaux, notamment du français, sera mise en valeur. Le développement du travail en petits groupes, prévu par la réforme du collège, ainsi que les enseignements pratiques interdisciplinaires renforceront la maîtrise de notre langue, la capacité à débattre et à devenir citoyen à part entière.
Afin d’accompagner les enseignants dans la mise en œuvre de ce parcours citoyen, 1 200 cadres de l’éducation nationale, chefs d’établissement, inspecteurs, conseillers pédagogiques, « référents laïcité », ont été formés en avril et en mai. Ils formeront à leur tour 320 000 enseignants d’ici à la fin de l’année.
Un « livret laïcité » est également diffusé, pour que la pédagogie de la laïcité soit promue dans l’ensemble des temps de la vie scolaire et que les équipes éducatives disposent à la fois de ressources juridiques et de l’accompagnement nécessaire.
S’agissant, par exemple, des accompagnateurs de sorties scolaires, il faut ici simplement rappeler le droit. Le Conseil d’État a précisé que, n’étant pas des collaborateurs du service public, ils ne sont par conséquent pas soumis à la neutralité religieuse.
La position du ministère est donc claire et opérationnelle pour les équipes éducatives : le refus de principe opposé à des parents accompagnateurs de sorties scolaires au motif de signe d’appartenance religieuse n’est pas fondé en droit. L’acceptation de leur présence doit donc être la règle. Toutefois, les équipes éducatives doivent interdire leur présence en cas de provocation ou de prosélytisme.
Si la laïcité doit être protégée avec la plus grande fermeté, la bonne volonté de parents qui, en encadrant une sortie scolaire, manifestent leur intérêt pour la scolarité de leur enfant et leur désir de coopération avec l’école doit rencontrer le dialogue et non la fermeture.
Toute cette pédagogie, cette prise en compte permanente du dialogue et de l’échange, c’est par les enseignants qu’elles s’incarneront et qu’elles s’ancreront au cœur de l’école.
Oui, pour bien des élèves, c’est au travers de la relation avec le professeur que va se faire la première rencontre avec l’État républicain. Les enseignants, par leur fonction et par leur importance, sont les représentants de la République, et c’est pour cette raison qu’il faut rétablir leur autorité, comme vous le soulignez dans votre rapport.
Rétablir cette autorité, c’est d’abord les former. C’est ce que ce gouvernement a fait en rétablissant la formation initiale supprimée par la majorité précédente, une formation initiale qu’il faut encore améliorer s’agissant du tronc commun relatif à la pédagogie de la laïcité ou la tenue des classes.
Rétablir l’autorité des maîtres, c’est faire respecter les règles de civilité et de politesse. Dans l’intérêt même des élèves, on ne doit avoir aucune faiblesse envers les comportements qui y portent atteinte. L’école doit fixer les limites dont les élèves, en tant que futurs citoyens, ont besoin pour se construire. Ainsi, ces règles doivent dorénavant être systématiquement précisées dans le règlement intérieur de chaque établissement scolaire.
Pour améliorer le sentiment d’appartenance des élèves à la République, qui a ses rites et ses symboles, Mme la ministre de l’éducation nationale a souhaité par ailleurs rétablir des rituels au sein des établissements scolaires.
En premier lieu, une journée de la laïcité sera célébrée dans tous les établissements chaque 9 décembre, jour anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l’État.
Au-delà, les projets d’école et d’établissement scolaire doivent définir précisément les modalités de participation active des élèves aux commémorations patriotiques, ainsi qu’aux semaines de l’engagement et de lutte contre le racisme.
La ministre a souhaité que l’organisation solennisée d’un temps annuel d’échanges avec l’ensemble de la communauté éducative, la valorisation des réussites des élèves, les spectacles de fin d’année, soient systématisés. Premier examen et premier diplôme, le diplôme national du brevet sera d’ailleurs remis lors d’une cérémonie officielle et républicaine à chaque élève par son établissement dès la fin de cette année scolaire, comme l’a annoncé récemment la ministre.
Nous le savons, l’école joue un rôle essentiel dans la transmission des valeurs de la République. Elle ne doit pas pour autant être laissée seule face à ces défis. Toute la société doit être mobilisée.
Nous pensons évidemment au service civique universel, que le Président de la République a voulu déployer avec force et dont l’éducation nationale accueillera 37 000 volontaires d’ici à 2017.
L’école ouvre aussi ses portes aux personnes de la société civile désireuses de consolider le socle des valeurs partagées. Elles sont déjà 5 000 à vouloir intervenir dans les écoles. Ces réservistes citoyens participent eux aussi à la transmission des valeurs de la République.
Ils offrent aux élèves la richesse de leur expérience vécue. À travers eux, les valeurs ne sont pas simplement des idéaux, mais des actions pratiques, mises en œuvre au sein du monde qui nous entoure.
Cette irremplaçable épaisseur du vécu qui fonde la légitimité du réserviste offre aux élèves une autre voie, un autre chemin. À travers leurs témoignages, ils contribuent aussi à lutter contre la radicalisation en montrant la place que chacun peut prendre dans le monde et comment il peut aussi agir.
En effet, la meilleure façon de lutter contre la radicalisation, ce n’est pas uniquement de punir, c’est aussi de transmettre des savoirs fondamentaux aux élèves, c’est de développer chez eux le sens critique, le sens de l’analyse. C’est là tout l’enjeu de l’éducation aux médias et à l’information.
Aux premiers signes de radicalisation d’un élève, l’école doit pouvoir agir rapidement. Un livret de prévention de la radicalisation a été mis à disposition des chefs d’établissement et des équipes éducatives pour les aider à détecter les premiers signes de radicalisation et à agir en conséquence. Les procédures de signalement et de remontée au ministère ont été renforcées. Il en va de même pour la coopération avec les autres services de l’État compétents en la matière que sont la justice et la police.
Dans les établissements privés hors contrat, de nouvelles mesures ont été prises afin de renforcer le contrôle de l’État. Si la liberté d’enseignement est un droit garanti par la Constitution, la circulaire du 23 juillet 2013 permet de mieux l’encadrer, qu’il s’agisse de s’opposer à l’ouverture d’un établissement, de contrôler son fonctionnement et le contenu pédagogique de son enseignement ou de renforcer la vigilance concernant l’enseignement à domicile.
Parallèlement à la publication de cette circulaire, la Mission de prévention des phénomènes sectaires de l’éducation nationale, la MPPS, a vu son périmètre élargi à la radicalisation religieuse, en constituant une ressource experte partagée entre les inspections générales pour soutenir les académies dans leurs stratégies de contrôle, appuyer et former les corps d’inspection afin de garantir l’effectivité et la qualité des contrôles que l’éducation nationale s’est donné pour objectif de mieux assurer.
Au-delà, c’est dans le temps que l’action de l’école doit être inscrite. Nous ne devons pas nous contenter de réagir.
C’est ce gouvernement qui a choisi de faire du budget de l’éducation le premier budget de la Nation, permettant que 60 000 postes supplémentaires viennent renforcer la présence des adultes auprès de nos jeunes, dans l’ensemble de notre système scolaire, notamment auprès des publics qui en ont le plus besoin, avec la réforme de l’éducation prioritaire, le dispositif « plus de maîtres que de classes » ou le renforcement de la scolarisation des moins de trois ans. (Marques d’approbation sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Plus d’adultes dans les établissements, c’est la garantie d’une meilleure transmission de la connaissance et des valeurs de la République.
Au-delà, c’est ce gouvernement qui a fait de la laïcité à l’école une véritable priorité. C’est aussi ce gouvernement qui a mis au service de cette priorité de véritables moyens tant en matière de ressources pédagogiques que pour former et accompagner concrètement les équipes éducatives.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, sur un sujet comme celui-ci, et au-delà des polémiques politiciennes, nous devons nous rassembler : c’est la Nation tout entière qui doit se mobiliser pour une école plus forte et plus juste, une école dont le climat sera ainsi apaisé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession.
7
Nominations de membres de commissions
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Les Républicains a présenté des candidatures pour la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et pour la commission des affaires européennes.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
-M. Alain Vasselle, membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Jean Jacques Hyest, dont le mandat de sénateur a cessé ;
-Mme Anne Chain-Larché, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Alain Vasselle, démissionnaire ;
-M. Alain Vasselle, membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean Jacques Hyest, dont le mandat de sénateur a cessé.
8
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale à l’outre-mer.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Catherine Procaccia membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, en remplacement de M. Alain Fouché, démissionnaire.
Mes chers collègues, avant de passer à la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Dématérialisation du Journal officiel de la République française
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission, après procédure d’examen en commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi et la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française, présentées par M. Vincent Eblé et les membres du groupe socialiste et républicain. (rapport n° 29, textes de la commission nos 30 et 31.)
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes seraient examinés conjointement, selon la procédure d’examen en commission prévue par l’article 47 ter du règlement du Sénat. Il s’agit donc d’une première !
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du ou des textes adoptés par la commission.
La commission des lois, saisie au fond, s’est réunie le mercredi 7 octobre pour l’examen des amendements et des articles et l’établissement des deux textes. Le rapport a été publié le même jour.
Explications de vote communes
Mme la présidente. Avant de mettre successivement aux voix l’ensemble de chacun des deux textes adoptés par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 ter, alinéa 11, de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour dix minutes, puis au Gouvernement et, enfin, à un représentant par groupe pour sept minutes.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, Vincent Eblé et les membres du groupe socialiste et républicain ont déposé une proposition de loi ordinaire et une proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française. Je précise qu’une proposition de loi organique était nécessaire puisque cette initiative concerne également les collectivités d’outre-mer.
Vincent Eblé reformule ainsi une vieille question : comment s’assurer de la connaissance de la loi et de son respect alors que l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi » s’impose à tous ?
Voilà donc la question de la publication de la loi qui nous revient. Elle date en fait de l’Ancien Régime – peut-être est-elle même plus ancienne. Sous l’Ancien Régime, la publication était simple : elle se faisait à son de trompe ou au bruit de tambour. La Révolution française a instauré la publication au Bulletin des Lois auquel a succédé, à partir de 1870, le Journal officiel de la République française.
Cent trente ans après, l’ordonnance du 20 février 2004 a introduit une dérogation à ce principe de la publication sur support papier, en permettant, dans certains cas, une publication sous forme électronique.
Cette ordonnance a pour grande vertu de donner la même force probante à la publication électronique qu’à la publication papier.
Vous le savez, il restait deux exceptions : d’une part, un certain nombre de publications sensibles en termes de droits de la personne ne pouvaient être reproduites que sur du papier. Une liste dressée par décret fixe ces catégories d’actes individuels : elle vise notamment les changements de nom, la francisation des noms ou prénoms, l’acquisition de la nationalité française, la naturalisation, la perte de la nationalité française, ainsi que les annonces judiciaires et légales qui mentionnent les condamnations pénales.
En définitive, seulement 8 % des textes publiés au Journal officiel de la République française ne le sont que sur papier. Inversement, des actes administratifs publiés au Journal officiel de la République française ne font l’objet que d’une publication sous forme électronique : les actes réglementaires et les décisions individuelles concernant l’organisation administrative de l’État, les décisions individuelles et non réglementaires relatives aux fonctionnaires et agents publics, aux magistrats et aux militaires, ainsi que certains documents relatifs au budget de l’État comportant des annexes très lourdes et des décisions individuelles émanant des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques.
Aujourd’hui, environ 40 % des textes publiés au Journal officiel de la République française le sont uniquement par voie électronique.
L’objet des deux propositions de loi présentées par Vincent Eblé est simple : « mettre un terme à la version papier de la publication du Journal officiel de la République française pour ne conserver que la version électronique ».
Ces modifications s’appliqueraient rapidement sur l’ensemble du territoire national, puisqu’elles entreraient en vigueur le 1er janvier 2016. Elles seraient étendues aux collectivités ultramarines pour lesquelles la publication au Journal officiel de la République française est régie par des dispositions spéciales, ce qui justifie le vote d’une loi organique. Je rappelle qu’il existe une édition papier pour la Polynésie, qui n’est pas concernée par ces deux textes.
La dématérialisation du Journal officiel est préconisée depuis de longues années par la Cour des comptes et de nombreux parlementaires, le nombre d’abonnés à la version papier ayant chuté de 33 500 à 2 261 entre 2004 et 2015, 90 % des abonnements étant souscrits par des administrations. Cela signifie que l’on ne compte plus qu’environ 220 particuliers abonnés, ce qui relativise les craintes relatives à la « fracture numérique » ; nous y reviendrons.
À l’inverse, on a constaté une montée en flèche des abonnements à la version électronique du Journal officiel : on en dénombrait un peu moins de 66 000 au 31 décembre 2014, 1,6 million de visites de cette version étant recensées.
La dématérialisation permet de fournir le Journal officiel à titre gratuit – l’abonnement à la version papier coûte 360 euros par an –, rapidement et à la même heure sur tout le territoire, alors qu’aujourd’hui l’édition papier ne parvient outre-mer qu’avec ou un deux jours de retard. De surcroît, la version électronique inclut l’ensemble des pièces non publiées actuellement dans l’édition papier.
La dématérialisation permettra une économie relativement modeste, de l’ordre de 400 000 euros, le coût de l’impression s’élevant à 1 million d’euros, pour un produit des abonnements d’environ 600 000 euros. Elle s’accompagnera d’un impact écologique moindre.
Par ailleurs, la dématérialisation n’entraînera aucune suppression d’emplois. L’impression est aujourd’hui confiée à une société coopérative, la société anonyme de composition et d’impression du Journal officiel, la SACIJO. Un accord social a été conclu avec l’État, qui prévoit certes une diminution du nombre d’emplois, mais non liée à la dématérialisation.
En ce qui concerne la légalité de la dématérialisation, le Conseil constitutionnel sera appelé à examiner, par le biais de la proposition de loi organique, la constitutionnalité de cette modification.
Deux questions constitutionnelles se posent.
En premier lieu, la dématérialisation constitue-t-elle un obstacle à l’accès au Journal officiel, et donc à la connaissance de la loi par l’ensemble des citoyens ? Je répondrai par la négative, la version papier n’apportant pas plus de garanties à cet égard que la version numérisée, au contraire. Si la consultation de cette dernière exige de recourir à un ordinateur, sa mise à disposition « permanente et gratuite » est garantie par la loi, alors que la lecture du Journal officiel sur papier impose de se déplacer en certains lieux ou d’acheter le numéro en cause.
Toutefois, la commission a adopté un amendement présenté par Pierre-Yves Collombat et Jacques Mézard, tendant à permettre à chacun d’obtenir de l’administration la communication sur papier d’un extrait du Journal officiel. Comme Alain Richard et Alain Marc l’ont souligné, l’adoption de cet amendement expose l’administration à devoir faire face à des demandes massives de reproduction, ce qui pourrait susciter des difficultés. La navette parlementaire permettra sans doute d’affiner la disposition.
En second lieu, comment s’assurer de la préservation de la vie privée ? Les moteurs de recherche permettent de collecter diverses informations relatives à la nationalité, aux changements de patronyme et de constituer des fichiers illégaux. À cet égard, la proposition de loi prévoit que la publication des actes s’effectuera dorénavant sous forme électronique, mais « dans des conditions garantissant qu’ils ne [feront] pas l’objet d’une indexation par des moteurs de recherche ».
Différents dispositifs peuvent être employés à cette fin. Il convient, à cet égard, de saluer le travail accompli par la direction de l’information administrative et légale, la DILA. On peut notamment évoquer la présence d’un formulaire, l’accès à l’acte publié uniquement à partir du sommaire du numéro du Journal officiel recherché par date, ou encore le recours à un système de sécurité de type « captcha ».
Concernant l’application de cette mesure dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, le président du Sénat a, en application des articles 74 et 77 de la Constitution, consulté l’ensemble des assemblées délibérantes de ces collectivités sur la proposition de loi organique. La commission permanente de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna a émis un avis favorable. Les avis des autres assemblées délibérantes n’étant pas parvenus à la présidence du Sénat dans le délai d’un mois, ils sont réputés favorables.
En conclusion, j’invite le Sénat à adopter ces textes relativement importants pour nos institutions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d’abord la commission des lois, qui a adopté la semaine dernière la proposition de loi et la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française. Je me réjouis qu’un large consensus ait prévalu lors des débats sur ces textes, qui représentent une avancée importante pour l’amélioration de l’accès aux droits et de la qualité du service public.
La commission des lois a adopté un amendement qui prévoit que « sur demande faite par un administré, l’administration communique sur papier l’extrait concerné du Journal officiel de la République française ».
Je n’étais pas favorable à un tel amendement, car il me semble que le dispositif que nous mettons en place améliorera significativement les conditions d’accès au Journal officiel, d’abord en raison de sa gratuité, ensuite parce qu’internet a permis, nous le constatons chaque jour, de réduire la fracture numérique et de faciliter l’accès aux lois.
J’avais enfin quelques réserves, sur lesquelles je reviendrai, concernant le dispositif proposé.
Le nouveau texte issu des travaux de la commission m’inspire deux réflexions.
Tout d’abord, l’exposé des motifs de l’amendement adopté par la commission précise que celui-ci « vise à prendre acte de la dématérialisation du Journal officiel, tout en aménageant la possibilité pour un citoyen-administré, qui ne bénéficie pas d’un accès aisé à internet, de demander que lui soit envoyé un extrait du Journal officiel ».
Ainsi, même si le texte issu des travaux de la commission n’est pas celui de la proposition de loi ou de la proposition de loi organique, nous voyons bien que, sur l’essentiel, c’est-à-dire sur le principe de la dématérialisation du Journal officiel au 1er janvier 2016, nous sommes tous d’accord. Cette avancée va dans le bon sens.
Je suis aussi très sensible à la volonté des auteurs de cet amendement de préserver et d’améliorer l’accès aux documents administratifs. Le Sénat tient ici parfaitement son rôle. De mon côté, je suis toujours extrêmement attentive, à l’instar de mes collègues du Gouvernement, à ce que la transformation numérique de l’État ne laisse personne sur le bord du chemin. C’est aussi la préoccupation qui sous-tend l’adoption de cet amendement.
Certes, en l’état, le texte pose quelques problèmes qui ont été relevés en commission. Comme l’a très justement rappelé M. le rapporteur, le terme d’« administration » figurant dans l’amendement est très général et mérite d’être précisé.
Je veux surtout rappeler les arguments importants qui ont été développés par les sénateurs Alain Marc et Alain Richard quant au risque d’abus de cette prérogative. Il faut effectivement prendre en compte le risque de voir se développer sur la toile, à l’occasion de débats sensibles, une campagne tendant à demander la reproduction d’une page du Journal officiel à des milliers d’exemplaires.
Mon cabinet, les équipes du secrétariat général du Gouvernement et celles de la DILA évaluent actuellement les options les plus pertinentes en droit et les actions à mener pour répondre aux préoccupations exprimées par la commission des lois au travers de l’adoption de cet amendement.
Compte tenu de notre accord sur l’essentiel du texte et des motivations des sénateurs ayant voté l’amendement, qui rejoignent complètement celles du Gouvernement, je ne doute pas que les prochaines étapes de nos débats permettront d’élaborer un dispositif satisfaisant pour tout le monde. En tout état de cause, le Gouvernement tiendra la commission des lois et son président informés des conclusions auxquelles nous aboutirons.
Pour l’heure, au regard de l’état actuel du texte, je m’en remets à la sagesse du Sénat. (M. Vincent Eblé et Mme Françoise Férat applaudissent. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il ne doit rester qu’un seul parlementaire irrémédiablement fâché avec le numérique, ce sera moi ! (Sourires.) Heureusement, je suis entouré de « petites mains » expertes en l’utilisation de l’outil informatique…
Le Journal officiel constitue le bréviaire quotidien de tout un chacun dans les administrations françaises, centrales et territoriales. La vie parlementaire, nourrie de nos tergiversations, de nos débats et parfois de nos divergences quotidiens, joue évidemment un rôle très important.
Depuis la Révolution française, la loi promulguée est portée à la connaissance des citoyens par sa publication. Cela tendait alors à rompre avec les pratiques arbitraires de l’Ancien Régime, marquées par l’absence d’unité, dans le fond comme la forme, de l’élaboration des normes.
Héritier de la Gazette nationale ou du Moniteur universel, puis publication officielle de la République, dont il résume la vie juridique, le Journal officiel de la République française a pris, depuis 1881, la suite du Journal officiel de l’Empire français, en même temps qu’était consacrée la liberté de la presse en France. Beau symbole de la vie démocratique, l’austérité du Journal officiel constitue la garantie par excellence du respect du principe d’accès au droit, permettant de donner une portée concrète au vieil adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » !
Si, pendant la Commune de Paris, ont coexisté deux éditions, publiées l’une à Paris, l’autre à Versailles, ce sont aujourd’hui deux versions bien différentes du Journal officiel qui se côtoient et se complètent depuis 2004 : la version sur papier et celle sous forme électronique. Cette dernière, en allégeant le contenu de la version papier et en offrant un accès plus simple et plus direct, a permis d’élargir le public du Journal officiel.
L’évolution rapide des technologies et de l’accès à l’information rend aujourd’hui inéluctable la dématérialisation du Journal officiel. Aussi le groupe du RDSE approuve-t-il le principe des présentes propositions de loi, qui permettent un énième petit pas sur le grand chemin de la simplification numérique.
La baisse régulière du nombre d’abonnés à la version papier, lequel s’établit en 2015 à 2 260 et correspond, à hauteur de 90 %, à des administrations, est significative à cet égard. Avec l’administration numérique, les citoyens ont vu leur vie quotidienne amplement simplifiée, puisque nombre de démarches se font désormais en ligne : impôts, carte grise, permis de conduire, etc.
Toutefois, parce que nul n’est censé ignorer la loi et que cette dernière doit être en tout état de cause accessible à tous, nous avons proposé de conserver la possibilité, pour tout administré, de demander à l’administration communication sur papier de l’extrait concerné du Journal officiel de la République française. Cette disposition, approuvée à une large majorité en commission, est de bon sens et de facture modeste. Elle constitue une transition équilibrée vers la dématérialisation complète, dont elle ne remet pas en cause le principe. Elle doit garantir l’accès au Journal officiel, notamment pour les personnes physiques privées d’accès à internet en raison de l’existence de zones blanches ou grises en matière de couverture numérique. Rappelons que, selon les chiffres cités par M. le rapporteur, que je trouve d’ailleurs optimistes, seulement 83 % des ménages avaient, en 2014, accès à internet. Ce taux est important, mais une minorité, qui a cependant tout autant droit que le reste de la population à accéder au droit, se trouve laissée de côté.
La dématérialisation pose des difficultés nouvelles, en même temps qu’elle résout des problèmes anciens. La protection de la vie privée des individus en est une. Plusieurs dispositifs techniques ont été annoncés par le Gouvernement, dans le respect des préconisations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, ce que nous approuvons.
Le coût écologique est une autre difficulté, même s’il s’agit selon moi d’une tarte à la crème. En effet, si la dématérialisation permet de réduire la déforestation, elle est fortement consommatrice d’énergie, pas forcément « propre ». Le papier a un coût, celui de la déforestation, mais il faudra également s’interroger un jour sur la dépense énergétique liée à l’utilisation d’internet : internet n’est virtuel qu’en apparence, puisque sa fréquentation requiert des équipements très concrets qui consomment beaucoup d’énergie, à commencer par les serveurs et les centres de stockage des données. Pour une année, la dépense énergétique nécessitée par l’expédition du courrier électronique d’une entreprise de cent personnes équivaut à quatorze aller-retour Paris-New York. Les data centers, qui regroupent les serveurs indispensables à la circulation des 300 milliards de courriels envoyés quotidiennement, peuvent consommer autant d’énergie qu’une ville de 200 000 habitants.
Par ailleurs, nous le savons, la dématérialisation complète peut poser des problèmes en matière d’archives historiques. Quelle postérité pour ces centaines de milliers de données virtuelles ?
Le début de la navette parlementaire a ainsi permis d’engager un débat sur l’ère numérique et ses conséquences sur la vie de nos concitoyens. Le groupe du RDSE apportera son soutien à ces textes, dont la version adoptée en commission par la Haute Assemblée préserve le droit au droit pour l’ensemble de nos concitoyens, qu’ils disposent ou pas d’un accès à internet.
À cet égard, je salue l’approche très mesurée de la commission des lois et de son rapporteur. La dématérialisation présente d’énormes avantages, mais il convient de ne pas en nier les écueils. Je félicite donc M. le rapporteur et M. le président de la commission du travail de précision accompli. Malgré mon sentiment personnel, je suivrai la position de mon groupe. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est tout à votre honneur !
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, si nul n’est censé ignorer la loi, encore faut-il que les citoyens y aient accès. Le choix d’un mode de publication unique sous forme imprimée pour tout l’Hexagone ne s’est imposé que progressivement. Il a été perçu comme une conquête, révolutionnaire allais-je dire, tant pour les administrations et services publics que pour les citoyens.
C’est l’Assemblée constituante qui a introduit un seul mode de publication des lois et règlements pour l’ensemble de la République. La publication par lecture publique, réimpression ou affiche ainsi qu’à son de trompe ou bruit de tambour n’a été supprimée, en principe, qu’en 1795. Le code civil de 1803 a consolidé ces règles. Quant au Bulletin des lois, créé en 1790, il subsista jusqu’en 1931, simultanément avec le Journal officiel, créé, lui, en 1870.
La dématérialisation du Journal officiel n’a commencé qu’avec l’ordonnance du 20 février 2004. Elle a d’abord unifié et simplifié les règles de publication des lois et règlements : un délai unique a été retenu sur l’ensemble du territoire national, à l’exception des collectivités ultramarines situées dans le Pacifique Sud ; est ainsi assurée la diffusion quasiment instantanée de la règle de droit en tout point du territoire.
L’ordonnance a édicté des règles communes pour les lois et autres actes normatifs publiés au Journal officiel. Le principe est celui d’une double forme de publication, sous forme électronique et sur papier, assorti de deux exceptions. La première exception, motivée par le souci de ne pas porter atteinte à la vie privée des personnes, est la publication exclusive sur papier des actes individuels, notamment ceux qui sont relatifs à l’état et à la nationalité. À l’inverse, l’ordonnance du 20 février 2004 permet au pouvoir réglementaire de définir les catégories d’actes administratifs faisant l’objet uniquement d’une publication sous forme électronique. Le décret en Conseil d’État du 29 juin 2004 en a fixé la liste.
Les deux propositions de loi, organique et ordinaire, dont nous sommes saisis aujourd’hui marquent une nouvelle étape de cette longue histoire. Le but est une dématérialisation aussi complète que possible du Journal officiel.
On constate en effet, depuis plusieurs années, une baisse continue du nombre d’abonnements à la version papier. Les chiffres cités en commission sont particulièrement éloquents : entre 2004 et 2015, le nombre d’abonnés à la version papier a chuté de 33 500 à 2 261, dont 90 % sont des administrations et 10 % des particuliers, soit environ 200 personnes. L’impression du Journal officiel pour ses quelque 2 000 abonnés actuels représente une demi-heure d’activité pour les rotatives. Quant aux abonnements à l’édition papier outre-mer, la situation est encore plus éloquente : on en dénombre seulement douze pour les collectivités d’outre-mer. À l’inverse, au 31 décembre 2014, on comptait 65 932 abonnés au sommaire de la version électronique du Journal officiel, tandis que 1,6 million de visites de la version électronique authentique du Journal officiel étaient recensées.
Certes, une partie de la population ne dispose pas encore d’internet ou ne peut y recourir en raison de l’âge ou de l’absence de couverture suffisante du territoire. Mais, en une décennie, l’internet s’est considérablement démocratisé : selon l’INSEE, 83 % des ménages avaient, en 2014, accès à internet, une proportion en progrès constant puisqu’un peu plus de 64 % des ménages déclaraient disposer d’un accès à internet à leur domicile en 2010, 56 % en 2008 et seulement 12 % en 2000.
En outre, comme l’ont remarqué les différents orateurs en commission, la version électronique offre des fonctionnalités supplémentaires, appelées à croître, par rapport au support papier : une navigation plus fluide, des recherches par mot clé ou encore un accès plus simple au droit à partir du site Légifrance. Autre avantage de l’édition électronique, elle est immédiatement disponible en permanence, alors que la consultation du format papier dans les préfectures et les communes nécessite un déplacement aux heures d’ouverture des services.
Sur le plan des coûts, la dématérialisation devrait procurer une économie d’environ 400 000 euros, donnée d’importance dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons.
S’agissant du personnel de la société anonyme de composition et d’impression des journaux officiels, la SACIJO, dont les droits doivent être préservés, un protocole social a été signé entre les organisations syndicales et l’État le 29 juin dernier. Comme l’a fait remarquer notre rapporteur, la baisse du nombre d’emplois, de 211 à 150, n’est pas une conséquence directe de la dématérialisation du Journal officiel, mais celle d’un phénomène plus général de numérisation. Enfin, personne n’est affecté spécifiquement à la version papier plutôt qu’à la version électronique.
Dans un souci de prise en compte des exclus de l’internet, la commission des lois a prévu que tout usager pourrait obtenir communication d’un extrait papier du Journal officiel. Sans doute serait-il nécessaire d’affiner ce dispositif pour éviter les demandes répétitives ou abusives, en s’inspirant de ce qui est prévu pour la communication des documents administratifs.
Notre groupe approuve entièrement cette réforme, qui procurera des économies opportunes, tout en confortant le droit à l’information des citoyens. (Applaudissements au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes tous attachés, dans cet hémicycle, à la qualité de la loi. Pourtant, sans un mode de diffusion adapté, cette qualité ne peut que rester lettre morte. À ce titre, le Journal officiel est à la fois un outil indispensable de sécurité juridique et un souvenir de la conquête de l’égalité de chacun devant la loi.
Il ne s’agit donc en aucune mesure, dans le cadre de l’élaboration de ces deux textes, ordinaire et organique, de remettre en cause l’existence du Journal officiel. Bien au contraire, il s’agit d’adapter celui-ci aux nouveaux modes de diffusion numérique de l’information, afin de le rendre plus facilement accessible à tous.
En effet, la version papier a été largement délaissée au profit de la version dématérialisée disponible sur internet. On comptait en 2004 près de 33 500 abonnés au Journal officiel en version papier. En 2014, ils n’étaient plus que 2 700, dont 90 % sont des personnes publiques. Cette chute brutale des abonnements à la version papier a été largement compensée par le succès de la version internet : 1,7 million de visites en 2013, pour 4,3 millions de pages vues.
Nous sommes donc face à un phénomène manifestement irréversible, qui touche progressivement toutes les formes de publications officielles de l’État, comme cela a été rappelé dans le rapport établi par notre collègue Alain Anziani.
Parallèlement à l’évolution des modes de consultation des actes officiels, le Gouvernement a annoncé dès 2013 vouloir simplifier le fonctionnement administratif des pouvoirs publics tout en améliorant les relations avec les administrés.
La dématérialisation du Journal officiel s’inscrit manifestement dans le prolongement de cette démarche, également préconisée par la commission des finances et la Cour des comptes en 2014.
Enfin, de façon plus anecdotique, la suppression de la version imprimée du Journal officiel permettra une économie nette de 400 000 euros pour l’État, ce qui est notable sans être déterminant. Cette suppression permettra également d’économiser le papier, ce qui est tout aussi important.
Il me semble possible d’affirmer qu’il existe un consensus sur la dématérialisation du Journal officiel. Conserver la version papier n’aura bientôt plus grand sens, tant la disparition naturelle de ce format semble inéluctable.
Ce consensus n’efface pourtant pas certaines remarques, qui ont d’ores et déjà permis d’enrichir le texte.
La première concerne l’accès effectif et réel au Journal officiel par le biais d’internet. D’après le rapport, près de 83 % des ménages sont connectés et cette part continue de progresser chaque année. Nous ne parviendrons toutefois jamais, à l’évidence, à une connexion généralisée sur l’ensemble du territoire.
Bien que l’actuelle édition papier du Journal officiel ne soit pas disponible en kiosque, il fallait s’assurer, au moins sur le plan du principe, que chaque personne puisse s’informer. C’est tout le sens de l’amendement adopté sur l’initiative de Jacques Mézard, tendant à permettre à chaque citoyen de demander la copie d’un acte à l’administration. Cette disposition permet de sécuriser le dispositif de ces deux propositions de loi, dans la perspective du contrôle qu’exercera le Conseil constitutionnel sur le texte organique.
La seconde remarque, qui pourra peut-être inspirer nos collègues députés, concerne la sécurité de nos publications. Nous savons tous à quel point les systèmes techniques sont fragiles au regard des risques liés aux attaques informatiques.
C’est pourquoi notre collègue Sophie Joissains avait estimé, lors de l’examen en commission des présentes propositions de loi, que l’administration serait bien inspirée de conserver des archives sur papier pour les textes qui seront, dorénavant, publiés exclusivement par voie électronique. Cette remarque, dictée par la prudence, n’appelle pas nécessairement l’intervention du législateur.
Vous l’aurez constaté, ces remarques ne constituent en rien des réserves et les textes tels qu’issus des travaux de la commission des lois y répondent déjà en grande partie.
J’ajouterai, à ce titre, une dernière observation : les deux présentes propositions de loi ont permis au Sénat d’inaugurer la nouvelle procédure d’examen en commission qui permet de fluidifier le rythme d’adoption de textes ne présentant pas de difficultés manifestes.
Le groupe UDI-UC souhaite féliciter tous les services du Sénat qui ont contribué au succès de la mise en œuvre de cette nouvelle procédure, en espérant qu’elle ne tombe pas en désuétude à l’avenir.
Les sénateurs du groupe UDI-UC voteront en faveur de l’adoption des deux présentes propositions de loi. (Applaudissements au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de ces deux textes selon la nouvelle formule définie par un règlement que notre groupe n’a pas approuvé ne constitue, sous bien des aspects, qu’un épisode de la vie et du devenir de l’impression légale et administrative.
Ces deux propositions de loi visent, en quelque sorte par la force des choses, à mettre un terme à la publication sur papier du Journal officiel, comme cela a déjà été le cas pour les éditions rendant compte des débats parlementaires.
La proposition qui nous est soumise aujourd’hui est justifiée, pour l’essentiel, par la chute à quelque 2 500 exemplaires de la diffusion de la version papier du Journal officiel, à mettre en regard du succès relatif de la version électronique, rendue attractive par la gratuité : celle-ci compte plus de 65 000 abonnés.
Ces dernières années, l’impression publique, avec ses différentes entités, a été directement affectée par l’évolution des techniques d’impression, la montée en puissance de l’internet et la modernisation progressive des outils de travail.
L’impression des Journaux officiels a ainsi fait l’objet de lourds investissements en matériels modernes de tirage, noir et blanc comme couleur, dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont encore loin d’être pleinement utilisés.
En effet, nonobstant la part mineure que représente la vente au numéro ou par abonnement du Journal officiel dans les comptes de la DILA, il faut bien constater que le regroupement opéré entre l’ancienne direction de la Documentation française et la direction des Journaux officiels ne s’est pas traduit par un développement spectaculaire de l’activité.
Ainsi, dans la loi de finances initiale de 2011, les recettes de fonctionnement inscrites au budget annexe s’établissaient à un peu plus de 203 millions d’euros, quand le projet de loi de finances pour 2016 prévoit un budget annexe s’équilibrant, a priori, avec 197 millions d’euros de recettes de fonctionnement. Cela signifie que, depuis la naissance de la DILA, au début de 2010, l’ensemble ainsi constitué « fait du surplace » et que la charge de travail des compositeurs et des imprimeurs du Journal officiel ne semble pas avoir fondamentalement varié, du moins en termes de valeur commerciale.
Une telle situation pose question, d’autant que l’effectif des personnels en activité de la DILA a connu, ces dernières années, une réduction sensible. L’effectif de la SACIJO a diminué de moitié au fil de restructurations recourant largement à des mesures d’âge, afin qu’elles n’apparaissent pas trop douloureuses, au moins du point de vue de la tutelle.
Un nouveau protocole d’accord, qui ne constitue pas une fin en soi, mais une sorte de modus vivendi, de viatique pour chacune des parties en présence, a été signé en juin dernier. Il fixe comme objectif la mise en œuvre d’une nouvelle réduction des effectifs de la SACIJO, quand bien même les suppressions d’emplois ne pourront, pour l’essentiel, être opérées que sous la forme de départs volontaires, avec des incitations financières à la clé.
Je suis bien sûr conscient de m’être quelque peu éloigné, disant cela, de l’enjeu représenté par l’économie de quelques centaines de milliers d’euros grâce à la suppression de la version papier du Journal officiel, mais la question du développement et du devenir du pôle d’impression publique que constitue la DILA doit être clairement posée.
Financer un certain nombre de départs volontaires dans les quatre ou cinq années à venir se révélera-t-il à terme moins coûteux que rechercher de nouvelles activités pour la SACIJO, comme le prévoit également le protocole d’accord ?
La qualité de la formation et l’expérience des salariés de cette entreprise, qui effectue depuis très longtemps le travail d’impression pour le compte de l’État, sont des raisons suffisantes pour que soit étudiée, avec plus de sérieux que cela n’a été le cas jusqu’à maintenant, la possibilité de lui confier l’exécution d’un certain nombre de travaux d’impression publics, aujourd’hui réalisés par des établissements privés pour le compte de ministères ou d’administrations.
En tout état de cause, il est grand temps que la recherche d’économies en matière d’impression publique passe par l’attribution du plus grand volume d’activité possible à l’imprimerie des Journaux officiels.
Sans nous prononcer positivement ou négativement sur les deux propositions de loi discutées ce jour, nous tenions à souligner la nécessité, voire, sous certains aspects, l’urgence de débattre de la politique de production d’information par l’État, ses ministères et ses administrations, afin de tirer parti du gisement d’économies budgétaires qu’elle représente et de répondre aux préoccupations des salariés concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en cet après-midi du 12 octobre, le Sénat, grâce à l’initiative de notre collègue Vincent Eblé, va vraisemblablement être à l’origine d’une révolution administrative avec la suppression de la version papier du Journal officiel.
J’emploie le terme de « révolution » en pensant à Albert Camus, qui écrivait, en août 1944, qu’« un journal, c’est la conscience d’une nation ». Sans doute aurait-il qualifié le Journal officiel de mémoire vive de la République…
En effet, la publication au Journal officiel conditionne l’application de la loi. Par conséquent, transformer ce dernier comme nous nous apprêtons à le faire aujourd’hui, c’est modifier l’un des éléments constitutifs du fonctionnement de notre République, ce qui ne saurait se faire à la légère. Une telle transformation doit s’opérer avec une certaine solennité, celle qui prévaut dans cet hémicycle ; cela m’amène à remercier notre collègue Eblé d’avoir déposé cette proposition de loi.
« Révolution » est un terme fort, mais, pour des amoureux du papier comme nous le sommes pour la majorité d’entre nous, une bibliothèque sans livres ne saurait être pleinement une bibliothèque. La consultation des débats de nos prédécesseurs, ou même celle des nôtres, via une version électronique du Journal officiel n’aura pas la même saveur que leur lecture sur un support physique : il manquera la texture du papier, l’odeur de l’encre, un « quelque chose » indéfinissable !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous êtes poète !
M. André Gattolin. Oui, le papier doit continuer à vivre, mais il est également vrai qu’il faut accepter le réel, même quand il se présente sous une forme dématérialisée, comme c’est de plus en plus souvent le cas aujourd’hui.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Les forêts aussi doivent continuer à vivre !
M. André Gattolin. L’appétence pour la version papier du Journal officiel a beaucoup diminué au fil des années. Le nombre d’abonnés a chuté alors que, depuis 2004, la consultation de la version électronique connaît une progression constante.
Il est d’ailleurs assez paradoxal de constater que moins la version papier du Journal officiel est lue, plus sa pagination augmente, du fait de l’inflation normative : je ne développerai pas ce sujet aujourd’hui, mais il mériterait un véritable débat de fond au sein de notre assemblée. Ainsi, la volumétrie annuelle du Journal officiel était d’environ 15 000 pages dans les années quatre-vingt, de plus de 20 000 pages au tournant des années 2000, pour atteindre 23 829 pages en 2014 !
Comment le citoyen, qui, selon une célèbre fiction normative, « n’est pas censé ignorer la loi », peut-il s’y retrouver dans cette sédimentation réglementaire et législative chaque jour un peu plus baroque ? Cela paraît bien difficile…
Nous percevons là un autre intérêt de la version électronique du Journal officiel, outre ses avantages environnementaux liés à la diminution de la consommation de papier et de consommables d’impression : la numérisation du support, associée au moteur de recherche intégré de son site, offre un instrument utile à tous les citoyens, dès lors qu’ils ont accès à un ordinateur connecté à internet.
Dans cette perspective, le site du Journal officiel doit être performant, ergonomique et accessible à tout un chacun. Il faut le dire : des progrès sont encore possibles en matière de recherche par mots clefs.
À cet égard, une amélioration me semble nécessaire : l’ajout du site du Journal officiel de l’Union européenne dans le bloc « accès aux sites publics », sur la page d’ouverture du site du Journal officiel de la République française. Il n’y figure pas aujourd’hui, ce dernier se limitant à la loi franco-française, alors même qu’une grande partie de notre législation découle des directives et des normes européennes. Remédier à cette situation serait bien le moins, l’intervention du législateur n’étant pas nécessaire.
La sécurité du site doit également être renforcée et surveillée quotidiennement : dans ce domaine, l’obsolescence n’est pas programmée, elle est inhérente à l’univers et à l’écosystème instable du numérique. Les hackers du monde entier ne cessent de développer des procédés permettant d’exploiter en temps réel la moindre faille et la moindre faiblesse. Le piratage des sites internet du Premier ministre belge et du Parlement bruxellois, avant-hier samedi 10 octobre, en a encore apporté la preuve flagrante : la technologie est toujours faillible face à des personnes déterminées et expérimentées.
La vigilance est d’autant plus nécessaire qu’il est mis fin à l’exception de la publication des actes individuels relatifs à la nationalité française et au changement de nom, qui était jusqu’à présent assurée uniquement via la version papier du Journal officiel : à compter du 1er janvier 2016, elle le sera sous le seul format électronique, même si c’est via une annexe du Journal officiel.
Par-delà les assurances apportées, en matière d’emploi, aux salariés travaillant à l’impression de la version papier du Journal officiel de la République française, une véritable réflexion managériale doit être menée, afin de créer un centre de compétences interne permettant de répondre à tous les aléas techniques et à toutes les demandes des citoyens. Car c’est bien aux citoyens que s’adresse en premier lieu le Journal officiel de la République française ! C’est pourquoi je salue l’adoption, par la commission des lois, des amendements, déposés par mes collègues Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat, visant à permettre à toute personne physique de demander à l’administration de lui transmettre une version papier d’un extrait précis du Journal officiel de la République française. Dès lors que l’on dispose de la version PDF du texte, cela est relativement facile et n’exige pas de moyens considérables.
La mise en œuvre de cette préconisation n’est malheureusement pas de nature à résoudre le problème de la fracture numérique qui existe en France métropolitaine et, plus encore, dans les départements et les collectivités d’outre-mer, mais elle contribuera, je l’espère, à faire prendre conscience que, désormais, tout doit être fait pour la faire disparaître.
Enfin, je puis témoigner que la dématérialisation du Journal officiel des associations et fondations d’entreprise est une réussite. Je pense que la dématérialisation de son « grand frère », le Journal officiel de la République française, en sera également une.
La dématérialisation totale du Journal officiel de la République française sera véritablement révolutionnaire si elle est le symbole du passage à une « e-administration » : cela prouvera que le service public à la française est non pas une notion dépassée, mais, au contraire, un concept qui mérite d’être exporté dans le monde.
Animé de cet espoir, le groupe écologiste votera en faveur de l’adoption de ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Eblé.
M. Vincent Eblé. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, auteur des deux textes aujourd’hui soumis à notre assemblée, il me revient, au nom du groupe socialiste et républicain, de clore ces explications de vote.
La dématérialisation permise par le développement des techniques numériques est vertueuse. Permettez à un ancien président de conseil général ayant intégralement dématérialisé le processus de paie de 5 000 agents territoriaux et l’ensemble des actes des instances de gouvernance – séances publiques et commissions permanentes – d’en attester.
Au travers de ces deux propositions de loi, nous souhaitons réformer le dispositif de publication de nos lois, décrets et actes administratifs de diverse nature au Journal officiel de la République française. Nous souhaitons le faire pour le territoire métropolitain et les départements d’outre-mer – tel est l’objet de la proposition de loi ordinaire –, ainsi que pour les territoires d’outre-mer, par le biais de la proposition de loi organique.
Cette réforme est un vecteur de simplification et d’allégement. L’objectif visé participe, à sa modeste mesure, d’une vision d’un État sobre, à la recherche constante de la meilleure économie de moyens possible. Ainsi, par la dématérialisation intégrale du Journal officiel de la République française, nous économiserons les ressources produits – papier, encre, etc. –, nous ajusterons les moyens humains affectés au strict nécessaire et nous réduirons les délais des processus administratifs et de la communicabilité, tout en améliorant celle-ci de façon réelle et importante.
Le processus dont notre réforme constitue le point d’orgue est en marche depuis longtemps déjà, depuis l’émergence des publications télématiques, voilà plus de trente ans, et l’édition du Journal officiel de la République française en ligne dès les années 1982-1983 ; il s’est poursuivi, à la fin des années quatre-vingt-dix, avec la publication en ligne sur la Toile et, en 2004, avec l’édition du Journal officiel authentifié et un développement continu des consultations dématérialisées.
Aujourd’hui, eu égard à l’évolution constante de notre société, nous proposons de remplacer intégralement la publication sur support papier par l’édition numérique. Nous devons bien sûr veiller à mettre en place le meilleur dispositif technique pour garantir la communicabilité des informations de droit, enfin réunifiée – c’est un progrès ! –, aussi bien, sinon mieux, que par l’édition papier. Nous devons ainsi faciliter l’accès de nos concitoyens à ces données et faire en sorte que la sauvegarde, plutôt que l’archivage par stock, soit assurée et sécurisée. Enfin, les droits individuels des personnes physiques nommément désignées dans ces publications doivent être garantis.
Cette réforme est conduite, comme l’a indiqué Mme la secrétaire d’État, en étroite coordination avec le Gouvernement et les administrations concernées. Les changements d’organisation au sein de la direction de l’information légale et administrative et de son service d’imprimerie ont été anticipés. Il y aura encore quelques ajustements, mais pas de révolution. Les représentants légitimes des salariés concernés ont été associés à ces transformations, et ils sont favorables à cet ajustement du droit qui accompagne l’ultime réorganisation des process et des modalités de travail.
Notre volonté étant d’être en adéquation avec les usages de notre époque, l’objet de ces deux propositions de loi est de supprimer la version papier du Journal officiel de la République française, et ce dès le 1er janvier 2016.
Comme l’a rappelé notre collègue Alain Anziani, rapporteur des deux textes, cette réforme est attendue depuis longtemps. En 2014, la Cour des comptes demandait déjà la réduction du nombre d’exemplaires papier du Journal officiel et jugeait la disparition de cette version inéluctable à court terme. Notre collègue Philippe Dominati, alors qu’il était rapporteur spécial, avait invité le Gouvernement à dématérialiser le Journal officiel.
Entre 1997 et 2014, la diffusion de la version papier a chuté, le nombre d’abonnés passant de près de 50 000 à 2 500, les administrations représentant 90 % du total.
Parallèlement, le nombre d’abonnés au sommaire de la version électronique du Journal officiel a augmenté à concurrence de 67 000, et la consultation des pages correspondantes du site Légifrance s’est accrue pour atteindre 27 millions de visites annuelles. La révolution est donc déjà entrée dans les mœurs : 40 % des textes sont d’ailleurs désormais publiés uniquement au format électronique. Ces chiffres, plus qu’évocateurs, témoignent de la nécessité d’ajuster les règles régissant la publication des actes officiels au Journal officiel de la République française.
Le premier avantage de la dématérialisation intégrale est la gratuité de l’accès, alors qu’il faut aujourd’hui débourser 360 euros par an pour un abonnement à la version papier. La dématérialisation permet également une diffusion homogène et immédiate sur l’ensemble du territoire français, outre-mer compris, et un accès permanent. À cela s’ajoute, accessoirement, un petit gain budgétaire : la version papier coûtant 1 million d’euros et les abonnements, dont le produit est en diminution constante, ne rapportant plus que 600 000 euros, ce sont ainsi au minimum 400 000 euros qui seront économisés chaque année.
Enfin, on ne saurait négliger l’impact écologique de la dématérialisation, sur lequel notre collègue André Gattolin vient à l’instant de mettre l’accent.
Certains de nos collègues s’inquiètent des difficultés d’accès au Journal officiel sous format électronique qui pourraient résulter de la fracture numérique : quelques zones ne sont toujours pas couvertes en France. Cependant, permettez-moi d’indiquer que l’acheminement de la version papier n’allait pas non plus sans difficultés dans certaines parties de notre territoire, au regard de la mobilisation des moyens de transport nécessaires et des coûts liés. La version dématérialisée présente au moins l’avantage de la gratuité. Notons que les amendements déposés par nos collègues Pierre-Yves Collombat et Jacques Mézard que la commission des lois, dans sa sagesse, a adoptés, doivent permettre de lever toute inquiétude à cet égard.
S’agissant de la protection des données individuelles, dont nous sommes tous soucieux, le Gouvernement a envisagé différents dispositifs de restriction d’accès pour freiner les moteurs de recherche, avec, notamment, l’accès exclusif par date de publication sans indexage alphabétique. Le système cryptographique « captcha », avec la reproduction de chiffres et de lettres pour accéder à certains contenus, sera également mis en place.
Le groupe socialiste et républicain votera bien entendu ces deux propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi portant dématérialisation du Journal officiel de la République française.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 9 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 324 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
10
Protection de l'enfant
Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la protection de l’enfant (proposition n° 444 [2014-2015], texte de la commission n° 33, rapport n° 32, avis n° 718 [2014-2015]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, fort du travail remarquable mené par Michèle Meunier et Muguette Dini – travail que je salue une nouvelle fois –, le texte qui vous est soumis en deuxième lecture a aujourd’hui une nouvelle dimension, en ce qu’il constitue une étape nouvelle dans la réforme de la protection de l’enfance.
Cette ambition de réforme ne s’accompagne ni de gros effets d’annonce ni de mesures cosmétiques. Elle traduit une véritable concertation avec les acteurs de la protection de l’enfance pour construire une feuille de route dont la réalisation s’ancre dans le présent texte.
Ce qui me permet de l’affirmer avec tant d’assurance, c’est que je n’ai pas travaillé seule. Ensemble, nous avons toujours recherché le meilleur intérêt des enfants.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance est une bonne loi. Néanmoins, près de dix ans après son entrée en vigueur, nous disposons du recul nécessaire pour affirmer qu’aujourd’hui une étape supplémentaire doit être franchie.
Les acteurs de la protection de l’enfance sont engagés, attentifs, et apportent au quotidien un soutien considérable aux enfants et à leurs familles. Cela est vrai dans la très grande majorité des situations. Mais que faisons-nous des cas qui, parce qu’on ne voit pas, parce qu’on ne se parle pas, parce qu’on manque matériellement de temps, parce qu’un maillon de la chaîne aura cédé ou manqué, passent entre les mailles du filet ?
Ce que ces espaces vides laissent passer, nous en connaissons tous les conséquences. Elles se rappellent régulièrement à nous dans le cadre d’affaires judiciaires qui provoquent la stupeur : Marina, Lorenzo, Bastien en sont les tragiques sujets.
Même s’il n’est ni souhaitable ni envisageable de se départir d’affects à l’évocation de la protection de l’enfance, je n’aborde pas ce sujet avec sentimentalisme, bien que, souvent, l’émotion soit là. Pour aborder ce sujet ô combien sérieux, il faut à la fois de l’émotion et du recul.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc non pas seulement à votre bon cœur que je souhaite en appeler dans ce débat, même si je sais que vous en montrerez tout au long de cette discussion, mais également à la responsabilité collective. Au-delà de la responsabilité de chacun, je pense bien sûr à la responsabilité des départements, qui sont chargés de cette politique. Je pense aussi à la responsabilité de l’État, un État garant de la protection des plus vulnérables et de leur traitement équitable sur le territoire.
En matière de protection de l’enfance, de grandes disparités existent entre les départements. Je l’ai évoqué lors de la première lecture : selon qu’un enfant se trouve dans un département ou dans un autre sera privilégié soit le maintien en famille, soit le placement. L’évolution de la réforme entre les première et deuxième lectures découle de ce constat.
Mes propos ne surprendront personne. Ce constat en matière de protection de l’enfance, nous l’avons dressé collectivement au mois de décembre dernier, à partir des recommandations de Muguette Dini et de Michelle Meunier.
Lors de la première lecture, je vous ai également annoncé que le calendrier me permettrait de revenir devant vous une fois achevée la concertation avec des acteurs de la protection de l’enfance. C’est chose faite. Pendant près d’un an, j’ai travaillé, j’ai écouté, j’ai remis en question mes propres a priori et compris que pour chaque enfant devait être construite une réponse singulière.
Lors de mes déplacements et visites de terrain, j’ai rapidement senti un grand besoin d’échanges. J’ai rencontré des élus, des professionnels, qui souhaitaient me faire partager leur quotidien, leurs réflexions, leurs attentes.
J’ai ainsi décidé de pousser la démarche plus avant en lançant une concertation avec l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, dont la finalité était la définition de grands objectifs communs, mais aussi l’identification des leviers permettant à ces grands objectifs de se traduire concrètement dans la vie des enfants et de leurs familles.
La concertation avec les acteurs de la protection de l’enfance a permis la « coconstruction » de la feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance qui est aujourd’hui proposée par le Gouvernement. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de la présenter d’abord aux professionnels à l’occasion des Assises nationales de la protection de l’enfance, qui se sont tenues à Rennes au mois de juin dernier, puis, cet été, en conseil des ministres. Cette communication en conseil des ministres est un acte symbolique fort de mise en lumière et de valorisation d’une politique encore trop souvent laissée dans l’angle mort du débat public.
Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviens devant vous forte des réflexions, des initiatives, des critiques des professionnels du secteur, des magistrats, des médecins, mais aussi des élus, des ex-enfants de l’aide sociale à l’enfance, l’ASE, des parents et des bénévoles. C’est dans une grande liberté de ton que l’ensemble des acteurs ont été associés à chaque étape de la concertation.
Les départements y ont bien évidemment trouvé une place toute particulière grâce aux rencontres régulières avec leurs élus et à la mise en place d’un groupe de travail technique, réuni mensuellement, avec lequel a été élaborée la feuille de route.
Enfin, et vous savez qu’il s’agit d’un aspect auquel je suis très attachée, j’ai pris le temps d’entendre, d’écouter celles et ceux à qui on ne donne que trop peu la parole, celles et ceux pour qui existe cette politique publique : je parle ici des enfants qui ont été accompagnés par les services de l’aide sociale à l’enfance ainsi que des parents.
Je me suis déplacée dans les associations, au sein des services de l’aide sociale à l’enfance. Tout ce que j’ai vu et entendu durant ces huit mois de travail me conforte sur un point : il est temps d’agir, d’entendre les préoccupations des professionnels, pour mieux prendre en compte les besoins des enfants.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la prise en compte des besoins de l’enfant, son meilleur intérêt, le respect de ses droits, constituent le fondement de l’approche du Président de la République et du Gouvernement, ainsi que le prouve le projet de loi autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, qui sera examiné prochainement à l’Assemblée nationale et au Sénat dans les semaines à venir. Ce sont ces valeurs communes, au travers desquelles chaque acteur se reconnaît et exprime sa volonté de faire évoluer la politique publique de protection de l’enfance, qui se trouvent dans ce texte.
Cette proposition de loi que vous examinez en deuxième lecture, mesdames, messieurs les sénateurs, contient des dispositions que vous connaissez et sur lesquelles nous avons débattu.
Vous savez l’importance que j’accorde à la stabilité du parcours de l’enfant, à la continuité de ses liens d’attachement. Nous connaissons les parcours émaillés de ruptures de nombreux enfants : le foyer, la famille d’accueil, le retour dans sa famille, de nouveau le placement en famille d’accueil, mais dans une autre, la première ayant accueilli entre temps d’autres enfants. Ces parcours chaotiques n’ont rien d’anecdotique. Un enfant confié à l’aide sociale à l’enfance a les mêmes besoins que tous les enfants, que nos enfants ou petits-enfants : être nourri, protégé, soigné dans un environnement sécurisant.
La Convention internationale des droits de l’enfant dresse les contours des besoins de l’enfant. À partir de ces principes, il convient de travailler à une définition des besoins de l’enfant qui soit à la fois partagée et opérationnelle, c’est-à-dire traductible dans le quotidien des professionnels. La feuille de route prévoit ainsi l’organisation prochaine d’une forme de conférence de consensus sur les besoins de l’enfant, exemple de la pérennisation du travail en commun engagé avec les acteurs de la protection de l’enfance.
L’inscription de la politique publique de protection de l’enfance autour du parcours de l’enfant, ainsi que sa traduction en dispositions législatives, a fait l’objet d’un relatif consensus dans le cadre du travail parlementaire.
Comme je vous l’ai annoncé en première lecture, le texte revient aujourd’hui devant la Haute Assemblée enrichi de nouvelles dispositions issues de la concertation. Celles-ci visent à développer la prévention, à soutenir davantage les jeunes et à mieux protéger l’enfant.
Personne au sein de cet hémicycle ne saurait affirmer que la bataille contre la maltraitance des enfants est aujourd’hui gagnée. Les affaires judiciaires que j’évoquais au début de mon propos disent les failles qui peuvent exister pour détecter, repérer et prévenir les situations de danger.
Je sais qu’au fait de ne pas toujours savoir que faire et comment faire s’ajoute inconsciemment le refus de croire et d’imaginer que ses propres voisins, ses propres patients, avec lesquels l’on discute quotidiennement, que l’on visite depuis tant d’années, puissent aussi être des parents maltraitants.
Ce que l’on projette autour de l’institution de la famille se révèle parfois en complet décalage avec la réalité. Boris Cyrulnik déclarait : « La famille, ce havre de sécurité, est en même temps le lieu de la violence extrême. »
Dans cette approche, il faut donc d’abord déconstruire une partie de nos schémas de pensée, sans pour autant basculer dans une intrusion sans fondement.
Tous les acteurs de la protection de l’enfance, les travailleurs sociaux, les professionnels de santé, les enfants et les familles nous ont dit l’urgence de mieux préparer et accompagner les professionnels quand ils interviennent dans les situations de maltraitance, et ce dès l’évaluation de l’information préoccupante. Beaucoup ont souligné la nécessité de la saisine du juge des enfants pour prendre des décisions de protection quand il y a danger pour l’enfant.
Je vous avoue avoir été surprise de voir plusieurs dispositions participant clairement de ces objectifs de lutte contre la maltraitance disparaître dans le cadre de l’examen de ce texte par la commission des affaires sociales. Plus généralement, je me suis interrogée sur la cohérence des amendements de suppression et sur leur sens. Je me suis rendu compte que les dispositions contestées l’étaient non pas sur le fond, mais parce qu’elles risqueraient de mettre en cause la libre administration des collectivités territoriales. C’est pourtant un principe auquel je suis fermement attachée en tant qu’ancien membre de cette assemblée, en tant qu’élue locale et en tant que ministre de la République.
Néanmoins, j’ai aussi le souci de ne pas sacrifier les réalités de terrain sur l’autel des dogmes. Le respect du principe de libre administration des collectivités ne s’oppose pas à l’exercice par l’État de ses responsabilités régaliennes. Il appartient à celui-ci de garantir sur l’ensemble du territoire national la prise en compte effective des besoins de l’enfant.
De plus, qu’est-il ressorti de la concertation, du terrain ? Ont été révélés l’isolement des départements dans la mise en œuvre de cette politique publique, le cloisonnement des politiques, l’absence de lisibilité des orientations nationales. Ce sont ces constats, partagés par les départements eux-mêmes, qui ont conduit le Gouvernement à soutenir à l’Assemblée nationale des dispositions concrètes pour répondre à l’enjeu d’une meilleure coordination pour l’intérêt de l’enfant.
C’est non pas la vision d’un État tutelle que traduit ce texte, mais celle d’un État partenaire, présent pour les enfants aux côtés des départements pour faciliter la mise en œuvre complexe de cette politique publique à la fois interministérielle et décentralisée, celle d’un État qui veille aux engagements internationaux qu’il a pris. Ces engagements lui rappellent régulièrement la nécessité d’une stratégie globale pour l’enfance, en particulier les plus vulnérables, et d’une meilleure articulation avec les collectivités territoriales.
S’ils étaient adoptés, les amendements de suppression qui ont été déposés renforceraient à mon sens l’isolement des départements dans une politique publique qui, pour être efficace, doit être mieux partagée.
Les départements, les professionnels et les intéressés nous ont indiqué les améliorations à apporter, les moments clés où il fallait agir. C’est ce que nous vous proposons de faire ensemble.
Appuyons-nous sur les exemples concrets. Je pense notamment au regard qu’il faut porter sur la fratrie lorsque la situation d’un enfant fait l’objet d’une information préoccupante. Comment ne pas évaluer aussi le danger auquel sont exposés les autres enfants présents au domicile, quand le département est saisi pour l’un d’entre eux ? Comment refuser d’inscrire dans la loi l’obligation d’accompagner les enfants en sortie de placement ?
Dans de nombreux départements, ces mesures sont déjà mises en œuvre. Tant mieux pour ces enfants ! Reste que, dans d’autres départements, ce n’est pas le cas. Nous ne pouvons accepter de tels écarts entre les politiques d’un territoire à l’autre.
Les professionnels que j’ai entendus m’ont confirmé cette grande diversité des pratiques, parfois au sein d’un même département, entre les enfants qui bénéficiaient d’un accompagnement au retour à domicile et ceux qui n’en bénéficiaient pas.
Ce dont il est question ici, c’est de mieux identifier les situations de maltraitance, d’intervenir à temps, de mieux protéger les enfants dans les moments de fragilité et de suivre en cela les recommandations de nombreux rapports visant à l’amélioration des missions de protection de l’enfance. C’est un point saillant de nos perspectives d’amélioration, l’autre grand objectif de la feuille de route pour la protection de l’enfance, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir au cours de l’examen des articles.
L’accompagnement vers l’autonomie des jeunes, tout particulièrement quand ils sortent des dispositifs de protection de l’enfance, constitue un autre enjeu majeur de la réforme. Cet objectif s’est traduit par des mesures nouvelles dans le texte.
C’est tout d’abord la possibilité pour le jeune d’être informé, associé à la préparation de sa sortie de l’ASE au cours d’un entretien un an avant sa majorité ou un an avant l’âge auquel il sortira de l’ASE.
Au cours de cet entretien, un projet d’accès à l’autonomie sera élaboré. Il favorisera une sortie anticipée et mieux préparée du dispositif, qui impliquera l’ensemble des acteurs susceptibles d’aider le jeune majeur à franchir ce pas supplémentaire vers l’autonomie. Ainsi, ces mesures s’inscriront dans les dispositifs de droit commun.
Pour les jeunes, cet accompagnement vers l’autonomie se traduira également par le versement d’un pécule dès qu’ils atteindront leur majorité. Il s’agira pour eux d’un petit « coup de pouce » pour démarrer dans la vie d’adulte, alors qu’ils se trouvent souvent totalement démunis et seuls en sortant de l’ASE. L’allocation de rentrée scolaire sera versée sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations, ce qui permettra aux jeunes majeurs de recevoir une somme qui leur appartient en leur nom propre.
Enfin, le dernier point sur lequel je souhaite insister concerne l’introduction de mesures visant à développer la prévention, à savoir la prévention des difficultés que peut rencontrer l’enfant, mais aussi le soutien à apporter à ses parents. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi se trouve enrichie d’une nouvelle dimension en matière d’accompagnement des parents. Lutter contre la maltraitance, ce n’est pas uniquement réparer, c’est avant tout lutter contre l’isolement, soutenir le développement de l’enfant, entourer les familles, favoriser les solidarités de proximité !
Aussi, ce texte redonne une place importante à l’entretien prénatal du quatrième mois, soutient le développement des centres parentaux et valorise la prévention spécialisée dans son action sur les territoires.
La proposition de loi relative à la protection de l’enfant s’est considérablement transformée en l’espace d’une année. Aujourd’hui, elle traduit l’ambition d’une réforme concertée et partagée. La parole qui sera la mienne durant ces débats ne sera pas uniquement celle du Gouvernement ; elle sera aussi celle des quatre cents acteurs que nous avons régulièrement rencontrés, parmi lesquels figurent évidemment les départements. C’est cette parole qui donne une légitimité et une consistance aux mesures dont nous discuterons. Attardons-nous, autant que possible, sur chaque élément contribuant au développement complet de l’enfant, mais attardons-nous également sur la bientraitance que promeuvent nos politiques publiques, car c’est là tout l’enjeu !
Pour paraphraser Antoine de Saint-Exupéry, on est de son enfance, comme on est d’un pays. Pour ma part, je souhaite que les enfants de l’aide sociale à l’enfance soient d’une belle enfance et d’un beau pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du RDSE et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, on ne peut que se féliciter lorsqu’une initiative issue de la Haute Assemblée est reprise par l’Assemblée nationale, encouragée par le Gouvernement et nous revient en deuxième lecture. C’est ce qui arrive avec la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, texte que j’ai déposé, voilà un peu plus d’un an, avec notre ancienne collègue Muguette Dini, que je salue.
Je rappelle que cette proposition de loi avait pour objet d’apporter les précisions et les ajustements nécessaires afin que le dispositif de la protection de l’enfance, réformé par la loi du 5 mars 2007, soit amélioré de manière concrète et puisse enfin porter pleinement ses fruits sur l’ensemble du territoire.
Depuis l’examen de ce texte en première lecture au Sénat, plusieurs événements dramatiques sont venus rappeler combien il était nécessaire d’agir pour que cette politique soit mieux pilotée et plus efficace. Il convient également de réinterroger certaines pratiques et certains principes qui guident aujourd’hui l’action des services départementaux, des juges et de l’ensemble des acteurs intervenant dans ce domaine.
Le texte transmis par l’Assemblée nationale diffère de celui que nous avons adopté à l’unanimité le 11 mars dernier. Alors que le texte issu des travaux du Sénat ne comptait que seize articles, celui dont la commission des affaires sociales s’est saisie en comptait cinquante !
Cela prouve que les députés et le Gouvernement – ce dernier est à l’origine de près de la moitié des nouveaux articles – se sont impliqués dans la réflexion que nous avions engagée et qu’ils ont cherché à l’approfondir.
En effet, madame la secrétaire d’État, parallèlement à l’examen de ce texte en première lecture par le Sénat et avant que celui-ci ne soit transmis à l’Assemblée nationale, vous avez mené une large concertation associant les professionnels, les élus et l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, afin d’élaborer une feuille de route devant guider les actions en la matière pour la période 2015-2017.
Cette démarche, qui est complémentaire de la nôtre et qui vient légitimer et renforcer le processus de réforme de la protection de l’enfance, a été utile et fructueuse. Notre ancienne collègue Muguette Dini et moi-même avons d’ailleurs apprécié d’y être étroitement associées. Soyez-en remerciée, madame la secrétaire d’État.
Dans l’ensemble, les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture n’ont été modifiées qu’à la marge. Les orientations qui sous-tendaient la proposition de loi ont été approfondies par plusieurs articles additionnels visant à améliorer les échanges d’informations entre les différents acteurs de la protection de l’enfance ou à sécuriser le recours à un tiers de confiance, afin de garantir un cadre stable et familier à l’enfant placé.
Le Sénat peut donc reconnaître son texte. La commission des affaires sociales a ainsi adopté, sans les modifier, dix-neuf des cinquante articles qu’elle a examinés.
Sur certains points, l’Assemblée nationale a fait des choix différents de ceux du Sénat. Je pense notamment aux dispositions relatives aux modalités de révocation de l’adoption simple ou à l’introduction de la notion d’inceste dans le code pénal. Je pense également à la création d’un Conseil national de la protection de l’enfance, chargé de conseiller le Gouvernement sur les orientations nationales de cette politique, qui constitue une proposition forte figurant dans le rapport d’information sur la protection de l’enfance que Muguette Dini et moi-même avons élaboré.
De même, à l’article 18, l’Assemblée nationale est revenue au terme de « délaissement », que le Sénat, en première lecture, avait préféré remplacer par celui d’« abandon ».
Sur ces sujets, la commission des affaires sociales – souvent en accord avec la commission des lois – a pris acte des positions de l’Assemblée nationale et vous proposera, mes chers collègues, de ne pas revenir systématiquement au texte adopté par le Sénat en première lecture.
L’Assemblée nationale a également souhaité aller plus loin en suivant des pistes d’amélioration identifiées dans le rapport d’information déjà évoqué.
La problématique des jeunes majeurs qui sortent des dispositifs de protection de l’enfance sans parvenir à s’insérer socialement et professionnellement comme celle des mineurs étrangers isolés – l’actualité montre à quel point cette question est pressante – étaient, en effet, en dehors du champ d’étude de ce rapport d’information et de la proposition de loi initiale. Plusieurs articles nouveaux visent à y apporter des réponses.
Enfin, certaines dispositions traitent de la prévention qui doit être mise en œuvre auprès des parents susceptibles de rencontrer des difficultés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives avant même la naissance de l’enfant.
Avant de conclure, je tiens à évoquer un point sur lequel nos débats en commission ont révélé un certain malentendu. La politique de protection de l’enfance est une politique décentralisée et placée sous la responsabilité du président du conseil départemental depuis la loi du 6 janvier 1986. La loi du 5 mars 2007 a renforcé le rôle central de l’échelon départemental dans le pilotage de la protection de l’enfance. Cette proposition de loi vise à améliorer ce dispositif sans le remettre en cause. Elle n’a donc aucunement pour objet de revenir sur cette décentralisation. Il ne s’agit pas non plus d’imposer de nouvelles contraintes aux services départementaux de l’aide sociale à l’enfance.
En effet, le Sénat est – à juste titre – particulièrement attaché au rôle des départements et reste très sensible à la question des moyens dont ceux-ci disposent pour mener à bien les missions qui leur sont confiées.
Néanmoins, même une politique décentralisée doit avoir une cohérence nationale. Il revient donc au législateur de la favoriser dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Cela est particulièrement vrai en matière de protection de l’enfance, car nous devons à ces enfants – à tous ces enfants – la meilleure protection possible en tout lieu du territoire.
La loi de 2007 a, par exemple, prévu l’élaboration d’un « projet pour l’enfant » pour chaque mineur bénéficiant d’une prestation de l’aide sociale à l’enfance. Le rapport d’information que j’ai déjà mentionné a montré que cette obligation était très inégalement mise en œuvre et que le contenu même de ce document était parfois très administratif et, malheureusement, insuffisamment tourné vers l’élaboration d’un réel projet répondant aux besoins de l’enfant.
Sur ce sujet notamment, la proposition de loi vise à diffuser des bonnes pratiques, à prévoir des référentiels nationaux ou encore à faire en sorte que les présidents de conseil départemental élaborent, en lien avec leurs interlocuteurs, des protocoles définissant la mise en œuvre des différents aspects de la protection de l’enfance.
Pour les départements qui sont en pointe en la matière, ces dispositions ne feront que consacrer des pratiques déjà bien ancrées. En revanche, elles aideront les autres, ceux qui n’ont pas encore pleinement mis en œuvre les orientations de la loi de 2007, à améliorer leurs dispositifs, et ce dans l’intérêt des enfants.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce texte d’initiative sénatoriale offre l’occasion d’une réforme plus globale et de plus grande ampleur des dispositifs de protection de l’enfance. Je m’en réjouis !
Cependant, la concision qui caractérisait le texte initial a pu quelque peu en souffrir, certaines dispositions nouvelles apparaissant d’ailleurs superflues ou inutiles. La commission des affaires sociales a ainsi supprimé neuf nouveaux articles. Elle a également cherché, en lien avec le rapporteur pour avis de la commission des lois dont je salue le travail, à améliorer les dispositions issues des travaux de l’Assemblée nationale, en modifiant vingt-deux articles.
Mes chers collègues, le texte dont nous entamons l’examen est plus riche et plus complet. Je suis certaines qu’il permettra au Sénat de retrouver dans une large mesure l’esprit de consensus qui a marqué son examen en première lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, la loi fondatrice du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance s’articulait autour de trois grands axes : mieux prévenir, mieux signaler, mieux intervenir. C’est l’un des nôtres, Philippe Bas, qui fut à l’initiative de ce texte, lorsqu’il était ministre de la santé.
La proposition de loi de notre ancienne collègue Muguette Dini et de Michelle Meunier, aujourd’hui rapporteur de la commission des affaires sociales, s’inscrit dans l’évolution législative qu’exige la préservation de ces objectifs.
Après son examen par l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat s’est une nouvelle fois saisie de ce texte pour avis, tant sur certains articles qu’elle avait déjà examinés en première lecture et qui ont fait l’objet de modifications rédactionnelles que sur des dispositions introduites par les députés.
En effet, sur la trentaine d’articles nouveaux, la moitié entre dans le champ de compétence de la commission des lois. Ces articles concernent les procédures d’assistance éducative, celles qui sont engagées devant le juge aux affaires familiales ou le tribunal de grande instance ou celles qui visent des dispositions de droit civil ou de droit pénal.
Mes chers collègues, vous avez pu constater que, au terme de son travail, l’Assemblée nationale a approuvé plusieurs modifications apportées par le Sénat à la proposition de loi initiale. Certaines dispositions ont ainsi été purement et simplement adoptées conformes, quand d’autres l’ont été sous réserve de modifications limitées.
En revanche, le rétablissement de certaines dispositions ou leur modification substantielle ont conduit la commission des lois à engager de nouveaux débats. Consciente des réflexions et des apports constructifs de l’Assemblée nationale, la commission des lois a, pour l’essentiel, proposé de laisser au juge son pouvoir d’appréciation – auquel elle est très attachée, craignant en quelque sorte la « pétrification » de certaines obligations qui, fixées dans la loi, nuiraient à l’orfèvrerie nécessaire dans ce type de problématiques – et de clarifier les responsabilités des différents acteurs. Lorsque aucun nouvel élément n’est venu s’ajouter aux raisonnements et aux conclusions formulés en première lecture – et seulement dans cette hypothèse ! –, elle a opté pour le retour à la version adoptée par le Sénat.
Enfin, la commission des lois a suggéré de lever les quelques incertitudes juridiques qui se nichaient dans la rédaction d’articles initiaux ayant été modifiés ou dans celle d’articles nouveaux dont l’introduction se trouve parfaitement fondée.
Constatons que, sur la question de l’inceste – point qui avait suscité beaucoup de réserves –, le Sénat n’avait pas fermé la discussion, mais avait, au contraire, invité à une réflexion approfondie. Les travaux des deux assemblées ont permis, me semble-t-il, de parvenir à l’introduction de cette surqualification dans notre droit pénal sans bouleversements susceptibles de provoquer une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.
Aussi, comme je l’ai souligné lors de l’examen de ce texte en première lecture, l’objectif parfaitement résumé par Robert Badinter, consistant à construire un droit pénal « répressif » mais aussi « expressif », aura été atteint !
Il n’appartient pas à un rapporteur pour avis de prolonger inutilement la discussion. Je vous propose donc, mes chers collègues, de réserver les autres ajouts ou modifications restant en débat à l’examen des amendements que je présenterai au nom de la commission des lois, dans l’espoir renouvelé de parvenir à un vote unanime sur l’ensemble du texte ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le parcours de cette proposition de loi d’origine sénatoriale, qui a été largement complétée à l’Assemblée nationale, tant par les députés que par le Gouvernement. Je me contenterai d’indiquer que la commission des affaires sociales a consacré près de quatre heures de discussion au texte que nous allons examiner, adoptant une cinquantaine d’amendements.
C’est dire l’intérêt qui est porté aux enjeux de la protection de l’enfance dans notre pays. Il n’a en rien faibli – bien au contraire ! – entre la première et la deuxième lecture.
Nos débats, auxquels a également contribué le rapporteur pour avis de la commission des lois, ont été nourris. Ils ont témoigné de constats partagés et d’une volonté commune d’améliorer la politique de protection de l’enfance, même si des nuances se sont manifestées sur les solutions à mettre en œuvre.
Cela confirme également toute l’utilité du travail mené l’année dernière par Muguette Dini et Michelle Meunier, auxquelles je tiens à rendre hommage. Leur rapport d’information l’a montré, la politique de protection de l’enfance souffre aujourd’hui de lacunes que la loi du 5 mars 2007 n’a pas permis de résorber. Ainsi, une réflexion doit être engagée sur la place respective des différentes mesures de protection et des différents modes de prise en charge.
Les placements longs, sans perspective de retour en famille, constituent l’angle mort du dispositif de la protection de l’enfance. Sur les 150 000 enfants accueillis dans le cadre de la protection de l’enfance, la grande majorité pourra réintégrer à court ou moyen terme le domicile parental.
On estime en revanche qu’environ un tiers d’entre eux, dont les parents connaissent des difficultés structurelles lourdes, passeront leur enfance en placement. Par la voix du juge, la société place ces enfants sous sa responsabilité collective, pour leur sécurité et leur bon développement. Elle y consacre des moyens financiers substantiels, de l’ordre de 30 000 à 80 000 euros par an et par enfant. Il est nécessaire qu’elle se porte garante du parcours de ces enfants, et non uniquement des conditions de leur placement, pour assumer pleinement cette responsabilité. Cela nécessite de penser la mise en œuvre de dispositifs spécifiquement adaptés à leur situation.
Aujourd’hui, un enfant placé dix ans a vu en moyenne sa mesure d’assistance éducative renouvelée cinq fois. Il ne peut compter de façon certaine sur un accompagnement que jusqu’à dix-huit ans et son accès à un éventuel contrat jeune majeur dépend d’une multitude de conditions, sur certaines desquelles il n’a aucune prise, comme la configuration politique ou les finances départementales.
Dans ces conditions, comment se projeter dans une vie d’adulte responsable et bien intégré ? La question des placements sans perspective de retour en famille forme, je le répète, l’angle mort du dispositif actuel de protection de l’enfance. Elle doit être le prochain chantier de réflexion en la matière.
Cette réflexion doit porter à la fois sur le temps du placement et sur les conditions d’accession à l’autonomie. Il est notamment indispensable, lorsqu’un jeune a été accueilli en protection de l’enfance et que la mesure de protection a pris fin, de lui permettre de mener à terme un cursus de formation engagé pendant son accueil.
On le voit, à ce manque de cohérence dans la prise en charge des enfants placés s’ajoute une grande insuffisance dans l’accompagnement des jeunes majeurs sortant des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance.
Il est également indispensable de trouver le bon équilibre entre la définition d’un cadre plus solide et plus à même d’éviter des défaillances parfois dramatiques et la nécessité de permettre aux départements d’assumer pleinement leurs compétences, sans les entraver par des procédures superfétatoires ou les grever de charges supplémentaires.
Fort de ce constat, partagé sur l’ensemble des travées, je suis certain que nos débats permettront d’avancer ensemble dans la voie d’une meilleure prise en charge des jeunes en danger.
Je souhaite que, au-delà des différences d’appréciation qui se manifesteront tout naturellement lors de la discussion des amendements, le Sénat retrouve son unité pour permettre à cette proposition de loi de poursuivre son cheminement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – Mme Nicole Bricq applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la protection de l’enfance constitue un sujet de préoccupation majeur pour notre société. S’investir pour les jeunes, en particulier pour les enfants en danger ou qui risquent de l’être, représente une lourde responsabilité. Permettre à des enfants abandonnés, maltraités et parfois traumatisés de connaître un avenir d’adulte serein et confiant est une tâche difficile.
Trop souvent, l’actualité nous interpelle cruellement et des visages d’enfants marquent la conscience collective. À chaque fois, nous nous posons la même question : aurions-nous pu éviter ces drames ?
Parce qu’affronter ce sujet difficile est notre devoir collectif, parce que nous partageons la conviction que chaque enfant doit être protégé et parfois accompagné, je tiens à remercier Muguette Dini et Michelle Meunier d’avoir présenté cette proposition de loi. Je remercie également Mme la secrétaire d’État de s’y être, à son tour, beaucoup investie.
Huit ans après le vote de la loi du 5 mars 2007, un bilan était nécessaire afin d’apporter à ce texte des améliorations significatives et des corrections attendues.
Dans la foulée de cette loi, les départements, dès lors chefs de file de l’aide sociale à l’enfance, ont été animés d’une réelle volonté de faire évoluer leurs pratiques. Ils se sont toutefois rapidement heurtés à différentes difficultés : une augmentation du nombre de placements de l’ordre 10 % en moyenne depuis 2010, une augmentation de la durée moyenne des placements – les situations des enfants confiés étant souvent très complexes –, l’arrivée de jeunes étrangers isolés, qui représentent à eux seuls 10 % des jeunes accueillis, et ce dans un contexte budgétaire particulièrement dégradé.
Face à des dépenses sociales en progression continue, et menacés par une inadéquation des concours de l’État pour compenser leurs charges, les conseils départementaux sont confrontés à une véritable impasse budgétaire.
Le résultat mitigé de l’application de la loi de 2007 par les départements doit plus au manque de moyens qu’à une absence de volonté. Madame la secrétaire d’État, je ne puis imaginer que les élus départementaux ne vous aient pas fait part de leurs angoisses.
J’en viens à la proposition de loi et à la gouvernance envisagée.
Créer une nouvelle instance nationale que serait le Conseil national de la protection de l’enfance est en soi une belle idée, mais n’est-ce pas, une fois de plus, la réponse habituelle lorsque les choses ne vont pas tout à fait dans la direction que nous souhaiterions ? Combien d’instances, de conseils, de comités, d’observatoires n’avons-nous pas créés en France ces dernières décennies ? À la seule Assemblée des départements de France, on recherche actuellement des représentants pour deux cents de ces organisations... C’est folie !
Cette création est d’autant plus contestable qu’il existe un organisme national dédié à l’enfance en danger, l’Observatoire national de l’enfance en danger. En changeant sa dénomination – il deviendrait l’Observatoire national de la protection de l’enfance –, nous pourrions opportunément imaginer, dans le même temps, d’élargir son champ de compétences à la coordination, à l’échange de pratiques sur la mise en œuvre de la politique de protection de l’enfance et à son évaluation. De cette manière, nous n’inventerions pas une nouvelle structure, mais nous attribuerions de nouvelles missions et donnerions des objectifs élargis à un observatoire existant !
Par ailleurs, les départements ne seraient pas au même niveau d’excellence dans l’application de la loi. Cela peut être vrai dans certains cas. Je rappelle cependant que beaucoup d’entre eux ont mis en place les cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les observatoires départementaux, des comités de pilotage, des groupes pluridisciplinaires ou multi-partenariaux, des groupes de travail pour l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des schémas départementaux de l’enfance, de la jeunesse et de la famille, sans oublier les instances territoriales de l’action sociale de proximité qui ont été étoffées...
Que tout cela ne se fasse pas à la même vitesse est compréhensible ! Comme je l’ai souligné et ne cesserai de le rappeler, les moyens financiers, et par voie de conséquence les moyens humains, ont cruellement manqué dans une période de dégradation sociale !
La loi de 2007 s’est probablement aussi heurtée aux peurs du changement. Dans ce cas, les contrôles de l’Inspection générale des affaires sociales peuvent constituer de véritables aides à la décision et un formidable outil d’évolution.
Écrire des référentiels, élaborer des procédures, des protocoles, construire un projet pour l’enfant, conclure des conventions, mettre en place des grilles d’évaluation, tout cela relève de la méthode, et la méthode appartient à ceux qui la mettent en pratique !
Depuis la décentralisation, les départements sont responsables de la politique de l’aide sociale à l’enfance. Il leur appartient donc de choisir leur méthode, de tester sa pertinence sur le terrain, de la corriger, de l’adapter et de la confronter à celle qui est mise en œuvre dans d’autres territoires – nationaux ou internationaux –, bref d’importer et d’exporter les bonnes pratiques...
La décentralisation consiste justement à laisser l’initiative aux territoires afin qu’ils adaptent leurs politiques aux contextes locaux. La loi fixe un cadre, elle n’est pas une méthode. Permettez-moi cette image : la loi donne le rythme, aux territoires d’écrire les notes !
Par ailleurs, ce que propose ce texte ajoute de la complexité, alors qu’il faudrait plutôt mettre de l’huile dans les rouages ! Cela signifie apporter des réponses en matière de pédopsychiatrie, assurer les liens et les moyens pour une vraie coordination avec les services de la justice, de l’éducation, voire de la recherche, lever les ambiguïtés sur les responsabilités de l’État, notamment en matière d’accueil des jeunes étrangers isolés.
Pour toutes ces raisons, avec un certain nombre de mes collègues, je m’opposerai aux propositions qui dictent et complexifient, à un moment particulièrement inopportun, marqué par l’extraordinaire amplification de la vulnérabilité et la raréfaction des financements publics.
En revanche, animée par la volonté de concentrer nos efforts autour de l’enfant, je soutiendrai toute mesure visant à stabiliser le parcours de l’enfant, à construire un projet stable pour l’enfant et à nous doter d’un arsenal juridique protégeant l’enfant et le jeune.
La protection de l’enfance est une école de rigueur, de volonté et d’humilité. C’est pourquoi je salue le travail accompli par l’ensemble des personnels institutionnels et associatifs. Entre doutes et satisfactions, ils se mobilisent au quotidien pour protéger et accompagner les enfants et les jeunes en danger ou qui risquent de l’être. C’est une lourde mission. Comme les élus, ces acteurs attendent qu’on leur en facilite l’exercice.
L’envie, le courage, la méthode, ne suffisent plus. Il nous faut y consacrer des moyens ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureuse d’examiner cette proposition de loi relative à la protection de l’enfant en seconde lecture, enrichie par le travail de l’Assemblée nationale. Je remercie à mon tour Michelle Meunier et Muguette Dini, qui, par leur détermination, ont fait la démonstration de l’utilité des initiatives parlementaires.
Ce texte a pour objectifs principaux l’amélioration de la gouvernante nationale et locale, la sécurisation du parcours de l’enfant placé et l’adaptation de son statut sur le long terme.
Le groupe CRC soutient l’article 1er du texte, qui crée, auprès du Premier ministre, un Conseil national de la protection de l’enfance. L’instauration de cette instance de pilotage interministériel répond à la nécessité d’améliorer la coordination entre les différents acteurs ainsi qu’entre l’échelon local et l’État.
Une telle instance peut servir à donner une impulsion nationale à la protection de l’enfance et à améliorer l’évaluation des orientations ainsi définies.
S’agissant des dispositions relatives à la sécurisation du parcours des enfants placés, nous relevons plusieurs améliorations notables.
La réaffirmation du rôle essentiel du projet pour l’enfant avec, comme moteur et finalité, son intérêt, ainsi que l’encadrement plus strict des décisions de changement de famille d’accueil, visant à éviter les ruptures répétées dans la vie de l’enfant placé, constituent de solides points d’appui.
En effet, pour répondre de manière adaptée à chaque situation, il est essentiel de permettre aux parents et aux professionnels de s’accorder sur un objectif, un calendrier et des moyens, en associant l’enfant à ces choix.
Ces mesures seraient insuffisantes si elles n’étaient accompagnées du développement de la formation des professionnels du secteur de la protection infantile. L’établissement, à l’échelle départementale, d’un programme pluriannuel des besoins en formation de ces professionnels est donc le bienvenu.
De même, la désignation dans chaque département d’un médecin référent, prévue à l’article 4 de la proposition de loi, est une mesure utile pour améliorer le dépistage des enfants en danger et leur protection.
Comme nous l’avons rappelé en première lecture, la mise en place d’un médecin référent à l’échelon départemental avait été encouragée par notre groupe lors des débats sur la loi de 2007. Nous nous félicitons donc que cette mesure semble aujourd'hui faire consensus. Elle permettra d’établir des liens de travail réguliers entre les services départementaux, les médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire.
Enfin, nous accueillons positivement la prise en considération des regroupements de fratrie. En effet, comme le souligne le Défenseur des droits dans son avis du 27 novembre 2014, ces regroupements constituent un facteur de stabilité dans la vie de l’enfant placé.
Si le texte contient plusieurs dispositions très positives, quelques insuffisances subsistent néanmoins à nos yeux.
Tout d’abord, comme en première lecture, nous regrettons que la question des moyens humains et financiers ne soit pas évoquée.
Alors que la loi de 2007 a opéré le transfert des compétences de la protection de l’enfance aux collectivités territoriales, le contexte budgétaire récent nous laisse craindre un accroissement des inégalités territoriales.
En effet, les collectivités voient leurs subventions tellement réduites que tout bouclage budgétaire devient une mission impossible. Dans le cadre de cette chasse aux restrictions budgétaires, des coupes claires risquent d’amputer les politiques sociales, au détriment de services vitaux rendus aux populations. Dans ce contexte, que peut-il advenir de la prévention ?
C’est pourquoi affirmer le rôle central de l’État est essentiel pour garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur l’ensemble du territoire, tout en assurant la cohérence du système.
Par ailleurs, nous regrettons une nouvelle fois que ce texte n’apporte aucune modification à la situation dramatique de nombreux mineurs étrangers isolés, et ce d’autant plus que, actuellement, nombreux sont ceux qui fuient leurs pays d’origine au péril de leur vie pour des raisons climatiques, économiques ou de guerre.
Nous saluons et soutenons l’adoption, par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, de l’interdiction des tests osseux pour évaluer l’âge des enfants. En revanche, madame la secrétaire d’État, nous regrettons que, dans un souci de compromis, vous ayez fait le choix, non pas de les interdire, mais de les encadrer afin de les limiter au maximum.
Nous avons donc déposé deux amendements visant à interdire les tests osseux, car nous ne pouvons continuer cette pratique, même de manière encadrée, au motif qu’il n’existerait aucune technique fiable permettant de confirmer que le jeune a atteint l’âge de la majorité. Dès lors, est-il plus grave d’accorder une protection à un jeune qui se révélerait avoir un peu plus de dix-huit ans que de laisser livrer à lui-même ce jeune parce que des tests, d’un autre âge et sans aucune fiabilité reconnue par la communauté scientifique, ont conclu qu’il était majeur ?
Comme certains de nos collègues députés – socialistes, écologistes, communistes et membres du Front de gauche – l’ont fait à l’Assemblée nationale, je défendrai cette exigence avec mon groupe, au Sénat, dans le cadre de cette seconde lecture.
Je tiens également à insister, mes chers collègues, sur le fait que ces jeunes particulièrement vulnérables ne sont pas des profiteurs potentiels, comme certains le pensent et le disent. (M. François Bonhomme s’exclame.) Ce sont des enfants et ils doivent bénéficier de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales.
Comme le souligne le Défenseur des droits, un mineur étranger arrivant seul en France, sans représentant légal sur le territoire, sans proche pour l’accueillir, est par définition un enfant en danger et doit relever, à ce titre, du dispositif de la protection de l’enfance.
Dans cet esprit, il est indispensable, au regard des situations d’exploitation que connaissent certains mineurs, en particulier les mineurs isolés étrangers, de prévoir un accompagnement adapté et de mettre un terme au placement en centre de rétention administrative, ou CRA.
Si, en principe, les mineurs étrangers isolés ne peuvent faire l’objet de mesures d’éloignement, dès lors que leur minorité est contestée, ils peuvent être placés en centre de rétention administrative. De tels placements, en vue d’un renvoi dans leurs pays d’origine, sont de plus en plus courants avec l’afflux de réfugiés en Europe.
Nous présenterons donc un amendement visant à interdire le placement des mineurs dans ces établissements. J’espère que cette disposition sera soutenue au-delà des travées de notre groupe, car elle répond à des valeurs humanistes et, faut-il le rappeler ici, correspond à l’un des engagements du candidat Hollande ! (M. François Bonhomme s’exclame.)
Malgré ces réserves, nous considérons la proposition de loi comme allant globalement dans le bon sens. Nous espérons toutefois que nos amendements seront adoptés, afin de surmonter les points négatifs que je viens d’exposer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a déjà fait beaucoup pour que les mécanismes de protection des enfants soient les plus efficients possible. Néanmoins, des manquements et des difficultés de réalisation sur le terrain subsistaient. Repérés par Muguette Dini et Michèle Meunier, ils ont été longuement analysés dans leur rapport d’information du mois de juin 2014.
Je tiens, moi aussi, à remercier une nouvelle fois nos deux collègues de la qualité de leur travail sur un sujet si sensible, si fondamental, mais aussi si complexe, qui fait intervenir une multitude d’acteurs à tous les niveaux de l’action publique et de l’action individuelle.
L’un des premiers objectifs de la protection de l’enfant est de prévenir, autant que faire se peut, les difficultés en amont et de se donner les moyens de pouvoir réagir le plus rapidement possible dans l’intérêt des enfants, lorsque la situation l’exige.
Pour cela, les informations doivent circuler entre les acteurs de la protection de l’enfance. C’est à cette condition que les cas problématiques peuvent être repérés dans les meilleurs délais et que des drames peuvent être évités.
Malheureusement, les cloisonnements entre les acteurs sont encore trop nombreux. On le comprend vite en discutant avec eux, beaucoup de ces acteurs se sentent isolés, alors même qu’ils ont un grand besoin d’échanges, comme vous l’avez signalé, madame la secrétaire d’État. En outre, les moyens financiers sont limités, les procédures sont nombreuses et le dialogue n’est pas toujours évident, faute de formation ou de temps à consacrer à chacun.
Or il est fondamental que tous ces acteurs travaillent en étroite collaboration, et non chacun de son côté. Il faut donc décloisonner les services de l’aide à l’enfance et de l’aide aux familles, permettre à leurs personnels de discuter avec les enseignants, les médecins scolaires, les enfants, les familles et, s’il en existe, les associations. C’est une évolution qui transparaissait dans le texte proposé par Muguette Dini et Michelle Meunier.
Nous sommes convaincus du caractère indispensable de la transversalité en matière de protection de l’enfance. Le développement de cette pratique nous apparaît comme une stratégie incontournable pour qui veut être à la hauteur des enjeux et des problèmes qui se posent. Nous soutiendrons plusieurs amendements en ce sens.
Autres acteurs primordiaux de la protection de l’enfant, les médecins scolaires devraient jouer le rôle de lanceur d’alerte. Ils sont à même de repérer les enfants ayant besoin d’aide et forment le lien entre la sphère scolaire et les institutions de protection de l’enfance, même si, et c’est un point auquel il faudrait vraiment remédier, la santé scolaire demeure, année après année, le parent pauvre de la protection de l’enfance.
Par ailleurs, nous avions souligné, en première lecture, l’absence d’article portant sur l’accueil des mineurs isolés étrangers, alors que ce sujet sensible était abordé dans le rapport d’information de nos collègues.
Malgré la circulaire de 2013 explicitant le cadre de l’action des départements et de l’État et prônant bienveillance et bénéfice du doute, la situation est encore loin d’être satisfaisante pour l’instant.
Le test osseux, peu fiable, peut se révéler arbitraire – il est scientifiquement reconnu qu’il présente une marge d’erreur d’interprétation d’au moins dix-huit mois – et c’est évidemment très lourd pour des enfants qui, par ailleurs, souffrent d’une grande fragilité psychologique. Or ce test est toujours largement utilisé, contrairement à ce qui est exigé dans la circulaire.
Par ailleurs, les budgets départementaux alloués à l’accueil des enfants sont toujours aussi serrés, comme cela a été répété à maintes reprises lors de nos travaux en commission, et la volonté de repartir les efforts en matière d’accueil entre tous les départements se heurte à l’obstruction de ceux qui refusent de supporter une partie de la charge.
La coordination entre l’État et les départements n’est pas encore satisfaisante, nombre d’associations nous le rapportent régulièrement. Ainsi, dans le département de la Seine-Saint-Denis, dont je suis élue et qui constitue l’une des principales zones d’entrée de jeunes étrangers en France, les élus souhaiteraient qu’une répartition du flux puisse être organisée à l’échelon national.
Il est donc nécessaire de prévoir dans la loi les modalités de prise en charge de ces jeunes, conformément aux valeurs énoncées dans la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France, nous le savons, est signataire.
Même si son périmètre demeure restreint, le texte proposé par nos collègues Muguette Dini et Michelle Meunier, et largement complété par l’Assemblée nationale, correspond à l’orientation que nous souhaitons donner à la protection de l’enfance.
Les débats en commission la semaine dernière ont conduit à une révision sensible du texte et certains articles, particulièrement importants à nos yeux, ont été supprimés. Je pense notamment à ceux qui tendaient à sécuriser davantage le parcours des enfants placés et, en particulier, prévoyaient un accompagnement des jeunes à toutes les étapes de leur placement, y compris au moment où ils accèdent à la majorité.
En effet, aujourd'hui, ce passage à la majorité ne s’effectue pas de manière satisfaisante et nous devons nous pencher sérieusement sur la question. Ainsi, une étude de l’Institut national d’études démographiques de 2000 a montré que, sur le territoire de l’Île-de-France, plus de 30 % des moins de trente ans se retrouvant dans la rue avaient eu un parcours en protection de l’enfance.
Pour les associations, la situation ne s’est pas améliorée. La transition reste un moment délicat, qui nécessite un accompagnement des jeunes dans les démarches permettant une insertion dans la société. Nous déposerons, à ce sujet, plusieurs amendements visant à rétablir ces articles.
Mes chers collègues, si nous soutenons sur le fond le texte issu des débats à l’Assemblée nationale, nous réservons pour l’instant notre vote final. Celui-ci sera conditionné au résultat de nos travaux en séance publique. (Mme Michelle Meunier, rapporteur, applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà près d’un an que nous avons examiné ce texte en première lecture. À l’époque, je commençais mon intervention en rappelant vous avoir remis quelques mois auparavant, madame la secrétaire d’État, le neuvième rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED. Le 26 mai dernier, c’est le dixième rapport de ce même organisme que je vous ai présenté, en tant que présidente du groupement d’intérêt public Enfance en danger.
Ce document explique notamment que le nombre de mineurs bénéficiant d’au moins une mesure de prise en charge de la protection de l’enfance est passé de 275 000 à 284 000 entre 2011 et 2012. Il nous montre surtout des situations extrêmement variables d’un département à l’autre. Pour ne citer que quelques chiffres, le nombre de mesures décidées entre le 1er janvier et le 31 décembre 2013 varie de 1 330, pour la Creuse, à 9 233, pour les Hauts-de-Seine. Au cours de la même période, le nombre de mesures terminées varie de 908 dans le Lot-et-Garonne à 6 463 dans le Finistère.
L’enjeu de cette proposition de loi déposée par Michèle Meunier et Muguette Dini, dont je salue, à mon tour, le travail, est bien d’améliorer la prise en charge des enfants et des jeunes en difficulté, et ce de façon équitable sur l’ensemble du territoire français.
Tout d’abord, je rappelle que le texte soumis à notre examen a vocation à améliorer la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007. Celle-ci s’inscrit dans la lignée de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont nous avons fêté, l’année dernière, les vingt-cinq ans.
Depuis 2007, la mise en œuvre progressive de la loi dans les politiques de protection de l’enfance s’est confrontée aux réalités des situations et des pratiques dans une société en constante évolution.
Aux seize articles que comportait le texte adopté par le Sénat en première lecture, les députés ont ajouté rien moins que trente articles. Cet enrichissement est le fruit d’une gestation de neuf à dix mois qui vous a permis, madame la secrétaire d’État, de tenir compte des résultats de la concertation que vous avez lancée avec l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance. Il est bon que la proposition de loi serve aussi à cela.
Les députés ont fait un certain nombre de choix différents de ceux du Sénat. Ils ont ainsi parfois rétabli la rédaction initiale de la proposition de loi. C’est notamment le cas avec le Conseil national de la protection de l’enfance, dont la commission des affaires sociales a, cette fois, entériné la création. Ils ont réintroduit la notion d’inceste dans le code pénal. Ils ont également rétabli la disposition qui rend l’adoption simple irrévocable, ce qui est, de mon point de vue, une bonne mesure pour l’enfant. L’enrichissement du texte initial a porté sur les jeunes majeurs, qu’il convient de préparer à leur sortie des dispositifs de protection et, surtout, d’accompagner jusqu’au terme de l’année scolaire ou universitaire en cours, ce que nombre de départements font déjà.
Cette proposition de loi suscite, je le crois, un consensus. De fait, lors de sa réunion du 7 octobre dernier, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté dix-neuf de ses articles sans modification. Je retiens également qu’elle a supprimé neuf articles qui inquiétaient les départements, chefs de file en matière de protection de l’enfance, en entrant de manière parfois un peu excessive dans le détail de l’organisation des services départementaux.
Madame la secrétaire d’État, vous savez que j’accorde une grande importance à l’égalité républicaine. Je suis tout autant attachée à la décentralisation, qui responsabilise les départements pour la détermination de leurs règles de fonctionnement dans la mise en œuvre des politiques publiques, en particulier la protection de l’enfance.
Bien sûr, la proposition de loi devra être complétée par les dispositions réglementaires adéquates, afin de permettre aux services des départements et de la justice de la mettre en œuvre rapidement et efficacement. Je dis « rapidement » parce que je me souviens d’un décret d’application de la loi du 5 mars 2007, relatif à l’Observatoire national de l’enfance en danger, qui n’est paru qu’en 2011, entraînant de graves retards dans le fonctionnement de cet organisme…
Toutefois, je regrette que plusieurs articles de la proposition de loi, notamment ceux qui ont trait à la composition de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance et au contenu du projet pour l’enfant, renvoient à un décret le soin de préciser les dispositifs. Pourquoi ne pas laisser, là encore, une marge de manœuvre aux conseils départementaux ? J’ai donc déposé plusieurs amendements tendant à confier au Gouvernement le soin de fixer par décret un socle de bases communes s’appliquant sur l’ensemble du territoire et à laisser à chaque département la possibilité de compléter ou d’ajuster celles-ci en fonction des réalités locales.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si certains de ses aspects me semblent perfectibles, la proposition de loi me paraît un bon support législatif pour consolider nos politiques publiques en faveur de la protection de l’enfance et pour améliorer la réforme de 2007, huit ans après l’entrée en vigueur de celle-ci. Son adoption permettra de faciliter, via la loi, le travail de tous les professionnels qui interviennent auprès des enfants, des jeunes et des familles, non seulement pour éviter les cas médiatiques, mais surtout pour que chaque enfant, chaque jeune trouve sa place dans notre société ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je ne reviendrai pas, en tant qu’orateur de mon groupe, sur les observations qui ont été formulées par Alain Milon, président de la commission des affaires sociales, et François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois, sur les problèmes de fond soulevés par la proposition de loi. Je me bornerai à souligner les répercussions de ce texte sur les finances et sur l’administration des départements, même si la question a déjà été largement abordée.
Depuis l’examen de cette proposition de loi en première lecture au Sénat, au mois de mars dernier, deux événements majeurs se sont produits.
D’une part, la proposition de loi a été presque intégralement réécrite, même si le fond demeure. De fait, le nombre de ses articles, initialement de seize, a plus que doublé, douze des articles supplémentaires ayant été proposés par le Gouvernement. C’est dire si la modification est substantielle !
D’autre part, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a été adoptée, loi qui fragilise sensiblement les départements sur le plan financier. En effet, l’attribution aux régions de 50 % de la recette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises risque d’obérer les finances des départements de près de 4 milliards d’euros à terme. Cette perte, loin d’être neutre, aggravera encore leur asphyxie financière.
Or l’aide sociale à l’enfance représente pour les départements le troisième poste de dépenses sociales. Au total, près de 300 000 jeunes sont pris en charge par les départements, qui consacrent à cette mission 7 milliards d’euros par an, soit environ 20 % de leurs dépenses d’action sociale. Autant dire que le poids de cette politique est loin d’être négligeable pour les finances départementales.
Alors que l’État réduit ses dotations aux collectivités territoriales, voici que le Gouvernement, cédant à une dérive de réécriture d’un texte devenu trop bavard, impose des obligations supplémentaires et coûteuses à des conseils départementaux déjà exsangues.
Dans sa version initiale, la proposition de loi était louable et consensuelle. Elle le demeure, pour l’essentiel, dans sa rédaction actuelle, comme tous les orateurs l’ont signalé. Reste qu’il faut faire preuve de réalisme. À cet égard, si le Gouvernement dit ce qui devrait être, dans une perspective angélique et idéale, notre groupe, plus pragmatique, dit ce qui peut être réalisé, compte tenu de l’état des finances des départements.
Dans ce contexte, nous avons déposé des amendements tendant à rétablir plusieurs dispositions que l’Assemblée nationale a supprimées ou à y insérer des mesures qui n’ont pas été adoptées en première lecture. Toutes nos propositions visent à alléger les contraintes imposées aux départements.
Ainsi, à l’article 1er, nous proposerons une nouvelle fois la suppression du Conseil national de la protection de l’enfance, avec des arguments inchangés. Nous estimons que cet organisme n’améliorera pas le fonctionnement du dispositif de protection de l’enfance, qui est entièrement décentralisé et relève de la compétence des départements depuis 1983. Pis, il fera doublon avec l’Observatoire national de la protection de l’enfance, instauré par l’article 3 en remplacement de l’Observatoire national de l’enfance en danger. Dans un esprit de simplification, il me paraît tout à fait souhaitable d’opter pour une structure unique dotée de compétences élargies.
À l’article 2, nous défendrons la suppression de l’élaboration du programme de formation par les départements. Remarquez que ce n’est pas tant la formation qui est en cause que les conditions d’un éventuel financement par les départements, que nous souhaitons voir précisées. Vous constaterez que nous avons légèrement modifié dans ce sens l’amendement que nous avions présenté en commission.
À l’article 4, nous proposerons que l’institution d’un médecin référent pour la protection maternelle et infantile reste optionnelle. Bien entendu, il faudrait un médecin de PMI dans chaque département. Seulement, indépendamment même de la charge supplémentaire qu’une obligation ferait peser sur les départements, en particulier sur ceux qui ont le moins de moyens, il faut encore pouvoir trouver un tel médecin, à l’heure où frappent la pénurie de praticiens et la désertification médicale que nous connaissons tous. C’est pourquoi nous avons conçu une solution palliative qui permettrait de rendre le dispositif moins contraignant.
À l’article 7, nous plaiderons pour l’abandon de la nouvelle commission pluridisciplinaire dont la création est prévue au sein des départements. Nous avons déjà souligné en première lecture que cette usine à gaz – pardonnez-moi d’employer régulièrement cette expression, mais elle s’applique ici tout à fait ! – ferait obstacle aux procédures actuelles et risquerait de les ralentir. Une superposition est à craindre avec les décisions du juge, puisque l’arbitrage des services sera rendu avant celui du juge. Cette nouvelle structure ne peut que complexifier les situations et entraîner un surcoût pour les conseils départementaux.
Par ailleurs, nous proposerons de modifier ou de supprimer certaines dispositions de deux autres articles.
En ce qui concerne la prise en charge des majeurs, prévue à l’article 5 EA, soyons clairs. Qu’un jeune ayant été confronté à des situations extrêmement difficiles doive continuer d’être accompagné lorsqu’il entre dans sa majorité, nous en sommes tous d’accord. Il faut encadrer ces jeunes pour éviter qu’ils n’aillent à la dérive. Seulement voilà, nous butons, une fois de plus, sur le problème du financement par les départements, qui ont été échaudés au cours des années passées.
Évidemment, nous ne pouvons pas proposer que l’État soit tenu d’assurer cette prise en charge, puisqu’on nous opposerait aussitôt l’article 40 de la Constitution. Nous nous y sommes d’ailleurs refusés. En revanche, je répète que, en vertu de l’article 72-2 de la Constitution, « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses de collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ». Madame le secrétaire d’État, nous espérons que le Gouvernement, par votre voix, prendra des engagements de nature à rassurer les départements, qui redoutent actuellement que l’article 5 EA, dont chacun reconnaît l’utilité, n’entraîne pour eux des charges supplémentaires.
Mes chers collègues, tous ceux d’entre nous qui ont exercé des responsabilités au sein d’un exécutif départemental ces dernières années connaissent les problèmes posés par les mineurs étrangers. Lorsque j’étais chargé des affaires sociales au sein de l’exécutif du Loiret, nous étions aux premières loges en la matière ; vous le savez bien, madame le secrétaire d’État, car nous en avions souvent discuté.
Quant à la modification apportée par la commission des affaires sociales à l’article 5 ED sur l’initiative de Catherine Deroche, nous en défendrons le maintien. Je comprends bien la motivation de ceux qui soutiennent l’idée du pécule : lorsqu’un jeune un peu en déshérence arrive à sa majorité, il peut être bon de lui accorder un petit pécule pour favoriser son départ dans la vie adulte et, le cas échéant, dans la vie active. Reste que telle n’est pas du tout la raison d’être d’une allocation sociale comme l’allocation de rentrée scolaire. Si nous voulons instaurer un pécule, trouvons d’autres moyens.
À cet égard, je rappelle que le Sénat a adopté la proposition de loi, présentée par Christophe Béchu et Catherine Deroche, relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge. Que le service assurant l’accompagnement et l’encadrement des mineurs confiés à l’aide sociale à l’enfance puisse bénéficier des prestations prévues pour aider ceux-ci dans leur vie de tous les jours comme au moment de la rentrée scolaire, cela me paraît la logique même.
Telles sont, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, les principales mesures que nous défendrons par voie d’amendements ; elles vous seront exposées plus en détail lors de la discussion des articles. Convenez qu’elles n’apporteraient pas un changement colossal au texte soumis à notre examen, qui, je le répète, est relativement consensuel. Elles visent à éviter que les dispositifs proposés, inspirés par une démarche tout à fait louable au service de la prise en charge des enfants, ne soient une source de trop grande complexité administrative et financière ; nous les proposons dans un souci de pragmatisme et de bon sens pour atténuer la complexité, sans mésestimer, bien sûr, l’objectif initial de protection de l’enfance, sur lequel tout le monde s’accorde.
J’espère que le Sénat approuvera ces propositions, qui devraient sembler de bon sens à tous ceux d’entre nous qui ont exercé ou exercent des responsabilités exécutives au sein d’un département : tous devraient comprendre que l’on ne peut pas tout faire tout de suite, aussi louables que soient les objectifs. Nous espérons que la plupart de nos amendements, sinon seront adoptés, du moins conduiront le Gouvernement à prendre des engagements sur les problèmes que nous soulevons. Si nous obtenons satisfaction, pour ne pas briser le consensus qui règne actuellement, nous voterons la proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, c’est un texte largement complété et affiné que la Haute Assemblée examine aujourd’hui en seconde lecture.
Fruit d’un constat partagé qui a été dressé dans de nombreux rapports, notamment le rapport d’information de Michelle Meunier, aujourd’hui rapporteur de ce texte, et de notre ancienne collègue Muguette Dini, cette proposition de loi, loin d’être un simple travail de réajustement des dispositifs existants, répond à de nouvelles problématiques. Elle ancre des principes pour appuyer des pratiques quotidiennes. Elle affirme l’ambition d’une plus grande efficacité politique. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Cette ambition a été rendue possible par la très large concertation que vous avez menée à l’automne 2014, madame la secrétaire d’État, et à laquelle ont été associés l’ensemble des professionnels de la protection de l’enfance, les élus et les institutions.
Enrichi des analyses, des témoignages et du vécu quotidien de tous ces acteurs, le texte a été étoffé. Cette évolution attendue par les départements, les associations, les travailleurs sociaux, les juges, les médecins, les familles et les enfants eux-mêmes rencontre un accueil très favorable.
Ce texte répond en effet à plusieurs défis. Il s’attaque notamment aux disparités territoriales trop grandes dont souffre la politique de protection de l’enfance. Il permet également d’améliorer le pilotage de cette politique par les conseils départementaux en leur offrant une doctrine, une philosophie, en somme des repères attendus par ces collectivités.
Réintroduite dans le texte à l’Assemblée nationale, la création du Conseil national de protection de l’enfance doit permettre la cohérence et la coordination des politiques de protection de l’enfance. Il s’agit d’une avancée essentielle, qui n’est pas de nature à porter atteinte à la libre administration des départements, mais qui devrait garantir, à l’avenir, une égalité de traitement entre tous les enfants sur l’ensemble de notre territoire.
L’amélioration de l’échange d’informations a été approfondie. Cependant, et je le regrette, la commission des affaires sociales n’a pas souhaité conserver le système d’alerte initialement prévu pour répondre aux situations représentant une menace pour la santé et la sécurité des enfants accueillis. Aux termes de ce dispositif, le président du conseil départemental devait informer le préfet de tout incident survenu dans un établissement ou service de l’aide sociale à l’enfance.
Certains ont pu y voir une remise en cause de la responsabilité des présidents de conseils départementaux, qui ont été rendus chefs de file par la loi du 5 mars 2007. Au regard d’incidents, toujours trop nombreux, impliquant des mineurs qui, placés dans des établissements spécialisés, ne bénéficient pas de prise en charge de soins ou d’orientation, l’implication du préfet ne paraissait pas choquante.
M. Roland Courteau. Très juste !
Mme Claire-Lise Campion. Dans le souci de l’intérêt de l’enfant, l’Assemblée nationale a souhaité préciser le contenu du « projet pour l’enfant ». L’enfant en devient l’acteur central et est associé à son élaboration. La place des personnes qui s’impliquent auprès de lui y est reconnue.
Cette disposition importante permettra de mieux lutter contre des placements changeants en utilisant, lorsque c’est l’intérêt de l’enfant, les ressources de son environnement proche. Cette approche sera de nature à éviter les ruptures et favorisera la stabilité du parcours de l’enfant.
J’approuve et soutiens la volonté affichée par l’Assemblée nationale et le Gouvernement d’accompagner le passage à l’âge adulte des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance. Il s’agit de les aider en organisant un entretien avec eux lorsqu’ils ont dix-sept ans.
En effet, même si beaucoup de départements poursuivent leur politique d’accompagnement jusqu’à vingt et un ans, voire vingt-cinq ans pour certains, trop de jeunes majeurs se retrouvent livrés à eux-mêmes à l’issue d’un parcours de placement. Cela les met, de fait, en situation d’isolement et de précarité. Le risque d’exclusion, d’errance, voire de désaffiliation sociale est alors élevé.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Claire-Lise Campion. Nous ne devons pas oublier que 40 % des personnes sans domicile fixe âgées de dix-huit à vingt-cinq ans sont issues de l’aide sociale à l’enfance.
Par conséquent, la disposition permettant à ces jeunes d’achever après leur majorité l’année scolaire ou universitaire en cours est une mesure de justice sociale et de bon sens.
La mesure consistant à verser sur un compte consigné à la Caisse des dépôts et consignations l’allocation de rentrée scolaire de l’enfant qui fait l’objet d’un placement répond, elle aussi, à l’objectif d’accompagnement vers l’autonomie. Elle a donné lieu à une discussion nourrie en commission des affaires sociales. Son but est de constituer un petit pécule, qui sera mis à sa disposition de l’enfant à sa majorité, de façon à l’aider à démarrer dans la vie. Je regrette que ce dispositif n’ait pas été maintenu. Le choix qui a été fait de restituer au département cette allocation est une mesure de nature purement symbolique : cette somme serait pourtant tellement plus utile au jeune !
La commission des affaires sociales a par ailleurs confirmé la mesure, adoptée à l’Assemblée nationale, sécurisant l’accueil d’un enfant par un tiers à titre bénévole qui s’engage à établir une relation durable avec l’enfant. Cette évolution permettra, je l’espère, le développement de ce type de parcours.
La proposition de loi s’est également enrichie d’un article qui renforcera la prévention en soutenant les parents durant la période périnatale. Il s’agit de proposer systématiquement un entretien prénatal au cours du quatrième mois de grossesse.
Mes chers collègues, ce texte intègre des avancées majeures qui concourent à encadrer la politique de protection de l’enfance par de nouveaux repères. Les solutions qu’il propose donneront davantage de sécurité au parcours de l’enfant protégé, dont les conditions d’existence au quotidien se trouveront améliorées. La loi du 5 mars 2007 se trouve ainsi confortée.
Je tiens à saluer encore le travail de nos deux collègues à l’origine de cette proposition de loi. J’adresse une pensée amicale à Muguette Dini, qui, nous le savons, suit nos travaux. L’implication de notre rapporteur, Michèle Meunier, qui nous a fait partager ses convictions avec détermination, a permis de parvenir à un texte qui, je l’espère, devrait faire consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons est à la fois utile et ambitieuse : elle replace l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur du dispositif de protection de l’enfance.
Ce texte a donc le mérite d’ouvrir un véritable débat, au cours duquel s’exprimeront les convictions profondes de chacun d’entre nous. C’est pourquoi je salue l’initiative de notre ancienne collègue Muguette Dini et de Michelle Meunier, qui en sont à l’origine.
Au-delà de l’analyse partisane de ce texte, la protection de l’enfance est un sujet dont la finalité doit nous unir : protéger les plus jeunes doit constituer une priorité pour le Gouvernement comme pour le législateur. C’est un sujet grave tant par son aspect humain que par la responsabilité qu’il fait porter aux présidents de conseils départementaux.
Lors de la discussion de ce texte en première lecture, la majorité sénatoriale s’est inscrite dans une démarche pragmatique. Toutefois, le paradigme a changé depuis l’examen à l’Assemblée nationale : loin de demeurer ce texte condensé, qui gardait en substance l’essentiel des mesures à appliquer et de la modernité à apporter, la proposition de loi a viré tambour battant à bâbord par une vague aux embruns rosés !
Je suis sûre que la majorité sénatoriale saura cependant saisir l’opportunité ouverte par cette seconde lecture afin de limiter, avec justesse et équilibre, les contraintes pesant sur les départements en la matière, tout en réaffirmant le rôle primordial de l’institution départementale comme acteur quotidien et de proximité de la protection de l’enfance.
Afin d’assurer une certaine stabilité et de prévoir des mesures en cohérence avec la volonté affichée, les présidents de conseils départementaux doivent recouvrer davantage de légitimité vis-à-vis des autres organismes. C’est aussi en affirmant avec force et clarté ce principe et cette compétence que la protection de l’enfance sera encore plus solide demain.
Dans un contexte financier particulièrement contraint pour les départements, entre baisse des dotations et restes à charge substantiels, la pérennité de cette mission ne doit pas être mise en cause par des dispositifs que l’on pourrait aisément qualifier d’absurdes. Je pense à la façon dont est détournée l’allocation de rentrée scolaire. La confier à la Caisse des dépôts et consignations, sur un compte qui sera réattribué au jeune placé à sa majorité, est un non-sens : reconnaissez, mes chers collègues, que ce n’est ni l’objet de cette prestation ni la mission du département que de se substituer indéfiniment aux familles. Cela dénature totalement le sens de cette prestation et déresponsabilise les parents. C’est pourquoi j’ai soutenu l’amendement présenté en commission par Catherine Deroche. Que cette allocation soit versée aux départements n’est pas qu’une question financière : c’est également une décision courageuse et de bon sens.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est évident !
Mme Corinne Imbert. Les mesures relatives aux mineurs isolés étrangers prévues dans ce texte ne sont satisfaisantes ni pour les départements ni – surtout – pour les jeunes. La façon dont le Gouvernement traite aujourd’hui cette problématique laisse beaucoup à désirer, alors que le ministre de l’intérieur reconnaissait la semaine dernière, dans cet hémicycle, que la question des mineurs isolés étrangers constituait un sujet en soi ! De fait, à mon sens, cette question relèverait davantage de la politique migratoire, donc de la compétence de l’État.
Rendre facultatif le test osseux n’est pas acceptable. Si le caractère variable de sa fiabilité le rend critiquable, il demeure néanmoins un outil nécessaire, ne serait-ce que pour déterminer la minorité des personnes. Le rendre facultatif ouvre la porte aux déclarations saugrenues et subjectives et, peut-être, à une nouvelle forme de filière migratoire susceptible d’entraver rapidement l’action des départements.
À ce titre, je tiens à remercier la commission des affaires sociales d’avoir adopté l’amendement que j’ai déposé sur ce sujet. Il permet la création d’une commission restreinte, réunissant département et préfecture, chargée de statuer sur la minorité des personnes, qui pourra accéder au fichier VISABIO, afin de recouper les renseignements.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si je suis favorable à la finalité de ce texte, je regrette les transformations que cette proposition de loi issue des travaux du Sénat en première lecture a subies à l’Assemblée nationale, notamment l’ajout ou la suppression de diverses mesures.
Les départements ne se défilent pas devant leur responsabilité de chefs de file de la protection de l’enfance. Néanmoins, devant l’augmentation du nombre d’enfants confiés par les juges comme de celui de mineurs isolés étrangers accueillis dans les départements, il faut pouvoir moderniser la protection de l’enfance et répondre à ses enjeux contemporains.
Donner des moyens aux départements est également nécessaire, sans quoi ils se trouveront rapidement dépourvus. L’avenir des enfants qui leur sont confiés en dépend.
Or, madame la secrétaire d’État, la feuille de route que vous avez établie et qui nous a été transmise en même temps que ce texte n’apporte aucun moyen supplémentaire. Je m’inquiète donc de l’efficience des nouvelles dispositions prévues par cette proposition de loi. N’oublions pas que l’intérêt supérieur de l’enfant doit prévaloir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne crois pas déroger à la tradition en commençant par des compliments sincères et mérités. Je les adresse à Mmes Michelle Mercier et Muguette Dini, qui sont à l’origine de cette proposition de loi. Il est toujours important de produire des rapports d’information, mais il est encore plus utile que ceux-ci soient suivis de textes finissant par être votés.
Je limiterai mon intervention à trois observations.
Ma première observation a trait au parcours de l’enfant placé. Vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la secrétaire d’État, sécuriser ce parcours se révèle extrêmement précieux. C’est sans doute l’un des principaux apports de ce texte : tout faire pour que ce parcours soit stable plutôt que chaotique, pour que l’enfant ne soit pas balloté d’une famille d’accueil à un foyer, puis à une autre famille d’accueil, ensuite à un autre foyer, etc.
Toutes les mesures, présentes dans ce texte, qui mettent en avant le « projet pour l’enfant », validé, discuté et étudié de concert, qui privilégient le tiers de confiance, qui appellent à la saisine du juge chaque fois que c’est nécessaire sont tout à fait utiles et s’imposent au regard de l’intérêt des enfants placés.
Ma deuxième observation porte sur l’adoption. Sur ce sujet, ma position diverge quelque peu de celle, d’ailleurs très positive et constructive, qu’a présentée François Pillet au nom de la commission des lois. C’est d’ailleurs notre seul point de désaccord.
Vous savez que les associations de familles adoptantes sont très attentives au fait que le texte ne contienne pas de mesures dissuasives en matière d’adoption. Pour ma part, il me paraît juste que la révocation de l’adoption simple ne puisse être demandée que par le ministère public lorsque l’enfant est mineur. Je sais que cette disposition prête à discussion, mais elle favorisera le recours à l’adoption simple, encore assez peu fréquente, en empêchant qu’un membre de la famille d’origine puisse en demander la révocation.
Ma troisième observation concerne l’inceste. Je suis totalement d’accord avec les propositions qui ont été retenues au terme d’une longue réflexion et d’un dialogue avec l’Assemblée nationale. Le Sénat a adopté une première position, l’Assemblée nationale en a adopté une autre. La Haute Assemblée a fait preuve, me semble-t-il, de sagesse en reprenant certains aspects du texte de l’Assemblée nationale, tout en les modifiant. D’ailleurs, madame la rapporteur, sur ce sujet, la commission des affaires sociales a suivi la position de la commission des lois.
Il me paraît tout à fait sage que l’inceste figure dans le code pénal comme surqualification d’infractions existantes et que les cas dans lesquels il y a inceste soient très strictement délimités. Le texte visera les ascendants, les frères et sœurs, les oncles et tantes, les neveux et nièces, qu’ils aient ou non autorité de droit ou de fait sur la victime.
Nous aurons ainsi pris en compte la remarque du Conseil constitutionnel, qui avait jugé les précédentes rédactions trop imprécises. Cette avancée était nécessaire, car nos concitoyens ne comprendraient pas que l’inceste ne figure pas dans le code pénal.
Je souhaite que nous parvenions à passer outre les débats, sans doute mineurs, sur le rôle des collectivités locales et de l’État. Nous aimons les collectivités locales, nous aimons l’État : que chacun en cette affaire joue son rôle, afin que nous puissions obtenir l’accord le plus large possible sur le texte qui nous est aujourd'hui soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tout d’abord chacun des intervenants, en particulier les rapporteurs et le président de la commission des affaires sociales, d’avoir nourri cette discussion. Je salue surtout l’approche constructive de Mmes Cohen, Archimbaud et Campion et de M. Sueur.
J’appelle votre attention sur le fait que, si les tests osseux focalisent beaucoup l’attention, ils ne constituent tout de même pas le cœur du texte. Il serait dommage de réduire cette proposition de loi à cette question. Je comprends qu’elle suscite un débat et nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Cependant, une autre mesure aurait mérité d’être évoquée, à savoir l’interdiction de pratiquer des tests gynécologiques pour évaluer le développement pubertaire. C’est un très grand pas en termes de respect de la dignité des individus.
Nous aurons l’occasion de discuter de nouveau de certains sujets qui viennent d’être abordés lors de l’examen des articles. Je ne souhaite pas anticiper. En revanche, je reviendrai sur certains aspects du texte.
Je n’ai pas pris le Sénat par surprise ! Je rappelle que, l’année dernière, lors de l’examen en première lecture, j’ai indiqué que je profiterais du véhicule législatif que constituait la présente proposition de loi sénatoriale pour dresser le bilan de la loi de 2007 et en dégager les évolutions nécessaires à partir des observations du terrain et de l’exercice effectif des missions de protection de l’enfance. C’est pourquoi une partie des amendements adoptés à l’Assemblée nationale émane du Gouvernement et est le fruit de la concertation que j’ai menée à cette fin.
De cette concertation, il ressort la grande disparité des politiques conduites dans les différents départements et, par voie de conséquence, la grande disparité des destins des enfants accueillis par l’aide sociale à l’enfance. Cette réalité me semble insuffisamment prise en compte.
Je pense pouvoir affirmer que j’ai su nouer un véritable dialogue avec les départements. Je l’ai entamé avant les élections départementales, avec les vice-présidents chargés de la protection de l’enfance, je l’ai poursuivi après. Dans certains cas, mes interlocuteurs sont restés les mêmes, dans d’autres, ils ont changé, mais le dialogue s’est poursuivi dans les mêmes conditions et avec la même qualité.
J’observe que, si les départements sont attachés au principe de libre administration des collectivités territoriales, ils expriment tous, qu’il s’agisse des élus ou des directeurs de l’enfance et de la famille, et de manière constante, le besoin d’un pilotage national de la politique de protection de l’enfance. Ils ont besoin d’une assise à la fois doctrinale et philosophique, d’une définition des buts et des missions de la protection de l’enfance. Pour ma part, je ne pense pas que l’on puisse opposer pilotage national et libre administration des collectivités territoriales : les deux s’articulent dans bien des domaines de compétence des collectivités territoriales.
J’ai bien évidemment conscience de l’impact des mesures que je propose sur les finances des départements. Si ces contraintes budgétaires n’avaient pas existé, j’aurais pu prendre en compte bien d’autres demandes des départements. Je regrette donc que certains se soient focalisés sur certains articles du texte, sans prendre en compte la cohérence globale de la proposition de loi, car, à court terme, le texte permettra probablement de réduire les dépenses des collectivités en matière de protection de l’enfance.
Aujourd'hui, il arrive parfois que dix professionnels de différentes structures interviennent auprès d’une même famille, sans compter les services de l’État, notamment les magistrats. Or ceux-ci ne se coordonnent pas, ne se parlent pas. La première ambition du texte est donc de décloisonner les différents métiers de la protection de l’enfance. Je suis convaincue que cette démarche permettra aux départements de réaliser des économies importantes. Toutefois, cela suppose d’abord une évolution des pratiques, notamment une nouvelle approche de la formation, laquelle devra revêtir une dimension pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle.
Mesdames, messieurs, vous le voyez, je ne fais pas la même analyse que vous. Au demeurant, ces mesures auront un impact financier extrêmement modeste. Ce qui est surprenant finalement, c’est moins que nous les proposions que le fait qu’elles n’aient pas déjà été mises en œuvre !
Prévoir que le département doive organiser le suivi de la famille dont l’enfant lui aura été rendu après avoir été placé est une mesure de prévention dont les effets seront incontestablement bénéfiques pour les finances des collectivités locales. Sachant que le placement d’un enfant coûte entre 40 000 euros et 60 000 euros par an au département, la prévention en la matière ne pourra être qu’un facteur d’économies. Chaque fois que l’on évite le placement d’un enfant grâce à un suivi de sa famille en amont, on permet au département de réaliser des économies. Tel est l’esprit dans lequel ce texte a été élaboré.
Je regrette donc, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, que vous ayez choisi de ne mettre en avant que quelques mesures de ce texte. J’ose espérer que le regard négatif que vous portez sur ce texte s’explique par le mauvais calendrier dans lequel s’inscrit son examen. Je n’oublie pas, en effet, que se tiennent cette semaine les réunions des collectivités et qu’il convient donc de pointer les difficultés financières des départements. Pour autant, cette proposition de loi n’est pas le bon texte ! J’ai constamment eu à l’esprit les finances des départements.
Je conclurai en évoquant la place respective de l’État et des départements en matière de protection de l’enfance.
Malheureusement, la protection de l’enfance connaît trop souvent des échecs. C’est le cas chaque fois qu’un enfant meurt du fait des mauvais traitements de ses parents. Passé l’événement et avant le procès en assises des parents vient le temps des interrogations : pourquoi ? Comment ce drame est-il arrivé ? Y a-t-il eu des dysfonctionnements ? Dès lors qu’un tel drame survient alors que l’enfant était suivi par les services de la protection de l’enfance, il y a eu dysfonctionnement ! Celui-ci n’est pas forcément le fait des services de l’aide sociale à l’enfance, l’ensemble de la chaîne constituée des dix intervenants que j’évoquais tout à l’heure en sont à l’origine. La justice, la protection de l’enfance, l’école : tous sont responsables de cet échec.
À chaque fois, vers qui se tourne-t-on ? Jamais vers les départements, mais toujours vers la ministre en charge de l’enfance. Depuis que je suis secrétaire d’État chargée de l'enfance, j’ai eu à faire face plusieurs fois à de tels drames, je me suis toujours montrée solidaire des départements. J’ai expliqué que nous travaillions à identifier les dysfonctionnements, à les corriger, avec les départements et les professionnels, afin qu’ils ne se reproduisent pas. Je n’ai jamais opposé l’État et les départements !
Aujourd'hui, alors que je tire les leçons de ces dysfonctionnements, que j’essaie de les corriger et que je propose de les anticiper afin de les éviter, je suis surprise de m’entendre dire que je marche sur les platebandes des départements et que je ne respecte pas le principe de libre administration des collectivités territoriales. Je le répète, je ne manque jamais de solidarité avec les départements !
Au cours de l’examen des articles, nous aurons l’occasion, de revenir sur les autres sujets qui ont été abordés. J’espère que nous pourrons alors mettre en œuvre des mesures justes et utiles pour les enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Aline Archimbaud et Hermeline Malherbe applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence sont irrecevables les amendements ou articles additionnels qui remettraient en cause les articles adoptés conformes, de même que toute modification ou adjonction sans relation directe avec une disposition restant en discussion.
proposition de loi relative à la protection de l’enfant
TITRE IER
AMÉLIORER LA GOUVERNANCE NATIONALE ET LOCALE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE
Article 1er
L’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé :
« Art. L. 112-3. – La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits.
« Elle comprend des actions de prévention en faveur de l’enfant et de ses parents, l’organisation du repérage et du traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant ainsi que les décisions administratives et judiciaires prises pour sa protection.
« Les modalités de mise en œuvre de ces décisions doivent être adaptées à chaque situation et s’appuyer sur les ressources de la famille et de l’environnement de l’enfant. Elles impliquent la prise en compte des difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives et la mise en œuvre d’actions de soutien adaptées en assurant, le cas échéant, une prise en charge partielle ou totale de l’enfant. Dans tous les cas, l’enfant est associé aux décisions qui le concernent selon son degré de maturité.
« Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre.
« Il est institué auprès du Premier ministre un Conseil national de la protection de l’enfance, chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, de formuler des avis sur toute question s’y rattachant et d’en évaluer la mise en œuvre, en lien avec les conseils départementaux. Ce conseil promeut la convergence des politiques menées au niveau local, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement sont définies par décret. »
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié bis, présenté par Mme Doineau, MM. Kern et Canevet, Mme Loisier, MM. Bonnecarrère et Gabouty, Mme Férat, MM. Morisset, Pierre, Chasseing, Détraigne et Commeinhes, Mme Lopez, MM. Houpert, Longeot et L. Hervé, Mme Billon, MM. Lasserre et Luche, Mme Gatel, MM. Danesi, J.L. Dupont, Cigolotti, Laménie et Pellevat et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. L’article premier de ce texte n’apporte pas de changement significatif par rapport à la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Les mesures qu’il prévoit sont d’ores et déjà inscrites soit dans l’article L. 112-4 du code de l’action sociale et des familles, soit dans l’article L. 2112-2 du code de la santé publique. Cette nouvelle rédaction ne me semble donc pas indispensable.
La seule disposition importante est la suivante : « Dans tous les cas, l’enfant est associé aux décisions qui le concernent selon son degré de maturité. » Elle pourrait néanmoins figurer dans un autre article de cette proposition de loi, que nous examinerons ultérieurement.
Je ne rappelle pas les raisons pour lesquelles la création du Conseil national de la protection de l’enfance n’apportera pas de solutions. Si elle était toutefois décidée, je vous donne rendez-vous dans cinq ans pour voir si elle aura réellement permis de faire évoluer la situation.
Madame la secrétaire d'État, vous avez indiqué avoir rencontré un certain nombre de représentants des départements et constaté combien ce dialogue avait été utile. C’est bien la preuve que vous n’avez pas eu besoin d’un Conseil national de la protection de l’enfance pour les réunir !
Je souhaite que votre invitation à plus de dynamisme et de sécurisation dans la protection de l’enfance se poursuive dans ce cadre. Je ne pense pas qu’un nouveau comité Théodule change les choses. De surcroît, élargir les compétences de l’Observatoire national de l’enfance en danger, c’est aussi responsabiliser cet organisme qui a déjà beaucoup œuvré dans le passé et lui faire confiance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. L’article 1er constitue l’ossature de cette proposition de loi, puisqu’il définit les missions de la politique de protection de l’enfance. Sa rédaction est le fruit d’une large concertation menée par le Gouvernement. Surtout, elle vise à mettre en avant l’intérêt de l’enfant plutôt que les difficultés éducatives des parents, qui ne sont pas ignorées. L’ordre est inversé : c’est d’abord l’intérêt supérieur de l’enfant qui est redéfini.
Par ailleurs, toutes les politiques disposent d’un organisme de ce type : Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, Conseil national consultatif des personnes handicapées, Haut Conseil de la famille... Il est donc nécessaire de disposer d’un Conseil national de la protection de l’enfance.
Cette instance sera chargée de proposer les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance et d’en évaluer la mise en œuvre. Ses missions n’ont donc pas grand-chose à voir avec celles de l’Observatoire national de l’enfance en danger, madame Doineau, puisque ce dernier est chargé du recueil et de l’analyse des données ainsi que des études concernant la protection de l’enfance, mais il n’a pas de fonction opérationnelle.
Je rappelle également que le Conseil national de la protection de l’enfance remplacera deux comités qui seront supprimés : le conseil technique de la prévention spécialisée et le comité interministériel de l’enfance maltraité.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous proposez de supprimer l’article 1er, au motif que vous ne voyez pas la différence avec l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles qu’il réécrit.
Chacun se réfère à l’intérêt de l’enfant, que ce soit l’intérêt supérieur de l’enfant ou le meilleur intérêt de l’enfant. Je rappelle les premières lignes de l’actuel article L.112-3 du code de l’action sociale et des familles : « La protection de l’enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. » Le mot « enfant » n’y figure même pas !
La nouvelle rédaction commence ainsi : « La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits. »
Quelle est la différence entre ces deux rédactions ? La première assigne comme mission principale à la protection de l’enfance le soutien des familles ; la seconde vise à assurer aux enfants leur meilleur développement et précise que la protection de l’enfance vise à prendre soin de leur santé physique, morale et affective.
Le changement de paradigme est total ! Il reflète tout ce qui s’est passé, d’un certain point de vue, entre 2007 et 2015. L’intérêt de l’enfant, qui est toujours mis en avant, trouve enfin sa traduction. Cette nouvelle rédaction signifie que les enfants relevant de la protection de l’enfance sont comme les autres enfants, qu’ils ont droit aux mêmes capacités de développement et d’épanouissement. Cet article les soustrait à leur statut marginal et à une approche spécifique. Du fait de l’évolution des connaissances en psychologie et en sciences de l’éducation, on sait l’importance des liens d’attachement, de la stabilité, pour la construction des enfants. Or ceux qui relèvent de la protection de l’enfance y échapperaient !
Par conséquent, madame Doineau, cet article dont vous proposez la suppression – je comprends les désaccords – met l’enfant au cœur de la politique de la protection de l’enfance.
J’en viens à la création du Conseil national de la protection de l’enfance et à sa possible fusion avec l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED.
Il s’agit de deux instances différences. L’ONED est un observatoire. À cet égard, je constate qu’il faut poursuivre les progrès dans la connaissance de la protection de l’enfance que l’ONED a permis de réaliser. En effet, au même titre que la protection de l’enfance est un angle mort des politiques publiques, les statistiques sur la protection de l’enfance sont un autre angle mort des statistiques ; ce travail relève de l’ONED. Hermeline Malherbe a cité les derniers chiffres qui ont été communiqués concernant la protection de l’enfance.
Le Conseil national de la protection de l’enfance, quant à lui, répond à la demande des professionnels de disposer d’une instance pluridisciplinaire, où les services de la justice, des départements, de pédopsychiatrie, les maisons des adolescents puissent se mettre autour d’une table et discuter de leurs pratiques afin de se coordonner et d’accorder leurs méthodes de travail.
Le but de ce conseil n’est pas de permettre une représentation institutionnelle, je vous le dis très clairement. J’ai moi-même siégé dans un exécutif local, je le sais ! Le Conseil national de la protection de l’enfance cible les professionnels qui n’ont pas la possibilité, à l’échelon départemental ou local, d’élaborer un travail en commun. Vous pouvez penser que c’est superfétatoire, mais ce n’est pas un énième comité : c’est une demande des professionnels et, en ce sens, je crois qu’il faut le maintenir.
C'est la raison pour laquelle je suis opposée à cet amendement, dont l’adoption ne permettrait pas de placer l’intérêt de l’enfant comme finalité première de la protection de l’enfance et empêcherait la création du Conseil national de la protection de l’enfance.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour explication de vote.
Mme Hermeline Malherbe. Je préside actuellement le groupement d’intérêt public « Enfance en danger », qui comprend l’ONED – bientôt, donc, l’Observatoire national de la protection de l’enfance –, et j’ai le sentiment qu’il existe une confusion.
D’un côté, les observatoires départementaux de la protection de l’enfance, où se réunissent l’ensemble des acteurs professionnels et de ceux qui œuvrent, à un moment donné, à la protection de l’enfance dans les territoires, ont un véritable rôle de formation et de sensibilisation.
De l’autre côté, l’Observatoire national de l’enfance en danger, qui regroupe à parité les services de l’État et les services des départements, avec une représentation des associations nationales, ne joue pas aujourd'hui un tel rôle, et il n’est pas question qu’il le tienne dans ce que prévoit le présent texte.
En revanche, le Conseil national de protection de l’enfance doit pouvoir jouer ce rôle au niveau national, comme le fait l’observatoire départemental dans mon département – et j’ai cru comprendre, madame Doineau, que c’était également le cas dans le vôtre.
Dans ces conditions, je voterai contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Les arguments en faveur de l’article 1er viennent d’être présentés avec beaucoup de force par Mme la secrétaire d'État. Bien sûr, nous la suivrons et voterons contre cet amendement de suppression.
D'ailleurs, chère collègue Élisabeth Doineau, je n’ai pas vraiment entendu les arguments susceptibles de justifier la suppression de cet article 1er, qui est l’un des socles de la proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur Daudigny, si j’ai proposé la suppression de l’article 1er, c’est parce que je n’ai pas décelé de changement réel entre ce qui est prévu par la loi du 5 mars 2007 et ce qui nous est proposé aujourd'hui. En effet, l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux et le respect de ses droits, tous principes dont vous dites, madame la secrétaire d'État, qu’ils sont au cœur du dispositif présenté, figurent actuellement à l’article L. 112-4 du code de l’action sociale et des familles. Il me semble donc que le présent article n’apporte rien de décisif.
Par ailleurs, pourquoi les prérogatives du nouveau conseil national ne seraient-elles pas attribuées à l’ONED ?
J’ajoute que d’autres instances permettent également aux départements de connaître les bonnes pratiques. Je pense à l’Observatoire national de l’action sociale, l’ODAS, qui organise régulièrement des assises, auxquelles assistent de nombreux représentants des départements. Certes, ce n’est pas un organisme paritaire, mais il permet à chacun de s’inspirer de bonnes pratiques pour améliorer chaque jour la protection de l’enfance.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je tiens à préciser que l’ODAS, qui était bien entendu représenté dans le comité de pilotage de la concertation qui s’est déroulée pendant huit mois, soutient la création du Conseil national de la protection de l’enfance.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour explication de vote.
Mme Claire-Lise Campion. L’article 1er définit les objectifs et les missions de la protection de l’enfance et crée le Conseil national de la protection de l’enfance. C’est un article essentiel ; il constitue, cela a été dit, la colonne vertébrale de cette proposition de loi.
La proposition de créer un Conseil national de la protection de l’enfance figurait dans le rapport d’information de nos collègues Michelle Meunier et Muguette Dini. Cette nouvelle instance permettra d’améliorer la cohérence et la coordination des politiques de la protection de l’enfance.
La grande hétérogénéité que l’on constate aujourd'hui en la matière est regrettable. Elle se traduit notamment par le fait que les recommandations de bonnes pratiques ne sont pas suivies. Comme cela a été rappelé à différentes occasions, l’action des différents acteurs est encore beaucoup trop cloisonnée. Un pilotage national nous semble donc nécessaire, et il n’est absolument pas de nature à porter atteinte à la libre administration des départements.
Cela a été démontré, cette instance ne se surajoute pas à d’autres : elle vient remplacer, par exemple, le conseil interministériel de l’enfance maltraité et de l’adoption ou le conseil technique de la prévention spécialisée.
Pour toutes ces raisons, comme Yves Daudigny l’a indiqué précédemment, notre groupe est résolument contre cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je souscris totalement aux propos de Mme la secrétaire d’État.
Cette discussion nous permet d’apporter des clarifications, et elle fera éventuellement cheminer votre réflexion, madame Doineau. Peut-être irez-vous même, sait-on jamais, jusqu’à retirer votre amendement… (Sourires.)
En tout cas, un élément me paraît très convaincant : une meilleure coordination des actions, au niveau départemental comme au niveau national, ne peut être que positive.
M. Yves Daudigny. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 46, présenté par Mme Campion et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge.
La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Nous proposons là de rétablir une disposition qui a été supprimée par la commission des affaires sociales du Sénat.
La suppression de cette disposition tend en effet à écarter du dispositif de protection de l’enfance les enfants abandonnés, les enfants privés de la protection de leur famille, alors même que leur prise en charge relève bien du service de l’aide sociale à l’enfance, comme le prévoient un certain nombre de dispositions du code de l’action sociale et des familles.
De fait, dès lors qu’un mineur est privé de sa famille, il court un danger ou encourt un risque de danger et relève de ce fait du dispositif de protection de l’enfance, conformément aux engagements pris par la France lors de la signature de la convention internationale des droits de l’enfant.
Les missions considérées relèvent des départements depuis les lois de décentralisation de 1983 et 1986. Le rôle des services de l’aide sociale à l’enfance consiste bien à prendre en charge les mineurs en danger ou en risque de danger et à leur apporter un soutien.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.
Il convient de souligner que cette disposition vise tous les mineurs, et non pas seulement les mineurs isolés étrangers, comme certains propos de membres de la commission des affaires sociales ont pu le laisser entendre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. J’émets également un avis favorable sur cet amendement.
Je ne sais pas si la commission a été très raisonnable en excluant du champ de la protection de l’enfance les enfants privés de famille qui encourent un risque ou un danger. J’imagine que, au moment du vote, la commission devait penser très fort aux mineurs isolés étrangers. Or d’autres enfants, nés sur le territoire français, sont aussi privés de protection. En outre, quand bien même la commission aurait pensé aux mineurs isolés étrangers, la France a pris l’engagement, en signant la convention internationale des droits de l’enfant, de protéger les mineurs quels que soient leur origine et le parcours qui les a conduits sur le territoire français.
Je ne pense donc pas que l’on puisse exclure les enfants sans protection familiale du champ de la protection de l’enfance.
M. le président. L'amendement n° 23 rectifié, présenté par M. Cardoux, Mmes Canayer et Cayeux, M. Chasseing, Mmes Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Deseyne, MM. Forissier et Gilles, Mmes Giudicelli, Gruny, Imbert, Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller et Pinton, Mme Procaccia et MM. Retailleau, D. Robert, Savary et Mandelli, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Madame la secrétaire d’État, je souhaite tout d’abord préciser, sans chercher à polémiquer, que je n’ai jamais prétendu que vous vouliez mettre en cause la libre administration des collectivités et des départements. J’ai simplement dit qu’une approche financière était également nécessaire et que ce texte souffrait peut-être d’un défaut d’évaluation.
Vous nous affirmez avoir constaté des disparités entre les départements en matière de protection de l’enfance. Je me dis que ceci explique peut-être cela…
M. Jean-Noël Cardoux. Il me semble au contraire qu’il peut y avoir là une explication : certains départements ont moins de moyens que d’autres pour mettre en œuvre les dispositifs. Or, en adoptant certaines mesures contenues dans la présente proposition de loi, on risque d’aggraver encore la situation.
Notre désaccord, madame la secrétaire d’État, tient sans doute aussi au fait que nous n’avons pas consulté les mêmes départements. Là encore, ceci explique peut-être cela !
J’en viens maintenant à l’amendement n° 23 rectifié bis.
Nous sommes plus raisonnables que les auteurs de l’amendement n° 16 rectifié bis : nous ne proposons pas la suppression de l’article 1er, mais la suppression de son seul alinéa 6, qui vise à instaurer le Conseil national de la protection de l’enfance. Nous ne mettons pas en cause les arguments qui ont été avancés sur le besoin des acteurs de la protection de l’enfance de travailler ensemble, mais nous déplorons l’empilement des structures.
Voilà quelques années, j’ai eu la curiosité de recenser le nombre d’observatoires et de conseils œuvrant en matière sociale : je n’ai plus le chiffre en tête, mais il était considérable, pour un coût annuel de plusieurs millions d’euros.
Si nous comprenons les deux objectifs que vous avez énoncés, madame la secrétaire d’État, nous estimons qu’un effort de réflexion aurait pu être fait pour permettre aux acteurs de la protection de l’enfance de travailler ensemble au sein d’une même structure, en tirant les conséquences de leurs propres observations.
D’ailleurs, lors de la conclusion du débat en première lecture, je vous avais invitée à faire une proposition allant dans le sens de la globalisation de ces structures en seconde lecture. En réalité, le texte proposé en revient à la terminologie initiale. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous présentons de nouveau cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement de suppression.
À titre personnel, et pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure, je suis défavorable à la suppression du Conseil national de la protection de l’enfance.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je répondrai d’abord à votre propos liminaire, monsieur Cardoux : l’expérience nous a appris qu’il n’y avait pas toujours une corrélation entre les moyens engagés et les résultats obtenus.
Nous nous sommes déjà interrogés à plusieurs reprises, les uns et les autres, sur l’évaluation des moyens et des résultats. En l’occurrence, je me suis penchée attentivement sur la question et j’ai pu constater que les résultats ne tenaient pas tant aux moyens disponibles qu’aux pratiques mises en œuvre, aux méthodes de travail employées et aux choix effectués, ainsi qu’à tout ce qui sous-tend la politique de protection de l’enfance mise en place dans tel ou tel département.
Pour le dire simplement, plus on place, plus cela coûte cher. À l’inverse, plus on fait de prévention, moins cela coûte cher par la suite. Certains départements dépensent énormément d’argent en placement et, pour autant, n’ont pas des résultats formidables à l’arrivée.
La corrélation entre moyens et résultats n’est donc pas systématique. Certains départements qui consacrent à la protection de l’enfance des budgets se situant dans la moyenne nationale ont beaucoup réfléchi et travaillé à la définition d’une véritable politique publique en la matière, avec un authentique suivi de la part des élus et des services de l’enfance et de la famille.
S’agissant, maintenant, du Conseil national de la protection de l’enfance, mon point de vue a déjà été en grande partie défendu à l’occasion de l’examen de l’amendement précédent. Je me suis évidemment posé la question de savoir si l’on ne pouvait pas supprimer des structures.
D’ailleurs, lorsque nous nous retrouverons, dans quelques semaines, pour débattre du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, vous constaterez que nous prévoyons de fusionner, au sein d’une même structure dotée de trois sections, trois organes compétents pour les différents âges de la vie, dont le Haut Conseil de l’âge – qui fait l’objet d’une attente forte – et le Haut Conseil de la famille. Quand il est possible de réduire le nombre de conseils, je n’hésite pas à le faire !
En l’occurrence, comme Mme Malherbe l’a très bien expliqué tout à l’heure, l’ONED ou le Groupement d’intérêt public « Enfance en danger » ne sont pas aujourd’hui des structures pertinentes pour accomplir cette mission. Il faut laisser à l’ONED le temps de construire et d’asseoir son expertise. En effet, en matière de protection de l’enfance, il n’y a guère de recherches universitaires, on dénombre peu de travaux ; la nécessité de les encourager est d’ailleurs l’un des points de la feuille de route évoquée dans la proposition de loi. Il faut donc laisser prospérer ce lieu d’observation, de recherche et de recueil de statistiques, et installer à ses côtés une structure pluridisciplinaire.
Je partage votre préoccupation, monsieur le sénateur, mais, en l’occurrence, après réflexion, j’ai conclu qu’il fallait installer le Conseil national de la protection de l’enfance comme nous l’avions prévu initialement.
En conséquence, l'avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 23 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 10 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis
Le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code de l’action sociale et des familles est complété par un article L. 112-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 112-5. – En lien avec le schéma départemental en faveur de l’enfance et de la famille, un protocole est établi dans chaque département par le président du conseil départemental avec les différents responsables institutionnels et associatifs amenés à mettre en place des actions de prévention en direction de l’enfant et de sa famille, notamment les caisses d’allocations familiales, les services de l’État et les communes. Il définit les modalités de mobilisation et de coordination de ces responsables autour de priorités partagées pour soutenir le développement des enfants et prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives. Les modalités d’application du présent article sont définies par décret. »
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié bis, présenté par Mme Doineau, MM. Kern, Gabouty et Bonnecarrère, Mme Loisier, M. Canevet, Mme Férat, MM. Morisset, Pierre, Chasseing, Détraigne et Commeinhes, Mme Lopez, MM. Houpert, Longeot et L. Hervé, Mme Billon, MM. Lasserre et Luche, Mme Gatel, MM. Danesi, J.L. Dupont, Cigolotti, Laménie et Pellevat et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. À mes yeux, il était illusoire de penser que créer un nouvel organisme allait tout transformer. Du reste, si l’on a décidé d’en supprimer deux, c’est bien parce qu’ils ne fonctionnaient pas. Il faut plutôt de la volonté et de la conviction dans les politiques, quelles qu’elles soient, notamment dans celle de la protection de l’enfance.
Aux termes du présent article, le président du conseil départemental devra, en lien avec le schéma départemental que nous avons tous mis en place dans nos départements, définir un protocole avec les différents responsables institutionnels et associatifs amenés à mettre en place des actions de prévention en faveur de l’enfant et de sa famille. Mais c’est ce que nous faisons déjà dans la réalité !
Vous allez me dire que certains départements ne le font pas.
Mme Catherine Génisson. Voilà !
Mme Élisabeth Doineau. J’en reviens donc au problème du contrôle : pourquoi l’IGAS, l’inspection générale des affaires sociales, n’est-elle pas à même de réaliser des contrôles et d’impulser des changements dans les départements qui renâcleraient à mettre en œuvre l’ensemble de la politique de protection de l’enfance ?
Établir un protocole, après que des schémas ont été définis, que des comités ont été mis en place, c’est encore complexifier. Je le répète, ce sont la conviction et la volonté qui font avancer les choses, et non pas une procédure supplémentaire telle que l’établissement d’un protocole.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission des affaires sociales a donné un avis favorable sur cet amendement, mais, à titre personnel, j’y suis défavorable.
Ce protocole départemental organise la mobilisation des différents acteurs de la protection de l’enfance et leur coordination. Il ne dicte aucunement au président du conseil départemental la mise en œuvre de cette politique.
Dans le rapport d’information que nous avons réalisé, nous avons constaté que, si les choses se passaient bien dans un certain nombre de départements – c’est peut-être le cas du vôtre, Mme Doineau –, 33 % d’entre eux n’étaient pas dans cette dynamique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je souhaite tout d’abord saluer l’amélioration apportée à cet article par la commission des affaires sociales, qui y a ajouté la référence aux schémas départementaux. De ce fait, la nouvelle rédaction me convient parfaitement.
Par conséquent, je suis défavorable à un amendement visant à supprimer cet article, lequel tend avant tout à donner toute sa place à la prévention dans la protection de l’enfance. Il ne s’agit pas de faire de nouvelles réunions, mais de mettre en place des protocoles qui associent les départements, les caisses d’allocations familiales – elles sont très impliquées en la matière –, l’école, les communes, etc.
Je pense que des économies peuvent être tirées de la coordination. En évitant le saupoudrage des financements et le gaspillage des énergies, on répond mieux aux besoins identifiés sur les territoires.
Ces protocoles sont utiles : la preuve en est que des départements comme le vôtre, madame Doineau, les ont déjà mis en place.
Bien sûr, l’IGAS peut toujours être envoyée sur le terrain pour procéder à des contrôles. Elle établira un compte rendu et nous saurons mieux ce qu’il en est. Ce n’est pas pour autant que nous réussirons à impulser l’action dans les départements récalcitrants. Car moi, je n’ai pas retenu la coercition ; j’ai choisi l’impulsion. Or cet article participe de cette démarche.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Les services de la protection de l’enfance se heurtent à de grands problèmes, nous l’avons déjà souligné. Face à ces difficultés, l’intérêt de cet article est justement de proposer de rassembler, de coordonner, d’éviter les gaspillages d’énergie et de renforcer l’efficacité, en permettant un partenariat très large. Cet article instaure un principe, qui sera ensuite adapté par les acteurs dans chaque département. Nous sommes donc tout à fait opposés à sa suppression.
Voter cet amendement, ce serait passer à côté d’une chance de rassembler et de coordonner les énergies. Si la loi ne fixe pas ce cadre, qui va le fixer ? L’IGAS peut contrôler, mais elle ne fait pas la loi ; c’est donc bien au Parlement de poser ce principe.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Morisset, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Morisset. Je voterai cet amendement. S’il faut un protocole pour mobiliser et coordonner, cela signifie que les départements n’ont pas rempli leur mission depuis qu’ils exercent la compétence de la protection de l’enfance. Les agents départementaux, qui la mettent pourtant en œuvre au quotidien, devraient alors s’interroger et se demander s’ils ont fait leur travail.
J’ai vécu cela durant vingt-cinq ans : je peux vous dire que la coordination et la mise en réseau se font déjà, de différentes manières.
Ce n’est pas un protocole qui va indiquer comment se mettre en réseau. Vous le savez, les situations sont complètement différentes selon les départements, qui disposent chacun de leur propre histoire.
Cela tient par exemple à l’attitude des juges : ce sont eux qui décident de confier les enfants aux services départementaux. C’est ce qui peut expliquer les difficultés.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Justement !
M. Jean-Marie Morisset. Laissons donc aux départements le soin de mobiliser et de coordonner les acteurs à leur façon.
Si j’étais persuadé que la signature d’un protocole suffira à garantir la réussite, je voterais contre cet amendement. Mais je reste au contraire convaincu qu’il vaut mieux laisser chaque département maître de la manière de procéder.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je ne sais si je vais vous faire changer d’avis, monsieur le sénateur, mais je tiens à vous dire que cet article n’a nullement été écrit pour contraindre les départements, d’autant que ce sont les départements eux-mêmes qui ont manifesté le besoin d’une assise législative pour établir des protocoles avec les services de l’État et les autres acteurs.
D’ailleurs, dans 90 % des cas, c’est le département qui est à l’initiative du protocole. La difficulté, pour les départements, c’est de parvenir à rassembler l’ensemble des acteurs autour de la table. Cet article vise finalement à renforcer la capacité des départements à mobiliser les autres acteurs pour élaborer un protocole.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié bis.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. le président. L'amendement n° 51, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
départemental en faveur de l’enfance et de la famille
par les mots :
d’organisation sociale et médico-sociale prévu à l’article L. 312-4 pour les établissements et services mentionnés au 1° du I de l’article L. 312-1
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er bis, modifié.
(L'article 1er bis est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
I. – Après le 4° de l’article L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un 5° ainsi rédigé :
« 5° De réaliser un bilan annuel des formations continues délivrées dans le département en application de l’article L. 542-1 du code de l’éducation, qui est rendu public, et d’élaborer un programme pluriannuel des besoins en formation des professionnels de la protection de l’enfance dans le département. »
II. – L’avant-dernier alinéa du même article est ainsi rédigé :
« La composition pluri-institutionnelle de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance est précisée par décret. »
M. le président. L'amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
des professionnels de la protection de l'enfance dans le département
par les mots :
de tous les professionnels concourant dans le département à la protection de l'enfance
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Il s’agit, par cet amendement, qui est en fait plutôt d’ordre rédactionnel, d’élargir le champ des professionnels de la protection de l’enfance concernés par le programme pluriannuel des besoins en formation, au-delà de ceux qu’on a l’habitude de voir intervenir dans ce domaine.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Cet amendement est très utile : il apporte de la lisibilité à l’article. Avis favorable.
M. le président. L'amendement n° 24 rectifié bis, présenté par M. Cardoux, Mmes Canayer et Cayeux, M. Chasseing, Mmes Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Deseyne, MM. Forissier et Gilles, Mmes Giudicelli, Gruny et Imbert, M. Lemoyne, Mmes Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller et Pinton, Mme Procaccia et MM. Retailleau, D. Robert, Savary et Mandelli, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
qui fait l'objet d'une convention de financement avec la région
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Nous avons longuement discuté de cet amendement en commission. Dans sa première mouture, je proposais de supprimer le dernier membre de phrase de l’alinéa 2, mon souci constant étant de préserver les finances des départements.
Il paraît naturel que les départements fassent un bilan annuel des formations et élaborent un programme pluriannuel en la matière, mais il existe une grande incertitude quant au financement. En effet, avant le vote de la loi NOTRe, la formation relevait déjà de la région ; c’est encore plus vrai depuis, cette loi ayant précisé assez strictement les compétences des différents niveaux de collectivités. Or, à la lumière de l’expérience de mon département, je peux dire que, chaque fois que nous avons voulu élaborer un programme de formation avec la région, si les intentions de départ étaient louables, la mise en œuvre a été extrêmement difficile, faute de de financement.
Autant nous sommes d’accord sur l’élaboration d’un état des lieux et d’un programme de formation, autant nous souhaitons qu’il soit précisé que ce sont les régions, dont c’est la compétence, qui financeront ce programme.
C’est pourquoi mon amendement prévoit désormais simplement d’ajouter que le programme pluriannuel des besoins en formation « fait l’objet d’une convention de financement avec la région ».
Certains diront que cela va sans dire. Je pense que cela va mieux en le disant !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La version de l’amendement tel qu’il nous est proposé résulte d’une rectification à laquelle M. Cardoux a procédé pendant la réunion de la commission des affaires sociales. Sur l’amendement ainsi rectifié, la commission a donné un avis favorable à l’amendement.
À titre personnel, j’y suis défavorable parce que l’article 2 confie à l’observatoire départemental de la protection de l’enfance le soin de réaliser un bilan annuel des formations délivrées dans le département aux professionnels de la protection de l’enfance et d’élaborer un programme pluriannuel des besoins en formation. Il est question non pas des programmes de formation proprement dits, qui sont de la compétence de la région, mais d’un recensement des besoins. Il existe peut-être une ambiguïté sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. L’article 2 ne transfère pas de la région au département le financement des formations des professionnels de la protection de l’enfance. Il confie simplement à l’observatoire départemental de la protection de l’enfance, qui établit déjà un bilan, le soin de dresser le tableau des besoins. Nul ne peut le faire mieux que lui !
Certes, l’expérience conduit à être méfiant au sujet des transferts de compétences, mais, en l’espèce, il n’y a pas de transfert de compétence. L’amendement me paraît donc superfétatoire et c’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger nos travaux jusqu’à minuit et demi au plus tard, la séance de questions orales commençant demain matin à neuf heures trente.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Je mets aux voix l’amendement n° 24 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 11 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
pluri-institutionnelle
insérer le mot :
minimale
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Dans beaucoup de départements, l’observatoire départemental de la protection de l’enfance – ODPE – existe déjà et a l’habitude de travailler avec un certain nombre de partenaires très actifs. Cependant, ces partenaires ne sont pas nécessairement les mêmes dans tous les départements. Pour assurer une cohérence au niveau national, il convient que le décret précise la composition pluri-institutionnelle « minimale » de l’observatoire, celui-ci pouvant ensuite s’adjoindre d’autres partenaires de son choix.
Par exemple, dans le département des Pyrénées-Orientales, l’université participe à l’ODPE et il me semble que c’est l’un des rares départements où c’est le cas. Je ne souhaite donc pas que la composition définie par le décret soit restrictive, afin de permettre à l’observatoire de continuer à travailler avec ce partenaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable.
En effet, ma chère collègue, l’article L. 226-3-1 du code de l’action sociale et des familles précise la composition de l’ODPE au moyen d’une liste minimale telle que vous la concevez. Votre amendement est donc satisfait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Comme je l’ai déjà dit tout à l’heure à l’un de vos collègues, madame Malherbe, le but de la loi n’est pas de contraindre les départements ou de limiter leurs marges de manœuvre, mais plutôt d’exiger des partenaires extérieurs qu’ils s’impliquent dans le fonctionnement d’une structure telle que l’ODPE.
L’objet de cette disposition est de faire entrer dans les ODPE, notamment, l’ordre des médecins, qui n’est pas systématiquement représenté, ainsi que les avocats, en particulier ceux qui sont spécialisés dans le droit de l’enfance.
Le mot « minimal » a en fait quelque chose d’un peu restrictif. Nous souhaitons simplement faire en sorte que le décret puisse prévoir « notamment » la présence d’un certain nombre d’organismes – je sais que les assemblées pourchassent le « notamment », mais nous pourrons l’utiliser autant que nous voudrons dans le décret ! (Sourires.)
Je précise par ailleurs qu’aucun des décrets qui concernent les départements ne sera rédigé sans que ceux-ci soient consultés et que l’ONED sera associé à l’élaboration du décret dont il est ici question.
Si mes explications vous conviennent, madame la sénatrice, je vous suggère de retirer votre amendement, de manière que je n’aie pas à émettre un avis défavorable.
M. le président. Madame Malherbe, l’amendement n° 9 rectifié est-il maintenu ?
Mme Hermeline Malherbe. Selon Mme la rapporteur, l’état du droit me donne satisfaction. Par ailleurs, je fais toute confiance à Mme la secrétaire d’État, dont les explications m’ont convaincue. Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Je suis très honorée de cette marque de confiance ! (Sourires.)
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis A
(Non modifié)
Le sixième alinéa de l’article L. 313-13 du code de l’action sociale et des familles est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le président du conseil départemental informe sans délai le représentant de l’État dans le département de tout événement survenu dans un établissement ou service qu’il autorise, dès lors qu’il est de nature à compromettre la santé, la sécurité, l’intégrité ou le bien-être physique ou moral des enfants accueillis. » – (Adopté.)
Article 2 bis
(Supprimé)
Article 2 ter
(Supprimé)
Article 3
(Non modifié)
Le chapitre VI du titre II du livre II du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Les deux dernières phrases du dernier alinéa de l’article L. 226-3 sont supprimées ;
1° bis À la fin de la seconde phrase du 1° de l’article L. 226-3-1, les mots : « l’enfance en danger » sont remplacés par les mots : « la protection de l’enfance » ;
2° Au premier alinéa et à la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 226-6 et à la première phrase des articles L. 226-9 et L. 226-10, les mots : « de l’enfance en danger » sont remplacés par les mots : « national de la protection de l’enfance » ;
3° Après l’article L. 226-3-2, il est inséré un article L. 226-3-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 226-3-3. – Sont transmises à l’observatoire départemental de la protection de l’enfance et à l’Observatoire national de la protection de l’enfance, sous forme anonyme, les informations relatives aux mesures, mentionnées aux articles L. 222-3, L. 222-4-2, L. 222-5 et L. 223-2 du présent code, aux articles 375-2, 375-3 et 375-9-1 du code civil, à l’article 1er du décret n° 75-96 du 18 février 1975 fixant les modalités de mise en œuvre d’une action de protection judiciaire en faveur de jeunes majeurs et à l’article 1183 du code de procédure civile, dont bénéficient des mineurs ou des majeurs de moins de vingt et un ans. Sont également transmises à l’Observatoire national de la protection de l’enfance, sous forme anonyme, les informations relatives aux mesures prévues au huitième alinéa de l’article 8, aux cinquième à avant-dernier alinéas de l’article 10, aux 2° à 5° de l’article 15, aux 2° à 4° de l’article 16 et aux articles 16 bis et 25 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ainsi qu’aux mesures de placement, à quelque titre que ce soit, dans les centres définis à l’article 33 de la même ordonnance, aux fins d’exploitation conditionnée à la succession ou la simultanéité de ces mesures avec les signalements ou mesures mentionnés à la première phrase du présent article, dans le cadre des missions mentionnées au premier alinéa de l’article L. 226-6 du présent code. La nature et les modalités de transmission de ces informations sont fixées par décret. » – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
L’article L. 221-2 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans chaque département, un médecin référent “protection de l’enfance”, désigné au sein d’un service du département, est chargé d’organiser des modalités de travail régulier et les coordinations nécessaires entre les services départementaux et la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, d’une part, et les médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire du département, d’autre part, dans des conditions définies par décret. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 12 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Dans chaque département, un professionnel de la protection de l’enfance, de préférence un médecin, est désigné comme référent “protection de l’enfance”, au sein d’un service du département. Il est chargé d’organiser des modalités de travail régulier et les coordinations nécessaires entre les services départementaux et la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, d’une part, et les médecins libéraux et hospitaliers ainsi que les médecins de santé scolaire du département, d’autre part, dans des conditions définies par décret. »
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Cet amendement vise à remplacer, dans la désignation du référent « protection de l’enfance », la mention du médecin par celle d’un professionnel de la protection de l’enfance, en précisant simplement « de préférence un médecin », étant entendu que cela ne change rien aux attributions du référent telles que les prévoit le texte de la commission
Nous avons évoqué cette question lors de la discussion générale : il importe de ne pas imposer la désignation systématique d’un médecin, car les départements ont parfois du mal à recruter des médecins pour ce poste, qui n’est pas susceptible de procurer une rémunération très attrayante, alors même que celle-ci est fixée non par les départements, mais par la réglementation.
M. le président. L’amendement n° 18 rectifié bis, présenté par Mme Doineau, MM. Morisset, Pierre et Kern, Mme Loisier, MM. Gabouty, Bonnecarrère et Canevet, Mme Férat, MM. Chasseing, Détraigne et Commeinhes, Mme Lopez, MM. Houpert, Longeot, L. Hervé et Maurey, Mme Billon, MM. Lasserre et Luche, Mme Gatel, MM. Danesi, J.L. Dupont, Cigolotti, Laménie et Pellevat et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
un médecin
insérer les mots :
ou un professionnel de santé
La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Beaucoup de départements ont effectivement du mal à recruter des médecins.
Par ailleurs, nos cellules d’observation peuvent avoir recours ponctuellement à un médecin de PMI pour une situation complexe ; en revanche, il est plus difficile de le faire systématiquement.
Nous proposons donc d’étendre la fonction de référent à tout professionnel de santé, puéricultrice, infirmier ou autre.
M. le président. L’amendement n° 25 rectifié, présenté par M. Cardoux, Mmes Canayer et Cayeux, M. Chasseing, Mmes Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Deseyne, MM. Forissier et Gilles, Mmes Giudicelli, Gruny et Imbert, M. Lemoyne, Mmes Micouleau et Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller et Pinton, Mme Procaccia et MM. D. Robert, Savary et Mandelli, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
désigné
par les mots :
peut être désigné
et les mots :
est chargé d’
par le mot :
pour
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Le problème du manque de médecins est bien connu ; je l’ai vécu dans mon département, à une époque. Rendre obligatoire la présence d’un médecin de PMI pourrait aboutir à mettre certains départements hors la loi : en effet, malgré leurs efforts pour recruter un médecin, ils n’y parviendront pas nécessairement.
Bien que s’inscrivant dans la même logique que l’amendement précédent, mon amendement présente une légère variante : il réaffirme l’intérêt pour les départements de recruter un médecin de PMI, tout en en faisant une simple faculté.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. J’émets un avis défavorable sur chacun de ces amendements.
Nous avions discuté, en première lecture, de la place du médecin référent, en décidant que son rôle ne devait pas se limiter à la protection maternelle et infantile, mais pouvait s’étendre à l’ensemble des services départementaux.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas du recrutement d’un nouveau médecin, mais de la désignation d’un médecin référent au sein des services du département. En effet, qu’on le veuille ou non – et les médecins présents dans cet hémicycle ne me démentiront pas –, un médecin parle plus volontiers avec un confrère lorsqu’il s’agit d’évoquer un doute, un diagnostic ou une suspicion de mauvais traitement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je comprends l’esprit de ces différents amendements. J’aurais pu leur donner un avis favorable si cet article n’était pas justement inspiré par le fait que, comme l’a dit à l’instant Michelle Meunier, les médecins préfèrent parler aux médecins.
Nous avons, les uns et les autres, identifié la difficulté des médecins de ville à s’impliquer dans des situations préoccupantes tenant à la protection de l’enfance. Nous reparlerons très prochainement de cela, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de Mme Giudicelli.
En prévoyant la désignation d’un médecin, nous avons fait le choix de l’efficacité, tout en manifestant notre volonté de voir les médecins s’investir davantage.
Bien sûr, il aurait été préférable de faire référence à un professionnel de santé. D’ailleurs, il ne s’agit pas du seul domaine concerné : il existe de multiples tâches qui pourraient utilement être déléguées à des professionnels de santé. Il reste que, aujourd’hui, les médecins ont plus confiance en d’autres médecins.
Je crains que, si ces amendements sont adoptés, on ne change pas grand-chose par rapport à ce qui se passe aujourd’hui. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’ai écouté avec beaucoup d’attention Mme la rapporteur et Mme la ministre, mais je pense malgré tout que l’adoption de l’amendement présenté par Mme Doineau permettrait, en cas de pénurie de médecins, d’avoir un professionnel de santé, puéricultrice ou autre, susceptible de remplir le rôle de référent. Parmi les trois amendements, c’est celui qui aurait ma préférence.
Je comprends le discours tenu par Mme la rapporteur et Mme la secrétaire d’État lorsqu’elles expliquent que « les médecins parlent aux médecins », mais je leur rappelle que, la semaine dernière, nous avons voté le dossier médical partagé, lequel peut être partagé au moins avec un professionnel de santé.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Je dois faire mon mea culpa, car la commission a donné un avis favorable sur l’amendement n° 18 rectifié bis, présenté par Mme Doineau.
Mme Catherine Deroche. C’est bien ce qu’il me semblait !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 18 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UDI-UC.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 12 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 204 |
Contre | 139 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote sur l’amendement n° 25 rectifié.
M. Jean-Noël Cardoux. L’amendement de Mme Doineau venant d’être adopté, après des propos empreints de sagesse de M. le président de la commission, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 25 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 11 amendements ; il en reste 44.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 13 octobre 2015 :
À neuf heures trente : vingt-quatre questions orales.
À quatorze heures trente : explications de vote des groupes sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.
De quinze heures quinze à quinze heures quarante-cinq : vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.
À quinze heures quarante-cinq : proclamation du résultat du scrutin public sur l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au droit des étrangers en France.
À seize heures :
Suite de la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la protection de l’enfant ;
Rapport de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 32, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 33, 2015-2016) ;
Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 718, 2014-2015).
À dix-huit heures : débat préalable à la réunion du Conseil européen des 15 et 16 octobre.
Le soir et la nuit :
Suite de la deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la protection de l’enfant ;
Rapport de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 32, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 33, 2015-2016) ;
Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 718, 2014-2015).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 13 octobre 2015, à zéro heure vingt.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART