Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda, sur l’article.

Mme Gisèle Jourda. Madame la ministre, je me permets de prendre la parole sur l’article 8, en anticipant également sur l’article 52, afin que vous nous apportiez quelques éclaircissements sur le projet de loi initial, qui prévoyait une unification du contentieux de la sécurité sociale à des fins qualitatives et de cohérence de l’organisation judiciaire, et ce avant l’examen du texte par la commission des lois du Sénat.

Nous sommes nombreux à avoir été questionnés sur cet article, notamment par la FNATH, l’association des accidentés de la vie. Il serait souhaitable de pouvoir apporter des réponses précises aux questions suivantes.

Dès lors que le contentieux sera unifié, quid de l’assistance et de la représentation des justiciables, sujet majeur pour permettre un véritable accès à la justice ? Actuellement, les juristes de la FNATH peuvent représenter et assister les justiciables devant les juridictions du contentieux technique et général de la sécurité sociale, ce qui permet un accès à ces juridictions pour un coût réduit. Et demain ?

Quid de la formation des magistrats des TGI sur ce contentieux bien spécifique ? Quid de la formation des assesseurs ou des personnes appelées à siéger ?

Les magistrats seront-ils compétents uniquement sur les contentieux relevant de ce bloc de compétences ? Y aura-t-il un magistrat unique pour les contentieux issus du tribunal des affaires de sécurité sociale, le TASS, et qui ne se partagera pas entre les autres tribunaux ?

Quid de la procédure particulière devant les TCI, avec examen médical quasi systématique lors de l’audience ?

La question de la formation des experts, du déroulement des expertises, mais aussi de leur revalorisation, doit également faire l’objet d’une large concertation.

Quid des audiences foraines assurées par certains tribunaux du contentieux de l’incapacité, les TCI, qui permettent de rapprocher la justice des personnes les plus fragiles ? Les TGI reprendront-ils ce principe ?

Pouvez-vous rassurer le personnel quant à sa future réaffectation ?

Comment va s’organiser la période transitoire ? Comment seront gérés les stocks de dossiers lors du transfert de compétences ?

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai apporté le livre de mon ami Pierre Joxe, intitulé Soif de justice. Au secours des juridictions sociales. J’y lis, à la page 279 : « Les juridictions sociales sont maltraitées parce qu’elles sont à la fois la justice des pauvres et les parents pauvres de la justice judiciaire. »

Je lis aussi, page 12 : « Mais ce que j’ai observé des centaines de fois, jusqu’à en être bouleversé, c’est la fréquence et l’ampleur de la détresse psychologique de femmes chargées d’enfants et submergées par les procédures diverses qui accablent beaucoup de mères célibataires et abandonnées élevant comme elles peuvent leurs rejetons de toutes les couleurs et conservant soigneusement les multiples papiers qui leur en font voir... de toutes les couleurs : convocation d’un juge, d’un autre, du délégué du procureur de la République, conseil de discipline du collège, commission de surendettement, rappel d’impayés, avis de coupure d’électricité, refus de prise en charge par la Caisse d’allocations familiales, avertissement de la CAF, sommation d’huissier, signification de jugement du tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI), ou du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS), ou de la commission départementale d’aide sociale (CDAS) ou du juge de la famille, ou encore des prudhommes. »

Pierre Joxe, qui a été voir ces juridictions de près pour pouvoir les décrire dans ce livre, en est venu à la conclusion qu’il fallait une réforme profonde.

Madame le garde des sceaux, vous avez le courage de faire cette réforme. Bien sûr, il y a des questions, et Mme Jourda en a posé de très précises, sur lesquelles il est important que l’on obtienne des réponses ; d’autres collègues sont également intervenus sur ce sujet...

Je crois, monsieur le rapporteur, qu’il y a une logique dans ce texte et dans le fait que les TGI, bien entendu réorganisés, soient compétents en la matière.

Ce qui ne va pas dans ce que vous nous avez proposé, et que la commission a adopté, ce sont les mots « rattaché au TGI ». On ne sait pas ce que cela veut dire !

Vous avez choisi, madame le garde des sceaux, de lancer une réforme d’ampleur, dont nous allons débattre. C’est la première fois depuis des décennies qu’un tel texte est proposé. Dans le temps qui m’est imparti, je tenais à vous en remercier.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 22 rectifié est présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Barbier, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Vall, Bertrand, Collombat et Guérini.

L’amendement n° 197 est présenté par MM. Sueur, Bigot, Richard, Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain.

L’amendement n° 228 est présenté par le Gouvernement.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Rédiger ainsi cet article :

I. – Les tribunaux de grande instance sont compétents pour connaître en premier ressort :

1° Des litiges relevant des matières mentionnées à l’article L. 142-2 du code de la sécurité sociale et de ceux relevant du contentieux technique de la sécurité sociale défini à l’article L. 143-1 du même code, à l’exception du 4° ;

2° Des litiges relatifs à la protection complémentaire en matière de santé et à l’aide au paiement d’une assurance complémentaire de santé prévues respectivement aux articles L. 861-1 et L. 861-3, d’une part, et à l'article L. 863-1, d’autre part, du code de la sécurité sociale.

II. – Les cours d’appel sont compétentes pour connaître des appels interjetés contre les décisions rendues dans les matières mentionnées au I du présent article.

La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour présenter l’amendement n° 22 rectifié.

M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement tend à revenir au dispositif proposé dans le projet de loi initial, qui constituait, aux yeux du groupe RDSE, la principale mesure de simplification de ce texte.

Le texte gouvernemental prévoyait de fusionner les contentieux actuellement traités par les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux de l’incapacité, d’y adjoindre la partie des contentieux liés aux droits à la protection de la santé. Ce bloc de compétences était transféré au pôle social du tribunal de grande instance.

La création d’une nouvelle juridiction sociale unifiée et échevinée de première instance, dénommée « tribunal des affaires sociales », constitue un premier pas vers la simplification d’un contentieux particulièrement complexe pour nos concitoyens.

Toutefois, cette réforme n’est pas encore assez ambitieuse. La commission des lois, elle-même, a approuvé le principe de la constitution d’un pôle social au sein du TGI, compétent pour traiter des affaires qui relèvent à ce jour des TASS et des TCI, à condition de maintenir la présence d’assesseurs représentant les partenaires sociaux. Elle a souligné que cette réforme contribuerait à renforcer la lisibilité et l’efficacité de la justice sociale, et à améliorer son fonctionnement dans l’intérêt des justiciables.

Nous considérons que les modalités d’une telle réforme et d’un tel transfert peuvent être définies par ordonnance.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 197.

M. Jean-Pierre Sueur. M. Requier vient d’expliquer la complexité du système. Il y a, d’un côté, l’ordre judiciaire avec les TASS, les TCI, la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail, la CNITAAT, et, de l’autre, l’ordre administratif, où le contentieux se répartit entre le juge administratif, les CDAS et la Commission centrale d’aide sociale.

Le projet de loi prévoit que les contentieux traités aujourd’hui par les TASS, ceux traités par les tribunaux de l’incapacité et ceux relatifs à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé et à la CMU seront désormais traités par le pôle social du tribunal de grande instance de chaque chef-lieu de département, avec un appel qui relèvera de la chambre sociale des cours d’appel.

Je regrette que la commission des lois se soit opposée à ce transfert. Le présent amendement, qui tend à revenir au texte initial du projet de loi, est gage d’efficacité. En effet, étendre aux questions de sécurité sociale les compétences du TGI permettra d’assurer une meilleure lisibilité en évitant au justiciable d’avoir à saisir de nombreuses juridictions différentes.

Cela permettra, également, la création d’un bloc de compétences « sécurité sociale » cohérent, une simplification de la procédure, une harmonisation de la jurisprudence du contentieux de la sécurité sociale, une professionnalisation de la gestion de ce contentieux par des magistrats professionnels formés au contentieux social et une mutualisation optimale des moyens de fonctionnement.

Toutefois, madame le garde des sceaux, nous pensons que cette modification doit se faire dans des conditions qui permettent de conserver la spécificité des juridictions sociales, en ce qu’elle permet l’intervention d’un certain nombre d’acteurs. Mme Jourda parlait ainsi des demandes de la FNATH, qui nous paraissent tout à fait légitimes.

Il faut aussi que les justiciables puissent avoir accès au procès, sans être forcément représentés par un avocat.

Il faut, enfin, décharger le TGI d’un certain nombre de tâches afin qu’il puisse se concentrer sur ses nouvelles attributions.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l'amendement n° 228.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Cet amendement est identique aux deux amendements qui viennent d’être présentés, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Ces amendements tendent à revenir au texte initial du projet de loi s’agissant de la réforme des tribunaux sociaux. Ils sont donc contraires à la position de la commission.

Je précise que le texte de la commission n’est pas contraire à celui du Gouvernement, lequel ne pose qu’un principe dans la loi sans en déterminer les différentes modalités. Ces dernières sont renvoyées à une ordonnance, ce qui laisse les mains complètement libres au Gouvernement, y compris pour ce qui concerne la présence d’assesseurs ou la dispense du ministère d’avocat. Il s’agit simplement de définir directement dans la loi les contours de cette réforme et de s’assurer, de cette façon, que celle-ci sera effectivement menée à son terme.

Le texte de la commission rattache le tribunal des affaires sociales au TGI, en particulier par sa présidence, par son greffe et par sa gestion au sein du pôle social du TGI. Nous allons donc dans le sens du Gouvernement, en simplifiant l’organisation juridictionnelle. La commission procède toutefois de façon plus réaliste et pragmatique, en préservant l’identité des juridictions sociales, auxquelles les partenaires sociaux sont très attachés, et leurs particularités. Cette solution va, me semble-t-il, dans le bon sens et présente quelques avantages par rapport à la position du Gouvernement.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avec l’article 8, nous avons voulu poser le principe de la fusion des juridictions sociales dans un objectif de regroupement des contentieux, de rationalisation et de meilleure organisation. À l’article 52, au sein du titre VII, nous demandons l’autorisation à prendre par ordonnance les mesures de nature législative.

Je vais vous expliquer, mesdames, messieurs les sénateurs, les raisons de notre demande, car, vous avez raison, elle soulève un certain nombre de questions bien réelles, qui ont été déclinées par Mmes Jourda et Assassi.

Nous demandons cette habilitation, parce que ces questions bien réelles appellent des réponses précises afin de nous permettre de gagner en efficacité et en accessibilité. Où en sommes-nous ? À ce stade, nous attendons encore les résultats d’une double inspection que nous avons commandée : celle de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et celle de l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ.

Cela fait un an que nous travaillons sur ces dispositions. Je peux vous dire que nous rencontrons de très grandes difficultés de conciliation avec le ministère de la santé et des affaires sociales, difficultés qui sont liées non pas à des divergences entre ministères, mais à la complexité de la répartition du contentieux social. Certaines juridictions relèvent du ministère de la justice, d’autres du ministère de la santé et des affaires sociales, d’autres encore du ministère du travail.

En d’autres temps, cette complexité des juridictions sociales avait été qualifiée de « maquis ». Elle a forcément engendré des situations, des tutelles et des responsabilités différentes, de même que des règles procédurales et des modes d’organisation variés. C’est ce que nous voulons réorganiser avec une grande ardeur, parce que nous savons que les justiciables concernés par ces contentieux sont particulièrement vulnérables. Il s’agit de personnes malades, indigentes ou frappées de handicap.

Les contentieux en question portent souvent sur de petites sommes. Or le délai moyen auprès d’un tribunal des affaires de sécurité sociale, par exemple, est de dix-neuf mois et de douze mois auprès d’un tribunal du contentieux de l’incapacité. Ces délais constituent une violence à l’égard de ces justiciables socialement ou psychologiquement vulnérables, fragiles. C'est la raison pour laquelle nous voulons véritablement agir, et bien agir, en proposant le principe d’une fusion. Je rappelle que nous ne parlons ici que de la première instance. Vous le savez, l’appel est regroupé à la CNITAAT, la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, à Amiens, où ces justiciables vulnérables doivent se rendre.

Nous avons évidemment déjà réfléchi aux questions que vous avez posées, mais, pour ma part, j’estime que nous n’avons pas d’éléments suffisants pour trancher. Nous recevrons le rapport de la double inspection à la mi-novembre.

La question de l’échevinage se pose assez peu. Quant à celle de la formation des assesseurs, nous l’avons réglée dans le projet de loi organique, qui est presque une loi – il est devenu ce qu’on appelle une « petite loi » –, puisque vous avez étendu les compétences de l’École nationale de la magistrature à la formation de personnes contribuant à l’activité de justice. Par conséquent, les assesseurs pourront y être formés.

J’en viens à la question des juridictions : la commission des lois propose la création d’une juridiction sociale en tant que telle, ce qui revient à modifier l’architecture judiciaire. Pour notre part, nous cherchons à faciliter à la fois l’accès et le traitement de ces contentieux, dont certains nécessitent d’ailleurs, du fait de leur complexité, la maîtrise d’une technicité juridique. C'est la raison pour laquelle nous proposons de les regrouper au sein du pôle social du tribunal de grande instance.

S’agissant des particularités procédurales de ces contentieux, elles doivent, selon nous, être maintenues et, éventuellement, améliorées. Il faudra répondre à la question de la non-représentation obligatoire par un avocat. Nous souhaitons disposer des résultats des inspections de l’IGAS et de l’IGSJ afin d’apporter les réponses les plus judicieuses à toutes ces questions, qui sont déterminantes.

Voilà pourquoi nous sollicitons cette habilitation à légiférer par ordonnance. Pour avoir été moi-même parlementaire, je connais et comprends votre réticence fondamentale, mesdames, messieurs les sénateurs, à accorder des habilitations. Dans certains cas, les conséquences ne sont pas extraordinaires : lorsqu’il s’agit, par exemple, d’adapter des textes, d’ajouter des dispositions, d’en clarifier, etc. Dans d’autres cas, comme ici, les conséquences sont relativement lourdes.

Je le répète, je comprends votre réticence. Mais tel que vous avez rédigé l’article, il me semble qu’il y a là une prise de risque un peu démesurée par rapport à des éléments de stocks, de flux, de jurisprudence que nous ne connaissons pas et sur lesquels nous n’aurons des informations qu’à partir de la mi-novembre. Les dispositions que vous avez adoptées en commission me semblent donc prématurées. C'est la raison pour laquelle je vous demande de rétablir l’article 8 tel que le Gouvernement l’avait rédigé et de maintenir l’habilitation prévue à l’article 52. Je prends devant vous l’engagement de fournir aux parlementaires le matériau le plus dense et le plus précis possible sur ce qui constituera le contenu des ordonnances, selon la méthode que j’ai toujours appliquée pour les précédentes lois d’habilitation.

Je rappelle, par ailleurs, que nous avons l’obligation de présenter un projet de loi d’habilitation. Il vous reviendra de fixer le délai dans lequel nous devrons déposer ce texte – ce délai peut être relativement court –, de façon à ce que le Gouvernement puisse revenir vers vous le plus tôt possible pour présenter les dispositions prises.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la ministre, en vous écoutant, nous ne pouvons que constater que nous poursuivons les mêmes objectifs. Il n’est pas besoin de revenir sur notre répugnance à accepter le système des ordonnances, puisque vous l’avez vous-même rappelé en évoquant le souvenir de votre propre activité parlementaire. Vous comprenez parfaitement que le législateur préfère aller au bout de sa compétence plutôt que de s’en remettre au Gouvernement, car, à chaque fois que nous votons une mesure d’habilitation, nous avons le sentiment de faire un saut dans l’inconnu.

La commission des lois a eu le souci de réaliser l’ambition que votre texte proclame lui-même : faire une réforme qui ne soit pas une demi-mesure, mais qui permette d’aller jusqu’au bout de la réunion de ces contentieux sociaux, avant tout dans un objectif de bonne administration de la justice dans le domaine social. Nous avons considéré que, si nous prenions des dispositions plus précises que celles que vous proposiez pour éviter de recourir à la méthode des ordonnances, nous devions, en contrepartie, prévoir un délai suffisant pour que vous puissiez déterminer les modalités d’application de ces dispositions que la commission des lois propose au Sénat d’adopter.

Au fond, vous proposez un délai pour prendre des ordonnances ; nous vous offrons un délai pour prendre des décrets... Dans les deux cas, nulle précipitation ; mais, dans la proposition de la commission des lois, le souci que la réforme soit tout à fait effective.

Par ailleurs, nous voyons bien que, comme beaucoup d’autres dispositions de votre projet de loi, l’épreuve de vérité sera celle des moyens. Par conséquent, si le texte de la commission des lois est adopté, nous attendons du Gouvernement qu’il permette, à compter du 1er janvier 2017 – si cette échéance peut être respectée –, que les moyens de mise en œuvre de cette réforme soient réellement réunis.

Voilà la raison pour laquelle la commission des lois reste fermement engagée dans le choix qui a été adopté par la majorité de ses membres et qui consiste à éviter le système de l’habilitation.

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.

M. Charles Revet. Madame la ministre, vous avez dit que, lorsque vous étiez parlementaire, vous aviez la même réserve que nous sur la question de confier au Gouvernement le soin de légiférer par ordonnance.

Nous sommes bien obligés de le constater, les textes prévoient de plus en plus souvent que le Parlement habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance. Nous avons regretté à plusieurs reprises ici, sur toutes les travées, cette manière de travailler sur des sujets souvent très importants.

La procédure accélérée à laquelle le Gouvernement a recours conduit à supprimer la navette. Si la procédure normale avait été utilisée, nous aurions eu le temps de prendre connaissance des résultats des inspections dont vous disposerez dans quelques semaines. Nous aurions alors pu probablement tenir compte dans la loi, peut-être de manière différente, de ces résultats.

On peut regretter que le travail soit fait par le Gouvernement à notre place, car nous savons parfaitement que, très souvent, les ordonnances ne correspondent pas forcément à l’esprit dans lequel la loi a été votée par le Parlement.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pas les nôtres !

M. Charles Revet. Très souvent tout de même ! Certes, le texte nous revient ensuite, mais les possibilités de le modifier sont restreintes.

Un texte comme celui que nous examinons aurait nécessité des délais plus importants pour aller plus en profondeur. Nous aurions peut-être pu trouver un terrain d’entente avec quelques semaines de plus…

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 rectifié, 197 et 228.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. L’amendement n° 242, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Après la référence :

IV

insérer les références :

du titre IV du livre Ier

II. – Alinéa 76

Remplacer la référence :

L. 142-18

par la référence :

L. 142-19

III. – Alinéa 99

Remplacer le mot :

première

par le mot :

deuxième

IV. – Alinéa 100

Après le mot :

phrase

insérer les mots :

du premier alinéa

La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 242.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 124 rectifié, présenté par MM. Bignon, Masclet et Grosdidier, Mmes Gruny et Cayeux et MM. Vasselle et Lefèvre, est ainsi libellé :

Alinéa 36

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Une cour nationale spécialement désignée connaît en appel des jugements rendus…

La parole est à M. François Grosdidier.

M. François Grosdidier. Nous défendons le maintien d’une procédure d’appel spécifique pour les jugements rendus en matière de sécurité sociale. Il ne nous paraît en effet pas raisonnable que ce contentieux éminemment technique et très spécialisé soit traité par les cours d’appel.

La Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail ne mobilise aujourd’hui, me semble-t-il, que quatre magistrats sur soixante-quatorze agents : le président de la cour et des présidents de section ; les assesseurs sont des représentants des employeurs et des salariés, et le reste du personnel est principalement constitué de techniciens. La disparition de cette cour, qui possède une compétence technique, nuirait à la qualité de la justice rendue et n’améliorerait aucunement la proximité puisque la procédure est écrite. Il en va des juridictions comme des collectivités territoriales : il existe toujours un dilemme entre, d’une part, la mutualisation et le haut degré de technicité et, d’autre part, la proximité…

J’ajoute que transformer la CNITAAT en une cour nationale du contentieux technique de la sécurité sociale serait neutre du point de vue des finances publiques, dans la mesure où cela n’emporterait pas la nécessité de procéder à des recrutements, contrairement à ce qui va se passer avec l’organisation proposée par le projet de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement s’oppose aussi bien au texte initial du Gouvernement qu’à celui de la commission. En effet, dans les deux cas, le contentieux technique de la sécurité sociale relèverait des cours d’appel normalement compétentes.

Il serait curieux de confier aux tribunaux de grande instance la compétence des actuels tribunaux du contentieux de l’incapacité, même au sein d’un tribunal rattaché au TGI comme le prévoit le texte de la commission, tout en maintenant une juridiction spécialisée en appel. Le texte de la commission ouvre d’ailleurs la possibilité de cours d’appel de droit commun spécialisées pour ce contentieux, si le pouvoir réglementaire l’estime nécessaire.

La commission vous demande donc, mon cher collègue, de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’irai dans le même sens que M. le rapporteur, mais pour des raisons différentes puisque la commission a rédigé un article 8 très long et très précis – avec tous les risques que suppose la précision en l’absence de certains éléments de décision.

Il n’est pas question de supprimer la CNITAAT, monsieur Grosdidier. L’architecture juridictionnelle que nous proposons consiste à rassembler, en première instance, le contentieux de la sécurité sociale au sein du pôle social du tribunal de grande instance, dont nous repensons l’organisation – avec un pôle social, un pôle pénal, un pôle civil et des pôles spécialisés –, et de pouvoir interjeter appel devant la chambre sociale de la cour d’appel du ressort.

Votre observation sur le caractère écrit de la procédure est tout à fait pertinente ; en effet, il n’y a pas d’obligation de présence physique du justiciable à l’audience d’appel. Il demeure toutefois que, si la juridiction est proche de chez lui, il peut, s’il le souhaite, assister à l’audience. La question de la proximité n’est donc pas totalement à exclure, car elle n’est pas sans attrait pour le justiciable.

J’indique par ailleurs – je ne l’ai pas précisé précédemment, j’en conviens – que la CNITAAT doit notamment conserver le contentieux de la tarification de l’assurance des accidents du travail, auquel s’ajoutera la résorption des stocks existants puisque les dossiers actuellement à la charge de cette cour doivent être écoulés.

Dans la mesure où il n’existe pas de risque pour la CNITAAT et où le Gouvernement promeut une autre organisation que celle qui est prévue par la commission, le Gouvernement vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Grosdidier, l’amendement n° 124 rectifié est-il maintenu ?

M. François Grosdidier. Oui, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 124 rectifié.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 144, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 62

Supprimer le mot :

religieusement

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un assesseur digne et loyal. » Tel est, aux termes de l’article 8, le serment que les assesseurs des tribunaux des affaires sociales devront prêter.

Ce serment, prononcé historiquement par les magistrats de notre pays, a été modifié en 2007 à l’occasion de la loi portant sur le statut des magistrats. L’adverbe « religieusement » a alors été supprimé de la formule solennelle du serment professionnel, sauf pour les magistrats de l’ordre judiciaire.

Notre groupe a toujours défendu – il n’est pas le seul, j’en conviens – une République appliquant les principes non seulement d’égalité, de fraternité et de liberté, mais aussi de solidarité et de laïcité. Nous refusons donc que, au détour d’un texte censé organiser la justice du XXIe siècle, le Parlement adopte une formule s’apparentant à une intrusion du religieux, aussi minime soit-elle, dans les décisions de justice.