M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent débat, qui n’est pas le premier sur le sujet, traite de la problématique soulevée par la dotation globale de fonctionnement. En préambule, je veux indiquer que le choix de cette thématique par le groupe Les Républicains, dans le cadre de la semaine de contrôle, surprend à quelques jours à peine de l’examen du projet de loi de finances qui aurait pu nous permettre d’évoquer ce sujet sensible.
Il ne s’agit pas, pour ma part, de contester tout l’intérêt de cette question fondamentale. Comme chacun dans cet hémicycle, je connais l’importance de la DGF dans le fonctionnement budgétaire des collectivités qui composent notre pays et qui mènent largement l’action publique de proximité nécessaire à nos territoires et à nos concitoyens. Cela étant, dans un contexte parlementaire contraint, je m’interroge simplement sur l’efficacité de la méthode.
Je souhaite également, de façon préalable, évoquer devant vous la mission Germain-Pires Beaune – il en a été question à plusieurs reprises –, qui a produit un travail important sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement. Qu’il me soit permis à cette occasion de saluer la mémoire de notre regretté collègue Jean Germain, dont l’expertise nous manquera, sur ce sujet comme sur d’autres.
Il faut le rappeler, cette mission parlementaire était envisagée par le Gouvernement comme une démarche transpartisane. Il avait d’ailleurs été initialement proposé, sauf erreur de ma part, qu’un parlementaire de la majorité sénatoriale y participe, sans que celle-ci donne suite à cette proposition. Il aurait pourtant été souhaitable, a fortiori au Sénat, qu’une démarche partagée s’engage, afin – pourquoi pas ? – d’aboutir à un consensus.
Le rapport Germain-Pires Beaune constitue d’évidence une base solide au projet de réforme que nous présente le Gouvernement, sur laquelle, selon moi, nous pouvons entamer des discussions productives.
En effet, la pertinence d’une réforme de la dotation globale de fonctionnement ne me semble pas devoir faire l’objet en elle-même de longs de débats, tant le système actuel, caractérisé par ses inégalités flagrantes, ne donne pas satisfaction et laisse interrogatif, voire perplexe.
Voilà quelques mois, j’ai souhaité personnellement faire un point sur les textes législatifs et réglementaires qui régissent cette dotation. J’ai donc recherché, dans l’Encyclopédie des collectivités locales, la définition de la DGF ; cette dernière fait quarante-deux pages ! Si je relate cette anecdote, mes chers collègues, c’est parce que ce chiffre me semble une bonne illustration : il n’est pas admissible que des dispositions aussi importantes pour la vie de nos collectivités soient à ce point complexes et illisibles, et finalement inexplicables.
À ce stade, l’application de la réforme est reportée d’une année. Toutefois, le projet de loi de finances pour 2016 en intégrera les grands principes. C’est un premier pas ; certains s’en satisferont, d’autres moins.
Je considère cependant que cette réforme ne pourra pas être reportée indéfiniment, car il s’agit là d’une attente réelle, encore plus dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons. Ainsi, certaines communes de mon département, les Côtes-d’Armor, m’ont fait parvenir des simulations budgétaires très détaillées, qui démontrent que, sans cette réforme, qui était attendue, les équilibres financiers ne pourront être tenus durablement. Cela est particulièrement patent pour les petites villes qui ne tarderont pas à se trouver en difficulté. À titre d’exemple – et je pourrais en citer d’autres –, Lannion, qui compte 22 000 habitants, pourrait perdre 50 % de sa DGF à l’horizon 2017. Ce problème, qui est réel en Bretagne, se pose ailleurs en France.
Dans ce contexte, réformer la DGF pour la rendre plus équitable n’est pas une option plus ou moins aléatoire ; c’est une obligation.
Bien entendu, je prends acte positivement de ce report, car l’action politique nécessite parfois, non pas des renoncements, mais d’infléchir les délais, afin de permettre le dialogue et la recherche du consensus. Il faut donc prendre un temps pour cela, à la condition qu’il soit raisonnable.
L’objectif est d’évidence de rétablir plus de logique, davantage de justice dans les dotations qui sont versées aux communes et aux intercommunalités, dont la situation est, il faut le rappeler, particulièrement contrastée : si certaines connaissent certes des difficultés, d’autres se portent bien mieux.
Je crois que, au-delà de considérations politiciennes, parfois, nous pouvons tous nous rejoindre sur ce point, dès lors que nous constatons dans nos territoires ces inégalités de traitement flagrantes et, in fine, injustifiables.
La méthode proposée devra permettre de mieux travailler du point de vue de la lisibilité du dispositif visé et des conditions de son application, autour des trois piliers que sont, pour ne prendre que l’exemple de la DGF communale, une dotation universelle, une dotation de centralité et une dotation de ruralité.
Grâce à ces outils, nous pourrons répondre de façon adaptée à des situations très différentes. Nos communes sont diverses, et c’est une chance, à l’image de ce qui caractérise la France dans son unité. Rurales, urbaines ou périurbaines, petites, grandes ou moyennes, de montagne, de plaine ou insulaires, elles connaissent des situations différentes, avec des compétences variées. Toutes, pourtant, doivent apporter à leur mesure des services à leurs habitants et mettre en œuvre l’action publique sur tout le territoire.
C’est au législateur qu’il appartient de trouver les dispositifs qui permettent d’assurer le traitement équitable et efficace de cette diversité. Les mois à venir nous permettront, je le pense, de procéder à des simulations complètes, simulations qui sont absolument indispensables, afin de calibrer au mieux ces trois composantes et d’obtenir le meilleur résultat prévisionnel.
Il faut, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, bannir toute improvisation. Il n’y a pas lieu de se perdre en polémiques sans intérêt ; il convient au contraire, dès maintenant, de travailler utilement.
Sur une réforme d’une telle ampleur, il est impossible de penser que nous pourrions tomber juste du premier coup. Ce temps supplémentaire dont nous disposons désormais permettra les ajustements dont j’ai parlé, et, en conséquence, une application plus partagée de cette réforme dès 2017.
D’aucuns pourraient être tentés de rejeter en bloc celle-ci ou de la différer tant qu’ils pourront. Il s’agirait alors d’une posture qui ne serait pas à la hauteur de l’enjeu et qui pénaliserait durablement la majorité de nos collectivités, puisque, semble-t-il, une majorité d’entre elles pourrait être gagnante.
Enfin, je souhaite personnellement que ce délai nous permette d’intégrer à la réforme une prise en considération de l’effort fiscal des communes et des intercommunalités.
En effet, il paraît logique, et certainement plus juste, d’adapter la dotation globale de fonctionnement en fonction de l’effort fiscal demandé. Il ne s’agit pas d’une démarche punitive visant à sanctionner. Il s’agit d’établir un principe d’équité de traitement.
Certes, il faut tenir compte de la réalité fiscale des populations, mais une collectivité qui ne mobilise pas l’impôt local ne doit pas être dotée de la même manière qu’une autre qui demande à ses habitants un effort plus important, et ce afin d’éviter tout effet d’aubaine fiscale, donc de concurrence territoriale exacerbée.
Mes chers collègues, cela fait des années qu’il est question de cette réforme ; pourtant, elle ne se fait pas. C’est pourquoi je veux saluer les intentions du Gouvernement, qui a engagé le processus et fixé les échéances.
Ce débat sera finalement l’occasion d’appeler chacun à ses responsabilités. Il ne faudrait pas que l’objectif de la réforme soit remis en cause, voire que certains parient sur son abandon et se mobilisent en ce sens. Ce serait lourd de conséquences préjudiciables au plus grand nombre. Et je n’ose pas y penser. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État – je salue leur sens du devoir –, mes chers collègues, la DGF du bloc communal et son évolution posent au moins deux problèmes de nature sensiblement différente : l’évolution du montant de cette dotation et son mode de répartition, lequel conjugue deux défauts, l’iniquité et l’illisibilité.
Évidemment, tout le monde souhaite une dotation répartie selon des règles justes et transparentes. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Que cela soit inscrit dans une loi de finances ou ailleurs importe peu. La difficulté de l’exercice, en effet, tient non pas à la définition des objectifs, mais à l’application de ce qu’ils signifient concrètement : prendre aux collectivités les plus riches pour donner aux plus pauvres, supprimer l’habillage complexe de la dotation qui, pour partie, masque le caractère inéquitable du dispositif et, pour une autre, le corrige à la marge.
Si réformer est toujours un exercice politique risqué, il l’est particulièrement quand on entend prendre aux uns pour donner aux autres, ce qui est, en principe, le but officiel de la réforme de la DGF communale annoncée depuis bientôt trois ans.
Jusque-là, la difficulté avait été tournée par la création de dotations compensatrices, dites « de péréquation » – DSU en 1991 et DSR en 1992, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur que j’aurais salué s’il avait été présent ce soir –, augmentées régulièrement à doses homéopathiques, sans amputer la part des plus favorisés.
La croissance régulière du montant global de la DGF – parfois l’apport de ressources extérieures comme pour la DSR qui se vit affecter une fraction du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle – expliquait ce petit miracle. Le cœur du système demeurait le même ; on se contentait d’y ajouter quelques pièces permettant d’adoucir ses effets à la marge : résultat modeste mais réel, la fraction péréquatrice de la DGF représentant aujourd’hui près de 15 % de la dotation du bloc communal, si mes calculs sont bons.
Néanmoins, avec la baisse de la DGF, participation imposée des collectivités territoriales aux absurdités maastrichtiennes, la rhétorique gouvernementale changea.
Pour faire oublier que tout le monde sera touché, le Gouvernement, d’une réforme toujours différée en période de relative abondance, fit vertu, sur le thème que je résumerai sommairement ainsi : « Certes, on va vous ponctionner, mais si équitablement que, les inévitables grincheux mis à part, personne ne pourra s’y opposer. » On allait voir ce qu’on allait voir ! Effectivement, avec le projet de loi de finances pour 2016, on a commencé à voir…
On observe des dispositions sympathiques, attendues depuis longtemps par les maires ruraux, des mesures de haute valeur symbolique : la suppression des strates de population de la dotation forfaitaire, en vertu desquelles un administré d’une commune de moins de 100 habitants valait deux fois moins que celui d’une commune de plus de 500 000 ; la création d’une dotation pour charges de ruralité, si, et seulement si sont prises en compte des charges de centralité. En effet, ce qui importe, ce n’est pas la nature des charges, qu’elles relèvent de la centralité ou de la ruralité, mais leur nature de charges en tant que telle et le fait qu’elles soient imposées.
Cependant, à y regarder de plus près, et les symboles mis à part, on s’est aperçu que les résultats sonnants et trébuchants étaient moins brillants qu’annoncés. Non seulement le choix de 75,70 euros par habitant ne compensait la baisse globale de 17,7 % de la dotation forfaitaire par rapport à 2013 pour aucune commune, mais il pénalisait les communes rurales de plus de 1 400 habitants.
Toutes choses égales par ailleurs, si les communes de 100 habitants gagnaient un peu plus de 1 100 euros, les communes de 3 500 habitants perdaient 34 000 euros.
Mes chers collègues, j’attire par ailleurs votre attention sur le point suivant : en supprimant beaucoup d’anciens cantons pour en créer de plus étendus, le redécoupage électoral a rendu inéligibles à la fraction « bourg-centre » de la DSR nombre d’anciens chefs-lieux et de communes dont la taille n’était plus suffisante pour représenter 15 % de la population cantonale.
Réforme ou non, si cet effet indésirable du redécoupage électoral n’est pas neutralisé – peut-être, d’ailleurs, l’est-il : il devient on ne peut plus difficile de comprendre les dispositions que renferme ce dossier –, on risque d’aboutir à un résultat catastrophique pour ces communes, tant, avec la baisse générale des dotations, leur équilibre financier dépend de la DSR.
Des simulations illisibles et peu fiables dont on a pu tardivement disposer résultait au moins cette certitude : au lieu de la justice, la réforme de la DGF pourrait bien susciter le chaos.
Du jour au lendemain, l’ardente obligation de réformer la dotation globale de fonctionnement pour compenser sa baisse massive fut donc renvoyée à l’année prochaine, sans autre explication que celle qu’a énoncée ici même Manuel Valls, avouant sans s’en étonner au cours des questions d’actualité au Gouvernement qu’un travail de simulation restait à accomplir – il était temps ! –, et faisant valoir, sans rire, qu’il fallait attendre l’achèvement de la carte intercommunale pour être en mesure « de boucler cette réforme de la DGF et de l’inscrire pleinement dans le projet de loi de finances pour 2017 ». Sur ce front également, on aurait pu s’en apercevoir plus tôt...
Faute de temps, je me bornerai, en conclusion, à formuler quelques rappels.
Premièrement, retarder la réforme de la DGF pour la rendre plus équitable ne fait pas le système actuel plus juste, au contraire.
M. Philippe Dallier. Ah !
M. Pierre-Yves Collombat. Deuxièmement, avec ou sans réforme, il faudra, en 2016, neutraliser les effets indésirables de la réforme cantonale précédemment évoqués.
Troisièmement, objet d’une loi spécifique ou traité au titre du projet de loi de finances, le problème principal posé par la réforme est de nature non pas technique, mais politique. (M. Jacques Mézard acquiesce.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pierre-Yves Collombat. Personnellement, je ne vois pas comment nous pourrons sortir des faux-semblants sans abandonner la politique de restrictions financières imposée au bloc communal. Autant dire que je n’ai guère d’illusions à ce titre !
Au reste, il suffit d’entrer dans le détail du projet que l’on connaît pour dresser ce constat : ce que l’on prend d’une main aux collectivités les plus puissantes leur est restitué de l’autre… Bref, la routine ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et vive la DGF ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà vingt ans que j’espère une réforme de la DGF : vingt ans !
M. Philippe Dallier. À l’époque, je n’étais pas encore sénateur, je venais d’être élu maire. Comme tout nouvel élu, j’examinais le budget de ma collectivité, en particulier ses recettes et, au titre de ces dernières, la DGF. J’en détaillais le montant et m’efforçais d’en comprendre la composition. Surtout, je tentais de comparer le niveau de ma DGF communale et celui d’une commune similaire du département.
L’une d’entre elles était, à l’époque, presque équivalente à la mienne. Or cette commune percevait 20 % de crédits supplémentaires au titre de la dotation globale de fonctionnement.
Aussi, j’ai pris ma plus belle plume pour indiquer au ministre de l’intérieur qu’une erreur s’était manifestement glissée quelque part. Je me disais que je pourrais bien récupérer, à l’époque, les quelques millions de francs en question pour résoudre les problèmes budgétaires de ma commune… (Mme Caroline Cayeux rit.)
Vous devinez ce qui s’est passé : j’ai reçu une belle réponse du ministre de l’intérieur, m’expliquant qu’il n’y avait aucune erreur de calcul, que le système d’ensemble était totalement justifié et qu’il se fondait sur le poids de l’histoire. (M. Bruno Retailleau sourit.)
Ensuite, j’ai découvert l’existence des dotations de péréquation. Dès lors, je me suis dit : peut-être vais-je récupérer d’un côté ce que je ne perçois pas de l’autre.
À l’époque déjà, en 1991, date à laquelle M. Collombat vient de faire référence, existait le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, le FSRIF.
Mes chers collègues de province, vous regardez souvent l’Île-de-France comme une manne potentielle. Mais, vous l’oubliez fréquemment, si cette région est la plus riche de France, c’est aussi celle où les écarts de richesses entre les communes les plus aisées et les moins favorisées sont les plus accentués. Cette situation justifie l’existence de ce fonds de solidarité. Ma commune n’en bénéficie pas, mais n’y contribue pas non plus.
Parallèlement, la dotation de solidarité urbaine vise à aider les collectivités le plus en difficulté. Or ma commune bénéficie bien de la DSU. Madame la ministre, sauf erreur de ma part, ma commune se place aujourd’hui au 567e rang, ce qui commence à être assez haut dans le classement !
Ainsi, tout allait à peu près bien jusqu’en 2010, date à laquelle a été créé le FPIC. Je me souviens des discussions que Charles Guéné et moi-même avons consacrées à ce fonds : nous avons voté sa création dans un grand élan, sans simulation aucune. À l’époque, je me disais que je ne pourrais que bénéficier du FPIC !
Las, faute de simulation, je me suis retrouvé,…
M. Jacques Mézard. Contributeur !
M. Philippe Dallier. … à verser, au titre du FPIC, quatre fois le montant que je perçois au titre de la DSU !
Mes chers collègues, au pays de Descartes, nous avons relevé ce défi incroyable pour une commune de Seine-Saint-Denis, bénéficiaire de la DSU et neutre au FSRIF : être contributeurs du FPIC ! (Mme Catherine Deroche s’exclame.)
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, voilà pourquoi j’espère depuis longtemps le grand soir, voire le très grand soir de la DGF, à condition que l’on remette en cause les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle, avec la création du Fonds national de garantie individuelle des ressources, le FNGIR. Ce dernier, souvenons-nous-en, devait constituer un autre mécanisme péréquateur. À l’époque, le Gouvernement avait imaginé que l’on pourrait le faire disparaître en vingt ans, à hauteur de 5 % par an, ce qui était effectivement un vecteur de péréquation.
M. Philippe Dallier. Grand soir, voire très grand soir… Vous comprendrez la déception que j’éprouve en détaillant le texte que vous nous présentez.
Vous nous proposez bien une réforme de la DGF. Cependant, vous n’osez pas remettre en cause, en tout cas dans le même ensemble, la réforme des dotations de péréquation. Or ce travail me paraît absolument nécessaire.
J’en viens à la méthode.
Dans cet hémicycle, nombre d’entre nous avons vécu la réforme de la taxe professionnelle et la création du FPIC. Nous avons suivi toutes ces transformations en faisant confiance au Gouvernement. À l’époque, j’étais encore plus serein à cet égard, étant donné que j’appartenais à la majorité gouvernementale. Nous n’avons pas mesuré la portée de ce que nous faisions.
Ces chantiers nous ont placés face à de très grandes difficultés, à tel point que tous les ans, par la suite, nous avons été contraints d’y revenir. Mais, en ce temps-là, les dotations de l’État augmentaient chaque année : bon an mal an, la situation restait plus supportable pour les collectivités. Nul n’imaginait avoir de grandes difficultés à affronter au cours des années à venir.
Or, madame la ministre, aujourd’hui, vous le savez, le Gouvernement nous impose une baisse des dotations de l’ordre de 12,5 milliards d’euros. Nous n’avons donc plus de visibilité. Si l’engagement des collectivités territoriales est en train de chuter, c’est parce que les maires refusent de presser le bouton de l’investissement, et pour cause : ils ne savent pas ce qu’il adviendra de leur budget en 2016, en 2017 ou en 2018.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Évidemment !
M. Philippe Dallier. Bien entendu, nous freinons ! Nous ne pouvons plus investir, sauf à recourir à l’emprunt, ce qui n’est pas souhaitable. Nous pourrions certes actionner le levier des impôts locaux, mais, sur ce front, nos concitoyens n’en peuvent plus. Nous allons donc nous autolimiter, ce qui va aggraver la crise.
Nous ne pouvons pas nous engager de nouveau dans un processus où nous laisserions carte blanche au Gouvernement pour adopter de grands principes, en déclarant : « Nous verrons bien. Nous corrigerons le tir l’année prochaine, lorsque les notifications nous parviendront. » Ce n’est pas possible ! En ces temps de restrictions budgétaires, nous devons savoir où nous allons.
Certes, la méthode suivie n’est pas la bonne. Néanmoins, je le dis à l’instar de tel ou tel de mes collègues, nous pouvons aboutir à une bonne réforme. Bien sûr, cette dernière ne contentera jamais tout le monde. Certains y gagneront, d’autres y perdront.
À cet égard, je l’indique à l’attention de M. Raynal : si j’en crois les simulations qui nous ont été communiquées, ma commune y gagnerait. (M. Claude Raynal hausse les épaules.) Pour autant, je n’estime pas qu’il faille adopter le texte qui nous est proposé. Pour reprendre une expression employée par Jean Arthuis à cette tribune, ce serait en quelque sorte acheter un lapin dans un sac, ce que nous ne voulons plus !
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, donnons-nous le temps de la réflexion. Nous avons, à cette fin, quelques mois devant nous. Revenez devant nous avec des simulations tenant compte des modifications de la carte intercommunale, destinées à avoir un effet essentiel sur ces dotations. Dès lors, vous trouverez le Sénat tout à fait disposé à l’adoption d’un texte.
Tel est le simple souhait que je formule : un changement de méthode, du temps et des simulations !
Puisque mon temps de parole n’est pas encore épuisé, je me permets de revenir sur la transformation que vous proposez au titre de la DSU. Il s’agit là de la seule véritable réforme des dotations de péréquation.
Madame la ministre, je crains que vous ne fassiez une erreur similaire à celle que nous avons commise lors de la réforme de la DGF.
Vous nous proposez de décristalliser cette dotation. Je ne puis qu’être favorable à une telle mesure. Toujours est-il que vous nous proposez comme base une année n-1. Cette référence a été figée, pour la plus grande partie des communes éligibles à la DSU, pendant quatre années. En effet, l’augmentation de cette dotation a été concentrée sur les communes cibles. C’était une bonne chose, à ceci près que presque tous les autres facteurs ont été figés.
Or les deux tiers des communes ont pu voir leur situation évoluer. Je songe aux localités qui ont beaucoup construit, en particulier au titre du logement social. Aujourd’hui, ma commune perçoit 200 000 euros. Elle aurait pu bénéficier de 400 000 euros si l’on avait renversé la logique du dispositif ! Mais, je le répète, vous allez figer cette situation.
Madame la ministre, vous m’excuserez d’avoir plaidé un tant soit peu cette cause, qui m’est particulièrement chère. Si le principe que vous adoptez pour réformer la DSU est bon en tant que tel, je crains que vous ne figiez de nouveau telle ou telle situation. Dans cinq ou dix ans, nous nous demanderons de nouveau pourquoi deux communes placées dans des situations comparables perçoivent, à ce titre, des volumes de crédits sensiblement différents…
Aussi, je vous proposerai un amendement dont la rédaction n’est peut-être pas facile, mais que je m’efforcerai d’élaborer. J’espère que vous m’écouterez et que vous émettrez, sinon un avis favorable, du moins un avis de sagesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Bruno Retailleau. Bravo !
M. François Bonhomme. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes invités à débattre de la réforme de la dotation globale de fonctionnement à l’heure où nos principales pensées sont ailleurs.
L’esprit d’unité nationale me conduit à ne pas trop insister sur le report de la DGF, qui nous était encore refusé il y a encore un mois…
Une réforme bien comprise se fonde sur un socle technique pertinent et sur un cap affiché : il s’agit là de la lisibilité et de l’équité. Ces deux qualités, que M. Raynal a évoquées, sont, sinon absentes du projet qui nous est soumis aujourd’hui, du moins y sont insuffisamment présentes.
Les collectivités territoriales agissent en vertu d’un cadre budgétaire qu’elles apprécient globalement. Elles ne connaissent que trop la sévère réduction que subissent leurs ressources pour la troisième année consécutive. Cela étant, elles ignorent l’incidence, sur les dotations de péréquation, des fusions d’intercommunalités, comme l’effet de l’émergence de grandes collectivités, en particulier, le poids financier de Paris.
Nos collectivités peinent à anticiper les effets du FPIC, auquel il vient d’être fait référence. Il s’agit là d’un instrument délicat. À quelques places près dans le classement, l’on devient contributeur, ou bénéficiaire, voire les deux, pour des montants qui sont devenus substantiels.
Nos collectivités s’inquiètent aussi des facteurs persistants – j’insiste sur ce mot – d’augmentation de leurs charges en raison du prélèvement au titre du FNGIR, de la fin de l’exemption des taxes locales sur l’éclairage public, de l’instruction des autorisations d’urbanisme, de la prise en charge par les intercommunalités de l’information des demandeurs de logements sociaux et de la constitution de leur dossier tel que la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové le prévoit, de l’obligation, issue de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, de disposer d’un service ou de compétences en conseil énergétique à l’intention des concitoyens, etc.
Vous l’avez compris, l’incertitude et l’absence de visibilité sont contreproductives.
Concernant le volet relatif aux charges, je renouvelle, madame la ministre, la demande formulée voilà un mois, lors des questions d’actualité au Gouvernement, de l’engagement d’un travail en commun entre le Parlement et le Gouvernement sur la mise en place d’une sorte d’article 40 – pardonnez cette comparaison ! – à destination des collectivités locales, conditionnant les transferts à leurs financements.
Tout est dit dans l’article 72-2 de la Constitution rappelé par François Baroin au début de cette séance. Je ne vous demande pas la révision de la loi fondamentale, l’exercice à venir étant suffisamment important en la matière. En revanche, je requiers l’application effective de l’article susvisé, sous la forme d’une loi organique, qui nous manque toujours.
Je souhaite maintenant évoquer trois points : affirmer, d’abord, qu’il convient de ne pas accabler la DGF actuelle de tous les maux ; formuler, ensuite, quelques observations techniques ; insister, en conclusion, sur le besoin d’intégrer de la vertu dans la réforme.
Contrairement aux autres orateurs, je me refuse donc à accabler la DGF en vigueur. La DGF est d’abord issue de transferts successifs et de garanties accordées au fur et à mesure. Le résultat actuel n’est donc pas le fruit du hasard. Ensuite, les écarts de DGF entre collectivités sont moindres qu’on ne le dit souvent. Méfions-nous, à cet égard, des biais statistiques.
Ainsi, entre les communes bénéficiant d’un montant de 35 % supérieur au montant moyen de DGF par habitant et celles qui perçoivent un montant de 35 % inférieur, on trouve 82 % des collectivités. En réalité, seuls 8 % des collectivités perçoivent moins de 35 % des crédits moyens et 10 % perçoivent 35 % de plus.
Plus remarquable encore, l’inégalité globale au regard de la DGF perçue par habitant entre les communes d’une même strate est inférieure à l’inégalité des mêmes communes classées par le potentiel fiscal. Autrement dit, la DGF, dans sa version actuelle, a un caractère péréquateur plus net que vous ne l’indiquez.
J’avais prévu d’avancer quelques observations techniques portant sur la cohérence, en rappelant au Gouvernement qu’il est en train de créer de nouvelles garanties, ou sur les coups de rabot apportés en catimini, puisque, en 2016, nous est imposée l’intégration du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, dans l’enveloppe normée des collectivités. Chacun sait que celles-ci ont pourtant longtemps mené le combat inverse.
Cette décision est très habile, puisqu’elle n’est pas douloureuse pour 2016 ou 2017, car l’investissement est en baisse, mais elle le deviendra quand l’investissement repartira, ce que nous devons souhaiter pour notre pays.
J’aurais pu également évoquer la complexité des équations utilisées, à l’exemple du facteur de puissance cinq affecté à la dotation de centralité, dont je peine à appréhender les motivations, voire les conséquences pratiques.
Par ailleurs, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, un problème commence d’ores et déjà à se poser : outre les départements, dont nous savons que certains connaissent de sérieuses difficultés, il existe des strates de communes discrètes, paradoxalement souvent bien gérées, qui commencent à rencontrer de réelles difficultés financières.
J’en viens à mes deux conclusions. Je vous demande, tout d’abord, d’intégrer de la vertu dans la réforme. Ainsi, qu’est-il advenu du coefficient de mutualisation ? Les praticiens savent que les économies se font par le biais de la mutualisation, qui est incontournable pour préserver la capacité d’investissement. Je vous suggère donc d’intégrer dans les critères de la réforme le coefficient de mutualisation entre communes et intercommunalités. Vous offririez ainsi une sorte de prime à la qualité de gestion.
Enfin, j’ai bien entendu tout à l’heure la suggestion de M. Raynal, membre du groupe socialiste et républicain, lequel nous a invités à mener un travail collectif et à assumer une responsabilité partagée. Mon groupe relève le gant, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, et M. Capo-Canellas et moi-même sommes disponibles pour cela. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – MM. Ronan Dantec et René Vandierendonck applaudissent également.)