Sommaire
Présidence de Mme Françoise Cartron
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.
2. Dépôt du rapport d'une commission d'enquête
3. Candidature à un organisme extraparlementaire
4. Convention internationale. – Adoption définitive en procédure accélérée et en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
5. Échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers. – Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
6. Droits des malades et des personnes en fin de vie. – Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
M. Gérard Dériot, corapporteur de la commission des affaires sociales
M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Mme Marisol Touraine, ministre
Clôture de la discussion générale.
7. Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
8. Questions d'actualité au Gouvernement
situation des chambres d'agriculture en bretagne
M. Joël Labbé ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
retraites et pensions de réversion
Mme Michelle Demessine ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
charte européenne des langues régionales
M. François Marc ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
politique fiscale du gouvernement
M. Jean-Léonce Dupont ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Jean-Léonce Dupont.
politique fiscale du gouvernement
M. Daniel Laurent ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
Mme Hermeline Malherbe ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
Mme Marie-Pierre Monier ; Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes.
réforme de la dotation globale de fonctionnement
M. Philippe Bonnecarrère ; Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Philippe Bonnecarrère.
M. Michel Bouvard ; Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique.
M. Antoine Karam ; Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer.
M. Gérard Cornu ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Gérard Cornu.
M. Marc Laménie ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; M. Marc Laménie.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
10. Modification de l’ordre du jour
11. Droits des malades et des personnes en fin de vie. – Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Amendement n° 24 rectifié ter de M. Didier Mandelli. – Non soutenu.
Adoption de l’article.
Amendement n° 28 du Gouvernement. – Rejet par scrutin public.
Adoption de l’article.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Amendement n° 21 de M. Gilbert Barbier. – Retrait.
Amendement n° 8 rectifié de Mme Dominique Gillot. – Rejet.
Amendement n° 13 rectifié bis de M. Dominique de Legge. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 5 de M. François Pillet, rapporteur pour avis. – Rejet.
Amendement n° 23 rectifié ter de M. Didier Mandelli. – Retrait.
Amendement n° 1 rectifié de M. Olivier Cadic. – Rejet par scrutin public.
Amendement n° 2 rectifié de M. Olivier Cadic. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié de M. Olivier Cadic. – Rejet.
Amendement n° 11 rectifié bis de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 16 de Mme Annie David. – Rejet.
Amendement n° 20 rectifié de M. Jean-Pierre Godefroy. – Rejet.
Amendement n° 22 de Mme Corinne Bouchoux. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 14 rectifié bis de M. Dominique de Legge. – Retrait.
Amendement n° 25 rectifié ter de M. Didier Mandelli. – Retrait.
Adoption de l’article.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
Amendement n° 9 rectifié de Mme Dominique Gillot. – Retrait.
Amendement n° 17 de Mme Annie David. – Retrait.
Amendement n° 6 de M. François Pillet, rapporteur pour avis. – Adoption.
Amendement n° 7 de M. François Pillet, rapporteur pour avis. – Adoption.
Amendement n° 10 rectifié de Mme Dominique Gillot. – Rejet.
Amendement n° 26 de la commission. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 27 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 18 de Mme Annie David. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 15 rectifié bis de M. Dominique de Legge. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 19 de Mme Annie David. – Rejet.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt du rapport d'une commission d'enquête
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu hier un rapport de M. Jacques Mézard au nom de la commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée le 4 mai 2015, à l’initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en application de l’article 6 bis du règlement.
Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et décrets », de ce jour. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’Instruction générale du Bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.
Ce rapport sera publié sous le n° 126, le mercredi 4 novembre 2015, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.
3
Candidature à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.
La commission des lois propose la candidature de M. Mathieu Darnaud pour siéger comme titulaire au sein de cet organisme.
Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
4
Convention internationale
Adoption définitive en procédure accélérée et en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part (projet n° 559 [2014-2015], texte de la commission n° 57, rapport n° 56).
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure simplifiée.
Je vais donc le mettre aux voix.
projet de loi autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'union européenne et la communauté européenne de l'énergie atomique et leurs états membres, d'une part, et la géorgie, d'autre part
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la Géorgie, d'autre part (ensemble trente-quatre annexes et quatre protocoles), signé à Bruxelles le 27 juin 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
5
Échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers
Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (projet n° 651 [2014-2015], texte de la commission n° 60, rapport n° 59).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, non, je ne me suis pas égaré ! (Sourires.) M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, qui ne peut être au Sénat ce matin, vous prie de bien vouloir l’excuser et m’a demandé de vous présenter le projet de loi de ratification concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, texte que le Gouvernement considère comme essentiel. C’est donc avec grand plaisir que je suis ici ce matin.
L’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations financières à des fins fiscales est une manifestation majeure au niveau mondial et très concrète des progrès de la transparence fiscale. Il est aussi, dans ce cadre, l’expression de la coopération développée par les États pour répondre aux phénomènes de fraude et d’évasion qui portent atteinte aux recettes publiques et à l’égalité devant l’impôt. Ainsi, il traduit un véritable changement d’époque.
La France, s’appuyant sur le mouvement lancé par les États-Unis avec la « loi FATCA » – Foreign Account Tax Compliance Act – de 2010, s’implique, depuis plusieurs années déjà, dans la promotion d’un mécanisme d’échange automatique d’informations financières à des fins fiscales, multilatéral et réciproque, qui a vocation à s’étendre sur le plan mondial. Elle a d’ailleurs été très active en la matière au sein du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE.
En ce sens, notre pays a coopéré avec ses partenaires du G5 : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Ensemble, nous avons en particulier encouragé l’OCDE à travailler de manière intensive, dans l’objectif d’élaborer un standard technique d’échange automatique d’informations.
En même temps, nous nous sommes engagés dès 2013 à appliquer ce standard sans retard, dès qu’il serait techniquement au point, entraînant derrière nous plusieurs dizaines d’États et de territoires, qui se sont appelés les « précurseurs ».
Dans la droite ligne de ces actions, l’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations, fondé sur le tout nouveau standard de l’OCDE, a été annoncé par M. Michel Sapin et ses homologues allemand, britannique, espagnol et italien lors d’une réunion qui s’est tenue à Paris le 28 avril 2014. Il a ensuite été signé à Berlin le 29 octobre de cette même année par une cinquantaine d’États et territoires. La magie de l’ordre du jour fait que c’était il y a tout juste un an !
Aujourd'hui, cet accord compte soixante et un adhérents au total, dont la Suisse.
De manière simultanée, et en cohérence avec ces avancées mondiales, l’Union européenne s’est aussi accordée sur une directive sur ce sujet lors d’une réunion du Conseil de l’Ecofin qui a eu lieu le 9 décembre dernier.
À ce jour, trente-trois pays, parmi lesquels on peut citer des centres financiers importants tels que Hong Kong et Singapour, sont engagés à échanger automatiquement des informations financières avec les administrations fiscales étrangères, en prévoyant les premières transmissions de données en 2017, comme ce sera le cas pour la France et les États membres de l’Union européenne, ou en 2018.
L’échange automatique prévu, qui est très large puisqu’il porte sur les comptes bancaires et les contrats d’assurance vie des contribuables, ainsi que leur solde ou valeur de rachat et les revenus financiers perçus, permettra à chaque autorité fiscale d’identifier de manière très efficace les risques de fraude fiscale liés à la dissimulation, par ses résidents, d’avoirs à l’étranger. Il se place en amont de l’assistance mutuelle sur demande entre les administrations, qui reste un outil nécessaire pour conduire, pour approfondir et pour confirmer les investigations du contrôle fiscal. D’ailleurs, il a déjà un effet dissuasif très puissant.
À cet effet, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons créé un service de traitement des déclarations rectificatives, qui permet aux contribuables de régulariser leur situation, en acquittant l’intégralité des droits, intérêts de retard et pénalités prévues par la loi. Ainsi, 2 milliards d’euros de recettes ont été recouvrés en 2014, et plus de 2,6 milliards d’euros sont attendus en 2015.
Par ailleurs, je souligne que, avec nos partenaires, notamment au sein de l’Union européenne, nous avons veillé à fixer toutes les règles pour que les données échangées, dont nous mesurons l’importance pour les contribuables, restent confidentielles. De manière générale, celles-ci devront bénéficier des règles de protection exigées par notre droit.
L’entrée en vigueur de ce dispositif est prévue le 1er janvier 2016, et des travaux sont en cours pour faire en sorte qu’elle se déroule de la manière la plus satisfaisante possible. Cela suppose d’identifier les contraintes des différentes parties prenantes et d’en tenir compte dans la mesure du possible.
Dans cet esprit, les services du ministère des finances échangent régulièrement avec les institutions professionnelles représentatives des établissements financiers sur les diligences que ces derniers devront accomplir pour collecter les informations déclarables et les déclarations qu’ils devront déposer.
À cet égard, l’une des difficultés à résoudre réside dans le fait que l’identification des personnes à déclarer porte non pas uniquement sur les contribuables d’un État, comme c’est le cas avec le « système FATCA » en vigueur aux États-Unis, mais sur les résidents de très nombreux pays, dont le nombre a vocation à s’accroître encore pour couvrir in fine tous les clients non résidents.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, cet accord est crucial dans la mesure où il est de nature à concrétiser les actions conduites par les pouvoirs publics, notamment au niveau international, pour développer des réponses qui soient à la hauteur des enjeux face à la fraude et à l’évasion fiscales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État – ne vous inquiétez pas, nous n’allons pas vous imposer un marathon ce matin… (Sourires.) –, madame la présidente de la commission des finances, grande spécialiste, entre autres sujets, de la FATCA,…
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Je vous remercie, mon cher collègue !
M. Éric Doligé, rapporteur. … mes chers collègues, le passage à l’échange automatique d’informations fiscales, priorité politique majeure portée par les pays de l’OCDE et du G20, est la clé de voûte de la lutte contre le secret bancaire, qui permet à des particuliers de dissimuler leurs actifs à l’étranger.
Comme vient de l’expliquer M. le secrétaire d’État, la coopération fiscale entre les États repose aujourd’hui sur l’échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas, ce qui suppose de savoir ce que l’on cherche et de s’adresser à un partenaire de bonne volonté, deux conditions qui sont loin d’être toujours réunies.
Pour que l’échange automatique dépasse le stade du vœu pieu, il a fallu la loi « FATCA », cette initiative unilatérale et, à vrai dire, quelque peu cavalière des États-Unis, adoptée en 2010. N’ayant plus guère le choix, les pays européens, puis les pays du G20, se sont mobilisés, et ont confié à l’OCDE le soin d’élaborer une « norme commune de déclaration » multilatérale.
C’est cette norme que reprend le présent accord multilatéral, que quatre-vingt-quatorze États se sont engagés à signer à Berlin le 29 octobre 2014, voilà tout juste un an aujourd'hui, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État.
Le champ de la norme commune de déclaration est très large et couvre un grand nombre d’informations, de comptes déclarables et d’institutions financières. Ces dernières doivent mettre en œuvre une série de « diligences raisonnables », afin d’identifier les comptes de non-résidents.
Les données seront collectées à partir du 1er janvier 2016, et les premiers échanges d’informations entre les États auront lieu avant le 30 septembre 2017.
Le passage à l’échange automatique constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Il a d’ores et déjà produit des effets tangibles. La seule perspective du recul du secret bancaire a conduit de nombreux contribuables disposant d’actifs dissimulés à se manifester auprès du service de traitement des déclarations rectificatives, le STDR.
Cette épée de Damoclès devrait permettre à l’État de collecter près de 2,7 milliards d’euros de droits et pénalités en 2015.
L’accord multilatéral de l’OCDE souffre toutefois d’une faiblesse importante par rapport à la loi FATCA : il ne présente pas de caractère contraignant. Il procède, en effet, d’une approche multilatérale et volontaire, qui fait reposer sur les grands États, parmi lesquels la France, la responsabilité de tout faire pour convaincre les autres de les suivre. Faute d’une telle mobilisation internationale, certaines banques pourraient tout simplement proposer à leurs clients de déplacer leurs comptes dans des juridictions non signataires, où le secret bancaire demeurerait intact.
L’autre faiblesse du dispositif tient aux incompatibilités entre le standard OCDE et la loi FATCA.
La première différence entre ces dispositifs, une différence majeure, réside dans la non-réciprocité du second : à ce jour, les États-Unis n’ont encore transmis aucune information à la France, et, de toute façon, l’accord ne prévoit pas la communication du solde des comptes. Peut-être M. le secrétaire d’État pourra-t-il nous indiquer si des avancées sont envisageables, au-delà des déclarations d’intentions. Que les États-Unis n’aient pas signé l’accord multilatéral doit-il nous inquiéter à cet égard ?
M. Robert del Picchia. Oui !
M. Éric Doligé, rapporteur. La deuxième différence résulte du champ d’application de la loi FATCA. Celle-ci, en effet, définit les contribuables américains en fonction non seulement de la résidence, mais aussi de la nationalité et d’autres critères.
La troisième différence provient des seuils et des définitions, qui ne sont pas toujours identiques.
À notre demande, la direction de la législation fiscale a élaboré un comparatif détaillé des normes FATCA et OCDE, annexé au rapport de la commission des finances.
L’avancée qu’a représentée la signature de l’accord multilatéral a ouvert la période, tout aussi importante, de sa mise en œuvre technique. Dans cette perspective, les établissements financiers et la direction générale des finances publiques ont mis en place une infrastructure informatique fondée sur le système préalablement conçu pour l’application de la loi FATCA.
À cet égard, je souhaite interpeller le Gouvernement sur quatre sujets.
Premièrement, il paraît nécessaire d’adapter notre droit interne. En effet, alors que l’identification des comptes déclarables suppose que les banques procèdent à un balayage complet de leurs comptes, destiné à déceler les indices de non-résidence, il semble que l’article 1649 AC du code général des impôts ne permette pas, à ce jour, de procéder à un tel balayage complet. Des ajustements pourraient-ils intervenir dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 ou du projet de loi de finances rectificative pour 2015 ? M. Sapin devrait, à mon avis, y réfléchir sérieusement.
Deuxièmement, il serait souhaitable de prévoir une période transitoire pédagogique d’un an ou deux, afin de permettre aux établissements financiers de perfectionner ce nouveau système. On ne peut exclure, en effet, que quelques erreurs ou omissions soient commises dans les premiers temps ; pendant la période transitoire, celles-ci ne seraient pas sanctionnées, pourvu qu’elles soient involontaires et promptement corrigées. Le Gouvernement est-il ouvert à une telle éventualité ? Je signale que le gouvernement des États-Unis, après avoir fixé un délai impératif dans la loi FATCA, a dû admettre qu’un allongement était nécessaire.
Troisièmement, l’amende prévue par notre droit interne, de 200 euros par compte, semble bien faible.
M. François Marc. En effet !
M. Éric Doligé. N’y a-t-il pas là une incitation pour les banques à oublier, pour ainsi dire, de déclarer les comptes les plus importants ? Payer 200 euros pour en dissimuler 10 millions pourrait être tentant pour certains établissements...
Quatrièmement, la commission des finances s’interroge sur la non-publication, parfois depuis plusieurs années, de textes importants. Je pense en particulier à la liste annuelle des États et territoires non coopératifs, qui n’a pas été mise à jour depuis 2014, et aux annexes budgétaires relatives à la coopération fiscale et aux contrôles fiscaux des entreprises multinationales. Est-ce parce que de grands changements se préparent ?
Ces quatre remarques étant faites, il faut revenir à l’essentiel : l’accord multilatéral signé par la France le 29 octobre 2014 marque une avancée majeure, en ce qu’il vise à faire de l’échange automatique le nouveau standard mondial, multilatéral et pleinement réciproque.
M. François Marc. Très bien !
M. Éric Doligé, rapporteur. C’est pourquoi j’invite le Sénat à adopter sans modification le projet de loi autorisant son approbation ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la signature de l’accord multilatéral sur l’échange automatique d’informations financières est la concrétisation d’une inflexion politique majeure au niveau international, qui paraissait inenvisageable il y a quelques années encore.
Après la crise financière de 2007 et 2008, dont nous continuons de subir les conséquences, les principaux États de la planète ont enfin résolu de s’attaquer aux fléaux de l’évasion et de l’optimisation fiscales ; on se souvient notamment des engagements pris à l’issue du premier G20, à Londres, en 2009.
Toujours est-il que, face aux insuffisances de la gouvernance mondiale, c’est l’initiative unilatérale des États-Unis d’adopter en 2010 la loi FATCA – une initiative plutôt brutale, disons-le – qui a véritablement mis à l’ordre du jour la levée générale du secret bancaire par le biais de l’échange automatique de données. Depuis lors, la France a conclu un accord bilatéral avec les États-Unis afin de garantir une forme de réciprocité dans nos relations avec l’administration fiscale américaine.
L’accord dont l’approbation nous est proposée, signé voilà un an jour pour jour par une cinquantaine de pays, vise à mettre en place l’échange automatique de données financières sur une base multilatérale, égalitaire et réciproque. Avec les autres grands pays européens, la France joue un rôle de leader dans ce processus. L’enjeu, mondial, est également national, puisque l’évasion fiscale entraîne chaque année une perte de 80 à 100 milliards d’euros pour l’État français. C’est plus que le déficit public !
La lutte contre la fraude fiscale aux niveaux national et européen commence à porter ses fruits, mais le combat doit être poursuivi car il reste un long chemin à parcourir pour réaliser une véritable harmonisation fiscale.
Si nous accueillons favorablement cet accord, je tiens néanmoins à signaler certaines faiblesses qu’il présente, car elles doivent nous inciter à la vigilance.
D’abord, ses stipulations ne sont pas contraignantes, de sorte que son efficacité dépendra de son portage politique par quelques grands pays. Ensuite, l’échange automatique n’est pas exempt de difficultés techniques ; sa mise en œuvre effective reposera largement sur les capacités juridiques et administratives de tel ou tel pays ou territoire. Enfin, alors qu’il s’agit d’échanger des données à caractère personnel, la recherche de la justice fiscale ne doit pas se faire contre les libertés individuelles, auxquelles nous sommes tous attachés, mais avec le souci de les préserver : veillons donc à contrôler l’usage qui pourra en être fait par des administrations étrangères.
Reste que nous saluons cet accord multilatéral et espérons qu’il pourra être rapidement mis en œuvre. L’ensemble des membres du RDSE voteront le projet de loi autorisant son approbation ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la fraude fiscale constitue pour notre pays, pour l’Europe et, plus largement, pour le monde une véritable priorité politique.
De fait, de nombreuses études soulignent chaque année le manque à gagner considérable résultant de la fraude fiscale. Rien que pour notre pays, les différentes formes d’évasion et de fraude fiscales représenteraient environ 60 milliards d’euros par an ! L’état actuel de nos finances publiques rend cette situation encore plus insupportable. De là l’urgente nécessité d’agir.
Voilà longtemps que notre assemblée a pris conscience de l’importance de ces enjeux. En juillet 2012, une première commission d’enquête, après avoir travaillé sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, a conclu à l’impérieuse nécessité de faire cesser la fraude fiscale. Une seconde commission d’enquête, formée en 2013, a étudié le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux ; elle s’est intéressée aux mécanismes des évasions fiscales, afin de mieux connaître les fraudes pour mieux les combattre. Le Sénat a constamment alerté l’opinion publique et l’exécutif sur la nécessité d’agir vite et fort.
Il a toutefois fallu attendre l’exemple des États-Unis, qui ont doté leur administration fiscale de moyens inédits par l’adoption en 2010 de la loi FATCA, pour voir les choses évoluer en Europe. Malgré le temps perdu, la France peut se féliciter de sa forte mobilisation pour faire aboutir un processus auquel plusieurs de nos partenaires européens étaient hostiles.
Conscient de l’importance d’un accord international dans ce domaine, l’exécutif a signé à Berlin, le 29 octobre 2014, un accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers. Cet accord, signé sous l’égide de l’OCDE, comporte une avancée majeure : alors que, jusqu’à présent, la coopération fiscale entre États reposait sur l’échange d’informations à la demande entre les différentes administrations fiscales, il prévoit l’automatisation des échanges d’informations.
Ambitieux par le caractère des informations dont il prévoit la transmission, cet accord l’est également par l’étendue des comptes qu’il rend déclarables et par les types d’institutions financières qu’il soumet à l’obligation déclarative. Il devrait donc marquer une réelle avancée dans la lutte contre la fraude fiscale. Dans une certaine mesure, il a même déjà porté ses fruits, la perspective d’un recul du secret bancaire ayant poussé certains de nos contribuables à régulariser leur situation.
Le texte de l’accord présente néanmoins certaines faiblesses, comme l’a souligné M. le rapporteur, dont nous tenons à saluer le travail. Ainsi, contrairement à son équivalent américain, l’accord multilatéral de l’OCDE n’est pas contraignant. Nous sommes encore loin de la loi américaine qui contraint tous les établissements financiers du monde à transmettre à l’Internal Revenue Service, l’IRS, l’ensemble des informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d’être exclus du marché américain ! Nous devons donc rester vigilants et mobilisés, afin que la plupart des États de la planète rejoignent le dispositif d’échange automatique des données.
De même, l’accord présente la faiblesse d’être incompatible avec la loi américaine. De fait, les normes et les méthodes de la loi FATCA et celles de l’accord de l’OCDE sont malheureusement très différentes. L’échange automatique devrait tendre à long terme vers un standard unique, multilatéral et réciproque : ce n’est pas le chemin que nous empruntons avec cet accord.
En dépit de ces imperfections, l’accord ouvre la voie à un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales des particuliers à l’échelle internationale. Les sénateurs du groupe UDI-UC sont donc favorables à son approbation ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise des marchés financiers de 2008, provoquée par l’incidence systémique de l’interaction des décisions bancaires, a étalé sous les yeux de l’opinion publique les errements dans lesquels se fourvoyaient de plus en plus gravement la majeure partie des places boursières, ainsi que les limites de la croissance ininterrompue de l’industrie financière.
Chacun se souvient que cette situation a nécessité d’importants efforts de redressement de la part des États. Ceux dont le système bancaire était le plus lourdement atteint ont même dû intervenir de manière massive, et parfois peu prudente au regard des capacités de leur économie. Les exemples du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne et de la Grèce sont là pour nous montrer ce à quoi nous étions parvenus.
Le moment de vérité de 2008 s’est prolongé par un intérêt renouvelé pour les questions fiscales, alors que la meilleure connaissance de l’activité des établissements financiers avivait l’attention prêtée à ces problèmes. Évasion, fraude et optimisation fiscales, paradis fiscaux et autres ports francs ont dès lors fait irruption dans le débat public, conduisant l’OCDE à recommander une politique de développement des conventions fiscales internationales et les États à définir de nouvelles règles de fonctionnement des marchés.
Le Sénat, sur l’initiative de notre groupe, qui a provoqué la formation de deux commissions d’enquête particulièrement riches d’enseignements, a apporté sa contribution à l’amélioration de la connaissance des activités financières et de la transparence de celles-ci. Ce travail a débouché sur des textes législatifs d’une importance relative, qui sont comme autant de pas, même timides, dans la bonne direction. Souvenons-nous, mes chers collègues, que les pertes pour le budget de la France représentent de 60 à 80 milliards d’euros par an !
Sans pousser trop loin la controverse, il faut bien constater que la loi de séparation et de régulation des activités bancaires n’a pas eu les effets escomptés. Quant aux textes visant à combattre la délinquance financière, ils commencent à peine à présenter quelque efficacité. C’est dans cette filiation, si l’on peut dire, que nous plaçons le présent projet de loi, qui vise à autoriser l’approbation de l’accord sur l’échange automatique d’informations fiscales entre administrations compétentes des États souverains, destiné à assurer une plus grande transparence de la situation des particuliers disposant de revenus d’origines internationales diverses.
Il faut dire que l’initiative des États-Unis, avec la loi FATCA, a également contribué à bousculer les établissements bancaires, même si on peut regretter sa non-réciprocité.
L’accord qui nous est soumis ne peut évidemment que recevoir notre assentiment. Sans être l’arme fatale qui permettra de régler une bonne fois pour toutes les travers de l’évasion et de l’optimisation fiscales, il constitue une étape nécessaire – fût-elle timide – sur la bonne voie.
La même démarche à l’endroit des entreprises à vocation transnationale plus ou moins affirmée représenterait sans doute une avancée majeure autrement plus pertinente et plus « parlante » que celle définie par le présent texte. Toutefois, il ne faut pas bouder une honnête satisfaction : nous voterons évidemment ce texte.
Le poids d’une opinion publique toujours sensible à l’égalité fiscale et hostile à tous ceux qui tentent de s’y soustraire nous est utile pour faire avancer ce sujet. Au demeurant, le rapport de notre collègue Éric Doligé nous informe sur l’activité du service de traitement des déclarations rectificatives où viennent s’amender les fraudeurs – passifs et actifs – qui sont désireux de se mettre en règle avec notre diligente administration fiscale. Ces fraudeurs y trouvent d’ailleurs un intérêt puisque, en régularisant leur situation, ils encourent des pénalités allégées.
Même si nous pouvons regretter que la mansuétude de l’administration s’exerce encore à l’endroit de ceux qui ont fraudé le fisc, nous voterons en faveur de ce texte, qui fait partie de ces avancées que notre collègue Éric Bocquet, qui n’a pas pu être présent ce matin, appelait de ses vœux dans les rapports qu’il a élaborés au titre des commissions d’enquête sénatoriales sur l’évasion des capitaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a encore une dizaine d’années, on entendait beaucoup dire que les moyens mis en œuvre par les fraudeurs fiscaux étaient tellement complexes, qu’ils protégeaient des intérêts si puissants, qu’ils se développaient dans des lieux tellement opaques que la lutte contre ces pratiques était forcément vaine, voire perdue d’avance. Il est vrai que, rétrospectivement, on s’aperçoit que la tâche était énorme.
L’évasion fiscale n’a rien d’un grand flux que l’on pourrait stopper en actionnant une grande vanne. Au contraire, il existe « des » évasions fiscales ! Elles sont complexes, entremêlées, nébuleuses. Elles sont structurées par une véritable industrie qui prospère en court-circuitant nos richesses nationales au profit d’acteurs privés, mais aussi publics, pour lesquels il s’agit d’un véritable fonds de commerce. Encore aujourd’hui, les chiffres du manque à gagner fiscal donnent le tournis !
Pour lutter contre ce système organisé, il a fallu rassembler une série de qualités, dont une certaine forme de ténacité et de constance, ainsi qu’une méthode articulée sur trois points.
Tout d’abord, il fallait comprendre. La technicité de la matière était telle qu’il était indispensable de travailler à mieux l’appréhender. La Haute Assemblée a d’ailleurs joué son rôle ; je veux rappeler les travaux menés sur ce sujet, depuis 2011, par les commissions d’enquête successives, dont je reconnais ici quelques contributeurs avec lesquels j’ai partagé ces moments d’investigation. Le groupe de travail sur la fiscalité du numérique, qui a récemment rendu ses conclusions, complète cet ensemble documentaire qui a, je l’espère, contribué à éclairer le chemin sur lequel nous nous sommes engagés et la voie sur laquelle il faut poursuivre.
Ensuite, il s’agissait de s’entourer. Puisqu’il est établi qu’aucun État ne peut mener seul un tel combat, il a fallu entamer un immense travail de conviction auprès des États partenaires et former des coalitions. De ce point de vue, la France a été particulièrement volontaire en agissant comme un moteur de la mobilisation internationale. Elle s’est engagée au sein du G5, du G20, de l’OCDE et de l’Union européenne pour le civisme et la transparence en matière fiscale, œuvrant pour que les compromis rejoignent les positions les plus ambitieuses.
En étant objectif, ce processus a été accéléré par trois événements que nous ne maîtrisions pas : l’intolérance grandissante des opinions publiques internationales pour les pratiques fiscales déloyales, relayée par les ONG ; un contexte de raréfaction des ressources publiques ; la pression internationale exercée par les États-Unis, qui sont parvenus à faire émerger l’échange automatique à l’échelle bilatérale via le règlement FATCA – même si cette démarche traduisait un repli assez égoïste sur eux-mêmes.
Enfin, troisième étape, qui nous concerne aujourd’hui : il nous faut concrétiser ces avancées. Les succès sur le plan international doivent être suivis d’effets et être transformés en mesures applicables.
Lors des discussions préalables à la rectification des accords FATCA, il y a un an, j’avais formulé ici le souhait que le Gouvernement poursuive son engagement et veille à ce que les négociations sur la généralisation du principe de l’échange automatique des données aboutissent. Je me réjouis, monsieur le secrétaire d’État, que la France ait été à la hauteur.
Le 29 octobre 2014, cinquante et un États ont signé un accord multilatéral et fédérateur, établi par l’OCDE, visant à mettre en place, dès 2017, un échange automatique mutuel d’informations financières relatives non seulement aux comptes bancaires, mais aussi aux contrats d’assurance vie et aux trusts. Parmi les signataires, dont la liste s’est étendue depuis, on trouve des pays historiquement attachés au secret bancaire comme la Suisse, le Luxembourg et l’Autriche, ou des centres financiers offshore critiqués pour leur opacité, comme les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans, les Bermudes ou Jersey.
Dès 2011, nous avions défendu cet objectif de transparence au travers de l’échange automatique d’informations dans le cadre d’une commission d’enquête. Dès l’automne 2012, nos propositions ont été accueillies avec intérêt par le ministre de l’économie et des finances de l’époque, Pierre Moscovici – qui a poursuivi son engagement pour la justice fiscale dans le cadre de sa fonction de commissaire européen –, puis par Michel Sapin et Christian Eckert.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer également le travail constant et particulièrement éclairant de l’OCDE et de son directeur en matière fiscale, M. Pascal Saint-Amans. Les succès de ces dernières années leur doivent beaucoup ! Sous l’impulsion du G20, l’OCDE a en effet œuvré pour la généralisation du principe d’échange automatique. L’accord de Berlin consacre une nouvelle norme mondiale qui devient un véritable standard international, compte tenu de sa raison d’être intrinsèquement multilatérale et réciproque. Ce standard affiche une crédibilité bien supérieure à celle de la loi FATCA, crédibilité nécessaire pour qu’il fasse autorité, même s’il comporte encore des imperfections.
Avec un peu de recul, nous devons nous réjouir de la vitesse inédite à laquelle s’est opéré ce renversement du rapport de force à l’échelle internationale et de la promptitude à transformer cette dynamique en mesures juridiquement opposables. Ce mouvement de fond éclaire le franc succès de la cellule de régularisation des avoirs détenus à l’étranger mise en place par Bercy : 2 milliards d’euros en 2014, 2,6 milliards d’euros cette année et 2,4 milliards d’euros l’année prochaine ! De plus, ces sommes ne représentent que des régularisations. Il faut en effet rappeler que les rapatriés fiscaux redeviennent ensuite des contribuables. La bonne performance récente de l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, devrait être plus souvent perçue sous cet angle. Ces chiffres doivent, en outre, être appréhendés en comparaison des baisses d’impôts consenties au bénéfice des classes populaires et moyennes ces dernières années : 1,3 milliard d’euros en 2014, 3,2 milliards d’euros en 2015 et 2 milliards d’euros en 2016 !
C’est bien là l’essentiel : cette démarche touche en tout premier lieu à la moralisation de l’action publique ! S’il est encore trop tôt pour décréter la fin de l’évasion fiscale et si de nombreux combats restent à mener, il s’agit tout de même d’un immense pas dans la bonne direction. Parmi les combats encore à mener, je pense notamment à celui sur la fiscalité du numérique, qui touche particulièrement la question de la fraude à la TVA, en appelant de mes vœux une forme aussi positive de co-construction de la réponse publique.
Je voterai évidemment le projet de loi, comme l’ensemble du groupe socialiste et républicain. J’appelle à un vote massif en faveur de ce texte, qui valide cette avancée historique et raffermit notre pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme j’aurais aimé ne pas avoir à bouder mon plaisir ! Parce qu’avec cet accord sur l’échange automatique d’informations fiscales, c’est en effet une vieille revendication, notamment des écologistes, qui est enfin satisfaite.
Dans le réseau des pays signataires de l’accord, les banques n’auront désormais plus le droit de vendre leur complicité aux contribuables qui cherchent à escamoter des avoirs à l’étranger. Avec ce texte, obligation leur est faite de déclarer tout ou presque aux administrations compétentes. Énoncé ainsi, cela paraît si simple, si évident. Et pourtant, quel parcours du combattant pour en arriver à cette mesure de bon sens et de justice ! Le plus probable, et le plus triste sans doute, c’est que rien n’aurait été fait si les États-Unis et leur fameuse loi FATCA n’avaient pas unilatéralement imposé cette transparence.
Si on veut bien être lucide, ce que cet épisode dit de l’Europe est proprement terrifiant. La concurrence entre États membres y est si forte, la prégnance des intérêts privés si puissante, que même la lutte contre le secret bancaire n’aura pas réussi à cristalliser une conscience collective. L’intérêt général européen aura finalement été défendu par une bravade américaine ! Si l’on croit encore au projet européen – c’est mon cas –, ne serait-il pas temps d’avoir un sursaut d’orgueil ?
Nous discutons actuellement d’un sujet du même ordre ; je veux parler de la transparence fiscale des entreprises, pays par pays, qui permettrait de se faire une idée du rapport entre leur activité, leur profit et leur impôt dans chaque pays où elles sont implantées. Au niveau français, nous l’avons obtenu pour les banques grâce à des amendements adoptés dans le cadre du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Je me souviens d’ailleurs que le ministre des finances de l’époque, M. Moscovici, s’était montré défavorable à nos amendements en commission, arguant que la transparence fiscale attentait à la compétitivité de nos banques. Heureusement, il s’était ravisé en séance plénière.
Plus récemment, les eurodéputés écologistes ont réussi à amender la directive relative aux droits des actionnaires en étendant la transparence à tous les grands groupes et en y intégrant la question des rescrits fiscaux. À nouveau, il est malheureusement permis de penser que ce succès totalement inattendu est largement dû à un facteur extérieur aux institutions européennes – je pense naturellement au fameux scandale LuxLeaks. D’ailleurs, la Commission européenne a depuis lors entrepris une longue démarche d’obstruction tendant à supprimer ou, du moins, à édulcorer les dispositions voulues par le Parlement européen.
Monsieur le secrétaire d’État, pourrions-nous compter sur l’engagement public de la France en faveur d’une application de la transparence fiscale à tous les grands groupes ? Ne pourrions-nous pas aller jusqu’à donner l’exemple, comme avec les banques, sans considérer que l’opacité participe de la compétitivité des entreprises ?
Évidemment, mes chers collègues, les écologistes voteront en faveur de ce texte, heureux de constater que celui-ci voit enfin le jour, mais en restant lucides sur sa genèse. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre.
M. Francis Delattre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi nous invite à approuver un accord multilatéral conclu le 29 octobre 2014. Cet accord constitue un pas décisif dans la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Il est l’aboutissement d’un long processus de négociation, qui a commencé non pas simplement il y a deux ou trois ans, mais il y a au moins cinq ou six ans.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour donner – je l’espère – notre accord unanime à un projet attendu. En effet, celui-ci va permettre de rendre automatiques les échanges de renseignements financiers à visée fiscale entre les États. Ces États devront toutefois faire en sorte que les établissements financiers et bancaires de leur ressort fassent leur travail, ce qui demandera sûrement encore quelques approfondissements.
L’OCDE met en place un nouveau modèle de déclaration, dit de « norme mondiale ». Or certains d’entre nous savent ici, pour avoir rapporté des conventions fiscales fondées sur la réciprocité, qu’il est ensuite difficile de les appliquer, souvent en raison de problèmes d’interprétation. C’est pourquoi cette norme mondiale est un progrès incontestable.
Jusqu’à présent, le Parlement était régulièrement saisi de projets de loi autorisant l’approbation d’avenants à des conventions bilatérales, mais cela ne donnait que des résultats relativement mineurs. L’échange d’informations se faisait notamment en fonction de soupçons a priori, sous la forme – déjà ! – d’un modèle de déclaration de l’OCDE.
L’absence d’automaticité des échanges qui prévalait hier, souvent liée à la réticence d’États, nombreux, et d’un certain nombre de banques affiliées à ces États, dont l’anonymat bancaire constituait parfois l’essentiel du fonds de commerce, semble aujourd'hui appartenir à un autre monde. C’est très bien ainsi !
Certes, le coût de l’évasion fiscale a été évalué à plusieurs reprises, notamment dans le cadre de rapports sénatoriaux d’un très grand sérieux – je pense à deux rapports d’enquête sur les problèmes fiscaux et, plus particulièrement, sur l’évasion fiscale, qui me semblent avoir contribué à la sensibilisation sur ces thématiques. Mais, en réalité, c’est la loi américaine de 2010, dite « FATCA », qui a profondément changé la donne, en faisant évoluer le rapport de force. En effet, la force de frappe des États-Unis en matière fiscale donne, et donnera à l’avenir, toute son efficacité au dispositif, notamment vis-à-vis des grands établissements financiers bancaires.
À cet égard, rappelez-vous l’épisode de la société UBS, mes chers collègues. Un dialogue sérieux s’est installé avec cette banque, peu encline à mettre en œuvre la réciprocité des échanges, lorsqu’elle s’est vue menacée d’une très lourde amende. Elle s’est alors rendu compte que même ses biens américains pourraient être saisis et, d’un seul coup, elle a fait preuve d’un zèle tout à fait nouveau en matière de communication d’informations. À la suite de cela, comment voulez-vous que la Suisse refuse de mettre en place avec ses voisins, dont nous sommes, une réciprocité qu’elle a accepté d’établir avec les États-Unis ? La situation était intenable, d’où les progrès extraordinaires auxquels nous avons assisté.
Je signalerai aussi le petit incident lié aux accords Rubik. On se plaint souvent de notre incapacité à construire une Europe fiscale, et c’est effectivement un problème. Il se trouve que l’Allemagne avait négocié, avec la Suisse, un accord par lequel elle bénéficiait, au regard du nombre des comptes bancaires suisses de ses ressortissants, d’une sorte d’abondement financier avoisinant 2 milliards d’euros par an. C’eût été vraiment un mauvais coup pour l’Europe fiscale !
Depuis les problèmes rencontrés par UBS aux États-Unis, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, dans laquelle tous les établissements financiers à travers le monde sont tenus de transmettre au gouvernement américain toutes les informations en leur possession sur les comptes à l’étranger des ressortissants américains, sous peine d’une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers. Cette évolution a poussé plusieurs pays européens – et pas seulement la Suisse –, puis les pays du G20 à réfléchir à l’échange automatique des informations fiscales et à se mobiliser en sa faveur.
L’accord multilatéral du 29 octobre 2014 met en œuvre cette nouvelle norme mondiale. La France a incontestablement fait son travail, monsieur le secrétaire d’État, et d’autres pays nous ont rejoints en Europe. On peut donc espérer du dispositif qu’il soit, à brève échéance, d’une réelle efficacité, puisque quatre-vingt-quatorze États se sont engagés à signer l’accord multilatéral et soixante et un l’ont déjà signé, en vue d’une application dès 2016.
Pour opérer cet échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, les établissements bancaires devront mettre en œuvre une série de « diligences raisonnables » – l’expression est un peu vague, et il faudra certainement s’attacher à être plus concret à l’avenir, mais c’est un premier pas – afin d’identifier les comptes des non-résidents. Ils devront commencer à collecter les renseignements financiers à partir du 1er janvier 2016, avec, naturellement, une prolongation dans l’année 2017.
Selon la nouvelle norme commune, les renseignements qui devront être transmis comprennent l’identité du contribuable – si elle est connue -, son numéro fiscal, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers que ce compte produit. Ce standard mondial est d’après moi important, car il devrait faciliter une réelle transparence, utile à une interprétation incontestable des éléments transmis.
Conformément à la position de notre rapporteur Éric Doligé, dont nous tenons à saluer le travail opiniâtre et sérieux sur le sujet, le groupe Les Républicains votera le projet de loi. À mon avis, l’adoption de ce texte ouvrira une nouvelle ère, car ces dispositions sont à l’échelle du défi que pose la mondialisation. Celle-ci devra accepter, voire subir des évolutions en matière de régulation bancaire et fiscale. Nous connaissons tous les réserves du monde anglo-saxon dans ce domaine. Nous avons ici le premier acte fort, à l’échelle planétaire, marquant un début de mise en place d’une régulation tout à fait souhaitable.
Ce projet de loi va aussi au-delà d’un simple accord politique multilatéral : aujourd'hui, qu’un citoyen puisse, sous toutes les latitudes, payer ses justes impôts, n’est-ce pas marquer le début d’un attachement à la citoyenneté, fût-elle celle d’un citoyen du monde ? Il faut donc attendre de cet accord, technique, des conséquences sur certains problèmes liés à la mondialisation fiscale et économique. Nous avons là un premier point d’appui sérieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Je tiens à répondre brièvement aux questions qui ont été soulevées et, surtout, à exprimer toute ma satisfaction d’entendre les orateurs apporter leur soutien unanime à ce projet de loi. Déjà, lorsque je suis venu représenter le Gouvernement devant cette assemblée il y a quelques jours, le texte en discussion avait été adopté à l’unanimité.
M. Georges Labazée. Il faut venir plus souvent ! (Sourires.)
M. Thierry Braillard, secrétaire d'État. Comme me le disait à l’instant François Patriat, le Sénat commence véritablement à soutenir le Gouvernement. (Nouveaux sourires.) Ne boudons pas notre plaisir ! Je ne peux que vous en remercier, mesdames, messieurs les sénateurs.
Pourquoi les États-Unis n’ont-ils pas signé l’accord multilatéral ? Il faut savoir qu’ils ont déjà négocié des accords d’échange automatique d’informations avec tous leurs partenaires, sur la base de la loi dite « FATCA » de 2010. Le standard développé par l’OCDE est très largement inspiré de celui qui est prévu dans cette loi américaine, si bien que, pour les banques, ces deux standards sont parfaitement compatibles. J’ajoute, même si c’est à une échelle plus limitée, que les établissements financiers français ont également procédé, cette année, à leur première déclaration dans le cadre de l’échange automatique d’informations, au titre de l’accord FATCA, avec les États-Unis. Les modalités appliquées dans ce cadre sont très proches de celles du présent accord.
Pourquoi n’avoir prévu aucune période transitoire ? Les banques commenceront leurs travaux en 2016 et la directive européenne, qui sera transposée au 31 décembre 2015, sera aussi applicable en 2016. Nous avons donc considéré qu’il ne fallait pas perdre de temps et que l’on pourrait toujours rectifier ou atténuer certains points par la suite. Si nous avons choisi d’appliquer l’accord sans délai, dès 2016, c’est pour montrer toute la détermination politique qu’exige ce dossier.
Par ailleurs, le rapporteur a jugé les amendes trop faibles. Qu’en est-il ?
Comme vous le savez, les sanctions prévues par le dispositif de l’échange automatique d’informations répondent à une nécessité : elles visent à garantir la transmission des informations requises et leur qualité. Elles ne semblent pas d’un niveau disproportionné puisqu’elles se rapprochent de celles qui sont déjà appliquées pour les autres obligations de tiers déclarants des établissements financiers.
Ces sanctions sont de deux ordres.
L’article 1736 du code général des impôts prévoit une amende de 200 euros par information omise ou erronée. Point important à signaler, cette amende, qui vise donc à assurer de manière générale la sécurisation du flux des données transmises, ne s’applique pas si les anomalies proviennent d’un refus du client. Rappelons tout de même que l’amende de 200 euros concerne, non pas des dizaines, des centaines, mais des millions d’informations ! En cas d’erreurs, l’amende sera bien de 200 euros par erreur, et non pour la totalité d’entre elles ! La sanction est donc totalement proportionnée.
Il existe par ailleurs une sanction de 150 euros en cas de retard de déclaration, au titre de la règle générale définie à l’article 1729 B du même code.
Tous les États membres de l’Union européenne sont soumis à la nouvelle directive européenne sur l’échange automatique d’informations, et ce texte requiert explicitement des sanctions appropriées pour remédier au cas de non-respect des dispositions.
Enfin, j’en termine avec la question concernant la liste annuelle des États non coopératifs.
Les services de Michel Sapin viennent de m’indiquer que nous n’avions absolument pas abandonné l’idée d’une telle liste. Au contraire, celle-ci sera publiée dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines. Le Gouvernement entend bien garder le même rythme sur ce sujet !
Pour conclure, j’aimerais dire que les gains attendus, comme l’a indiqué M. Chiron, se chiffrent en milliards d’euros. Je rappelle que le Gouvernement a choisi de réduire, l’an dernier, cette année et l’année prochaine, les impôts de millions de foyers français. Il me semble toujours souhaitable, sur un plan politique, de bien montrer le lien entre l’argent qui peut être gagné grâce à un dispositif tel que celui que nous examinons et l’argent qui peut ensuite être redistribué. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (ensemble six annexes), signé à Berlin le 29 octobre 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
6
Droits des malades et des personnes en fin de vie
Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (proposition n° 12, texte de la commission n° 104, rapport n° 103, avis n° 106).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au début de ce mois d’octobre, l’Assemblée nationale a de nouveau adopté, en deuxième lecture, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Donner à nos concitoyens de nouveaux droits, c’est une exigence, parce que les progrès de la science et de la médecine ont changé notre relation à la mort. Les situations de fin de vie deviennent plus longues et plus complexes. Des situations individuelles particulièrement difficiles et médiatisées interpellent régulièrement l’opinion.
Les attentes des Français ont évolué. La mission confiée au professeur Sicard, les débats régionaux et la conférence citoyenne organisés par le Comité consultatif national d’éthique ont permis à la société, à nos concitoyens, de s’exprimer le plus directement possible. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses : chacun a pu faire valoir son point de vue, ses attentes, ses espoirs.
Quels ont été les enseignements de ces consultations ? D’abord, les soins palliatifs ne sont pas accessibles à tous, du moins pas dans les mêmes conditions ; ensuite, nos concitoyens ne connaissent pas suffisamment leurs droits ; enfin, une nouvelle étape est nécessaire pour mieux accompagner les personnes qui souffrent en fin de vie.
Le Président de la République a souhaité que le consensus le plus large possible soit trouvé pour avancer dans cette direction à travers une étape législative nouvelle. C’est le sens de la mission conduite par les députés Alain Claeys et Jean Leonetti et qui a abouti à l’élaboration du texte que vous examinez de nouveau aujourd’hui.
Cet examen intervient dans un contexte particulier : si l’Assemblée nationale s’est prononcée – par deux fois et à une très large majorité – en faveur de ce texte, votre assemblée l’a, pour sa part, rejeté à une très large majorité en première lecture. Pourquoi ? Parce que plusieurs de ses mesures fortes avaient été supprimées lors de son examen en séance publique. Le texte qui avait été soumis à votre vote final, amputé de ses ambitions d’origines, ne répondait plus aux attentes des sénateurs de la majorité gouvernementale, la majorité sénatoriale s’étant quant à elle divisée.
L’enseignement que nous pouvons en tirer, c’est que le texte tel qu’il a été rédigé correspondait bien à un point d’équilibre. Il n’y a aujourd’hui de majorité ni pour aller plus loin ni pour considérer qu’il faut en rester au droit actuel. La question qui est aujourd’hui posée est de savoir si le texte adopté par l’Assemblée nationale répond aux attentes de nos concitoyens et constitue une avancée réelle en ce sens. C’est là ma conviction, parce que ce texte contient des dispositions qui vont nous permettre de franchir une étape décisive.
Première avancée : la proposition de loi renforce l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant.
C’est un fait : les Français ne sont pas égaux face à la mort. Les deux tiers d’entre eux qui meurent d’une maladie auraient besoin de soins palliatifs. Les unités de soins palliatifs se sont développées dans notre pays, le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans. Pourtant, une trop grande partie de nos concitoyens n’y ont pas accès ou en bénéficient trop tardivement. Derrière cette réalité se cache par ailleurs une grande injustice sociale et territoriale, qui n’est ni acceptable ni justifiable.
Le Président de la République a donc annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie. J’ai réuni le 24 juin dernier les membres de son comité de pilotage. Ce plan, qui s’adressera tant aux professionnels de santé qu’aux patients eux-mêmes, comportera quatre priorités : mieux informer les patients et leur permettre d’être au cœur des décisions qui les concernent ; accroître les compétences des différents acteurs, en confortant la formation des professionnels, en soutenant la recherche et en diffusant mieux les connaissances sur les soins palliatifs ; développer les prises en charge de proximité, notamment au domicile et dans les établissements sociaux ou médico-sociaux ; réduire les inégalités d’accès aux soins palliatifs.
Je présenterai très prochainement aux acteurs des soins palliatifs le détail de ce plan dans le cadre d’un déplacement auprès d’une structure particulièrement impliquée dans la prise en charge des soins palliatifs à domicile. Je précise à cet égard que, lorsque nous parlons de soins palliatifs, nous évoquons spontanément les établissements de santé. Or nous devons penser aussi à leur mise en œuvre à domicile et au sein des maisons de retraite.
Sans attendre la déclinaison de ce plan, j’ai souhaité que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 réserve une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour renforcer le développement des soins palliatifs. Concrètement, dès 2016, au moins trente équipes mobiles et six unités de soins palliatifs seront créées grâce à ces fonds.
Cette proposition de loi consacre à toute personne malade un droit universel à accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. Les agences régionales de santé auront la charge de veiller à sa bonne application.
Cette mesure, cette perspective, cette démarche en faveur des soins palliatifs nous rassemble tous, vous rassemble sur toutes les travées, et elle répond à une attente forte de nos concitoyens. Il s’agit donc d’un point important de l’équilibre de cette proposition de loi.
Deuxième grande avancée : la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits.
Les Français ne sont pas suffisamment informés. Près de la moitié d’entre eux ignore que le patient peut demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seuls 2,5 % – je dis bien 2,5 % ! – de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées, alors même que l’existence de celles-ci pourrait, dans bien des cas, répondre à l’incertitude.
Cette réalité, pour frappante qu’elle soit, ne peut être un prétexte à l’inaction ou à la résignation. Elle nous invite, au contraire, à chercher des solutions nouvelles pour permettre à nos concitoyens d’exercer leur droit.
C’est la raison pour laquelle ce texte prévoit de renforcer l’information sur les directives anticipées. Un modèle type de directive anticipée sera élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé. Un registre national automatisé sera créé, qui permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit et donnera aux médecins une visibilité immédiate sur ces directives. Je ne m’étendrai pas sur ce point : nous avons eu l’occasion d’en débattre en première lecture, et nous y reviendrons sans doute au cours de cette discussion. La rédaction de directives anticipées, ainsi que la proposition d’un modèle type, est tout sauf simple et exigera une réflexion très compliquée, en vue de faciliter la décision de nos concitoyens.
Pour inciter nos concitoyens à s’emparer de ce droit, de leur droit, encore faut-il les convaincre de son effectivité. Là encore, le texte que vous examinez permettra d’avancer. Les directives anticipées sont ainsi rendues contraignantes pour les professionnels de santé, et leur durée de validité est supprimée. C’est une avancée majeure, parce que ces directives ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments de la décision du médecin. Désormais, c’est la volonté du patient qui sera déterminante pour définir l’issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu’au moment où on la quitte, voilà l’enjeu de dignité auquel s’attache la proposition de loi !
Enfin, ce texte prévoit de franchir une étape supplémentaire en direction de l’autonomie des Français.
Depuis 2005, date de l’adoption définitive de la loi Leonetti, la société a évolué et, avec elle, nos attentes et notre rapport à la fin de vie. L’encadrement de l’arrêt des traitements a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades, mais il reste insuffisant. Les patients et leurs familles nous le disent : ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment entendus, parce que, en l’état actuel du droit, c’est au seul médecin que revient la décision d’interrompre ou de ne pas débuter les traitements. Dans le même temps, nombre de professionnels m’ont dit, sur le terrain, être trop souvent désemparés face à des situations qui les laissent dans la solitude de leur seule conscience.
Là aussi, les Français attendent que nous franchissions une étape nouvelle, en démédicalisant la fin de vie. C’est ce qu’ont proposé les auteurs de ce texte, en précisant les modalités d’interruption des traitements, en clarifiant la notion d’« obstination déraisonnable » et en instaurant un droit à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme.
La présente proposition de loi, lors de son examen par votre commission des affaires sociales, s’est éloignée des équilibres qui avaient été trouvés sur ces dispositions. La rédaction de l’article 2, telle qu’elle résulte des derniers travaux de votre commission, est en recul non seulement par rapport à la position de l’Assemblée nationale, mais aussi par rapport à la loi Leonetti de 2005 telle qu’elle a été interprétée par le Conseil d’État.
La définition de l’obstination déraisonnable se trouve ainsi restreinte à deux critères, au lieu de trois : la disproportion des traitements et le maintien artificiel de la vie. Le troisième critère, celui de l’« inutilité » est quant à lui supprimé. Cette nouvelle rédaction constitue une régression des droits des patients par rapport à la loi Leonetti de 2005. Concrètement, cela signifie que des patients en fin de vie continueraient de recevoir des traitements que les médecins eux-mêmes considéreraient comme inutiles.
La nouvelle rédaction de l’article 2 indique par ailleurs, contrairement au choix de votre commission en première lecture, que l’hydratation artificielle est un soin qui peut être maintenu jusqu’à la fin de la vie. Cette nouvelle rédaction, contraire à l’esprit même de la proposition de loi, qui est de placer la volonté du patient au cœur de la décision, conduirait à maintenir en vie des patients que l’on cesserait d’alimenter mais que l’on continuerait d’hydrater, et par là même à prolonger leurs souffrances.
Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement visant à conserver les acquis de la loi Leonetti de 2005 sur la définition de l’obstination déraisonnable, à rétablir les avancées de ce texte sur la volonté du patient et à rappeler expressément que l’hydratation et l’alimentation artificielles sont des traitements susceptibles, comme tout autre traitement, d’être arrêtés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous revient aujourd’hui d’examiner un texte important, un texte attendu, un texte de progrès pour les patients, un texte d’humanité, qui constitue un point d’équilibre. Il s’agit d’offrir aux Français le droit et les moyens de mourir aussi dignement qu’ils auront vécu. J’espère que nous parviendrons à nous retrouver, aujourd’hui ou dans la suite de la procédure parlementaire, pour répondre à cet enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur.
M. Gérard Dériot, corapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 6 octobre dernier, l’Assemblée nationale a adopté en deuxième lecture la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Le texte examiné par la commission des affaires sociales était quasiment identique à celui adopté par les députés en première lecture. Le corapporteur Jean Leonetti a justifié le rétablissement du texte de l’Assemblée nationale, en indiquant qu’un dialogue de fond devait être mené entre nos deux chambres.
En séance publique, l’Assemblée nationale a néanmoins adopté sept amendements. Les dispositions les plus substantielles reprennent une mesure proposée par notre commission, à savoir la cosignature, par la personne de confiance, de la décision par laquelle elle est désignée.
Nos collègues députés ont également prévu la possibilité de désigner une personne de confiance suppléante dans l’hypothèse où la personne de confiance titulaire « serait dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient ».
Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité, comme notre commission, que chacun soit libre de la forme donnée à ses directives anticipées, sans avoir à se conformer à un modèle impératif.
En deuxième lecture, notre commission a fait le choix de reprendre l’important travail de précision et d’encadrement qu’elle avait effectué en première lecture, tout en tenant compte des préoccupations légitimes exprimées en séance publique sur toutes les travées de cet hémicycle. Elle n’a donc pas rétabli purement et simplement son texte, mais y a intégré un grand nombre d’amendements que nous avions adoptés en séance publique.
Concrètement, la commission des affaires sociales a fixé un cadre garantissant que la mise en place d’une sédation profonde et continue ne constitue en aucun cas un acte d’euthanasie. (M. Gilbert Barbier manifeste sa circonspection.) Cette sédation profonde et continue ne pourra concerner que les personnes malades qui sont déjà en fin de vie et dont la souffrance est réfractaire à tout autre traitement. À mon sens, c’est là un point essentiel.
De même, notre commission a accepté de rendre opposables les directives anticipées, à condition qu’elles soient le moyen, non seulement de demander un arrêt des traitements, mais aussi de s’opposer à un tel arrêt.
En revanche, la commission a jugé important de reprendre l’amendement, rédigé en séance publique, tendant à préciser que l’hydratation est un soin pouvant être poursuivi jusqu’au décès.
Mes chers collègues, comme en première lecture, nous cherchons à atteindre le consensus le plus large possible sur un sujet qui ne relève absolument pas des oppositions de partis.
M. Hubert Falco. Très bien !
M. Gérard Dériot, corapporteur. À nos yeux, le Sénat a un rôle important à jouer, afin que le texte qui s’appliquera demain soit de la meilleure qualité possible et qu’il préserve réellement un équilibre entre les droits du patient et les devoirs des soignants. Si nous n’y parvenons pas – je me permets d’insister sur ce point –, c’est nécessairement le texte de l’Assemblée nationale qui s’appliquera, tel qu’il a été voté par les députés.
M. Hubert Falco. Eh oui !
M. Gérard Dériot, corapporteur. Or, face à cette question, qui constitue un véritable sujet de société, la Haute Assemblée doit jouer pleinement son rôle. Il est donc indispensable que nous puissions aboutir à un texte réunissant la grande majorité d’entre nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Gérard Dériot vous a indiqué l’esprit dans lequel la commission des affaires sociales a travaillé. C’est dans cet esprit que le texte qui vous est soumis intègre à la rédaction élaborée en première lecture par la commission des affaires sociales l’ensemble des amendements de la commission des lois adoptés en séance publique. Je ne citerai que quelques-unes de ces dispositions : la possibilité pour une personne malade en fin de vie de s’opposer à l’arrêt des traitements de maintien en vie, tout en demandant une sédation profonde et continue ; la possibilité réaffirmée de modifier, à tout moment, ses directives anticipées et de les révoquer par tous moyens ; le rappel régulier adressé à l’auteur de directives anticipées sur le fait qu’elles existent ; enfin, la précision selon laquelle le témoignage de la personne de confiance prévaut sur tout autre.
J’en viens aux autres amendements repris par la commission.
À l’article 1er, le présent texte réaffirme le droit d’accéder aux soins curatifs et palliatifs sur l’ensemble du territoire. Cette disposition répond à la préoccupation d’une large majorité de nos collègues.
M. Hubert Falco. Eh oui !
M. Michel Amiel, corapporteur. Mme la ministre vient de le rappeler : on meurt mal en France. Aussi, ce point nous a paru essentiel.
À l’article 2, relatif à l’obstination déraisonnable, outre l’important amendement ayant pour objet l’hydratation, que Gérard Dériot a déjà mentionné, le texte élaboré par la commission lève l’interrogation émise par notre collègue Gilbert Barbier quant à la notion d’inutilité des traitements prescrits. Cette référence a été supprimée.
Mes chers collègues, permettez-moi d’insister sur un point : l’article 2, tel qu’il a été rédigé par la commission, permet de mieux garantir les droits des patients lorsque l’équipe soignante considère que la poursuite des traitements pourrait relever de l’obstination déraisonnable. En effet, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale ne précisait pas que le consentement du patient devait être recherché avant toute décision d’arrêt des traitements, au titre du refus de l’acharnement thérapeutique. L’arrêt des traitements pouvait donc être automatique.
À l’article 3, conformément à un amendement adopté sur l’initiative du groupe CRC, disparaît la mention selon laquelle la procédure collégiale chargée de s’assurer du respect de la loi est engagée sur l’initiative du médecin. Cette modification permet de dissiper toute ambiguïté quant à un éventuel pouvoir exorbitant d’opposition du médecin à la réunion du collège des soignants. Dans un souci de clarification rédactionnelle, il est également précisé que le patient a bien la possibilité de choisir le lieu où il souhaite que la sédation soit réalisée : à son domicile, au sein d’un établissement de santé ou encore dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, un EHPAD. Mourir chez soi, n’est-ce pas le souhait de la majorité d’entre nous ?
Enfin, à l’article 14, plusieurs groupes, dont le groupe écologiste, ayant souhaité un suivi de l’accès aux soins palliatifs, le texte qui vous est soumis maintient le principe d’un rapport annuel prévu par l’Assemblée nationale. Il précise cependant le contenu de ce document. Il s’agit de garantir que le suivi de la politique de développement des soins palliatifs inclut bel et bien les établissements de santé, les EHPAD et, bien entendu, le domicile.
Face au besoin criant dont nous avons tous fait le constat, nous attendons avec impatience l’annonce du nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs et surtout les mesures concrètes qui permettront sa mise en œuvre.
Mes chers collègues, je ne le répéterai jamais assez : cette proposition de loi est faite pour ceux qui vont mourir, non pour ceux qui veulent mourir. Ce constat balaie définitivement, me semble-t-il, les risques d’une dérive euthanasique. (M. Gilbert Barbier manifeste son scepticisme.)
Au-delà des justes préoccupations éthiques et juridiques, le présent texte entend aller au plus proche de la vraie vie. Sa seule ambition est de permettre à nos concitoyens de vivre leurs derniers instants sans douleur et sans angoisse.
Albert Camus a décrit la mort heureuse, la tête dans les étoiles. Dans les faits, ce n’est, hélas ! pas ainsi que les choses se passent. Puisse cette proposition de loi apporter l’humanité nécessaire à celui qui va mourir et toute la sérénité possible à son entourage comme au personnel soignant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention en qualité de rapporteur pour avis de la commission des lois sera brève. En effet, le travail de la commission des affaires sociales, conduit par son président et ses deux corapporteurs, a été…
M. Hubert Falco. Remarquable !
M. François Pillet, rapporteur pour avis. … particulièrement éclairé et consensuel.
J’ai assisté à ces débats, humanistes profonds et sereins, face à des questions bioéthiques aussi majeures, et je tiens sincèrement à témoigner de la qualité du travail accompli.
La commission des affaires sociales présente à la Haute Assemblée un texte qui a su intégrer les préoccupations exprimées par la commission des lois. Cette rédaction constitue le socle de l’accord qu’il convient de forger sur ce sujet.
J’aurai à défendre, au nom de la commission des lois, trois amendements, qui portent sur deux points. Je le dis avec vigueur et sincérité, ces amendements ne tendent nullement à atténuer l’efficacité du texte qu’a élaboré la commission des affaires sociales et qui traduit la force de ses convictions. Bien au contraire, les précisions que vous proposera la commission des lois renforceront la protection assurée via ces dispositions.
Ces précisions puisent leur légitimité et leur opportunité dans l’attachement de la commission des lois et du Sénat tout entier à ce que soient supprimés les automatismes décisionnels. En effet, ces derniers sont contraires au principe selon lequel il convient de préserver la liberté d’appréciation du médecin et, surtout, la volonté du malade.
Ainsi, la commission des lois a réaffirmé sa volonté de voir apporter une modification rédactionnelle à l’alinéa 4 de l’article 3. Sur ce point, la rédaction initiale de l’Assemblée nationale faisait obligation au médecin de recourir préventivement à une sédation profonde et continue, afin d’éviter toute souffrance au patient. La rédaction adoptée par la commission des affaires sociales a très opportunément rompu cette automaticité. Toutefois, l’amendement que je vous présenterai vise, dans la mesure du possible, à rendre cette disposition plus claire en ajoutant la précision suivante : le médecin ne peut mettre en œuvre cette sédation préventive que s’il estime que le patient risque d’être exposé à une souffrance réfractaire à tout autre traitement. En l’occurrence, il s’agit de s’appuyer sur l’appréciation médicale et d’éviter une nouvelle fois les systématismes.
Enfin, à travers ses amendements, la commission des lois évoquera la portée des directives anticipées. Quelque texte que ce soit ne doit jamais laisser subsister la moindre réserve quant à la volonté du malade.
L’Assemblée nationale l’a dit, et elle ne l’a pas dit si mal : si ces directives anticipées sont manifestement inappropriées, il est légitime que le médecin ne les applique pas. Sur ce point, nous proposerons un texte différant légèrement de celui qu’ont adopté nos collègues députés. Quand se fait jour une contestation sérieuse, un élément allant, au regard de la question médicale, plus loin que la simple appréciation des directives anticipées, le médecin doit conserver la possibilité de ne pas donner suite à ces dernières.
Mes chers collègues, telles sont les dispositions, de portée très limitée, proposées par la commission des lois. Je ne les ai présentées que schématiquement et les détaillerai davantage dans la suite de la discussion. J’insiste à mon tour sur cette nécessité, qu’a rappelée Gérard Dériot et qui sera respectée – je suis parfaitement confiant à cet égard –, que le devoir des soignants et le droit des malades soient impérativement préservés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois réunis pour débattre d’un texte relatif à la fin de vie, ou du moins, et plus précisément, d’une proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
J’ai eu, ici même et à maintes reprises, l’occasion de m’expliquer et d’exposer ma position sur cette question. Reconnaissons-le, ce sujet reste polémique. Cela étant, nous devons avant tout respecter la dignité du patient et trouver des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations qui restent exceptionnelles et parfois dramatiques.
Rares sont les thèmes qui cristallisent les passions, les débats ou encore les antagonismes, tant il est clair qu’ils ne relèvent pas seulement de la raison. La fin de vie en est incontestablement un, puisqu’elle touche à l’essence même de nos interrogations existentielles.
La proposition de loi dont nous allons débattre n’est certes pas le premier des textes consacrés à cette question. Nous, législateur, en avons déjà voté plusieurs depuis une quinzaine d’années. Permettez-moi d’en rappeler les principaux.
En 1999, une première loi visait « à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ».
En 2002, a été votée la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Le patient, y compris celui en fin de vie, s’est vu reconnaître des droits et une autonomie qu’il n’avait pas jusqu’alors. Il est devenu maître de sa santé.
Enfin, en 2005, la loi dite « Leonetti » a considérablement renforcé l’accès aux soins palliatifs, en consacrant la possibilité d’une limitation ou d’un arrêt des traitements. Ce texte a en outre créé les directives anticipées, toutefois non contraignantes pour le corps médical.
Confrontés à la réalité sans cesse changeante de notre système de santé, au vieillissement de la population, ainsi qu’à l’exigence de plus en plus forte de notre société en matière de démocratie en santé, ces différents textes législatifs ont probablement besoin d’être complétés, au vu, notamment, du développement de pratiques alternatives profondément inégalitaires et dangereuses.
L’ambition de la proposition de loi peut paraître réelle, car le débat pose publiquement les problèmes rencontrés en fin de vie, surtout depuis que les progrès techniques de la médecine permettent de maintenir en vie des personnes qui, autrefois, seraient décédées.
Ces interventions ne créent pas toujours les conditions de vie souhaitées par les patients et leurs proches, et la peur des fins de vie prolongées et dénuées de toute autonomie conduit à un questionnement sur les limites éventuelles des interventions.
Cette ambition n’est donc pas seulement médicale, en instituant la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; elle n’est pas uniquement démocratique et humaniste, en permettant à tout un chacun de rédiger des directives anticipées, qui s’imposent cette fois aux professionnels de santé ; elle est aussi philosophique.
Cette proposition de loi veut changer la fin de vie. Elle a pour credo de permettre au malade de connaître une fin de vie digne et apaisée. Notre travail de terrain, mes chers collègues, montre qu’une loi ne change pas du jour au lendemain des attitudes et des habitudes bien ancrées. Les observations recueillies et les entretiens menés avec les professionnels ont confirmé la difficulté qu’éprouvent les médecins à arrêter un traitement et à affronter l’idée de ne plus pouvoir guérir un patient ou éviter sa mort. Ils sont nombreux à ressentir ces situations comme un échec.
Alors que la majorité des médecins souhaite le soutien des équipes mobiles de soins palliatifs quand ces questions surviennent, plusieurs d’entre eux témoignent des problèmes qu’ils rencontrent quand il faut intégrer une équipe extérieure dans leur travail.
De même, les médecins se montrent encore très préoccupés par la souffrance physique et psychologique d’un patient qui se trouve en fin de vie.
Les entretiens menés avec eux suggèrent que la perception, par les médecins, de cette souffrance comme insupportable relève de leur propre malaise face à la mort et à l’inefficacité de leurs thérapeutiques. Cependant, nous avons souvent constaté que leur souhait de soulager la douleur du patient est inhibé par la crainte d’employer des doses antalgiques trop fortes, qui pourraient produire comme effet secondaire une dépression respiratoire, souvent considérée comme une euthanasie.
Dans d’autres cas, le désir de soulager est parfois si fort que certains médecins, qui restent très minoritaires, se disent même favorables parfois, sous certaines conditions, à une euthanasie afin d’atteindre ce but.
Je rappelle que le droit fondamental au respect de la dignité est censé protéger la liberté de l’individu contre l’intervention indue de l’État.
Dans la continuité d’un parcours de santé qui s’étendra sur tous les lieux de vie et à tous les âges, la fin de vie ne doit pas être délaissée au profit des autres étapes de l’existence. Elle doit répondre aux mêmes exigences, tant sur le plan de l’accompagnement médical que sur celui du droit des usagers, voire à d’autres encore, puisque les souffrances liées à la fin de vie se révèlent souvent intolérables pour le malade et, par voie de conséquence, pour ses proches. En aucun cas, elle ne doit être ce royaume où, une fois la frontière passée, les rôles se trouvent subitement inversés, où l’on décide pour les usagers et où des soins sont prodigués en l’absence de tout consentement.
À défaut de « bien mourir », sera-t-il un jour possible de ne plus « mal mourir » ? C’est en tout cas, me semble-t-il, l’ambition de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Cette conception du « bien mourir » semble donc s’imposer dans les normes d’un acte de soin abolissant toute exigence, sinon l’instauration du cérémonial apaisé d’un dispositif sédatif.
Il est désormais évident que, à défaut de créer de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, cette nouvelle législation de la « mort sous sédation », dont nous allons débattre, ajoutera à nos vulnérabilités des souffrances, des indignités et des deuils insurmontables. Ainsi, comme le soulignait le professeur Hirsch, « se refondent aujourd’hui […] les valeurs compassionnelles de notre démocratie. Une démocratie ainsi elle-même sédatée ». Permettez-moi de reprendre à mon compte ces derniers mots. (Sourires.)
Puisque nous allons débattre, n’oublions pas que l’enjeu principal semble être la question de l’autonomie du malade à choisir les conditions dans lesquelles il souhaite mourir.
Bien que l’on puisse éventuellement modifier les circonstances et conditions susceptibles de pousser un malade à demander sa mort, il y aura toujours des patients qui réclameront une euthanasie ou un suicide assisté, en raison de convictions purement individuelles. La mort induite d’un individu peut-elle être acceptable, ou non ? Même si l’on répond à tous les autres éléments importants dans la prise en charge des situations de fin de vie, le problème moral né de cette question persiste. Ainsi, on peut faire diminuer l’apparition des demandes d’euthanasie par une prise en charge tenant compte des besoins individuels des malades, mais on ne pourra jamais éliminer toutes les demandes d’euthanasie ou de suicide assisté.
Est-ce qu’accorder le droit de mourir ainsi est une avancée dans le respect de l’autonomie du malade ? C’est une question morale à laquelle une société ne peut échapper, mais qu’une meilleure connaissance du contexte des fins de vie peut éclairer.
Pour conclure mon propos, je dirai qu’il me semble que la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie, telle que réécrite par la commission des affaires sociales, qui, monsieur le rapporteur pour avis, a intégré plusieurs amendements de la commission des lois, réussit le tour de force d’être à la fois une avancée et le fruit d’un consensus. Je me félicite de la plupart des orientations de ce texte de loi, qui vont dans le sens d’une plus grande autonomisation de l’individu, même si celle-ci reste encore à parfaire.
Avant de laisser place au débat, je citerai une nouvelle fois le professeur Emmanuel Hirsch, pour qui « il n’est plus l’heure de se soucier de l’état d’esprit que révèle l’urgence législative visant “à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité” ».
La moindre infraction au consensus présent est considérée avec suspicion et réprouvée, surtout par les dépositaires de la sagesse publique : ils se sont prononcés à ce propos de manière définitive.
De sondages en concertations publiques, de consultations en rapports et en avis, de concessions en renoncements, notre société apaisée est prête aux avancées préconisées.
La sédation profonde et continue est avancée comme une évolution majeure en matière de droit de la personne malade ou en fin de vie. Les problèmes liés à la fin de vie ne concernent pourtant pas uniquement les patients. On constate, de même, un malaise chez les professionnels confrontés aux fins de vie et aux questions touchant aux bonnes pratiques. Ces problèmes avaient notamment été mis en évidence à l’occasion de différentes affaires, dont celle de Vincent Humbert en 2003 fut la plus marquante et, probablement, la plus médiatisée.
Dans cette atmosphère favorable au respect de l’autonomie du malade, mais opposée à tout acte qui provoquerait sa mort, l’approche des soins palliatifs a pu se développer assez facilement. Elle participe au renforcement des droits de l’usager, tout en permettant à chacun de bénéficier d’une fin de vie aussi digne que possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture un texte dont le sujet, difficile, concerne chacun de nous. Nous y avons été ou nous y serons un jour confrontés, pour nous-mêmes ou pour nos proches. Aussi la discussion se nourrit-elle naturellement de nos convictions, de nos peurs, de nos émotions, mais aussi de nos valeurs.
Je veux saluer avec une grande sincérité l’excellent travail, empreint de rigueur et d’humanité, des rapporteurs et du président de la commission des affaires sociales, dans ce contexte éminemment difficile, en faveur de la recherche consensuelle du bien commun, comme l’a dit notre collègue député Jean Leonetti.
Pour certains d’entre nous, ce texte va trop loin, pour d’autres, il est insuffisant. Ce texte, issu des travaux de la commission des affaires sociales, n’est pas destiné – faut-il le rappeler ici ? – à ceux qui veulent mourir, mais à ceux qui vont mourir, aux patients atteints d’une maladie incurable, soumis à des souffrances réfractaires à tout traitement, au stade ultime de leur vie et dont le pronostic vital est engagé à brève échéance.
Si la loi Leonetti de 2005 a représenté une avancée significative en améliorant la prise en compte de la volonté du patient et en prônant le développement de soins palliatifs ainsi que le rejet de l’acharnement thérapeutique, force est de constater qu’elle est méconnue ou insuffisamment appliquée.
La prise en charge de l’accompagnement des malades en fin de vie souffre aujourd’hui d’inacceptables insuffisances.
La première concerne la double inégalité d’accès aux soins palliatifs : l’inégalité liée à l’indécente insuffisance de places aujourd’hui – seuls 20 % des patients peuvent y accéder – et l’inégalité territoriale – 70 % des lits palliatifs sont concentrés dans cinq régions. Aussi convient-il de saluer l’annonce de l’inscription d’un crédit de 40 millions d’euros supplémentaires dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et du plan triennal que vous devez présenter prochainement, madame la ministre, et que nous attendons avec impatience. Celui-ci devra s’attacher au développement des soins palliatifs non seulement à l’hôpital, mais aussi dans les EHPAD et surtout à domicile. Le Sénat sera très vigilant et très exigeant quant au respect de votre engagement. L’indignité ne peut se contenter d’annonces !
La seconde insuffisance se trouve dans le déficit criant de formation aux soins palliatifs des professionnels de santé. Ce texte propose de la corriger. La médecine doit en effet être conçue et enseignée dans sa double finalité curative et palliative.
La proposition de loi des députés Claeys et Leonetti améliore la loi de 2005 par deux dispositions mesurées, non seulement respectueuses du point de vue du patient, mais également protectrices pour l’équipe médicale. Elle inclut en effet l’opposabilité des directives anticipées, facilitant ainsi la décision du médecin et rassurant le patient et sa famille quant à la prise en compte de leur volonté. Elle prévoit également le droit à la sédation profonde et continue, uniquement dans des cas très précisément définis, limitant ainsi le risque de décision arbitraire.
Mes chers collègues, la fin de vie dérange dans une société qui a chassé la mort du réel et qui condamne l’échec. Elle soulève des questions philosophiques, morales, éthiques et religieuses. Celles-ci sont légitimes d’un point de vue personnel. Ici, toutefois, nous légiférons au nom de la République.
Notre société peut-elle condamner ceux qui ont atteint la fin de leur chemin de vie à mourir dans la souffrance et l’angoisse, souvent dans une grande solitude, abandonnés par une science confrontée à son impuissance et à ses limites ? Est-ce ainsi que les hommes doivent nécessairement mourir ?
Le texte qui nous est proposé par la commission des affaires sociales du Sénat est ciselé, ses mots sont pesés, exempts de toutes les scories qui pourraient provoquer les consciences. Il est acte d’humanité et geste de fraternité, portant la promesse de la société de ne pas abandonner les siens à l’heure ultime. Je crois sincèrement, en mon âme et conscience, qu’il honore le Sénat. C’est avec le sentiment d’un devoir de fraternité accompli que la grande majorité du groupe UDI-UC le votera. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons à nouveau le sujet de la fin de vie. Sujet difficile s’il en est, car, au-delà des positionnements politiques, il traite de l’intime. Nous ne pouvons nous empêcher de penser à notre vie, ou encore à celle de nos proches, et à la manière dont nous souhaitons qu’elle se termine. Difficile aussi, car la mort, si elle est partie intégrante de notre existence, n’est pas un sujet dont nous avons l’habitude de parler. Pourtant, parce qu’il nous touche toutes et tous, ce sujet nécessite d’être porté devant le Parlement.
La proposition de loi présentée par MM. Claeys et Leonetti était fortement attendue. Attendue d’abord par les malades en fin de vie, qui souhaitent que leur volonté soit prise en compte. Attendue ensuite par le corps médical, dont les membres sont amenés à accompagner les personnes en fin de vie sans toujours disposer des outils juridiques adéquats. Attendue enfin par l’ensemble des citoyennes et des citoyens, soucieux de garantir à leurs proches une fin de vie apaisée et sans douleur.
La proposition de loi qui nous avait été présentée en première lecture était, je l’avais dit, en deçà de ces nombreuses attentes. En premier lieu, parce que la mise en œuvre des droits en matière de fin de vie ne peut être dissociée des moyens qui doivent être alloués aux soins palliatifs. Or ce volet financier était de fait absent de la proposition de loi. En second lieu, parce que la « mesure phare » du texte, la sédation profonde et continue jusqu’au décès, reste limitée dans sa portée : elle ne concerne qu’un nombre restreint de patients, ceux qui sont atteints d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme.
Malgré la faible ambition de ce texte, une partie de la droite sénatoriale s’était mobilisée lors de son examen en première lecture pour le vider entièrement de sa substance. Cela nous avait conduits à rejeter la proposition de loi, si bien que l’Assemblée nationale a examiné en seconde lecture le texte qu’elle avait adopté en première lecture.
Ce qui s’est passé en séance publique au Sénat est d’autant plus regrettable que des modifications utiles avaient été introduites, notamment en matière de soins palliatifs. Le Sénat avait ainsi exigé un développement des soins palliatifs susceptible de couvrir l’ensemble du territoire, y compris en dehors de l’hôpital. Il avait également introduit une obligation de formation aux soins palliatifs pour le personnel des EHPAD. Le Sénat avait en outre adopté notre amendement visant à ce que le médecin ne puisse pas s’opposer à la mise en œuvre de la procédure collégiale.
Ce travail a fort heureusement été repris par les rapporteurs ; ils ont fait une synthèse des différentes positions, si bien que le texte désormais soumis à notre vote est équilibré. Il retient les principales avancées de la proposition de loi : le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès dans des cas définis ; le droit de s’opposer à un acharnement thérapeutique ; la clarification du format et de la portée des directives anticipées ; la définition du statut de la personne de confiance ; l’accès à une formation initiale et continue aux soins palliatifs pour le personnel médical et médico-social. Sur ce dernier point, je rappelle que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé un amendement dans le cadre du projet de loi de santé ayant le même objet.
Si nous souscrivons à l’intérêt de ces dispositions, nous souhaitons renforcer le caractère contraignant des directives anticipées, qui doivent de notre point de vue s’imposer au médecin. De plus, nous souhaitons permettre au patient de désigner une personne de confiance suppléante. Enfin, avec plusieurs de mes collègues, j’aimerais approfondir le droit des personnes à mourir dans la dignité. En effet, comme je l’ai déjà indiqué, s’il est équilibré, ce texte à une portée limitée : il permet, quand la mort est inéluctable et à très court terme, de voir sa souffrance apaisée par une sédation profonde et continue accompagnée d’un arrêt des traitements, dont la nutrition. Il s’agit de « laisser mourir », parfois de faim.
Pourquoi ne pas permettre, quand le patient le demande, la mise en œuvre d’une assistance médicalisée à mourir ? Cela permettrait d’apporter une solution à de nombreuses personnes qui estiment que leur maladie ou leur état de dépendance est incompatible avec l’idée qu’elles se font de la dignité. Ces personnes estiment qu’elles devraient avoir le droit de choisir de mourir dans l’apaisement et sans douleur.
À toutes ces personnes, la présente proposition de loi n’apporte pas de réponse. Ainsi du tristement célèbre cas de Vincent Lambert, qui n’est toujours pas résolu et qui n’est pas visé par ce texte.
Animés par la volonté de créer un meilleur vivre ensemble, nous ne pouvons ignorer la question du « bien mourir ». Le combat pour une vie digne ne peut être dissocié de celui pour une fin de vie digne. Cela d’autant moins que, dans ces moments douloureux de fin de vie, le sentiment de perte de dignité est particulièrement important. Il est lié à l’idée que chacune et chacun a de sa propre image, de sa dégradation du fait de la maladie, de son incapacité à remplir les actes les plus simples de la vie quotidienne.
Cette perception est propre à chaque individu. Elle dépend des croyances, du vécu, mais aussi de la personnalité ou des relations familiales et sociales de chacun. Dans ce contexte, il est difficile de prévoir une loi qui laisse suffisamment de libertés tout en offrant suffisamment de garanties pour que nos concitoyennes et nos concitoyens bénéficient d’une fin de vie correspondant à leur propre définition de la dignité.
Cet objectif ambitieux ne semble que partiellement atteint par cette proposition de loi. Je le regrette, mais le souci de synthèse qui a animé ses auteurs, ainsi que nos trois rapporteurs, est réel. Le texte dont nous allons débattre a ainsi le mérite de clarifier certaines situations et de créer de nouveaux droits, qui, malgré leur portée limitée, doivent être affirmés.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce texte, sous réserve qu’il corresponde aux résultats des travaux de notre commission et qu’il ne soit pas dénaturé en séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques heures, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement était adopté dans cet hémicycle à la quasi-unanimité. Rassurez-vous, je n’y vois pas là une suite logique de nos débats. (Sourires.) Je me félicite simplement que la Haute Assemblée ait pleinement conscience de la nécessité d’instaurer de nouveaux droits en faveur de personnes souvent en détresse face à l’isolement, à la perte d’autonomie, à la solitude, à la souffrance, voire à la mort.
Après avoir consacré la liberté de choix de la personne âgée, renforcé les droits des usagers en établissements, développé l’offre d’habitat intermédiaire ou regroupé et souligné l’importance de la représentation des personnes âgées, je suis fier que nous soyons prêts aujourd’hui à confirmer des droits essentiels pour les personnes en fin de vie : le droit de ne pas souffrir grâce à la sédation profonde et continue jusqu’à la fin, le droit de voir sa volonté respectée grâce à la possibilité d’écrire et de réviser à tout moment des directives anticipées qui s’imposeront à tous.
Nous voici donc réunis pour examiner un texte qui a fait vivre à notre hémicycle des heures difficiles. Il faut dire qu’il s’agit d’un sujet qui nous touche tous. Nous avons tous un parent ou un ami proche dont nous avons partagé ces dernières heures si importantes à plus d’un titre ; importantes, parce que leur souvenir s’imprime dans nos mémoires ; importantes, parce qu’elles nous aident parfois à faire notre deuil ; importantes, surtout, parce qu’elles illustrent la volonté du vivant, c’est en tout cas ma conviction.
Qu’il est difficile lorsqu’on travaille sur ces sujets de se détacher de nos propres expériences ! Qu’il est cruel de revivre ces souffrances lorsque nous débattons ! Qu’il est terrible de devoir parfois réduire nos souvenirs à la vision de corps en souffrance !
Mes chers collègues, nous nous sommes brutalement affrontés sur ce sujet en première lecture, mais il n’est pas question de « refaire le match ». Les mots que j’ai le plus entendus ces derniers jours – dialogue, équilibre, consensus – montrent la volonté d’apaisement qui a animé nos travaux, ce que je salue.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie. Votre souci d’apporter de la sérénité à nos débats a permis de rendre au Sénat son rôle de législateur. Sans votre travail, le texte finalement adopté aurait pu être issu des seuls travaux de l’Assemblée nationale, ce qui aurait été un comble quand on sait le rôle important des sénateurs sur ce sujet ces quinze dernières années.
Madame la ministre, je vous remercie également. Vos paroles rappelant le souhait du Président de la République d’aboutir à un « consensus le plus large possible pour proposer une étape législative nouvelle » ont été entendues.
Enfin, je remercie nos trois rapporteurs. Leur travail important de précision et d’encadrement suffira cette fois, je l’espère, à apaiser les craintes, à défaut de toutes les souffrances. Il est de notre devoir de faire en sorte que l’ombre ne s’étende pas plus ! Je suis en effet persuadé que le verdict intervenu cette semaine dans le cadre du procès d’un médecin de mon territoire, le docteur Bonnemaison, aurait été différent si le texte de loi dont nous débattons avait été adopté définitivement.
Cela étant, preuve que nous pouvons tous évoluer, un grand nombre de sénateurs socialistes ont, après de nombreuses discussions, décidé de considérer l’hydratation comme un soin, alors que, en première lecture, nous avions choisi de suivre le Conseil d’État, qui considérait l’hydratation comme un traitement, au même titre que la nutrition. C’est non seulement la qualité de nos échanges qui a permis une telle évolution de notre raisonnement, mais également nos douloureuses expériences personnelles. Je note quand même, madame la ministre, que l’amendement n° 28 que le Gouvernement a déposé hier suscite des interrogations. Nous espérons que vous pourrez dissiper nos craintes…
Je ne reviendrai pas sur le contenu du texte, ni sur les apports issus des travaux de notre commission – les orateurs qui m’ont précédé l’ont déjà fait. Retenons toutefois que les apports issus de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale sont loin d’être négligeables. Je pense par exemple à la possibilité de désigner une personne de confiance suppléante, au cas où la personne de confiance titulaire se trouverait dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient qui l’a désignée.
Le groupe socialiste votera cette proposition de loi si elle demeure conforme au texte de notre commission – je rejoins sur ce point notre collègue Annie David. Par cohérence et souci d’équilibre, nous tenons en effet à ce que l’architecture soit maintenue. Reste que je peux m’empêcher d’appeler de mes vœux les plus sincères une étape supplémentaire. Pour beaucoup d’entre nous, il est nécessaire qu’un autre texte soit prochainement inscrit à l’ordre du jour de nos assemblées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie la commission des affaires sociales, son président, les rapporteurs, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission des lois, qui, grâce à un travail serein, apaisé, de qualité, ont certainement contribué à rattraper l’image quelque peu écornée que le Sénat a pu donner lors de la dernière discussion du présent texte en séance publique.
Lundi 2 novembre se tiendra la huitième Journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité. Notre débat pourrait être l’occasion d’adresser aujourd’hui un message d’espoir et un signal fort aux personnes qui vivent ou ont vécu des situations douloureuses et des drames de fin de vie.
Ces situations sont nombreuses. Ainsi, Jean Mercier, originaire du Maine-et-Loire, a été condamné hier à une peine d’un an de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Il s’agissait en fait d’une assistance au suicide apportée à son épouse, qui, après trente ans de souffrance, n’en pouvait plus de vivre.
Bien que nous n’ayons pas pour rôle de commenter les décisions de justice, force est de constater la nécessité d’une évolution législative sur la fin de vie. Comme 96 % des Françaises et des Français, nous soutenons une telle évolution.
Pourtant, malgré l’excellent travail qui a été effectué par la commission et l’ensemble de nos collègues, de trop nombreux cas ne sont toujours pas couverts par notre législation. Il y a un pas, difficile, que nous n’arrivons pas à faire… Comme cela a été souligné, le texte est fait pour ceux qui vont mourir, pas pour ceux qui voudraient partir.
Je ne prétends pas que la loi doit régler tous les cas. Mais, sur une question aussi sensible, il faudrait sans doute qu’elle réponde mieux à une attente forte de la population, celle de pouvoir partir au moment de son choix.
Le Sénat a la responsabilité de prendre en compte ou, du moins, d’entendre ces attentes.
Cela étant, je pense que ce texte comporte un certain nombre d’améliorations. Mais, à nos yeux, il ne va pas encore assez loin.
Vous vous en souvenez, mes chers collègues, dans un premier temps, dépassant les clivages habituels, des sénatrices et des sénateurs de tous les groupes politiques du Sénat sauf un avaient voulu soutenir ensemble le choix de pouvoir bénéficier d’une aide active à mourir. C’est ce pas que la présente proposition de loi ne permet pas de faire.
Nous proposons de reconnaître la volonté du patient de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir dans des conditions strictes. Associée à l’analgésie et à l’arrêt des traitements, la « sédation profonde et continue jusqu’au décès », telle qu’elle a été définie, ne saurait être la seule réponse à toutes les situations. C’est pourtant ce que le texte prévoit.
Avec le recours possible à une sédation profonde et continue, la proposition de loi contient tout de même une avancée : le fait d’être endormi. Cette réelle vision de la dignité est positive. Mais elle ne suffit pas à tous ! De plus, cette solution n’est pas réellement le fait du patient. C’est l’équipe soignante – et le caractère collégial est important – qui en décidera.
Vous l’aurez compris, même si nous saluons la qualité du travail effectué comme des débats, ainsi que la méthode, nous considérons que ce texte ne va pas suffisamment loin. Peut-être l’engagement n° 21 du candidat François Hollande, dont nous attendions beaucoup, était-il formulé de manière trop ambiguë. Peut-être l’attente de certains était-elle trop grande.
Quoi qu’il en soit, nous respectons évidemment les convictions de toutes celles et de tous ceux qui ont une position différente sur le sujet.
La loi de 2005 a très largement montré ses limites. La présente proposition de loi est censée y remédier, avec une volonté de remettre le patient au centre de la décision. Mais ce texte déçoit encore ceux et celles pour qui le droit à la mort fait partie des droits individuels humains. Selon nous, chacun doit pouvoir choisir sa mort sans être riche ou obligé, comme certains, de partir en Suisse !
Nous savons que l’objectif actuel est de trouver un équilibre, ce qui est difficile. Mais nous souhaitons qu’il soit possible d’aller plus loin dans un avenir proche. Tel est le sens d’un amendement que nous avons déposé.
Si cette proposition de loi reste comme elle est à ce stade, le groupe écologiste s’abstiendra, en saluant la qualité de nos débats, mais en soulignant qu’il aimerait aller plus loin. Plus tard, peut-être…
Néanmoins, je me félicite que le Sénat humaniste offre aujourd'hui une image plus positive que lors de nos derniers débats sur ce sujet ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau.
Mme Brigitte Micouleau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Dix ans après la promulgation de la loi de Jean Leonetti, texte qui a permis de répondre à une grande part des situations de fin de vie, un constat s’impose : les soins palliatifs auxquels les patients devraient pouvoir prétendre sont loin d’être accessibles à tous, et les inégalités géographiques restent importantes.
Pourtant, les Français ont besoin d’un accès effectif aux soins palliatifs. Trop de personnes se trouvent encore aujourd’hui dans une situation d’extrême détresse face à la maladie et à la souffrance. En tant que législateurs, nous avons une responsabilité : créer les conditions favorables à un accompagnement tout au bout de la vie.
Ces disparités marquées de l’offre de soins palliatifs ont été révélées par la Cour des comptes dans son rapport public annuel de 2015, intitulé Les soins palliatifs, une prise en charge toujours très incomplète.
À cela s’ajoute une disparité pour ce qui concerne le taux d’équipement en lits des unités de soins palliatifs. Il est inquiétant de constater que seul un patient ayant besoin de soins palliatifs sur deux en bénéficie. Entre 2007 et 2012, notre pays est passé de 90 à 122 unités de soins palliatifs, le nombre de lits de ces unités progressant de 942 à 1301 en 2012. Mais il est urgent d’aller plus loin. En réalité, nous aurions besoin de 5 000 nouveaux lits et d’un doublement des équipes mobiles, en lien notamment avec les équipes d’hospitalisation à domicile.
Par ailleurs, force est de constater la quasi-inexistence de soins palliatifs dans les établissements médico-sociaux, en particulier dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.
Dans son rapport de 2013 consacré à la fin de vie des personnes âgées, l’Observatoire national de la fin de vie relevait que 85 % des EHPAD ne disposaient pas d’infirmière de nuit, d’où une multiplication des hospitalisations en urgence.
Sur les plus de 17 000 patients qui sont décédés en 2012 aux urgences, 52 % étaient âgés de soixante-quinze à quatre-vingt-neuf ans et 22 % avaient quatre-vingt-dix ans ou plus. Pourtant, 60 % de ces patients ont été hospitalisés pour une pathologie qui aurait nécessité des soins palliatifs.
En outre, il serait nécessaire de renforcer la formation des médecins et des soignants aux soins palliatifs, notamment aux traitements contre la douleur. Cette formation, qui doit être initiale et continue, est indispensable.
La douleur peut désormais être soulagée en France. Et de nombreux services sont formés à ces pratiques. Mais il faut continuer à développer celles-ci en faisant prévaloir la prescription de sédations conformes à des recommandations de bonnes pratiques.
Il existe également un manque de formation à l’écoute et à l’accompagnement des patients. Pourtant, l’échange avec les familles peut apporter un soulagement réel, psychique et bien souvent aussi physique. Je crois que les Français demandent aujourd’hui à être soulagés et accompagnés.
Aussi, madame la ministre, nous espérons que le plan triennal visant à promouvoir la culture palliative que vous avez récemment annoncé aura une traduction concrète dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, texte dont nous allons prochainement discuter.
Enfin, je tiens à saluer le travail accompli lors de la réunion de la commission des affaires sociales ; c’est ce qui nous permet d’examiner aujourd’hui le présent texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 25 janvier 2011, au cours d’une longue nuit, nous avons débattu d’un texte sur la fin de vie assez voisin de celui que nous examinons aujourd’hui. De cette séance, je garde un souvenir douloureux en me remémorant les interventions de Guy Fischer et Jean-Louis Lorrain – animés de convictions, certes, contraires –, deux collègues que le même mal devait emporter quelque temps plus tard.
Était-il nécessaire de rouvrir ce dossier, qui suscitera toujours des positions antagonistes très marquées, mais aussi respectables – et nous devons les respecter ! – les unes que les autres ? Chacun de nous peut et doit avoir ses propres convictions, fondées sur son vécu, ses croyances ou son approche philosophique. Les uns souhaitent un droit à la liberté de l’individu, exigeant de la société qu’elle lui fournisse les moyens de l’exercer ; c’est l’un des enjeux de ce texte. Les autres s’appuient sur les valeurs de la société, le devoir de ne point nuire et d’assurer la protection des personnes les plus fragiles ou en situation de faiblesse.
La commission des affaires sociales souligne d’ailleurs l’ambiguïté du titre de la proposition de loi et propose de supprimer les mots : « en faveur des malades ». C’est heureux ! En revanche, elle ne précise pas ce qu’est le « court terme ». Qui va le définir ? Que faire du patient qui considère que sa souffrance physique ou morale le conduit à vouloir en finir ?
Mais, au-delà de cette ambiguïté, chacun a bien compris que nous sommes de fait face à deux courants de pensée difficilement conciliables. On peut travailler le sens des mots ou trouver des périphrases ambiguës dont l’interprétation plongera les équipes soignantes et les patients dans le doute, sinon dans l’angoisse. En effet, certains patients hésiteront peut-être à faire part de leur souffrance, de peur de voir un protocole terminal mis en place à leur insu. Entre le souhait de tout individu normalement constitué d’éviter toute souffrance à cet instant de la vie et le risque d’une fin provoquée, l’inquiétude naîtra.
La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, ou SFAP, par la voix de son président, Charles Joussellin, rappelle l’avis de son comité scientifique, qui approuve le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans sa réserve sur la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. En revanche, sur le caractère contraignant des directives anticipées, il ne soutient pas l’évolution d’une loi vers un droit à la sédation du patient en fin de vie. M. Charles Joussellin le rappelle : « Pour faire société, les individus s’inscrivent dans un ensemble de valeurs et de croyances qui permettent à l’humanisation de s’instituer autour de lois dont la première est l’interdiction de tuer. » Fallait-il de nouveau légiférer ?
Ces derniers jours, la discussion en commission a conduit à une prise de position qui ne manque pas de m’interpeller. Au nom d’un compromis, ai-je à renoncer à mes convictions profondes et au serment que j’ai prononcé en son temps ? Comment accepter une périphrase dont le sens profond est évident pour tous : la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » ?
J’ai relu Marie de Hennezel, Axel Kahn, Jean-Luc Romero, Louis Puybasset, Léon Schwartzenberg, Jankélévitch, monseigneur d’Ornellas et d’autres. J’ai lu les derniers écrits de Damien Le Guay dans son appel à ce que ce texte soit amendé pour qu’il n’apparaisse pas comme une nouvelle étape vers l’euthanasie. En 2006, Anne Richard taxait l’euthanasie de « combat d’arrière-garde », tant la loi de 2005 semblait donner ce droit à ne pas souffrir dans l’ultime combat du malade contre la mort.
J’ai parcouru le compte rendu des débats à l’Assemblée nationale, notamment la longue discussion de cet amendement déposé par 137 députés qui a finalement été rejeté. Madame la ministre, j’ai lu votre analyse considérant que cette loi était une avancée, mais aussi une étape. Une étape vers quoi ? Il apparaît dans vos propos que, la société française n’étant pas tout à fait mûre, il ne faut pas aller plus loin pour l’instant…
Pour certains, il fallait avant tout lever cette emprise insupportable de l’équipe soignante et du médecin sur la personne. Pourtant, la loi en vigueur, dans son esprit et dans sa lettre, répond à l’immense majorité, pour ne pas dire à la totalité des cas douloureux de fin de vie ; il suffirait de l’appliquer. C’est ce que souligne le professeur Puybasset. D’ailleurs, Axel Kahn le confirme : « Si la loi Leonetti était bien connue et bien appliquée, l’euthanasie transgressive n’aurait pas lieu d’être pratiquée. »
Ce texte voté en l’état suscitera plusieurs interrogations. Dans un essai récent, le professeur Laurent Degos les pose d’une manière assez directe, et je reprends ses termes : « Le Président de la République a souhaité en janvier dernier “une assistance médicalisée pour terminer sa vie en dignité”. Que signifie “assistance médicalisée” de la mort » ? Il soulève aussi d’autres interrogations. La sédation profonde est-elle une euthanasie passive ou un soulagement du patient ? À partir de quand l’acharnement thérapeutique devient-il une obstination déraisonnable ? Est-ce par compassion que l’on va donner la mort ? Quelle vision a-t-on du professionnel de santé qui soigne et qui apporte par ailleurs la mort ? Les termes sont crus ; ils nous interpellent. Mais ce sont bien ces questions auxquelles nous devons nous répondre aujourd'hui !
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, Emmanuel Hirsch, que vous avez cité, évoque une « obstination politique déraisonnable ». Je me permets de reprendre les propos que vous avez tenus voilà quatre ans : « L’évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les valeurs communes qui sont au fondement d’une société et soutiennent ses institutions. […] J’estime, en conclusion, qu’il n’est pas opportun de voter une nouvelle loi ».
Vous comprendrez que je ne voterai pas ce texte. Je remercie le président du RDSE de m’avoir permis de m’exprimer, sachant que les collègues de mon groupe, vous vous en doutez, sont loin d’acquiescer à ma position. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie qui revient aujourd'hui au Sénat en deuxième lecture a donné lieu à de véritables débats de conscience. Autant de signes qui révèlent les difficultés et les limites qu’il y a à légiférer sur un sujet aussi sensible que la fin de vie.
Pour ma part, je me réjouis que de tels débats se soient déroulés, même s’ils ont été difficiles. Il est à l’honneur de notre assemblée et de chacun d’entre nous d’exprimer des convictions, surtout lorsqu’elles touchent à l’intime.
Je m’interrogeais déjà dans cette enceinte, lors de la première lecture, sur l’opportunité, voire sur la nécessité, de revenir sur la loi Leonetti. Je ne m’appesantirai pas sur ce point, car Gilbert Barbier vient de rappeler que l’urgence ne se situait effectivement pas là. C’est pourquoi d’autres collègues et moi-même nous sommes attachés alors à faire entendre la voix de ceux qui redoutent une judiciarisation de la mort. Les amendements que nous avions déposés – certains d’entre eux, et je vous en remercie, ont été adoptés – ne visaient pas d’autre objectif.
La navette parlementaire a eu le mérite de faire ressortir des consensus comme des points d’achoppement et de permettre, à la lumière de débats au cours desquels les consciences se sont exprimées, de tendre vers une rédaction plus nuancée, équilibrée et consensuelle du texte.
La rédaction que nous propose aujourd'hui la commission reprend ainsi certaines dispositions adoptées précédemment en séance, et je m’en réjouis. Il ne s’agit toutefois pas d’un rétablissement pur et simple du texte adopté en première lecture, la commission ayant souhaité « atteindre le plus large consensus possible, étant donné la diversité des positions qui se sont exprimées au Sénat. »
Je partage cet avis et tiens à rendre hommage aux rapporteurs et à nos collègues membres de la commission des affaires sociales pour leur travail afin d’aboutir à un texte le plus largement acceptable par tous. Je le dis clairement : le Sénat doit parvenir à un texte, nous sommes résolus à ce qu’il y arrive !
J’ai entendu les appels lancés en faveur du dialogue, mes chers collègues. Je viens de l’indiquer, nous sommes parfaitement disposés à trouver un accord. Je m’étonne néanmoins : les mêmes qui appellent au consensus affirment souhaiter revenir sans délai sur ce texte, au risque peut-être d’en briser l’équilibre ! Le consensus appelle la confiance, l’engagement et la durée. Il ne doit s’agir en aucun cas d’un marché de dupes sur l’instant pour parvenir à un texte.
La première vertu du débat aura été de poser la question des moyens qui sont affectés aux soins palliatifs. Nous avons été nombreux en première lecture à rappeler notre attachement à la mise en place de ces soins sur l’ensemble du territoire, dispositif qui était au cœur de la loi Leonetti. Cette exigence, nous la retrouvons dans le texte issu des travaux de la commission.
Je note que le Gouvernement vient d’annoncer l’octroi d’une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour le développement des soins palliatifs. Si nos débats en première lecture n’avaient eu que ce mérite, ce serait toujours cela d’engrangé ! Il faut continuer dans cette voie.
De plus, un progrès du texte résultant des travaux de la commission concerne la formation, la suppression de la notion de traitements inutiles, la suppression de la prolongation inutile de la vie, l’hydratation considérée de nouveau comme un soin et qui peut être maintenue jusqu’au décès, les directives anticipées qui ne « s’imposent » plus au médecin, mais « sont respectées », et la personne de confiance qui exprime non plus un avis, mais un témoignage.
Toutefois, mes chers collègues, une interrogation demeure à l’article 3, voire une divergence. Nous sommes là au cœur du dispositif.
En première lecture, une majorité d’entre nous avait considéré qu’il ne fallait pas faire de la sédation une pratique irréversible et avait supprimé la mention « et continue jusqu’au décès » en adoptant un amendement en ce sens. Un grand nombre de collègues ont vu dans cette modification une dénaturation de la proposition de loi et ont voté en définitive contre le texte pour cette raison.
Je rappelle que ce qui nous choquait n’était pas tant la sédation en soi, pratique existante et déjà encadrée par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, que son caractère impératif inscrit dans le marbre de la loi, et sans alternative. À mon sens, une latitude doit être laissée aux soignants et aux proches. J’ai donc déposé avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à ce que la sédation soit une possibilité et non une prescription. Ce serait un précédent que d’inscrire une prescription médicale dans un texte de loi. Évitons la judiciarisation de la fin de vie, et plus encore de la médecine.
Pour conclure, je constate que les vicissitudes de la présente proposition de loi révèlent l’ampleur et les difficultés de la tâche qui nous incombe : donner un cadre législatif acceptable et satisfaisant aux pratiques médicales de la fin de vie ! C’est tout l’intérêt de la navette, qui a permis de faire apparaître et de retenir les précisions et les nuances rendant possible l’application de cette proposition de loi au nombre infini de cas de fin de vie.
Mes chers collègues, nous devons bien mesurer et peser les conséquences des mots et des virgules retenus. Les membres de mon groupe détermineront leur vote final à l’issue de la commission mixte paritaire. Nous espérons vivement que celle-ci reprendra l’intégralité des avancées figurant dans le texte de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois encore, le sujet de la fin de vie est débattu à la Haute Assemblée. Je risque donc de nouveau d’avoir le sentiment de me répéter, car ma position est restée inchangée sur ce point depuis mon arrivée au Sénat en 2001.
Au cours de cette période, j’ai déposé ou signé plusieurs propositions de loi qui relevaient toutes du même esprit et de la même intention. Nous avions réussi à proposer un texte signé par des sénatrices et sénateurs appartenant à tous les groupes politiques de cette assemblée, comme l’a rappelé Mme Bouchoux tout à l’heure.
Je le répète, ma conviction repose sur cette question posée par Balzac dans La Comédie humaine : « Les souffrances les plus vives ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? » Le reste n’est que développement et déclinaisons de cette idée.
Comme nous l’avons constaté tout au long des débats, écrire la loi sur les façons de mourir, sur les souffrances de la fin de vie et sur l’aide qui peut être apportée dans ces situations est un exercice très délicat pour le législateur. Nous devons le faire en portant toute notre attention sur l’individu, sa dignité, sa liberté et le respect de ses valeurs. Autant que possible, je considère que notre rôle doit être de lui laisser le droit de décider pour lui-même.
Le professeur Jean-Claude Ameisen a posé récemment une très bonne question : « En fin de vie, entre soulager la douleur ou raccourcir le temps qu’il reste à vivre, qu’est-ce qui est essentiel ? » La réponse devrait être simple : c’est au malade de choisir ce qui est fondamental pour lui, et à personne d’autre.
Il n’est question que d’un droit ; un droit contre la souffrance ; le droit de refuser certaines souffrances. Il est question d’une liberté aussi, d’une toute dernière liberté ! Que l’on en use ou non, la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir lorsque des conditions strictes sont réunies constituerait une liberté en soi, qui suffirait souvent à apaiser certains malades et ne s’imposerait à personne.
Les opinions sur ce sujet ne reproduisent pas les clivages que l’on retrouve habituellement dans notre assemblée, car elles se forment sur des convictions intimes, qui peuvent être religieuses, philosophiques ou qui rappellent parfois le vécu de ceux qui ont accompagné une personne souffrante en fin de vie.
Je ne vous étonnerai donc pas en exprimant le regret de ce que je perçois comme un décalage avec la volonté de l’opinion publique. J’espérais que cette proposition de loi permettrait aux personnes qui le souhaitent de bénéficier d’une aide pour mourir, qui aurait été réalisée par un acte délibéré. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé avec un certain nombre de mes collègues à l’article 3.
Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort ; c’est un choix entre deux façons de mourir. J’ai osé un temps espérer une loi qui irait plus loin, avec des avancées plus franches. Mais je sais aussi que les véritables changements se font souvent par petits pas. Finalement, cette proposition de loi prend le bon chemin. C’est ce que j’ai compris de votre intervention à l’Assemblée nationale, madame la ministre, lorsque vous avez déclaré que le débat restera ouvert et qu’une étape supplémentaire pourra à l’avenir paraître nécessaire au Parlement. Je l’espère bien. Mais quand ? Et avec quelle majorité ?
Plusieurs dispositions du texte présentent à mes yeux de véritables avancées, qui doivent être reconnues.
L’article 3 de la proposition de loi prévoit la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, afin d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement la vie. Cette sédation est associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie.
La sédation terminale est une assistance médicalisée pour mourir que je qualifierais de « passive ». Nous savons qu’elle est en réalité déjà bien souvent pratiquée. L’inscrire dans la loi permettra non seulement de clarifier le droit, mais aussi d’uniformiser les pratiques sur le territoire. Cela protège donc tant les médecins qui pratiquent cette sédation, que les patients dans leur droit à y avoir accès.
L’opposabilité des directives anticipées est prévue par l’article 8. Là aussi, il s’agit d’une avancée non négligeable. À mesure que l’on élargira ce qui pourra être inscrit dans les directives anticipées, le sens de cette disposition grandira. Donner un caractère contraignant aux directives anticipées, c’est reconnaître l’autonomie de la volonté des malades, ce qui est une très bonne chose.
L’article 9 crée, quant à lui, un réel statut de la personne de confiance. Il la reconnaît comme véritable interlocuteur dont le « témoignage prévaut sur tout autre » et lui donne sa place dans tout dispositif d’hospitalisation, ou lorsque la personne serait hors d’état d’exprimer sa volonté. C’est une avancée considérable. Cet article me semble essentiel tant on voit à quel point ces situations difficiles peuvent déchirer les familles. La désignation d’une seule personne de confiance qui sera l’unique personne référente et d’un éventuel suppléant choisis par la personne malade est une disposition de nature à préserver la liberté et les choix du malade. Je ne peux donc que l’approuver.
Enfin, je souhaite insister sur un dernier point, dont nous aurons à débattre cet après-midi : la question de l’hydratation artificielle qui avait déjà fait débat en première lecture et sur laquelle nous avons trouvé un point d’accord. Cette hydratation doit-elle être considérée comme un traitement qui peut donc être interrompu au même titre que l’alimentation artificielle ou comme un soin ? La commission des affaires sociales a estimé que, au regard de la souffrance que peut entraîner la déshydratation, celle-ci constitue un soin qui peut être – j’insiste sur cette nuance – maintenu jusqu’au décès. Cette rédaction me semble adaptée.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. Elle protège les malades. Cette formulation, après de longs débats, pourrait faire l’objet d’un consensus dans cet hémicycle.
Telles sont, mes chers collègues, les avancées présentées par le texte qui nous est soumis aujourd'hui et que je tenais à souligner, bien que je sois convaincu que la société était aujourd’hui prête à aller plus loin. Voilà pourquoi j’ai déposé avec certains autres collègues un amendement à l’article 3.
Permettez-moi d’ajouter quelques mots pour remercier le président de la commission de son écoute permanente et amicale, ainsi que les rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable, afin de parvenir à un accord. Le texte examiné hier en commission pourrait, au final, recueillir mon assentiment, même si je ne désespère pas de convaincre la Haute Assemblée lors de l’examen de l’article 3. Enfin, je remercie chaleureusement Georges Labazée de la qualité constante, amicale et fidèle de nos échanges. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Je dirai seulement quelques mots, car nous avons déjà eu de riches échanges lors de la première lecture au sujet des ambitions de cette proposition de loi. Nous avons entendu les inquiétudes des uns, réaffirmées à cette tribune par certains orateurs, et les regrets des autres, qui auraient souhaité que le texte aille plus loin.
Nous avons perçu au travers des interventions qui se sont succédé la volonté exprimée par tous de chercher à répondre, dans le respect des convictions de chacun, aux préoccupations de notre société.
Je commencerai par remercier l’ensemble des orateurs du ton adopté lors de cette discussion générale et de leur recherche d’un compromis, d’un point d’équilibre, d’un consensus peut-être impossible.
Je remercie également, bien entendu, les rapporteurs, le président et les membres de la commission des affaires sociales, ainsi que tous les orateurs de la tonalité apaisée de leurs propos, même s’ils n’ont pour autant rien caché de leurs inquiétudes, de leurs attentes et de leurs regrets.
De même, le travail réalisé par le Gouvernement a précisément été de chercher, par-delà les convictions des uns et des autres, un point d’équilibre permettant de mieux prendre en compte les attentes de notre société. En effet, les différents orateurs l’ont dit, nous avons tous été confrontés – ou nous le serons un jour, pour nous-mêmes ou pour nos proches – aux interrogations que soulève ce texte.
Il arrive, et c’est heureux, que la mort survienne dans des conditions telles que ces questions nous soient épargnées. Mais il arrive aussi, de plus en plus souvent, que nous soyons conduits à nous interroger sur la prolongation des traitements.
Ces traitements méritent, toujours, d’être prolongés. Pour autant, doivent-ils forcément l’être ? Au regard de ce que chacun d’entre nous conçoit et attend de la vie en ses derniers moments, cette question doit être posée.
Encore une fois, nous devons respecter les convictions de tous, quels que soient leurs fondements. Mais je tiens à dire aussi, de la manière la plus forte qui soit, que la proposition de loi que le Gouvernement vous propose d’adopter, mesdames, messieurs les sénateurs, est un texte de liberté, et en aucun cas de contrainte pour qui que ce soit.
M. le rapporteur pour avis de la commission des lois s’est inquiété d’une possible automaticité. Or il n’y en a pas et il ne peut pas y en avoir ! Je tiens à le dire ; j’aurais pourtant pu concevoir, vous le savez, que le texte aille plus loin. Lorsqu’il s’agit du choix de la vie ou de la mort, il ne peut pas y avoir d’automaticité. Ce serait une perspective absolument insupportable ! Voilà pourquoi cette proposition de loi est, je le répète, un texte de liberté.
Vous avez rappelé, monsieur Barbier, tout en défendant vos convictions, que j’avais présenté ce texte comme une possible étape. « Une étape vers quoi ? », m’avez-vous demandé.
Quant à M. Godefroy, il a indiqué qu’il se résoudrait à accepter ce texte précisément parce que j’avais expliqué qu’il s’agissait d’une étape. Il s’est également interrogé sur le rythme auquel pourrait avancer la législation en la matière.
Ma réponse est simple : ce texte est une étape vers ce que souhaiteront les parlementaires !
Aujourd’hui, un point d’équilibre a été trouvé entre ceux qui auraient voulu aller plus loin et ceux qui auraient préféré que l’on ne modifie rien.
À ceux qui auraient souhaité aller au-delà, je réponds qu’il leur appartiendra de poursuivre ce débat au sein de la seule enceinte habilitée à se prononcer sur cette question, c’est-à-dire le Parlement, et de continuer à défendre cette attente, cet espoir et cette volonté.
À ceux qui, au contraire, veulent en rester là, je dis que de toute façon la société n’est pas prête à aller plus loin, sauf à susciter sur ces questions des débats sans doute vifs.
Certains, à l’Assemblée nationale, ont exprimé le souhait d’aller plus avant. Adopter leurs préconisations aurait probablement provoqué des réactions encore plus vives que celles que nous avons entendues dans cet hémicycle en première lecture.
Je respecte tout à fait ce que le Parlement décide à un moment donné. S’il n’y a pas dans les prochaines années d’autre travail législatif sur le sujet, c’est parce que les parlementaires auront jugé que c’est mieux ainsi. Il ne m’appartient pas de déterminer à l’avance ce qui sera fait à l’avenir ! Mais, à l’évidence, la porte reste ouverte ; elle l’est en tout cas pour certains d’entre vous et pour une partie de nos concitoyens.
Voilà ce que je voulais dire à ce stade de notre débat. Des questions importantes ont été posées, et je ne les laisse pas de côté.
J’ai déjà évoqué le malaise du Gouvernement s’agissant de l’article 2 tel qu’il est issu des travaux de la commission. Nous reviendrons, notamment, sur la question de l’hydratation. Sans doute y a-t-il moins de distance que ce que l’on croit pour ce qui concerne le critère de l’inutilité qui n’a pas le même sens aux articles 2 et 3. Peut-être y a-t-il là un éclaircissement à apporter ; nous le ferons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de débattre de ces questions essentielles à l’occasion de l’examen des articles. Je m’en tiendrai, pour l’instant, aux remerciements et au rappel des objectifs poursuivis par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
7
Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. La commission des lois a présenté une candidature pour la désignation d’un membre titulaire au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, je proclame M. Mathieu Darnaud comme membre titulaire de cet organisme extraparlementaire.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
8
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat et le site internet du Sénat.
Les auteurs de questions du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique. Ceux des groupes communiste républicain et citoyen, RDSE et écologiste disposent, quant à eux, de deux minutes trente, y compris la réplique.
Je demande aux orateurs de respecter leurs temps de parole.
La durée des réponses des membres du Gouvernement ne doit pas excéder le temps maximal imparti à l’auteur de la question.
situation des chambres d'agriculture en bretagne
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.
M. Joël Labbé. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
Monsieur le ministre, les présidents des chambres d’agriculture des quatre départements de la région Bretagne ont adressé un courrier à l’ensemble des agriculteurs bretons le 28 septembre dernier par lequel ils les incitent à refuser de déclarer les flux d’azote épandus sur leurs terres.
De ce fait, ces responsables d’établissements publics financés par l’impôt, censés représenter toutes les formes d’agriculture, dans leur diversité, appellent l’ensemble de leurs membres à violer la réglementation. Sur ce grave manquement, le Gouvernement est, à ma connaissance, resté silencieux jusqu’à aujourd'hui.
Monsieur le ministre, nous attendons de vous que vous rappeliez publiquement ces responsables à leurs devoirs, à leurs obligations, à leurs responsabilités. Êtes-vous à même de le faire ce jour devant la représentation nationale ? Telle est ma première question.
Ma seconde question concerne le fond de cette affaire. L’obligation de déclaration des flux d’azote a largement été utilisée comme argument lors des négociations avec la Commission européenne en 2014, pour obtenir de celle-ci la suppression de l’interdiction d’extension des élevages industriels dans les cantons situés en zones d’excédent structurel. Elle a aussi servi pour sortir des contentieux européens sur les prises d’eau redevenues conformes.
Si le principe de la déclaration est justifié, l’application de cette réglementation n’est pas satisfaisante pour nous, écologistes, pas plus qu’elle ne l’est pour de nombreux agriculteurs, mais pas pour les raisons invoquées par les chambres d’agriculture, derrière lesquelles plane, il faut le dire, l’ombre de la toute puissante FNSEA. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Elle n’est pas satisfaisante, car, en cas de dépassement des flux calculés sur un département, il y aura une réduction automatique des flux d’azote de l’ensemble des exploitations, sans prise en considération de leur taille, de leur rentabilité et de leurs pratiques culturales. L’ensemble des agriculteurs, même les plus vertueux, seraient pénalisés. Aussi le volet « sanction » de cette réglementation doit-il être révisé.
Je crois savoir que vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à revoir ce volet dans un sens qui soit conforme aux principes d’équité et de proportionnalité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué le sujet, que tout le monde a dû parfaitement comprendre, à savoir la règle de l’azote total.
C'est lors de la discussion de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ici, au Sénat, que nous avions défini ce principe. En essayant de rester simple, de quoi s’agit-il ?
En Bretagne, alors que certaines zones connaissent un excédent de matières organiques azotées lié en particulier à l’élevage, des agriculteurs achètent de l’azote minéral, avec lequel ils fertilisent leurs terres. Le principe que nous avons posé a été de mettre en place un processus permettant de substituer l’excédent d’azote organique à l’azote minéral : cet engagement nous a permis – vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur –, lors de la négociation européenne sur les zones vulnérables, de sortir un certain nombre de territoires des zones d’excédent structurel, voire des bassins contentieux. C'est un véritable sujet en Bretagne.
Pour appliquer ce principe, il faut disposer d’une référence pour les deux types d’azote, l’organique et le minéral. Tel est l’objet du débat. Oui, les chambres d’agriculture sont des établissements publics. Et si je ne me suis pas exprimé sur ce point, en revanche, un courrier a été envoyé au préfet de région, lequel a réuni l’ensemble des représentants des chambres d’agriculture le 16 octobre dernier pour leur rappeler leurs obligations en tant que responsables d’établissements publics.
Vous avez ensuite évoqué, monsieur le sénateur, le fait que, en cas de dépassement par rapport à l’objectif fixé de flux d’azote total, les sanctions prévues étaient collectives. Je suis prêt, dans le cadre de la négociation qui a été engagée à la suite de la réunion du 16 octobre, à cibler ceux qui utilisent le plus de fertilisants à l’hectare, afin d’éviter justement que tous les agriculteurs ne soient sanctionnés, quand certains sont plus responsables que d’autres.
L’objectif est donc simple. La règle est de mieux gérer l’azote à l’échelle d’une région comme la Bretagne. Nous devons l’appliquer, car elle nous a permis de négocier la sortie des zones d’excédent structurel et des bassins contentieux. Enfin, nous nous sommes mis autour de la table, afin de nous mettre d’accord…
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … sur une sanction non pas collective, mais individuelle et ciblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
retraites et pensions de réversion
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Michelle Demessine. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Cette semaine, la presse nationale s’est fait l’écho du cas de futurs retraités qui seront confrontés à des retards de versement de pension. Le président de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, a minimisé la situation en avançant que seuls 3 à 4 % des dossiers seraient concernés, soit 23 700 personnes cette année.
Je connais bien ce problème. Depuis 2013, les retraités de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie en font la douloureuse expérience.
Les dysfonctionnements du service public des retraites sont pourtant connus : le surcroît des dossiers certes, mais aussi les effets du « tout informatique » et ses corollaires, à savoir la diminution des effectifs, ainsi que la fermeture des accueils et autres permanences dans les territoires. Bref, une déshumanisation en marche !
Bien sûr, il ne s’agit pas de refuser le progrès. Mais, selon moi, dans le domaine social, l’humain restera toujours une valeur à préserver.
Pour mettre fin à ces situations, après avoir cependant tardé, vous avez, madame la ministre, fait publier le 19 août dernier un décret qui instaure un droit opposable. Néanmoins, ce n’est pas un droit pour tout le monde. Il y a des exclus : les affiliés aux autres régimes spéciaux, qui subissent pourtant aussi des retards, et surtout les bénéficiaires d’une pension de réversion.
Ce fait concerne essentiellement des veuves qui ont de faibles ressources et dont la pension de réversion est souvent le seul revenu. Pour ces femmes, le scandale de la CARSAT, la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, continue ! Que comptez-vous faire pour elles ?
Madame la ministre, nos services publics sociaux – c'est le cas non pas seulement de la CARSAT, mais aussi des caisses d’allocations familiales – explosent avec la montée en charge des problèmes sociaux et les conséquences des réformes successives visant à faire des économies de gestion.
Les personnels sont en première ligne : c’est très dur, ils n’en peuvent plus ! Cette pression entraîne des comportements agressifs – quand ce ne sont pas des agressions –, dont ni les usagers ni les personnels ne sont responsables, mais dont ils sont surtout victimes.
Actuellement est en discussion le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Or la convention d’objectifs et de gestion 2014-2017 prévoit encore la suppression de 9 000 emplois dans l’ensemble des organismes sociaux. Depuis 2009, pour ce qui concerne la branche retraite, 1 600 postes ont été supprimés, soit un peu moins de 13 % des effectifs.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Michelle Demessine. Madame la ministre, que comptez-vous faire pour que nos services publics sociaux, si précieux en cette période, retrouvent leurs lettres de noblesse ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la sénatrice, vous évoquez un problème bien connu qui, notamment, mais pas exclusivement, a affecté votre région : la surcharge de dossiers en retard en matière de liquidation des retraites. La CARSAT du Nord-Pas-de-Calais a été particulièrement touchée.
Cette situation m’a conduite à engager un certain nombre de mesures, parmi lesquelles l’attribution d’aides d’urgence aux personnes concernées. J’ai annoncé la mise en place d’une garantie de paiement des retraites – c'est-à-dire un droit opposable à la retraite – qui sera effective à partir du 1er janvier prochain pour les dossiers qui ont été déposés depuis le mois de septembre.
C’est la Caisse nationale d’assurance vieillesse qui, en simplifiant les règles de calcul des pensions de retraite, permettra à toute personne partant à la retraite d’être certaine de toucher à la fin du premier mois une somme correspondant approximativement au montant de sa pension.
Vous avez souligné, madame la sénatrice, que cette mesure ne visait pas l’ensemble des régimes. Il est vrai qu’elle concerne d’abord la Caisse nationale d’assurance vieillesse, les premiers régimes de base, le régime social des indépendants puis la Mutualité sociale agricole. Elle a toutefois vocation – c’est en tout cas mon souhait – à être étendue à l’ensemble des régimes de base. J’ai eu l’occasion de l’indiquer, hier, le Gouvernement a pris la décision d’appliquer la règle du droit opposable à la retraite également aux pensions de réversion, même si les situations sont très différentes.
Vous le constatez, la décision annoncée dès hier par le Gouvernement permettra à ces femmes qui ont de très bas revenus, voire aucun, et qui comptent sur la pension de réversion de percevoir cette pension au plus tard dans les quelques semaines suivant l’ouverture de leurs droits.
Le Gouvernement se préoccupe donc, madame la sénatrice, de la situation des retraités et prend les mesures nécessaires pour faire vivre notre système social. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
charte européenne des langues régionales
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour le groupe socialiste et républicain.
M. François Marc. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Le vote intervenu ce mardi au Sénat sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a créé une véritable onde de choc dans nos territoires. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
On sait que, depuis 1992, vingt-cinq pays européens ont ratifié cette charte, mais pas la France !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Et alors ?
M. Hubert Falco. La Méditerranée ne s’est pas retirée !
M. François Marc. Dans ce contexte, par son vote d’obstruction, la droite sénatoriale a causé une énorme déception chez tous les promoteurs de nos cultures et langues régionales, au Pays basque, en Corse, en Occitanie, en Alsace, aux Antilles, en Bretagne et dans de nombreux autres territoires qui, dans leur riche diversité, ont tant apporté à la République une et indivisible.
Nombre de nos concitoyens ne comprennent pas d’où viennent les craintes à l’égard de ce que le Conseil constitutionnel reconnaît déjà comme faisant partie du patrimoine culturel de la nation.
M. François Grosdidier. Nous n’avons jamais dit le contraire !
M. François Marc. Ayons à l’esprit, mes chers collègues, que le Programme des Nations unies pour l’environnement a récemment émis une alerte sur le risque d’extinction de 90 % des langues parlées dans le monde au cours du XXIe siècle.
M. le président. Il vous reste trente secondes, mon cher collègue !
M. François Marc. Chacun doit en convenir, la disparition de notre riche patrimoine linguistique serait une catastrophe qu’il nous faut à tout prix éviter. Nous devons dès lors démontrer notre détermination à agir par des signaux forts, et la promotion des langues régionales dans leur diversité doit pouvoir être soutenue par une République forte, enrichie de toutes nos différences.
M. le président. Veuillez conclure !
M. François Marc. Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire quelle analyse vous faites du vote intervenu au Sénat le 27 octobre dernier ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Quelles initiatives comptez-vous prendre pour faire de nos langues régionales un atout culturel qu’il faut encourager ? (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
Mme Nicole Bricq. En catalan ?
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur, oui les langues sont une richesse pour le monde – nous avons tous en tête le rapport des Nations unies – et pour la France. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit avec ironie.)
Notre pays est riche de son histoire, riche de la diversité de ses territoires – que vous représentez, mesdames, messieurs les sénateurs –, riche de ses traditions en métropole, dans les outre-mer, sur tous les continents. Il est riche aussi de son unité ; il n’y a là aucun paradoxe. Vous l’avez dit très justement, monsieur Marc : la République est une et indivisible et elle est aussi diverse. C’est toute sa chance et toute sa force ; il ne faut pas en avoir peur.
Alors oui, je le répète – je l’ai déjà dit hier à l’Assemblée nationale –, je regrette profondément le choix de la majorité sénatoriale de rejeter le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ou, plus exactement, de refuser même d’en débattre.
Au moment où notre pays a besoin d’écrire une histoire qui reconnaisse précisément toutes les histoires,…
Mme Frédérique Espagnac. Absolument !
M. François Grosdidier. Et un ciment qui est la langue !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … un idéal ambitieux qui fasse place à tous nos concitoyens, je le dis à la majorité sénatoriale – tout en respectant évidemment le vote et les choix de chacun –, je déplore ce choix.
Je l’affirme très sincèrement : je crois que ce choix est une erreur. C’est une erreur politique, car, pour masquer vos propres divisions sur cette question-là – ce sont des choses qui arrivent – (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. François Grosdidier. Vous oubliez les radicaux de gauche !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … vous avez utilisé un artifice de procédure ; vous n’êtes pas les premiers, et vous ne serez pas les derniers à le faire. C’est aussi une erreur, parce que, ce faisant, vous, majorité sénatoriale, avez refusé – avec parfois quelque contradiction par rapport à ce que l’on peut entendre à quelques semaines du rendez-vous des élections régionales – d’entendre les territoires que vous représentez.
Pourtant, cette erreur est un contresens, car la Charte n’introduit pas – comme cela a été prétendu, d’ailleurs – le communautarisme dans notre République ; elle ne vise qu’à protéger, à promouvoir les langues régionales ou minoritaires comme partie intégrante – vous l’avez très bien dit, monsieur Marc – de notre patrimoine culturel et historique.
M. François Grosdidier. C’est déjà dans la Constitution !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette Charte ne remet pas en cause notre langue nationale, le français ; vous savez combien je suis attaché, comme chacun d’entre vous, à cette langue, qui a permis à la France de porter haut dans le monde ses principes et ses valeurs universelles, et vous savez combien nous devons défendre le français dans le monde.
Toutefois, porter les valeurs de la France, défendre la République et son unité, ce n’est pas rejeter les langues régionales.
M. François Grosdidier. Nous ne les rejetons pas !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce n’est pas non plus adresser le message de défiance que vous avez choisi d’envoyer à tous ceux qui parlent occitan, catalan, breton, basque ou créole.
Monsieur le sénateur, une République forte, c’est une République qui a confiance en elle-même ! Une République forte, c’est une République une et indivisible, non une République enfermée dans la conception étroite et rabougrie de son unité, non une République au cœur sec qui chasse de son patrimoine national tous les imaginaires sans lesquels la langue française, notre culture, ne serait pas aussi belle !
M. François Grosdidier. Caricature !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Mona Ozouf, que vous connaissez bien, dit que l’on peut être à la fois Breton, Français et républicain ; c’est cela la plus belle définition de ce que nous sommes : nous portons une conception ouverte, non pas fermée ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, et sur quelques travées du groupe CRC.)
politique fiscale du gouvernement
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont, pour le groupe de l’UDI-UC.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le Premier ministre, j’apprécie la vérité de certains de vos constats et de certains de vos propos. Voilà quelques jours, vous avez honnêtement parlé d’une « fiscalité trop élevée, ayant fait des dégâts considérables » et créant « une forme de rupture entre les Français et l’impôt ». Je vous en sais gré, d’autant plus qu’une partie de vos amis – sont-ils d’ailleurs vraiment vos amis ? – ne partagent pas cette analyse.
Néanmoins, le projet de budget pour 2016 prévoit 22 milliards d’euros de recettes supplémentaires, et jamais le poids de l’impôt sur l’économie n’aura été aussi important.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Et voilà !
M. Jean-Léonce Dupont. Les foyers fiscaux assujettis à l’impôt sur le revenu verront encore une fois leurs cotisations fiscales augmenter significativement ; le produit de cet impôt, qui s’établissait à 59,5 milliards d’euros en 2012, devrait atteindre plus de 72 milliards en 2016. Pour bien comprendre, il faut signaler que, certes, le nombre d’assujettis va être réduit, mais que le produit fiscal va continuer à augmenter pour les 46 % des ménages qui demeurent assujettis ; et je ne m’étends pas sur l’augmentation de la fiscalité du gazole et de l’essence d’ici à 2020…
Alors, monsieur le Premier ministre, ma question est extrêmement simple : pourquoi n’arrivez-vous pas à transcrire dans les actes les conséquences qu’il faudrait tirer de votre propre constat ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur, je vous réponds bien volontiers.
Oui, l’impôt sur le revenu a beaucoup augmenté ces dernières années, depuis 2010 ! En la matière – je l’ai d’ailleurs dit à l’occasion de ma déclaration de politique générale de 2014 –, la responsabilité est partagée : près de 12 milliards d’euros d’augmentation sous la droite et autant après le changement de majorité.
Effectivement, nous avions décidé des hausses pour les ménages les plus aisés, afin de redresser nos finances publiques, mais les augmentations successives ont également conduit à rendre imposables des ménages qui n’avaient pas vocation à l’être et à accroître excessivement l’impôt dû par les classes moyennes.
Pour ma part, je crois au discours de vérité sur le niveau des déficits publics, sur le niveau du chômage auquel nous nous sommes habitués depuis des années, mais aussi sur la question de la fiscalité nationale ou locale. Puisque j’assume ces responsabilités, je souhaite aussi que chacun assume les siennes, plutôt que d’alimenter une polémique stérile. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Cette augmentation de l’impôt sur le revenu, notamment par un mécanisme dont on parle beaucoup auprès des élus, à savoir la suppression décidée en 2008 – oui, en 2008, monsieur Bas ! – de la demi-part supplémentaire dont bénéficiaient certaines personnes seules, a en outre eu des conséquences sur la fiscalité locale. Nous avons donc considéré qu’il était important d’engager une baisse de la fiscalité, pour plus de 4 millions de ménages modestes en 2014. Cet effort a été amplifié cette année au bénéfice de 9 millions de ménages des classes moyennes et il sera poursuivi en 2016, pour la troisième année consécutive. L’impôt sur le revenu, vous le savez, sera ainsi allégé de plus de 2 milliards d’euros, et 8 millions de ménages bénéficieront d’une baisse supplémentaire.
Finalement, c’est bien que vous posiez cette question, monsieur Dupont, car, de cette manière, nous avons ce débat à quelques jours de l’examen par le Sénat du projet de loi de finances ; ainsi, au total, l’impôt sur le revenu des ménages modestes et des classes moyennes aura été allégé de 5 milliards d’euros depuis 2014. C’est exactement ce sur quoi je m’étais engagé dans ma déclaration de politique générale en avril 2014.
En matière de fiscalité locale, l’État a également réalisé des efforts importants : les seuils de revenus permettant aux contribuables modestes, notamment les retraités, de bénéficier d’un allégement de la taxe d’habitation et de la taxe foncière avaient été gelés par la précédente majorité. Ils ont déjà été fortement relevés, et, comme Christian Eckert l’a annoncé, nous irons au-delà dans la loi de finances pour 2016 grâce à un amendement adopté par l’Assemblée nationale sur l’initiative de Mme Christine Pires Beaune. Vous aurez donc l’occasion d’en débattre.
Monsieur le sénateur, la responsabilité consiste aussi à reconnaître que la situation de nos comptes publics était dégradée en 2012 : un déficit de près de 5 % du PIB et une dépense publique non maîtrisée. (Protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Nous faisons des économies,…
M. Guy-Dominique Kennel. Vous augmentez les impôts !
M. Manuel Valls, Premier ministre. … même si l’on peut toujours considérer qu’il faut en faire plus ; d’ailleurs, Les Républicains proposent de diminuer les dépenses de 100 à 150 milliards d’euros ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est la vérité !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il faudra dire – j’ai déjà eu l’occasion de vous le demander – comment vous allez le faire !
M. Roger Karoutchi. Lorsque nous serons aux affaires !
M. Manuel Valls, Premier ministre. En augmentant les impôts ? En vous attaquant au ministère de l’intérieur ? À la défense ? À l’éducation nationale ? Aux politiques de santé ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Quand on veut débattre, il faut tout mettre sur la table ; il faut ce moment de vérité !
Alors oui, nous baissons les impôts, oui, nous baissons la dépense publique, oui, nous nous attaquons à l’endettement tout en préparant l’avenir ! C’est tout simplement cela la politique du Gouvernement que je défends ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du RDSE. – M. Patrick Abate applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Léonce Dupont, pour la réplique.
M. Jean-Léonce Dupont. Monsieur le Premier ministre, nulle volonté chez moi de ne pas voir les responsabilités des uns et des autres, mais vous et vos amis êtes aux responsabilités depuis maintenant trois ans et demi ; il faut que vous l’intégriez. Je suis désolé de vous le dire, je n’ai pas le sentiment que les impôts baissent, que les dépenses publiques baissent.
Je me permettrai simplement de formuler un vœu : je souhaite que certains de vos amis abandonnent leur vision pseudo-moralisatrice du rôle de l’impôt et trouvent l’équilibre nécessaire et subtil entre la recherche de justice et l’efficacité économique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
politique fiscale du gouvernement
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, pour le groupe Les Républicains.
M. Daniel Laurent. Monsieur le Premier ministre, ma question porte aussi sur la politique fiscale du Gouvernement qui a provoqué depuis le début du quinquennat une rupture entre nos compatriotes, l’impôt et l’État. Je pense aux classes moyennes, qui paient comme d’habitude le plus lourd tribut ; elles ont vite compris qu’elles avaient été dupées avant d’être tondues. (M. Alain Bertrand proteste.) Je pense aussi aux personnes âgées nouvellement assujetties à l’impôt, malgré leurs petites retraites ; elles nous font part de leur incompréhension et de leur désarroi !
Quelle est votre parade ? À cause de la seule perspective de 2017, aucune réforme de fond, sinon le relèvement des seuils des impôts financés par la hausse de la taxation du diesel ! Sans arrêt, vous offrez l’illusion de donner d’une main alors que vous reprenez de l’autre, en ajoutant des taxes supplémentaires au passage !
Monsieur le Premier ministre, vous faisiez la semaine dernière un mea culpa – cela a déjà été dit – sur la hausse sans précédent des impôts pour les ménages et les entreprises. En effet, ce sont 10 milliards d’euros d’impôts supplémentaires que les ménages ont payés en 2014, 5 milliards d’euros en 2015 et ils en paieront 4 milliards de plus en 2016 ! Aujourd’hui, presque tous les pays en Europe font leur révolution fiscale ; ils baissent les impôts pour relancer l’économie, ils réduisent leur déficit et leur chômage, lui, diminue !
Je ne peux m’empêcher d’évoquer les conséquences dramatiques, sur l’économie locale et sur l’emploi, de la baisse des dotations aux collectivités, avec toutes les charges supplémentaires que vous nous avez rajoutées depuis 2012, alors que la pression fiscale pesant sur les ménages et les entreprises atteint des records.
Votre gouvernement compte sur les contribuables pour financer localement les économies qu’il entend réaliser au plan national ; c’est un nouveau jeu de dupes !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Laurent. Les Français sont très inquiets pour leur avenir et pour celui de leurs enfants ; le pouvoir d’achat ne cesse de baisser, nos entreprises sont asphyxiées : les charges et les normes les contraignent. La reprise tant annoncée n’est pas au rendez-vous. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC pour indiquer à l’orateur que son temps de parole est épuisé.)
M. le président. Il faut conclure, s’il vous plaît !
M. Daniel Laurent. Demandez donc à nos compatriotes si notre pays se redresse, et vous verrez que vous n’êtes pas dans le même monde !
M. le président. Concluez ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, qui couvrent la voix de l’orateur.)
M. Daniel Laurent. Quand aurez-vous, monsieur le Premier ministre, le courage de ne plus mentir et de dire la vérité aux Français ? Quelles vraies réformes comptez-vous prendre rapidement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous étiez visiblement emporté par la polémique et – je le regrette – par l’outrance. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Je le regrette d’autant plus que, étant donné la période difficile que nous vivons au plan tant économique et social que politique – nos compatriotes le savent –, je pensais que ce contexte vous ferait réfléchir à la responsabilité qui doit être la nôtre dans les propos que nous tenons, les uns et les autres.
J’estime en effet que ces questions n’ont pas à être traitées de cette façon. D’ailleurs, étant chargé des relations avec le Parlement, j’espère trouver dans la Haute Assemblée une approche de ce type de problème qui soit différente des emportements polémiques que l’on peut connaître.
M. Roger Karoutchi. Où cela ?
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Revenons-en aux faits. Puisque vous souhaitez parler de la vérité, monsieur le sénateur, vous auriez pu constater les baisses de charges qui ont eu lieu cette année et celles qui sont programmées dans le projet de loi de finances que vous allez, sinon adopter, du moins examiner prochainement (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) ; oui, je m’avance toujours plein d’optimisme ! En effet, et cela va dans le sens de ce que devraient être vos préoccupations, plus de 9 millions de Français verront baisser leurs impôts sur le revenu !
M. Roger Karoutchi. Et les autres ?
M. François Grosdidier. Vous transférez la charge sur la fiscalité locale !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Et ces 9 millions de Français constituent effectivement le cœur des classes moyennes ! À moins que vous ne vous intéressiez qu’au décile supérieur de celles-ci…
S'agissant de la justice fiscale, nous mettons en œuvre nos engagements tout en ayant le souci des comptes publics, qui, vous le savez, monsieur le sénateur, ont été très largement dégradés sous le quinquennat précédent : la dette aura augmenté de plus de 600 milliards d’euros ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Bertrand. C’est la vérité !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Vous le contestez, mesdames, messieurs les sénateurs, mais ces 600 milliards de dettes sont votre fardeau ! Il faudra que vous l’assumiez et que vous nous expliquiez comment vous allez assumer les promesses démagogiques que vous faites par ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
situation des migrants
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe, pour le groupe du RDSE.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le Premier ministre, le 16 octobre dernier, vous nous avez honorés de votre présence lors de l’inauguration du Mémorial du camp de Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales.
Le camp de Rivesaltes, mes chers collègues, est un lieu où des milliers d’enfants, des milliers de femmes et d’hommes, des Républicains espagnols, des juifs, des Tsiganes, des militaires guinéens, des harkis et tant d’autres ont été internés, parqués, déportés et sont morts, parce que jugés « indésirables ».
Lieu de souffrance hier, ce camp est aujourd’hui devenu un lieu de mémoire, un lieu d’échanges et de transmission pour les générations futures.
La création du Mémorial a été rendue possible grâce à la volonté de l’ensemble des personnes qui perpétuent cette mémoire et qu’un homme, Christian Bourquin, a réussi à fédérer. C’est cet homme qui est intervenu dès son accession à la présidence du conseil général des Pyrénées-Orientales, en 1998, afin que les baraquements ne soient pas détruits. Au bout d’un long processus, dix-sept ans plus tard, le Mémorial a été érigé.
« Si nous sommes rassemblés, c’est pour que la mémoire de ce mépris d’hier nous rappelle nos devoirs d’aujourd’hui et empêche la répétition de l’horreur, demain » : tels sont les mots, d’une grande justesse, que vous avez prononcés le jour de l’inauguration, monsieur le Premier ministre.
L’horreur, justement, c’est ce que nous inspirent les images de ces milliers d’enfants, de ces milliers de femmes et d’hommes, de ces réfugiés qui prennent des risques inconsidérés pour fuir la guerre, la barbarie et le fanatisme.
Notre devoir, aujourd’hui, est d’accueillir ces réfugiés avec humanité, avec solidarité, dans le respect du cadre républicain auquel nous sommes attachés.
Concernant cette politique d’accueil, pouvez-vous, monsieur le Premier ministre, nous faire un point d’étape sur les actions mises en place par le Gouvernement et les collectivités territoriales, en lien avec les associations ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la sénatrice, comme vous l’avez rappelé, je me suis rendu dans votre beau département des Pyrénées-Orientales, pour inaugurer ce lieu de mémoire qu’est le Mémorial du camp de Rivesaltes.
Ce camp, vous l’avez très bien dit, est le témoignage des malheurs que nous avons connus au cours du XXe siècle : dictatures, racisme, antisémitisme, conflits armés… Il ne faut pas oublier, il ne faut jamais oublier ni ces Républicains espagnols, ni ces juifs, français ou étrangers, ni ces Tsiganes, ni ces harkis, victimes, chacun à leur manière, de ces horreurs.
M. Ladislas Poniatowski. Répondez à la question !
Mme Éliane Assassi. Un peu de respect !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ainsi que je l’ai affirmé devant vous le 16 octobre dernier, Rivesaltes, qui doit tant, en effet, à Christian Bourquin, est un commandement pour nous, face aux défis considérables auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.
Mais, contrairement à ce qui prévalait il y a soixante-quinze ans, la France, aujourd'hui, n’est pas seule et nous avançons, même si c’est difficile, avec l’ensemble des partenaires européens, l’Allemagne bien sûr, mais aussi tous les autres États de l’Union européenne, pour trouver des solutions à la hauteur de la crise que nous traversons et qui sera durable.
À l’instar des précédents, le Conseil européen qui s’est tenu le 15 octobre 2015 a été principalement consacré à ces questions.
La mise en place des centres d’accueil, sans lequel le dispositif européen ne peut pas fonctionner, est effective. Un premier centre, créé à Lampedusa, en Italie, est désormais opérationnel et, d’ici à quelques semaines, le premier centre de Grèce devrait voir le jour, sur l’île de Lesbos.
Parallèlement, les premières décisions de relocalisation ont été prises – sous la forme de transferts de l’Italie vers la Suède, par exemple – voilà deux semaines.
D’autres dossiers essentiels avancent : la question des retours, la protection des frontières extérieures de l’Union européenne – bien sûr –, pour laquelle les gardes-frontières sont indispensables, et la coopération avec la Turquie, mais aussi avec la Jordanie ou le Liban. Je ne les détaille pas.
L’important, c’est que l’Europe avance, cohérente, unie, face à un problème qui la concerne dans sa globalité.
En France, le Gouvernement a fait le choix de la responsabilité, de la fermeté, de la solidarité – vous l’avez rappelé.
Nous avons aujourd'hui deux priorités.
Premièrement, nous voulons lutter contre les points de fixation et les concentrations de personnes. C’est ce qui est fait à Paris, avec le démantèlement des campements, et à Calais, malgré le contexte particulièrement difficile que connaît bien votre collègue Natacha Bouchart.
Deuxièmement, nous voulons faire la distinction entre ceux qui ont besoin d’une protection et qui sont éligibles à l’asile et ceux qui ne le sont pas. Rien ne serait pire que de traiter tout le monde de manière indifférenciée. Ce serait traiter mal tout le monde et ne pas être fidèle au message et aux valeurs de la France. Ces efforts sont indispensables si nous voulons mettre en œuvre une politique migratoire soutenable et, bien sûr, si nous voulons préserver le droit d’asile.
Cette priorité se traduit très concrètement : pour les demandeurs d’asile, les efforts déployés en vue de créer des places en centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA, se poursuivent – 18 500 places auront ainsi été créées en cinq ans – et, pour ceux qui ont obtenu le statut de réfugié, un travail approfondi mené actuellement par les ministères de l’intérieur et du logement permet d’identifier les solutions d’accès à un hébergement.
Je le répète, pour ceux qui ne relèvent pas de ces statuts, une politique active de retour est engagée. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, ni la France ni l’Europe ne pourront accueillir tous les réfugiés syriens, raison pour laquelle il faut trouver, dans la région, des solutions tant humanitaires et militaires – c’est le sens de l’engagement de la France – que diplomatiques. D’ailleurs, je veux répéter en cet instant avec la plus grande fermeté que, contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, la France n’est pas isolée : notre pays joue pleinement son rôle pour trouver une solution politique à la crise syrienne, ce qui est indispensable, car, sinon, la crise des réfugiés se poursuivra. Les seuls bombardements russes ont provoqué un afflux supplémentaire de 100 000 réfugiés !
Voilà, madame la sénatrice, l’ensemble de la politique globale, cohérente et précise qui est la nôtre dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
lutte contre le harcèlement
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour le groupe socialiste.
Mme Marie-Pierre Monier. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée des droits des femmes.
Avec M. le ministre de l’intérieur et M. le secrétaire d’État chargé des transports, vous avez lancé, le 9 juillet dernier, madame la secrétaire d'État, un plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun.
La France est le premier pays à engager une démarche nationale consacrée à la lutte contre le harcèlement dans les transports. Je veux saluer cette initiative, qui confirme l’engagement du Gouvernement à lutter contre toutes les formes de violences faites aux femmes.
Au mois d’avril dernier, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes avait publié un avis sur ce sujet. Le constat est clair : ce phénomène est mal connu, largement minimisé ou normalisé. Ainsi, le Haut Conseil estime que toutes les utilisatrices des transports en commun ont déjà été victimes, au moins une fois dans leur vie, de harcèlement sexiste dans l’espace public, voire de violences sexuelles.
Ce fléau a été occulté pendant des années, alors qu’il touche des milliers de femmes au quotidien.
Le plan du Gouvernement décline douze engagements forts, afin de lutter concrètement et dans la durée contre ce phénomène, à travers trois grands axes : mieux prévenir, réagir plus efficacement et mieux accompagner les victimes. Ces douze propositions, les associations de terrain les ont saluées unanimement ; je pense notamment à l’expérimentation de l’arrêt à la demande des bus la nuit, à la création de numéros d’urgence, ou encore à la lutte contre la diffusion de messages publicitaires sexistes dans les espaces publics.
Cette sensibilisation du public est un élément clé pour une prise de conscience de toute la société, afin que le harcèlement ne soit plus jamais banalisé. Le droit pour les femmes d’aller et venir en sécurité, où elles veulent, quand elles veulent, doit être réaffirmé en tant que liberté publique élémentaire.
Pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, nous faire part des axes du plan déjà mis en œuvre et des prochaines mesures à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la sénatrice, la « République en actes », c’est notamment une République où les femmes peuvent se rendre où elles le souhaitent quand elles le souhaitent ; elles doivent pouvoir se déplacer librement, sans avoir peur d’être harcelées ou agressées.
Il n’est pas acceptable que, aujourd'hui, en France, des femmes mettent en place des stratégies d’évitement, n’empruntent pas certaines lignes de transport ou redoutent de prendre le bus le soir par peur d’être agressées. Ces situations sont intolérables et nous devons les combattre.
Le Premier ministre et le Gouvernement ont choisi de s’engager en ce sens. C’est pourquoi, le 9 juillet dernier, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, le secrétaire d'État chargé des transports, Alain Vidalies, et moi-même avons lancé un plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports. Ce programme d’action est concret et ambitieux. Le déploiement des mesures est en cours, avec les partenaires concernés.
Je me réjouis que les arrêts à la demande soient expérimentés dès le début du mois de novembre prochain à Nantes et, bientôt, dans d’autres villes.
Le 9 novembre, nous allons amplifier cette dynamique en lançant une grande campagne nationale de sensibilisation sur le sujet, aux côtés des transporteurs. Elle se déclinera au plus près des citoyens et des citoyennes sur les quais de métro, dans les tramways et les bus, mais aussi sur internet. D’ailleurs, je salue les élus des collectivités qui ont répondu favorablement à notre sollicitation pour relayer cette campagne et ces outils ; j’invite les autres à nous rejoindre.
Cette mobilisation collective sera un gage d’efficacité. Les attentes sont immenses et le défi, ambitieux.
Ce sujet concerne toute la société. Face au harcèlement sexiste, face aux violences sexuelles, nous avons toutes et tous la responsabilité de réagir et d’agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
réforme de la dotation globale de fonctionnement
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC.
M. Philippe Bonnecarrère. Ma question s'adresse à Mme la ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
Madame la ministre, accepterez-vous de reporter la réforme de la DGF ? (Exclamations amusées sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Une sénatrice du groupe UDI-UC. Très bonne question !
M. Philippe Dallier. C’est bien parti…
M. Philippe Bonnecarrère. Cette réforme est utile, j’en conviens, mais n’est-ce pas la réforme de trop pour les collectivités locales, à l’aube de la troisième année de réduction sévère de leurs ressources et alors qu’elles ne connaissent pas l’incidence sur leurs dotations de péréquation des fusions d’intercommunalités ou de l’émergence de grandes collectivités ?
Madame la ministre, puis-je, après vous avoir rappelé la fameuse phrase du baron Louis « faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances », vous suggérer celle-ci : « faites-nous de la stabilité, de la visibilité à court et moyen termes, arrêtez les transferts de charges et nous vous ferons de bonnes économies, de bons investissements » ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Sans vouloir être discourtois, permettez-moi de vous dire que la réforme de la DGF est mal engagée, inaboutie et erratique, comme en témoignent les simulations qui circulent sous le manteau. Donnez-vous le temps de travailler avec le Parlement !
Madame la ministre, acceptez-vous de reporter la réforme de la DGF ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur la baisse des dotations.
M. François Grosdidier. Il le faudrait, pourtant !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je rappelle que le Sénat a produit de nombreux rapports sur la dotation globale de fonctionnement, le dernier signé par le regretté Jean Germain. D’ailleurs, je déplore encore que la majorité sénatoriale ait refusé de désigner un parlementaire pour travailler avec la députée Christine Pires Beaune.
Le rapport que celle-ci m’a remis confirme ce que vous dites tous depuis de nombreuses années, mesdames, messieurs les sénateurs : il montre que la DGF, inventée en 1979, n’est plus lisible : elle consiste en un empilement de strates, qui, pour des raisons diverses et variées, ont été reconduites d’année en année, au point que deux communes à population, aux catégories de revenus et aux revenus moyens comparables peuvent percevoir, aujourd'hui, une DGF qui va du simple au double. Cette situation est injuste !
Compte tenu du contexte de baisse des dotations – je rappelle que M. le Premier ministre a tenu à consacrer un milliard d’euros supplémentaires à l’investissement –, il convient de se demander s’il faut maintenir une injustice aussi violente que celle que nous connaissons aujourd'hui ou rendre les dotations de l’État plus justes, sur la base de trois critères simples, la ruralité, la centralité et la péréquation, c'est-à-dire la solidarité, en augmentant la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale, dont la hausse, dès l’année dernière, a permis à nombre de petites communes de faire face à la baisse de leurs dotations.
Allons-nous être justes maintenant ou allons-nous encore attendre ? Comme le disait André Vallini hier, les collectivités auxquelles profite l’injustice trouvent aujourd’hui injuste que l’on remette en question leur dotation. Mais si nous voulons vraiment être à l’heure des collectivités territoriales, de leur investissement et de la justice entre les territoires, nous devons faire cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Acceptez, madame la ministre, de ne pas vous enfermer ainsi dans un a priori.
Acceptez aussi de travailler sur ce que j’appellerai « un article 40 des collectivités locales », sur l’idée d’un bouclier financier permettant de préserver les collectivités locales de nouvelles charges non compensées et de rendre effective l’application de l’article 72-2 de la Constitution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
économie numérique
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Bouvard. Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée du numérique.
L’économie numérique se développe : c’est une chance pour la création de valeur, c’est une chance pour les services rendus à nos concitoyens, mais c’est aussi un défi pour les recettes de l’État.
Cette économie numérique échappe en effet en grande partie à la contribution aux charges générales de la société par le paiement de l’impôt. Les géants de l’internet font de l’optimisation fiscale, et le commerce électronique, en plein développement – 57 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans notre pays, en augmentation de 11 % –, échappe en grande partie à la TVA, l’une des principales recettes fiscales de notre pays.
Aujourd’hui, certains sites et certaines plateformes pourraient se faire enregistrer, mais ne le font pas, sinon très peu. Ce commerce transfrontalier échappe au paiement de la TVA dans la mesure où les colis, tous déclarés à moins de vingt-deux euros, bénéficient de la franchise.
Depuis maintenant plusieurs mois, la commission des finances de la Haute Assemblée, avec le rapporteur général, de manière consensuelle, majorité et opposition confondues, a travaillé et formulé un certain nombre de propositions pour faire évoluer notre système fiscal. Le contrôle des flux physiques étant impossible, nous proposons de percevoir la fiscalité au moment de la transaction financière.
Nous avons également formulé un certain nombre de propositions concernant l’économie collaborative, qui, elle aussi, se développe et dont les contours restent flous s’agissant de ce que le citoyen doit déclarer ou non au regard de l’impôt sur le revenu. Nous préconisons la mise en place d’une franchise d’impôt qui, d’une part, ne pénalise pas le développement des sociétés de ce secteur et, d’autre part, permette aussi de percevoir les recettes fiscales attendues.
Madame la secrétaire d’État, quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux propositions de la commission des finances ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur, les rapports sur le e-commerce et l’économie collaborative que vous avez réalisés avec certains de vos collègues de la commission des finances posent les bonnes questions. Je vous remercie de la qualité de ces travaux, qui permettront d’alimenter la réflexion et l’action gouvernementales. Derrière une apparence très technique, se pose la question plus fondamentale de la capacité de l’État à collecter l’impôt qui lui est dû.
Vous proposez de recourir au prélèvement de la TVA à la source. Il s’agit d’un dispositif innovant, d’une piste qui mérite d’être approfondie, mais qui soulève d'ores et déjà certaines difficultés : cela suppose, par exemple, la mise en œuvre d’une démarche obligatoire permettant d’identifier ceux, particuliers et entreprises, qui sont déjà en franchise de TVA et qui devraient donc échapper au prélèvement automatique de 20 % que vous proposez.
Cela suppose aussi de tenir compte de l’incidence négative sur la trésorerie des entreprises du e-commerce – surtout pour les PME –, dont l’activité économique connaît un essor considérable et qui ne pourraient plus collecter la TVA sur leurs ventes, mais continueraient pourtant de la payer sur leurs achats.
Cela suppose encore de mobiliser les banques tout au long de la chaîne d’achat, car elles doivent connaître le taux applicable, la qualité d’assujetti ou non des différents acteurs et être en contact direct avec la banque du vendeur, probablement située dans un autre pays.
Cela suppose enfin de supporter le coût informatique d’un dispositif très complexe et de modifier certains textes européens en vigueur, dont la directive de 2006 sur le système commun de TVA.
Tout cela est compliqué, mais le Gouvernement est absolument conscient du problème lié au paiement de la TVA et prend des mesures allant dans la bonne direction.
M. le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’article 3 du projet de loi de finances pour 2016, adopté par l’Assemblée nationale, …
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … propose d’abaisser le seuil du chiffre d’affaires à partir duquel la TVA est due en France de 100 000 à 35 000 euros.
M. le président. Concluez !
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. C’est un pas dans la bonne direction ; nous y travaillerons ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Le propre du numérique est la contraction, madame la secrétaire d’État…
conflit avec edf en guyane
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Antoine Karam. Depuis un mois, en Guyane, une partie des salariés d’EDF mène une grève sans précédent. Se trouvent au cœur de ces tensions la question des emplois supplémentaires réclamés par le syndicat, les critiques sur le processus d’élaboration de la programmation pluriannuelle de l’énergie – la PPE –, mais aussi et surtout de fortes inquiétudes quant à l’avenir énergétique de la Guyane. Les conséquences de cette grève sont lourdes pour l’économie guyanaise.
Vous le savez, la vétusté et le sous-dimensionnement de notre appareil productif ne permettent plus de répondre à la demande énergétique de notre population, dont la courbe de croissance est exponentielle.
En sus de ces difficultés, je vous le rappelle, c’est l’accès même à l’énergie qui demeure inexistant en Guyane pour bon nombre de nos compatriotes. Ce constat alarmant est partagé par toute la population guyanaise.
C’est pourquoi la fermeture de la centrale obsolète de Dégrad-des-Cannes en 2023, évoquée lors des premiers travaux pour l’élaboration de la PPE, inquiète les salariés. En effet, alors qu’une centrale thermique de puissance équivalente avait été annoncée, l’État aurait ensuite préconisé une unité deux fois moins puissante pour favoriser un développement substantiel des énergies renouvelables.
Résultat : personne aujourd’hui n’est en mesure de dire si cette centrale sera construite un jour. Aussi, madame la ministre, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur les points suivants : le remplacement de la centrale de Dégrad-des-Cannes par une centrale thermique respectueuse des normes environnementales est-il toujours prévu ? Si oui, à quel horizon et pour quelle puissance ?
S’agissant du projet de PPE, force est de constater que certains syndicats, associations et élus n’ont pas encore été consultés. Vous engagez-vous à associer toutes les parties prenantes à ces travaux de manière qu’elles disposent d’une meilleure visibilité sur le projet qui sera soumis à la population ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Antoine Karam. Enfin, afin de lever toute ambiguïté et de rassurer nos concitoyens, pouvez-vous nous garantir que ce projet de PPE veillera bien à subvenir aux besoins énergétiques croissants de la Guyane et de tous ses habitants ?
Apporter des réponses à la population guyanaise permettra, j’en suis convaincu, …
M. le président. Il faut conclure, monsieur Karam !
M. Antoine Karam. … de trouver une issue favorable à ce conflit, afin d’éviter qu’il ne se termine, une fois de plus, dans la rue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme Ségolène Royal (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.), qui se trouve aujourd’hui à Londres, dans le cadre de la préparation de la COP 21.
Nous suivons avec beaucoup d’attention ce mouvement social qui touche EDF en Guyane et sommes conscients des difficultés dont souffrent les consommateurs guyanais.
Les services de l’État se sont mobilisés, le préfet a fait le maximum pour rétablir un dialogue qui s’était malheureusement interrompu entre les parties. Aujourd’hui, nous avons l’espoir de pouvoir aboutir rapidement : les partenaires sont autour de la table, ce qui est essentiel.
J’entends vos inquiétudes concernant la fermeture – nécessaire – de la centrale de Dégrad-des-Cannes. Le Gouvernement est convaincu que la Guyane a les moyens de mener un programme ambitieux en matière de transition énergétique. Nous nous sommes fixé l’objectif de 50 % d’énergie renouvelable en 2020 et une autonomie totale en 2030.
Comment y parvenir ? Il faut d’abord que les négociations aboutissent entre les partenaires, le préfet et le président de région sur cette programmation pluriannuelle de l’énergie. Ce devrait normalement être le cas au premier trimestre 2016. À partir de là, nous pensons que la Guyane pourra diversifier sa production en valorisant ses ressources.
Nous devons aussi tenir compte, vous l’avez rappelé, de la transition démographique et du développement de la population.
Je crois que nous serons amenés à reparler de tout cela dans le cadre du pacte d’avenir pour la Guyane que nous sommes en train de finaliser. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
chiffres du chômage
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains.
M. Gérard Cornu. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
La France est sur une dynamique de persistance du chômage qui nous inquiète et qui l’isole en Europe.
M. Didier Guillaume. Nous n’avons pas vu les mêmes chiffres !
M. Gérard Cornu. En effet, avec 5,5 millions de chômeurs, le taux de chômage dans notre pays est bien supérieur à celui qui est observé en Allemagne ou au Royaume-Uni. Même la plupart des pays d’Europe du Sud – Espagne, Portugal, Italie… –, pourtant très sévèrement touchés par la crise, ont inversé leur courbe du chômage. Pis, sur les 1,3 million d’emplois créés dans la zone euro entre juin 2014 et juin 2015, seuls 46 000 l’ont été en France.
La vérité, c’est que depuis 2012 le Gouvernement a pratiqué le matraquage fiscal et cassé la croissance sans s’attaquer aux racines du mal. Et pourtant, la conjoncture économique mondiale s’améliore et donne lieu à une reprise très sensible chez la plupart de nos voisins.
Pour créer des emplois marchands et faire reculer le chômage, il est plus que jamais nécessaire d’alléger massivement les charges et les contraintes qui pèsent sur les entreprises, …
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela ne marche pas !
M. Gérard Cornu. … et surtout de simplifier un code du travail qui a un effet très dissuasif en matière d’embauche, notamment dans les petites entreprises.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : que comptez-vous faire pour que la France ne reste pas en panne et quelles mesures courageuses et pragmatiques comptez-vous prendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je veux croire que, si vous n’avez pas relevé les chiffres positifs du mois dernier, il s’agit d’un simple oubli de votre part. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’imagine que vos propos auraient été différents si les chiffres avaient été eux-mêmes différents.
Oui, 24 000 chômeurs ont retrouvé un emploi ces derniers mois. C’est un solde positif sur quatre mois, au cas où vous ne l’auriez pas noté non plus ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Qui plus est, mesdames, messieurs les sénateurs, 30 000 jeunes supplémentaires ont retrouvé un emploi ces quatre derniers mois, tandis que 35 000 postes ont été créés le mois dernier.
M. Didier Guillaume. Cela nous réjouit !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. D’autres éléments économiques positifs nous laissent d’ores et déjà penser aujourd’hui – mais il faut attendre avec prudence les chiffres des mois à venir – qu’au-delà d’une croissance qui retrouve de la vigueur, il existe des perspectives de retour en matière d’emploi ; je pense notamment au moral des chefs d’entreprise, ainsi qu’à la manière dont les choses évoluent dans l’intérim.
Là où je vous rejoins, monsieur le sénateur, c’est sur l’idée que nous ne devons pas nous contenter de ce qui a été obtenu ces derniers mois. Nous voulons aller beaucoup plus loin, en faisant en sorte, par un certain nombre de mesures tant économiques que sociales, de renforcer notre politique en faveur de l’emploi.
Seront ainsi mis en formation 150 000 jeunes chômeurs de longue durée.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. D’autres réformes vont intervenir, avec notamment la nouvelle organisation économique, avec la réforme du code du travail. Bref, c’est une mobilisation dans tous les secteurs pour accroître encore nos gains en matière d’emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le secrétaire d’État, vous annoncez une réforme du code du travail. Mais comment voulez-vous changer les choses, alors que vous savez pertinemment que votre gouvernement est pieds et poings liés par les syndicats, qui ne veulent rien changer ? (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
Tel est le problème : les actes ne suivent pas les paroles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
professionnels du droit
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà un an déjà les professions réglementées étaient dans la rue, dans un mouvement de très grande ampleur, totalement inédit dans notre pays, qui a ainsi connu plusieurs semaines de manifestations.
Notaires, avocats, huissiers, défilaient contre le projet de loi Macron, exaspérés par les mauvaises manières qui leur étaient faites. « Nos professions ont été insultées », scandaient-ils.
Rien ne s’est arrangé pour eux.
Cette année, ce sont de nouveau les professions du droit qui sont dans la rue. Les policiers manifestaient voilà quinze jours, les avocats, la semaine dernière, et les personnels pénitentiaires protestent place Vendôme. Depuis trois semaines déjà, les avocats se mobilisent fortement : 156 barreaux font la grève de l’aide juridictionnelle, et 93 d’entre eux sont en grève générale ! Là encore, c’est du jamais vu.
Il se passe quelque chose de sérieux et de grave !
Une justice du XXIe siècle qui veut se construire sur de telles bases, cela interpelle. Monsieur le secrétaire d’État, quand peut-on espérer que cesseront tous ces désordres, bien contraires à la recherche d’une société apaisée, tant vantée en haut lieu ?
Pouvez-vous nous informer sur l’accord enfin intervenu hier avec les avocats, ainsi que sur les perspectives pour les personnels pénitentiaires ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, votre question est quelque peu contradictoire par rapport à la précédente : votre collègue se désolait à l’instant que nous n’entreprenions pas assez de réformes, tandis que vous estimez que nous en faisons beaucoup trop. Cela fait partie des ambiguïtés que l’opposition devra peut-être éclaircir un jour… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
S’agissant des avocats, votre question intervient de façon un peu tardive, puisque, comme vous l’avez indiqué vous-même, ils ont trouvé un accord avec la Chancellerie sur une question fondamentale, qui concerne non pas uniquement les professionnels du droit mais aussi les justiciables, à savoir la question de l’aide juridictionnelle. C’est tout de même l’un des éléments majeurs de l’égalité d’accès au droit dans notre pays.
Le Gouvernement s’est attaqué à cette question et il est le seul à l’avoir fait depuis quinze ans.
La réforme comporte aujourd'hui trois objectifs prioritaires : le relèvement du plafond de ressources permettant aux justiciables l’accès à l’aide juridictionnelle ; l’augmentation de la rétribution des avocats, qui n’a pas été relevée depuis 2007 ; la pérennisation du financement de l’aide juridictionnelle. (Mme Catherine Procaccia proteste.)
Il a donc été décidé, conjointement avec la profession, que la première étape de la mise en œuvre de cette réforme, élaborée en concertation avec les magistrats, les greffiers et les huissiers de justice, serait l’augmentation de la rétribution des avocats par un relèvement de l’unité de valeur de 12,6 % en moyenne, sans modification du barème.
Les autres éléments de la réforme, auxquels la profession souscrit, en particulier la mise en place, au niveau de chaque barreau et de chaque tribunal de grande instance, d’une contractualisation complémentaire, seront mis en œuvre d’une façon progressive, afin de permettre la convergence des trois montants d’unité de valeur vers une unité de valeur unique.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État. Vous voilà éclairé, monsieur le sénateur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le secrétaire d’État, la politique pénale serait-elle devenue un marqueur de gauche, au détriment d’une vraie justice ? L’insuccès de la contrainte pénale est flagrant. Concernant la réforme de la justice des mineurs, son efficacité sera à la hauteur de la fermeté qui l’accompagnera.
Quant à la prison, vous avez malheureusement souvent dénoncé son mauvais état, sans pourtant y remédier. Le peuple français veut réellement une justice utile ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, de votre présence.
Je rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mardi prochain, 3 novembre 2015, de seize heures quarante-cinq à dix-sept heures trente, et qu’elles seront retransmises sur la chaîne Public Sénat et le site internet du Sénat.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport annuel sur le financement des établissements de santé.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales.
10
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé de compléter l’ordre du jour du jeudi 5 novembre au matin par l’inscription des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.
Le temps attribué aux orateurs des groupes politiques sera de une heure.
Acte est donné de cette communication.
En conséquence, l’ordre du jour du jeudi 5 novembre s’établit comme suit :
JEUDI 5 NOVEMBRE 2015 |
|
À 10 h 30, à 14 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit |
- Une convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifié : |
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications (n° 109, 2015-2016) |
|
• Délai limite pour qu’un président de groupe demande le retour à la procédure normale : mardi 3 novembre, à dix-sept heures |
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- Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales |
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• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : une heure |
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• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 4 novembre, à dix-sept heures |
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- Proposition de loi visant à pénaliser l’acceptation par un parti politique d’un financement par une personne morale, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste et républicain (texte de la commission, n° 118, 2015-2016) |
|
Ce texte a été envoyé à la commission des lois. |
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• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 2 novembre, à douze heures |
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• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 4 novembre, le matin |
|
• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : une heure |
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• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 4 novembre, à dix-sept heures |
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- Suite du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle (procédure accélérée) (texte de la commission, n° 122, 2015-2016) |
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Droits des malades et des personnes en fin de vie
Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
La discussion générale ayant été close, nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Article 1er
I. – L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « recevoir », les mots « les soins » sont remplacés par les mots : « , sur l’ensemble du territoire, les soins curatifs et palliatifs » ;
b) (Supprimé)
c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé, ni de l’application du titre II du présent livre Ier. » ;
2° Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »
II. – La formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs.
M. le président. L'amendement n° 24 rectifié ter, présenté par M. Mandelli, Mmes Duchêne et Micouleau, MM. Chaize, Bignon et Retailleau, Mme Deromedi, MM. Charon et G. Bailly, Mme Mélot, M. Mayet et Mmes Garriaud-Maylam et Lamure, n'est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1. – Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale. Cette procédure collégiale réunit l’ensemble de l’équipe soignante et associe la personne de confiance ou, à défaut, les membres de la famille ou les proches qui le souhaitent. Ses modalités sont définies par voie réglementaire.
« L’hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu’au décès. »
M. le président. L'amendement n° 28, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-1. – Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient et, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, dans le respect de la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale.
« Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité de la personne mourante et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10, y compris les traitements mentionnés à l’article L. 1110-5-2.
« La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux être très claire sur le sens de cet amendement : il ne s’agit pas de rechercher un nouvel équilibre ou un nouveau compromis. Cet amendement vise à revenir sur certaines des modifications issues des débats de votre commission, et à rétablir le texte dans la rédaction exacte adoptée par l’Assemblée nationale, sans modifier la conception, la définition de l’arrêt des traitements.
J’ai évoqué ce matin, à l’occasion de la discussion générale, le désaccord du Gouvernement sur deux des modifications adoptées par votre commission.
Le premier point de divergence est probablement le plus technique, et celui qui pose le moins de difficultés : il porte sur les critères de définition de l’« obstination déraisonnable ».
La rédaction de l’article 2, telle qu’elle résulte des travaux de votre commission, supprime l’un de ces critères – ils étaient initialement au nombre de trois - celui de l’inutilité du traitement. Un consensus juridique avait pourtant fini par se dégager, à l’issue des diverses procédures judiciaires engagées, pour définir l’obstination déraisonnable à partir de ces trois critères.
J’entends bien le sens de votre démarche : elle visait sans doute à homogénéiser le texte, en harmonisant les rédactions respectives de l’article 2 et de l’article 3. Mais, si le Gouvernement, en accord avec les rapporteurs de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, a bien reconnu les difficultés d’interprétation qu’engendrerait l’introduction de la notion d’inutilité à l’article 3, en revanche, avec l’article 2, la démarche est tout autre.
En l’occurrence, l’inutilité constitue l’un des critères légitimes – aux côtés des deux autres qui figurent dans le texte – sur lesquelles les médecins eux-mêmes doivent pouvoir s’appuyer pour qualifier une obstination de « déraisonnable ». La suppression de la référence à l’inutilité aurait pour conséquence d’obliger à maintenir un patient sous traitements, empêchant notamment de lui proposer la sédation, alors même que le médecin considérerait que le traitement est inutile.
Cette nouvelle rédaction constitue un retour à un état du droit antérieur à celui de la loi Leonetti de 2005, et donc une régression pour les droits des patients. Le statu quo serait plus favorable aux patients, mesdames, messieurs les sénateurs : autant ne pas légiférer !
Je précise que les spécialistes des soins palliatifs nous ont eux-mêmes indiqué que, dans leur pratique, ils examinaient successivement les trois critères : l’inutilité des traitements, d’abord, leur disproportion, ensuite, leur finalité – le maintien artificiel de la vie –, enfin. Si l’un de ces trois critères est satisfait, ces spécialistes considèrent que l’obstination déraisonnable est caractérisée.
Votre commission a par ailleurs fait le choix, contraire à ce qu’elle avait décidé en première lecture, de définir l’hydratation artificielle comme « un soin qui peut être maintenu jusqu’au décès. ». Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends parfaitement les doutes qui peuvent légitimement s’élever sur ce sujet – ils ont d’ailleurs pu s’exprimer également à l’Assemblée nationale.
Il est naturel de croire que l’arrêt de l’hydratation reviendrait à soumettre le patient, qui est déjà en proie aux difficultés inhérentes à la fin de vie, à une souffrance de l’ordre de l’insupportable. Ce n’est pourtant pas ce que disent les médecins palliativistes : ils considèrent, dans leur écrasante majorité – d’un point de vue médical, car il ne s’agit pas ici de procédure juridique – que l’alimentation et l’hydratation doivent être appréhendées ensemble.
Mme Nicole Bricq. C’est une réalité !
Mme Marisol Touraine, ministre. Vous avez fait le choix inverse, celui de séparer ces deux problématiques, alors même qu’à l’issue de diverses procédures tant l’alimentation que l’hydratation sont désormais considérées comme des traitements au sens juridique du terme, au niveau national comme au niveau international.
La rédaction que nous vous proposons vise à lever la majorité des incertitudes qui entourent les situations où un patient en fin de vie, qui peut demander à bénéficier de la sédation profonde, demande l’interruption de son hydratation et de son alimentation. Il s’agit de conforter les médecins dans les décisions qu’ils sont amenés à prendre afin d’accéder aux souhaits de leurs patients. La rédaction que vous proposez, en faisant de l’hydratation un « soin » et non un « traitement », introduit au contraire l’idée d’une marge d’appréciation irréductible : le médecin peut considérer qu’il répond à la demande du patient en interrompant les traitements et l’alimentation, en engageant la sédation profonde, tout en se sentant obligé, éventuellement contre l’avis du patient, de maintenir l’hydratation. Les conditions dans lesquelles la vie est ainsi prolongée nous sont certes pour partie inconnues – j’entends ceux qui disent que nous ne pouvons les connaître exactement –, mais, pour moi, le débat n’est pas là : il est dans la définition de l’objectif de la loi.
Or l’esprit de cette proposition de loi consiste à donner une place plus centrale, au cœur de la décision, à la parole et à la volonté du patient. Votre rédaction revient au contraire à décider pour les patients ce qui est utile pour eux, et à leur retirer toute prise véritable sur la fin de leur vie.
La portée de l’article 2 et, partant, de la proposition de loi, en est ainsi considérablement amoindrie. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement défend cet amendement de rétablissement pur et simple, sans aucune modification, du texte adopté par l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’aurais aimé pouvoir répondre longuement, mais le temps qui m’est imparti ne me le permet pas.
Le Gouvernement conteste la suppression de l’adjectif « inutiles ». Ce terme nous paraît cependant redondant par rapport au terme « disproportionnés », et la trilogie que vous avez décrite, inutilité-disproportion-finalité, pour nous convaincre du contraire, me semble quelque peu artificielle. Je ne pense pas, en tout état de cause, que cette question puisse faire l’objet de polémiques.
Je préfère donc consacrer le temps qui me reste à la question de l’hydratation et de l’alimentation, et au distinguo, délicat, entre traitement et soin.
En définissant l’hydratation comme un soin plutôt que comme un traitement, nous ne souhaitons absolument pas retirer un droit au patient, mais simplement cadrer les choses, de façon que les derniers moments de la vie – je rappelle que c’est là l’objet de cette proposition de loi : les termes ultimes – occasionnent le moins de souffrance possible.
Vous avez évoqué, madame la ministre, les spécialistes des soins palliatifs. Pour en avoir rencontré un certain nombre, je peux vous dire qu’ils ne sont pas tous d’accord. Certains soutiennent que l’hydratation peut bel et bien apporter une amélioration du confort en fin de vie. Ce n’est certes pas toujours le cas : l’apport hydrique peut provoquer une surcharge hydrique aggravant le râle agonique – je l’ai longuement expliqué en commission, puisque je disposais du temps pour le faire.
Les mots que nous avons choisis me paraissent en tout cas très clairs : « L’hydratation artificielle constitue un soin qui peut être maintenu jusqu’au décès ».
Je voudrais, pour vous convaincre qu’il ne s’agit pas là d’une position personnelle, mes chers collègues, vous renvoyer à un ouvrage récemment publié par le Centre éthique et clinique de l’hôpital Cochin, intitulé L’arrêt d’alimentation et d’hydratation en contexte de fin de vie. Vous y trouverez développée l’idée qu’au-delà de considérations d’ordre purement technique, une symbolique extrêmement forte entoure l’arrêt de l’hydratation. À cet égard, il faut évidemment satisfaire en priorité la volonté du patient, mais sans négliger ni son entourage ni le personnel soignant, disons-le clairement.
La commission mixte paritaire offrirait le cadre idéal et le temps nécessaire pour une discussion aussi apaisée que possible sur ce sujet.
Pour toutes les raisons que je viens d’énoncer, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je suis convaincu par la position du rapporteur de la commission des affaires sociales.
Posons-nous sincèrement la question : où est la plus grande humanité ? Dans le fait que, sous sédation profonde, après l’arrêt d’un traitement qui ne peut être poursuivi sans obstination déraisonnable, la fin de vie survienne le plus vite possible ? Ou réside-t-elle dans le fait que cette fin de vie sera accompagnée le mieux possible, en prévoyant non pas l’obligation pour le médecin de poursuivre l’hydratation, mais la possibilité de le faire, s’il le juge approprié ? On élargirait là le champ des actes d’humanité qui peuvent accompagner une fin de vie, dont on sait qu’elle surviendra de toute façon assez rapidement dès lors que les traitements auront été arrêtés pour cause de refus d’obstination déraisonnable.
Pour ma part, j’estime que la position de la commission des affaires sociales est, d’un point de vue éthique, la meilleure.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, vous avez pris huit minutes et vingt-deux secondes très exactement pour nous expliquer que, au fond, l’amendement n° 28 n’était pas si important dans la mesure où il ne vise qu’à rétablir le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Pour ma part, cet argument ne me convainc pas. En effet, en deuxième lecture, nous sommes dans la recherche d’un consensus et d’une voie de sortie.
Sur le fond, je rejoins totalement les explications données par le rapporteur. Comme vient de le relever notre collègue Philippe Bas, il s’agit là d’une possibilité. En quoi offrir une possibilité serait-elle une régression par rapport au texte précédent ?
C’est, au contraire, une précision par rapport à la législation en vigueur. Une possibilité, ce n’est pas une obligation, c’est une souplesse. Faisons confiance aux médecins et au personnel soignant pour prendre la bonne décision !
Chacun le sait bien, l’hydratation peut être nécessaire à un moment donné, puis arrêtée, dans la phase ultime, pour ne pas prolonger indéfiniment la vie en cas de souffrance. Cela renvoie d’ailleurs à la question de la fin ultime : à partir de quand sommes-nous dans la phase terminale ?
Laissons les médecins et le personnel soignant s’organiser ! Faisons-leur un peu confiance et ne demandons pas à la loi de tout prévoir ni de tout prédire, car je crains que nous ne nous écartions de cette humanité que nous recherchons !
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Madame la ministre, en indiquant tout simplement que vous voulez rétablir le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, vous affrontez véritablement la Haute Assemblée ! C’est une position qui n’est pas très facile à accepter.
Je ne reviendrai pas sur la notion d’inutilité, mais je ne peux pas vous laisser dire sans réagir, madame la ministre, que la nutrition et l’hydratation artificielles constituent juridiquement un traitement. C’est faux ! Il s’agit là non pas de deux médicaments externes à la vie, mais de deux éléments de la vie, qu’ils soient artificiels ou naturels.
La nutrition et l’hydratation constituent la vie, qui, seule, peut décider du moment où elle n’en a plus besoin. On doit accompagner la vie, c'est-à-dire la maintenir jusqu’à ce moment-là, d’autant que l’interruption de l’hydratation et de la nutrition entraîne une mort certaine et rapide, certes, mais dans de grandes souffrances : on meurt alors de faim et de soif !
C’est pour pallier les défauts de la loi actuelle que l’on instaure une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Or, madame la ministre, si le malade est sous sédation profonde et continue, cette sédation ayant précisément pour objet de supprimer la souffrance, le malade pour lequel on déciderait de ne pas arrêter l’hydratation ne souffrirait pas plus, contrairement à ce que vous prétendez.
Les membres de la commission ont accepté de ne pas rétablir la nutrition, mais ils considèrent que l’hydratation est nécessaire. De plus, elle a aussi une valeur symbolique. D’ailleurs, vous le savez bien, pour administrer des médicaments, il faut au moins une voie veineuse pour installer la sédation profonde et continue. Sans perfusion, comment ferez-vous ?
Les médecins ne vont pas injecter des litres et des litres de sérum glucosé ou de sérum physiologique pour provoquer des désordres supplémentaires au patient ; ils agiront en tant que de besoin.
La position de la commission sur ce point est tout à fait raisonnable, alors que l’amendement du Gouvernement est, pour le moins, injustifié.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je rejoins la position du rapporteur et de notre collègue Gilbert Barbier.
Nous parlons ici des personnes en fin de vie, en toute fin de vie. La loi Leonetti, je le rappelle, nous permet d’aller assez loin dans la sédation progressive. Dans 98 % des cas, tout se passe lentement, et sans souffrance pour le malade et pour les familles.
Des études montrent que le patient peut souffrir s’il a soif. Il n’est pas question de pratiquer une hydratation massive. Mais, dans le cas d’une sédation profonde et continue, mettre 500 cc d’eau glucosée par voie intraveineuse pour conserver la veine n’est pas de nature à allonger longtemps la vie du patient ; cela permettra simplement au patient de souffrir moins.
C’est pourquoi je suis très favorable au maintien de l’hydratation.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je ne suis pas médecin et sûrement pas excellent juriste, mais je veux réagir aux propos de mon excellent collègue Dominique de Legge, qui estime qu’il faut faire confiance aux médecins, car c’est leur métier.
À l’instar de nombre d’entre vous probablement, j’ai été confronté dans mon histoire personnelle à des fins de vie catastrophiques, vraiment catastrophiques, madame la ministre. Le personnel médical était tout à fait compétent, dévoué et à l’écoute, mais, faute de pouvoir aller contre la loi et faire ce qui leur était interdit, il se tournait vers la famille, qui, sans compétences médicales, n’en pouvait mais et ne savait que faire, sinon à son tour attirer l’attention de l’équipe soignante sur le fait que le patient souffrait. Mais la loi est la loi. Allez décider, dans ces conditions...
Vous vous retrouvez alors dans une situation qui n’a plus rien de politique. Il n’est question ni de droite ni de gauche. Vous vous demandez simplement ce que vous devez faire.
Comment vivre une telle situation ?
La plupart des membres du groupe Les Républicains, je le sais, suivront la position de la commission. Pour ma part, je m’abstiendrai sur l’amendement n° 28, car je n’ai pas assez de compétences pour décider.
Je le dis à tous, médecins, juristes, franchement, aidez la famille à trouver des solutions, aidez l’entourage. Le patient ? Il ne peut plus s’exprimer, il est en fin de vie. Mais, de grâce, que la souffrance n’apparaisse plus comme une évidence.
Sincèrement, je ne sais pas si la rédaction de cet amendement est meilleure, mais, pitié, ne revenons pas sur la loi Leonetti ! En tout état de cause, il faut offrir aux médecins un cadre légal qui leur permette d’agir.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Madame la ministre, le chemin de crête sur lequel nous cheminons est extrêmement difficile.
J’ai beaucoup apprécié la volonté que nous semblions partager de travailler, comme l’a dit Jean Leonetti, dans la recherche consensuelle du bien commun. Or l’amendement que vous nous présentez cet après-midi, madame la ministre, nous écarte de ce chemin.
Je souhaite que nous suivions la commission parce que les avis des médecins sur l’hydratation sont extrêmement partagés. Il nous semble nécessaire d’en rester à ce qui constitue notre objectif avec cette loi : il s’agit non pas d’abréger la fin de vie, mais d’accompagner le patient durant sa fin de vie moyennant le moins de souffrances possible, en laissant au médecin le soin de savoir s’il doit hydrater ou non la personne.
Pour ma part, eu égard au caractère discordant des réponses, je suis violemment opposée à ce que nous considérions l’hydratation comme un traitement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Comme ma collègue Françoise Gatel, j’aimerais que nous puissions, les uns et les autres, trouver le meilleur chemin possible pour permettre au patient d’exprimer librement son souhait, son désir, sa volonté, et à la communauté soignante d’y répondre de la meilleure façon possible.
M. Karoutchi a évoqué l’entourage du patient. Les équipes de soins palliatifs accompagnent, au premier chef, la personne concernée, mais aussi l’entourage, et c’est la force de ces soins. (M. Roger Karoutchi opine.)
Madame la ministre, j’ai entendu votre argumentation tant dans votre propos liminaire et votre réponse aux différents orateurs que dans la défense de l’amendement n° 28.
Concernant les trois critères à retenir pour ce qui concerne l’obstination déraisonnable, il n’y a pas de différence existentielle, comme l’a souligné M. le rapporteur.
Reste la question de l’hydratation.
L’hydratation a, il est vrai, une valeur à la fois médicale et symbolique. Pour ma part, je souhaite que la rédaction que nous allons adopter soit de nature à laisser au patient le choix ou qu’elle permette d’agir, dans le cadre de procédure collégiale, dans les meilleures conditions possible.
Or, en la matière, il convient d’être vigilant.
Une hyperhydratation, vous l’avez souligné, peut être très préjudiciable au patient et, au contraire de ce qui est recherché, accroître ses difficultés. Une légère déshydratation peut entraîner la sécrétion d’endorphines : le patient va alors se défendre. En revanche, une déshydratation importante causera des douleurs considérables.
Aussi, le dialogue entre la communauté soignante et le patient est la meilleure des solutions à adopter.
Sincèrement, l’hydratation semble, sur le plan à la fois médical et symbolique, être une possibilité importante à conserver. C’est pourquoi je souhaite que l’on achève ce débat en commission mixte paritaire, afin de trouver la rédaction de nature à permettre au patient de mourir dans les meilleures conditions, et dans la dignité.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je veux, à mon tour, m’exprimer sur l’amendement du Gouvernement.
Une fois n’est pas coutume, je me rallierai à la position exprimée par M. Karoutchi. Moi non plus, je ne suis pas médecin, pas plus que Mme Gatel d’ailleurs, dont je rejoins la position.
Tout d’abord, je regrette, madame la ministre, que l’amendement du Gouvernement nous parvienne si tardivement. Cela a été dit – le rapporteur de la commission des lois en a témoigné précédemment à la tribune –, la commission des affaires sociales a eu, sur cette question, de véritables débats au fond. Nous avons réussi ensemble, par-delà nos différences, avec les médecins et les non-médecins, à parvenir à un compromis sur ce texte qui, me semble-t-il, comporte des avancées par rapport au droit actuel pour les malades en fin de vie.
Vous le savez, je l’ai dit ici même, j’aurais voulu que l’on aille plus loin encore. Mais ce texte apporte des droits nouveaux aux malades en fin de vie.
Aussi, il est dommage que, par cet amendement, vous nous obligiez, madame la ministre, à débattre d’une question sans avoir la possibilité de l’examiner au fond.
Concernant l’hydratation, j’ai entendu les explications très techniques de nos collègues. L’intraveineuse qui permet tout à la fois d’hydrater et d’administrer une sédation profonde ? Soit !
Concernant les critères retenus au titre du refus de l’acharnement thérapeutique, notre rédaction de l’article 2 ne semble pas si différente de celle que vous présentez, madame la ministre.
Dans ces conditions, je trouve dommage que le Gouvernement ait déposé un amendement dont l’adoption remettrait en cause l’équilibre que nous avions réussi à trouver au sein de la commission des affaires sociales.
Je ne suis pas en mesure d’avoir une opinion techniquement et médicalement fondée en ce qui concerne l’hydratation, mais mon sentiment est qu’il est nécessaire de la maintenir ; il s’agit d’une position personnelle, qui n’est pas forcément celle de la majorité des membres de mon groupe.
Nous nous abstiendrons sur cet amendement, pour préserver une rédaction d’équilibre susceptible d’être adoptée pratiquement à l’unanimité de notre assemblée, et ainsi poursuivre pour franchir l’étape dont Jean-Pierre Godefroy a parlé ce matin et à laquelle je suis, moi aussi, attachée.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Une fois de plus, ma position ira à rebours de ce que l’on pourrait imaginer.
Je ne suis pas médecin, mais, au cours des « années sida », j’ai accompagné, avec d’autres, nombre de malades, dans certains cas très jeunes, qui sont morts dans des conditions parfois difficiles, au milieu de familles déchirées par des disputes sans fin, d’entourages proches, mais juridiquement démunis, et de médecins de bonne volonté, mais perplexes.
Même si je comprends entièrement votre intention, madame la ministre, et qu’à titre personnel j’aurais tout à fait pu envisager de voter votre amendement, j’estime que les délais qui nous sont laissés pour en débattre sont de nature à remettre en cause la coconstruction progressive, équilibrée, quasi harmonieuse en cours, ce qui serait bien dommage. (M. Roger Karoutchi acquiesce.)
Bien que nous soyons un certain nombre à penser, à titre personnel, que la proposition de loi ne va vraiment pas assez loin, je me demande, madame la ministre, s’il ne vaudrait pas mieux, plutôt que de raidir le débat, de brusquer son cours et, du coup, de détricoter le fruit d’un patient et délicat travail de maïeutique, laisser un peu de temps au temps et permettre à chaque groupe d’arrêter une position sereine. (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Je suis très sensible aux arguments qui ont été avancés en faveur de la position de la commission, mais je dois dire que j’ai rencontré tout récemment des amis engagés dans le domaine des soins palliatifs qui sont plutôt inquiets du travail que le Sénat est en train d’accomplir, dont ils craignent qu’il ne marque un recul par rapport à la loi Leonetti. Si leur appréhension devait être justifiée, nous aurions perdu sur les deux fronts, en décevant à la fois ceux qui veulent aller plus loin et ceux qui sont soucieux d’améliorer le sort des personnes en fin de vie.
Compte tenu du peu de temps dont nous disposons pour débattre de cet amendement et du mauvais signal que son adoption risquerait d’envoyer, et même si, à titre personnel, je plaidais plutôt pour que nous vous appuyions, madame la ministre, je vous demande de remettre à plus tard la discussion de la mesure que vous proposez, afin que l’on ne détricote pas en cinq minutes plusieurs dizaines d’heures de travail du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Madame la ministre, nous n’avons aucun doute sur la sincérité de vos convictions ni sur le courage que vous aurez pour mener à son terme cette œuvre législative. Reste que, tout à l’heure, vous avez dit vous-même qu’il fallait rechercher le consensus.
Or il est apparu au cours de nos longs débats de première lecture que certains d’entre nous craignent que l’on veuille faire de la proposition de loi un premier pas vers le suicide accompagné, tandis que d’autres redoutent que l’on veuille, au nom de convictions religieuses, empêcher un patient d’accéder à la sédation profonde et continue alors même qu’il en a manifesté le désir, que les conditions sont réunies et que les médecins ont pris collégialement la décision. Là est le fond du problème. La question de l’hydratation, du fait de son caractère symbolique, nous replonge dans ce débat.
L’hydratation est la garantie que la proposition de loi n’est pas un premier pas vers le suicide accompagné, mais un texte tourné vers l’accompagnement des derniers jours et destiné à aider les gens à mourir dans la dignité – bref, à leur prodiguer un soulagement qui, pour un chrétien, relève de la charité. Si l’on se raidit sur cette question, qui est un symbole, le consensus risque d’être impossible.
Puisque vous souhaitez le consensus, madame la ministre, je vous demande de retirer votre amendement, pour que le Sénat puisse poursuivre le travail qu’il a entrepris et aboutir à un très bon texte.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher, pour explication de vote.
M. Hervé Poher. Permettez à un médecin qui s’est forgé une certaine philosophie médicale de donner son avis.
Lorsqu’un médecin, ou une équipe médicale, décide de pratiquer une sédation profonde et continue, c’est bien entendu pour le malade, mais aussi un peu pour son entourage, pour essayer d’atténuer la tristesse qui règne dans la maison en permettant aux proches du malade de garder de lui une belle image, empreinte de quiétude et de sérénité.
Seulement, la sédation profonde et continue n’est pas l’euthanasie : elle peut prendre un jour, deux jours, cinq jours. Mes chers collègues, avez-vous déjà vu un malade qui n’a pas reçu une seule goutte d’eau depuis cinq jours ?
Madame la ministre, par respect pour le symbole, pour le malade, pour son entourage, pour l’image que ce dernier conservera, laissez l’hydratation, c’est le minimum ! (Mme Françoise Gatel et M. Gérard Roche opinent.)
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Je m’exprime au nom du groupe socialiste et républicain, dont je suis le porte-parole sur cette proposition de loi.
Il y a dans notre assemblée des moments où l’affrontement politique domine, et d’autres où nous nous retrouvons. Ainsi, hier, lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, en dépit de nos différences de vue, des rapprochements tout à fait marquants se sont produits, et nous avons été heureux de rendre notre copie au Gouvernement à la quasi-unanimité.
Je ne dissimulerai pas que, au sein de mon groupe, les avis sont différents et que certains de mes collègues partagent des points de vue défendus par des membres d’autres groupes, même si nous avons naturellement des positions communes, que nous avons arrêtées avec le souci de favoriser la recherche du consensus au sein de la commission des affaires sociales, comme nous l’avons dit ce matin dans la discussion générale.
Mon rôle étant de faire respecter ces orientations, je ne puis, au nom de mon groupe, qu’appeler le Sénat à s’abstenir sur cet amendement, pour des raisons qui ont été très bien expliquées par les orateurs précédents, qu’ils soient médecins ou qu’ils ne le soient pas, ce qui est aussi mon cas.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne reviendrai pas sur le débat de fond, si ce n’est pour vous assurer, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’ai entendu vos interrogations. Je ne suis pas non plus médecin, mais il y a des médecins dans mes équipes.
Plusieurs orateurs ont déploré que cet amendement ait été déposé tardivement et que le Gouvernement bouscule le travail accompli par le Sénat dans la recherche d’un consensus. Je respecte beaucoup le travail du Sénat, mais le Gouvernement aussi a ses responsabilités, mesdames, messieurs les sénateurs.
À cet égard, madame Bouchoux, je dois vous dire que je trouve votre raisonnement un peu paradoxal. En effet, je répète que la rédaction adoptée par la commission, et que le Sénat semble disposé à maintenir, est en retrait non seulement par rapport au texte adopté par l’Assemblée nationale, mais aussi par rapport à la loi Leonetti en ce qui concerne les critères de l’obstination déraisonnable. C’est un texte qui revient en arrière ! (M. Michel Amiel, corapporteur, le conteste.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, dès lors que vous adoptez une vision plus restrictive que celle sur laquelle repose la loi de 2005, le Gouvernement ne peut pas ne pas intervenir, quelque respect qu’il porte au travail parlementaire. À la vérité, je suis un peu étonnée que la volonté du Gouvernement de rétablir le texte adopté par l’Assemblée nationale soit considérée comme un geste de défiance à l’égard du travail qu’il vous appartient de mener. Chacun est dans son rôle et assume ses responsabilités.
Il y a, à l’extérieur de cet hémicycle, des acteurs, en particulier des associations, des médecins et des patients, qui, suivant nos travaux, seraient très étonnés si le Gouvernement ne défendait pas la position qu’il a soutenue avant le débat parlementaire, puis à l’Assemblée nationale, ni les éléments de l’équilibre qui avait fait consensus en 2005.
Que certains regrettent que l’amendement n’ait pas été déposé vingt-quatre heures plus tôt, je puis l’entendre ; mais qu’on ne dise pas qu’il bouscule les travaux parlementaires, vu qu’il se borne à reprendre, d’une part, la loi de 2005 et, d’autre part, le texte adopté par l’Assemblée nationale !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 32 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 212 |
Pour l’adoption | 11 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Après le même article L. 1110-5, il est inséré un article L. 1110-5-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-2. – Une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à une analgésie et, sauf si le patient s’y oppose, à l’arrêt des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants :
« 1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui présente une souffrance réfractaire à tout autre traitement, exprime la volonté d’éviter toute souffrance ;
« 2° Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et sauf si ses directives anticipées s’y opposent, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie au titre de l’obstination déraisonnable et que la souffrance du patient est jugée réfractaire.
« Dans le cadre d’une procédure collégiale telle que celle visée à l’article L. 1110-5-1, l’équipe soignante vérifie préalablement que les conditions d’application prévues aux deux alinéas précédents sont remplies.
« À la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en œuvre à son domicile, dans un établissement de santé ou un établissement visé au 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles.
« L’ensemble de la procédure suivie est inscrite au dossier médical du patient. »
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La collaboration de la commission des lois, saisie pour avis, et de la commission des affaires sociales a été en tous points excellente. Je tiens à en remercier non seulement le président Alain Milon, mais aussi les deux corapporteurs de la commission des affaires sociales.
Cependant, nous avons encore besoin d’ajuster nos approches sur plusieurs points, parmi lesquels l’alinéa 4 de l’article 3.
M. le rapporteur pour avis, François Pillet, aura l’occasion de développer ses arguments lorsqu’il présentera l’amendement n° 5, qui sera examiné dans un instant. Pour autant, j’aurai d’emblée quelques remarques à faire.
L’article 3, en son alinéa 4, vise le cas où un patient n’est pas en « état d’exprimer sa volonté » et où le médecin « arrête un traitement de maintien en vie au titre de l’obstination déraisonnable » lorsque « la souffrance du patient est jugée réfractaire. »
Il nous semble que des précisions seraient utiles pour améliorer le cadre légal et les garanties offertes, tant aux patients qu’aux médecins, d’ailleurs.
Tout d’abord, il faudrait préciser que l’arrêt du traitement doit se faire « au titre du refus de l’obstination déraisonnable », et pas uniquement « au titre de l’obstination déraisonnable ». Il s’agit d’une simple question rédactionnelle, à laquelle la commission des affaires sociales me semble avoir déjà réfléchi.
Ensuite, s’agissant de la mention de la souffrance du patient « jugée réfractaire », il est important de bien préciser que, dès lors que le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, il doit s’agir de l’appréciation par le médecin du risque que la souffrance soit réfractaire.
Enfin, je souhaiterais que les corapporteurs de la commission des affaires sociales nous confirment que l’alinéa 4 vise bien des patients en fin de vie (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), car il n’est pas rédigé en ces termes. En effet, « l’obstination déraisonnable », qui doit être refusée, peut très bien s’appliquer à des malades qui ne sont pas en fin de vie. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Lors de l’examen de l’article 2, nous avons vu qu’il existait deux cas distincts : on trouve, d’une part, le cas où les traitements seraient disproportionnés, ce qui s’applique à des malades qui ne sont pas nécessairement en fin de vie. D’autre part, il y a le cas où les traitements n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Dans le cadre des traitements visés à l’alinéa 4, il semble évident que l’on a bien affaire à des malades susceptibles d’entrer dans une phase d’agonie. Je voudrais donc avoir l’assurance qu’il s’agit bien de l’interprétation qu’il convient de donner à cet alinéa.
Si tel est bien le cas, l’amendement que présentera tout à l’heure M. le rapporteur pour avis pourrait parfaitement être adopté, puisqu’il n’a d’autre objet que de préciser la rédaction retenue par la commission des affaires sociales.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je m’adresserai à la fois à M. le président de la commission des lois et à M. le rapporteur pour avis pour rappeler que, du point de vue de la commission des affaires sociales, l’article 3 est primordial.
Notre commission en a modifié la rédaction de sorte que le recours à la sédation profonde et continue ne concerne que les personnes en fin de vie dont la souffrance est « réfractaire à tout autre traitement ». La sédation a donc un caractère subsidiaire par rapport au reste des soins palliatifs qui doivent avoir été préalablement mis en œuvre.
Monsieur le rapporteur pour avis, cette « sédation profonde et continue » n’est pas une périphrase masquant on ne sait trop quelle intention. Il s’agit d’une pratique qui fait partie intégrante des soins palliatifs.
Le texte de la commission distingue deux cas dans lesquels elle est mise en œuvre, sauf si le patient s’y oppose.
Le premier cas, prévu à l’alinéa 3, est celui dans lequel un « patient atteint d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme » et dont la souffrance est « réfractaire à tout autre traitement » exprime « la volonté d’éviter toute souffrance ».
Le second cas, prévu à l’alinéa 4, est celui où le patient est « hors d’état d’exprimer sa volonté ». Dans ce cas-là, si le traitement de maintien en vie est arrêté « au titre de l’obstination déraisonnable » – si le patient est donc en fin de vie –, le médecin met en œuvre la sédation profonde et continue, lorsqu’il juge que la souffrance du patient est réfractaire et lorsque les directives anticipées ne s’y opposent pas.
Il n’y a donc pas automaticité entre l’arrêt des traitements de maintien en vie et la mise en place de la sédation, et ce à un double titre.
En premier lieu, je le répète, le texte prévoit bien que la sédation n’est pas mise en œuvre lorsque des directives anticipées s’y opposent.
En second lieu, sa mise en œuvre est subordonnée à une appréciation médicale de la situation dans laquelle se trouve le patient, puisque l’alinéa 4 précise bien qu’il s’agit du cas où « la souffrance du patient est jugée réfractaire. »
Les positions de la commission des affaires sociales et de la commission des lois ne s’opposent donc pas sur cette question : nous avons exactement le même objectif ! Nos débats auront le mérite – je l’espère – de laisser clairement apparaître l’intention du législateur.
Pour autant, l’amendement de la commission des lois nous semble satisfait par la rédaction actuelle de l’article 3. (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Selon moi, la loi Leonetti – je ne citerai pas ici ses différents articles, tout le monde les connaît – est une excellente loi.
Dans 98 % des cas, elle convient parfaitement pour l’accompagnement des malades en fin de vie. La proposition de loi dont nous débattons concerne donc les 2 à 3 % de malades en fin de vie qui, eux, ne sont que partiellement soulagés par les soins palliatifs, c’est-à-dire par la morphine. Il s’agit, en effet, du traitement le plus souvent employé dans les services de soins palliatifs qui, du reste, font un excellent travail.
Certes, la commission a amélioré la rédaction de l’article 2, telle qu’elle résultait des travaux de l’Assemblée nationale : elle a ainsi conservé l’hydratation comme soin pouvant être maintenu jusqu’au décès, et ne conditionne plus la suspension ou le non-déclenchement des actes prévus par loi Leonetti au fait qu’ils apparaissent « inutiles ». Pour ma part, j’aurais souhaité qu’à l’alinéa 2 on substitue les termes de « sédation et analgésie adaptée et continue » aux termes de « sédation profonde et continue », ce qui aurait signifié une augmentation du titrage nécessaire ou un changement de molécule jusqu’à obtenir le soulagement du patient, même si cela peut entraîner une mort plus rapide, en supposant bien sûr son accord - selon ses directives anticipées – ou celui de la personne de confiance.
Je voudrais également indiquer que, lorsque nous, médecins, arrêtons le traitement curatif déraisonnable avec l’accord du malade et lorsque nous mettons en œuvre une analgésie et une sédation, nous ne savons pas pour autant formuler un pronostic précis sur la fin de vie du patient : il peut lui rester un mois, trois mois, six mois à vivre… Le médecin n’est pas en mesure de faire un pronostic à une semaine ou trois jours près lorsque l’agonie est proche.
C’est là où se pose la question du choix entre l’assistance à l’accompagnement en fin de vie qui, parfois pendant plusieurs mois, est destinée à éviter toute souffrance au patient – c’est l’objet de la loi Leonetti – et le suicide assisté à la demande du malade.
À titre personnel, je pense que les médecins ne sont pas là pour donner la mort.
Compte tenu des amendements qui ont été déposés pour mettre en place le suicide assisté – bien que le président de la commission et les corapporteurs, notamment M. Amiel, aient rappelé de manière réitérée, faisant ainsi preuve de pédagogie, que ce texte n’était pas destiné aux malades qui veulent mourir et qu’il ne s’agissait pas d’un texte sur l’euthanasie –, je ne crois pas qu’exprimer des réserves, voire des craintes à ce sujet, soit ringard !
Madame la ministre, la loi Leonetti de 2005 était parfaite pour accroître le nombre de soins palliatifs, pour former les médecins et obtenir des équipes mobiles. Toutefois, pour les 2 % des patients qui ne sont pas soulagés aujourd’hui malgré cette loi, il était possible d’instaurer une sédation adaptée afin d’éviter la souffrance en toute fin de vie,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Daniel Chasseing. … même si cette sédation pouvait entraîner plus rapidement la mort.
En revanche, pour le suicide assisté – c’est ma crainte –, je dis non !
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, sur l’article.
Mme Evelyne Yonnet. Je voudrais souligner tout le travail accompli en commission et remercier les rapporteurs, ainsi que le président de la commission des affaires sociales.
Nous ne discutons pas d’un texte sur le suicide assisté ou sur l’euthanasie. Nous n’avons pas cessé de le dire en commission.
Selon moi, le texte est très équilibré, notamment son article 3, pour lequel nous avons retenu la rédaction adéquate.
Mes chers collègues, ne reproduisons pas les mêmes débats qu’en première lecture ! Nous nous sommes accordés sur la « sédation profonde et continue », maintenons cette approche.
Pour nous qui sommes de simples sénateurs et ne sommes pas médecins, les termes utilisés dans cet hémicycle sont parfois un peu compliqués à comprendre, notamment s’agissant du choix des traitements. Pour autant, nous sommes tous bien d’accord sur le fond pour prendre en compte le souhait des patients, pour faire en sorte de les soulager, afin qu’ils ne souffrent pas en fin de vie. C’est là l’essentiel !
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 21, présenté par M. Barbier, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 1110-5-2. - Un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance associé à l'arrêt des traitements disproportionnés du maintien en vie est mise en œuvre dans les cas suivants :
II. - Alinéa 6
Remplacer les mots :
la sédation profonde et continue
par les mots :
le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance associé à l'arrêt des traitements disproportionnés du maintien en vie
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. J’ai souhaité rétablir la rédaction initiale de l’article 3, telle que les rapporteurs l’avaient présentée en première lecture à l’Assemblée nationale, avant que le débat ne s’organise et ne se poursuive avec la navette.
Les termes de l’article L. 1110-5-2 du code de la santé publique me semblaient alors parfaitement correspondre à la vision que je me faisais d’une modification de la loi Leonetti de 2005.
Or on a fondamentalement modifié la rédaction initiale de cet article pour y introduire « une sédation profonde et continue » jusqu’au décès.
Évidemment, on souhaite donner davantage de droits aux patients – j’ai bien compris l’intervention de Mme la ministre – et supprimer l’emprise que l’équipe soignante peut avoir sur le malade.
Pour ma part, je considère que la rédaction envisagée initialement par les deux rapporteurs correspondait davantage à la réalité vécue dans les services.
Enfin, lorsque vous affirmez, madame la ministre, que nous serions rétrogrades et que nous souhaiterions revenir en arrière par rapport à la loi Leonetti de 2005, j’attends de vous que vous nous en faisiez la démonstration technique, car je n’ai pas trouvé dans le texte actuel de la commission la preuve d’un tel retour en arrière !
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par Mme D. Gillot, M. Yung, Mmes Bonnefoy et Meunier et MM. Patriat, Marie, Raoul, Lalande, Manable et Masseret, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
traitements de maintien en vie
insérer les mots :
voire à un traitement susceptible d’accélérer la survenue de la mort
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Nous savons tous par expérience qu’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à l’arrêt des traitements, n’accélère pas la survenue de la mort. Elle peut même se révéler difficilement acceptable sur les plans humain et social et de nature à rompre le consensus formé de manière collégiale, lorsque l’agonie dure trop longtemps.
Dans certains cas, le corps du patient ne se révèle pas aussi exténué qu’un corps dévoré par la maladie ou vidé de sa sève par les ans, si bien que l’arrêt des traitements – même accompagné d’une sédation profonde et continue – ne conduit pas à une cessation de la vie dans des conditions et des délais respectueux de la dignité de la personne. La mort peut être longue à survenir et les stigmates peuvent être importants. C’est le cas notamment des personnes en état neurovégétatif qui survivent artificiellement depuis des années.
Il faut donc que l’arrêt des traitements curatifs inutiles au maintien en vie ne crée pas davantage de douleurs que l’acharnement thérapeutique déraisonnable.
Il s’agit d’assurer par tous les moyens la sérénité, le calme, la tranquillité de la personne en fin de vie lors des derniers jours, y compris à l’aide de traitements pouvant accélérer la survenue de la mort, si le patient ou la personne de confiance le demandent expressément, ou si l’équipe médicale le juge utile dans l’intérêt du patient et que les directives anticipées ne l’interdisent pas.
Cette disposition préserve aussi les médecins et leurs équipes de demandes de soins extravagantes ou de pressions de toutes sortes, y compris médiatiques – l’actualité nous en donne de tragiques exemples.
Cette autorisation donnée au médecin, qui l’accepte après décision prise dans le cadre de la procédure collégiale, d’avoir recours à un traitement susceptible d’accélérer la survenue de la mort en respectant la volonté, l’intégrité et la dignité de la personne confirmerait l’avancée voulue avec cette proposition de loi et libérerait les équipes médicales d’une insécurité juridique toujours patente.
Tel est l’objet de cet amendement : permettre, dans le cas d’une décision d’arrêt de traitement curatif, que la mort survienne dans des conditions et des délais respectueux de la dignité de la personne.
M. le président. L'amendement n° 13 rectifié bis, présenté par MM. de Legge, Retailleau et Pozzo di Borgo, Mme Cayeux, M. Portelli, Mme Canayer, MM. Bignon, Charon, Mandelli et Morisset, Mme Des Esgaulx, MM. B. Fournier et Vasselle, Mmes Imbert, Duchêne et Gruny et MM. Mayet, de Raincourt, Revet, Reichardt et Chaize, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
est
par les mots :
peut être
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Avec l’article 3, nous sommes au cœur du sujet.
Cet amendement s’inscrit dans le prolongement de la discussion que nous avons eue à l’article 2, sur l’hydratation.
Tout comme il est indiqué à l’article 2 que l’hydratation artificielle constitue un soin qui « peut être » maintenu jusqu’au décès, je propose de rendre la sédation profonde possible, sans en faire une obligation.
Pour être très franc, mes chers collègues, je ne me fais guère d’illusions sur la suite qui sera donnée à cette proposition. Mais nous sommes quelques-uns ici à souhaiter rappeler nos convictions profondes, et c’est ce qui justifie le dépôt de cet amendement.
Nous sommes également prêts à aller vers un consensus. Il me semble important que les travaux du Sénat débouchent sur un texte et, madame la ministre, je ne peux pas me résoudre à l’idée que nos travaux seraient purement académiques et que, par définition, il ne devrait même pas y avoir de débat en commission mixte paritaire.
Donc, j’y insiste, nous souhaitons un texte du Sénat.
Je veux enfin profiter de cette présentation pour m’adresser à nos collègues qui, ce matin, nous ont rappelé que le consensus, dans leur esprit, était temporaire et qu’ils souhaitaient s’emparer à nouveau du sujet dans un avenir proche, afin de pousser plus loin la réflexion.
Je leur dirai, très amicalement et très simplement, que la recherche d’un consensus exige forcément de la confiance, ce qui suppose un minimum de durée et de transparence. Je comprendrais très bien que cet amendement ne soit pas adopté, mais je demande aussi à nos collègues de comprendre que des amendements tendant à défendre une position complètement opposée n’ont pas vocation, si nous voulons parvenir à un texte équilibré, à susciter de longs débats dans cette enceinte.
C’est pourquoi, pour ma part, j’en reste à cette explication.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsque le médecin arrête, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, un traitement de maintien en vie d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté, et qu’il estime que le patient risque d’être exposé à une souffrance réfractaire à tout autre traitement, il met en œuvre une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associée à une analgésie, à moins que les directives anticipées de ce patient s’y opposent.
II. – En conséquence, à la fin de l'alinéa 2 et au début de l'alinéa 3
Remplacer les mots :
dans les cas suivants :
« 1° Lorsque
par le mot :
lorsque
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Dans son propos liminaire, M. le président de la commission des lois a déjà parfaitement développé l’argumentaire justifiant le dépôt de cet amendement, que j’ai la charge de présenter au nom de cette commission.
Après avoir entendu les débats et, précisément, la réponse du président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, j’ai le sentiment que nous sommes strictement dans du rédactionnel.
C’est évident pour la première modification. Il va de soi qu’il faut réintégrer le terme « refus » dans l’expression « au titre de l’obstination déraisonnable ». Il a été oublié dans le texte de la commission, ce qui rend ce dernier un peu moins précis.
Pour le reste, M. le président Milon a reconnu qu’en définitive nos positions étaient identiques, ce qui nous fait également penser que nous nous trouvons face à une question de rédaction. Or nous avons la faiblesse de croire, au sein de la commission des lois, que celle que nous proposons est plus claire !
S’il est exact que l’analyse des travaux parlementaires s’impose, il est tout de même préférable que les propos que nous tenons en séance trouvent de manière claire leur traduction dans le texte de loi.
En l’espèce, la rédaction initiale de l’Assemblée nationale faisait obligation au médecin de recourir préventivement à une sédation profonde et continue, afin d’éviter toute souffrance au patient. La rédaction adoptée par la commission des affaires sociales a rompu cette logique d’automaticité.
Cet amendement de la commission des lois vise à rendre plus clair le dispositif en prévoyant que le médecin ne peut mettre en œuvre cette sédation préventive que s’il estime que le patient risque d’être exposé à une souffrance réfractaire à tout autre traitement. Il s’agit donc, ici, de s’appuyer sur l’appréciation médicale et d’éviter un dernier automatisme qui pourrait rester dans la proposition de loi.
Voilà donc un amendement dont l’adoption n’affecterait pas l’équilibre trouvé et qui porte principalement sur des aspects rédactionnels.
S’agissant de la deuxième modification proposée, dès lors que nous sommes totalement d’accord sur le fond, il vous reste simplement à apprécier, mes chers collègues, quel texte offrira le plus de précisions aux personnels soignants et aux malades qui le liront, mais également aux juges qui auront à l’interpréter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. L’article 3 de la proposition de loi se situe effectivement au cœur du sujet.
Je voudrais tout d’abord rappeler que la sédation profonde et continue est un outil médical mis à la disposition des spécialistes de soins palliatifs, à l’hôpital, bien sûr, mais aussi dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou à domicile. Je tiens à le préciser, car il me paraît important que notre discours ne soit pas trop « hospitalocentré ».
Par ailleurs, cet outil est préconisé par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Il est également labellisé – si ce terme en agace certains, je dirai « reconnu » - par la Haute Autorité de santé.
En aucun cas, il ne s’agit d’ouvrir la porte à des pratiques euthanasiques !
Donc, afin d’éviter à nouveau de longs débats, je vais vous demander, monsieur Barbier, de bien vouloir retirer l’amendement n° 21. À défaut, l’avis sera défavorable.
Il en va de même pour l’amendement n° 8 rectifié, dont l’objet est clairement d’ouvrir la possibilité pour les médecins de mettre en place un traitement susceptible d’accélérer la survenue du décès.
Encore une fois, les choses sont claires : nous ne sommes pas dans le sujet !
Je le redirai peut-être encore, au-delà de tout effet oratoire, cette proposition de loi tend à atténuer les souffrances – physiques ou psychiques - de ceux qui vont mourir, et non à rouvrir le débat de l’euthanasie ou du suicide assisté, même si nous pouvions nous attendre à ce qu’il soit rouvert à cette occasion.
S’agissant de l’amendement n° 13 rectifié bis, je tiens à vous remercier, monsieur de Legge, des propos que vous avez tenus.
Effectivement, au-delà des convictions de chacun des membres de la commission des affaires sociales et, plus généralement, de chacun d’entre nous, mes chers collègues, nous avons fait l’effort de « coller » le plus possible à la réalité de la fin de vie, tout en recherchant une rédaction aussi consensuelle que possible, qui ne heurte aucune sensibilité philosophique ou religieuse.
C’est d’ailleurs à ce titre, monsieur de Legge, que je me permettrai de vous demander également de retirer cet amendement n° 13 rectifié bis. Sans cela, l’avis de la commission sera défavorable.
Quant à la rédaction proposée par M. François Pillet, j’ai pour ma part la faiblesse de croire, sans pour autant tomber dans un combat entre juristes et médecins, que le texte rédigé par la commission des affaires sociales répond aux préoccupations du rapporteur pour avis. Pour cette raison, je demande également le retrait de l’amendement n° 5.
Cela étant, s’agissant de la problématique soulevée par Philippe Bas à propos de l’adjonction du terme « refus », on peut faire deux lectures différentes. L’expression « au titre de l’obstination déraisonnable » faisait référence au concept. C’est en tout cas la lecture que j’avais du texte de la commission, mais je ne vois strictement aucun inconvénient à ajouter le terme « refus ».
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. L’avis sera défavorable sur ces quatre amendements, mais, avant de développer plus avant mon argumentaire, je voudrais indiquer le cadre dans lequel se positionne le Gouvernement.
Ces amendements viennent modifier le texte de la commission. Ce dernier ne nous paraît pas toujours d’une clarté absolue – cela explique certaines interrogations -, mais nous sommes là dans un débat concernant plus la forme, la rédaction, éventuellement l’interprétation de certaines dispositions, que les principes.
C’est pourquoi, d’ailleurs, le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement. Le travail parlementaire va se poursuivre. Nous verrons alors comment les points de vue entre les deux assemblées se rapprochent ou ne se rapprochent pas.
Je précise toutefois, sans vouloir trancher le débat entre les deux commissions sénatoriales, que certaines rédactions nouvellement adoptées me semblent introduire des éléments d’incertitude.
Dans le cadre ainsi défini, j’émets un avis défavorable sur ces quatre amendements.
L’amendement n° 21 s’inscrit dans la lignée de la position défendue par M. Barbier depuis le début de ce débat. Cette position n’est pas celle qui a été retenue pour la proposition de loi. Je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Dominique Gillot, comme nous avons déjà eu l’occasion de le voir en première lecture, porte une autre vision, totalement inverse. Je la comprends, mais ce n’est pas non plus celle du texte. Par conséquent, je ne peux pas davantage formuler un avis favorable sur l’amendement n° 8 rectifié.
Quant aux amendements nos 13 rectifié bis et 5, ils tendent à modifier le texte de la commission en en restreignant la portée, d’où un avis également défavorable.
M. le président. Monsieur Barbier, l'amendement n° 21 est-il maintenu ?
M. Gilbert Barbier. Comme vous vous en doutez, monsieur le président, j’avais déposé cet amendement simplement pour prendre date. Donc, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 21 est retiré.
Madame Gillot, l'amendement n° 8 rectifié est-il maintenu ?
Mme Dominique Gillot. J’entends bien l’argument de Mme la ministre : nous sommes effectivement sur des positionnements différents. Mais il me semble important que des voix continuent tout de même de s’élever pour relayer la très forte attente de ceux qui souhaitent que soit reconnue la nécessité de ne pas prolonger la douleur du patient en fin de vie et de sa famille.
J’insiste, car, comme on a pu le voir dans l’actualité, d’éventuels retours en arrière suscitent des difficultés extrêmement douloureuses, insupportables, et nourrissent des débats sans fin.
C’est pourquoi, monsieur le président, je maintiens mon amendement.
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher, pour explication de vote.
M. Hervé Poher. Revenons-en à la pratique, mes chers collègues !
J’ai indiqué, dans d’autres lieux, que cette proposition de loi était teintée d’une double hypocrisie.
Première hypocrisie, la sédation profonde et prolongée est pratiquée depuis des décennies par les médecins, et ce partout - à l’hôpital, à la maison – dès lors qu’ils le jugent nécessaire.
Deuxième hypocrisie, nous savons pertinemment que, lorsque nous employons certains produits à certaines doses, cela accélère un peu les choses – il est question de quelques heures, quelques jours… Pardonnez-moi, mais, si vous donnez de la morphine à forte dose, cela crée des dépressions respiratoires et tout va plus vite !
Faut-il rester dans cette hypocrisie, ne rien écrire à cet égard ou faut-il au contraire intégrer cette réalité dans la loi pour couvrir le monde médical, en précisant que, si les médecins appliquent la loi, ils le font en toute conscience ?
Je vous le répète, mes chers collègues, on sait qu’avec certains produits la personne décédera le mardi midi, au lieu du mercredi. C’est bien pour elle ! C’est bien pour la famille ! C’est bien pour tout le monde !
M. le président. Monsieur de Legge, l'amendement n° 13 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Dominique de Legge. Il est important de pouvoir exprimer des positions dans le débat et je ne suis pas sûr que certains autres amendements, que nous examinerons plus tard, seront retirés. Par conséquent, je maintiens cet amendement, étant précisé que le sort qui lui sera réservé ne déterminera pas le sens de notre vote sur l’ensemble du texte.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 33 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 21 |
Contre | 320 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je vais mettre aux voix l’amendement n° 5 de la commission des lois.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Le texte que nous sommes en train d’examiner en vue de son adoption doit être clair et intelligible. Or ce serait davantage le cas, comme l’a rappelé François Pillet, si c’était le dispositif proposé par la commission des lois qui était retenu par notre assemblée. Il ne s’agit pas de procéder à une mutation vers un autre texte ; l’objectif consiste simplement à apporter des précisions sur trois points.
D’abord, la décision d’arrêt du traitement sera prise non pas « au titre de l’obstination déraisonnable », mais au titre du « refus de l’obstination déraisonnable ». MM. les rapporteurs ont admis ce premier point, mais ce n’est pas le principal.
Ensuite, il a été dit à plusieurs reprises que la sédation profonde était le stade ultime des soins palliatifs, après que d’autres soins ont été tentés. Dans l’alinéa précédent, quand il s’agit d’une demande du patient, on précise bien que la souffrance doit être « réfractaire à tout autre traitement ». Ici, on parle d’une « souffrance réfractaire », sans la qualifier. Ce point est aussi extrêmement important, car il situe la sédation profonde par rapport aux autres soins palliatifs.
Enfin, le texte proposé par la commission des lois précise bien que l’objectif visé par le médecin, lorsqu’il doit prendre sa décision, est de faire échapper le malade à un risque de souffrance réfractaire à tout autre traitement, alors que le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et que l’on ne sait pas mesurer sa souffrance avec exactitude. C’est le risque de souffrance auquel on veut faire échec par la sédation profonde.
Il n’existe donc aucune opposition de fond entre la commission des lois et la commission des affaires sociales, il s’agit simplement, pour la commission des lois, d’aider à faire émerger une rédaction que nous pensons meilleure que celle de la commission des affaires sociales – pardonnez ce manque d’humilité, mais c’est aussi notre travail –, tout en ayant le même objectif.
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Comme vous le savez, je ne suis pas juriste.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mais vous êtes médecin ! (Sourires.)
M. Michel Amiel, corapporteur. Autant l’ajout, à l’alinéa 4, du terme « refus », et même si une autre lecture est possible, ne me pose aucun problème, autant, pour le reste, j’ai beau tordre le texte dans tous les sens, il me semble que nous satisfaisons déjà par notre texte aux objections qui ont été formulées.
Par conséquent, je maintiens mon avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 23 rectifié ter, présenté par M. Mandelli, Mmes Duchêne et Micouleau, MM. Chaize, Bignon, Retailleau et Pinton, Mme Deromedi, MM. Charon, G. Bailly et Mayet et Mmes Garriaud-Maylam et Lamure, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La sédation profonde et continue ne peut en aucun cas s’appliquer aux personnes en situation de grand handicap dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme.
La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne.
Mme Marie-Annick Duchêne. Cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Il s’agit d’appliquer aux personnes en situation de grand handicap tout ce que nous avons évoqué depuis le début de la réflexion sur l’article 3.
Le texte de la commission des affaires sociales répond à cette préoccupation. Relisons-le ensemble.
D’abord, la sédation profonde et continue ne peut être mise en œuvre qu’à la demande des personnes dont le pronostic vital est engagé à court terme et qui sont atteintes d’une souffrance réfractaire à tout autre traitement.
Ensuite, pour les personnes incapables d’exprimer leur volonté, l’obstination déraisonnable doit être constatée par la voie d’une procédure collégiale qui associe la personne de confiance, comme le prévoit l’article 2. Par ailleurs, ici encore, la sédation profonde et continue ne sera mise en œuvre que si l’on juge que la souffrance est réfractaire à tout autre traitement.
Enfin, les directives anticipées peuvent interdire l’arrêt des traitements de maintien en vie. Nous avions été très clairs sur ce point pour éliminer toute ambiguïté.
Pour toutes ces raisons, je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, la commission des affaires sociales émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Duchêne, l'amendement n° 23 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Marie-Annick Duchêne. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 23 rectifié ter est retiré.
Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Cadic, Mmes Jouanno et Garriaud-Maylam et M. Cantegrit, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier d’une aide active à mourir. »
La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Cet amendement ainsi que les amendements nos 2 rectifié et 3 rectifié ne retranchent rien à l’ensemble du dispositif voté en commission des affaires sociales.
Ils visent à autoriser dans le droit français, dans un cadre rigoureux et humain, l’aide active à mourir. Cette aide ne vient donc pas se substituer aux soins palliatifs ; elle offre une liberté supplémentaire, un nouveau droit.
Le droit de mourir sous assistance médicale est une proposition respectueuse de la dignité humaine et de la liberté individuelle lorsqu’elle est exprimée de façon éclairée et réfléchie.
Voilà quelques mois, une de mes amies, jugée incurable, a souhaité partir entourée de sa fille et de son fils. Ce denier vit dans un territoire d’outre-mer. Il a passé de longues semaines auprès de sa mère, mais a dû rentrer chez lui ; sa mère s’est éteinte quatre jours après son départ. Ses dernières volontés n’ont pas été respectées.
Pourquoi refuser aux personnes condamnées par les médecins cette ultime liberté de disposer de leur propre corps ? Pourquoi obliger les patients à souffrir davantage ? Pourquoi les contraindre à se « cadavériser » petit à petit sous les yeux de leur famille ?
Pourquoi ?
L’aide active à mourir est désormais inscrite à l’agenda législatif de plusieurs pays. Là où elle existe, les spécialistes s’accordent à dire qu’elle offre une paix de l’esprit au patient sachant sa fin toute proche, que ce dernier peut ainsi maîtriser ses derniers instants.
En l’occurrence, il s’agit de satisfaire 96 % des Français, qui, selon un sondage réalisé en octobre 2014 pour le compte de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, souhaitent « que l’on autorise les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ».
En France, chacun devrait se voir reconnaître le droit d’aborder sa fin de vie dans le respect des principes de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent notre République.
Mes chers collègues, si ces amendements sont votés, les Français pourront bénéficier d’une législation équivalente à celle dont disposent plusieurs de nos voisins, comme les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse.
Ce ne sont là, me direz-vous, que des petits pays. Mais gardons ce fait à l’esprit : c’est la Corse qui, sous l’impulsion de Pascal Paoli, s’est, la première, dotée d’une Constitution écrite, trente ans avant la Constitution américaine de 1787, qu’elle a inspirée.
Accueilli à Paris comme une gloire nationale par les grandes figures de la Révolution française, Paoli s’est entendu dire par Robespierre : « Vous avez défendu la liberté dans un temps où nous n’osions l’espérer encore. »
Cette nouvelle liberté, que je défends devant vous avec de nombreux collègues de toutes sensibilités, est animée du même esprit que celui des Lumières. Nul doute que son temps viendra. Aujourd’hui, tout le peuple français aspire à bénéficier d’un nouveau droit, d’une ultime liberté ! (Mme Corinne Bouchoux et M. Jean-Pierre Godefroy applaudissent.)
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Cadic, Mmes Jouanno et Garriaud-Maylam et M. Cantegrit, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – L’article L. 1111-10 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10. – Lorsqu’une personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou qu’elle juge insupportable, demande à son médecin le bénéfice d’une aide active à mourir, celui-ci doit s’assurer de la réalité de la situation dans laquelle se trouve la personne concernée. Après examen du patient, étude de son dossier et, s’il y a lieu, consultation de l’équipe soignante, le médecin doit faire appel, pour l’éclairer, dans un délai maximum de quarante-huit heures, à un autre praticien de son choix. Les médecins vérifient le caractère libre, éclairé, réfléchi et constant de la demande présentée, lors d’un entretien au cours duquel ils informent l’intéressé des possibilités thérapeutiques, ainsi que des solutions alternatives en matière d’accompagnement de fin de vie. Les médecins peuvent, s’ils le jugent souhaitable, renouveler l’entretien dans les quarante-huit heures. Les médecins rendent leurs conclusions sur l’état de l’intéressé dans un délai de quatre jours au plus à compter de la demande initiale du patient. Lorsque les médecins constatent au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou que la personne juge insupportable, et donc la situation d’impasse thérapeutique dans laquelle se trouve la personne ainsi que le caractère libre, éclairé, réfléchi et réitéré de sa demande, l’intéressé doit, s’il persiste, confirmer sa volonté, le cas échéant, en présence de la ou des personnes de confiance qu’il a désignées. Le médecin respecte cette volonté. L’acte d’aide active à mourir, pratiqué sous le contrôle du médecin, en milieu hospitalier ou au domicile du patient ou dans les locaux d’une association agréée à cet effet, ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande. Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de l’intéressé si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de celui-ci telle qu’il la conçoit pour lui-même. L’intéressé peut, à tout moment et par tout moyen, révoquer sa demande. Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical. Dans un délai de huit jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir adresse à la commission régionale de contrôle prévue à la présente section un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article ; la commission contrôle la validité du protocole. Le cas échéant, elle transmet à l’autorité judiciaire compétente. »
La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Cadic, Mmes Jouanno et Garriaud-Maylam et M. Cantegrit, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Après l’article L. 1110-9 du même code, il est inséré un article L. 1110-9-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-9-... – Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats auxquels elle est partie la personne dont la mort résulte d’une aide active à mourir mise en œuvre selon les conditions et procédures prescrites par le code de la santé publique. Toute clause contraire est réputée non écrite. »
La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Bertrand, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Compléter cet article par six alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 1110-5-1-... – Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une douleur physique ou une souffrance psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier d’une assistance médicalisée à mourir.
« La demande du patient est étudiée sans délai par un collège de trois médecins afin d’en vérifier le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite et de s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve l’intéressé. Dans un délai maximal de huit jours, les médecins remettent leurs conclusions au patient.
« Si les conclusions des médecins attestent que l’état de santé de la personne malade est incurable, que sa douleur physique ou sa souffrance psychique ne peut être apaisée ou qu’elle la juge insupportable, que sa demande est libre, éclairée, réfléchie et explicite et s’ils constatent qu’elle confirme sa demande de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir, sa volonté doit être respectée.
« La personne malade peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’acte d’assistance médicalisée à mourir est pratiqué sous le contrôle et en présence du médecin traitant qui a reçu la demande et a accepté d’accompagner la personne malade dans sa démarche ou du médecin vers lequel elle a été orientée.
« L’ensemble de la procédure suivie est inscrite dans le dossier médical du patient. »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Par cet amendement, nous proposons d’introduire dans notre législation le droit à bénéficier d’une assistance médicalisée à mourir.
Certes, nous reconnaissons que la proposition de loi de MM. Claeys et Leonetti constitue une avancée. Toutefois, nous regrettons que ce texte n’aille pas plus loin, conformément à l’engagement du Président de la République à ce que « toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
Madame la ministre, au cours des débats de première lecture, vous avez déclaré que le Président de la République était allé aussi loin que le permettait l’état de la société française. Je n’en suis pas sûr. Surtout, j’estime que chacun doit pouvoir finir sa vie comme il l’entend et rester maître de son destin.
Aussi, cet amendement tend à permettre à des malades très gravement atteints, dont le cas est dramatique et qui n’ont d’autre issue qu’une mort particulièrement pénible, d’opter pour le droit à mourir dans la dignité avec une assistance médicale, dans les meilleures conditions possible.
Il ne s’agit en aucun cas de banaliser cette pratique, mais d’accepter, au nom de la solidarité, de la compassion et de l’humanisme, que des personnes souhaitent devancer la mort. De quel droit leur refuse-t-on cette ultime volonté ? Il est important de leur permettre de ne pas se suicider dans la clandestinité, de leur reconnaître le droit de choisir une mort sans souffrance.
J’emprunterai, pour conclure, ces mots à Sénèque : « Y a-t-il plus cruel supplice que la mort ? Oui : la vie, quand on veut mourir. » (Mme Corinne Bouchoux applaudit.)
M. Georges Labazée. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par Mmes David, Assassi, Beaufils, Cohen et Prunaud et MM. Billout, Bosino et Watrin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 1110-5-1, il est inséré un article L. 1110-5-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-… – Toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique, ou la plaçant dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant une mort rapide et sans douleur. Cet acte peut être accompli par la personne elle-même ou par le médecin qu’elle a choisi. » ;
2° Après l’article L. 1111-10, il est inséré un article L. 1111-10-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10-… – Le médecin, saisi d’une demande d’assistance médicalisée pour mourir, saisit dans les meilleurs délais un confrère indépendant pour s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve la personne concernée. Ils vérifient, à l’occasion d’un entretien avec la personne malade, le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande.
« Ils informent la personne malade des possibilités qui lui sont offertes de bénéficier des dispositifs de soins palliatifs compatibles avec sa situation.
« Dans un délai maximum de huit jours suivant la première rencontre commune de la personne malade, les médecins lui remettent, en présence de sa personne de confiance, un rapport faisant état de leurs conclusions sur l’état de santé de l’intéressé.
« Si les conclusions des médecins attestent, au regard des données acquises de la science, que l’état de santé de la personne malade est incurable, que sa demande est libre, éclairée et réfléchie et qu’ils constatent à l’occasion de la remise de leurs conclusions que l’intéressé persiste, en présence de sa personne de confiance, dans sa demande, alors, le médecin doit respecter la volonté de la personne malade.
« L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’acte d’assistance médicalisée pour mourir est réalisé sous le contrôle du médecin choisi ou de premier recours qui a reçu la demande de l’intéressé et a accepté de l’accompagner dans sa démarche et ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de sa demande.
« Toutefois, si la personne malade en fait la demande, et que les médecins précités estiment que la dégradation de l’état de santé de la personne intéressée le justifie, ce délai peut être abrégé ; la personne peut à tout moment révoquer sa demande.
« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical de la personne. » ;
3° Après l’article L. 1111-4, il est inséré un article L. 1111-4-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-4-… – Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une assistance médicalisée à mourir.
« Le refus du professionnel de santé est notifié sans délai à l’auteur de cette demande ou, le cas échéant, à sa personne de confiance. Afin d’éviter que son refus n’ait pour conséquence de priver d’effet cette demande, il est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible d’y déférer. » ;
4° La section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie est complétée par un article L. 1111-13-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-13-... - Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats auxquels elle était partie la personne dont la mort résulte d’une assistance médicalisée pour mourir, mise en œuvre selon les conditions et procédures prescrites par le présent code. Toute clause contraire est réputée non écrite. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Mes chers collègues, cet amendement est issu de la proposition de loi de mon ami Guy Fischer, dont Gilbert Barbier a évoqué la mémoire ce matin. J’avais moi-même cosigné ce texte, issu des réflexions menées entre 2010 et 2011 par le groupe de travail de la commission des affaires sociales du Sénat : vous le constatez, voilà quelque temps que cette commission se consacre à ce sujet très important !
En s’inspirant des propositions de loi émanant de parlementaires de différents groupes, non seulement de celui auquel j’appartiens, le groupe communiste républicain et citoyen, mais aussi, à l’époque, du groupe socialiste et du groupe UMP, cette instance de travail avait formulé des propositions pour permettre et encadrer le recours à l’assistance médicalisée à mourir.
Le texte, adopté en commission, avait été rejeté en séance publique. Il traite pourtant d’un problème crucial et porte sur un sujet qui fait consensus auprès de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Ce constat vient d’être rappelé : plus de 90 % des Français se disent favorables à l’euthanasie et 86 % souhaitent que la nouvelle loi dédiée à la fin de vie légalise l’euthanasie active.
En effet, en la matière, nous sommes face à une évolution naturelle s’inscrivant dans la continuité des transformations des pratiques médicales auxquelles nous avons assisté au cours des dernières années. Le témoignage de notre collègue Olivier Cadic vient le confirmer.
Il s’agit, quand on est placé dans un état de dépendance que l’on estime incompatible avec sa dignité, de pouvoir demander une assistance médicalisée pour mourir. C’est le droit de mourir quand on le souhaite, où on le souhaite et comme on le souhaite, entouré de celles et ceux que l’on aime ; le droit de mettre fin à une maladie incurable, ou à des souffrances physiques ou psychiques insupportables ; le droit, aussi, de mourir chez soi, je le répète, entouré des siens.
Bien entendu, ce recours doit être encadré, limité aux personnes majeures qui en ont fait la demande. Les garde-fous nécessaires sont prévus pour empêcher les dérives : informations relatives aux soins palliatifs, délai de réflexion, vérification du caractère libre et éclairé du choix du patient, etc.
De plus, nous proposons d’introduire une clause de conscience, par laquelle le médecin peut refuser de pratiquer l’acte d’assistance pour mourir. Dans ce cas, il est prévu que le praticien oriente le patient vers un confrère ou une consœur à même de pratiquer l’acte.
Ce droit a déjà été ouvert par plusieurs de nos voisins européens – la Belgique et les Pays-Bas, par exemple. Or il n’a entraîné ni baisse des moyens alloués aux soins palliatifs ni hausse des pratiques d’euthanasie active. Cela prouve qu’en encadrant ce droit il est possible d’éviter d’éventuelles dérives.
M. le président. L'amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Godefroy, Labazée et Daudigny, Mmes Bataille et Campion, MM. Cazeau et Duran, Mme Guillemot, M. Filleul, Mme Lienemann, MM. Lorgeoux et Leconte, Mmes Lepage et Monier, MM. Madec, Poher et Raoul, Mmes Riocreux, Schillinger et Tocqueville et MM. Vaugrenard, Yung et Courteau, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Après l’article L. 1110-5-2, il est inséré un article L. 1110-5-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5-2-1. - Toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, qui s'est vue proposer l'ensemble des soins palliatifs auxquels elle a droit, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré une mort rapide et sans douleur. Cet acte peut être accompli par la personne elle-même ou par le médecin qu'elle a choisi. Le médecin doit avoir la conviction que la demande de la personne est totalement libre, éclairée, réfléchie et qu'il n'existe aucune solution acceptable par elle-même dans sa situation. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement, comme les précédents, tend à aller plus loin que les dispositions du présent texte en créant une véritable aide active à mourir. À cette fin, il vise à instaurer, pour les personnes majeures, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable leur infligeant une souffrance qui ne peut être apaisée, et qu’elles jugent insupportable, un droit à bénéficier d’une véritable aide active pour mourir.
À quelques mots près, le texte de cet amendement reprend le dispositif de la proposition de loi déposée ici, au Sénat, par des élus appartenant à presque tous les groupes de la Haute Assemblée.
Je tiens à insister plus précisément sur deux points.
Premièrement, ce dispositif doit être strictement encadré. Il s’agit évidemment d’un droit, d’une liberté, d’une faculté, et en aucun cas d’une obligation. Le médecin doit avoir la conviction que la demande de la personne est formulée de manière totalement libre, éclairée et réfléchie, et qu’il n’existe aucune autre solution acceptable par elle-même dans sa situation. Bien entendu, les médecins auront toujours la faculté d’exercer leur clause de conscience.
Deuxièmement, l’aide active pour mourir ne s’oppose ni à la sédation terminale ni, surtout, aux soins palliatifs. Au contraire, elle les complète. Elle ne ferait que donner un choix supplémentaire aux personnes en souffrance qui vivent leurs derniers moments.
À cet égard, il s’agit d’un amendement d’empathie et de fraternité, qui laisse les personnes malades décider elles-mêmes si elles préfèrent vivre leurs derniers moments dans la conscience ou dans l’inconscience ; qui les laisse choisir elles-mêmes ce qu’elles estiment être digne pour elles ; qui leur assure qu’elles ne seront pas contraintes de subir la douleur.
Si j’ai déposé cet amendement, avec un certain nombre de mes collègues, c’est parce que toutes ces possibilités sont sollicitées par les personnes en fin de vie. Il y va de notre rôle de législateur de les entendre.
J’entends parfois dire que l’on ne fait pas des textes pour les minorités. Je suis persuadé, au contraire, que le législateur se grandit en tenant compte des minorités et en apportant des réponses aux questions qu’elles soulèvent.
Ma position se fonde sur la conviction qu’il n’appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux hommes de religion ni aux techniciens chargés des machines qui maintiennent artificiellement en vie de décider ; seule devrait compter la volonté du patient.
Refuser cette liberté à ceux qui la demandent, c’est ajouter de la souffrance à la souffrance !
Je reviendrai sur ces questions en explication de vote. Toutefois, je tiens d’ores et déjà à réagir aux propos que vient de tenir Annie David : dans les pays qui nous entourent, et qui sont loin d’être des contrées barbares – la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suisse –, auxquels il faut ajouter, aux États-Unis, aujourd’hui l’Oregon, demain la Californie, ces dispositions s’appliquent dans de très bonnes conditions. On n’a pas observé d’augmentation des actes d’euthanasie. Plus généralement, aucune dérive n’a été constatée.
Nous ferions bien de nous inspirer de ces modèles, pour aller beaucoup plus loin.
Au reste, ces exemples devraient être à même de rassurer M. Philippe Bas. (Exclamations au banc des commissions.) En effet, si les craintes qu’il exprime étaient justifiées, nous n’aurions pas eu à déposer ces amendements ! (Mme Stéphanie Riocreux et M. Olivier Cadic applaudissent.)
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par Mmes Bouchoux, Archimbaud, Benbassa et Blandin et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Placé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - Après l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1110-5-... ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-5... – Toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une douleur physique ou une souffrance psychique insupportable, peut demander, dans les conditions prévues au présent titre, à bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir.
« La demande du patient est immédiatement étudiée par un collège de trois médecins afin d’en vérifier le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite et de s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle se trouve l’intéressé.
« Si le patient confirme sa volonté de bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir au moins quarante-huit heures après sa demande initiale, alors sa volonté doit être respectée.
« Dans un délai maximal de quatre jours après la confirmation de la demande par le patient, l’assistance médicalisée active à mourir est pratiquée, selon la volonté du patient, soit par le patient lui-même en présence du médecin, soit par le médecin. L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’ensemble de la procédure suivie est inscrite dans le dossier médical du patient. »
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Cet amendement, dont les dispositions s’inscrivent dans la continuité des six précédents, vise à répondre à une attente très importante de la population française : 96 % de nos concitoyens souhaitent en effet la mise en place d’une aide active à mourir.
Il s’agit là d’un combat précédemment engagé, sur ces travées, par des élus issus de différentes familles politiques. Pour les écologistes, Jean Desessard et Marie-Christine Blandin l’ont repris ici, dès leur arrivée au Sénat.
Nous pensons, très humblement mais très fermement, que, sur ce point, il y a déconnexion entre l’attente de la population, qui se fait jour au cours des réunions publiques, et la sociologie actuelle du Sénat. (M. Olivier Cadic approuve. – M. Daniel Chasseing proteste.) Ce n’est pas émettre un jugement que de le dire !
Il y a quelques instants, l’amendement du Gouvernement qui prévoyait une consolidation de la loi Leonetti n’a recueilli qu’une dizaine de votes. Nous devons admettre que le Sénat est comme il est, avec les nombreuses réserves qu’il exprime.
Mes chers collègues, depuis le début de ce débat, on entend beaucoup d’interventions commençant par ces mots : « Moi, en tant que juriste » ou « Moi, en tant que médecin »…
Je souhaite véritablement que l’on sorte de cette posture. On ne fait pas la loi pour les médecins, même s’il convient de faciliter leurs conditions d’exercice ; on ne fait pas plus la loi pour le plaisir des juristes : la loi est au service de l’intérêt général, de tous les citoyens, de toutes les citoyennes, y compris des plus vulnérables, lesquels, sur cette question précise, ont de très grandes attentes.
Mais force nous est, hélas ! d’être réalistes. Aussi, ce que nous proposons, c’est que l’on puisse mettre en œuvre l’aide active à mourir.
Neuf des membres du groupe écologiste en sont ardemment convaincus : bien encadré sur le plan médical, à l’instar de ce qui se fait dans une dizaine de pays, bien surveillé, bien expliqué aux proches avec toute la pédagogie nécessaire, ce dispositif n’est pas du tout la fin d’un monde que certains nous annoncent, mais, au contraire, un geste de fraternité pour ceux qui le demandent, dans les conditions qu’ils ont souhaitées.
J’en suis persuadée, dans quelques années, un tel texte sera voté dans cet hémicycle, et je l’appelle de mes vœux.
J’espère sincèrement que l’on pourra instaurer une assistance médicalisée à mourir, même s’il faut parallèlement « désenclaver » cette question qui, loin de n’intéresser que le monde médical, nous concerne tous ! (MM. Jean-Pierre Godefroy et Olivier Cadic applaudissent.)
M. Georges Labazée. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Mes chers collègues, je ne reprendrai pas un à un ces divers amendements, étant donné qu’ils relèvent tous de la même philosophie.
Bien entendu, je pourrais balayer l’ensemble de ces dispositions en les déclarant hors sujet, au motif que cette proposition de loi est destinée aux personnes en fin de vie. Mais je ne souhaite pas répondre de cette manière aux auteurs de ces amendements. Aussi, sans aller trop dans les détails, je souhaite réagir à quelques-uns des propos que j’ai entendus.
Tout d’abord, je reviendrai sur le dernier argument qui a été invoqué – c’est peut-être celui qui, à titre personnel, me choque le plus.
Bien entendu, les lois ne sont pas faites uniquement pour les médecins ou pour les juristes. Elles sont faites pour tout le monde. (Mme Corinne Bouchoux approuve.) C’est particulièrement vrai de cette proposition de loi puisque, par définition, nous allons tous mourir.
On peut, naturellement, invoquer la fraternité. Mais, de grâce, n’opposons pas la fraternité de ceux qui sont pour l’euthanasie, et la fraternité de ceux – j’en fais partie – qui sont contre. Le choix de se battre contre la douleur à travers la sédation profonde et continue – c’est la solution que je m’efforce de défendre depuis que nos travaux ont débuté, il y a de nombreuses semaines – relève de la même démarche de fraternité.
Ensuite, je tiens à répondre sur le sujet des sondages.
Plusieurs d’entre vous ont en effet cité les résultats d’un sondage faisant apparaître que 90 %, 95 % ou 96 % des Français sont favorables à une aide active à mourir. Encore faut-il savoir quelle était la question posée.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Michel Amiel, corapporteur. On a peu ou prou demandé aux sondés : souhaitez-vous achever votre vie dans des douleurs abominables, ou bien préférez-vous mourir sans douleur ? Il est évident que les personnes interrogées répondent préférer la première solution !
Pardonnez-moi d’évoquer mon cas personnel, mais, en trente-cinq ans d’exercice de la médecine, alors que j’ai accompagné des dizaines de patients jusqu’au bout, on ne m’a adressé que trois vraies demandes d’euthanasie active. Pourquoi aussi peu ? Parce que la psychologie change complètement en fin de vie. Quand on est bien portant, on souhaite a priori éviter à tout prix la souffrance en fin de vie, mais je puis vous assurer que, au seuil de la mort, les demandes ne sont plus les mêmes. Je peux le dire d’expérience, ainsi que bon nombre de mes confrères.
En fait, ce que les gens craignent, c’est l’agonie. L’euthanasie est une solution que je qualifierai d’« expéditive ». Les travaux de Philippe Ariès sur l’évolution des mentalités à l’égard de la mort depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours montrent bien que la mort est aujourd’hui complètement rejetée, que l’on cherche à la reléguer, à la masquer. D’ailleurs, on ne meurt plus chez soi que dans 25 % des cas ; on meurt le plus souvent à l’hôpital, parfois en service de réanimation, totalement coupé de l’affection des siens. Ce n’est pas que la réanimation permettrait de soulager une quelconque souffrance : tout simplement, bon nombre de professionnels de santé ne sont pas prêts à accompagner les patients jusqu’au bout.
C’est donc non pas la mort qui fait peur, mais l’agonie. Un sociologue anglo-saxon parle de pornographic death, considérant que la mort a pris une dimension pornographique. On préfère en effet aller mourir en des lieux où « les choses se passent bien ». Les familles elles-mêmes le demandent : « docteur, qu’il ne souffre pas », et surtout : « épargnez-moi la souffrance de l’agonie ».
Mon opposition à la solution expéditive que constitue l’euthanasie relève non pas de convictions philosophiques ou religieuses, mais de la pratique, de l’humanité et aussi, j’ose le dire, de la fraternité.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, on meurt mal en France. Si la qualité des soins palliatifs était du niveau que l’on peut attendre dans un pays comme le nôtre, je suis persuadé que le problème de l’euthanasie ne se poserait plus du tout de la même manière.
Enfin, j’ai entendu évoquer des « maladies incurables ». Je ne sais pas ce que recouvre cette notion. Il y a un siècle, le diagnostic de tuberculose équivalait à une condamnation à mort, comme en témoigne l’œuvre de Thomas Mann ; ce n’est plus vrai aujourd’hui.
Bien évidemment, je respecte tout à fait la position des auteurs de ces amendements, mais j’émets un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à l’ensemble de ces amendements. C’est un cadre différent qui a été adopté.
Néanmoins, je ne partage pas l’argumentation du rapporteur : ces amendements ne visent pas à imposer quoi que ce soit. Leurs auteurs entendent simplement offrir une possibilité, une liberté.
À ce stade, nous parlons de manière indifférenciée de stratégies alternatives à celle qui sous-tend le texte. Or, pour ma part, je ne mets pas sur le même plan aide active à mourir, assistance au suicide ou euthanasie active. On pourrait parfaitement considérer qu’une loi permette l’euthanasie active, tout en excluant l’assistance au suicide, ou l’inverse. C’est pourquoi les résultats des sondages doivent selon moi être lus avec une certaine prudence, dans la mesure où ils expriment avant tout la demande d’un accompagnement, d’un soutien plus actif, d’une action résolue contre la douleur.
Certains de nos concitoyens souhaitent que nous allions plus loin que ce que prévoit cette proposition de loi, mais tous ne défendent pas, pour autant, les mêmes positions. Par exemple, si l’on plaide pour la démédicalisation de la fin de vie, on s’éloigne de l’euthanasie, qui suppose par définition l’intervention d’un médecin. On peut être en faveur d’une aide active à mourir sans prôner le recours à l’euthanasie. On ne peut pas préjuger de ce que serait la position de la société française sur un texte différent de celui dont nous discutons.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l’amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Pierre Godefroy. Si le rapporteur avait tenu d’emblée les mêmes propos, cela m’aurait incité à ne pas voter le texte, contrairement à ce que je m’apprête à faire !
Monsieur le rapporteur, certains de vos arguments sont tout de même sujets à caution ! La fraternité, selon nous, c’est de permettre l’ensemble des solutions, d’ouvrir toutes les possibilités : les soins palliatifs, la sédation profonde, l’aide active à mourir.
Le texte, tel qu’il est aujourd’hui, ne réglera pas tous les problèmes. Certains, malheureusement, continueront à partir à l’étranger pour y finir leur vie dignement.
Mme Corinne Bouchoux. Il faut en avoir les moyens !
M. Jean-Pierre Godefroy. Comme sur d’autres sujets que je n’évoquerai pas ici, il existe une ségrégation par l’argent, qui perdurera. Ceux qui n’ont pas les moyens de se rendre en Suisse seront privés de la possibilité de bénéficier de l’aide active à mourir.
Je regrette vivement que l’on ne puisse pas avancer davantage. Nous aurions pu voter un très important texte de société, dont je suis convaincu qu’il est attendu par les Français, et pas seulement pour les raisons que vous avez exprimées, monsieur le rapporteur. Il est essentiel de pouvoir choisir : le corps, l’esprit, le cerveau d’un être humain sont inaliénables. Chacun doit pouvoir décider comment il finira sa vie, s’il partira conscient ou inconscient, s’il fera ou non un dernier bilan ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je souscris tout à fait aux propos de M. Godefroy.
Monsieur le rapporteur, il est évident que, dans les derniers instants, en situation de complète dépendance, on ne demande plus à partir. Nous parlons ici de gens pleinement conscients qui, justement, ne veulent pas se retrouver dans la situation que vous avez décrite, où ils ne seraient plus en état de dire « stop ! ».
Vous évoquez la fraternité, mais je vous parle aussi de liberté. Seriez-vous contre la liberté ? Je ne le crois pas !
Le grand texte qui autorisera l’aide active à mourir, l’interruption volontaire de la vie, nous l’attendons, madame la ministre ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. À mon tour, je souscris aux propos de Jean-Pierre Godefroy, qui a su trouver les mots justes.
Monsieur le rapporteur, la commission est parvenue à un consensus. Or vous avez employé des termes qui m’ont quelque peu choquée, notamment lorsque vous avez qualifié l’euthanasie de « méthode expéditive ». Par ailleurs, vous refusez que l’on parle de maladies incurables, en invoquant l’exemple de la tuberculose. Il est évident que nous ne visons ici que les maladies aujourd’hui incurables ! On ne va pas en établir une liste !
M. Michel Amiel, corapporteur. Nous sommes d’accord !
Mme Annie David. Votre position est tout à fait respectable, mais vos arguments ne me semblent pas pertinents.
Il convient de respecter la volonté de chacun. Pour cela, il faut ouvrir des droits nouveaux, comme le demandent une partie de nos concitoyens. Vous dites, monsieur Amiel, n’avoir été confronté qu’à trois demandes d’euthanasie active dans votre vie antérieure de médecin : ce sont tout de même trois cas ; que répondre à de telles requêtes ? Avec ce texte, vous auriez pu, en toute légalité, faire ce que vos patients vous demandaient ou les orienter vers une consœur ou un confrère acceptant de le faire.
Il ne s’agit évidemment pas de rendre l’euthanasie obligatoire pour toute personne parvenue au dernier stade d’une maladie incurable ! Il s’agit d’offrir une liberté de choix.
Nous connaissons tous des cas douloureux. Ainsi, je me trouvais à Paris tandis qu’une personne chère mourait à Grenoble. Ce sont des moments difficiles… J’aurais aimé que les choses se passent dans de meilleures conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Olivier Cadic applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. Une autre orientation a été retenue pour l’élaboration de ce texte. Souvenons-nous des nombreuses attaques contre le suicide assisté et l’euthanasie.
Bien sûr, il faut laisser à chacun la liberté de choisir. D’ailleurs, le texte s’inscrit dans le respect des directives anticipées. N’y a-t-il pas une possibilité d’exprimer le souhait de bénéficier d’un suicide assisté ? Que ferait le médecin en ce cas ? Pour ma part, je prône le respect de la volonté du patient et des directives qu’il a laissées. Le débat est complexe, mais il faut souligner qu’il ne s’est pas orienté de cette façon en commission, bien que tous les sujets aient été mis sur la table. Certains ont affirmé que les Français n’étaient pas prêts à entendre parler d’euthanasie ou de suicide assisté, mais il s’agit d’une vraie question.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Je le dis très posément, il s’agit d’un rendez-vous manqué.
Mme la ministre l’a bien dit, il existe une grande diversité de situations. Cela étant, selon l’INSEE, 3 500 euthanasies sont pratiquées chaque année. L’euthanasie existe donc déjà, mais elle est réservée aux personnes qui ont la chance d’avoir des relations, des amis médecins prêts à aider. Les autres ne peuvent prétendre à une fin de vie conforme à leur choix et doivent se débrouiller.
La réponse du rapporteur est excellente, mais, je le dis sans acrimonie, c’est le médecin, et non le parlementaire, qui a parlé. Je pense sincèrement que les différents amendements dont nous discutons ont en commun de répondre aux attentes de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Je déplore donc ce rendez-vous manqué, et j’espère que nous n’attendrons pas vingt ans un nouveau texte.
La société change. Sans revenir sur l’histoire d’Act up, je soulignerai que, pour la génération des baby-boomers, les malades sont des acteurs de leur maladie, que les relations entre médecins et patients ont considérablement évolué.
Dans les années soixante-dix, les femmes disaient : « Mon corps m’appartient. » Je pense que, aujourd’hui, beaucoup de nos concitoyens pourraient dire : « Le choix de ma mort m’appartient. » (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public, émanant l'une du groupe socialiste et républicain, l'autre de la commission des affaires sociales.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 34 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 310 |
Pour l’adoption | 52 |
Contre | 258 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
L’article L. 1110-9 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1110-9. – Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée.
« Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement.
« Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, les proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. » – (Adopté.)
Article 4 bis
(Supprimé)
Article 5
I. – L’article L. 1111-4 du même code est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement, quel qu’il soit. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne qui refuse tout traitement ou souhaite arrêter un traitement après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. Si cette décision de la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical pour éclairer ses choix. L’ensemble de la procédure est inscrite dans le dossier médical du patient. » ;
3° (Supprimé)
4° Après le mot : « susceptible », la fin du cinquième alinéa est ainsi rédigée : « d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale visée à l’article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou les proches aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. »
II (Non modifié). – À la première phrase du V de l’article L. 2131-1 du même code, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié bis, présenté par MM. de Legge, Retailleau et Pozzo di Borgo, Mme Cayeux, MM. Portelli et Bignon, Mme Canayer, MM. Charon, Mandelli et Morisset, Mme Des Esgaulx, M. B. Fournier, Mmes Gruny et Imbert, M. Vasselle, Mme Duchêne et MM. de Raincourt, Revet, Reichardt et Chaize, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Avant les mots :
Le médecin
Insérer les mots :
Après s'être assuré que la personne n'est pas dans un état psychologique susceptible d'altérer son jugement,
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Cet amendement vise à préciser que le médecin doit s’assurer que le patient ne se trouve pas dans un état psychologique susceptible d’altérer son jugement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Aux termes de l’article 35 du code de déontologie médicale, « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. »
Considérant que cet article du code de déontologie médicale donne satisfaction aux auteurs de l’amendement, je sollicite le retrait de celui-ci.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur de Legge, l'amendement n° 14 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Dominique de Legge. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 25 rectifié ter, présenté par M. Mandelli, Mmes Duchêne et Micouleau, MM. Chaize, Bignon, Retailleau et Pinton, Mme Deromedi, MM. Charon, G. Bailly, Pointereau et Mayet et Mmes Garriaud-Maylam et Lamure, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
4° Après le mot : « susceptible », la fin du cinquième alinéa est ainsi rédigée : « d’entraîner son décès ne peut être réalisé sans qu’ait été prise une décision unanime du médecin, de l’équipe soignante, de la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-11-1 et de la famille ou des proches après consultation des directives anticipées et avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale. La décision motivée de limitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. Lorsque le médecin, l’équipe soignante, la personne de confiance et la famille ou les proches ne parviennent pas à se mettre d’accord, une médiation est envisagée. »
La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne.
Mme Marie-Annick Duchêne. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Le sujet de la procédure collégiale est un peu plus complexe.
Certaines affaires récentes ont montré que l’unanimité pouvait être extrêmement difficile, voire impossible, à obtenir. Bien que le médecin reste décisionnaire in fine, la commission a prévu que le recours à la procédure collégiale ne relèverait pas uniquement de son initiative. Le texte qu’elle a adopté permet l’instauration d’un véritable dialogue entre toutes les personnes qui entourent un patient incapable d’exprimer sa volonté : les soignants, la famille et la personne de confiance.
La commission demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Duchêne, l'amendement n° 25 rectifié ter est-il maintenu ?
M. le président. L'amendement n° 25 rectifié ter est retiré.
Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
(Non modifié)
L’article L. 1111-10 du même code est abrogé. – (Adopté.)
Article 7
(Supprimé)
Article 8
L’article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-11. – Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement. À tout moment, elles peuvent être révisées selon des modalités prévues par décret en Conseil d’État et révoquées par tout moyen.
« Elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu est fixé par décret en Conseil d’État pris après avis de la Haute Autorité de santé. Ce modèle distingue deux types de directives anticipées selon que la personne se sait ou non atteinte d’une affection grave au moment où elle les rédige.
« Les directives anticipées sont respectées pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement concernant le patient, sauf lorsque sa situation médicale ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ou en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation médicale.
« La possibilité d’appliquer les directives anticipées au regard de la situation médicale du patient est examinée dans le cadre d’une procédure collégiale telle que celle visée à l’article L. 1110-5-1. La possibilité ou l’impossibilité d’appliquer les directives anticipées est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. Ces directives sont notamment conservées sur un registre national faisant l’objet d’un traitement automatisé dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Lorsqu’elles sont conservées dans ce registre, un rappel de leur existence est régulièrement adressé à leur auteur.
« Le médecin traitant informe ses patients de la possibilité et des conditions de rédaction de directives anticipées.
« Lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de tutelle, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil, elle peut rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué. Le tuteur ne peut ni l’assister ni la représenter à cette occasion. »
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. L’article 8 impose de suivre les directives anticipées, alors que la loi de 2005 disposait simplement qu’il fallait en « tenir compte ».
Si l’on va dans cette direction, il est important de déterminer les cas dans lesquels le choix d’une personne peut évoluer entre le moment où ses directives anticipées ont été recueillies – par hypothèse, elle n’était pas alors dans les circonstances de l’agonie – et celui où ces directives devraient trouver application.
La commission des lois estime important de prévoir non seulement le cas où la situation médicale ne correspondrait pas exactement aux intentions ayant été manifestées par la personne au moment de la rédaction de ses directives anticipées, mais aussi le cas où la volonté de celle-ci aurait évolué sans qu’elle ait pu modifier ces dernières. Dans ce second cas, si le patient n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté, par exemple parce qu’il se trouve plongé dans le coma, la personne de confiance ou un membre de la famille doit pouvoir témoigner qu’il ne souhaitait plus, au moment de son entrée en agonie, que ses directives anticipées soient appliquées.
M. Pillet présentera tout à l’heure deux amendements. Les discussions qui ont eu lieu entre les deux commissions ayant permis de rapprocher considérablement les points de vue, j’espère que nous pourrons aboutir à un texte commun.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot, sur l'article.
Mme Dominique Gillot. J’étais déjà intervenue en première lecture pour insister sur l’importance des directives anticipées.
Être tranquillisé quant au respect de son choix passe par des conversations avec les proches, mais aussi par l’application de mesures garantissant le droit des personnes en fin de vie.
Il s’agit là d’un sujet crucial, qui dépasse la seule circonstance de la fin de vie. C’est la traduction légale du respect dû à l’autonomie de choix et à la dignité de toute personne en matière d’arrêt ou de poursuite de soins. Si elles sont bien appréhendées, ces mesures permettront d’améliorer les relations entre la personne en fin de vie et son entourage.
Les proches sont trop souvent confrontés à des situations difficiles, voire dramatiques. L’actualité nous montre souvent le désespoir de familles qui se déchirent à propos de ces questions : que souhaitait-il ? Ne suis-je pas en train de trahir sa volonté ?
Mes chers collègues, qui, parmi nous, a rédigé ses directives anticipées, indiquant de manière non contestable ce qu’il souhaite ou ce qu’il refuse ?
En 2009 et en 2010, l’équipe du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin a interrogé 186 personnes de plus de soixante-quinze ans sur leur connaissance des directives anticipées : neuf sur dix n’avaient jamais été informées de l’existence de ce droit, pourtant prévu par le code de la santé publique, et se trouvaient donc dans l’incapacité de l’exercer.
Le défaut d’exercice de ce droit laisse un vide : on ne peut connaître avec certitude les souhaits de la personne pour sa fin de vie. Cela laisse place à des débats difficiles et à des prises de position parfois vindicatives, qui n’autorisent guère l’émergence d’un consensus. En phase aiguë, il est difficile de se prononcer sereinement à la place d’une personne sur une question qui touche à l’intime et au sens de la vie.
L’article 8 nous donne la possibilité de connecter le texte avec la vie, et pas seulement en fin de vie. Il conforte un droit remarquable, qui permet à chacun de s’assurer que, en toutes circonstances, quoi qu’il arrive, son choix pour sa fin de vie sera connu et respecté.
Il faut que cette disposition nouvelle concrétise le principe selon lequel toute personne a « le droit d’avoir une fin de vie digne et apaisée », en renforçant le droit à être maître de sa vie jusqu’au bout, sans être contraint d’abandonner son corps malade à la décision d’autres, fussent-ils médecins ou proches trop aimants !
Si nous voulons qu’un tel droit s’exerce et s’impose, il faut le socialiser, le populariser et en faire un droit actif, vivant et connu. C’est pourquoi je proposerai l’introduction de deux éléments explicites : d’une part, la prise en compte de directives anticipées qui ne seraient pas rédigées conformément au modèle en vigueur, afin d’éviter toutes exclusions du droit ; d’autre part, une sensibilisation des plus jeunes, notamment au cours de la Journée défense et citoyenneté, à la possibilité de déposer des directives anticipées. Cette pratique ne doit pas être réservée seulement aux personnes qui vieillissent et se trouvent concernées par l’avancée en âge, la maladie ou l’entrée en EHPAD.
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme D. Gillot, M. Yung, Mmes Blondin, Bonnefoy et Meunier et MM. Labazée, Patriat, Marie, Antiste, Raoul, Masseret, Lalande et Manable, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Des directives anticipées qui ne seraient pas rédigées conformément au modèle fixé par décret en Conseil d’État sont prises en compte dans la mesure où les indications dont elles sont porteuses peuvent être interprétées sans trahir la volonté de leur auteur.
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Dériot, corapporteur de la commission des affaires sociales. Cet amendement est satisfait par le texte de la commission, qui a rendu le recours au modèle facultatif, afin de ne pas disqualifier automatiquement les directives anticipées dont la rédaction ne s’y conformerait pas.
Chacun reste donc libre de la forme qu’il souhaite donner à ses directives anticipées. Dès lors, celles-ci doivent être respectées, que leur auteur se soit servi ou non du modèle prévu.
La commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Je comprends bien le sens de cet amendement, mais, indépendamment du fond, il pose un problème d’ordre légistique. En l’occurrence, une telle disposition n’aurait pas sa place dans le texte tel qu’il a été rédigé par la commission.
J’émets donc également une demande de retrait.
M. le président. Madame Gillot, l'amendement n° 9 rectifié est-il maintenu ?
Mme Dominique Gillot. Non, je le retire, monsieur le président.
Cependant, je tiens à souligner la difficulté de suivre les évolutions du texte quand on n’appartient pas à la commission des affaires sociales. Quoi qu’il en soit, il ne faudrait pas que des directives anticipées puissent être privées de caractère opposable pour des motifs de forme.
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 17, présenté par Mme David, M. Abate, Mmes Assassi et Beaufils, MM. Billout, Bocquet et Bosino, Mmes Cohen, Cukierman et Didier, MM. Favier et Foucaud, Mme Gonthier-Maurin, MM. P. Laurent et Le Scouarnec, Mme Prunaud et M. Watrin, est ainsi libellé :
Alinéa 4
1° Remplacer les mots :
sont respectées
par les mots :
s’imposent
2° Supprimer les mots :
lorsque sa situation médicale ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ou
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Les directives anticipées sont essentielles pour garantir le respect de la volonté du patient.
Cependant, trop peu de nos concitoyennes et de nos concitoyens se saisissent de ce droit et, quand ils le font, leurs directives rédigées sont peu exploitables ou ne concernent pas directement la situation médicale à laquelle ils se trouvent confrontés.
L’intérêt de l’article 8 est donc, notamment, de clarifier le statut des directives anticipées et de prévoir qu’elles soient rédigées selon un modèle.
La possibilité d’établir des directives anticipées sera mieux connue et elles seront rédigées sous une forme davantage exploitable par le corps médical. Bien entendu, comme M. le rapporteur et Mme la ministre l’ont rappelé, le recours au modèle prévu restera facultatif. Il sera toujours possible de rédiger ses directives anticipées sous une autre forme.
Dès lors, il est logique que ces directives aient une portée plus contraignante : expression de la volonté du patient, elles doivent s’imposer au médecin.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, en indiquant que les directives « s’imposent », et non pas « sont respectées ».
Il est prévu, à l’alinéa 5 de l’article, que leur adéquation avec la situation médicale du patient devra être évaluée selon une procédure collégiale. Il n’y a donc aucun besoin d’en limiter la portée à l’alinéa 4, en indiquant qu’elles « sont respectées […], sauf lorsque sa situation médicale ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ».
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
sa situation médicale ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives
par les mots :
leur validité fait l’objet d’une contestation sérieuse au regard du dernier état connu de la volonté du patient, lorsqu’elles ne sont pas adaptées à sa situation médicale,
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à préciser les cas dans lesquels le médecin pourra écarter les directives anticipées du patient.
La rédaction retenue par la commission des affaires sociales est très restrictive par rapport au texte de l’Assemblée nationale. Outre l’« urgence vitale », les directives anticipées ne pourraient être écartées qu’au regard de la situation médicale du patient.
Or le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale prévoyait que les directives pourraient être écartées lorsqu’elles apparaîtraient « manifestement inappropriées ». Cette rédaction permet donc d’écarter les directives anticipées « inappropriées » pour des raisons autres que médicales.
N’oublions pas que le Sénat a supprimé la durée de validité de trois ans pour les directives anticipées, qui pourront donc avoir été rédigées des décennies avant que la personne n’entre en agonie. Comme le relevait le député Jean Leonetti en première lecture, « si quelqu’un rédige ses directives à adolescence et tombe malade à quatre-vingts ans, on pourra évidemment faire valoir leur caractère inapproprié ». Cela est vrai avec la rédaction de l’Assemblée nationale, mais pas avec celle de la commission des affaires sociales du Sénat.
Imaginons qu’une personne ayant rédigé des directives anticipées quarante ans avant sa fin de vie ait par la suite adressé à un membre de sa famille une lettre les modifiant radicalement. Avec une rédaction aussi stricte que celle de la commission des affaires sociales du Sénat, le médecin ne pourra pas considérer que les directives sont inappropriées. Il y a donc un grave danger au regard du respect de la volonté du patient.
La précision que la commission des lois propose d’ajouter n’affecte nullement l’équilibre du texte ; au contraire, elle le renforce. D’ailleurs, notre amendement intègre un sous-amendement que la commission des affaires sociales avait déposé en première lecture.
Veillons à ne pas adopter des mesures qui iraient totalement à l’encontre des positions que nous défendons depuis le début de ce débat.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Dériot, corapporteur. L’article 8 de la proposition de loi consacre le principe du caractère contraignant des directives anticipées tout en l’assortissant de deux cas dérogatoires dans lesquels le médecin est autorisé à ne pas les appliquer.
Le premier, qui ne fait pas débat, est celui de l’urgence vitale. Je n’y reviens pas ; il faut le temps de faire le bilan médical dans le moment de l’urgence.
Dans le texte initial de la proposition de loi, le second cas dérogatoire concernait les directives « manifestement inappropriées ». La commission des affaires sociales a estimé que cette formulation n’était pas suffisamment précise et qu’elle était même susceptible de remettre en cause l’opposabilité des directives : en effet, l’appréciation du caractère manifestement inapproprié aurait relevé du seul médecin, sans aucune garantie de collégialité. Le texte comportait en quelque sorte une contradiction.
La commission des affaires sociales a donc mené un travail de précision et de clarification. Le texte prévoit désormais que les directives anticipées sont respectées pour toute décision médicale, sauf dans deux cas : d’une part, lorsque la situation médicale ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ; d’autre part, en cas d’urgence vitale, pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation médicale.
Pour la commission des affaires sociales, cette rédaction tend au meilleur équilibre possible entre le caractère contraignant des directives et les cas dans lesquels il est impossible de les appliquer.
Notre texte ne remet aucunement en cause le caractère contraignant des directives ; au contraire, il le renforce. J’ajoute que l’amendement n° 17 nous semble procéder pour partie d’un malentendu : l’alinéa 5 porte sur la seule mission du collège des soignants et n’est donc pas redondant par rapport à l’alinéa précédent.
C'est la raison pour laquelle la commission sollicite le retrait de l’amendement n° 17. À défaut, l’avis serait défavorable.
L’amendement n° 6 de la commission des lois vise à introduire un troisième cas de dérogation à l’application des directives anticipées : lorsque la validité de celles-ci « fait l’objet d’une contestation sérieuse au regard du dernier état connu de la volonté du patient ».
En première lecture, la Haute Assemblée avait rejeté cet amendement, estimant qu’une telle disposition risquait de remettre largement en cause le caractère contraignant des directives et la hiérarchie des modes d’expression de la volonté du patient prévue à l’article 9.
Le texte prévoit que les directives anticipées sont à tout moment révisables et révocables par tout moyen. Un rappel régulier de leur existence est adressé à leur auteur. En l’absence de directives anticipées, le médecin doit entendre la personne de confiance ou, à défaut, la famille ou les proches.
Compte tenu de ces dispositions, la formulation retenue par la commission des lois nous semblait trop générale. Nous avions donc déposé un sous-amendement visant à la préciser. Le Sénat ne l’ayant pas adopté, nous avons demandé le retrait ou, à défaut, le rejet de l’amendement.
La commission a réitéré cet avis défavorable. Toutefois, compte tenu des explications qui viennent de nous être apportées, je suis disposé, à titre personnel, à émettre un avis favorable sur l’amendement n° 6. (Mme Annie David proteste.) Lorsque la commission des affaires sociales s’est prononcée sur cet amendement, une certaine confusion régnait, d’autant que M. le rapporteur pour avis de la commission des lois n’était pas présent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. En vérité, le Gouvernement est bien en peine d’émettre un avis tout à fait circonstancié, car les rédactions de ces deux amendements, qui contiennent des avancées s’inscrivant dans la réflexion engagée par l’Assemblée nationale, oscillent, si j’ose dire, entre le texte de cette dernière et celui de la commission des affaires sociales du Sénat, au risque d’entraîner des imprécisions et de créer un flou, comme en témoignent certaines interventions.
Cela m’amène à émettre un avis de sagesse sur les deux amendements, tout en précisant bien qu’aucune des deux rédactions proposées ne me paraît complètement satisfaisante.
Ainsi, madame David, écrire que les directives anticipées « s’imposent » plutôt que « sont respectées » ne me semble pas constituer une avancée considérable. Par ailleurs, l’amendement n° 17 tend à supprimer toute possibilité pour le médecin de déroger au respect des directives anticipées, or il existe des cas dans lesquels cela doit être possible.
Voilà pourquoi je suis tentée de demander le retrait de cet amendement, dont la rédaction introduit un flou préjudiciable.
J’adresse la même demande en ce qui concerne l’amendement n° 6, dont la rédaction me paraît néanmoins plus satisfaisante que celle qui est proposée par la commission des affaires sociales, même si elle ne va pas aussi loin que je le souhaiterais pour préciser les choses.
En conclusion, j’ai le sentiment qu’il reviendra à la commission mixte paritaire de parfaire le travail de rédaction.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. Je le répète, aucune des rédactions présentées ne me semble entièrement satisfaisante. Je ne suis pas certaine que les oppositions soient si fortes que cela. Il me semble que le travail juridique de rédaction doit se poursuivre. J’émets donc un avis de sagesse sur les deux amendements, même si leur retrait faciliterait les choses.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 17.
Mme Annie David. J’entends l’argument de Mme la ministre selon lequel « sont respectés » et « s’imposent » sont deux formulations équivalentes sur le plan juridique.
En ce qui concerne la deuxième partie de mon amendement, madame la ministre, j’observe que nous ne proposons de supprimer que l’un des deux cas où le médecin peut déroger à l’application des directives anticipées, puisque nous maintenons celui de l’urgence vitale « pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation médicale ».
En tout état de cause, j’entends les arguments du Gouvernement et j’accepte de retirer mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 17 est retiré.
Monsieur le rapporteur pour avis, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Oui, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 6.
Mme Annie David. Le groupe CRC votera contre cet amendement, que la commission des affaires sociales avait rejeté à l’unanimité.
M. Jean Desessard. Oui !
Mme Annie David. M. Dériot fait maintenant état d’une certaine confusion, mais il me semble au contraire que nos débats en commission des affaires sociales avaient été très clairs et complets, toutes les possibilités ayant alors été envisagées.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Il semblerait que nous ayons besoin d’un oscilloscope…
La commission des affaires sociales s’était prononcée contre l’amendement défendu par M. Pillet, mais Mme la ministre nous a indiqué que cet amendement permet un progrès et pourrait servir de base de travail à la commission mixte paritaire. Je ne sais plus que faire… Devrons-nous nous réfugier dans l’abstention, ce qui serait la pire des choses ?
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur.
M. Gérard Dériot, corapporteur. Effectivement, la commission des affaires sociales s’est prononcée unanimement contre cet amendement, mais il avait été bien précisé alors que nous entendrions les explications que M. Pillet voudraient bien donner lors de la séance publique. Fort de ces explications, j’ai simplement exprimé un avis favorable à titre personnel, la discussion pouvant se poursuivre en commission mixte paritaire.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
est examinée dans le cadre d’une procédure collégiale telle que celle visée
par les mots :
ou au regard de l’existence d’une contestation sérieuse portant sur leur validité fait l’objet d’une décision du médecin prise après consultation du collège prévu
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à tirer les conséquences de l’adoption du précédent. Il s’agit de préciser la procédure applicable pour apprécier la possibilité ou l’impossibilité de mettre en œuvre les directives anticipées.
La rédaction proposée à l’article 8 n’est pas suffisamment précise concernant la procédure collégiale. Elle ne permet pas de trancher la question de la nature de l’intervention du collège : s’agit-il d’un simple avis ou d’une décision ?
En effet, la question de l’application des directives anticipées serait examinée « dans le cadre d’une procédure collégiale telle que celle visée à l’article L. 1110-5-1 ». Or cet article ne met pas en place de procédure particulière ; il fixe seulement la composition du collège et confie la définition de ses modalités au pouvoir réglementaire.
Compte tenu des conséquences potentielles de la mise en œuvre des directives anticipées, il appartient au législateur, et non au pouvoir réglementaire, de désigner l’autorité compétente pour prendre une telle décision.
Cet amendement vise donc à préciser que le collège ne donne qu’un simple avis. La décision finale d’appliquer ou non les directives appartiendra au seul médecin, conformément aux principes qui nous guident depuis le début.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Dériot, corapporteur. Par cohérence avec l’adoption de l’amendement précédent, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. En commission, monsieur le rapporteur, la question suivante nous avait beaucoup troublés et conduits à voter contre l’amendement n° 6 : de qui viendra la contestation des directives anticipées ? Comment s’exprimera-t-elle ?
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Annie David. Vos propos en séance plénière ne nous ayant à mon sens guère éclairés, monsieur le rapporteur pour avis, nous voterons également contre l’amendement n° 7, par cohérence…
M. Jean Desessard. Il faudrait que les rapporteurs prennent des directives anticipées pour que l’on puisse s’y retrouver !
M. le président. L'amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme D. Gillot, M. Yung, Mmes Blondin, Lepage, Bonnefoy et Meunier et MM. Patriat, Marie, Antiste, Raoul, Lalande et Manable, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les mineurs sont sensibilisés à la possibilité de rédiger des directives anticipées, à partir de leur majorité, à l’occasion de la journée défense et citoyenneté mentionnée à l’article L. 114-3 du code du service national.
La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Les directives anticipées constituent un progrès en vue de faire respecter la volonté des personnes quant à leur fin de vie, mais nos compatriotes doivent s’approprier ce dispositif, à tous les âges de la vie.
En première lecture, un certain nombre de collègues avaient estimé que les jeunes seraient désagréablement impressionnés par une information sur les directives anticipées. Or il me semble au contraire que, dans une perspective démocratique d’appropriation de ce droit, une telle sensibilisation ne doit pas être réservée aux personnes frappées par la maladie, âgées ou admises dans un EHPAD. Je crois important de dispenser l’information sur la possibilité de rédiger des directives anticipées à toutes les classes d’âge. Concernant les jeunes, la Journée défense et citoyenneté me paraît constituer une bonne occasion de le faire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Dériot, corapporteur. Cet amendement visant à sensibiliser les jeunes, lors des journées défense et citoyenneté, à la possibilité de rédiger des directives anticipées avait déjà été rejeté par le Sénat en première lecture. Pour ma part, je n’ai pas changé d’avis. Les jeunes me paraissent avoir d’autres soucis et préoccupations.
Comme en première lecture, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Pour ma part, je suis favorable à cet amendement. Les jeunes sont plus sensibles à cette question qu’on ne l’imagine, et ils peuvent d’ailleurs être confrontés à des situations dramatiques à la suite d’un accident ou, plus rarement, d’une maladie.
Certains doutent que la Journée défense et citoyenneté, la JDC, constitue le bon moment pour sensibiliser les jeunes à ces questions et craignent qu’on ne la surcharge. Je rappelle que, à cette occasion, une information sur les dons d’organes et de sang est déjà dispensée. Aussi semble-t-il cohérent d’y ajouter une sensibilisation à la rédaction de directives anticipées.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je suis très réservé sur cet amendement, car la JDC, qui s’étale de huit heures du matin à vingt heures du soir, est déjà très chargée.
Par ailleurs, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et le ministre de la défense préconisent de recentrer la JDC sur les questions de défense. C’est le sens des dernières réformes. Le module de secourisme a ainsi été supprimé, et l’heure ainsi dégagée a été répartie à parité entre une information sur la sécurité routière et une sensibilisation aux enjeux de défense.
On pourrait envisager l’instauration d’une deuxième journée, davantage centrée sur la citoyenneté. Pourquoi pas, mais, en l’état actuel des finances publiques, cela ne semble pas vraiment dans l’air du temps. C’est d’ailleurs ce que nous a indiqué ce matin le directeur du service national.
L’intention des auteurs de l’amendement est louable, mais, à force de charger la barque, on risque de s’éloigner des préconisations du Livre blanc et de l’esprit originel de la JDC. Dieu sait si, après les événements des 7 et 11 janvier 2015, il y a déjà beaucoup de sujets à évoquer… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Je saisis cette occasion pour souligner que cette proposition de loi laisse de côté le problème de la fin de vie des mineurs, qui n’est certes pas facile à traiter…
A fortiori, personne n’a osé évoquer la conduite à tenir envers les nouveau-nés. Je ne sais pas, madame la ministre, quelle est votre position sur ce sujet, mais j’espère que l’on n’y touchera jamais.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je soutiens l’amendement de notre collègue Dominique Gillot.
Je souhaite revenir sur l’adoption des deux amendements précédents, pour souligner que la méthode n’est pas très élégante.
En commission, nous nous étions prononcés contre ces deux amendements. Monsieur Dériot, en exprimant un avis favorable, fût-ce à titre personnel, lors de la séance publique, vous remettez en cause le travail de la commission des affaires sociales sur la procédure collégiale de prise de décision : avec l’adoption de l’amendement n° 6, celle-ci appartient de nouveau au médecin.
Cela remet en cause le vote final de mon groupe sur ce texte. Nous attachions en effet une grande importance à la collégialité de la décision, qui a donc été écartée au détour d’un amendement auquel la commission s’était opposée. Le travail de celle-ci se trouve donc annulé d’un coup de balai, alors que M. le rapporteur avait dit et répété qu’il convenait de retenir une procédure collégiale… Tout est fichu en l’air !
Encore une fois, la méthode n’est pas très élégante, surtout s’agissant d’un texte complexe, difficile, touchant à l’intime. De tels agissements me mettent, ainsi que mon groupe, dans une situation très délicate. En cet instant, je ne sais plus quel sera notre vote final. Pour l’heure, je pencherais plutôt pour l’abstention…
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. J’interviens en mon nom propre, car Marie-Christine Blandin se dissocierait sans doute des propos que je vais tenir…
Pour avoir passé beaucoup de temps, il y a trois ans, à l’Institut des hautes études de défense nationale, l’IHEDN, et pour rencontrer nombre de militaires au sein de la réserve citoyenne, j’aboutis à une conclusion exactement inverse de celle de M. Lemoyne.
Si nous voulons faire comprendre aux jeunes ce que signifient la paix, la guerre et la défense, il n’est pas absurde, d’un point de vue pédagogique, de leur apprendre que la vie est précaire et fragile, que certains sont prêts à sacrifier la leur pour que nous puissions vivre en paix et que l’on n’est pas invincible, même à dix-huit ans.
Dans un premier temps, je n’ai pas été convaincue par l’amendement n° 10 rectifié, mais mes discussions avec des personnes qui organisent ces journées de la défense et de la citoyenneté m’ont amenée à revoir ma position.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Je soutiendrai bien sûr l’amendement de Mme Gillot.
Depuis des mois, nous ne cessons de chercher des occasions de sensibiliser nos concitoyens à l’importance de la vaccination, aux directives anticipées, au don d’organes. Cela relève d’une forme de cohérence, car tous ces sujets sont en lien avec la vie et la mort. Je pensais que les rapporteurs l’auraient compris.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Je ne voudrais pas que le rapporteur pour avis de la commission des lois soit à l’origine de difficultés relationnelles au sein de la commission des affaires sociales, dont les débats, je peux en témoigner, ont été d’une grande qualité.
M. Dériot a rapporté fort honnêtement, me semble-t-il, l’avis de la commission des affaires sociales. Il a simplement indiqué que, à titre personnel, peut-être à la suite des explications que j’ai fournies en séance publique, faute d’avoir pu le faire devant la commission, il formulait un avis favorable. Cela ne me semble pas constituer une révolution dans la conduite des débats du Sénat !
Lors de l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant, je n’ai jamais élevé la moindre protestation lorsque la rapporteur, notre collègue Michelle Meunier, indiquait en séance publique, après avoir été mise en minorité au sein de la commission des affaires sociales, que, à titre personnel, elle ne partageait pas l’avis de celle-ci. Cela fait partie du débat et ne pose pas de difficulté.
Je ne veux pas, madame David, nuire à l’unanimité qui commence à poindre dans cet hémicycle !
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur.
M. Gérard Dériot, corapporteur. Je souhaite présenter mes excuses à Mme David. La situation n’était pas simple, mais je n’ai fait que donner un avis favorable à titre personnel, après avoir indiqué que la commission avait émis un avis défavorable.
Pour ce qui concerne la Journée défense et citoyenneté, on peut y mettre tout ce que vous demandez, mais alors il faudra plus d’un jour pour dispenser aux jeunes autant d’informations ! J’ai l’impression que vous vivez en dehors du monde réel !
M. Georges Labazée. Non !
M. Gérard Dériot, corapporteur. S’il faut parler aux jeunes des dons d’organes, de la fin de vie, des vaccinations, en plus de tout le reste, une journée n’y suffira pas ! En définitive, ce sera complètement inefficace ! Une fois la journée terminée, les jeunes ne se souviendront plus de rien, sauf à prévoir des piqûres de rappel, puisqu’il sera question de vaccinations ! (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, la commission a émis un avis défavorable. Il appartient maintenant au Sénat de trancher.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. L’intention des auteurs de l’amendement est très louable, mais je souhaiterais faire part d’une expérience personnelle.
Il y a quinze jours, j’ai été chargée de représenter le président du conseil départemental lors de la remise des diplômes aux jeunes à l’issue de la JDC. J’ai dû attendre très au-delà de l’heure prévue que le programme de la journée soit achevé ; du reste, il n’a pu l’être, car le temps a manqué. Or, pour sensibiliser un public à la question des directives anticipées, il faut du temps. À la rigueur, mieux vaudrait prévoir une simple information, qui peut être dispensée par le biais d’un document.
Aussi important le sujet soit-il, on ne peut pas davantage charger la barque, sauf à prévoir une journée supplémentaire. Je crois d’ailleurs savoir que M. Le Drian réfléchit à une évolution de la JDC. Pour l’heure, je ne pense pas que la proposition des auteurs de l’amendement soit praticable.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Pour ma part, je soutiens cet amendement.
Il est vrai que le programme de la JDC est déjà très chargé, mais il appartiendra aux organisateurs de définir la forme et la durée de cette sensibilisation.
De mon point de vue, il est important de sensibiliser la jeunesse à la question des directives anticipées, et donc à la perspective de la mort, parce que, à dix-huit ans, on a toute la vie devant soi et on se croit volontiers invincible. Or cet état d’esprit induit parfois des comportements à risque, par exemple en matière routière, qui peuvent avoir, on le sait, des conséquences terribles.
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Je voudrais attirer l’attention sur le fait que de nombreux jeunes, en fin d’adolescence, ont des problèmes psychologiques, de maturation, et sont très angoissés par la mort. Ils essaient parfois d’exorciser cette peur par divers moyens. Leur parler de la mort à propos des directives anticipées ou des dons d’organes peut provoquer des dégâts sur le plan psychique chez des jeunes particulièrement instables. Il faut être très prudent. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Mes chers collègues, je vous affirme que cette prudence est justifiée ! Je pourrais vous en donner des preuves.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. En ce qui me concerne, je suis défavorable à cet amendement. Je considère que ce n’est pas l’objet de la Journée de la défense et de la citoyenneté.
Par ailleurs, s’il peut paraître judicieux, pour des motifs altruistes, d’inciter nos concitoyens à donner leur sang ou leurs organes, il s’agit ici d’un sujet bien plus personnel. Inciter les jeunes à réfléchir aux conditions de leur propre mort constitue, selon moi, une démarche prématurée, car c'est justement la partie de la population qui a le moins de raisons de s’intéresser à cette question. Je ne vois donc pas pourquoi on devrait faire de la propagande pour les directives anticipées auprès des jeunes à l’occasion de la JDC, alors que l’on s’abstiendrait d’en faire à destination de ceux pour qui cette question revêt davantage d’acuité.
Il a été dit précédemment à juste titre que, si l’on meurt à plus de quatre-vingts ans après avoir rédigé ses directives anticipées des décennies plus tôt, il y a de fortes probabilités pour que celles-ci soient devenues obsolètes… La vie est passée par là.
Par conséquent, quelles que soient les intentions généreuses des auteurs de l’amendement, la démarche proposée me paraît totalement inappropriée.
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par MM. Amiel et Dériot, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il est chargé de faire enregistrer les directives anticipées de ses patients sur le registre mentionné au cinquième alinéa.
La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur. Compte tenu du faible nombre de personnes rédigeant leurs directives anticipées, il nous semblerait intéressant que le médecin traitant soit chargé de les faire inscrire au registre national prévu à cet effet.
A priori, ce sont surtout les échanges avec les médecins qui permettront de sensibiliser les patients à cette question.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Les modalités d’inscription des directives anticipées sur le registre national feront l’objet d’un décret en Conseil d’État. Il paraît souhaitable de réfléchir à la manière dont les choses vont se passer : l’enregistrement des directives anticipées doit-il relever du seul médecin, ou du médecin et d’autres intervenants ?
Le médecin peut certes jouer un rôle d’incitation à la rédaction de directives anticipées, monsieur le rapporteur, mais doit-il forcément, pour autant, être celui qui les enregistre ? Ne faut-il pas laisser au patient le temps d’en parler avec son conjoint, par exemple ?
Tout est ouvert et ces points devront être précisés par décret. Il me semble que cet amendement n’épuise pas le champ des possibles et que nous irions trop vite en l’adoptant. Il vaut mieux, selon moi, laisser le temps de la concertation pour l’élaboration du décret.
Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l'amendement n° 26 est-il maintenu ?
M. Michel Amiel, corapporteur. Je ne fais pas de cette question un cheval de bataille. Je retire donc l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 26 est retiré.
Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9
I. – L’article L. 1111-6 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-6. – Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment.
« Si le patient le souhaite, la personne de confiance qu’il a désignée l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions.
« Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au malade de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues au présent article. Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le malade n’en dispose autrement.
« Lorsque le patient qui a désigné une personne de confiance est hors d’état d’exprimer sa volonté, cette personne rend compte de la volonté du patient. Son témoignage prévaut sur tout autre.
« Lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de tutelle, elle peut désigner une personne de confiance avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué. Dans l’hypothèse où la personne de confiance a été désignée antérieurement à la mesure de tutelle, le juge peut confirmer la désignation de cette personne ou la révoquer. »
II. – (Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 29, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre du suivi de son patient, le médecin traitant s’assure que celui-ci est informé de la possibilité de désigner une personne de confiance et, le cas échéant, l’invite à procéder à une telle désignation.
II. – Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsqu’une mesure de protection judiciaire est ordonnée et que le juge ou le conseil de famille, s’il a été constitué, autorise la personne chargée de la protection à représenter ou à assister le majeur pour les actes relatifs à sa personne en application du deuxième alinéa de l’article 459 du code civil, la désignation de la personne de confiance est soumise à l’autorisation du conseil de famille, s’il est constitué, ou à défaut du juge des tutelles. Lorsque la personne de confiance est désignée antérieurement au prononcé d’une telle mesure de protection judiciaire, le conseil de famille, le cas échéant, ou le juge peut soit confirmer sa mission, soit la révoquer. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Cet amendement a un double objet.
D’abord, il tend à préciser que le choix d’une personne de confiance doit être un sujet de préoccupation à tout moment du parcours de santé pour le médecin traitant, et pas seulement à l’occasion de l’entrée du patient à l’hôpital.
Ensuite, dans un souci d’harmonisation et de cohérence légistique, il vise à reprendre la formulation retenue dans le cadre du projet de loi relatif à l’’adaptation de la société au vieillissement, que vous avez adopté cette nuit à la quasi-unanimité, afin d’éviter toute ambiguïté pour ce qui concerne l’alinéa relatif à l’articulation de la disposition avec les mesures de protection légale des majeurs.
Il s’agit donc d’une simple mise en cohérence avec l’évolution des dispositions du code civil. J’insiste sur ce point, car l’amendement qui sera présenté dans un instant par la commission des affaires sociales vise à supprimer la seconde partie de celui du Gouvernement. Je le répète, ce n’est qu’une pure disposition de mise en cohérence de rédactions juridiques. Dans le texte que vous avez adopté cette nuit, vous avez fait évoluer des dispositions législatives pour les mettre en accord avec celles du code civil. Il s’agit ici de faire la même chose.
Pour résumer, le I de l’amendement gouvernemental porte sur un élément de fond ; le II est une simple disposition de cohérence légistique par rapport au code civil.
M. le président. L'amendement n° 27, présenté par MM. Amiel et Dériot, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Après le mot :
tutelle
insérer les mots :
, au sens du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil,
La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 29.
M. Gérard Dériot, corapporteur. L’amendement n° 27 est un amendement de précision.
La commission des affaires sociales n’a pu examiner l'amendement n° 29, qui ne nous a été communiqué que la nuit dernière.
Cet amendement a un double objet.
D’une part, il vise à prévoir que le médecin traitant informe ses patients de la possibilité de désigner une personne de confiance. Cette précision s’inscrit bien dans l’esprit de cette proposition de loi, et nous y sommes plutôt favorables.
D’autre part, il présente une nouvelle rédaction pour l’alinéa 6, qui concerne les personnes placées sous protection judiciaire. Sur l’initiative de la commission des lois, nous avons limité l’application du régime spécial d’autorisation aux personnes placées sous tutelle. Nous considérons, en outre, que le fait de désigner une personne de confiance est un acte strictement personnel, qui ne saurait donner lieu à représentation ou assistance. Sur ce point, l’amendement n° 29 nous semble contraire au texte de la commission.
La commission des lois pourra sans doute nous confirmer si cette interprétation est la bonne. J’émettrai alors, sans avoir pu consulter la commission, un avis plutôt défavorable sur la seconde partie de l’amendement. Dans ces conditions, nous demanderons un vote par division.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Je confirme ce que vient d’indiquer M. le rapporteur concernant l’alinéa 6.
En faisant référence au deuxième alinéa de l’article 459 du code civil, l’amendement n° 29 introduit la désignation de la personne de confiance parmi les actes pour lesquels la personne protégée devrait se faire assister ou représenter. Ce serait une innovation au regard des autres obligations, car la désignation d’une personne de confiance me semble être un acte dont la nature implique un consentement strictement personnel du patient. Elle entre donc dans le champ de l’article 458 du code civil, qui dispose que ce type d’actes ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée. Cette interdiction est tout à fait justifiée : le patient doit pouvoir désigner la personne de confiance de son choix, sans avoir à soumettre sa décision à la personne qui l’assiste, notamment si celle-ci est l’un de ses proches, à qui il ne veut pas faire connaître son état de santé.
Quant à la représentation, elle ne peut qu’être exclue en la matière : le tuteur ne saurait désigner une personne de confiance en lieu et place du malade.
Le dispositif prévu par la commission des affaires sociales me paraît apporter de bien meilleures garanties. Il permettra au juge et au conseil de famille d’apprécier purement et simplement si le malade est en mesure de désigner seul une personne de confiance. Si c’est le cas, pourquoi devrait-il se faire assister ou, pis, représenter ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Je ne conteste pas au fond l’analyse de M. le rapporteur. Je me contente de dire que, cette nuit, le Sénat a adopté, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, des dispositions qui vont à l’encontre de ce que vous souhaitez. Cela étant, vous avez parfaitement le droit de ne pas être favorable au dispositif de mon amendement.
Nous proposons simplement une mise en cohérence légistique avec le texte adopté cette nuit, ce qui explique le dépôt tardif de cet amendement. En tout état de cause, il faudra bien de toute façon que cette coordination s’opère à un moment ou à un autre, peut-être lors de la commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement est encore en navette. Nous verrons bien ce qu’il adviendra.
M. Georges Labazée. Il va en commission mixte paritaire !
M. François Pillet, rapporteur pour avis. Je propose de s’en tenir pour l’heure à la proposition de la commission des affaires sociales et de revoir ce point en commission mixte paritaire. Nous pourrons alors éventuellement coordonner les textes, mais j’attire l’attention sur le fait que l’article 458 du code civil existe bel et bien !
M. Gérard Dériot, corapporteur. La commission demande un vote par division de l’amendement n° 29, monsieur le président.
M. le président. Je vous en donne acte, monsieur le rapporteur.
La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. La situation est assez compliquée…
Mme la ministre nous dit que nous avons adopté cette nuit une disposition similaire à celle qu’elle nous présente ici. S’il en est bien ainsi, nous devons, par cohérence, adopter son amendement, mais, dans le même temps, je fais confiance à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois, malgré l’humeur que j’ai pu manifester précédemment. (Sourires.)
Les deux textes sont en navette. Réglera-t-on le problème en commission mixte paritaire ? Je trouverai cela un peu dommage, car nous sommes là pour écrire la loi. Essayons de le faire le mieux possible, en votant les textes dans les mêmes termes. En conséquence, je suis plutôt encline à voter l’amendement du Gouvernement dans son intégralité.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.
M. Georges Labazée. Nous approuvons pleinement le I de l’amendement n° 29, qui est conforme aux positions que nous avons adoptées.
En ce qui concerne le II, il convient certes d’adopter la même rédaction pour les deux textes. Nous avons voté la nuit dernière, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, une disposition concernant le rôle de la tutelle à l’égard de la personne de confiance. M. Mouiller avait déposé un amendement sur ce point, et Mme Rossignol a souligné qu’il faudrait revenir tôt ou tard sur le sujet très complexe des tutelles.
Nous sommes favorables au II de l’amendement de Mme la ministre, sous réserve d’une relecture des dispositions que nous avons adoptées la nuit dernière. Il importe d’être cohérents.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On parle beaucoup du II de cet amendement, mais je trouve pour ma part que le pire est dans le I, dont le dispositif me semble très inhumain.
Tous les patients ne demandent pas la vérité absolue et immédiate sur leur état de santé. Or, quand un médecin invitera son malade à désigner une personne de confiance, comment celui-ci interprétera-t-il cette démarche ? Il pourra y voir une révélation effrayante sur son état de santé ! Personnellement, je ne crois pas qu’il appartienne au législateur d’inciter les médecins à encourager les patients à désigner une personne de confiance.
M. Georges Labazée. On ne parle pas de la même chose.
M. le président. Nous allons procéder au vote par division de l’amendement n° 29.
Je mets aux voix le I de l'amendement n° 29.
(Le I de l'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix le II de l'amendement n° 29.
(Le II de l'amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de l’amendement n° 29, modifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par Mme David, M. Abate, Mmes Assassi et Beaufils, MM. Billout, Bocquet et Bosino, Mmes Cohen, Cukierman et Didier, MM. Favier et Foucaud, Mme Gonthier-Maurin, MM. P. Laurent et Le Scouarnec, Mme Prunaud et M. Watrin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le patient peut désigner une personne de confiance suppléante. Son témoignage est entendu uniquement si la personne de confiance titulaire se trouve dans l’incapacité d’exprimer la volonté du patient qui l’a désignée. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Un amendement identique a été déposé par Mme Le Vern et plusieurs de ses collègues à l’Assemblée nationale, où il a été adopté en séance publique.
Il s’agit de permettre au patient de désigner une personne de confiance suppléante, qui pourra traduire sa volonté dans le cas où la personne de confiance titulaire ne serait pas en mesure de le faire. Il n’est pas question ici de créer de la complexité ni d’affaiblir la parole de la personne de confiance titulaire, mais de garantir le droit du patient à l’expression de sa volonté. La désignation de cette personne de confiance suppléante pourrait d’ailleurs avoir lieu en même que celle de la personne de confiance titulaire.
J’ai parfois entendu caricaturer cet amendement en commission, certains parlant de « binôme » ou même de parité… Sur un sujet aussi sensible, même si certains pensent que l’on peut rire de tout, il me semble qu’il faut savoir être sérieux.
La désignation d’une personne de confiance suppléante prendrait tout son sens dans le cas où la personne de confiance titulaire ne pourrait être entendue. Bien sûr, la parole de cette dernière prévaudrait sur celle de la personne de confiance suppléante, qui ne serait consultée qu’en dernier ressort. Il s’agit ainsi de prévenir la situation de blocage qui pourrait survenir si la personne de confiance décédait, perdait ses capacités psychiques ou mentales ou était tout simplement injoignable au moment où son témoignage serait nécessaire. Il n’est donc ni saugrenu ni complètement stupide de prévoir la désignation d’une personne de confiance suppléante.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Dériot, corapporteur. Prévoir la désignation d’une personne de confiance suppléante peut en effet paraître tout à fait naturel. D’ailleurs, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement prévoit aussi cette possibilité.
Toutefois, mon sentiment, qui rejoint celui de la commission, est qu’adopter une telle disposition compliquerait un peu les choses… C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Même avis.
Votre proposition n’est pas saugrenue, madame David, et ne mérite pas d’être caricaturée, mais je crains que sa mise en œuvre ne soit source de conflits dans un certain nombre de situations, par exemple si les deux personnes de confiance ont une interprétation différente de la volonté du patient, le titulaire n’ayant pas été joignable dans un premier temps. Comment fera-t-on alors ? On le sait, de tels cas peuvent se présenter au sein d’une même famille.
Je crains donc qu’une telle disposition ne soit porteuse de troubles, c’est pourquoi je demande le retrait de cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Nous avons discuté de cette disposition en commission ; il me semble que Mme David, au travers de son amendement, visait surtout le cas du décès de la personne de confiance titulaire. Je trouve cette idée très bonne.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. En cas de décès du titulaire, il ne pourrait y avoir de conflit.
Néanmoins, j’entends vos arguments, madame la ministre ; il faudrait sans doute affiner la rédaction, notamment pour préciser dans quels cas un suppléant pourrait être désigné. Dans cette perspective, je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 18 est retiré.
Je mets aux voix l'article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Article 10
L’article L. 1111-12 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-12. – Pour prendre les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement concernant une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, le médecin a l’obligation de rechercher la volonté de la personne hors d’état de l’exprimer. En l’absence de directives anticipées mentionnées à l’article L. 1111-11, la personne de confiance lui rend compte de cette volonté. À défaut, il recueille tout élément permettant d’établir la volonté du patient auprès de la famille ou des proches. » – (Adopté.)
Article 11
I (Non modifié). – L’article L. 1111-13 du même code est abrogé.
II. – Après le c du I de l’article L. 1541-2 du même code, il est inséré un c bis ainsi rédigé :
« c bis) À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 1110-5-1, les mots : “le code de déontologie médicale” sont remplacés par les mots : “la réglementation locale en vigueur ayant le même objet” ; ».
III (Non modifié). – Le 8° du II de l’article L. 1541-3 du même code est abrogé. – (Adopté.)
Article 12
(Non modifié)
L’article L. 1412-1-1 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« L’avis des commissions compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques inclut une appréciation sur l’opportunité, pour le Gouvernement, de mobiliser, dans les conditions prévues à l’article L. 121-10 du code de l’environnement, le concours de la Commission nationale du débat public. » ;
2° Le deuxième alinéa est complété par les mots : « , en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme envisagée ». – (Adopté.)
Article 13
(Non modifié)
La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)
Article 14
I. – Le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport évaluant les conditions d’application de la présente loi, ainsi que la politique de développement des soins palliatifs dans les établissements de santé, les établissements visés au 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles et à domicile.
II (nouveau). – L’article 15 de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est abrogé.
M. le président. L'amendement n° 15 rectifié bis, présenté par MM. de Legge, Retailleau et Pozzo di Borgo, Mme Cayeux, MM. Portelli et Bignon, Mme Canayer, MM. Charon, Mandelli et Morisset, Mme Des Esgaulx, MM. B. Fournier et Vasselle, Mmes Imbert, Duchêne et Gruny et MM. de Raincourt, Revet, Reichardt et Chaize, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Avant les mots :
Le Gouvernement
insérer les mots :
À l'occasion de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale,
La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. En première lecture, nous avions déposé un amendement, qui avait été adopté, tendant à prévoir la remise d’un rapport annuel sur l’évolution des soins palliatifs. Nos collègues du groupe CRC avaient déposé un amendement analogue, lui aussi adopté. Au travers du présent amendement, il s’agit en quelque sorte de faire converger ces deux démarches, en fixant l’échéance à l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela nous paraîtrait cohérent et ce serait une manière de consolider ce rendez-vous.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Dériot, corapporteur. Avis favorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Avis défavorable.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas du tout le cadre juridique adapté pour faire un bilan de l’évolution de la politique de la fin de vie ! En effet, il s’agit d’abord et avant tout d’un texte financier. Je le dis avec une certaine fermeté, on ne peut en faire le réceptacle du suivi de toutes les politiques liées à la santé. Je souligne que nous avons accepté la remise d’un rapport gouvernemental annuel sur ce sujet. Je suis quelque peu surprise de cette volonté de faire de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale le moment de la discussion du bilan de la politique de la fin de vie…
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, vous vous dites surprise, mais sachez que, moi, je suis surpris de la véhémence et du caractère caricatural de vos propos ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
En effet, il s’agit bien de prévoir un rendez-vous annuel « à l’occasion de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale », et non « dans le cadre » de celle-ci.
Les débats que nous avons pu avoir aujourd'hui comme en première lecture me semblent avoir montré que les soins palliatifs devaient être développés et que, s'ils ne l'étaient pas suffisamment aujourd'hui, c’était notamment en raison de l’absence de lien avec le besoin de financement.
Je maintiens donc mon amendement, car je tiens à ce rendez-vous annuel.
Madame la ministre, j’ai bien compris que vous étiez gênée, en réalité, par le caractère quelque peu contraignant de la date fixée dans l’amendement.
Préférer, à un rapport annuel, un rapport déposé à un moment donné de la vie parlementaire, à l’occasion d’une discussion budgétaire, est une bonne manière d’affirmer notre volonté à tous – c’est aussi la vôtre, si je vous ai bien entendue – que les soins palliatifs trouvent une traduction budgétaire.
Le refuser laisserait à penser que la question des soins palliatifs ne reste qu’un sujet de discussion intéressant, et rien de plus.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Madame la ministre, je veux simplement vous faire part de la surprise que m’inspire votre réaction sur cet amendement, qui a fait l’unanimité au sein de la commission des affaires sociales. Nous avons tous estimé que l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale serait l’occasion appropriée pour faire un état des lieux des soins palliatifs !
On sait que l’organisation des soins palliatifs est très problématique et qu’elle se caractérise par une iniquité territoriale terrible et par un problème de financement.
Vraiment, je suis étonnée de votre réaction, non pas sur la forme, mais sur le fond. J’avoue que j’ai un peu de mal à comprendre que cet amendement vous pose un tel problème, quand il ne nous en a posé aucun ! Peut-être pourriez-vous développer votre pensée…
Pour ma part, j’ai vraiment voté cet amendement avec enthousiasme.
Quitte à produire un rapport annuel sur l’état du développement des soins palliatifs, autant que celui-ci soit déposé au moment de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale, occasion la plus propice, plutôt qu’à un autre moment de l’année.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Madame la ministre, je suis moi aussi surprise de votre surprise…
En réalité, nous avons, tous ensemble, d’un commun accord, exprimé les attentes que votre annonce d’un plan triennal de développement des soins palliatifs et de l’engagement de crédits supplémentaires au titre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a fait naître chez nous. Nous avons d'ailleurs salué cette annonce et exprimé toute notre gratitude.
Je pense que vous devriez être flattée de la confiance que nous plaçons dans votre parole, puisque nous sommes sûrs que vous pourrez, chaque année, nous présenter l’état de réalisation de vos objectifs. Nous n’avons pas de doute sur ce point !
Compte tenu de l’enjeu que représente cette proposition de loi pour le développement des soins palliatifs, il me paraît extrêmement important que nous puissions, pendant un certain nombre d’années, suivre les engagements que les gouvernements prendront en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. En commission, nous nous étions tous engagés à voter cet amendement, non pour surveiller le respect des engagements pris par Mme la ministre, mais parce qu’il nous semblait important de faire le point sur le développement des soins palliatifs.
M. le président. Je mets aux voix l'article 14, modifié.
(L'article 14 est adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par Mme David, M. Abate, Mmes Assassi et Beaufils, MM. Billout, Bocquet et Bosino, Mmes Cohen, Cukierman et Didier, MM. Favier et Foucaud, Mme Gonthier-Maurin, MM. P. Laurent et Le Scouarnec, Mme Prunaud et M. Watrin, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi créant de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. D'abord « proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie », cette proposition de loi est devenue, après son examen en commission, « proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie ».
Deux modifications ont donc été apportées au titre par notre commission.
Nous proposons de conserver la première, mais de revenir sur la seconde.
Concernant la première modification, il s’agit de remplacer « en faveur » par « pour ». En effet, il me semble maladroit de parler de droits « en faveur » de la fin de vie, quand on connaît la charge affective plutôt négative associée à celle-ci.
S’agissant de la seconde modification, nous souhaitons revenir à la formulation adoptée par l’Assemblée nationale : à notre sens, il est restrictif de limiter la portée du texte aux malades en fin de vie, un certain nombre des dispositions de la proposition de loi allant au-delà de la question de la maladie à proprement parler.
En effet, le texte élargit le droit aux soins palliatifs, qu’il consacre « sur l’ensemble du territoire ». La nécessité du développement de ces soins concerne, bien sûr, toutes les personnes atteintes de souffrance aiguë. De même, le droit de refuser l’acharnement thérapeutique s’applique à tous, malades comme victimes d’un accident. La possibilité de rédiger des directives anticipées comme de désigner une personne de confiance n’est pas non plus réservée aux seules personnes malades – au contraire, le texte y encourage toutes les personnes majeures, y compris celles qui ne sont pas malades.
Vous l’aurez compris, nous estimons que les droits créés par cette proposition de loi ne concernent pas seulement les malades en fin de vie et qu’il serait opportun que cela se traduise dans l’intitulé du texte, que nous proposons de rédiger ainsi : « Proposition de loi créant de nouveaux droits pour les malades et les personnes en fin de vie. »
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Dériot, corapporteur. L’intitulé initial de la proposition de loi – celle-ci créait « de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » – ne correspondait pas tout à fait à celui que nous aurions souhaité : il nous paraissait quelque peu gênant de différencier malades et personnes en fin de vie.
C’est pourquoi nous avions, dès le début de l’examen du texte, proposé un nouvel intitulé, ainsi rédigé : « Proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie. » Cette formulation qui nous semblait plus précise et qui permettait de ne pas établir de distinction désagréable.
Cet intitulé ayant été voté par la commission, nous sollicitons le retrait de l’amendement. À défaut, nous émettrons un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. J’émets un avis favorable sur cet amendement, car le titre proposé présente l’avantage de couvrir la diversité des situations visées par le texte.
Nous venons d’adopter des dispositions relatives à la personne de confiance : c’est bien la preuve que la proposition de loi ne concerne pas uniquement les malades en fin de vie !
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Evelyne Yonnet. À notre grande surprise, nous avons découvert, en commission, que l’intitulé du texte avait changé avant que nous n’ayons pu nous exprimer.
Mmes Isabelle Debré et Catherine Procaccia. Cette modification a été votée en commission !
M. Gérard Dériot, corapporteur. Bien sûr !
Mme Evelyne Yonnet. En tout état de cause, nos vues rejoignent celles de notre collègue Annie David et de Mme la ministre. Nous voterons donc cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 19.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je serai très bref.
Bien que nous regrettions que l’amendement que nous avions déposé à l’article 3 n’ait pas été adopté, nous considérons que le texte qui résulte des travaux du Sénat est équilibré, qu’il marque une avancée et qu’il peut ouvrir certaines perspectives favorables.
En conséquence, nous voterons cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Mes chers collègues, comme je l’ai indiqué ce matin dans la discussion générale, le souhait des membres du groupe socialiste et républicain était de retrouver un débat apaisé dans cet hémicycle.
De fait, mes chers collègues, si nous n’avons pas été d’accord sur tout, nous nous sommes retrouvés sur le cœur du texte.
D'ailleurs – et je m’adresse en particulier à M. Amiel –, vous avez deviné que les scrutins publics que nous avons demandés étaient des « scrutins publics de protection ». (Sourires.)
Madame la ministre, deux des textes que vous soutenez auront consécutivement reçu l’onction de la quasi-totalité des groupes du Sénat – je ne sais pas si cela durera… –, preuve que les sénatrices et les sénateurs…
Mme Isabelle Debré. … sont sages !
M. Georges Labazée. … ont réalisé un travail important et sont capables de beaucoup d’abnégation.
Sur le contenu, nous avons été suffisamment explicites : nous nous prononcerons favorablement. Cependant, comme vous l’avez dit, madame la ministre, la commission mixte paritaire devra encore travailler. Nous devrons y être très attentifs, d'autant que la CMP doit se réunir en même temps que celle sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement.
Je veux dire à M. le président de la commission des affaires sociales qu’il est très important que nous réalisions les synthèses permettant de lever les approximations auxquelles nous nous sommes heurtés à la fin de l’examen de la proposition de loi.
Nous devons vraiment nous doter d’un dispositif clair, de manière que ce texte – comme le projet de loi que je viens de citer, du reste – puisse aboutir en commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, je veux à nouveau remercier très sincèrement M. le président de la commission et MM. les rapporteurs pour la qualité du travail réalisé.
Nous revenons de loin. Nous avons cheminé ensemble sur ce que j’ai appelé, tout à l'heure, un « chemin de crête », pour aboutir à un texte de fraternité, qui honore le Sénat, sécurise les équipes médicales, respecte les êtres humains que sont les patients, y compris en fin de vie.
Madame la ministre, permettez-moi, à l’issue de ce débat, qui aura été parfois difficile, de faire preuve d’un peu de légèreté : l’obstination quelque peu déraisonnable dont vous avez fait preuve en début d’après-midi m’a fait un peu peur – je vous demande de prendre cette remarque avec beaucoup d’humour !
Autant nous partageons le souhait d’accompagner la fin de vie de chacun et de soulager les souffrances, autant je ne suis pas sûre que nous pouvions et devions aujourd'hui donner satisfaction à ceux d’entre nous – dont je respecte les convictions, au demeurant – qui estiment que nous aurions dû cheminer vers un autre texte.
Pour ce qui me concerne, je me réjouis de la proposition de loi à laquelle nos travaux ont abouti – et que nous allons, je l’espère, voter – et je me félicite de la qualité et de l’intensité de nos débats.
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Nous avons eu des discussions passionnantes, sur un sujet aussi délicat que celui de la fin de vie.
J’avais annoncé en discussion générale que le groupe communiste, républicain et citoyen voterait ce texte s’il n’était pas dénaturé en séance. Ce soir, la majeure partie des dispositions qu’il nous semblait important de conserver demeurent : sédation profonde, soins palliatifs, etc. Le financement de ces derniers reste un point faible, mais peut-être y reviendrons-nous, dans quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et alors nous serons très vite fixés.
Si certains membres de mon groupe estiment que le texte ne va pas assez loin, les avancées introduites nous semblent intéressantes.
Je regrette, pour ma part, les imprécisions dont a fait part Georges Labazée à l’instant sur les directives anticipées. Le fait que des amendements qui avaient reçu un avis défavorable en commission reçoivent un avis favorable en séance m’a quelque peu mise en colère. J’ai le sentiment que l’on n’a pas respecté le travail accompli en commission sur la collégialité de la décision. Quoi qu’en disent les rapporteurs, il me semble que ce que nous avions fait sur les directives anticipées a été amoindri en séance publique.
Je vous avoue que je suis encore hésitante au moment de voter ce texte et d’engager mon groupe sur une proposition de loi au sujet de laquelle je l’ai assuré qu’elle comportait des avancées, notamment sur les directives anticipées. Il me semble que je ne pourrais tenir le même discours après ce qui vient de se passer.
J’entends néanmoins M. Amiel, M. Dériot et M. Pillet. Je veux bien faire confiance à nos trois rapporteurs, dans leur diversité politique, car ce sujet le mérite. C'est la raison pour laquelle le groupe CRC votera ce texte, qui ne constitue qu’une étape.
D’ici à la CMP, mon avis sera un peu plus affûté et je vous proposerai peut-être alors de revenir sur la question de la décision collégiale afférente aux directives anticipées en espérant, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, que nous puissions échanger un peu plus sereinement afin d’aboutir à la meilleure rédaction possible. (M. le rapporteur pour avis approuve)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Nos débats ont été riches et se sont déroulés – je tenais à le souligner – dans un climat respectueux, serein, presque apaisé sur un sujet pourtant dramatique.
Je tiens à saluer le président de la commission des affaires sociales, nos deux rapporteurs, le rapporteur pour avis, M. Pillet, et le président de la commission des lois.
La position du groupe écologiste demeure inchangée : nous nous abstiendrons sur ce texte, l’une d’entre nous ne souhaitant pas s’engager dans cette direction, les autres estimant que cette proposition de loi ne va pas assez loin.
J’aimerais que nos travaux, à l’avenir, quand il est question de sujets aussi importants, aient la même tenue. Ne reproduisons pas les errements du passé qui ont conduit le Sénat à donner une image négative de lui-même.
Pour nous, le travail continue ; nous ne pouvons nous contenter de cette mouture du texte. Nous avons essayé d’œuvrer pour le bien commun. Je remercie encore toutes celles et tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Une majorité des membres de mon groupe votera ce texte, certains d’entre nous s’abstiendront et quelques-uns voteront contre, ce qui montre la grande liberté de vote régnant au sein du groupe auquel j’ai l’honneur d’appartenir.
Cela témoigne aussi de la difficulté d’avancer sur un tel sujet : chacun a des convictions profondes qu’il est parfois difficile d’exprimer. S’il y a eu des maladresses, notamment de ma part, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Ce qui importe ici, c’est d’être en harmonie avec ses convictions et sa conscience.
Comme je l’ai dit ce matin, il était important pour nous qu’un texte du Sénat soit voté. Ce sera le cas dans quelques instants. Notre groupe souhaite que les avancées du Sénat, fruits d’une expression collective et d’apports personnels, soient prises en compte. C’est en fonction du texte auquel aboutira la CMP que chacun d’entre nous se déterminera sur son vote final.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
M. Dominique de Legge. Je voudrais vous dire très franchement, madame la ministre, les inquiétudes qu’ont fait naître en moi votre première intervention, en début d’après-midi, et la manière avec laquelle vous avez défendu l’amendement du Gouvernement. Il semblait que votre objectif n’était pas tant d’écouter le Sénat que de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale, comme si elle était l’alpha et l’oméga.
Il est important que le dialogue s’ouvre maintenant entre nos deux assemblées. Je fais confiance au président de la commission des affaires sociales et à nos deux rapporteurs pour faire régner en commission mixte paritaire le même esprit qui a prévalu dans cet hémicycle, c’est-à-dire l’esprit de respect et de recherche d’un consensus, afin d’aboutir à un texte équilibré. (Mme Marie-Annick Duchêne applaudit.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher.
M. Hervé Poher. Le français est une langue merveilleuse qui permet bien des nuances. Ce n’est pas la même chose de dire « laissez-moi mourir dignement », « aidez-moi à mourir dignement » ou « faites-moi mourir dignement ».
Jusqu’à présent – je parle en tant que praticien –, les médecins n’avaient officiellement que le droit de laisser mourir dignement.
Une fois ce texte adopté, nous aurons le droit d’aider les gens à mourir dignement. Nous ne sommes pas allés jusqu’au « faites-moi mourir dignement », mais ce n’est pas grave : le texte que nous allons voter constitue déjà un progrès. Il faut sans doute encore laisser la société encore évoluer ; je suis sûr que d’ici à dix ou quinze ans, nous reparlerons de cette proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 35 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 297 |
Pour l’adoption | 287 |
Contre | 10 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 3 novembre 2015 :
À quinze heures :
Projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société (procédure accélérée) (n° 660, 2014-2015) et projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du xxie siècle (procédure accélérée) (n° 661, 2014-2015) ;
Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 119, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 120, 2015-2016) ;
Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois (n° 121, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 122, 2015-2016).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq, le soir et la nuit :
Suite du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société (procédure accélérée) (n° 660, 2014-2015) et du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du xxie siècle (procédure accélérée) (n° 661, 2014-2015) ;
Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 119, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 120, 2015-2016) ;
Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois (n° 121, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 122, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART