compte rendu intégral
Présidence de M. Thierry Foucaud
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Pierre Leleux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 22 octobre a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Louis Jung, qui fut sénateur du Bas-Rhin de 1959 à 1995.
Il présida l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de 1986 à 1989.
Au nom de M. le président du Sénat et du Sénat tout entier, j’adresse à sa famille et à ses proches nos condoléances attristées.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes.
Cette liste a été publiée, et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
4
Nomination d’un membre du comité de déontologie parlementaire du Sénat
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, une lettre par laquelle celui-ci l’informe que, en application du chapitre XX ter de l’Instruction générale du bureau, le groupe Les Républicains a désigné M. François Pillet comme membre du Comité de déontologie parlementaire du Sénat, en remplacement de M. Jean-Jacques Hyest.
Acte est donné de cette communication.
5
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.
La commission des lois a fait connaître qu’elle propose les candidatures de Mme Éliane Assassi et de M. François-Noël Buffet pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
6
Dépôt de documents
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le tableau de programmation des mesures d’application de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques et le tableau de programmation des mesures d’application de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des finances ainsi qu’à la commission des lois pour le premier, à la commission des affaires économiques, à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, à la commission des affaires sociales, à la commission de la culture, à la commission des finances ainsi qu’à la commission des lois pour le second.
7
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la surveillance biologique du territoire pour l’année 2014.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires économiques ainsi qu’à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
8
Retrait d’une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1202 de M. Philippe Madrelle est retirée de l’ordre du jour de la séance du mardi 27 octobre 2015, à la demande de son auteur.
Acte est donné de cette communication.
9
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 23 octobre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 4231-1 du code du travail (Conditions d’hébergement collectif de salariés) (2015-571 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
10
Réutilisation des informations du secteur public
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public (projet n° 34, texte de la commission n° 94, rapport n° 93, avis n° 95).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de vous présenter le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, premier texte d’une série consacrée à l’open data et qui pose le principe très ambitieux de la gratuité.
La France est en pointe dans le partage des données produites ou détenues par les administrations ou les établissements publics à l’occasion de leur mission de service public. Les rendre disponibles au plus grand nombre stimulera l’activité ; j’y reviendrai.
Cette politique, mise en place depuis 2011, est pilotée par la mission Etalab, sous l’autorité du Premier ministre, grâce à un portail interministériel unique – data.gouv.fr – destiné à mettre à disposition ces données publiques de l’État. À ce jour, la mission Etalab a mis en ligne plus de 20 000 jeux de données publiques.
L’ambition du Gouvernement est très forte dans ce domaine depuis plusieurs années.
Dès le mois de mai 2012, le Président de la République a réaffirmé l’engagement de mettre à disposition gratuitement un grand nombre de données publiques. En octobre 2012, Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, a réaffirmé ce principe, qui a été acté lors du comité interministériel de décembre 2013.
Pourquoi le Gouvernement s’est-il engagé en faveur de cette évolution importante pour notre pays ?
D’abord, parce que la mise à disposition des données publiques est un levier de croissance, d’innovation et d’emplois. Ces données en elles-mêmes n’ont pas de valeur, mais leur réutilisation est génératrice d’activité économique.
Ensuite, parce que c’est un formidable levier de modernisation de l’État. Il s’agit d’un processus d’évolution vers un service public de meilleure qualité, rendu accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à tous, partout sur le territoire et de plus en plus personnalisé, grâce par exemple à l’introduction de la géolocalisation.
Enfin, parce que c’est un levier de rénovation de la démocratie. Vous le savez, la France a pris des engagements internationaux au sein du Partenariat pour le gouvernement ouvert, organisation internationale rassemblant soixante-cinq pays. L’ouverture des données est un moyen de réinventer le débat public, de s’orienter vers une plus grande transparence et une évolution de la gouvernance ; nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.
Je le rappelle, ce projet de loi procède avant tout à la transposition de la directive européenne du 26 juin 2013 – la deuxième en dix ans. En ma qualité de secrétaire d’État chargée de la simplification, j’ai veillé à limiter les éléments de surtransposition. Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur d’avoir été vigilant sur ce point en commission. J’ajoute qu’un certain nombre de dispositions concernant l’open data seront traitées dans le projet de loi pour une République numérique porté par Axelle Lemaire.
La transposition de la directive appelle très peu de mesures législatives dans notre pays, dans la mesure où notre législation est en avance sur celle des autres États. Elle impose néanmoins à la France de revoir sa législation sur trois points : le champ d’application des données réutilisables, la révision périodique des accords d’exclusivité et les principes de tarification de la réutilisation des données publiques. Elle retient, sur certains points, des exigences supérieures à celles qui figurent dans la directive, notamment en posant un principe de gratuité de la réutilisation des données publiques, tandis que le système européen promeut celui de la redevance. Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur ces points à l’occasion de l’examen des articles. Je m’en tiendrai donc à quelques observations.
Le présent texte a pour objet l’élargissement du champ d’application des obligations de rediffusion aux informations contenues dans les documents des établissements culturels : les bibliothèques, y compris universitaires, les musées et les archives. Il tend donc à supprimer le régime particulier qui prévalait auparavant. Ce retour au droit commun permet la diffusion et la réutilisation d’informations publiques à caractère administratif. Le ministère de la culture et de la communication s’est engagé de façon très dynamique dans cette politique d’ouverture des données.
Le projet de loi prévoit également l’encadrement des possibilités de recourir à des accords d’exclusivité.
La directive de 2013 apporte plusieurs modifications au régime des accords d’exclusivité. Elle crée notamment un régime particulier pour la numérisation des ressources culturelles. L’exclusivité porte non sur l’œuvre du domaine public, mais uniquement sur la copie numérisée. Dans tous les cas, une copie libre et gratuite des ressources numérisées est remise aux services ou établissements qui ont accordé le droit d’exclusivité ; nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de cette discussion.
Concernant l’instauration d’un principe de gratuité de la réutilisation des données, la directive européenne vise à plafonner le montant des redevances. Le Gouvernement souhaite, sur ce point, aller plus loin en fixant un principe de gratuité de la réutilisation des données. Nous avons consulté le Conseil d’État, qui a estimé que rien ne s’oppose à ce que le législateur prévoie la gratuité dans le cadre de cette transposition.
Ce principe est assorti de deux dérogations, l’une générale et l’autre particulière. La première s’applique aux organismes qui sont tenus de couvrir par des recettes l’exercice même de leur mission de service public. La seconde autorise le prélèvement de redevances lorsque la réutilisation porte sur des documents issus des opérations de numérisation des fonds et des collections des bibliothèques.
J’en viens aux apports du Sénat, qui sont importants. Je tiens à remercier la commission des lois pour son travail, son président, son rapporteur, M. Hughes Portelli, ainsi que les auteurs des amendements. Certains d’entre eux ont permis d’améliorer le texte, notamment en harmonisant la rédaction sur le « standard ouvert ».
Je souhaite, dès à présent, revenir sur quelques dispositions que vous avez votées et qui posent problème au Gouvernement.
Tout d’abord, vous avez réintroduit, à l’article 1er, un régime dérogatoire de réutilisation pour les informations produites ou reçues par les établissements et institutions d’enseignement et de recherche. Je tiens à vous rassurer sur le principe : il n’est absolument pas dans l’intention du Gouvernement de menacer le secteur de la recherche, qui bénéficie de protections importantes prévues par la loi portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, dite « loi CADA ».
Je veux aussi vous rassurer sur la méthode : croyez bien que nous avons procédé à la consultation des institutions en charge de ce secteur, lequel n’a pas émis de réserve sur les dispositions que proposait le Gouvernement. Je tiens d’ailleurs à le dire, le secteur de la recherche est l’un de ceux qui bénéficie le plus largement de la réouverture des données puisqu’il en est à la fois l’utilisateur et le réutilisateur.
Ensuite, vous avez adopté, à l’article 3, un amendement visant à élargir le champ des administrations habilitées à établir des redevances. Or cette disposition revient sur l’esprit de ce texte, qui est de poser un principe de gratuité et de prévoir la possibilité de redevances de manière très encadrée. Afin de s’inscrire dans la tradition française, le Gouvernement a voulu faire figurer dans la loi les jalons qui avaient été posés en y inscrivant pour la première fois le principe de gratuité, lequel stimule les échanges. Modifier l’équilibre que nous avions retenu serait, à mon sens, un retour en arrière.
Enfin, la rédaction de l’amendement à l’article 4, alinéa 3, qui prévoit que toute réutilisation doit donner lieu à l’établissement d’une licence, nous gêne un peu. Nous avons en effet le sentiment qu’il va produire un résultat inverse à celui que la commission recherchait. Il nous paraît opérer un retour en arrière et être en contradiction avec l’esprit du projet de loi. La volonté d’ouvrir les données et de permettre leur réutilisation gratuite est conforme aux pratiques en Europe. Cet amendement nous semble de nature à freiner la dynamique que nous souhaitons engager, poursuivre et accompagner.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour tout le travail que vous avez accompli. Sachez que je suis à votre disposition pour débattre avec vous de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui est en fait une partie du projet de loi pour la République numérique. Il en a été extrait afin de permettre de respecter – un tout petit peu… – les délais de transposition de la directive de 2013.
L’attitude des gouvernements successifs en matière de transposition des directives de l’Union européenne est tout, sauf vertueuse. En fait, comme disait Topaze, les gouvernements oscillent entre deux attitudes nettement caractérisées : tantôt, ils ne les transposent pas dans les délais, ce qui nous oblige à courir après les services de l’Union européenne pour éviter d’avoir à payer des amendes – ici, les délais de transposition sont dépassés depuis trois mois ! – ; tantôt, c’est l’inverse, c'est-à-dire que le gouvernement du moment anticipe la transposition et en rajoute sur le contenu, quitte à se trouver en porte-à-faux avec la version finale de la directive et, surtout, à créer des distorsions avec certains États membres. La France se retrouve alors soumise à des mesures, parfois un an avant les autres, auxquelles les autres membres de l’Union ne sont pas tenus.
Cette fois-ci, nous avons fait encore mieux puisque nous avons réalisé les deux choses en même temps : d’un côté, nous avons pris du retard dans la transposition de la directive et, de l’autre, nous l’avons surtransposée. Et cette surtransposition se trouve dans le projet de loi pour la République numérique ou, plus précisément, dans la partie du texte que vous avez retirée pour la soumettre aujourd'hui au Parlement !
Il n’est pas de bonne méthode de travailler ainsi. Il faut transposer les directives dans les délais et s’en tenir au contenu, rien de plus ! Si, dans le cadre des compétences qui demeurent à la République française, nous avons envie de légiférer, eh bien faisons-le mais ne faisons pas les deux choses en même temps, quand bien même les sujets seraient voisins, voire identiques ! La commission des lois est extrêmement sensible à cette question, et je pense que le Sénat le sera de plus en plus.
J’en viens à l’objet du texte.
Lors des auditions en commission, nous avons discuté avec les représentants de plusieurs organismes publics, ce qui nous a conduits à remarquer un certain nombre de phénomènes. Ainsi, le fait de prévoir sur le seul mode unilatéral des mesures qui ne sont pas visées par la directive peut parfois causer des difficultés aux organismes publics français.
Nous avons rencontré les responsables d’un service en charge de la cartographie maritime. Quand vous intervenez sur la Manche et la mer du Nord, vous vous trouvez inévitablement et immédiatement face à nos amis Anglais. Que se passe-t-il ? Les Britanniques achètent nos cartes pour la modique somme de 1 million d'euros, en payant une redevance. Nous faisons la même chose, c'est-à-dire que nous achetons leurs cartes pour un montant à peu près identique. Si, mus par un élan bien connu de générosité, nous nous amusons à supprimer notre système de redevance, eh bien les Britanniques ne paieront plus le million d’euros qu’ils nous versaient jusqu’à présent, au grand dam de notre service public ! En revanche, nous paierons toujours le million qu’ils continueront à nous réclamer.
M. François Bonhomme. Cela les fera rire !
M. Hugues Portelli, rapporteur. Messieurs les Anglais, tirez les premiers !
J’ai beaucoup de sympathie pour tous les membres de la société civile qui viennent sur les sites divers et variés à des fins de réutilisation des données. À cette réserve près qu’ils ne sont pas les seuls ! Beaucoup de ces utilisateurs de données, notamment celles qui concernent la recherche à caractère industriel, sont non de sympathiques membres de la société civile, mais des représentants de grosses multinationales étrangères qui se retrouveront désormais – si on suit jusqu’au bout la démarche – dispensés de payer la redevance qu’ils acquittaient jusqu’à présent. Il ne me paraît pas nécessaire de créer de telles distorsions !
J’ajoute un dernier élément. Lorsque l’on parle des organismes publics, on pense aux services de l’État, mais il ne faut pas oublier les collectivités territoriales, lesquelles sont amenées – pas fréquemment, mais cela arrive – à fournir des données et informations publiques. Or elles le font moyennant des redevances, en général extrêmement modiques mais utiles pour leurs finances. À l’heure où l’État réduit férocement les dotations aux collectivités territoriales, le moindre centime compte ! Il ne me paraît donc pas absolument nécessaire de dépouiller ces collectivités de redevances dont elles ont besoin, d’autant que ceux qui vont s’en servir auront des visées commerciales.
Mes chers collègues, les amendements que nous avons déposés sont d’une simplicité évangélique : ils visent à revenir à l’esprit de la directive. Lorsque le Gouvernement l’a respecté, nous l’avons suivi, contre l’avis de nos collègues de l’Assemblée nationale. Et lorsque le Gouvernement a oublié de le respecter, nous le lui rappelons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, déposé le 31 juillet 2015 sur le bureau de l’Assemblée nationale, constitue la transposition législative de la directive du 26 juin 2013 portant modification de la directive du 17 novembre 2003 relative à la réutilisation des informations du secteur public, dite « directive ISP ». Rappelons que cette transposition aurait dû être effective à la date où le présent texte a été déposé à l’Assemblée nationale.
Aux fins de transposition, le projet de loi modifie plusieurs dispositions de la loi du 17 juillet 1978, dite « loi CADA », laquelle a, la première, affirmé la liberté d’accès des citoyens aux documents administratifs. Depuis lors, ce texte n’a cessé d’évoluer en faveur d’un accès étendu à ces informations. Le projet de loi n’y fait pas exception : les modifications qu’il introduit élargissent le champ de la loi de 1978 aux documents détenus par les opérateurs culturels ; elles portent également sur le traitement des demandes de réutilisation des informations publiques, ainsi que sur les redevances et accords d’exclusivité attachés à cette réutilisation.
La transposition de la directive du 26 juin 2013 nécessite relativement peu de mesures législatives, non seulement, parce qu’elle-même ne modifie qu’à la marge la directive ISP, mais aussi parce que la législation française satisfait d’ores et déjà en grande partie aux modifications demandées aux États membres. Rappelons que la France appartient aux nations les plus avancées en matière d’open data.
Initiée dès les années 1970 avec la loi CADA, la transparence administrative a pris un nouvel élan avec l’arrivée du numérique. On citera notamment l’adoption, en janvier 1998, du programme d’action gouvernemental pour la société de l’information, la création, en 2007, de l’Agence du patrimoine immatériel de l’État, le lancement, en 2011, du portail data.gouv.fr, ou encore la mise en place, en 2014, d’un administrateur général des données produites par l’État et ses opérateurs.
La directive du 26 juin 2013 impose cependant à la France de revoir son dispositif sur trois points : le champ des données réutilisables, la révision périodique des accords d’exclusivité et les principes de tarification de la réutilisation des données publiques. Le projet de loi visant à la transposer en droit français comprend neuf articles, dont plusieurs concernent notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication, dans la mesure où ils visent à inclure dans le droit commun de l’accès aux informations publiques les documents détenus par les bibliothèques, y compris universitaires, les musées et les archives, jusqu’alors expressément exclus du champ de la directive du 17 novembre 2003.
Je n’entrerai pas dans le détail des dispositions proposées, après l’excellente présentation synthétique de notre collègue Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois. J’appelle toutefois votre attention sur les diverses dérogations accordées dans le projet de loi au secteur culturel, qui ont plus particulièrement intéressé notre commission.
À l’article 2, une dérogation est instaurée pour les ressources culturelles lorsqu’un tiers jouit d’une exclusivité pour la réutilisation d’informations publiques. La période d’exclusivité peut être supérieure à dix ans dès lors qu’elle est accordée pour les besoins de leur numérisation. Un réexamen est alors prévu tous les sept ans.
L’article 3, qui érige la gratuité comme principe général en matière de réutilisation des données publiques, dispose que, pour le secteur culturel, l’instauration d’une redevance est également autorisée lorsque les documents réutilisés sont issus d’opérations de numérisation des fonds et des collections des bibliothèques, des musées et des archives. Son montant peut alors prendre en compte les coûts de conservation et d’acquisition des droits de propriété intellectuelle. Il s’agit de continuer de permettre aux partenaires des organismes culturels publics d’amortir leurs investissements dans le cadre des programmes fort coûteux de numérisation des ressources.
Notons également que l’article 6, prenant en compte la surcharge de travail potentielle pour les établissements concernés, dispense les bibliothèques, les musées et les archives de l’obligation de mentionner dans leurs décisions de refus l’identité du titulaire des droits de propriété intellectuelle attachés au document.
Enfin, l’article 8 dispose que les accords d’exclusivité existants dans le secteur culturel devront prendre fin à l’échéance du contrat ou, au plus tard, le 18 juillet 2043, comme le prévoit la directive.
Au cours de sa réunion du 29 septembre, la commission des lois de l’Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications substantielles au projet de loi initial.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement le domaine qui intéresse notre commission de la culture, elle a précisé à l’article 3, d’une part, que la liste des administrations autorisées à percevoir une redevance fera l’objet d’une révision tous les cinq ans et, d’autre part, qu’un décret établira la liste des informations pouvant donner lieu à l’établissement d’une redevance pour leur réutilisation. En outre, à l’article 6, elle a élargi le champ de l’exception de motivation des refus formulés par les bibliothèques, les services d’archives et les musées et fondés sur l’existence d’un droit de propriété intellectuelle aux décisions défavorables relatives à la réutilisation. Elle était auparavant limitée à l’accès.
La séance publique du 6 octobre n’a apporté que des changements minimes à l’équilibre trouvé en commission des lois de l’Assemblée nationale entre les objectifs ambitieux affichés par la France en matière d’open data et le texte moins téméraire de la directive. L’article 2 a cependant fait l’objet d’une modification plus franche, consistant à limiter la durée des accords d’exclusivité conclus pour la numérisation des ressources culturelles à quinze ans, avec un réexamen au cours de la onzième et de la treizième année. Cette limitation ne s’appliquera toutefois pas aux accords conclus entre personnes publiques dans le cadre de leurs missions de service public, dans le respect du droit de la concurrence. Cette exception répond spécifiquement à la situation des musées liés à la réunion des musées nationaux, la RMN, laquelle dispose de l’exclusivité de numérisation des reproductions photographiques de leurs œuvres. À l’article 3, les députés ont également décidé que le montant des redevances serait révisé au moins tous les cinq ans.
La commission et le Gouvernement ont pris soin d’éviter tout risque de surtransposition du texte européen, en application de la récente décision du Conseil constitutionnel, qui, le 13 août 2015, a amplement censuré la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne sur ce motif. Aussi les amendements risquant de trop élargir le champ de la transposition ont-ils été écartés. Ce principe appliqué, le projet de loi a été adopté à l’unanimité en commission des lois comme en séance publique par nos collègues députés.
Lors de sa réunion du 14 septembre, notre commission de la culture s’est saisie pour avis du projet de loi, la commission des lois, à laquelle incombe toute modification de la loi du 17 juillet 1978, étant chargée d’examiner le texte au fond. Dans un calendrier contraint, nos travaux d’audition se sont concentrés sur les principaux établissements culturels concernés par la réforme, dont les responsables se sont déclarés satisfaits de la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Comme je vous l’indiquais en préambule, la transposition de directive que nous examinons porte sur des sujets sur lesquels la France est déjà fort avancée. En outre, les arbitrages rendus en réunions interministérielles ont conduit à exclure du texte les mesures allant au-delà de la stricte transposition – la gratuité mise à part – et à les renvoyer au projet de loi pour une République numérique.
Malgré sa faible envergure, le présent projet de loi constitue une étape supplémentaire appréciable en matière d’open data. À cet égard, l’affirmation d’un principe de gratuité, dans le respect des contraintes propres des établissements culturels, représente une véritable avancée, comme l’introduction des ressources culturelles dans le champ de la loi de 1978. L’ouverture des données publiques constitue en effet un important levier de croissance, d’innovation et d’emplois pour nos entreprises, un outil sans précédent de modernisation de l’État et des services publics et un instrument au service d’une démocratie plus transparente et collaborative.
Le Sénat a toujours fait preuve d’un intérêt certain pour ces enjeux. La mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques a d’ailleurs récemment proposé plusieurs mesures ambitieuses destinées à améliorer l’effectivité et l’exhaustivité de l’accès aux données et de leur réutilisation.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale est conforme à ces objectifs. Il s’éloigne, en revanche, sur plusieurs points de la directive dont il assure la transposition en droit français.
Outre les contraintes élevées imposées aux collectivités territoriales par le nouvel article 1er B, j’insisterai sur les difficultés que pose, à l’article 2, l’élargissement du champ des éléments constitutifs des accords passés pour la numérisation des ressources culturelles devant être portés à la connaissance du public. Ces difficultés sont non seulement juridiques, s’agissant du respect du secret des affaires, mais aussi économiques, dans la mesure où cette disposition risque d’être préjudiciable au développement indispensable de ce type de partenariats.
Ces réflexions ont également guidé celle de notre collègue Hugues Portelli, puisque ces deux points ont été modifiés par la commission des lois lors de sa réunion du 21 octobre. Je salue également son initiative relative au maintien du régime dérogatoire actuellement en vigueur pour la réutilisation des données détenues par les organismes de recherche et d’enseignement supérieur, qu’il cantonne toutefois aux informations produites dans le cadre de leurs activités de recherche. Ces organismes conserveront la faculté de fixer les modalités de réutilisation de ces données de recherche, afin de préserver leur potentiel scientifique et technique.
Compte tenu de son soutien à l’esprit du texte, des contraintes du calendrier législatif l’obligeant à se réunir concomitamment à la commission des lois et de l’intérêt des amendements proposés par notre collègue Hugues Portelli, notre commission de la culture, de l’éducation et de la communication a donné un avis favorable à l’adoption du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)