Sommaire
Présidence de M. Thierry Foucaud
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles, Mme Colette Mélot.
3. Candidature à une délégation sénatoriale
4. Financement de la sécurité sociale pour 2016. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Suspension et reprise de la séance
Proclamation du résultat du scrutin public
5. Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Suspension et reprise de la séance
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.
6. Questions d'actualité au Gouvernement
projet de révision constitutionnelle
Mme Jacqueline Gourault ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
politique internationale après les attentats
M. Jean-Pierre Raffarin ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Gilbert Barbier ; Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ; M. Gilbert Barbier.
format de la cop 21 (conférence de paris sur le climat)
M. Ronan Dantec ; Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
pacte de stabilité, politique de sécurité et politique sociale
Mme Cécile Cukierman ; M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
sécurité intérieure et lutte contre la radicalisation
M. Jean-Pierre Sueur ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.
révision constitutionnelle et mesures de sécurité
M. Philippe Bas ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Philippe Bas ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
politique étrangère et lutte contre daesh
M. Simon Sutour ; M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
M. Roger Karoutchi ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur ; M. Roger Karoutchi.
aide aux victimes des attentats
Mme Claire-Lise Campion ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
7. Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
8. Communication relative à une commission mixte paritaire
9. Débat sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement
M. François Baroin, au nom du groupe Les Républicains
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Thierry Foucaud
vice-président
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
M. Bruno Gilles,
Mme Colette Mélot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport d’évaluation du dispositif de réduction d’impôt sur le revenu en faveur de l’investissement pour les logements destinés à la location meublée non professionnelle, dispositif « Censi-Bouvard ».
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires économiques et à la commission des finances.
3
Candidature à une délégation sénatoriale
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et républicain a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de M. Jean Pierre Godefroy, démissionnaire.
Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
4
Financement de la sécurité sociale pour 2016
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote solennel par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2016 (projet n° 128, rapport n° 134 [tomes I à VIII], avis n° 139).
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nous l’avions déjà souligné au début de nos travaux, l’évolution globale des comptes de la sécurité sociale doit être appréciée avec une certaine prudence.
Certes, le redressement des soldes est notable, puisque ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, ou PLFSS, prévoit de ramener les déficits de l’ensemble des régimes de base et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, à 9,3 milliards d’euros en 2016, soit 3,1 milliards d’euros de moins qu’en 2015.
Malheureusement, une part importante de cette amélioration relève d’artifices comptables. En effet, elle est directement imputable aux transferts de charges liés à la mise en œuvre du pacte de responsabilité. Ainsi, la réduction des dépenses de la branche famille s’explique, pour une large part, par la budgétisation d’une partie des aides personnelles au logement.
De même, l’amélioration est largement la conséquence de mesures parfois anciennes, comme la réforme des retraites de 2010, qui explique que la branche vieillesse serait proche de l’équilibre en 2015.
Il en résulte que le retour à l’équilibre des comptes sociaux est désormais reporté à une échéance située au-delà de la programmation en cours. Alors qu’il était initialement prévu pour 2014, puis 2017, nous parlons maintenant de 2020, voire 2021…
Par ailleurs, au-delà du périmètre du PLFSS, la dette de l’assurance chômage s’établit à un niveau préoccupant de près de 25 milliards d’euros à la fin 2014, et devrait atteindre 35 milliards d’euros en 2018, soit l’équivalent d’une année de recettes.
Concernant la question de la dette, celle-ci demeure des plus préoccupantes. L’article 17 du PLFSS transfère à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, 23,6 milliards de dettes en compte à Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, laissant ainsi entière la question du traitement de la dette sociale en 2017, le plafond de transfert financé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 étant épuisé dès 2016.
L’ensemble de ces éléments nous amène à douter de la sincérité du présent PLFSS, raison pour laquelle le groupe UDI-UC a soutenu les amendements de suppression des tableaux d’équilibre.
En revanche, certaines évolutions vont indéniablement dans le bon sens. Elles n’attendent que des mesures structurelles pour pleinement porter leurs fruits, faute de quoi elles demeureraient bien fragiles. Malheureusement, certaines mesures tardent à venir.
Face à ce constat en demi-teinte, notre commission a choisi d’adopter une attitude à la fois responsable et pragmatique. À cet égard, je salue l’excellence de son travail, et en particulier celui de notre rapporteur général, Jean-Marie Vanlerenberghe, avec également une mention spéciale pour notre collègue Gérard Roche, rapporteur pour la branche vieillesse.
M. Hubert Falco. Très bien !
M. Olivier Cigolotti. Ce travail a abouti à un texte à nos yeux nettement amélioré, notamment avec la suppression des articles 19 et 21.
Le premier article assujettissait obligatoirement, à compter du 1er janvier 2016, les gens de mer résidents en France et travaillant sur des navires battant pavillon étranger au régime général de la sécurité sociale, ce qui était de nature à fragiliser leur emploi.
Nous ne pouvons que nous féliciter du fait que, sous l’impulsion de notre collègue Françoise Gatel, notre amendement de suppression ait été adopté.
Le second article créait un mécanisme d’accès à l’assurance maladie complémentaire pour les plus de 65 ans, ce qui risquait de fragmenter un peu plus le marché des complémentaires au détriment des seniors.
Amélioré par la Haute Assemblée, le présent PLFSS n’est pas non plus dépourvu de mesures structurelles, à commencer par l’augmentation d’un an de l’ouverture des droits à la retraite.
Cette mesure, qui prend en compte l’évolution de l’espérance de vie, était inévitable, compte tenu de la fragilité du retour à l’équilibre de la branche. Cependant, nous attendons toujours que soit enfin mise en œuvre la réforme systémique que nous réclamons depuis des années, à savoir le remplacement de l’annuité par le point ou les comptes notionnels.
Le texte issu de nos travaux est également plus équitable, non seulement pour les particuliers employeurs, dont le régime fiscal a été amélioré, mais également pour les Français de l’étranger, l’article 15 ayant été rendu plus conforme au droit européen.
En effet, à moins de créer un nouvel impôt, la seule voie pour se conformer à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est d’exonérer les Français de l’étranger non affiliés à la sécurité sociale des contributions sociales sur les revenus du capital. Toute autre solution paraît pour le moins hasardeuse.
Enfin, ce texte rétablit de l’équité entre les salariés et les fonctionnaires, avec le rétablissement des journées de carence dans la fonction publique.
Ces mesures sont des signaux encourageants (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), même si nous savons qu’il reste encore énormément à faire.
En matière de santé, la meilleure coordination entre la ville et l’hôpital demeure un chantier à peine ouvert, de même que celui qui concerne la lutte contre les actes inutiles et la surprescription.
Pour dégager du temps médical et améliorer l’accès aux soins, il faut aussi progresser en matière de coopération entre professions de santé. Un petit pas a été fait dans cette direction avec l’adoption d’un amendement incitant au développement de la coopération entre ophtalmologistes et orthoptistes.
Cependant, nous aurions pu aller beaucoup plus loin rien que sur ce sujet, sans parler de la lutte contre la désertification médicale.
En attendant, vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout en demeurant très préoccupés par la situation des comptes et de la dette sociale, et conscients de la difficulté des réformes restant à entreprendre, le groupe UDI-UC votera en faveur du présent PLFSS tel qu’infléchi dans le bon sens par le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour le groupe CRC.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, j’ai une pensée émue pour les victimes des attentats de ce week-end, leurs familles et leurs proches.
Je voudrais ici saluer le travail exceptionnel des forces de l’ordre, des secours et des hôpitaux, qui se sont mobilisés sans relâche pour sauver des vies.
À l’heure où nous célébrons les soixante-dix ans de notre sécurité sociale, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ne partagent pas la logique qui sous-tend ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, Ambroise Croizat, fondateur de notre système de protection sociale, l’avait conçu comme un système basé sur l’activité économique, en vertu duquel « chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ». Il est donc bâti sur un principe de solidarité non seulement entre les générations, mais également entre les gens bien portants et les malades.
Aussi, il faut cesser de voir notre système de protection sociale comme une dette que nous transmettrions aux futures générations, pour l’appréhender comme un investissement sur l’avenir, car il garantit pour toutes les générations l’accès à la santé, à la retraite,…
M. Philippe Dallier. Toujours le coup de la bonne dette et de la mauvaise dette !
Mme Annie David. … et contribue à la natalité de notre pays.
Or, madame la secrétaire d’État, vous poursuivez la politique engagée par la droite, que vous dénonciez pourtant en son temps, c’est-à-dire une politique de déconstruction de notre système pour une protection sociale à deux vitesses, où l’État garantirait uniquement le minimum aux plus pauvres (M. Hubert Falco s’exclame.), tandis que les « moins pauvres » se protégeraient par des assurances privées.
J’en veux pour preuve l’accord national interprofessionnel – ANI – de 2013, qui donne un rôle grandissant aux mutuelles et aux organismes complémentaires. Il en va de même avec la modulation des allocations familiales, qui revient sur le principe d’universalité de la protection sociale.
Cette remise en cause d’un système qui a fait ses preuves dans les heures les plus difficiles de notre histoire contemporaine a uniquement pour but d’assurer une bonne gestion financière et de faire des économies.
Ainsi, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Mme Marisol Touraine, a rappelé plusieurs fois au cours des débats sa volonté de bien gérer les fonds de la sécurité sociale. Or nous attendons de la part du Gouvernement des décisions politiques, et non uniquement des décisions comptables !
Bien sûr, nous devons être vigilants sur les financements de notre système, et c’est la raison pour laquelle nous vous avons fait de nombreuses propositions de recettes nouvelles.
Cependant, les économies que vous nous proposez ont pour seul objectif de compenser les exonérations et autres crédits sociaux faits aux entreprises, aux plus grosses d’entre elles, d’ailleurs.
Censées relancer la croissance et faire baisser le chômage, ces mesures bénéficient surtout à l’enrichissement des grands groupes, de leurs dirigeants, de leurs actionnaires, et représentent une perte importante pour notre protection sociale.
Pour financer ces pertes de recettes, les hôpitaux sont asphyxiés et les patients sont renvoyés chez eux rapidement après leur opération ; c’est ce que vous appelez « le virage ambulatoire ».
Pour financer ces pertes de recettes, il est proposé que les salariés travaillent plus longtemps et cotisent davantage, tandis que le montant des pensions est gelé.
Pour financer ces pertes de recettes, la branche accidents du travail-maladies professionnelles voit son excédent ponctionné, tandis que les entreprises sont exonérées de leurs responsabilités en matière de santé et sécurité au travail.
Pour financer ces pertes de recettes, les familles se serrent la ceinture : 15 % d’entre elles ont vu leurs allocations diminuer.
Enfin, pour financer ces pertes de recettes, c’est le budget de l’État qui est mis à contribution. Ainsi, non seulement les ménages vont subir les conséquences que je viens d’énumérer, mais ils verront aussi nos services publics dégradés : moins d’enseignants, moins de policiers, moins de logements sociaux, moins de magistrats, moins d’agents affectés aux finances publiques, moins d’agents dans nos transports publics… Or ces services incarnent la justice sociale et fiscale, la redistribution des richesses, l’égalité des citoyens, quelle que soit leur origine sociale ou territoriale !
Vous poursuivez ainsi votre politique d’austérité, alors que c’est une politique sociale qui devrait être mise en œuvre !
Le sens de nos propositions, c’est de viser à augmenter les recettes, plutôt qu’à diminuer les dépenses. Ainsi, nous avons proposé la suppression des exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires, ce qui donnerait 20 à 22 milliards d’euros supplémentaires par an à notre sécurité sociale.
Nous sommes revenus sur la baisse du forfait social, prévue dans la loi Macron, qui coûte, quant à elle, près de 1 milliard d’euros à la Caisse nationale d’assurance vieillesse.
Nous avons proposé que la perte d’autonomie soit financée non par les retraités mais par les actionnaires : en demandant une contribution de 0,3 % sur les dividendes versés, il est possible de dégager 600 millions d’euros pour la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Nous avons également proposé de moduler les cotisations payées par les entreprises en fonction de leur politique d’emploi. En effet, les exonérations faites aux entreprises, déjà difficiles à justifier, deviennent incompréhensibles quand elles sont accordées à des entreprises qui licencient à tour de bras pour mieux satisfaire leurs actionnaires.
Tout en saluant les mesures de prévention prévues par ce texte, notamment en matière de contraception, nous avons proposé des amendements pour mieux protéger les travailleurs, de l’amiante, par exemple, et faciliter l’accès aux soins sur le territoire, notamment en zone rurale, en zone de montagne ou en zone péri-urbaine.
Pourtant aucune de nos propositions n’a été retenue. Pire, la droite – nous venons de l’entendre – a profondément aggravé ce texte (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), parfois sans que l’on puisse en comprendre la logique.
Ainsi, elle a vidé le PLFSS de sa substance même en ne votant ni les recettes ni les dépenses. Mes chers collègues, voter un texte de financement en en supprimant les parties financières, quelle incohérence !
La droite a même osé, en catimini, au milieu de la nuit, reporter l’âge de la retraite à 63 ans (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) et proposer une réforme systémique de notre système de retraite par répartition pour le transformer en système de retraite par points.
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Alain Fouché. Nous avions fait une proposition !
Mme Annie David. Sans parler des trois jours de carence imposés aux agents de la fonction publique hospitalière (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…
M. Éric Doligé. C’est normal !
M. Alain Fouché. Les directeurs d’hôpitaux sont d’accord !
Mme Annie David. … qui ont pourtant encore prouvé ce week-end leur dévouement pour le service public et leur conviction au quotidien de l’intérêt général. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC.) Vous l’avez d’ailleurs vous-même constaté, madame la secrétaire d'État, comme le Gouvernement dans son ensemble, puisque Mme Touraine était à leurs côtés pendant tous ces moments. Et je crois que chacun…
M. Roger Karoutchi. C’est fini !
Mme Annie David. … saluait le travail qu’ils ont accompli durant tout le week-end. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 marque un recul en matière sociale (Mme Christiane Kammermann et M. Roger Karoutchi marquent leur impatience et pointent du doigt un des afficheurs de chronomètre.), recul accentué par la droite sénatoriale.
M. Alain Fouché. Ben voyons !
M. Éric Doligé. C’est de la récupération !
Mme Annie David. Le groupe communiste, républicain et citoyen votera donc contre ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande d’écouter les orateurs. On vous écoute et on vous regarde !
La parole est à M. Yves Daudigny. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je veux, à mon tour, réaffirmer à cette tribune combien nos pensées vont, en cet instant, à celles et ceux qui ont trouvé la mort, qui sont dans la peine, aux blessés et aussi à toutes celles et tous ceux qui leur ont porté secours en ces moments tragiques. Dans le cadre du vote d’une loi de financement de la sécurité sociale, je veux particulièrement mentionner les interventions, l’efficacité et le dévouement de l’ensemble des professionnels de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE ainsi que de l’UDI-UC.)
Mes chers collègues, à l’issue d’une semaine de débats, nous allons, dans quelques instants, voter le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. La Haute Assemblée a largement transformé la copie qui lui était soumise.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. En bien !
M. Yves Daudigny. Dénaturé serait plus exact. Je me pose d’ailleurs une question : est-ce parce ce projet est finalement peu contestable qu’il a exacerbé plus qu’à l’ordinaire la profonde contradiction entre votre critique et vos propositions ? Je m’adresse, bien sûr, à la majorité sénatoriale.
Comment expliquer, en effet, que, durant des années, les budgets dont le déficit ne cessait de s’aggraver trouvaient votre soutien – vous le déploriez, mais vous le votiez – et que celui-ci, qui retrouve enfin la voie de l’équilibre, ne suscite pas une approbation immédiate ?
Il faut le répéter : en quatre ans, le déficit du régime général a été divisé par deux (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Raymond Vall applaudit également.) et retrouve son plus bas niveau depuis 2003.
M. Francis Delattre. La CADES !
M. Yves Daudigny. Celui de l’ensemble des régimes obligatoires de base a été divisé par trois. La branche accidents du travail–maladies professionnelles est excédentaire depuis quatre exercices. La branche vieillesse le sera pour la première fois depuis 2004 – son déficit a été divisé par huit et celui de la branche famille est réduit des deux tiers.
Mes chers collègues, il suffit de constater que les choix responsables et les réformes engagées depuis 2012 donnent des résultats…
M. Francis Delattre. Elles sont financées à crédit !
M. Yves Daudigny. … et permettent d’inscrire la trajectoire financière de notre système de protection sociale dans une dynamique à nouveau positive.
Comment expliquer également que, après avoir demandé durant des années toujours plus d’économies, vous rejetiez aujourd’hui un ONDAM fixé à 1,75 % d’évolution des dépenses, au plus strict niveau de ce qu’il n’a jamais été ? Comment expliquer que vous décidiez de voter, au surplus, 600 millions d’euros non pas d’économies mais de charges nouvelles ? Le chiffre exact reste à vérifier puisqu’il y a déjà 800 millions d'euros sur la branche famille.
Nous regrettons – un regret qui me semble dépasser les travées du groupe socialiste et républicain – qu’une partie de cette assemblée se soit inscrite dans le symbole en présentant d’emblée un amendement de suppression de l’article 1er, pour, finalement, le retirer puisque l’objet de cet article se limite au constat des soldes pour l’année 2014 d’ores et déjà exécutés.
La suppression systématique de tous les autres articles – 26, 27, 28, 30, 34, 36, 38, 54, 55 et 56 – relatifs aux objectifs de recettes et de dépenses pour les années 2015 et 2016 procède de la même posture puisque vous n’ignorez pas que ces dispositions figurent obligatoirement dans la loi de financement annuelle. Il était possible et suffisant de voter contre ces dispositions. Les supprimer revient à priver les caisses de sécurité sociale de toute recette et à leur interdire toute dépense. Cela n’a évidemment pas de sens.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas brillant !
M. Yves Daudigny. Comment expliquer, au regard de l’exigence de justice sociale qui a présidé à l’élaboration de ce projet, qu’une partie de la Haute Assemblée supprime le paiement de cotisations sociales « au premier euro » sur les indemnités de rupture – autrement dit, les « parachutes dorés » –, à partir de 193 000 euros, pour le maintenir à 380 000 euros ? Comment expliquer que vous supprimiez le paiement de contributions sociales sur les dividendes versés aux dirigeants de SARL ? Comment expliquer la suppression de l’assujettissement aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine immobilier des produits de placement perçus en France par des personnes fiscalement domiciliées hors de France ? Enfin, comment expliquer que, à l’inverse, sont votés un recul de l’âge de départ à la retraite à 63 ans et l’instauration de trois jours de carence pour le personnel de la fonction publique hospitalière ?
Je serai juste : ce projet de loi de financement issu de nos débats comporte aussi pour 2016 des mesures majeures de restructuration des droits des affiliés, avec la création d’une protection universelle maladie et de l’architecture des financements – principalement gestion et recouvrement dans le régime des indépendants et modalités de financement des établissements de soins de suite et de rééducation –, sujets sur lesquels nous avons eu des débats constructifs.
De même ont été approuvées plusieurs mesures nouvelles relatives à l’accès aux soins et à la prévention, comme la gratuité et la confidentialité des actes liés à la prescription de contraceptifs pour les mineures, la gratuité du dépistage du cancer du sein pour les femmes à risque, la mise en place d’un mi-temps thérapeutique pour les travailleurs indépendants et la prise en charge d’actes de prévention de l’obésité chez les jeunes enfants. L’intérêt général y trouve parfaitement son compte.
En revanche, trois amendements défendus par le groupe socialiste et républicain, parmi la trentaine que nous avons présentés, ont réveillé une susceptibilité épidermique, qui a surtout eu pour effet de paralyser immédiatement l’ébauche même de toute discussion.
Pour ne pas accréditer le sentiment que ces propositions constituaient les rouages d’un plan machiavélique contre l’exercice libéral, je les ai retirés. Pourtant, il s’agissait simplement de rétablir l’obligation individuelle de participation à un service de permanence de soins, qui était en vigueur jusqu’en 2002. Il s’agissait aussi de la possibilité d’inscrire dans la convention médicale les recommandations de la Haute Autorité de santé, en particulier sur les objectifs de prescription et de recours aux médicaments biosimilaires. Il est certainement très regrettable que de simples recommandations, qui plus est, de la Haute Autorité de santé, suscitent une si vive réaction.
Mes chers collègues, ce projet de loi tel qu’il a été réécrit par la majorité du Sénat, laquelle a supprimé toutes les dispositions d’équilibre des comptes et refusé les mesures de maîtrise des dépenses pour en ajouter d’autres, mériterait peut-être un sévère « hors sujet » ! Nous ne pourrons donc pas l’approuver. Je le regrette, je le dis très sincèrement : les bons résultats obtenus,…
M. Éric Doligé. À vous entendre, il n’y a que de bons résultats !
M. Yves Daudigny. … dont nous devrions tous nous réjouir, auraient pu permettre à la Haute Assemblée, si elle l’avait voulu, de progresser encore plus dans les réformes. Tel n’a pas été le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, après l’effroi et la compassion, nous reprenons nos travaux, mais nous restons mobilisés et solidaires.
Nous devons aujourd’hui nous exprimer sur les orientations financières que nous pensons souhaitables pour le bon fonctionnement de notre système de sécurité sociale.
Le texte issu de l’Assemblée nationale comportait quelques bonnes propositions, visant améliorer et à simplifier l’accès aux soins, à lutter contre le non-recours aux droits.
L’individualisation de la gestion des droits à la protection universelle maladie est en ce sens une bonne mesure, tout comme le développement de l’accès à la contraception pour les mineurs, la lutte contre l’abus de certains médicaments ou encore l’extension du dépistage du cancer du sein.
Cependant, ces mesures, si nous les approuvons, ne peuvent pas faire oublier que certaines autres propositions faites pour réduire les déséquilibres des finances de la sécurité sociale ne nous paraissent ni soutenables ni justes. Je l’avais dit au début du débat et mon collègue Jean Desessard l’a rappelé en séance.
Notre modèle, fondé sur la solidarité de tous pour la protection de chacun, est régulièrement mis en danger par un déficit difficile à résorber.
Les chiffres d’équilibre budgétaire qui nous ont été fournis montrent que ce déficit a été réduit depuis quelques années. Si nous nous en réjouissons sur le fond, nous insistons fermement sur le fait que ces réductions ne peuvent pas se faire sur le dos des plus vulnérables et qu’elles ne peuvent être pérennisées que si l’on met enfin la prévention au cœur du dispositif de santé.
Nous avions d’ailleurs déposé plusieurs amendements en ce sens, concernant notamment l’accès aux soins et la santé environnementale. À cet égard, nous regrettons qu’ils aient été rejetés, alors même qu’ils auraient également permis de créer de nouvelles recettes pour la sécurité sociale.
Nous défendons depuis plusieurs années une taxation de l’aspartame ou de l’huile de palme qui inciterait les industriels à mettre en place progressivement des solutions alternatives ; cette question ne nous paraît ni marginale ni folklorique.
Je prendrai pour seul exemple l’huile de palme : curieusement, dans notre pays, cette huile est moins taxée que les autres huiles alimentaires, telles que l’huile de colza ou l’huile d’olive, qui sont pourtant souvent fabriquées en France et distribuées en circuit court. Notre proposition est de bon sens : il s’agit simplement d’aligner le taux de taxation de l’huile de palme sur celui des autres huiles.
M. François Grosdidier. Elle a raison !
Mme Aline Archimbaud. Certes, l’huile de palme n’est pas un poison ; en revanche, elle devient dangereuse pour la santé quand elle est surconsommée. Or tel est le cas dans notre pays,…
M. François Grosdidier. C’est juste !
Mme Aline Archimbaud. … car cette huile est présente dans des milliers de produits de consommation courante, alors même qu’il est avéré qu’une consommation massive de cette huile peut provoquer des maladies cardiovasculaires.
En outre, l’huile de palme est à l’origine d’un véritable scandale environnemental dans de nombreuses régions du monde. En Indonésie, l’un des principaux pays producteurs, on estime qu’une superficie de forêt équivalant à 300 terrains de football est défrichée chaque heure ; ce pays a d’ailleurs rejoint le peloton de tête des pays émetteurs de gaz à effet de serre.
À quinze jours de la COP 21, et j’ai eu l’occasion de le dire en séance, le Sénat aurait pu donner un signal d’engagement dans la lutte contre le dérèglement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
Il ne s’agit pas de remettre en question la petite exploitation familiale d’huile de palme, présente depuis longtemps en Afrique ou en Asie, mais de dénoncer la spoliation des populations locales par de très grandes multinationales : en s’emparant ainsi de centaines de milliers d’hectares, elles ruinent l’agriculture de subsistance de ces populations. Celles-ci deviendront-elles à leur tour des réfugiés climatiques ? (M. André Gattolin applaudit.)
Concernant le diesel, le débat n’a pas eu lieu lors de l’examen de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ; nous regrettons cette occasion manquée. J’espère néanmoins que nous pourrons avoir ce débat prochainement.
Enfin, s’agissant de l’équilibre général de l’ensemble du texte, il est plusieurs dispositions que nous ne pouvons approuver. Il s’agit, en particulier, de trois amendements, proposés et adoptés par la majorité sénatoriale, qui dénaturent selon nous le texte adopté par l’Assemblée nationale.
Je pense tout particulièrement à la suppression de l’article 7 bis et, avec lui, de la mesure prévoyant d’augmenter les cotisations sociales pour les bénéficiaires de parachutes dorés dans les grandes entreprises. En pleine crise sociale, alors que des millions de nos concitoyens sont dans la précarité totale, cette suppression constitue une véritable provocation.
Dans le même temps, par l’adoption d’amendements créant un article additionnel après l’article 51, on instituait trois jours de carence pour les agents de la fonction publique hospitalière. Cela nous semble très injuste pour une catégorie entière de fonctionnaires qui s’investissent corps et âme dans leur métier alors que leurs conditions de travail se dégradent sans cesse et que leur charge de travail augmente. Nous avons pourtant encore eu la démonstration, à la suite des événements tragiques de vendredi, de l’importance de leur engagement et de leur dévouement. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Enfin, et c’est l’un des points de désaccords majeurs de notre groupe avec le texte issu des débats au Sénat, un amendement créant un article additionnel après l’article 36 a été adopté, visant à porter à 63 ans l’âge légal de départ en retraite pour les générations nées à partir de 1957.
Il nous paraît inopportun de mettre en place une telle mesure dans ce cadre. La réforme des régimes de retraite ne peut pas se faire au détour d’un texte de financement ; elle mériterait des travaux préparatoires fournis et un débat beaucoup plus large et à part entière.
Vous l’aurez compris : le groupe écologiste ne pourra pas voter en faveur de ce texte, qui ne lui semble ni équilibré ni juste. Nous voterons donc contre la version sénatoriale de ce PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, en raison du ticket modérateur qui reste à leur charge, des dizaines de milliers de retraités modestes et de travailleurs ayant un petit salaire sont dans l’impossibilité d’aller chez le dentiste ou d’acheter des lunettes. C’est tout à fait inacceptable !
M. Jean-Pierre Caffet. À qui la faute ? C’est vous qui l’avez voté !
M. Jean Louis Masson. C’est également injuste quand on sait que, parallèlement, l’AME, l’aide médicale aux étrangers, donne la gratuité totale des soins aux immigrés même sans papiers ou même en séjour reconnu irrégulier. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.) Ne payant pas un centime, ils sont beaucoup mieux traités que les Français et ils en profitent largement. (Ouh ! sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. Dominique Bailly. Ça suffit ! C’est honteux !
M. Jean Louis Masson. Les autres pays européens acceptent de les soigner lors de maladies graves ou contagieuses mais il n’y a qu’en France où l’on va jusqu’à leur payer à 100 % les lunettes et le dentiste.
Un sénateur du groupe CRC. Honteux !
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. Démago !
M. Patrick Abate. N’importe quoi !
M. Jean Louis Masson. À cela s’ajoute le « tourisme hospitalier » d’étrangers qui viennent spécialement en France pour se faire soigner et qui, ensuite, ne payent jamais leur facture d’hôpital.
Mme Éliane Assassi. C’est une obsession, monsieur Masson !
M. Jean Louis Masson. Faut-il alors s’étonner qu’ils aggravent le trou de la sécurité sociale ? Ce trou, c’est malheureusement nous tous et nos concitoyens qui le payons avec nos cotisations.
Ceux qui vocifèrent aujourd’hui contre moi sont ceux qui voulaient déjà m’empêcher de parler il y a trois semaines (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe s’exclame également.)…
M. Dominique Bailly. Honte à vous !
M. Jean Louis Masson. … lorsque j’ai dit que les terroristes d’aujourd’hui sont issus de l’immigration d’hier. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Dominique Bailly. Oui, honte à vous !
M. Jean Louis Masson. Eh bien, regardez les noms et l’appartenance communautariste des auteurs de l’attentat de vendredi dernier.
Mme Éliane Assassi. C’est indigne d’un parlementaire !
M. Jean Louis Masson. Vous constaterez que les faits me donnent raison.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe du RDSE.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au terme de la discussion de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, reconnaissons que ce texte a profondément évolué : certains diront en bien, d’autres en mal.
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Gilbert Barbier. Je voudrais tout d’abord saluer l’important travail accompli par les rapporteurs et celui qu’ont effectué les deux commissions, la commission des finances et la commission des affaires sociales. Les discussions ont été approfondies, constructives et empreintes de respect, y compris en séance publique.
Les modifications apportées à de nombreux articles ont pour partie infléchi ce qui apparaissait comme le principal défaut du texte transmis par l’Assemblée nationale, à savoir son caractère de simple reconduction, à l’exception de quelques mesures nouvelles qui ont déjà été évoquées.
Comme à l’accoutumée, ce texte ciblait, pour ce qui concerne la branche maladie, la médecine libérale, les professions de santé et les dépenses de médicament ; s’agissant de la famille, il ciblait les classes moyennes.
Je voudrais saluer le rôle de conciliateur qu’ont joué le président de la commission des affaires sociales et son rapporteur général,…
M. Hubert Falco. Excellent rapporteur général !
M. Gilbert Barbier. … qui ont su maintenir un équilibre sur de nombreux points de ce nouveau texte.
La discussion qui s’est tenue en séance publique avec les différents membres du Gouvernement qui se sont succédé au banc s’est déroulée le plus souvent dans le respect des positions de chacun.
Je regrette néanmoins l’utilisation encore fréquente de l’argument suprême, qui consiste à faire porter le blâme sur les décisions de l’ancienne majorité. Si on peut, pendant un ou deux ans après l’accession au pouvoir, se reposer sur ce qui a été fait précédemment, je pense en revanche que, après trois ans et demi, il faut être plus positif et se tourner vers l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Autres temps, autres mœurs. Certes, par le passé, nous en convenons, tout n’a pas été fait d’une manière satisfaisante (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est le moins qu’on puisse dire !
M. Gilbert Barbier. … mais ceci ne peut excuser cela.
Il ne peut être question de reprendre ici l’ensemble des articles qui ont été amendés ou supprimés ; je ne relèverai que les plus emblématiques d’entre eux.
Tout d’abord, les articles d’équilibre ont été rejetés sur proposition de la commission des finances, du fait, essentiellement, des prévisions de recettes ou de dépenses assez aléatoires qui y étaient faites.
Ainsi, le texte initial escomptait une non-dépense de 1,8 milliard d’euros sur l’assurance chômage du fait de la réforme des organismes AGIRC et ARRCO, sur laquelle le Gouvernement n’a pourtant aucune prise.
Par ailleurs, les économies prévues sur la politique familiale entament l’universalité de la protection sociale, à laquelle nous sommes pourtant tous très attachés.
On peut à cet égard citer la mesure difficilement compréhensible consistant à reporter au troisième mois après la naissance le versement de la prime de natalité ; cela n’est qu’une manipulation de trésorerie et non une véritable économie.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Gilbert Barbier. La majorité sénatoriale a suivi le rapporteur Gérard Roche, qui proposait de reporter à 63 ans, à partir de 2019, le départ à la retraite à taux plein tout en maintenant les dérogations pour les carrières longues et pénibles. Cette décision se justifie : la branche vieillesse apparaît certes en équilibre pour cette année 2016, en raison des mesures prises par les gouvernements successifs ; pour autant, comme l’a sérieusement rappelé la Cour des comptes, cet équilibre est loin d’être pérenne.
Mon groupe, le RDSE, a vu avec satisfaction un certain nombre de ses amendements adoptés ou satisfaits.
Je pense à la suppression de l’article 21, le Sénat ayant retenu un dispositif différent qui instaure un nouveau crédit d’impôt en faveur des contrats de complémentaire santé spécifiques aux personnes âgées de 65 ans et plus.
Je pense également au rétablissement de la généralisation à toutes les activités du salarié de la déduction forfaitaire de 1,50 euro par heure travaillée pour les particuliers employeurs.
Je pense encore à la possibilité, pour les médecins ophtalmologistes, d’établir un contrat de coopération non pas avec tous les auxiliaires médicaux, mais avec les orthoptistes, ce qui, convenez-en, mes chers collègues, paraît éminemment raisonnable.
Ce texte va être examiné en commission mixte paritaire. Il est fort à craindre, sans vouloir préjuger quoi que ce soit, que nous allions vers un échec.
Je crains la volonté affirmée du Gouvernement et de sa majorité – à travers des textes comme celui qui a été rappelé à l’instant par M. Daudigny et que l’on retrouve également dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé – de réduire le système de santé libéral au profit d’une étatisation progressive. Je prendrai l’exemple de l’amendement présenté par le groupe socialiste et républicain visant à inclure dans les obligations conventionnelles les simples recommandations de la Haute Autorité de santé en matière de prescription de médicaments. Madame la secrétaire d’État, vous avez heureusement donné un avis défavorable à cet amendement, et je vous en remercie ici publiquement.
Un grand débat de société doit s’ouvrir : l’étatisation de la médecine serait-elle moins coûteuse et aussi performante que la médecine libérale qui, pendant un siècle et demi, a fait du système français le meilleur au monde ?
Selon la tradition de notre groupe, certains de ses membres, dont moi-même, voteront ce texte ;…
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Gilbert Barbier. … d’autres s’abstiendront ou voteront contre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis ce 13 novembre 2015, nous sommes d’abord dans l’effroi face à un monde indicible de haine et de violence. Si, en ce troisième jour de deuil national, nos pensées se portent inlassablement vers les victimes du carnage qui a dévasté Paris, nous devons continuer à vivre.
Aussi, me semble-t-il, en ces temps difficiles pour notre démocratie, nous avons le devoir de montrer aux yeux du monde une unité sans faille, une volonté soutenue de lutter contre ceux qui veulent détruire la France. Nous avons individuellement et collectivement l’obligation de servir avec humilité le bien commun.
Nous discutons aujourd’hui, depuis près d’une heure, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
Je dois simplement dire que, sur le fond – j’insiste sur ce point –, à savoir assurer à chaque femme et chaque homme qui se trouve sur le territoire national des soins correspondants à ses besoins – soins les meilleurs, soins les plus efficaces, et ce au moindre coût –, quasi l’ensemble des sénateurs, sur toutes les travées, sont d’accord.
Nous divergeons en revanche sur la forme, que ce soit sur les recettes ou sur les dépenses, sur les moyens d’équilibrer au plus vite et au mieux les comptes de notre protection sociale, dont les fondamentaux doivent être respectés.
Je vous rappelle d’ailleurs que, suivant les conclusions des rapporteurs, le Sénat a décidé de proposer le rejet des équilibres financiers de la sécurité sociale pour 2016, ainsi que les objectifs de recettes et de dépenses des différentes branches. Il a choisi la suppression de l’abaissement du seuil d’assujettissement aux cotisations sociales pour les indemnités de rupture, la généralisation de l’augmentation de la déduction forfaitaire à 1,50 euro pour les particuliers employeurs, quelle que soit l’activité de l’employé, l’exonération partielle de cotisations vieillesse pour les médecins retraités exerçant en zone sous-dense, l’allégement de charges sociales supportées en début de carrière par les jeunes agriculteurs, la suppression d’une mise en concurrence destinée à sélectionner les contrats d’assurance maladie complémentaire pour les personnes de plus de 65 ans – disposition qui risquait d’amplifier la segmentation entre les assurés – et, parallèlement, l’aménagement du dispositif de l’aide à la complémentaire santé pour permettre aux retraités les plus démunis d’avoir une complémentaire santé, la garantie du versement de la prime à la naissance avant la naissance de l’enfant, le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite pour le fixer à 63 ans au 1er janvier 2019 pour les générations nées après le 1er janvier 1957, l’instauration de trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière en attendant que, dans le projet de loi de finances pour 2016, cette mesure soit étendue à l’ensemble de la fonction publique.
Mes chers collègues, si, sur le fond, nous sommes d’accord, est-il utile en ce moment d’étaler aux yeux du monde nos divergences sur la forme ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l’UDI-UC.)
Je demande donc simplement aux sénateurs qui le souhaitent de voter ce PLFSS tel que la Haute Assemblée l’a voulu,…
M. Hubert Falco. C’est la voie de la sagesse !
M. Alain Milon. … afin que le Sénat montre la direction qu’il souhaite prendre pour le financement de la protection sociale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mmes Nicole Bricq et Catherine Génisson. On n’a pas le choix !
M. Alain Milon. Pour le reste, tous ceux qui ont participé au secours des blessés, des traumatisés de ces terribles événements ont été salués.
Permettez-moi, mes chers collègues, puisque nous examinons le financement de la sécurité sociale, de saluer en votre nom tous les médecins hospitaliers et libéraux – qu’on a trop tendance à opposer –, qui se sont unanimement mobilisés,...
M. Alain Fouché. Il a raison !
M. Alain Milon. ... qui, avec compétence et abnégation, ont apporté secours à tous, de saluer les personnels paramédicaux et sociaux hospitaliers et libéraux (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l’UDI-UC),...
M. Alain Fouché. Très bien !
M. Alain Milon. ... qui ont, sans compter, apporté soutien et compétence à toutes les victimes.
Le corps des soignants dans notre pays est remarquable, performant et dévoué. Il mérite qu’on mette de côté nos petites divergences pour lui montrer combien nous lui sommes reconnaissants. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Les terrifiantes attaques coordonnées du 13 novembre dernier veulent nous entraîner dans un cercle où la mort aurait plus de sens que la vie. Leurs auteurs veulent que nous nous taisions. Il est vrai que les mots peuvent paraître dérisoires. Ils ne le sont pas, car, aussi maladroits soient-ils, ils expriment la confiance dans le partage, l’écoute, l’expression : la liberté, l’égalité, la fraternité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur la plupart des travées de l’UDI-UC.)
Ouverture du scrutin public
M. le président. Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public sur l’ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
Ce scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Il aura lieu en salle des conférences, conformément aux dispositions du chapitre 15 bis de l’instruction générale du bureau.
Je remercie nos collègues Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles et Mme Colette Mélot, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.
Je rappelle qu’une seule délégation de vote est admise par sénateur.
Je déclare le scrutin ouvert pour une demi-heure et vais suspendre la séance jusqu’à seize heures quinze, heure à laquelle je proclamerai le résultat.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures quinze.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 59 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 188 |
Contre | 147 |
Le Sénat a adopté le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Charles Revet. C’est le Gouvernement qui va être content ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, qui est retenue à l’Assemblée nationale.
Je remercie l’ensemble des membres de la Haute Assemblée de la richesse des débats sur ce texte. Je salue en particulier les rapporteurs, ainsi que M. le président de la commission des affaires sociales. Je le souligne, c’est toujours un plaisir, pour Mme la ministre comme pour moi-même, de venir débattre dans cet hémicycle, où les discussions sont toujours apaisées et très dignes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Au moment de conclure mon propos sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, j’ai bien évidemment, comme vous tous, une pensée particulière pour l’ensemble des professionnels de santé. Je tiens à leur exprimer la gratitude de l’ensemble du Gouvernement. Nous sommes particulièrement fiers d’eux. Une fois de plus, ils ont été exemplaires et ont fait preuve de courage. À mes yeux, c’est bien la démonstration que notre système de santé est le meilleur au monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
5
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et républicain a présenté une candidature pour la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Corinne Féret membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de M. Jean-Pierre Godefroy, démissionnaire.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
M. Bruno Gilles.
M. le président. La séance est reprise.
6
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et le site internet du Sénat.
projet de révision constitutionnelle
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Gourault. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Vendredi soir, nous avons vécu une nouvelle tragédie. La douleur que nous ressentons tous est toujours intense.
Dans l’esprit d’unité nationale qui nous anime, nous ferons tout pour empêcher ces barbares de perpétrer de nouveaux crimes, et nous nous réjouissons de la coopération européenne et de la coordination internationale qui semblent enfin se mettre en place.
Nous souscrivons aux mesures annoncées hier par le Président de la République pour lutter contre ces fanatiques.
Nous voudrions cependant revenir sur un point : la révision de la Constitution.
Selon le Président de la République, les articles 16 et 36, qui régissent les situations exceptionnelles, ne seraient plus adaptés aux circonstances.
Nous en déduisons que le Président de la République considère que la Constitution, dans sa rédaction actuelle, ne permet pas soit d’adopter les mesures législatives qu’il appelle de ses vœux, soit de conférer au Gouvernement des pouvoirs durablement accrus. Nous aimerions avoir plus de détails, monsieur le Premier ministre.
Nous voudrions comprendre en quoi une réforme de notre Constitution est nécessaire. Des clarifications nous éviteront un débat réducteur : pour ou contre la révision constitutionnelle.
Par ailleurs, cette procédure lourde et longue ne doit pas nous faire oublier des sujets qui ont été moins abordés hier. Quelle relation entre la République et l’islam ? Quelles actions de prévention contre l’endoctrinement des jeunes ? Quelle politique d’intégration ? Quelle place pour les femmes ? Quelle place pour l’éducation et à culture dans ces perspectives ?
M. le président. Il faut conclure !
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le Premier ministre, nous savons comme vous que les Français attendent des mesures concrètes. Expliquez-nous comment cette réforme constitutionnelle serait à même de leur apporter les réponses. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui dans cet hémicycle après la réunion du Parlement en Congrès, où nous avons entendu le Président de la République s’exprimer dans un moment évidemment rare, mais indispensable, et à la hauteur de l’attaque que nous avons subie.
J’espère de tout cœur, sincèrement, qu’au-delà de nos différences, légitimes dans une vie démocratique, et même nécessaires, puisque c’est la démocratie qu’on a voulu atteindre, nous resterons tous – mais je ne doute pas que ce sera votre cas – au niveau de cette exigence.
Madame la sénatrice, vous avez raison de dire – M. le Président de la République l’a d'ailleurs souligné hier – que la réponse est de plusieurs ordres.
Il y a les plans diplomatique et militaire, sur lesquels nous reviendrons sans doute à l’occasion de la question posée par M. Jean-Pierre Raffarin.
Il importe aussi de prévoir des moyens supplémentaires. Nous avons fait déjà beaucoup, mais il faut continuer nos efforts en matière de sécurité, de création de postes de policiers, de gendarmes, et de renforcement des moyens de la justice, de l’administration pénitentiaire, des douanes. Il faut aussi des moyens de protection supplémentaires pour ces forces de l’ordre, en termes d’équipements, de véhicules, d’armes, d’immobilier. Dans le cadre de l’examen du projet de budget pour 2016, le Gouvernement proposera un amendement visant à permettre que ces engagements puissent être traduits immédiatement en loi de finances initiale.
Il y a aussi, bien entendu, la nécessité de se doter d’un certain nombre d’outils juridiques. Demain, le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sera présenté en conseil des ministres. L’Assemblée nationale en sera saisie jeudi, et le Sénat vendredi. Les présidents Jean-Jacques Urvoas et Philippe Bas ayant beaucoup travaillé – je ne doute pas de leur exigence –, nous œuvrerons ensemble pour que ce texte soit adopté le plus rapidement possible.
L’honneur de la démocratie, c’est de se battre avec la force du droit. Il y a le court terme : c’est l’état d’urgence et sa prolongation. Il doit y avoir une réponse de long terme. Oui, il faut apporter aussi une réponse juridique efficace, forte, aux défis que le terrorisme représente pour la démocratie !
Ainsi que le Président de la République l’a rappelé, notre Constitution prévoit des mesures permettant de faire face à des situations exceptionnelles – l’article 16 et l’article 36 –, mais elles qui ne sont pas adaptées à la situation que nous connaissons.
L’état d’urgence, qui est aujourd'hui la réponse de court terme que nous apportons, n’est donc pas prévu explicitement par la Constitution, même si le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître de ce dispositif en 1985. De notre point de vue, dans un contexte de guerre contre le terrorisme, le fonctionnement de notre démocratie nécessite de compléter notre Constitution. Il s’agit de permettre la mise en œuvre de mesures exceptionnelles n’apportant à l’exercice des libertés publiques que les restrictions strictement nécessaires à la garantie de la sécurité nationale. Ces mesures doivent être adaptées aux caractéristiques particulières de la menace terroriste, en particulier à sa durée. Une telle révision avait été proposée en 2008 par le comité Balladur.
Nous saisirons évidemment les présidents des deux assemblées. La volonté du Gouvernement est claire sur ce sujet, comme sur la déchéance de la nationalité, comme sur le droit de visa aussi pour les binationaux qui reviennent en France d’un pays où ils auraient pu accomplir des actes terroristes.
Ces trois éléments – sans doute y aura-t-il également d’autres propositions – devront être examinés avec l’état d’esprit qui est le nôtre, celui de l’union nationale, de la concorde et, bien entendu, de l’efficacité ; c’est ce que nous demandent les Français. Madame la sénatrice, je tiens à vous faire part de notre disponibilité pour travailler ensemble et avancer ensemble.
Enfin, et vous avez évidemment raison, toutes les questions qui ont été posées et les débuts de réponses qui ont été apportées après les attentats du mois de janvier restent plus que jamais d’actualité.
J’ai déjà eu souvent l’occasion de dire que ce serait un combat long, difficile. La priorité doit être donnée à l’éducation, à la culture. La lutte contre le terrorisme passe par le terrain extérieur, mais elle se déroule aussi dans notre pays.
Il faut lutter contre le salafisme, l’islamisme radical, le djihadisme, contre le fait que, dans le monde, des centaines de milliers de jeunes sont captés par cette idéologie totalitaire. C’est le cas chez nous, où ce phénomène concerne non pas quelques dizaines, mais sans doute plusieurs centaines, peut-être plusieurs milliers de jeunes. Il suffit de lire les rapports parlementaires qui ont été produits.
Ce combat contre le terrorisme est aussi, au fond, un combat sur nous-mêmes, au nom des valeurs de la République, en nous impliquant les uns et les autres et en mobilisant la société française. L’union nationale n’est pas uniquement celle des formations politiques ou des représentants de la Nation ; tous les Français doivent être mobilisés. En tout cas, je suis convaincu que c’est ce qu’ils attendent de nous. Vous pouvez être certaine que c’est la priorité du Gouvernement, madame la sénatrice.
Aujourd'hui, nous devons nous élever, être à la hauteur de cette exigence, ne pas retomber dans un certain nombre de débats qui ne sont pas à la hauteur de l’attente des Français. Vous pouvez en tout cas compter sur mon engagement, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
politique internationale après les attentats
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, dans ces circonstances graves, vous pouvez aussi compter sur notre groupe pour rester rassemblés autour des valeurs et des institutions de la Ve République, auxquelles nous sommes attachés. Nous le voyons bien, aujourd'hui, il faut nous rassembler autour de ces institutions.
Hier, lors du Congrès, « l’homme en charge de l’essentiel », pour reprendre l’expression du général de Gaulle parlant du Président de la République, nous a annoncé un fort changement dans la politique étrangère, notamment en ce qui concerne la situation en Syrie.
J’aborderai trois sujets. Les deux premiers sont très clairs.
D’abord, la définition de l’ennemi est claire : l’ennemi, c’est l’État islamique. Nous avons hiérarchisé nos adversités. Désormais, nous voulons une stratégie sur un territoire, avec un adversaire. Nous sortons du « ni Daech ni Bachar ».
Ensuite, le périmètre des alliances est aussi clair : nous voulons qu’il y ait une seule coalition. Cela implique l’intégration de la Russie, afin que nous soyons rassemblés sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Enfin, le troisième point a trait à la solution politique. C’est l’objet de ma première question, monsieur le Premier ministre. Que pensez-vous des négociations de Vienne ? Où allons-nous ? Comment – c’est, selon moi, l’élément majeur – peut-on associer les sunnites à l’exercice des responsabilités dans le territoire syrien ?
Monsieur le Premier ministre, quel bilan tirez-vous de nos frappes militaires ? En ce domaine, nous avons besoin de réponses précises, car nous sommes engagés dans une bataille qui exige l’efficacité. Les récentes frappes ont été spectaculaires. Pouvez-vous nous indiquer quels en sont les résultats et le bilan que vous faites de notre action militaire contre Daech ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, j’apprécie votre engagement. Vous avez rappelé nos principes républicains, la solidité de nos institutions, celles de la Ve République. Je partage l’idée que, dans de tels moments, le chef de l’État incarne effectivement l’essentiel. Je crois que c’est ainsi que nous avons ressenti hier les choses et, au-delà du Congrès, que nos compatriotes les ont perçues.
L’ennemi, c’est Daech. Nous n’avons jamais changé de position. (Murmures sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) L’ennemi, c’est Daech. L’État islamique nous a visés au mois de janvier 2015, parce que nous sommes la France. (M. Ladislas Poniatowski s’exclame.) Nous sommes un peuple debout qui parle au monde, un peuple libre.
Vous le savez, nous avons décidé dès 2014 d’intégrer une coalition, à laquelle nous avons contribué, afin de frapper l’État islamique en Irak. Nous l’avons fait avec le soutien d’un certain nombre de nos amis traditionnels, de pays de la région, à la demande du pouvoir irakien, avec le soutien aussi des Kurdes. Des résultats ont été obtenus sur le terrain, même si nous avons toujours dit que ce serait long et difficile et qu’il fallait d’abord contenir Daech.
Il faut aussi sans cesse rappeler que l’épicentre de l’État islamique est en Irak. C’est là où il est d’abord né, du démembrement de l’Irak, ainsi que des conséquences de l’intervention américaine. Mossoul est leur capitale. Ce n’est pas un village, vous le savez. Ce sont sans doute 300 000 habitants et des moyens financiers tout à fait considérables que Daech a accaparés et qui nourrissent aujourd'hui le terrorisme.
Nous avons décidé voilà encore quelques semaines, malgré les difficultés que cela peut représenter vu la situation en Syrie, de frapper Daech. C’est cela, notre objectif. Toujours. C’est l’ennemi.
J’étais moi-même voilà quelques semaines avec le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian au Caire, à Riyad et en Jordanie. Nous avons précisément dit – ce sont vos propos, ainsi que ceux du Président de la République – que Daech était notre ennemi. Nous continuerons donc à frapper.
Monsieur Raffarin, vous connaissez bien ces questions. Le ministre de la défense se tient évidemment à votre disposition. Les sites que nous frappons, comme nous l’avons notamment fait à Raqqa, sont des centres de commandement, des camps d’entraînement. Ils correspondent à des objectifs que nous avons définis. Je ne doute pas des résultats que nos avions ont obtenus. Mais, à ce stade, je veux rester prudent et discret, vu les circonstances et les autres frappes que nous avons à effectuer.
Par ailleurs, s’il y a un changement sur le périmètre des alliances, ce n’est pas du fait de la diplomatie française ; ce sont les circonstances qui l’ont imposé.
Il y a une prise de conscience dans d’autres capitales. Ce qui s’est passé au cours de la nuit de vendredi dernier à Paris renvoie à la série d’attentats qui ont frappé ailleurs, dans un certain nombre de pays, comme la Turquie ou le Liban.
Je pourrais aussi évoquer l’avion de la compagnie russe. Monsieur Raffarin, vous êtes fin observateur. Vous l’aurez remarqué, c’est seulement ce matin que, pour la première fois, le gouvernement russe a considéré qu’il s’agissait d’un attentat. Je ne doute pas que les Russes ont désormais décidé de frapper aussi Daech. Cela constitue un vrai changement. Jusqu’à maintenant, les frappes russes concernaient en priorité ce que l’on appelle l’opposition modérée à Bachar al-Assad en Syrie.
Je salue ce changement : le Président la République y voit une occasion nouvelle. La France et l’ensemble de la communauté internationale doivent la saisir, d’où la proposition d’une résolution au Conseil de sécurité.
Des rencontres auront lieu la semaine prochaine avec le président Poutine et le président Obama pour créer les conditions de cette coalition unique. Chacun doit y prendre sa place, tant les deux grandes puissances que les États de la région. Sans eux, rien ne sera possible.
Je ne veux pas oublier non plus le nécessaire soutien aux Kurdes, qui se battent sur le terrain avec une vaillance absolument extraordinaire. (Applaudissements.)
J’en viens enfin à la solution politique. Personne ne peut penser que l’on trouvera, à terme – j’insiste sur ce mot –, une solution dans cette région du Levant, marquée par la division entre sunnites et chiites, si Bachar al-Assad se maintient au pouvoir. Toute solution politique devra intégrer cet élément. C’est le sens du processus de Vienne. Certes, la réunion à laquelle Laurent Fabius a participé samedi dernier n’a sans doute pas encore produit les résultats que nous espérions. Toutefois, la constitution d’une large coalition sur le plan militaire permettra, je n’en doute pas, de faire avancer l’indispensable processus politique qui doit s’engager entre des éléments du régime actuel et l’opposition modérée.
Monsieur Raffarin, nos objectifs sont clairs : l’ennemi, c’est Daech. Il est nécessaire de disposer d’une coalition large. La France va pleinement y contribuer, tant par ses frappes que par les initiatives du Président de la République.
Nous devons également avoir une vision à long terme. Trop souvent, dans les interventions menées ces dernières années en Irak ou en Libye, s’il y a eu victoire militaire dans un premier temps, l’erreur a été de ne pas avoir pensé la suite. Nous commettrions une faute stratégique si nous nous en tenions uniquement aux frappes, à une opération militaire, sans penser à la suite, notamment en Syrie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le Premier ministre, on emploie beaucoup, dans ces circonstances, le mot de guerre. Si l’on parle ainsi, il faut aller jusqu’au bout. Soit une guerre de cette nature se gagne, soit c’est le malheur !
L’efficacité et le rassemblement sur le terrain sont absolument essentiels pour vaincre. Mais il faudra aussi plus de sécurité sur notre propre territoire, car on ne peut pas faire la guerre à Raqqa et expliquer que l’on va pouvoir vivre tranquillement en France, sans cette conscience des enjeux de sécurité.
Il nous faudra donc, tous ensemble, dans le rassemblement des institutions de la Ve République, mettre notre action à la hauteur de notre vocabulaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
grève des médecins
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour le groupe du RDSE.
M. Gilbert Barbier. Ma question s’adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Après le drame qu’a vécu notre pays vendredi, notre première pensée va évidemment aux victimes. Nous exprimons notre compassion aux familles et nos vœux de rétablissement aux nombreux blessés.
Dans la situation d’urgence exceptionnelle que nous avons connue, nous devons souligner l’engagement des services de secours et de santé, qui ont répondu de la plus belle manière en cette délicate circonstance.
Spontanément, des médecins, des infirmiers et des établissements privés ont proposé leurs services et se sont montrés disponibles, même si les établissements de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, l’AP-HP, ont pu faire face.
Plus accessoirement, chacun le sait, dès la connaissance du drame, les professionnels de santé et tous les syndicats médicaux ont suspendu le mouvement revendicatif qu’ils avaient entamé le matin même.
Aujourd’hui, le cours de la vie doit reprendre et, alors que l’Assemblée nationale va débattre cette semaine du projet de loi de modernisation de la santé, vous ne semblez pas écouter les oppositions unanimes qui se sont élevées et qui s’élèveront encore contre ce texte.
Pourtant, ce moment de cohésion nationale que chacun appelle de ses vœux offre l’occasion de rouvrir le dialogue.
Ma question est simple. Madame la ministre, envisagez-vous de reporter l’examen de ce projet de loi, ne serait-ce qu’au-delà du 11 février, date à laquelle sont prévus des états généraux de la santé, organisés sur l’initiative de M. le Premier ministre ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le sénateur, vous avez raison : vendredi soir, alors même que les attentats étaient encore en cours, mais également dans les heures et les jours qui ont suivi, les professionnels de santé ont été absolument extraordinaires et exceptionnels. Je me suis rendue dès samedi, et à plusieurs reprises depuis, dans les hôpitaux de l’AP-HP, les hôpitaux militaires et les hôpitaux de la petite couronne concernés, pour exprimer notre reconnaissance et notre fierté à ces professionnels.
Selon le dernier bilan établi, 221 personnes sont encore hospitalisées dans ces établissements, et 57 sont en réanimation. Pour les seuls hôpitaux de l’AP-HP, le pronostic vital reste engagé pour trois personnes au moins.
Bien entendu, nous devons saluer les professionnels de santé des hôpitaux, de même que les professionnels libéraux et établissements privés qui se sont montrés spontanément disponibles. Même si nous n’avons pas eu besoin de leurs services, je veux les remercier de l’expression de leur solidarité.
L’examen par l’Assemblée nationale du texte de modernisation de notre système de santé, qui devait commencer aujourd’hui, a été reporté de quelques jours. La discussion débutera jeudi, après l’examen du texte sur l’état d’urgence. J’en suis certaine, dans les circonstances que nous connaissons, chacune et chacun aura la volonté de faire en sorte que ce débat soit constructif et fasse apparaître les éléments d’un dialogue qui n’a jamais cessé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour la réplique.
M. Gilbert Barbier. Madame la ministre, je regrette que vous ne répondiez pas à ma question sur un éventuel report du projet de loi.
Si vous ne voulez pas retirer ce texte, retirez au moins son fameux article 18, qui divise le monde médical. Cela vous permettra de retrouver, je crois, une certaine cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
format de la cop 21 (conférence de paris sur le climat)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe écologiste.
M. Ronan Dantec. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la ministre, encore sous le choc des sordides attentats du 13 novembre, le gouvernement français a très vite décidé de maintenir la COP 21 à Paris, soulignant ainsi sa double volonté de ne rien céder sous la pression des terroristes et, surtout, de réaffirmer l’urgence d’un accord sur le climat.
Redisons-le ici à ceux qui pourraient penser qu’il y a aujourd’hui d’autres urgences que le changement climatique : sans stabilisation de la montée des températures sous les deux degrés centigrades, il ne sera pas possible de construire un monde de paix au XXIe siècle ! Faut-il aussi rappeler que les foyers terroristes se trouvent tous, aujourd’hui, dans des territoires durement éprouvés par le dérèglement climatique ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
À ce stade, les engagements des États sont encore insuffisants ; nous le savons. Aussi, l’une des spécificités intéressantes de cette conférence à Paris est de mettre clairement en exergue le rôle des acteurs non étatiques : associations, collectivités, organisations non gouvernementales… Nous avons insisté sur ce point dans la résolution que nous avons adoptée hier soir.
Ce rôle sera essentiel dans les prochains mois pour renforcer des dynamiques d’action concrète, pour crédibiliser un scénario sous les deux degrés et lutter ainsi contre le climato-fatalisme. C’était notamment le sens du sommet de Lyon, où nous avons eu l’occasion de vous accueillir avec le Président de la République, madame la ministre.
À ce stade, ces acteurs, qui se sont beaucoup investis dans la préparation de Paris Climat 2015, sont très inquiets à l'idée que l’inévitable renforcement de la sécurité autour de l’événement ne remette en cause leur visibilité et leur nécessaire expression.
Je sais que des décisions doivent encore être prises dans la semaine. Mais, madame la ministre, pouvez-vous d’ores et déjà nous assurer de la volonté du gouvernement français de maintenir la présence de ces acteurs, leur expression collective et les événements qu’ils portent, qui forment aujourd’hui le fer de lance de la lutte contre le dérèglement climatique ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le sénateur Ronan Dantec, après la tragédie qui vient de frapper notre pays, l’annonce du maintien de la conférence sur le climat est un grand moment d’espérance et de solidarité. Plus de cent chefs d’État et de gouvernement seront réunis le 30 novembre prochain. Aucun d’entre eux n’a annulé sa venue depuis vendredi. Au contraire, nous avons reçu de nouvelles réponses positives. Tous les dirigeants de la planète seront donc représentés, pour faire en sorte que cette conférence sur le climat soit enfin un succès.
Vous avez raison de poser la question de la place des citoyens, des associations, des entreprises et des territoires. Vous êtes nombreux, sur ces travées, à vous être engagés pour que des débats aient lieu dans vos territoires.
La présence de ces forces vives de la « société civile » est absolument nécessaire. D’ailleurs, lorsque des décisions ont été prises pour lutter contre la déforestation, les pollutions et la dégradation de l’agriculture, ou encore pour protéger les océans, ce sont très souvent les associations et les citoyens qui se sont mobilisés.
On peut distinguer trois types de manifestations lors de la conférence.
Dans la zone des Nations unies, on ne pourra rentrer qu’avec un laissez-passer et les contrôles seront stricts.
Pour les espaces Générations climat, qui seront ceux du fourmillement d’initiatives citoyennes et de la mise en commun d’expériences et de solutions que vous avez décrits, nous renforcerons bien évidemment les conditions d’accès.
Enfin, pour les manifestations qui se dérouleront sur l’espace public, nous devrons, en lien avec le ministre de l’intérieur, évaluer l’importance des forces de l’ordre nécessaires, afin que le renforcement de la sécurité ne s’effectue pas aux dépens de celle des citoyens dans d’autres zones sensibles du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
pacte de stabilité, politique de sécurité et politique sociale
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe CRC.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à faire part de toute mon émotion après les terribles attaques terroristes.
La France est en deuil. Le peuple tout entier est solidaire de toutes celles et de tous ceux qui souffrent aujourd’hui dans leur corps ou dans leur cœur.
Le Président de la République a annoncé hier un certain nombre de mesures, dont l’instauration d’un pacte de sécurité. Il a proposé, dans ce cadre, la création de 8 500 postes supplémentaires dans les domaines de la sécurité, de la justice et des douanes. Il a annoncé le maintien des effectifs de l’armée jusqu’en 2019.
Nos concitoyennes et concitoyens exigent en effet que leur sécurité soit assurée face aux actes de guerre terroriste. Ils veulent vivre en paix.
M. François Hollande a prononcé cette phrase d’une grande portée : « Je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri de Raincourt. Ce n’était pas la meilleure !
Mme Cécile Cukierman. Pour la première fois, ce que mes collègues et moi affirmons depuis 2012 est reconnu : le diktat budgétaire est contestable !
Il est affirmé clairement que le maintien et le renforcement des services publics exigent de sortir des contraintes d’austérité imposées par Bruxelles.
Il n’est plus question de montrer du doigt les fonctionnaires. Depuis vendredi, ce sont les services publics et leurs agents – policiers, soldats, pompiers, personnels des hôpitaux et des collectivités territoriales – qui font face à l’urgence et qui font vivre les valeurs de solidarité et de fraternité !
Monsieur le Premier ministre, confirmez-vous devant le Sénat que cet effort budgétaire ne s’effectuera pas au détriment d’autres budgets ?
Enfin, chacun sait que le terreau sur lequel se développe la radicalisation dans notre pays est celui d’une crise sociale et culturelle profonde. Les services publics de l’éducation, de la culture et du sport, de même que l’aide aux associations, doivent jouer un rôle essentiel.
Allez-vous desserrer l’austérité dans ces secteurs-clés pour que, demain et après-demain, les fractures de notre société s’estompent ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Cécile Cukierman, vous avez raison de le souligner : le Président de la République a insisté hier, de manière très concrète, sur le renforcement des forces de sécurité de notre pays, afin de mettre en œuvre une politique résolue de lutte contre le terrorisme, au service des Français.
Je vous le confirme, 5 000 emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes seront créés d’ici à deux ans, portant à 10 000 le total des créations d’emplois dans le secteur sur l’ensemble du quinquennat. Cela compensera évidemment ce qui s’est passé lors du quinquennat précédent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
La justice bénéficiera de 2 500 postes supplémentaires, notamment pour renforcer l’administration pénitentiaire. En outre, 1 000 créations d’emplois bénéficieront à l’administration des douanes, qui est également sollicitée, notamment pour le contrôle aux frontières.
Dès aujourd’hui, et jusqu’en 2019, les effectifs de nos armées seront stabilisés au profit des unités opérationnelles, mais aussi de la cyberdéfense et du renseignement.
Ces différentes mesures complètent celles qui avaient déjà été adoptées au profit de nos services publics de sécurité et de défense.
Cela ne s’effectuera évidemment pas au détriment des autres actions de l’État. L’effort supplémentaire devra être ajouté au budget, en particulier lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative, dans les semaines à venir.
En ce sens, le Président de la République a déclaré que le pacte de sécurité l’emportait sur le pacte de stabilité. La Commission européenne a d’ailleurs reconnu le bien-fondé des demandes de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
sécurité intérieure et lutte contre la radicalisation
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Pierre Sueur. « Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu », écrivait Charles Péguy.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Jean-Pierre Sueur. Devant l’imposture du djihadisme et l’horreur du terrorisme, nous devons nous battre avec les armes de la République, à commencer par la laïcité.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre de l’intérieur, il faut des mesures concrètes et efficaces. Je voulais vous demander de préciser celles que vous avez déjà prises ou allez prendre dans l’immédiat, autour de trois axes.
D’abord, mettre fin aux sites internet qui font l’apologie du terrorisme et du djihadisme. (M. Alain Bertrand applaudit.) La commission d’enquête du Sénat sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe a montré que c’était le principal facteur de la radicalisation.
Ensuite, donner plus de moyens à nos services de renseignement en matière de décryptage, afin de mieux percer les messages de ceux qui préparent ces attentats et, ainsi, de les prévenir et de les empêcher.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Enfin, interdire le départ de personnes radicalisées depuis la France vers la Syrie et appréhender toutes les personnes de retour de Syrie ayant participé à des actes terroristes ou à leur préparation.
C’est par des mesures concrètes que nous battrons nos ennemis !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Sueur, vous m’interrogez sur des points précis.
Que comptons-nous faire pour mettre fin à la diffusion de discours de haine sur des sites ou blogs internet qui appellent ou provoquent au terrorisme ? Tout simplement, appliquer la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui prévoit le blocage administratif des sites ! Ainsi, 87 sites et 115 adresses électroniques ont été bloqués. Nous travaillons d’ailleurs avec les opérateurs internet, notamment ceux qui sont situés dans la Silicon Valley, pour procéder plus rapidement au retrait. Cela fonctionne.
Que comptons-nous faire pour empêcher les départs ? Appliquer la loi du 13 novembre 2014, qui prévoit l’interdiction de sortie du territoire ! Ainsi, 190 interdictions ont été mises en œuvre depuis son adoption.
Nous avons également mis en place une interdiction de retour. Des étrangers ayant résidé sur le territoire national sont désormais empêchés d’y revenir. Dans le cadre des dispositions nouvelles que nous allons prendre, nous appliquerons cette disposition aux ressortissants binationaux.
Que comptons-nous faire plus généralement pour lutter contre le terrorisme, notamment pour réussir à lire les messages cryptés ? Appliquer la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui permet désormais aux services compétents d’entrer dans les ordinateurs, en mobilisant des techniques particulières qui n’étaient pas susceptibles d’être utilisées jusqu’à présent ! Ces techniques pourront être utilisées exclusivement dans la lutte contre le terrorisme. C’est le cas du suivi en continu des terroristes ou de l’analyse sur internet d’un certain nombre d’algorithmes.
Chacun l’aura bien compris, en dépit des débats que nous avons eus, ces techniques sont absolument indispensables. Elles permettront de déjouer les actes qui sont aujourd’hui préparés sur internet et dissimulés par les moyens de la cryptologie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
révision constitutionnelle et mesures de sécurité
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, dans l’épreuve, par-delà l’émotion, les Français montrent une fois de plus leur grandeur, leur dignité, leur force de caractère.
Hier, à Versailles, dans ce haut lieu de l’Histoire de France, la représentation nationale a exprimé l’unité de la Nation. Le Président de la République a annoncé des décisions. Beaucoup reprennent des propositions, récentes ou plus anciennes, que nous avions émises. C’était nécessaire !
Le Président de la République a également annoncé qu’il prendrait l’initiative d’une révision de la Constitution.
Notre collègue Jacqueline Gourault vous a posé une question ; vous n’avez pu y répondre de manière précise. En application de l’article 89 de la Constitution, il vous appartiendra de proposer au Président de la République une telle révision.
Que manque-t-il à notre Constitution pour être efficace dans la lutte contre le terrorisme ? Que proposez-vous de lui ajouter ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Roger Karoutchi. Très bien.
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur Philippe Bas, comme vous, je veux saluer une nouvelle fois la dignité et la force du peuple français.
J’ai eu l’occasion de souligner tout à l’heure à l’Assemblée nationale, dans une autre ambiance, combien nous devions être attentifs – Marisol Touraine l’a rappelé – à la situation des victimes.
Nous, nous allons vite, dans nos analyses et dans l’action. C’est ce que nous proposons, sous l’autorité du Président de la République.
Mais les Français sont choqués ; ils posent des questions, expriment des inquiétudes. Il y a de la peur. Il y a également, bien entendu, de la colère. Je veux penser aux victimes, à leurs familles, à leurs proches. Les corps n’ont pas été rendus ; les obsèques n’ont pas eu lieu. Il faut accompagner ces victimes.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Répondez à la question !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis du fond du cœur : les Français nous regardent. M. le président du Sénat commence toujours les séances de questions au Gouvernement, en rappelant qu’elles sont télévisées. Pourrions-nous au moins, surtout dans cette séance particulière, nous respecter les uns et les autres ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne donne aucune leçon. Je m’exprime calmement. Et c’est avec ce même calme que je répondrai à M. le sénateur Philippe Bas, si ceux qui ont voulu m’interrompre me le permettent encore. (Mêmes mouvements.)
M. le président. Répondez, monsieur le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je réponds, monsieur le président. Mais je le fais à ma manière, comme chef du Gouvernement ; chacun à sa place !
Une réforme constitutionnelle a été proposée par le Président de la République. Je comprends votre impatience. Nous trouverons, je n’en doute pas, le temps pour la préparer ; c’est la mission que le Président de la République m’a confiée.
J’ai déjà répondu à Mme la sénatrice Jacqueline Gourault sur la prorogation de l’état d’urgence ; je n’y reviens pas.
Nous voulons apporter une réponse juridique efficace au défi du terrorisme.
Comme M. le Président de la République l’a annoncé hier, nous souhaitons élargir les possibilités de déchéance de la nationalité. Le code civil permet cette déchéance pour une personne ayant acquis la nationalité française qui serait condamnée pour terrorisme, sauf si cela a pour effet de la rendre apatride.
La révision constitutionnelle proposée – nous aurons l’occasion d’y travailler – visera à étendre cette possibilité aux personnes nées françaises qui disposent de la double nationalité et qui ont été condamnées pour des faits de terrorisme ou pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Apporter une réponse juridique efficace au défi du terrorisme, c’est également créer un permis de retour pour les Français convaincus d’avoir participé à l’étranger à des activités en lien avec le terrorisme. Cela s’est fait au Royaume-Uni. D’ailleurs, des personnalités de l’opposition ont formulé de semblables propositions ; j’imagine qu’elles avaient bien dû réfléchir à la question constitutionnelle. L’obtention de ce permis de retour serait une étape obligatoire avant le retour sur le territoire national.
Telles sont les raisons ayant conduit le Président de la République à proposer la modification de la Constitution, qui constitue, comme il le soulignait, notre pacte collectif. Il s’agit de permettre aux pouvoirs publics d’agir conformément à l’État de droit contre le terrorisme de guerre.
Des propositions relatives au fichage d’un certain nombre de personnes ont également été émises. M. le ministre de l’intérieur a eu l’occasion de répondre sur ce point à l’Assemblée nationale tout à l’heure, et j’ai moi-même répondu à M. Laurent Wauquiez. Des réformes sont incontestablement nécessaires pour que de telles mesures puissent être conformes à notre droit constitutionnel.
Mettons les choses sur la table ! Vous avez émis des propositions ; nous avons engagé beaucoup de réformes. Si nous voulons avancer ensemble et nous montrer dignes de l’attitude du peuple français, refusons les invectives et les interruptions, pour rester droit debout, avec la volonté de répondre de manière efficace aux Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique.
M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, « droit debout », je veux vous dire que la Constitution est le pacte fondamental qui unit tous les Français. Il n’en est pas de plus élevé. On ne doit la réviser que pour des raisons impérieuses.
M. Alain Bertrand. Pour des raisons sérieuses et graves !
Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. Il y en a !
M. Philippe Bas. Les explications que vous venez de nous donner exigent davantage de précisions si vous voulez convaincre la commission des lois et le Sénat tout entier. Nous sommes naturellement disponibles pour y travailler avec vous.
Je le rappelle, notre Constitution a permis de lutter contre les attentats de l’Organisation armée secrète, l’OAS, de faire face aux troubles en Nouvelle-Calédonie ou de répondre à l’épreuve des émeutes dans les banlieues. Il ne me semble pas qu’elle vous empêche aujourd’hui de mettre en œuvre l’état d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. L’état d’urgence, c’est douze jours. La prorogation par voie législative, c’est pour trois mois.
La loi de 1955 avait été imaginée dans d’autres circonstances. Elle a été appliquée dans d’autres conditions. Rien n’est comparable avec la situation actuelle, qu’il s’agisse des événements de Nouvelle-Calédonie ou des émeutes urbaines de 2005, qui avaient conduit le Premier ministre d’alors, M. Dominique de Villepin, à recourir à ce dispositif.
Il s’agit à présent d’imaginer comment, à l’issue de cette période de trois mois, nous pourrons continuer à bénéficier d’un certain nombre d’éléments, en les intégrant dans la Constitution, notre loi fondamentale. C’est l’engagement du Président de la République. Le mien, c’est que nous puissions y travailler ensemble.
Nous sommes au début d’un processus, monsieur Bas. Je ne peux pas vous répondre avec précision sur chaque point aujourd’hui. Mais je ne doute pas que nous avancerons ensemble, dans la sincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du RDSE.)
politique étrangère et lutte contre daech
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Simon Sutour. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Le Président de la République, dans son adresse au Congrès à Versailles, a énoncé notre stratégie de lutte contre Daech sur les plans international et européen.
Elle s’articule autour de plusieurs volets. Vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, l’intensification de nos actions militaires est en cours. Elle a été illustrée par les deux derniers raids sur Raqqa et le déploiement d’un groupe aéronaval autour du Charles-de-Gaulle.
Mes chers collègues, dans ce combat difficile, il faut désormais passer à une phase plus collective. Ce n’est que par une stratégie concertée avec nos partenaires européens et, de manière plus large, avec nos alliés que nous parviendrons à vaincre Daech. C’est en ce sens que le Président de la République a demandé une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de proposer l’adoption d’une résolution proclamant notre volonté commune de lutter contre le terrorisme djihadiste.
Le Président de la République a également réaffirmé sa volonté de rassembler les différents acteurs au sein d’une grande coalition, car la dispersion des efforts et des contributions dans cette lutte est une faiblesse. C’est dans cette perspective qu’il rencontrera très rapidement le président Obama et le président Poutine.
La saisine de l’Union européenne, en vertu de l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne, demandant aux États membres aide et assistance dans ces circonstances, s’inscrit bien dans cette perspective. Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère, vient d’annoncer le soutien unanime de l’Union européenne et de ses États membres.
Monsieur le ministre, quel type d’aide ou de moyens la France, qui lutte déjà contre le terrorisme djihadiste sur plusieurs théâtres, compte-t-elle demander dès ce soir au conseil des ministres européens de la défense ? Quelles sont les conditions de cette grande coalition que la France appelle de ses vœux pour mettre fin à la menace ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Monsieur le sénateur Simon Sutour, vous l’avez rappelé, le Président de la République s’est exprimé sur ce sujet hier devant le Congrès, et M. le Premier ministre prend aujourd’hui la parole devant vous. Je souhaite vous apporter un certain nombre d’informations complémentaires.
L’action de la France doit se déployer, et se déploie sur plusieurs terrains, et à plusieurs niveaux.
D’abord, au plan militaire, des frappes ont été effectuées dès dimanche sur Raqqa ; vous l’avez rappelé. Cette ville est l’un des fiefs de Daech. Les frappes se poursuivront. Elles seront amenées à s’intensifier dans les semaines à venir. Cette nuit, nous avons frappé un centre de commandement et un camp d’entraînement. M. le Premier ministre vous a indiqué que le ministre de la défense vous apporterait les précisions nécessaires le moment venu.
Ensuite, nous avons besoin de poursuivre et d’intensifier la recherche d’une solution politique en Syrie. C’est tout le sens de la réunion de Vienne, à laquelle M. le ministre des affaires étrangères participait samedi.
Enfin, il faut une large coalition contre Daesh. Le souhait de la France, aujourd’hui comme hier, est que la Russie puisse y participer. Bien entendu, cela suppose de s’attaquer à Daech, aux terroristes, rien qu’aux terroristes, et non à l’opposition modérée, comme cela a pu être le cas par le passé. Le Président de la République se rendra à Washington et à Moscou pour rencontrer les présidents américain et russe.
J’en viens à la solidarité européenne. M. le ministre de la défense a demandé et obtenu ce matin, au conseil des ministres européens de la défense, un soutien unanime des États membres. Cela pourra se traduire de diverses manières, notamment l’intensification de l’action sur le terrain en Irak ou en Syrie, ainsi que l’engagement sur d’autres théâtres, notamment au Sahel ou en Centrafrique.
M. le président. Il faut conclure !
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Nous sommes donc actifs sur le plan militaire et diplomatique, dans la continuité de l’action de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
sécurisation des frontières
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre de l’intérieur, face au drame, nous serons là pour faire en sorte de prolonger l’état d’urgence. Nous serons là pour soutenir nos forces de sécurité sur les interpellations. Nous serons là chaque fois que vous prendrez des décisions d’expulsion. Nous serons là chaque fois que vous prendrez des décisions de fermeture. Nous serons là chaque fois que vous prendrez des décisions de déchéance de la nationalité française.
Mais un autre problème se pose aujourd’hui dans l’esprit des Français : la porosité de nos frontières n’a-t-elle pas favorisé bien des mouvements qui se sont révélés au final très nuisibles à notre sécurité ?
Vous avez déjà décidé de rétablir les contrôles aux frontières, monsieur le ministre. Toutefois, n’est-il pas temps de demander à nos partenaires européens, qui sont eux-mêmes frappés par des actes de terrorisme, de refonder, de réviser Schengen, pour faire en sorte que les frontières ne soient plus des passoires et que l’Europe soit protégée ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Roger Karoutchi, sur de tels sujets, il faut adopter une approche extrêmement pragmatique.
Nous avons rétabli les contrôles aux frontières avant que la crise terroriste ne se déclenche, pour des raisons qui tenaient à la COP 21. Nous avons mis en place, dans le cadre des contrôles aux frontières, des contrôles renforcés à partir du moment où la crise terroriste s’est déclenchée.
Y a-t-il un risque, dans le contexte terroriste qui prévaut, de voir des individus franchir les frontières de notre pays pour y commettre des attentats ? Oui. C’est la raison pour laquelle nous avons procédé à la mise en place de ces contrôles.
Est-il nécessaire de modifier le code frontières Schengen pour obtenir des pays de l’Union européenne la mise en place de contrôles systématiques et coordonnés ? Non ! C’est pourquoi je demanderai à Bruxelles, vendredi prochain, que ces contrôles systématiques et coordonnés soient mis en œuvre dans les meilleurs délais, c’est-à-dire dans les prochains jours, si l’Union européenne en accepte le principe. Dans ce contexte de crise terroriste, nous devons mettre en place ces contrôles, si nous voulons que le système d’information Schengen donne les résultats que nous sommes en droit d’en attendre.
Si l’on veut aller plus loin, c’est-à-dire mettre en place des contrôles obligatoires, il faut effectivement envisager une révision du code frontières Schengen. Quelle a été la position de la France sur ce sujet ?
En août 2014, nous avons demandé la mise en place de contrôles systématiques et coordonnés. L’Union européenne met beaucoup trop de temps à prendre les bonnes décisions. Et, quand elle les a prises, elle met des durées emphytéotiques à les appliquer. Cela suffit ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Bertrand applaudit également.) Il faut maintenant aller à l’essentiel et faire en sorte que les décisions soient prises. Ce sera l’objet de la réunion de vendredi.
L’instauration de contrôles obligatoires, c’est-à-dire la révision du code frontières Schengen, est possible. Mais il faut, là aussi, qu’une décision soit prise.
Vous le voyez, il n’est pas nécessaire de faire de la philosophie sur Schengen 2 ou Schengen 3. Il faut mettre en place ces mesures très concrètes : des contrôles systématiques et coordonnés aujourd’hui et, demain, des contrôles obligatoires. Voilà notre feuille de route ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, si tous les ministres de l’intérieur d’Europe avaient la même position que vous, les choses seraient peut-être plus simples ! Mais ce n’est pas le cas !
M. Didier Guillaume. C’est sûr ! Ils sont tous de droite !
M. Roger Karoutchi. Tant que ce n’est pas le cas, les frontières extérieures de l’Europe ne sont pas protégées ! Nous le voyons bien en Hongrie, en Macédoine ou ailleurs.
Voilà pourquoi votre position, qui consiste à dire qu’il ne faut pas chercher à changer brutalement la donne, parce que l’on peut prendre son parti de la situation actuelle, n’est pas tenable. Tant que l’Europe n’aura pas de frontières extérieures plus sûres, il faudra bien que la France assure elle-même sa sécurité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
aide aux victimes des attentats
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Claire-Lise Campion. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux.
Les actes terroristes qui se sont déroulés vendredi en plein cœur de Paris et à Saint-Denis ont été d’une violence inouïe. Quatre jours après ces événements tragiques, la Nation pleure ses victimes innocentes et leur rend hommage.
Ce drame a nécessité une mobilisation sans précédent. Le soir même, le plan blanc a été déclenché. Ce dispositif de mobilisation maximale, prévu pour les situations sanitaires d’urgence et de crise, a permis de faire face à l’afflux de victimes.
Nous saluons le courage et la bravoure dont ont fait preuve, une fois encore, les forces de sécurité, les experts de la police judiciaire, les personnels des hôpitaux et des services d’urgence, qui se sont mobilisés pour porter secours aux victimes et aide aux familles et aux proches.
Les personnels des établissements publics et privés et l’ensemble des professionnels de santé se sont spontanément mis au service des victimes. Nombre de nos concitoyens se sont mobilisés pour donner leur sang. Courage, civisme, solidarité : telles sont les valeurs qui soudent notre pays et font notre fierté !
Au début de l’année 2015, nous avions déjà pu mesurer l’efficacité des dispositifs de prise en charge immédiate des victimes. Aujourd’hui, les soignants soulignent qu’ils ont dû faire face à des blessures semblables à celles que l’on peut observer en temps de guerre. Les séquelles physiques, mais aussi psychologiques, sont terribles, pour les victimes comme pour leurs familles ; certaines vivent dans attente insoutenable.
Le drame appelait la mobilisation totale du Gouvernement. Une cellule interministérielle d’aide aux victimes et un centre d’accueil et d’information ont été installés à l’École militaire. Madame la garde des sceaux, pouvez-vous dresser un premier bilan de cette prise en charge et nous indiquer quels en seront les prolongements ? Comment l’État continuera-t-il d’accompagner les proches des victimes ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur quelques travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Claire-Lise Campion, nous partageons votre souci, qui est aussi celui de nombre de vos collègues, relatif à l’attention due aux victimes. Vous savez avec quel volontarisme nous avons veillé à construire une politique de suivi personnalisé des victimes. Outre les moyens que nous y avons consacrés, grâce à vous, nous avons pu inscrire dans la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales et dans la loi du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne ces dispositifs nouveaux de prise en charge et d’accompagnement personnalisé.
Face à la tragédie effroyable qui nous a frappés vendredi dernier, nous devions faire beaucoup plus et veiller à agir très vite et très bien. La mise en place de la cellule interministérielle d’aide aux victimes a permis de relever ce défi. Y participent les personnels des ministères de la justice, des affaires étrangères, de la santé, ainsi que de la sécurité civile. Nous avons aussitôt mobilisé nos partenaires associatifs, c’est-à-dire la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs, la FENVAC, l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, l’INAVEM, qui regroupe les associations d’aide aux victimes présentes sur tout le territoire, Paris Aide aux victimes et le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme.
J’ai réuni les différents intervenants ce midi pour établir un premier bilan. Les professionnels et bénévoles ont déjà répondu à plus de 7 000 appels. L’identification de 119 des personnes décédées a d’ores et déjà pu être réalisée et l’Institut médico-légal s’est engagé à effectuer très rapidement toutes les identifications, tout en garantissant les conditions scientifiques de sécurité. Enfin, 580 personnes ont été reçues à l’École militaire. Bien entendu, les 153 personnes blessées font l’objet de toute notre attention et peuvent disposer de nos services.
Durant le week-end, certains parlementaires, interpellés dans leur circonscription, nous ont sollicités. Sachez que le pôle parlementaire de mon cabinet est à votre disposition ; il en va de même du service d’aide aux victimes. Pour la suite, nous maintiendrons le même degré d’exigence pour la qualité de l’accueil, car le suivi devra être assuré sur le long cours. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous tenir informés de l’évolution de la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Mes chers collègues, M. Philippe Adnot a bien voulu retirer sa question, compte tenu des contraintes de temps. Elle sera reportée à une prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement.
Nous en avons ainsi terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 26 novembre, de quinze heures à seize heures, et seront retransmises sur France 3, Public Sénat et le site internet du Sénat.
7
Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du 12 novembre prennent effet.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
9
Débat sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement, organisé à la demande du groupe Les Républicains.
La parole est à M. François Baroin, orateur du groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Baroin, au nom du groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, eu égard aux événements tragiques de vendredi dernier, certains thèmes que nous allons aborder ce soir pourraient paraître décalés, mais la présidence a souhaité le maintien de ce débat pour montrer que la Haute Assemblée, sous son autorité, poursuivait son travail avec détermination, animée par la volonté d’éclairer l’opinion publique sur l’ensemble des sujets qui font la vie de nos compatriotes.
Il n’est pas douteux que la problématique de l’affectation des moyens, dans le contexte de l’augmentation des compétences que l’État envisage en matière de sécurité, nous amènera dans les heures qui viennent à évoquer le rôle et la place des collectivités territoriales, singulièrement des communes, dans le dispositif du pacte de sécurité souhaité par le Président de la République. Cette thématique rejoint la réflexion sur la dotation globale de fonctionnement, la DGF, et la responsabilité de l’État vis-à-vis des engagements pris à l’égard des collectivités locales dans le transfert des financements destinés à mener des politiques publiques de proximité.
Il n’est pas envisageable d’aborder ce débat sur la réforme de la DGF sans évoquer le contexte particulier de nos finances locales. La décision du Gouvernement de diminuer à hauteur de 30 % les dotations de l’État plonge les collectivités que nous représentons dans une situation très délicate. L’investissement public a chuté brutalement, et les perspectives pour 2016 confirment cette décroissance. Toutes les estimations convergent vers le même chiffre : une baisse de 30 % de l’investissement public à l’horizon 2017, c'est-à-dire à l’horizon de la borne supérieure de la période triennale de la dernière loi de programmation des finances publiques.
Or le modèle économique de notre pays repose sur les deux piliers que sont la consommation et l’investissement. Pour ce qui concerne la consommation, elle connaît des hauts et des bas en fonction des saisons et des périodes, la période dans laquelle nous allons entrer constituant un point d’interrogation supplémentaire. Quant à l’investissement, dans un pays ouvert comme le nôtre, l’investissement privé est assez faible, et les événements dramatiques que nous vivons auront des répercussions sur la logique de préservation de l’investissement, occasionnant peut-être des retards en l’espèce. Pour ce qui est de l’investissement public, dernier levier sur lequel nous pouvons agir collectivement, la première lecture de la première partie du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale a mis en exergue à quel point l’État investit peu. Ainsi, même en l’estimant très généreusement, il n’excédera pas 11 ou 12 milliards d’euros en 2016, sur un investissement public total de près de 60 milliards d’euros. Les collectivités locales assument la différence, dont 60 % sont assurés par le bloc communal.
Je rappelle qu’une baisse de 10 % de l’investissement public entraîne une perte de 0,2 point de croissance, et qu’une diminution de 30 % sur trois ans représente une perte de 0,7 point de croissance, soit presque l’équivalent d’une année moyenne de croissance, puisque, sur l’exercice 2015, la croissance nationale atteindra probablement 1% ou 1,1 %.
Ces chiffres permettent de prendre toute la mesure du désastre qui est en train de se produire sous nos yeux. Nous appelons l’État, que vous représentez, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, à corriger cette trajectoire, dans le cadre d’une volonté partagée.
Par ailleurs, le pacte de sécurité – je le soutiens pour ma part – annoncé par le Président de la République justifiera pleinement, peut-être à votre échelon, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, certainement à celui du Premier ministre et probablement à celui du Président de la République, d’aborder la question de l’efficacité de l’accompagnement des politiques publiques soutenues par les collectivités locales, sur ce sujet sécuritaire comme sur d’autres, afin d’ouvrir le débat sur la programmation triennale qui n’est pas tenable, dans le cadre de négociations avec Bruxelles concernant le pacte de stabilité.
Cette décision se traduira également par la redéfinition du périmètre des services publics locaux. À l’occasion de l’examen du premier projet de budget qui a suivi les élections municipales et orienté un certain nombre de choix, les collectivités locales ont dénoncé un transfert de l’impôt national vers l’impôt local. De ce point de vue, l’argumentaire qui a structuré le projet de loi de finances pour 2016 actuellement en discussion au Parlement ne tient pas, car les mesures prises pour corriger la sortie d’une partie des contribuables de l’impôt sur le revenu vont de nouveau entraîner un transfert vers l’impôt local.
Quelque 30 % des collectivités communales et intercommunales ont déjà augmenté les impôts malgré elles. Aucun élu, de gauche comme de droite, n’a fait campagne au moment des élections municipales sur le thème de l’augmentation des impôts – celui qui l’aurait fait aurait peu de chances d’être aux responsabilités aujourd’hui ! Tous souhaitent demeurer fidèles à leurs engagements, même si beaucoup n'ont pas pu l’être. Or les collectivités locales ont annoncé leur intention d’augmenter la fiscalité, je le répète malgré elles, d’environ 30 % dans le budget pour 2016, entraînant une augmentation de la pression fiscale qui va effacer encore plus les annonces effectuées à l’échelon national.
Je crois important de rappeler devant la Haute Assemblée que 53 % à 54 % des foyers fiscaux sont dégrevés des impôts locaux. Mais à force de revenir méthodiquement sur la progressivité de la fiscalité nationale, ce sont les mêmes personnes que l’on accable. Les classes moyennes inférieures et supérieures, c'est-à-dire des gens qui sont trop riches pour être pauvres ou trop pauvres pour être riches vont subir un transfert d’imposition sur le plan local. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ces éléments sont objectifs, indépendants de tout regard politique. Ils sont le résultat d’études et d’enquêtes menées par la Banque postale, par différentes instances, parfois sous l’autorité des directions d’administration centrale du ministère de l’intérieur, de Bercy. Même la Cour des comptes vous a alertés il y a quelques semaines, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, dans un rapport très clair sur la responsabilité de l’État dans l’effondrement annoncé de l’investissement public.
Ces éléments sont aujourd’hui sur la place publique ; ils ne sont pas suspects d’interprétation ou d’orientation. Ils devront nous amener à nous réunir, afin de revenir sur le calendrier de la réforme de la DGF. Les associations d’élus l’ont demandé au Gouvernement à plusieurs reprises. Permettez-moi d’ailleurs de saluer la présence dans cet hémicycle de Caroline Cayeux, ainsi que de bon nombre de représentants des bureaux exécutifs d’associations.
Cela étant, personne ne conteste la nécessité de revoir les règles de la dotation globale de fonctionnement, d’en redéfinir le périmètre et la péréquation qui soutient très activement une bonne partie des budgets. Mais nous ne comprenons pas, même après l’annonce récente du Premier ministre, pourquoi le Gouvernement s’est obstiné, nuitamment, à vouloir discuter de ce sujet par la voie d’un amendement déposé au projet de loi de finances, projet de loi qui, de surcroît, est examiné au moment de la mise en place, à la demande des préfets et sur vos instructions, madame la ministre, des schémas départementaux de coopération intercommunale.
J’ajoute que nous n’avons pu consulter que tardivement les simulations proposées par Bercy. Je voudrais rendre hommage au président Larcher, qui a pris la décision courageuse, en lien avec le rapporteur général, de mandater des représentants de la Haute Assemblée pour effectuer un contrôle sur pièces et sur place à Bercy destiné à récupérer des simulations que nous étions en droit d’examiner suffisamment en amont afin d’en discuter avec nos représentants.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas un argument !
M. François Baroin. Pourquoi continuer de proposer une discussion sur des principes, sachant que les modalités ne seront applicables qu’en 2017 – et nous l’espérons évidemment un peu plus tard – et que toutes les simulations auront alors explosé en plein vol en raison de l’importance du mouvement de la coopération intercommunale ? Le périmètre de la DGF aura changé. Ce sera peine perdue ! Nous allons perdre beaucoup de temps !
J’ai salué l’initiative du Premier ministre qui a entendu le message collectif du Sénat et des associations d’élus, et a reporté l’application de la réforme en 2017. Mais dans mon élan généreux de compliments, j’avais oublié que nous n’avions aucune visibilité au-delà de 2016 ; nous ne disposons d’aucun élément pour les années n+1 ou n+2 ! Par conséquent, nous nous trouvons dans l’incapacité de définir une méthode, des objectifs, dans le cadre d’un calendrier que nous ne maîtrisons pas, pour des plans d’action municipaux ou intercommunaux.
La bonne politique serait probablement de considérer que les principes doivent être discutés en même temps que les modalités d’application. Voilà le message que nous vous adressons, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, et que nous vous prions, avec le respect que nous vous devons, de bien vouloir transmettre au Premier ministre : encore un effort ! Vous avez fait 80 % du chemin ! Puisque nous allons discuter de ces modalités financières, étudions les principes à l’occasion de l’examen d’un seul et même texte au printemps !
Les schémas départementaux de coopération intercommunale seront stabilisés à la fin du mois de février. Ils seront mis en place – une certaine « digestion » est nécessaire – courant mars, nous ouvrant une fenêtre de tir entre les mois de mars et de juin pour examiner raisonnablement et avec responsabilité ce sujet.
Je veux enfin attirer l’attention de la Haute Assemblée sur l’article 72-2 de la Constitution de notre République…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. François Baroin. … qui dispose : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement […] Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. » Or nous sommes nombreux à considérer que, dès 2016 – il en sera sans doute de même l’année suivante –, la loi de finances remettra en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Nous vous alertons solennellement, ce soir, au cours de ce débat sur la dotation globale de fonctionnement, sur les risques d’asphyxie et de remise en cause d’un principe essentiel dans notre loi fondamentale. Nous prenons donc date ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a évidemment des moments où le temps se suspend, où les controverses politiques ou techniques qui nous animent parfois doivent s’effacer derrière l’indicible, l’inacceptable.
La conférence des présidents avait, de longue date, à quelques heures de l’ouverture prévue du congrès des maires de France, fixé ce rendez-vous. Nous devions parler des dotations attribuées aux collectivités locales, dans le prolongement du rapport Germain-Pires Beaune et dans la perspective immédiate de la discussion, au Sénat, du projet de loi de finances pour 2016.
Les événements qui se sont produits vendredi dernier au Stade de France, cet équipement majeur que nous avions choisi de construire, voilà vingt ans, dans une banlieue meurtrie par la désindustrialisation, et dans les quartiers populaires de l’Est parisien, où se côtoient jeunesse étudiante, jeunesse active et entreprenante, population faubourienne et familles d’origine étrangère, ont modifié l’ordre des choses et conduit au report du congrès des maires.
Il nous reste l’urgence de ce débat qui, d’une certaine manière, anticipe celui qui est relatif au projet de loi de finances.
Il y a un moment où l’évidence des faits impose de modifier les habitudes de pensée et d’action, notamment au plus haut niveau.
Il y a un moment où les discours sur l’excès de la dépense publique, sur la nécessité de tenir nos engagements européens, sur la réduction des déficits publics se heurtent de plein fouet à la réalité.
Comment parler d’excès des dépenses publiques quand on constate que, un jour de grève des médecins contre le projet de loi relatif à la santé, tous les personnels hospitaliers, y compris ceux qui bénéficiaient a priori, en cette fin de semaine, d’un congé, sont venus en masse pour aider les équipes confrontées à l’horreur des attentats ?
Ce sens aigu du service public, qui anime également les pompiers de Paris, les forces de police et de sécurité, il nous faut le saluer dans cette enceinte à sa juste valeur, une valeur essentielle pour la République, pour la France.
Réduction des déficits publics, nous dit-on ? Mais ne va-t-il pas falloir mobiliser des moyens tant pour les opérations extérieures – M. le Premier ministre l’a confirmé cet après-midi –, dont le coût a déjà fortement progressé, que pour la sécurité intérieure du pays ? Ne faut-il pas se poser la question de notre détermination à résoudre les maux dont notre société est frappée, en mobilisant les moyens matériels et humains dont nous disposons, et qui résident autant dans notre police républicaine, une police de qualité, que chez les agents du service public de l’éducation ou ceux du service public de l’emploi qui, dans l’apparente routine du quotidien, accomplissent une tâche immense, et en maintenant une vie associative, riche de ses bénévoles, mais ayant besoin de notre soutien ?
Nous devons nous interroger sur le contexte dans lequel s’est forgée la folie meurtrière de ceux qui ont arrosé à l’arme de guerre les terrasses de restaurants et de cafés parisiens et attaqué à la grenade et au fusil d’assaut l’une des salles de spectacle les plus fréquentées de la capitale.
Les auteurs de ces actes ont, pour la plupart d’entre eux, vécu dans l’une des communes déshéritées de l’agglomération bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean, un faubourg ouvrier de Bruxelles, qui est devenu, au fil de la transformation de la capitale belge en capitale des institutions européennes, un véritable ghetto de la misère, accueillant des populations étrangères de plus en plus pauvres et précarisées dans un univers de désindustrialisation forcenée et de spéculation immobilière galopante. Cette banlieue occupe en effet l’avant-dernière place de toutes les communes de Belgique pour ce qui concerne la modestie des ressources de ses habitants. Quel terreau fertile, on l’imagine, aux idées les plus dangereuses !
Ce détour par la Belgique nous ramène plus encore à la situation de notre pays. Rien ne nous permet en effet de penser que la France est à l’abri de telles difficultés.
Certes, les communes de notre pays sont bien plus nombreuses que les communes belges – celles-ci sont au nombre de 589 –, où les efforts de regroupement plus ou moins consentis ont abouti à la simplification du paysage urbain. Mais nous avons, nous le savons aussi, des territoires urbains et des cantons ruraux qui sont très largement frappés par les difficultés qu’y rencontrent les populations. Désindustrialisation pour les uns, dépérissement pour les autres : tels sont les deux symptômes qui marquent les territoires de l’ensemble du pays, avec l’émergence d’inégalités spatiales et géographiques, conduisant bien souvent à la ségrégation sociale.
Nos villages et nos cantons ruraux comptent sans doute aujourd’hui bien plus d’ouvriers et d’employés que de paysans, et les villes ouvrières ont connu des mutations sensibles de leur population. Les activités productives ont fait place, dans bien des cas, à des activités de services ; la société est ainsi dotée à la fois de ses créateurs, de sa matière grise, comme de ses salariés plus ou moins déclassés, car confinés à des fonctions secondaires.
La dotation globale de fonctionnement pourrait-elle devenir l’instrument de correction de ces inégalités ? Le rétablissement de l’égalité entre les territoires et leurs habitants ne saurait s’opérer avec le seul prélèvement de 36 milliards d’euros en 2015 – 33 milliards en 2016 –, moins de deux points de PIB, que constitue cette dotation, d’autant que celle-ci a subi au fil du temps des modifications, qui rendent sa répartition complexe et opaque.
Créée à l’origine pour compenser des impôts retirés aux collectivités, la DGF a été fortement réduite tout au long des dernières années : réforme et gel de la dotation en 1993, mise sous enveloppe normée en 1995, majoration de dotations compensatrices, retirées aux collectivités locales elles-mêmes, en 2004, gel à la fin des années 2000 et, désormais, mise à contribution pour participer à la réduction des déficits publics. Elle a beaucoup perdu de ses capacités financières : plus de 2,5 milliards d’euros de pouvoir d’achat de 2004 à 2014.
Quant à l’outil de réduction des inégalités spatiales et sociales par excellence, ce ne peut être que l’impôt national ! Ce sont la juste contribution des ménages à raison de leurs possibilités, la juste contribution des entreprises au titre de leurs activités économiques et financières et en fonction de leurs résultats qui restent et demeurent le moyen le plus efficace de lutte contre les inégalités.
La dotation globale de fonctionnement doit donc permettre aux collectivités territoriales de disposer des moyens nécessaires à leur action, à la réponse qu’elles peuvent apporter aux attentes et aux besoins des populations. Une partie de la réponse, devrais-je plutôt dire... En effet, à considérer la seule situation de ma propre ville, que constate-t-on ?
Entre 2001 et 2014 – il faut remonter un peu plus loin dans le temps –, la dotation globale de fonctionnement versée à ma ville est passée de 12 % de ses recettes à moins de 9 % aujourd’hui, quand, dans le même temps, la participation des habitants, impôts et contributions pour service rendu, passait de 25 % à 40 % de ces mêmes recettes de fonctionnement.
La réduction du montant de la DGF notifiée depuis le vote de la loi de programmation des finances publiques a déjà eu des effets récessifs, et il est même probable que ces effets ont coûté plus à la société et à l’économie dans leur ensemble que l’effet induit par la réduction de la dotation. Je pense que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’incidence des réductions des dotations aidera le Gouvernement à mesurer la nocivité de cette mesure non seulement pour les collectivités territoriales, mais aussi pour notre économie et, par voie de conséquence, le budget de l’État.
Lors d’une récente audition, l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, a considéré que la baisse des dotations à hauteur de 11 milliards d’euros se traduira par une perte de 0,55 % de PIB.
À qui fera-t-on croire que notre économie et nos comptes publics se sont mieux portés en 2014 qu’en 2004, avec un montant de la DGF inférieur à celui d’il y a dix ans ?
La décentralisation est mise à mal depuis déjà un certain nombre d’années avec les transferts sans ressources équivalentes aux nouvelles charges à assumer. Avec cette participation forcée des collectivités territoriales à la réduction des déficits, on atteint un niveau de pression inégalé sur les choix de nos collectivités. Nous vivons en état d’urgence absolue pour retisser le lien social, conforter et consolider le vivre ensemble, donner à la société les premiers éléments qui font d’elle une société et non une confrontation entre les ethnies, les catégories sociales, les classes d’âge, ou encore les différences religieuses.
Le terreau de la démocratie à la française, le ferment sans cesse renouvelé et novateur, tout ce sur quoi nous nous appuyons, c’est l’exercice du pouvoir local, au plus près des habitants et de leurs aspirations. Il est grand temps que la dotation globale de fonctionnement redevienne cet élément du financement de l’action locale, cet outil dont les élus locaux, choisis entre les citoyens par les citoyens eux-mêmes, font usage pour répondre aux besoins du quotidien et pour donner à leurs administrés des perspectives d’avenir.
En France, nous avons la chance de compter plus de 500 000 élus locaux, un demi-million de personnes qui se sentent, à des degrés divers, impliquées dans la vie de leur village, de leur quartier, de leur ville, soucieuses d’y agir dans l’intérêt général. Ces 500 000 élus ne constituent pas, de mon point de vue, ce que certains appellent souvent avec dédain la « classe politique ». Ils accomplissent le plus souvent ce mandat, ce bénévolat, dans le plus parfait anonymat. Ce sont ces premiers acteurs qu’il nous faut mobiliser pour faire reculer dans notre pays les divisions factices appelées à devenir meurtrières, dans le cadre de l’action locale déterminée en faveur de l’école, de la qualité de la vie, de la culture, du sport, et je pourrais citer bien d’autres domaines encore.
Pour ce faire, il convient, dès aujourd’hui, de revenir aussi sur les lois qui vont réduire les départements à une sorte de « super-bureaux » d’aide sociale, dépourvus de moyens dans la mesure où le projet de loi de finances pour 2016 prévoit de transférer 4 milliards d’euros de recettes fiscales vers les régions.
Nous vivons en état d’urgence absolue, une urgence qui nous impose aujourd’hui de tourner le dos à la logique de réduction des déficits publics par la diminution de la dépense publique et, par voie de conséquence, des dotations aux collectivités locales. Nous avons besoin d’une DGF remise d’aplomb pour que les élus locaux disposent des moyens de leur action, de même que nous réclamons un effort particulier pour réformer les finances locales. Mais nous manquons aussi d’argent pour mettre en œuvre des solutions alternatives à l’incarcération des plus jeunes délinquants, répondre à la détresse sociale, mettre en place une véritable politique de la ville audacieuse.
Il n’y a pas de territoires perdus de la République, contrairement à ce qu’affirment certains. D’ailleurs, si tel était le cas, nous n’aurions pas, dans nos banlieues, cette créativité, cette puissante aspiration au changement, cette solidarité qui font pièce à un quotidien qui pousse au repli sur soi et fait perdre toute illusion. C’est au plus près du peuple de ce pays, avec l’implication des élus locaux et des associations dans la vie de la cité que nous trouverons, plus sûrement encore qu’avec le seul renforcement des nécessaires moyens de lutte contre le terrorisme, les outils, les voies et moyens qui donneront sens à la France, à l’égard de tous ceux qui ont l’impression d’avoir été abandonnés.
Élue de terrain dans une ville populaire, plus riche de sa tradition ouvrière et de ses luttes que du fait du revenu ou de la fortune de ses habitants, je ressens au premier chef les aspirations dont je viens de parler, de même que je perçois les incompréhensions et appréhensions face aux choix politiques et budgétaires qui, ces dernières années, n’ont pas fait place au service public.
Aujourd’hui, le Gouvernement propose dans le projet de loi de finances pour 2016 une réforme de la dotation globale de fonctionnement. Nous pouvons apprécier la mise en place d’une dotation de base, demande que nous avons régulièrement défendue et que Jean Germain et moi-même avons portée dans nos départements. Mais le Gouvernement n’a pas entendu, me semble-t-il, les réflexions qui remontent des collectivités elles-mêmes.
La diversité de nos territoires, les obligations qu’ils doivent assumer en fonction de la situation de leurs populations ou de leur réalité géographique n’ont pas retenu son attention.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-France Beaufils. Revoir la dotation globale de fonctionnement au moment où le Gouvernement en réduit l’enveloppe générale rend particulièrement difficile la préparation d’une réforme. Nous pensons vraiment que la réduction des inégalités entre nos territoires, entre les communes, et la mise en place des ressources adaptées en fonction de leurs besoins supposent une ressource qui pourrait s’appuyer sur les richesses financières accumulées sans lien immédiat avec la production.
C’est une ressource qui donnerait véritablement les moyens de repenser l’accompagnement solidaire dont ont besoin les territoires les plus fragiles. C’est pourquoi il convient de se donner le temps de travailler à cette réforme, comme l’avait souhaité le Comité des finances locales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a souhaité maintenir le débat sur la réforme de la DGF, alors même que le congrès des maires auquel ce débat entendait faire écho a été ajourné à la suite des événements tragiques qui ont eu lieu vendredi dernier. Cet échange aurait pu trouver logiquement sa place lors de l’examen de l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016, dont nous commencerons l’examen jeudi prochain.
M. François Baroin. C’est justement ce que nous ne voulions pas !
M. Claude Raynal. Mais, après tout, puisque nous y sommes invités, profitons du débat de ce soir pour confronter nos constats et pour tracer quelques perspectives.
Je ne m’appesantirai sur la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques (M. Albéric de Montgolfier s’exclame.), car la position du groupe socialiste et républicain n’a pas varié depuis l’an dernier : nous aurions souhaité que le rythme de la diminution des dotations soit revu pour tenir compte du caractère très rigide des dépenses des collectivités territoriales. Reste que nous comprenons les engagements de l’État, ainsi que la participation des collectivités territoriales au redressement des finances publiques à hauteur de la part qu’elles représentent dans le budget de la nation.
J’insisterai plutôt sur les contrastes entre les collectivités territoriales, dont les situations sont très variables : certaines peuvent facilement faire face, d’autres non. De là l’acuité particulière qui s’attache, aujourd’hui plus encore qu’hier, à la question de la répartition de la dotation globale de fonctionnement.
La DGF doit donc être réformée. De fait, à droit constant, 465 communes ne percevraient plus de dotation forfaitaire en 2017, et 505 établissements publics de coopération intercommunale plus de dotation d’intercommunalité, en raison de la contribution au redressement des finances publiques. Plus largement, nous avons tous souscrit à l’essentiel des premières conclusions du rapport établi par Mme Pires Beaune et notre regretté collègue Jean Germain, qui ont dressé le constat suivant : « La DGF pâtit d’une architecture peu lisible et d’une répartition inéquitable, qui ne correspond plus à la réalité des charges de fonctionnement des collectivités et des modes de gestion locaux. »
Dès lors, on ne peut que féliciter le Gouvernement d’avoir inscrit à son agenda la réforme de cette dotation,…
M. François Marc. C’est vrai !
M. Claude Raynal. … d’autant plus que, par nature, elle ne saurait faire que des heureux : ceux qui pourraient en bénéficier se feront tout petits de peur qu’elle ne soit modifiée, pendant que ceux qui pourraient y perdre ne manqueront pas de faire valoir tous arguments pour préserver leurs ressources… Encore faut-il ajouter que l’enveloppe globale diminue, tandis qu’augmente la péréquation horizontale via le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, ou FPIC.
En fin de compte, il en va de la réforme de la DGF comme de celle des bases locatives : unanimement souhaitées, elles sont unanimement décriées sitôt que paraissent les premières simulations ! (M. Pierre-Yves Collombat rit.)
M. François Marc. Hélas !
M. Claude Raynal. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016 reprend pour l’essentiel l’architecture de la nouvelle DGF qu’ont proposée Mme Pires Beaune et Jean Germain : une dotation de base, une dotation de centralité et une dotation de ruralité, le tout accompagné d’un dispositif de garantie visant à lisser les effets de la réforme dans le temps.
Il est indéniable que les simulations réalisées sur ce fondement font apparaître quelques dysfonctionnements – c’est du reste leur rôle : certains, simples effets de bord, sont aisément corrigibles, mais d’autres, plus préoccupants, appellent sans doute un travail de révision.
Parmi les effets de bord figure une conséquence du blocage à la baisse de la dotation de base à hauteur de 50 % de son montant, soit 37,50 euros par habitant : certaines communes très riches ne percevant logiquement plus qu’une DGF résiduelle devraient se voir rembourser, aux frais, bien entendu, des autres collectivités territoriales, une part de leurs contributions au redressement des comptes publics de 2014 et 2015. Citons également la suppression en un an de la dotation nationale de péréquation, la DNP, alors que, par le passé, toute sortie d’une dotation de péréquation était toujours étalée sur quatre ans.
Parmi les aspects nécessitant sans doute d’être revisités figure la répartition de la dotation de centralité selon un indice de population porté à la puissance 5 qui ne permet pas de tenir compte de centralités secondaires au sein d’un même EPCI, tout en valorisant anormalement les structures défensives qui entourent celui-ci. Cette même dotation de centralité aurait pu connaître des fluctuations importantes du fait de la nouvelle carte des intercommunalités issue de la mise en œuvre de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, raison pour laquelle le Premier ministre a fort sagement retardé d’un an la mise en application de cette réforme.
Lors donc que nous disposons d’un peu de temps pour affiner cette réforme, peut-être serait-il utile d’en réinterroger quelques attendus. Ainsi, alors que l’enveloppe globale de la dotation diminue, notre priorité ne doit-elle pas être d’en faire une dotation avant tout très fortement péréquatrice, qui corrige les écarts de richesse, notamment économique, entre des communes supportant des charges de même nature ? Dès lors, les transferts réalisés au titre du FPIC ne peuvent-ils pas être gelés et intégrés au calcul de la répartition de la DGF ?
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque nous parlons de la dotation globale de fonctionnement, nous parlons d’une réalité bien différente d’une collectivité territoriale à une autre : ressource majeure, du moins significative, pour nombre d’entre elles, la DGF présente, pour certaines autres, un caractère secondaire, voire insignifiant. Mais nous parlons aussi, au-delà des chiffres, de faits beaucoup plus intimes et personnels ; je veux parler de l’idée que se fait chaque maire de son rapport avec l’État. Songez, mes chers collègues, à la joie ou à l’incompréhension que ressent un maire selon qu’il se sent soutenu ou, quelquefois, abandonné par l’État, et à la déception de celui qui ne perçoit aucune dotation de centralité alors qu’il se bat depuis vingt ans pour convaincre l’État qu’il organise une centralité dans sa commune ! Souvenons-nous que la DGF, ce n’est pas seulement de l’argent ; c’est aussi une dimension du lien qui unit une collectivité territoriale à l’État.
À tous les maires et présidents d’EPCI, nous devons deux choses essentielles : la lisibilité et l’équité. Nous leur en devons aussi une troisième : la rapidité. C’est pourquoi je voterai, à l’instar de nos collègues députés, l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016, malgré ses imperfections, dont j’ai mentionné certaines. Sortons de la posture facile du rejet et choisissons la voie beaucoup plus constructive de l’élaboration collective !
N’est-ce pas d’ailleurs le rôle du Sénat, représentant des collectivités territoriales,…
M. Jacques Mézard. Pour l’instant !
M. Claude Raynal. … que de prendre la responsabilité de proposer au Gouvernement les adaptations qui lui paraissent souhaitables ? N’est-ce pas en particulier celle des membres, comme moi, de la commission des finances ? La Haute Assemblée n’a-t-elle pas là l’occasion de jouer tout son rôle et de discréditer une fois pour toutes l’idée récurrente d’un Haut Conseil des territoires dont nous ne voulons pas ?
M. Pierre-Yves Collombat. C’est une bonne nouvelle !
M. Jacques Mézard. Vous n’avez pas toujours dit cela !
M. Claude Raynal. Mes chers collègues, si nous sommes attachés à un Sénat utile, au service des territoires et des collectivités territoriales qui les font vivre, trêve de postures ! Il est regrettable, par exemple, que le groupe Les Républicains, qui a provoqué l’organisation de ce débat, ait refusé de participer à la mission proposée par le Premier ministre pour définir les grandes orientations de la réforme. Je rappelle en effet que, au départ, la présence d’un parlementaire de ce groupe au côté de Mme Pires Beaune était souhaitée par le Gouvernement.
Mme Sophie Primas. Ardemment !
M. Claude Raynal. Dommage que cette main tendue par l’exécutif n’ait pas été saisie ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Dommage aussi que certains se réjouissent du report de la réforme, alors qu’elle est attendue par nombre de collectivités territoriales, notamment parmi les plus fragiles.
Mes chers collègues, sur ce sujet comme sur bien d’autres, avançons, travaillons, produisons ! C’est ainsi que nous prendrons une part déterminante, au côté de l’État, à la réforme tant attendue de la DGF ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a dix mois, le 13 janvier, nous entamions l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation de la République.
M. Jacques Mézard. Hélas !
M. Ronan Dantec. À l’époque déjà je soulignais le rôle majeur joué par les collectivités territoriales pour le maintien de la cohésion sociale, la lutte contre les exclusions et discriminations et l’approfondissement du vivre ensemble, qui fait le ciment d’une société.
À la fin de cette discussion, je n’avais pu que déplorer qu’elle ait tant mis en évidence la méfiance, pour ne pas dire la défiance, des territoires les uns envers les autres, alors que nous aurions dû rechercher de meilleures coopérations et bâtir des ponts entre les différents acteurs des territoires. Je ne crois pas utile de rappeler la vigueur, et même la violence, de certains propos qui ont été tenus sur les relations que ce soit entre les régions et les départements ou entre les métropoles et les communes rurales. Je regrette encore que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République n’ait pas permis d’avancer en ce qui concerne la péréquation financière et l’autonomie fiscale, voire la réforme des bases fiscales.
Les collectivités territoriales sont, au côté de l’État, le socle de l’action publique partout dans les territoires ; il semble, mes chers collègues, que nous en soyons tous d’accord.
Notre débat fait suite au vote par l’Assemblée nationale, le 20 octobre dernier, d’une baisse de 3,5 milliards d’euros des dotations aux collectivités territoriales dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2016. Le montant de la dotation globale de fonctionnement s’établira donc l’an prochain à 33,1 milliards d’euros. Une diminution supplémentaire de 11 milliards d’euros est prévue entre 2015 et 2017.
Parlons clair : les écologistes s’opposent fermement à ces baisses. En effet, les collectivités territoriales ont besoin de ressources, parce que l’action publique territoriale de proximité est plus nécessaire que jamais en cette période où s’exacerbent les sentiments d’exclusion, de relégation et d’abandon.
Il n’en résulte pas qu’il ne faille pas réaliser des économies. Au demeurant, toutes les collectivités territoriales ou presque se sont lancées dans de telles démarches, traquant les doublons, optimisant leurs dépenses de fonctionnement, renégociant les contrats publics et mutualisant des services. La recherche d’économies est bénéfique lorsqu’elle conduit à une utilisation plus rationnelle de l’argent public et, partant, à des redéploiements de moyens améliorant l’efficacité de l’action publique. La limite, la ligne rouge, ce sont les baisses de crédits qui aboutissent à une diminution du service au public : cela n’est pas acceptable !
Si le maintien d’autres dotations de l’État contrebalance encore pour l’instant la baisse de la DGF dans un certain nombre de communes – je pense en particulier à la dotation de solidarité rurale, la DSR –, l’inquiétude des élus locaux, dont plusieurs orateurs se sont déjà fait l’écho, reste forte, car nous savons que la diminution des dotations va se poursuivre. Le président de l’Association des maires de France l’a souligné avant moi ; je ne puis que souscrire ce soir à une grande partie de son analyse sur ce sujet.
L’Observatoire des finances locales a constaté la baisse des investissements publics locaux que nous redoutions : en 2014, les investissements du bloc communal ont reculé de 9,6 % et ceux des départements de 4,2 %, même si ceux des régions ont augmenté de 2,8 %. La Cour des comptes, dans son rapport du mois d’octobre dernier sur les finances publiques locales, s’est également inquiétée de la diminution des investissements publics locaux, dont nous savons tous qu’ils représentent près de 70 % des investissements publics.
De fait, ce recul de l’investissement local est un coup dur pour l’ensemble de notre économie, déjà très fragile ; il signifie moins d’écoles, moins de centres sociaux et moins de lieux culturels, mais aussi moins d’actions en faveur de la transition énergétique, en particulier de la rénovation des bâtiments et de la production d’énergies renouvelables. Il provoque la baisse de l’activité locale et, par voie de conséquence, celle des recettes fiscales perçues sur les entreprises. En somme, la décision de diminuer les dotations aux collectivités territoriales est à l’origine d’un cercle vicieux qui conduit à la récession.
Elle a en particulier des conséquences très dommageables sur la vie culturelle, qui repose souvent sur de petits budgets, qu’il s’agisse de bibliothèques, de petites salles de concert ou d’autres petits lieux culturels. La réduction des budgets de fonctionnement met très vite à mal ces petites structures et entraîne presque immédiatement des conséquences assez graves sur le plan de l’emploi.
Telle est l’analyse que je partage avec le président de l’Association des maires de France. Toutefois, je n’apporterai pas davantage mon soutien à la majorité sénatoriale ! (Sourires.)
Mme Caroline Cayeux. Dommage !
M. François Bonhomme. Encore un effort !
M. Ronan Dantec. En effet, je relève une contradiction flagrante dans le discours de la droite : d’un côté, elle hurle à l’étranglement financier du bloc communal,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Ronan Dantec. … de l’autre, ses dirigeants – tous candidats à l’élection présidentielle – se lancent dans une étonnante surenchère sur le montant des économies budgétaires à réaliser : 100 milliards d’euros, 150 milliards d’euros, on ne sait pas jusqu’où cela ira ! Il lui est difficile de s’ériger en défenseur des budgets communaux tout en préparant l’étranglement financier des communes. La position de la droite me semble totalement intenable et je crains vraiment le pire pour les années à venir !
Par ailleurs, je pense que d’autres pistes peuvent être explorées et qu’une alternative aux coupes budgétaires nettes dans les concours de l’État – même compensées, comme cela sera certainement annoncé tout à l’heure, pour ne pas dire rafistolées par quelques aides ponctuelles comme le fonds pour l’investissement local dont la création a été révélée en septembre dernier – existe.
Ainsi, la question d’une meilleure répartition des recettes de la cotisation foncière des entreprises qui crée actuellement d’importantes inégalités financières entre territoires devra certainement être posée.
Je profiterai du temps de parole qu’il me reste pour engager un débat sur plusieurs de mes propositions, qui permettra de ne pas nous limiter à la défense du statu quo.
Je pense que les communes et les intercommunalités doivent être perçues non comme des entités autonomes, mais comme des territoires s’insérant dans la République. À ce titre, elles doivent porter une part de la responsabilité collective et aider à relever les grands défis nationaux auxquels notre pays est confronté.
C’est le cas, par exemple – faut-il le rappeler ? –, de l’habitat : notre pays a besoin de logements, tout particulièrement de logements sociaux. Compte tenu de cette urgence, les dotations de l’État et le volontarisme des territoires ne devraient-ils pas être beaucoup plus nettement orientés vers le logement social, la mixité et la politique de l’habitat ? Voilà un débat que nous devrions conduire !
La question de la transition énergétique, sur laquelle je voudrais revenir, s’inscrit dans la même logique.
M. Jacques Mézard. Il y a déjà la COP 21 !
M. Ronan Dantec. Les territoires sont la clé de cette transition : sans eux, il sera impossible de tenir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Je précise qu’il s’agit de mon couplet en faveur de la COP 21, sans quoi, monsieur Mézard, vous auriez été déçu ! (M. Jacques Mézard s’exclame.) Ce débat renvoie à celui qui s’est tenu hier soir dans l’hémicycle. Vous savez, mes chers collègues, qu’il s’agit d’une question à laquelle je tiens beaucoup et que j’aborde le plus fréquemment possible.
Aujourd’hui, si nous décidions de réduire les dotations de l’État, cela créerait une situation dans laquelle les collectivités territoriales n’auraient pas les moyens de créer les fonds qui leur permettront de s’engager dans la transition énergétique.
M. Raymond Vall. Très juste !
M. Ronan Dantec. Dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avions pourtant créé les « tiers investisseurs », c’est-à-dire une mesure favorisant la capacité d’investissement des collectivités territoriales dans la transition énergétique. Si donc nous réduisions fortement les dotations aux collectivités, celles-ci ne pourraient que moins investir : on s’aperçoit bien qu’il y a une contradiction !
Nous devrions aujourd’hui réfléchir sérieusement à cette question de la mobilisation des finances locales au service de la transition énergétique. Il faudra peut-être faire preuve d’un peu d’imagination. Nous en avions d’ailleurs parlé dans cette enceinte même avec Ségolène Royal : ne pourrions-nous pas créer des budgets annexes, disposer de fonds dont les ressources n’entreraient pas dans le calcul de l’endettement des collectivités territoriales, parce qu’elles seraient à l’origine de retours sur investissement ?
M. Raymond Vall. Très bien !
M. Ronan Dantec. C’est ce genre de sujet que nous devrions étudier collectivement. Cela redonnerait des marges de manœuvre aux collectivités territoriales. Cela leur permettrait aussi de répondre à des défis essentiels et de créer un nombre important d’emplois dans les territoires.
Parfois, je me dis que les écologistes ne sont pas les plus décroissants – même si certains m’en ont encore fait le reproche cet après-midi – et qu’ils ont en vue, sans doute plus que d’autres, une véritable croissance économique ! (Mme la ministre opine.)
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite mettre une autre idée sur la table, afin de trouver des recettes pour le bloc communal. Pourquoi ne pas imaginer – comme cela a été défendu par les réseaux européens des collectivités territoriales voilà quelques années – une dotation globale de fonctionnement additionnelle climat qui serait alimentée par la mise en enchère des permis d’émission de gaz à effet de serre – il paraît que les recettes liées à ces permis qui tombent directement dans les caisses de l’État vont augmenter – ou par la contribution carbone que le Sénat a décidé de réévaluer ?
Dès lors que nous avons fixé dans la loi relative à la transition énergétique l’obligation pour toutes les intercommunalités de mettre en place un plan climat adossé aux engagements internationaux de la France – je ne suis même pas sûr que toutes les intercommunalités l’aient encore intégrée – et que nous avons créé, dans le cadre de cette même loi, des systèmes extrêmement simples de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre dans les territoires, nous pourrions très bien imaginer un mécanisme dans lequel ce sont les territoires qui s’engagent le plus en matière de réduction des émissions qui bénéficieraient de ces ressources.
C’est ce type d’idées qui permettraient d’obtenir des recettes, de la dynamique et de l’activité. Il s’agirait également d’un puissant levier pour mener à bien la transition énergétique.
Plus généralement, je crois que la lisibilité de la DGF et des dotations de l’État est aujourd’hui extrêmement faible. Les maires m’ont souvent fait part de leur véritable besoin de mieux comprendre le rapport entre les politiques qu’ils mènent et les recettes qu’ils perçoivent. Il importe par conséquent de réfléchir sur ce point : en ce sens, l’engagement d’une véritable réforme de la DGF afin de la rendre lisible et solidaire nous semble nécessaire.
Néanmoins, je rejoins Claude Raynal lorsqu’il déclare qu’il est difficile de conduire une telle réforme. Si tout le monde est favorable à la réforme, en réalité, au-delà des postures, le refus d’une véritable péréquation entre riches et pauvres réapparaît toujours assez rapidement !
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai ! Il existe bien une péréquation !
M. Ronan Dantec. Et je ne vous parle pas, mes chers collègues, de la réforme des bases locatives !
Nous manquons aussi d’une réelle vision de l’articulation entre les divers types de territoires. Quels sont les effets entre grandes métropoles et territoires ruraux ? Quelles sont les dynamiques entre ces territoires ? Je n’ai malheureusement pas le temps d’ouvrir un tel débat.
Je ne répéterai pas les propos qui ont été tenus auparavant : compte tenu de ce qui s’est passé ces derniers jours, nous en sommes aujourd’hui à la réponse aux enjeux de sécurité. Toutefois, il nous faudra répondre demain à la question des territoires et à celle de l’exclusion. Je n’ai pas besoin de développer ces sujets, car je rejoins tout à fait ce qu’a dit Marie-France Beaufils.
Pour conclure, je le rappelle, la dépense publique n’est pas une mauvaise chose ; elle est nécessaire à une société en état de marche dont elle constitue l’un des socles ! Il convient en effet de se souvenir que la plupart des pays de cette planète rêveraient d’une augmentation de leurs dépenses publiques et d’outils financiers pour leurs territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la ministre, vous avez raison de vouloir faire évoluer la DGF. Ce que nous contestons, c’est la méthode !
Si les élus locaux et a fortiori l’ensemble de nos concitoyens font face à des mécanismes strictement illisibles, qui sont d’ailleurs vécus depuis longtemps comme l’aboutissement de décisions bureaucratiques coupées des réalités de terrain, cela signifie qu’il est effectivement urgent de modifier les règles de cette dotation.
Pour couronner le tout, comme les mécanismes se sont superposés sans se substituer les uns aux autres, en gelant chaque couche de la « pâte feuilletée » des distorsions entre communes voisines, entre communes de mêmes caractéristiques, entre départements de même strate, ils se sont aggravés. Or tout cela est vécu aujourd’hui comme profondément injuste, contraire même au principe de l’égalité des territoires, mot d’ordre ou élément de langage dont la déclinaison pratique est si difficile à réaliser.
Comme la question de la révision des bases locatives, la situation actuelle résulte d’une responsabilité collective, tous gouvernements confondus. Nous le savons tous, lorsqu’on touche aux revenus ou à la fiscalité, ceux qui bénéficient de la réforme restent silencieux de contentement, et ceux qui y perdent pleurent en poussant des cris d’orfraie. Telle est la dure loi de l’exercice du pouvoir !
La question de la dotation globale de fonctionnement est double. Premièrement, quelle est l’enveloppe budgétaire fléchée dans le projet de loi de finances pour les dotations de l’État aux collectivités locales ? Deuxièmement, comment répartir cette enveloppe et quels critères privilégier pour aller vers davantage de justice et de simplification ?
Pour répondre à la première question, il faut convenir que, parallèlement à la réforme de la DGF, l’engagement par le Gouvernement d’un plan drastique de réduction des concours de l’État aux collectivités territoriales ne facilite pas la tâche ! En dépit des indispensables mesures de lissage annoncées, le rapport que Charles Guéné, Philippe Dallier et moi-même réalisons au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur les conséquences de la baisse des dotations nous permet de conclure dès à présent que, sans tenir compte des effets de la réforme, un nombre considérable de collectivités locales sera touché d’ici à 2017 : certaines collectivités se trouveront dans une situation de grave déséquilibre budgétaire ; beaucoup d’entre elles seront obligées de réduire les dépenses d’investissement et d’augmenter l’impôt local. Et encore, pour certaines, cela ne suffira pas !
Il est clair qu’ajouter une couche à la situation financière déjà dramatique de ces communes ne serait pas raisonnable en l’état.
Je n’ai jamais contesté le principe d’une baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales, car, quel que soit le gouvernement en place – et l’alternance d’ailleurs –, cela est difficilement évitable. En revanche, il est primordial de répartir la charge de ces prélèvements en fonction de la richesse et du potentiel des collectivités territoriales car, madame la ministre, le bon sens populaire dit que l’on ne peut tondre un œuf. (Sourires.) C’est cela la vraie justice, la véritable égalité territoriale !
Réformer la DGF, nous y sommes quasiment tous favorables. Toutefois, plusieurs conditions doivent être réunies pour la réussite de cette réforme.
Tout d’abord, celle-ci implique le temps d’une vraie concertation avec le Parlement en utilisant les travaux déjà réalisés et en cours de réalisation. J’ai bien dit « avec le Parlement », car, bien sûr, si les associations d’élus font des observations souvent pertinentes, leurs intérêts sont fréquemment contradictoires pour répondre aux préoccupations des différentes strates et des divers types de collectivités qu’elles représentent. Heureusement, nous n’avons pas eu de Haut Conseil des territoires !
M. Albéric de Montgolfier. Quelle horreur ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Cela vous aurait compliqué la tâche !
M. Jackie Pierre. C’est exact !
M. Jacques Mézard. Vous le comprenez, madame la ministre, ce que je viens de dire est tout à faire contraire à ce que vous essayez de faire. Vous avez voulu intégrer la réforme de la DGF dans le projet de loi de finances sans concertation avec les groupes politiques…
M. Jacques Mézard. … ou avec la délégation aux collectivités territoriales, en créant un nouveau dispositif forcément en inadéquation avec votre réforme territoriale sur la fusion forcée des intercommunalités.
Comment faire des simulations crédibles sans connaître la nouvelle carte intercommunale, alors que les objectifs que vous défendez privilégient l’échelon des EPCI ? C’est contradictoire et, en tous les cas, très difficile ! (Mme Sophie Primas opine.) C’est même incohérent et surréaliste ! C’est d’ailleurs la raison que vous avez invoquée pour reporter la réforme d’une année sans – selon vous – en changer les grands principes.
L’autre raison que nous n’avez pas invoquée, madame la ministre, c’est que, sur la base des simulations qu’il a fallu vous arracher (M. Gilbert Barbier sourit.) – nous n’y sommes pas parvenus en passant par votre cabinet, si bien que nous avons utilisé des voies détournées (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.) –, les résultats étaient strictement inexplicables, ne serait-ce que par le jeu de la dotation de centralité prévue. Si le système était appliqué tel que vous l’avez envisagé, il serait absolument impossible à gérer !
De grâce, prenez le temps de la concertation, cela changera ! (Sourires sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Prenez le temps de la recherche du consensus, cela changera ! Et s’il est un dossier sur lequel une véritable étude d’impact est nécessaire, c’est bien celui-ci !
Ensuite, que voulons-nous ? Partir du constat que la DGF actuelle ne correspond plus à la réalité des charges de fonctionnement et des modes de gestion locaux, qu’elle est devenue une rente justifiée par l’histoire – avec des mécanismes de garantie et de compensation –, dont la sédimentation s’est bétonnée.
Pour nous, il convient certes de corriger la dotation forfaitaire pour davantage tenir compte des charges de centralité et des charges des communes rurales, mais il importe de le faire de manière plus progressive et en évitant tout choc collatéral trop brutal. Madame la ministre, votre projet est à ce titre un échec assuré !
Enfin, nous souhaitons une refonte des mécanismes de péréquation des communes, aujourd’hui marqués par un saupoudrage destructeur, des effets de seuil et une absence d’articulation avec les mécanismes de péréquation horizontale. De plus, l’absence d’articulation avec les systèmes de péréquation verticale crée un certain nombre d’effets contre-péréquateurs.
Vous voulez resserrer l’éligibilité à la dotation de solidarité urbaine – la DSU – et à la dotation de solidarité rurale et en simplifier l’architecture en supprimant la dotation nationale de péréquation : vous avez raison !
Vous voulez créer une DGF des EPCI distincte de celle des communes : l’objectif est louable, mais la réalisation est problématique.
Créer une DGF locale calculée à l’échelle du territoire intercommunal, intégrant des garanties portées par l’autonomie communale et versée directement par l’État reviendrait à mettre en place un mécanisme mal étudié, qui pourrait entraîner des conséquences catastrophiques. Jouer à l’apprenti sorcier en la matière est dangereux !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jacques Mézard. En fait, madame la ministre, vous voulez l’évaporation des communes sans la proclamer, comme vous voulez encore celle des départements !
M. Albéric de Montgolfier. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Pourtant, de manière générale, il n’est pas sain de construire des mécaniques financières en fonction d’une organisation territoriale future et incertaine.
En l’état, suspendez l’examen des principes de la DGF dans le projet de loi de finances et élaborons tous ensemble un texte consacré aux dotations de l’État ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Lorsqu’on a été formé à la fiscalité des collectivités locales et que l’on s’adonne à la pratique depuis un demi-siècle, la réforme de la DGF constitue un challenge de choix. Je dois donc reconnaître, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que votre initiative pouvait me séduire, a priori. J’avoue y avoir cédé dans un premier temps, avant qu’un examen attentif ne m’en détournât.
Aussi me bornerai-je à l’exercice proposé, sans trop rentrer dans la technique – cela exigerait des développements exhaustifs, que le temps imparti nous interdit –, mais en me concentrant plutôt sur les corrections à apporter au niveau de la méthode et sur le cheminement à conduire pour que nous arrivions ensemble à bonnes fins.
Chacun l’admet aujourd’hui, la DGF doit être réformée. Elle est devenue illisible et souvent injuste à force de sédimentation. Elle est devenue insoutenable : le système a atteint ses limites !
L’importance de la dette et la nécessité de rendre de la compétitivité à notre économie ont d’abord – durant la dernière décennie – freiné la DGF jusqu’à la geler. Aujourd'hui, la dotation est mise à contribution, avec, pour seules variables d’ajustement, le contribuable, autrement dit les ménages, et l’investissement.
Dans le même mouvement, la mondialisation et la numérisation ont profondément modifié la géographie économique de notre pays, concentrant les ressources sur des territoires de plus en plus réduits et menaçant les équilibres qui sous-tendent l’aménagement de l’espace français.
Nous en avons tiré une partie des conséquences, sans toutefois rédiger une véritable feuille de route, ni en donner une projection lisible.
Aux exonérations de l’impôt mises à la charge de l’État, a succédé la réforme de la taxe professionnelle qui a réduit le poids de l’impôt économique, mais également validé la substitution constitutionnelle sans équivoque de l’autonomie financière à l’autonomie fiscale des temps heureux.
La péréquation horizontale a été mise en place pour tenter de ramener chacun à une philosophie du partage mieux comprise.
Si besoin était, la loi organique de 2012 a transposé le contenu du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, en posant les principes et les instruments d’un pilotage de la trajectoire, rappelant que les enjeux ne se limitaient pas au secteur « État » et ne s’arrêtaient pas non plus aux frontières nationales.
Dans des lois dites « territoriales », aux sigles aussi variés que MAPTAM ou NOTRe, ont été proposées une nouvelle organisation spatiale et la prise en compte d’une asymétrie, également nouvelle, qui bouscule un centralisme séculaire. Je veux parler de la reconnaissance des métropoles, qui s’affirment comme les nouveaux acteurs du XXIe siècle, venant bouleverser compétences, géographie et fiscalité.
De tels mouvements imposent, exigent leur traduction en termes de fiscalité locale, et cette réforme ne peut se limiter à la proposition que vous nous faites, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ni dans sa construction ni dans sa formulation !
Votre réforme n’est pas à la hauteur de l’attente des collectivités. Elle ne correspond pas non plus aux enjeux d’une démocratie moderne. Elle se heurte à deux écueils : vouloir répondre à d’autres fins que son but initial et ne pas adopter un process et des outils susceptibles de lui conférer un caractère durable.
Elle s’inscrit, en effet, dans la logique d’atténuement temporaire de la contribution au redressement des finances publiques qui, si elle se justifie, n’en est pas moins d’une violence inouïe dans son quantum comme dans son calendrier – cela a été souligné – et exigeait certes un peu de cosmétique.
Dès lors, la copie souffre de ce péché originel : en tentant de satisfaire, l’espace d’un temps électoral, le plus grand nombre et les plus gros contribuables, elle s’éloigne de la recherche de l’équité, sacrifiant le gros des collectivités médianes sans distinction.
Ce jeu de bonneteau explique le fait que vous ayez livré les simulations au compte-goutte, et le désarroi de votre propre majorité, qui a tenté vainement de modifier la réforme à l’Assemblée nationale.
Tout cela n’est pas conforme à la dimension du sujet qui nous préoccupe !
La réforme de la DGF exige que nous posions le principe de la refonte complète du financement par dotations des collectivités locales, en embrassant non seulement la DGF, mais aussi les dispositifs de péréquation verticale et horizontale. Il faut surtout veiller à ce que chacun ait une vision à terme et une lisibilité complète du système adopté et, plus encore, y adhère.
La réforme nouvelle doit reposer sur une vision partagée de l’adéquation des ressources aux charges pesant sur les collectivités, dans leur diversité reconnue, et cela au plus près des réalités locales, en s’éloignant de canevas historiques souvent dépassés.
La péréquation doit figurer au rang de ces enjeux nouveaux. Sa nature, mais aussi ses mécanismes doivent faire partie du consensus, tout comme la durée de mise en place du processus de convergence.
Le lissage ne doit pas s’inscrire dans une nébuleuse, comme vous le proposez, et le « spontané » doit faire place à des objectifs identifiés et partagés.
Seconde faiblesse, cette réforme n’est pas à la hauteur d’une démocratie moderne.
Il aura fallu la double insistance du président du Sénat pour que, tout d’abord, vous nous transmettiez un premier jet, limité aux simulations pour 2016, puis que l’on assiste à l’« atterrissage » de la réforme en cours, qui ressemble d’ailleurs plus à un « touch and go ».
À cette heure, les chiffres du Grand Paris ne sont toujours pas calés, et nous peinons encore à décrypter les effets de cette « réforme à mèche lente ». Je n’évoquerai pas le caractère superficiel, voire anecdotique, du rapport sur le FPIC qui vient de nous être remis.
Dès lors, vous rangeant au fait que la nouvelle carte de l’intercommunalité rendait incohérente toute simulation de la dotation territoriale de centralité, vous avez bien voulu admettre un report à 2017 de l’application de cette réforme.
Nous pouvons, nous semble-t-il, mettre à profit les mois à venir pour travailler ensemble l’architecture d’une réforme globale des ressources des collectivités locales. Celle-ci ferait l’objet d’une loi spécifique, qui concernerait les dotations d’État, bien sûr, mais aussi les mécanismes d’ajustement des charges et des ressources, et la nécessaire rénovation de la péréquation, cela de manière corrélée à l’ensemble des ressources des collectivités.
C’est le sens de notre proposition de réécriture de l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016.
Nous devons fixer le calendrier et les modalités de ce travail au plus tôt, pour l’articuler avec l’exercice de modification et de finalisation de votre propre texte. Le Sénat, qui a toute légitimité pour intervenir sur la question, y est prêt.
Enfin, il serait dommage de ne pas profiter de cette réforme historique pour mettre en place les outils et mécanismes d’une nouvelle gouvernance des finances publiques.
Nous ne pouvons poursuivre nos travaux mutuels dans le cadre actuel, qui laisse apparaître une approximation navrante, ainsi qu’une absence de partage d’objectifs et de confiance dans l’information échangée.
Le Parlement doit pouvoir disposer des bases et effets en simultané. Notre pays accuse, à cet égard, un retard considérable.
Nous devons sortir du manichéisme entretenu entre gouvernement et collectivités, pour rechercher, dans le cadre d’une responsabilité partagée, l’équilibre des comptes publics et relever les défis en termes de compétitivité de notre siècle.
Dans ces conditions, pour peu que nous ayons la volonté de travailler ensemble, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la République, en particulier le Sénat, dont c’est le cœur de métier, apportera les réponses attendues par nos concitoyens et les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à ce stade du débat, et compte tenu des excellentes interventions de François Baroin et de Charles Guené, je limiterai mon propos à quelques observations.
Tout d’abord, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, nos positions ne sont pas si éloignées que cela. (Exclamations amusées sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Le Gouvernement a fait une concession en acceptant une réforme en deux temps. Quand le Sénat préconise de présenter les principes et modalités de la réforme en ayant une vue claire de ses effets, vous proposez de déterminer les principes, puis de vérifier les modalités, avant de constater les effets pour, peut-être, les corriger. Les points de vue peuvent donc être conciliés sur ce point, me semble-t-il, et nous formulons une proposition empreinte de sagesse.
Mais, comme nous allons le constater dans quelques instants, nos positions ne sont peut-être pas si éloignées que cela sur les principes mêmes, à quelques corrections de taille près, toutefois !
Nous pourrions voir dans le choix du Gouvernement une certaine forme d’habileté : le délai concédé sur la mise en place de cette réforme servirait, en définitive, à faire accepter et prospérer l’idée d’une baisse des dotations.
Cette diminution des dotations, comme l’a très bien expliqué François Baroin, constitue à nos yeux le sujet principal. Si tel est réellement votre calcul, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous devez aussi avoir la lucidité de comprendre que vous choisissez d’opérer un malade au pire moment, c’est-à-dire alors que la fièvre de la baisse des dotations est la plus forte.
Vous percevez toute la difficulté que représente le fait de réformer au moment où il y a moins à répartir, et tous les risques que cela fait courir. En particulier, vous risquez de nourrir la crainte d’une amplification supplémentaire de l’effort demandé aux collectivités. Surtout, j’y insiste, il n’y a rien de plus difficile que de réformer sans grain à moudre : il y aura des perdants !
Par ailleurs, vous voulez réformer la DGF sans vision globale.
La question de la DGF ne peut être traitée sans prendre en compte toutes les dotations – notamment les dotations de compensation –, sans envisager l’architecture du système de financement des collectivités dans son ensemble et sans avoir une vision, claire et établie une bonne fois pour toutes, des missions et moyens des collectivités.
Or cette vision n’a cessé d’évoluer au fil des textes – loi MAPTAM, loi NOTRe – et des variations nombreuses de vos projets, qu’il s’agisse de l’évolution de la clause générale de compétence ou du rôle des départements. D’où cette question : que reste-t-il de l’ambition initiale et où voulez-vous, en définitive, nous conduire ?
Il n’est pas sûr qu’une vision aussi peu architecturée – j’ai envie de dire « désarchitecturée » – des collectivités, vous amenant à traiter une part seulement de leurs financements, sans vision claire de leur avenir, vous apporte la réussite. Vous risquez précisément d’obtenir le résultat inverse.
L’effet défoliant de la baisse des dotations est toujours présent et voilà que, avant même que les conséquences ne soient connues, vous changez de nouveau les règles ! Après les évolutions du FPIC, il fallait oser prendre un tel risque, sachant que la question des bases locatives, repoussée, se posera inévitablement un jour et qu’il faudra peut-être aussi, à l’avenir, traiter l’ensemble de la problématique de la fiscalité locale.
Sur le fond, je retiens de votre réforme deux idées fortes.
Je citerai tout d’abord une aspiration légitime à plus d’égalité et de transparence dans le calcul de la DGF : c’est l’idée, qui, bien évidemment, apparaît tout à fait tentante, d’une DGF égale à la base.
Toutefois, ce souci d’équité cache des correctifs inévitables. Il faut tenir compte de la ruralité, de la centralité et d’un certain nombre d’autres correctifs prévus dans la réforme, le tout risquant de nous faire perdre le cap.
Reste un sujet épineux, on le sait : celui des villes moyennes situées dans des intercommunalités dont elles ne sont pas les villes-centres. Un certain nombre de réglages doivent maintenant être opérés sur cette question, la crainte, à ce stade, étant que ces villes ne deviennent les grandes perdantes du système. Des exemples récents confirment effectivement ce principe, connu, selon lequel, en matière de fiscalité, tout est dans les réglages.
Après les cinq premières années de la réforme, après les fameux 5 %, l’atterrissage n’est toujours pas assuré dans vos prévisions. Cela atteste, reconnaissons-le, d’un certain tâtonnement, voire d’une expérimentation sans filet et sans garantie.
Je n’insiste pas sur les simulations changeantes – Jacques Mézard les évoquait précédemment –, qui ne sont pas sans évoquer une sorte de miroir aux alouettes. Aux uns, on promet qu’ils seront gagnants ; aux autres, on explique qu’ils ne seront pas perdants. Ne cherche-t-on pas simplement à faire passer la réforme, en gratifiant ainsi chacun de quelques flatteries ?
Je reconnais bien volontiers que l’on a vu des contre-exemples dans les agissements des gouvernements passés et que, en définitive, chacun a le droit d’avoir recours à de tels procédés habiles. Cela étant, décider de changer toutes les règles en même temps, comme un savant fou, alors même que les dotations baissent, a quelque chose de très insécurisant aux yeux des élus.
Au surplus, territorialiser la DGF, faire des intercommunalités le nouveau pivot de la répartition, c’est bien sûr accentuer l’intercommunalisation. Dit plus brutalement, cette réforme de la DGF porte en elle le risque majeur, perçu par les communes elles-mêmes, d’attenter au devenir de celles-ci. Ce risque peut être, à terme, vital pour elles.
Je crois que le modèle intercommunal est essoufflé ; c’est pourquoi l’hypothèse de communes nouvelles doit être examinée. Or, avec cette réforme, vous choisissez clairement l’intercommunalité palliative et non stratégique. Pourtant, comme l’expliquent d’excellents auteurs, il ne faudrait peut-être pas écarter le modèle incluant une augmentation des villes nouvelles et la mise en place d’une intercommunalité stratégique. Cela pourrait être l’une des conditions du renouveau de la commune. Tenant ces propos, je reviens sur l’absence de pensée systémique qui sous-tend votre réforme, et c’est là que réside toute la difficulté.
En modifiant la DGF, on ne peut pas faire l’économie de la question : quel rôle pour les communes demain ? Au lieu d’intercommunalités intégratives avec carottes financières et des villes un peu affaiblies, il conviendrait plutôt de s’orienter vers des communes nouvelles plus fortes avec, au-dessus, des intercommunalités stratégiques. Ce n’est pas la voie que vous empruntez, je tenais à le souligner.
Parlant d’intercommunalités palliatives, je me permets d’y associer la métropole du Grand Paris, sans toutefois vouloir choquer. L’expérimentation financière en temps réel de cette métropole est telle que les effets du FPIC doivent être étudiés en totalité. Il faut garder cela à l’esprit. Le risque est qu’une loi récente adoptée sans véritable maquette financière ne se traduise par d’extrêmes difficultés pour les territoires comme pour les communes. Je sais que vous êtes attentifs à ce point, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mais nous devrons faire preuve de beaucoup de doigté dans le réglage de cette question lors de l’examen du projet de loi de finances. Sinon, nous encourrons de graves difficultés. Convenons-en, il n’est pas de très bon augure, compte tenu de l’avancement de la réforme de la DGF, que les réglages sur ces métropoles se poursuivent en temps réel, à quelques semaines de la mise en œuvre de ces dernières.
Pour toutes ces raisons, le Sénat est fondé à souhaiter un texte spécifique et un approfondissement de la réflexion sur la DGF. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait un premier pas. L’ambition de la majorité sénatoriale est une remise à plat du système et un début de mise en perspective de la réforme de la DGF. Nous convergeons, je le crois, sur l’idée qu’il faut traiter la globalité des financements des collectivités et des missions. J’ai la faiblesse de penser que, si vous suivez le Sénat, vous saisiriez une chance : celle de rétablir la confiance au centre de la relation entre l’État et les collectivités. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent débat, qui n’est pas le premier sur le sujet, traite de la problématique soulevée par la dotation globale de fonctionnement. En préambule, je veux indiquer que le choix de cette thématique par le groupe Les Républicains, dans le cadre de la semaine de contrôle, surprend à quelques jours à peine de l’examen du projet de loi de finances qui aurait pu nous permettre d’évoquer ce sujet sensible.
Il ne s’agit pas, pour ma part, de contester tout l’intérêt de cette question fondamentale. Comme chacun dans cet hémicycle, je connais l’importance de la DGF dans le fonctionnement budgétaire des collectivités qui composent notre pays et qui mènent largement l’action publique de proximité nécessaire à nos territoires et à nos concitoyens. Cela étant, dans un contexte parlementaire contraint, je m’interroge simplement sur l’efficacité de la méthode.
Je souhaite également, de façon préalable, évoquer devant vous la mission Germain-Pires Beaune – il en a été question à plusieurs reprises –, qui a produit un travail important sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement. Qu’il me soit permis à cette occasion de saluer la mémoire de notre regretté collègue Jean Germain, dont l’expertise nous manquera, sur ce sujet comme sur d’autres.
Il faut le rappeler, cette mission parlementaire était envisagée par le Gouvernement comme une démarche transpartisane. Il avait d’ailleurs été initialement proposé, sauf erreur de ma part, qu’un parlementaire de la majorité sénatoriale y participe, sans que celle-ci donne suite à cette proposition. Il aurait pourtant été souhaitable, a fortiori au Sénat, qu’une démarche partagée s’engage, afin – pourquoi pas ? – d’aboutir à un consensus.
Le rapport Germain-Pires Beaune constitue d’évidence une base solide au projet de réforme que nous présente le Gouvernement, sur laquelle, selon moi, nous pouvons entamer des discussions productives.
En effet, la pertinence d’une réforme de la dotation globale de fonctionnement ne me semble pas devoir faire l’objet en elle-même de longs de débats, tant le système actuel, caractérisé par ses inégalités flagrantes, ne donne pas satisfaction et laisse interrogatif, voire perplexe.
Voilà quelques mois, j’ai souhaité personnellement faire un point sur les textes législatifs et réglementaires qui régissent cette dotation. J’ai donc recherché, dans l’Encyclopédie des collectivités locales, la définition de la DGF ; cette dernière fait quarante-deux pages ! Si je relate cette anecdote, mes chers collègues, c’est parce que ce chiffre me semble une bonne illustration : il n’est pas admissible que des dispositions aussi importantes pour la vie de nos collectivités soient à ce point complexes et illisibles, et finalement inexplicables.
À ce stade, l’application de la réforme est reportée d’une année. Toutefois, le projet de loi de finances pour 2016 en intégrera les grands principes. C’est un premier pas ; certains s’en satisferont, d’autres moins.
Je considère cependant que cette réforme ne pourra pas être reportée indéfiniment, car il s’agit là d’une attente réelle, encore plus dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons. Ainsi, certaines communes de mon département, les Côtes-d’Armor, m’ont fait parvenir des simulations budgétaires très détaillées, qui démontrent que, sans cette réforme, qui était attendue, les équilibres financiers ne pourront être tenus durablement. Cela est particulièrement patent pour les petites villes qui ne tarderont pas à se trouver en difficulté. À titre d’exemple – et je pourrais en citer d’autres –, Lannion, qui compte 22 000 habitants, pourrait perdre 50 % de sa DGF à l’horizon 2017. Ce problème, qui est réel en Bretagne, se pose ailleurs en France.
Dans ce contexte, réformer la DGF pour la rendre plus équitable n’est pas une option plus ou moins aléatoire ; c’est une obligation.
Bien entendu, je prends acte positivement de ce report, car l’action politique nécessite parfois, non pas des renoncements, mais d’infléchir les délais, afin de permettre le dialogue et la recherche du consensus. Il faut donc prendre un temps pour cela, à la condition qu’il soit raisonnable.
L’objectif est d’évidence de rétablir plus de logique, davantage de justice dans les dotations qui sont versées aux communes et aux intercommunalités, dont la situation est, il faut le rappeler, particulièrement contrastée : si certaines connaissent certes des difficultés, d’autres se portent bien mieux.
Je crois que, au-delà de considérations politiciennes, parfois, nous pouvons tous nous rejoindre sur ce point, dès lors que nous constatons dans nos territoires ces inégalités de traitement flagrantes et, in fine, injustifiables.
La méthode proposée devra permettre de mieux travailler du point de vue de la lisibilité du dispositif visé et des conditions de son application, autour des trois piliers que sont, pour ne prendre que l’exemple de la DGF communale, une dotation universelle, une dotation de centralité et une dotation de ruralité.
Grâce à ces outils, nous pourrons répondre de façon adaptée à des situations très différentes. Nos communes sont diverses, et c’est une chance, à l’image de ce qui caractérise la France dans son unité. Rurales, urbaines ou périurbaines, petites, grandes ou moyennes, de montagne, de plaine ou insulaires, elles connaissent des situations différentes, avec des compétences variées. Toutes, pourtant, doivent apporter à leur mesure des services à leurs habitants et mettre en œuvre l’action publique sur tout le territoire.
C’est au législateur qu’il appartient de trouver les dispositifs qui permettent d’assurer le traitement équitable et efficace de cette diversité. Les mois à venir nous permettront, je le pense, de procéder à des simulations complètes, simulations qui sont absolument indispensables, afin de calibrer au mieux ces trois composantes et d’obtenir le meilleur résultat prévisionnel.
Il faut, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, bannir toute improvisation. Il n’y a pas lieu de se perdre en polémiques sans intérêt ; il convient au contraire, dès maintenant, de travailler utilement.
Sur une réforme d’une telle ampleur, il est impossible de penser que nous pourrions tomber juste du premier coup. Ce temps supplémentaire dont nous disposons désormais permettra les ajustements dont j’ai parlé, et, en conséquence, une application plus partagée de cette réforme dès 2017.
D’aucuns pourraient être tentés de rejeter en bloc celle-ci ou de la différer tant qu’ils pourront. Il s’agirait alors d’une posture qui ne serait pas à la hauteur de l’enjeu et qui pénaliserait durablement la majorité de nos collectivités, puisque, semble-t-il, une majorité d’entre elles pourrait être gagnante.
Enfin, je souhaite personnellement que ce délai nous permette d’intégrer à la réforme une prise en considération de l’effort fiscal des communes et des intercommunalités.
En effet, il paraît logique, et certainement plus juste, d’adapter la dotation globale de fonctionnement en fonction de l’effort fiscal demandé. Il ne s’agit pas d’une démarche punitive visant à sanctionner. Il s’agit d’établir un principe d’équité de traitement.
Certes, il faut tenir compte de la réalité fiscale des populations, mais une collectivité qui ne mobilise pas l’impôt local ne doit pas être dotée de la même manière qu’une autre qui demande à ses habitants un effort plus important, et ce afin d’éviter tout effet d’aubaine fiscale, donc de concurrence territoriale exacerbée.
Mes chers collègues, cela fait des années qu’il est question de cette réforme ; pourtant, elle ne se fait pas. C’est pourquoi je veux saluer les intentions du Gouvernement, qui a engagé le processus et fixé les échéances.
Ce débat sera finalement l’occasion d’appeler chacun à ses responsabilités. Il ne faudrait pas que l’objectif de la réforme soit remis en cause, voire que certains parient sur son abandon et se mobilisent en ce sens. Ce serait lourd de conséquences préjudiciables au plus grand nombre. Et je n’ose pas y penser. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État – je salue leur sens du devoir –, mes chers collègues, la DGF du bloc communal et son évolution posent au moins deux problèmes de nature sensiblement différente : l’évolution du montant de cette dotation et son mode de répartition, lequel conjugue deux défauts, l’iniquité et l’illisibilité.
Évidemment, tout le monde souhaite une dotation répartie selon des règles justes et transparentes. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Que cela soit inscrit dans une loi de finances ou ailleurs importe peu. La difficulté de l’exercice, en effet, tient non pas à la définition des objectifs, mais à l’application de ce qu’ils signifient concrètement : prendre aux collectivités les plus riches pour donner aux plus pauvres, supprimer l’habillage complexe de la dotation qui, pour partie, masque le caractère inéquitable du dispositif et, pour une autre, le corrige à la marge.
Si réformer est toujours un exercice politique risqué, il l’est particulièrement quand on entend prendre aux uns pour donner aux autres, ce qui est, en principe, le but officiel de la réforme de la DGF communale annoncée depuis bientôt trois ans.
Jusque-là, la difficulté avait été tournée par la création de dotations compensatrices, dites « de péréquation » – DSU en 1991 et DSR en 1992, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Sueur que j’aurais salué s’il avait été présent ce soir –, augmentées régulièrement à doses homéopathiques, sans amputer la part des plus favorisés.
La croissance régulière du montant global de la DGF – parfois l’apport de ressources extérieures comme pour la DSR qui se vit affecter une fraction du Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle – expliquait ce petit miracle. Le cœur du système demeurait le même ; on se contentait d’y ajouter quelques pièces permettant d’adoucir ses effets à la marge : résultat modeste mais réel, la fraction péréquatrice de la DGF représentant aujourd’hui près de 15 % de la dotation du bloc communal, si mes calculs sont bons.
Néanmoins, avec la baisse de la DGF, participation imposée des collectivités territoriales aux absurdités maastrichtiennes, la rhétorique gouvernementale changea.
Pour faire oublier que tout le monde sera touché, le Gouvernement, d’une réforme toujours différée en période de relative abondance, fit vertu, sur le thème que je résumerai sommairement ainsi : « Certes, on va vous ponctionner, mais si équitablement que, les inévitables grincheux mis à part, personne ne pourra s’y opposer. » On allait voir ce qu’on allait voir ! Effectivement, avec le projet de loi de finances pour 2016, on a commencé à voir…
On observe des dispositions sympathiques, attendues depuis longtemps par les maires ruraux, des mesures de haute valeur symbolique : la suppression des strates de population de la dotation forfaitaire, en vertu desquelles un administré d’une commune de moins de 100 habitants valait deux fois moins que celui d’une commune de plus de 500 000 ; la création d’une dotation pour charges de ruralité, si, et seulement si sont prises en compte des charges de centralité. En effet, ce qui importe, ce n’est pas la nature des charges, qu’elles relèvent de la centralité ou de la ruralité, mais leur nature de charges en tant que telle et le fait qu’elles soient imposées.
Cependant, à y regarder de plus près, et les symboles mis à part, on s’est aperçu que les résultats sonnants et trébuchants étaient moins brillants qu’annoncés. Non seulement le choix de 75,70 euros par habitant ne compensait la baisse globale de 17,7 % de la dotation forfaitaire par rapport à 2013 pour aucune commune, mais il pénalisait les communes rurales de plus de 1 400 habitants.
Toutes choses égales par ailleurs, si les communes de 100 habitants gagnaient un peu plus de 1 100 euros, les communes de 3 500 habitants perdaient 34 000 euros.
Mes chers collègues, j’attire par ailleurs votre attention sur le point suivant : en supprimant beaucoup d’anciens cantons pour en créer de plus étendus, le redécoupage électoral a rendu inéligibles à la fraction « bourg-centre » de la DSR nombre d’anciens chefs-lieux et de communes dont la taille n’était plus suffisante pour représenter 15 % de la population cantonale.
Réforme ou non, si cet effet indésirable du redécoupage électoral n’est pas neutralisé – peut-être, d’ailleurs, l’est-il : il devient on ne peut plus difficile de comprendre les dispositions que renferme ce dossier –, on risque d’aboutir à un résultat catastrophique pour ces communes, tant, avec la baisse générale des dotations, leur équilibre financier dépend de la DSR.
Des simulations illisibles et peu fiables dont on a pu tardivement disposer résultait au moins cette certitude : au lieu de la justice, la réforme de la DGF pourrait bien susciter le chaos.
Du jour au lendemain, l’ardente obligation de réformer la dotation globale de fonctionnement pour compenser sa baisse massive fut donc renvoyée à l’année prochaine, sans autre explication que celle qu’a énoncée ici même Manuel Valls, avouant sans s’en étonner au cours des questions d’actualité au Gouvernement qu’un travail de simulation restait à accomplir – il était temps ! –, et faisant valoir, sans rire, qu’il fallait attendre l’achèvement de la carte intercommunale pour être en mesure « de boucler cette réforme de la DGF et de l’inscrire pleinement dans le projet de loi de finances pour 2017 ». Sur ce front également, on aurait pu s’en apercevoir plus tôt...
Faute de temps, je me bornerai, en conclusion, à formuler quelques rappels.
Premièrement, retarder la réforme de la DGF pour la rendre plus équitable ne fait pas le système actuel plus juste, au contraire.
M. Philippe Dallier. Ah !
M. Pierre-Yves Collombat. Deuxièmement, avec ou sans réforme, il faudra, en 2016, neutraliser les effets indésirables de la réforme cantonale précédemment évoqués.
Troisièmement, objet d’une loi spécifique ou traité au titre du projet de loi de finances, le problème principal posé par la réforme est de nature non pas technique, mais politique. (M. Jacques Mézard acquiesce.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pierre-Yves Collombat. Personnellement, je ne vois pas comment nous pourrons sortir des faux-semblants sans abandonner la politique de restrictions financières imposée au bloc communal. Autant dire que je n’ai guère d’illusions à ce titre !
Au reste, il suffit d’entrer dans le détail du projet que l’on connaît pour dresser ce constat : ce que l’on prend d’une main aux collectivités les plus puissantes leur est restitué de l’autre… Bref, la routine ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et vive la DGF ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà vingt ans que j’espère une réforme de la DGF : vingt ans !
M. Philippe Dallier. À l’époque, je n’étais pas encore sénateur, je venais d’être élu maire. Comme tout nouvel élu, j’examinais le budget de ma collectivité, en particulier ses recettes et, au titre de ces dernières, la DGF. J’en détaillais le montant et m’efforçais d’en comprendre la composition. Surtout, je tentais de comparer le niveau de ma DGF communale et celui d’une commune similaire du département.
L’une d’entre elles était, à l’époque, presque équivalente à la mienne. Or cette commune percevait 20 % de crédits supplémentaires au titre de la dotation globale de fonctionnement.
Aussi, j’ai pris ma plus belle plume pour indiquer au ministre de l’intérieur qu’une erreur s’était manifestement glissée quelque part. Je me disais que je pourrais bien récupérer, à l’époque, les quelques millions de francs en question pour résoudre les problèmes budgétaires de ma commune… (Mme Caroline Cayeux rit.)
Vous devinez ce qui s’est passé : j’ai reçu une belle réponse du ministre de l’intérieur, m’expliquant qu’il n’y avait aucune erreur de calcul, que le système d’ensemble était totalement justifié et qu’il se fondait sur le poids de l’histoire. (M. Bruno Retailleau sourit.)
Ensuite, j’ai découvert l’existence des dotations de péréquation. Dès lors, je me suis dit : peut-être vais-je récupérer d’un côté ce que je ne perçois pas de l’autre.
À l’époque déjà, en 1991, date à laquelle M. Collombat vient de faire référence, existait le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, le FSRIF.
Mes chers collègues de province, vous regardez souvent l’Île-de-France comme une manne potentielle. Mais, vous l’oubliez fréquemment, si cette région est la plus riche de France, c’est aussi celle où les écarts de richesses entre les communes les plus aisées et les moins favorisées sont les plus accentués. Cette situation justifie l’existence de ce fonds de solidarité. Ma commune n’en bénéficie pas, mais n’y contribue pas non plus.
Parallèlement, la dotation de solidarité urbaine vise à aider les collectivités le plus en difficulté. Or ma commune bénéficie bien de la DSU. Madame la ministre, sauf erreur de ma part, ma commune se place aujourd’hui au 567e rang, ce qui commence à être assez haut dans le classement !
Ainsi, tout allait à peu près bien jusqu’en 2010, date à laquelle a été créé le FPIC. Je me souviens des discussions que Charles Guéné et moi-même avons consacrées à ce fonds : nous avons voté sa création dans un grand élan, sans simulation aucune. À l’époque, je me disais que je ne pourrais que bénéficier du FPIC !
Las, faute de simulation, je me suis retrouvé,…
M. Jacques Mézard. Contributeur !
M. Philippe Dallier. … à verser, au titre du FPIC, quatre fois le montant que je perçois au titre de la DSU !
Mes chers collègues, au pays de Descartes, nous avons relevé ce défi incroyable pour une commune de Seine-Saint-Denis, bénéficiaire de la DSU et neutre au FSRIF : être contributeurs du FPIC ! (Mme Catherine Deroche s’exclame.)
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, voilà pourquoi j’espère depuis longtemps le grand soir, voire le très grand soir de la DGF, à condition que l’on remette en cause les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle, avec la création du Fonds national de garantie individuelle des ressources, le FNGIR. Ce dernier, souvenons-nous-en, devait constituer un autre mécanisme péréquateur. À l’époque, le Gouvernement avait imaginé que l’on pourrait le faire disparaître en vingt ans, à hauteur de 5 % par an, ce qui était effectivement un vecteur de péréquation.
M. Philippe Dallier. Grand soir, voire très grand soir… Vous comprendrez la déception que j’éprouve en détaillant le texte que vous nous présentez.
Vous nous proposez bien une réforme de la DGF. Cependant, vous n’osez pas remettre en cause, en tout cas dans le même ensemble, la réforme des dotations de péréquation. Or ce travail me paraît absolument nécessaire.
J’en viens à la méthode.
Dans cet hémicycle, nombre d’entre nous avons vécu la réforme de la taxe professionnelle et la création du FPIC. Nous avons suivi toutes ces transformations en faisant confiance au Gouvernement. À l’époque, j’étais encore plus serein à cet égard, étant donné que j’appartenais à la majorité gouvernementale. Nous n’avons pas mesuré la portée de ce que nous faisions.
Ces chantiers nous ont placés face à de très grandes difficultés, à tel point que tous les ans, par la suite, nous avons été contraints d’y revenir. Mais, en ce temps-là, les dotations de l’État augmentaient chaque année : bon an mal an, la situation restait plus supportable pour les collectivités. Nul n’imaginait avoir de grandes difficultés à affronter au cours des années à venir.
Or, madame la ministre, aujourd’hui, vous le savez, le Gouvernement nous impose une baisse des dotations de l’ordre de 12,5 milliards d’euros. Nous n’avons donc plus de visibilité. Si l’engagement des collectivités territoriales est en train de chuter, c’est parce que les maires refusent de presser le bouton de l’investissement, et pour cause : ils ne savent pas ce qu’il adviendra de leur budget en 2016, en 2017 ou en 2018.
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Évidemment !
M. Philippe Dallier. Bien entendu, nous freinons ! Nous ne pouvons plus investir, sauf à recourir à l’emprunt, ce qui n’est pas souhaitable. Nous pourrions certes actionner le levier des impôts locaux, mais, sur ce front, nos concitoyens n’en peuvent plus. Nous allons donc nous autolimiter, ce qui va aggraver la crise.
Nous ne pouvons pas nous engager de nouveau dans un processus où nous laisserions carte blanche au Gouvernement pour adopter de grands principes, en déclarant : « Nous verrons bien. Nous corrigerons le tir l’année prochaine, lorsque les notifications nous parviendront. » Ce n’est pas possible ! En ces temps de restrictions budgétaires, nous devons savoir où nous allons.
Certes, la méthode suivie n’est pas la bonne. Néanmoins, je le dis à l’instar de tel ou tel de mes collègues, nous pouvons aboutir à une bonne réforme. Bien sûr, cette dernière ne contentera jamais tout le monde. Certains y gagneront, d’autres y perdront.
À cet égard, je l’indique à l’attention de M. Raynal : si j’en crois les simulations qui nous ont été communiquées, ma commune y gagnerait. (M. Claude Raynal hausse les épaules.) Pour autant, je n’estime pas qu’il faille adopter le texte qui nous est proposé. Pour reprendre une expression employée par Jean Arthuis à cette tribune, ce serait en quelque sorte acheter un lapin dans un sac, ce que nous ne voulons plus !
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, donnons-nous le temps de la réflexion. Nous avons, à cette fin, quelques mois devant nous. Revenez devant nous avec des simulations tenant compte des modifications de la carte intercommunale, destinées à avoir un effet essentiel sur ces dotations. Dès lors, vous trouverez le Sénat tout à fait disposé à l’adoption d’un texte.
Tel est le simple souhait que je formule : un changement de méthode, du temps et des simulations !
Puisque mon temps de parole n’est pas encore épuisé, je me permets de revenir sur la transformation que vous proposez au titre de la DSU. Il s’agit là de la seule véritable réforme des dotations de péréquation.
Madame la ministre, je crains que vous ne fassiez une erreur similaire à celle que nous avons commise lors de la réforme de la DGF.
Vous nous proposez de décristalliser cette dotation. Je ne puis qu’être favorable à une telle mesure. Toujours est-il que vous nous proposez comme base une année n-1. Cette référence a été figée, pour la plus grande partie des communes éligibles à la DSU, pendant quatre années. En effet, l’augmentation de cette dotation a été concentrée sur les communes cibles. C’était une bonne chose, à ceci près que presque tous les autres facteurs ont été figés.
Or les deux tiers des communes ont pu voir leur situation évoluer. Je songe aux localités qui ont beaucoup construit, en particulier au titre du logement social. Aujourd’hui, ma commune perçoit 200 000 euros. Elle aurait pu bénéficier de 400 000 euros si l’on avait renversé la logique du dispositif ! Mais, je le répète, vous allez figer cette situation.
Madame la ministre, vous m’excuserez d’avoir plaidé un tant soit peu cette cause, qui m’est particulièrement chère. Si le principe que vous adoptez pour réformer la DSU est bon en tant que tel, je crains que vous ne figiez de nouveau telle ou telle situation. Dans cinq ou dix ans, nous nous demanderons de nouveau pourquoi deux communes placées dans des situations comparables perçoivent, à ce titre, des volumes de crédits sensiblement différents…
Aussi, je vous proposerai un amendement dont la rédaction n’est peut-être pas facile, mais que je m’efforcerai d’élaborer. J’espère que vous m’écouterez et que vous émettrez, sinon un avis favorable, du moins un avis de sagesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Bruno Retailleau. Bravo !
M. François Bonhomme. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes invités à débattre de la réforme de la dotation globale de fonctionnement à l’heure où nos principales pensées sont ailleurs.
L’esprit d’unité nationale me conduit à ne pas trop insister sur le report de la DGF, qui nous était encore refusé il y a encore un mois…
Une réforme bien comprise se fonde sur un socle technique pertinent et sur un cap affiché : il s’agit là de la lisibilité et de l’équité. Ces deux qualités, que M. Raynal a évoquées, sont, sinon absentes du projet qui nous est soumis aujourd’hui, du moins y sont insuffisamment présentes.
Les collectivités territoriales agissent en vertu d’un cadre budgétaire qu’elles apprécient globalement. Elles ne connaissent que trop la sévère réduction que subissent leurs ressources pour la troisième année consécutive. Cela étant, elles ignorent l’incidence, sur les dotations de péréquation, des fusions d’intercommunalités, comme l’effet de l’émergence de grandes collectivités, en particulier, le poids financier de Paris.
Nos collectivités peinent à anticiper les effets du FPIC, auquel il vient d’être fait référence. Il s’agit là d’un instrument délicat. À quelques places près dans le classement, l’on devient contributeur, ou bénéficiaire, voire les deux, pour des montants qui sont devenus substantiels.
Nos collectivités s’inquiètent aussi des facteurs persistants – j’insiste sur ce mot – d’augmentation de leurs charges en raison du prélèvement au titre du FNGIR, de la fin de l’exemption des taxes locales sur l’éclairage public, de l’instruction des autorisations d’urbanisme, de la prise en charge par les intercommunalités de l’information des demandeurs de logements sociaux et de la constitution de leur dossier tel que la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové le prévoit, de l’obligation, issue de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, de disposer d’un service ou de compétences en conseil énergétique à l’intention des concitoyens, etc.
Vous l’avez compris, l’incertitude et l’absence de visibilité sont contreproductives.
Concernant le volet relatif aux charges, je renouvelle, madame la ministre, la demande formulée voilà un mois, lors des questions d’actualité au Gouvernement, de l’engagement d’un travail en commun entre le Parlement et le Gouvernement sur la mise en place d’une sorte d’article 40 – pardonnez cette comparaison ! – à destination des collectivités locales, conditionnant les transferts à leurs financements.
Tout est dit dans l’article 72-2 de la Constitution rappelé par François Baroin au début de cette séance. Je ne vous demande pas la révision de la loi fondamentale, l’exercice à venir étant suffisamment important en la matière. En revanche, je requiers l’application effective de l’article susvisé, sous la forme d’une loi organique, qui nous manque toujours.
Je souhaite maintenant évoquer trois points : affirmer, d’abord, qu’il convient de ne pas accabler la DGF actuelle de tous les maux ; formuler, ensuite, quelques observations techniques ; insister, en conclusion, sur le besoin d’intégrer de la vertu dans la réforme.
Contrairement aux autres orateurs, je me refuse donc à accabler la DGF en vigueur. La DGF est d’abord issue de transferts successifs et de garanties accordées au fur et à mesure. Le résultat actuel n’est donc pas le fruit du hasard. Ensuite, les écarts de DGF entre collectivités sont moindres qu’on ne le dit souvent. Méfions-nous, à cet égard, des biais statistiques.
Ainsi, entre les communes bénéficiant d’un montant de 35 % supérieur au montant moyen de DGF par habitant et celles qui perçoivent un montant de 35 % inférieur, on trouve 82 % des collectivités. En réalité, seuls 8 % des collectivités perçoivent moins de 35 % des crédits moyens et 10 % perçoivent 35 % de plus.
Plus remarquable encore, l’inégalité globale au regard de la DGF perçue par habitant entre les communes d’une même strate est inférieure à l’inégalité des mêmes communes classées par le potentiel fiscal. Autrement dit, la DGF, dans sa version actuelle, a un caractère péréquateur plus net que vous ne l’indiquez.
J’avais prévu d’avancer quelques observations techniques portant sur la cohérence, en rappelant au Gouvernement qu’il est en train de créer de nouvelles garanties, ou sur les coups de rabot apportés en catimini, puisque, en 2016, nous est imposée l’intégration du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, dans l’enveloppe normée des collectivités. Chacun sait que celles-ci ont pourtant longtemps mené le combat inverse.
Cette décision est très habile, puisqu’elle n’est pas douloureuse pour 2016 ou 2017, car l’investissement est en baisse, mais elle le deviendra quand l’investissement repartira, ce que nous devons souhaiter pour notre pays.
J’aurais pu également évoquer la complexité des équations utilisées, à l’exemple du facteur de puissance cinq affecté à la dotation de centralité, dont je peine à appréhender les motivations, voire les conséquences pratiques.
Par ailleurs, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, un problème commence d’ores et déjà à se poser : outre les départements, dont nous savons que certains connaissent de sérieuses difficultés, il existe des strates de communes discrètes, paradoxalement souvent bien gérées, qui commencent à rencontrer de réelles difficultés financières.
J’en viens à mes deux conclusions. Je vous demande, tout d’abord, d’intégrer de la vertu dans la réforme. Ainsi, qu’est-il advenu du coefficient de mutualisation ? Les praticiens savent que les économies se font par le biais de la mutualisation, qui est incontournable pour préserver la capacité d’investissement. Je vous suggère donc d’intégrer dans les critères de la réforme le coefficient de mutualisation entre communes et intercommunalités. Vous offririez ainsi une sorte de prime à la qualité de gestion.
Enfin, j’ai bien entendu tout à l’heure la suggestion de M. Raynal, membre du groupe socialiste et républicain, lequel nous a invités à mener un travail collectif et à assumer une responsabilité partagée. Mon groupe relève le gant, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, et M. Capo-Canellas et moi-même sommes disponibles pour cela. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – MM. Ronan Dantec et René Vandierendonck applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la DGF est destinée à compenser les inégalités de situation entre les collectivités territoriales en leur apportant un niveau de ressources suffisant pour faire face à leurs charges particulières. Elle ne remplit ce rôle que de façon lacunaire dans les collectivités d’outre-mer, qui sont pourtant, en majeure partie, considérées comme les plus pauvres de France.
Conçue avant tout pour les collectivités hexagonales, elle pâtit d’une certaine inadaptation aux réalités ultramarines, qui ne sont que peu prises en considération. Les outre-mer présentent des particularités issues de leur histoire et de leur géographie qui, indéniablement, les différencient des collectivités hexagonales, et les articles 73, 74, 76 et 77 de la Constitution en apportent la preuve.
Leurs charges sont ainsi incontestablement plus élevées, tant en fonctionnement qu’en investissement, en raison du contexte de rattrapage économique et social, de leur démographie et des compétences plus étendues qu’elles exercent.
Mais leurs recettes fiscales directes sont beaucoup plus faibles : elles ne représentent que 20 % de leurs recettes de fonctionnement, contre 40 % dans l’Hexagone. En conséquence, les collectivités d’outre-mer souffrent d’une très grande fragilité financière, et nombre d’entre elles sont en situation de déficit. Une majorité d’entre elles fait en effet l’objet d’une procédure d’alerte cette année.
Afin que la DGF joue pleinement son rôle de stabilisateur des budgets des collectivités locales et de compensation de leurs charges en outre-mer, il est impératif de l’adapter en comblant les lacunes des dispositifs de droit commun et en étudiant sérieusement la mise en place de mesures de péréquation spécifiques aux outre-mer.
Ayant fortement sensibilisé le Gouvernement et Mme Pires Beaune, en avançant des propositions, je m’attendais à des avancées significatives. Tant s’en faut !
L’article 58 du projet de loi de finances pour 2016 ignore une fois de plus la situation particulière des outre-mer. En dépit de tous les constats déjà établis, le droit commun s’impose toujours en ce qui concerne la dotation forfaitaire et le statu quo est maintenu pour les dotations de péréquation !
S’agissant de la dotation forfaitaire, les engagements pris n’ont pas été tenus, en particulier envers les communes de Guyane, déjà lésées par un prélèvement exceptionnel et inique de 27 millions d’euros sur leurs recettes d’octroi de mer depuis 1974. Les maires de Guyane, excédés de ne pas obtenir gain de cause après de multiples demandes de rétrocession de ce prélèvement, ont pris la décision de déposer un recours devant le tribunal administratif.
Dans leur rédaction actuelle, plusieurs points de l’article 58 susvisé méritent d’être revus, corrigés et précisés pour les communes d’outre-mer.
Tout d’abord, la détermination de la population retenue pour le calcul de la dotation de base n’intègre pas de coefficient de majoration pour les communes de Guyane dans lesquelles l’INSEE refuse de procéder aux tournées physiques de recensement en raison de leur dangerosité pour ses agents. Comme vous le savez, les garimpeiros, ou orpailleurs clandestins, pullulent dans les forêts guyanaises et peuvent être dangereux lorsque se présentent devant eux des fonctionnaires de l’État. Il ne s’agit donc pas d’une sous-estimation de la population recensée pour des raisons techniques, mais bien de la non-prise en compte d’une catégorie de population, dont l’existence est pourtant connue de l’État.
La dotation de ruralité, censée remplacer la dotation superficiaire, voit sa portée limitée par le « tunnel », même si son plafond est relevé à quatre fois la dotation de base. Des assurances avaient pourtant été données : cette composante devait constituer une réponse en direction des grandes communes de Guyane en proie à des difficultés énormes pour garantir les besoins primaires à leur population, tels que l’eau potable et l’électricité.
En outre, les critères d’attribution de cette dotation, basés sur la densité de population, excluent de son bénéfice la quasi-totalité des communes des autres départements d’outre-mer, aux fortes densités de population.
La dotation de centralité, quant à elle, fait apparaître tout simplement des situations ubuesques, lorsque l’on connaît un tant soit peu les intercommunalités de Guyane ! Quelles charges de centralité supportent donc des villes-centres envers des communes dont les habitants doivent faire plusieurs jours de pirogue pour s’y rendre ? (M. Raymond Vall sourit.)
S’agissant de la péréquation, laquelle, de l’avis même de Mme Pires Beaune, « soulève en outre-mer des questions spécifiques » et pour laquelle « il convient donc d’examiner l’opportunité d’introduire de nouveaux critères afin de permettre une répartition des dotations de péréquation plus adaptée aux ressources et aux charges de territoires », l’article 58 précité ne prévoit pas plus d’évolution.
Le statu quo demeure, alors que l’écart se creuse entre les communes des outre-mer et les communes défavorisées de l’Hexagone depuis 2011. Si, pour celles-ci, la hausse de la péréquation nationale a neutralisé l’effort à la contribution au redressement des finances publiques, la CRFP, celles-là subissent au contraire une double peine : les enveloppes de péréquation ne sont pas à niveau et la hausse de péréquation n’est possible pour elles que dans la limite d’une enveloppe majorant leur poids démographique de 33 %, appelée la « dotation d’aménagement des communes d’outre-mer », ou DACOM.
Souvent comparée à une moyenne hexagonale, cette DACOM ne s’avère en réalité pas avantageuse pour l’outre-mer, au regard des efforts consentis à l’endroit des communes défavorisées de l’Hexagone. En effet, la hausse de la péréquation nationale entre 2014 et 2015 a atteint 517 millions d’euros, mais seuls 25 millions d’euros ont été consacrés aux communes d’outre-mer. Cela correspondant à leur poids démographique majoré de 33 %, mais reste insuffisant pour neutraliser l’effort à la contribution au redressement des finances publiques des communes d’outre-mer.
La contribution passe, certes, de 1,84 % à 0,04 % des recettes réelles de fonctionnement pour les communes éligibles à la DSU cible, et elle est même annulée pour les communes éligibles à la DSR cible qui gagnent même 20 millions d’euros, mais l’effort est maintenu à 1,22 % en outre-mer. Il en ressort que le montant de la hausse de la péréquation a été calculé seulement pour l’effort des communes de l’Hexagone éligibles à la DSR cible et à la DSU cible.
Nous insistons donc pour réviser la majoration des populations dans le calcul de la quote-part outre-mer de la dotation d’aménagement des collectivités d’outre-mer. Une telle mesure est d’autant plus nécessaire que celles-ci ne disposent pas de levier fiscal pour compenser la baisse de leurs recettes et que le mode de reversement du FPIC exclut de manière arbitraire 40 % des communes d’outre-mer, alors que seules 3 % d’entre elles sont contributrices.
Avant de conclure mon propos, je voudrais également attirer votre attention sur la très prochaine mise en place des collectivités territoriales de Guyane et de Martinique. Je plaide depuis quelques années pour la création d’une dotation spéciale dédiée aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, destinée à financer les charges qu’entraînera nécessairement leur création, inédite. J’ai défendu des amendements en ce sens lors des précédentes discussions de projets de loi de finances.
Enfin, le Gouvernement a proposé à l’Assemblée nationale de reporter la réforme au 1er janvier 2017. L’architecture de la réforme est toutefois maintenue en l’état dans le projet de loi de finances pour 2016. Il a également été annoncé à l’Assemblée nationale que les travaux relatifs à la réforme de la DGF reprendraient dès la fin de la discussion de ce projet de loi.
Toutes ces remarques concernant l’inadaptation de la DGF, telle qu’elle est conçue et prévue, aux outre-mer, me conduisent à insister pour que les élus ultramarins soient réellement associés à ces travaux, de manière à améliorer la prise en compte de la spécificité des finances locales ultramarines, dans un cadre de gouvernance mieux adapté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité réformer, dans le projet de loi de finances initiale pour 2016, la dotation globale de fonctionnement, afin de la rendre « plus juste et plus efficace ».
En six mois, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous espériez sans doute, sur la base de cette terminologie, revoir les règles de répartition de 33 milliards d’euros…, soit près de quarante ans d’histoires de transferts et de compensations d’anciens impôts locaux, entre l’État et les collectivités locales.
C’est en tant que représentante d’une ville de plus de 50 000 habitants, mais aussi en ma qualité de présidente de Villes de France, qui rassemble les villes inframétropolitaines de plus de 15 000 habitants et leurs EPCI, que j’ai souhaité ce soir réagir.
Ce réseau représente une majorité de la population urbaine, disons-le oubliée de la réforme, plusieurs centaines de villes où la fiscalité locale est plus lourde en moyenne qu’au niveau national, où les ressources des habitants sont modestes, et les charges périphériques importantes pour la ville centre.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, quel cap voulez-vous donner à cette réforme ?
Comment réformer et, surtout, dans quelle direction réformer, alors que, au moment du dépôt du projet de loi de finances, début octobre, la Direction générale des collectivités locales, la DGCL, n’était pas en mesure de livrer les résultats de ses propres orientations ?
La représentation nationale n’ayant pas eu le temps d’une analyse apaisée, puisque le Premier ministre, sous la pression des associations, je veux le croire – à cet égard, je tiens à saluer en particulier le président de l’AMF pour son soutien –, a modifié le calendrier.
Finalement, il est permis de se demander si le Gouvernement n’a pas confondu vitesse et précipitation, et pris avec légèreté ces 33 milliards euros, qui ne sont pas des subventions de l’État, comme la presse le laisse trop souvent entendre.
En effet, comment peut-on être à l’origine de la loi NOTRe et ignorer en pratique l’impact de l’extension du périmètre des intercommunalités sur les finances locales ? Ce phénomène continue d’ailleurs à poser un réel problème de calendrier dans cette réforme, puisque la stabilisation des périmètres intercommunaux ne sera effective qu’en 2017.
Aujourd’hui, la plupart de nos territoires intercommunaux, surtout ceux des villes de plus de 15 000 habitants, c’est-à-dire les communautés d’agglomération, s’étendent parfois considérablement, de quelques kilomètres carrés à plusieurs centaines de kilomètres carrés.
La réforme prévue dans l’article 58 du PLF est toutefois maintenue dans ses principes, l’entrée en vigueur étant fixée au 1er janvier 2017.
Je ne vous cacherai pas, mes chers collègues, notre désarroi devant l’attitude du Gouvernement, qui nous demande de revenir sur nos amendements en cours de préparation et de nous prononcer en aveugles sur cette nouvelle DGF, tout en nous assurant, malgré tout, qu’un rapport nous serait remis le 30 juin 2016.
Oui, mes chers collègues, le temps de la discussion parlementaire est désormais suspendu aux rapports d’une administration, ce qui est regrettable, eu égard au pouvoir de contrôle que nous devons normalement exercer sur elle.
La réforme de la DGF proposée est en réalité contre-péréquatrice pour les villes de France et leurs EPCI. Afin de réduire des écarts « injustifiés » de dotation par habitant, le Gouvernement entend introduire une dotation forfaitaire rénovée. Avez-vous seulement entendu que la dotation forfaitaire actuelle garde aujourd’hui une importance significative dans la péréquation ?
Pour la dotation de base, qui est la composante la plus importante au sein de la dotation forfaitaire rénovée, chaque commune percevrait un montant unitaire de 75 euros par habitant, identique pour toutes. Pour plus de justice, dites-vous, le Gouvernement veut une nouvelle DGF, la même pour tous ! Voilà un beau principe révolutionnaire, mais qui nécessite l’abolition des « privilèges » des habitants des villes...
Pour effectuer un parallèle avec l’impôt sur le revenu, c’est comme si, découvrant du jour au lendemain l’injustice créée par les effets de seuil du barème de l’impôt sur le revenu, nous décidions, pour plus de justice, un barème identique pour tous. Il s’agirait d’une conclusion aussi brutale que celle qui nous est proposée pour la réforme de la DGF.
L’histoire de la DGF est certes compliquée, mais, contrairement à ce que le Gouvernement affirme, les différences de DGF entre collectivités ne sont pas toujours injustifiées, cher Philippe Dallier (M. Philippe Dallier s’esclaffe.), compte tenu du poids de certaines charges, comme les charges de centralité ou les charges touristiques, qui étaient déjà prises en considération dans le calcul de la DGF d’avant 1991 – une réforme que votre majorité, madame la ministre, avait elle-même mise en œuvre -, et qui sont de ce fait figées dans la dotation forfaitaire actuelle.
Et ne nous faites pas croire que la dotation de centralité viendra corriger tous les problèmes, quand cette dotation est réservée aux communes de plus de 500 habitants !
Que dire encore du fait que ce sont en réalité les territoires des villes intermédiaires qui vont assumer le coût des métropoles et celui des communes nouvelles, et qui ne leur est, sauf exception, pas réservé ?
Vous ne vouliez pas, avec cette réforme, opposer les représentants des villes à ceux du monde rural, mais, avec les orientations égalitaristes qui ne tiennent pas compte du passé, n’allez-vous pas finalement aggraver les inégalités ?
En nous faisant formellement adopter l’article 58 et son article additionnel, le Gouvernement renonce quelque part à une discrimination positive assurée par l’ancienne DGF dans nos villes.
J’ajouterai qu’aucun traitement n’est réservé aux inégalités fiscales, qui sont plus grandes. Le volet fiscal a d’ailleurs été majoritairement occulté dans cette réforme.
Le potentiel fiscal des villes de 15 000 à 100 000 habitants varie, par exemple, de 1 à 3, quand la dotation forfaitaire s’échelonne de 1 à 1,5. L’effort fiscal y est, en moyenne, proche de 2, quand, dans le monde rural, il est inférieur à 1.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, telles sont les questions posées par cette réforme, qui n’ont pas reçu le moindre commencement de réponse à l’heure où vous nous demandez malgré tout de voter.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Caroline Cayeux. En conclusion, je dirai que les effets cumulés de vos propositions nuisent à la sérénité indispensable à une réforme de cette ampleur.
Par cohérence et par respect pour le travail de nos assemblées, il est nécessaire que nous obtenions le retrait définitif de l’article 58 et l’examen d’une réforme de la DGF dans le cadre d’un projet de loi spécifique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Genest. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Genest. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup a été dit dans ce débat, et la diversité des interventions que nous avons écoutées jusqu’ici est à l’image de celle des communes de notre pays.
La France compte 32 000 communes rurales de moins de 2 000 âmes, représentant 20 % de la population.
Pour leurs habitants, ces communes rurales représentent le premier échelon de proximité, pour ne pas dire bientôt le seul, avec la paupérisation du département qui vise à amener par étapes une suppression programmée.
Pour ces communes, la dotation globale de fonctionnement est donc non pas un « coup de pouce » permettant aux maires de concrétiser leurs rêves de grandeur, mais simplement la contribution de l’État à la collectivité qui agit au plus près de nos concitoyens ruraux et permet, autant que possible, d’éviter la désertification de nos campagnes. Dans de nombreuses petites communes, cette dotation peut représenter 50 % à 70 % des recettes.
Cette DGF, demeurée sans modification depuis de trop nombreuses années, est-elle aujourd’hui équitable ? Assurément non ! Incompréhensible, elle est bâtie sur des formules tellement obscures que, selon les aveux mêmes des services de Bercy, seuls quelques spécialistes sont capables de la calculer.
Finalement, comme trop souvent, le montant de cette dotation par habitant crée une criante rupture d’égalité pour la France rurale.
Madame la ministre, si l’initiative de la réforme résultait d’une vision clairvoyante de la situation, la mener à bien sans tenir compte de la nouvelle carte des intercommunalités, qui verra le jour en 2017, était aussi irréaliste que précipité.
On ne peut que se réjouir de voir que le Gouvernement a été sensible aux arguments des maires, amplement relayés par les sénateurs. C’est un scénario auquel nous commençons malheureusement à être habitués : une réforme décisive pour les collectivités territoriales est annoncée par le Gouvernement de façon soudaine, et sans réelle concertation, avant que, constatant son impréparation, le même Gouvernement soit obligé d’accepter de remettre l’ouvrage sur le métier.
Les élus communaux, bénévoles au vrai sens du terme, n’y comprennent plus rien. S’ils n’y perdent pas leur latin, leur bon sens paysan est mis à rude épreuve !
Je mettrai donc à profit cette période maintenant ouverte à la concertation et à une réflexion approfondie en vue de réformer la dotation pour vous indiquer, madame la ministre, quelques points primordiaux de nature à rétablir une situation équitable entre citoyens ruraux et citoyens urbains.
Tout d’abord, j’évoquerai la part « bourg-centre » de la dotation de solidarité rurale, qui permet aujourd’hui d’apporter une aide à la commune comptant 15 % de la population du canton. Avec l’agrandissement des cantons, en effet, la représentation des communes répondant à ce critère a baissé mécaniquement et cela pénalise fortement des collectivités qui continuent à jouer un rôle moteur sur leur territoire en abritant les mêmes infrastructures et en apportant les mêmes services à la population.
Ensuite, madame la ministre, votre réforme entraînera la même sanction pour les charges de centralité. Permettez-moi de donner ici l’exemple de ma commune, ancien chef-lieu de canton. Aujourd’hui, elle représente 38 % de la population d’une communauté de communes de montagne, de surcroît très peu peuplée. Après la mise en place du schéma départemental de coopération intercommunale, elle ne représentera plus les 20 % de la nouvelle entité et perdra donc cette dotation de centralité. Ainsi, elle jouera toujours son rôle de bourg-centre, mais sans compensation financière.
Cet exemple illustre le cas de centaines de communes françaises : avec les mêmes charges s’agissant notamment des écoles ou des activités sportives et culturelles, leur dilution dans un ensemble intercommunal plus vaste va cependant les priver de cette part de dotation essentielle. Est-ce cela, l’aménagement du territoire ?
Enfin, et suivant le même raisonnement, le futur mode de calcul devra aussi tenir compte des dépenses à la charge des communes qui ne sont actuellement pas prises en compte, mais qui sont déterminantes dans le rôle que ces collectivités locales jouent en tant qu’aménageurs du territoire. Je pense aux nombreux kilomètres de voirie, mais aussi aux servitudes liées à la géographie physique, comme les reliefs montagneux, qui rendent nécessaire le déneigement.
Les communes sont en danger. La loi NOTRe est dévastatrice au moins sur deux points pour les petites communes. D’abord, elles vont être littéralement dissoutes au milieu d’immenses communautés qui auront une grande partie des compétences. En effet, les dérogations au nombre d’habitants prévues par la loi sont exceptionnelles, car les préfets ont reçu des consignes précises du Gouvernement pour fragiliser les petites communes.
M. Jacques Genest. Mais si ! (Rires.)
M. le président. Madame la ministre, mon cher collègue, vous aurez tout loisir d’échanger après… (Sourires.)
M. Jacques Genest. Ensuite, le département, qui assure la solidarité territoriale, est vraiment mis à mal. En effet, que va-t-il représenter quand il ne regroupera plus qu’une poignée d’intercommunalités et qu’il sera asphyxié par le social ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Genest. Que vont devenir nos communes, sans compétences et sans moyens financiers ?
Je vous en conjure, ne donnez pas le coup de grâce aux communes pauvres et peu peuplées avec une réforme de la DGF qui leur sera défavorable. Les habitants de la France oubliée sont exaspérés et humiliés par toutes ces décisions néfastes.
Ne détruisez pas la commune, qui est la seule cellule de proximité et le plus précieux lien social et démocratique, surtout en ces périodes troublées.
Je vous pose la question, madame la ministre : mais que vous ont donc fait les communes ? (Rires.)
Soyez-en convaincue, le temps de la réflexion que vous accorderez à contrecœur à cette réforme de la DGF ne sera pas perdu s’il est mis au service d’un changement visant à accompagner les communes sans les écraser, et à soutenir la ruralité dans sa spécificité pour l’aider à exprimer ses richesses et ses talents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré.
M. Benoît Huré. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pédagogie est affaire de répétition, a-t-on coutume de dire. C’est aussi une histoire de patience. Étant le quatorzième et dernier orateur à intervenir dans cette discussion, je vous remercie de bien vouloir malgré tout m’écouter.
Ce débat sur la réforme de la DGF s’inscrit, ne l’oublions pas, dans un contexte de nécessaire redressement des finances publiques, et ce alors même que de nouvelles dépenses doivent être engagées pour combattre le terrorisme.
Pour les conseils départementaux comme pour toutes les collectivités se pose dans sa globalité le problème des moyens financiers, à mettre en perspective non seulement avec les compétences exercées, mais aussi avec leurs propres ressources, qui, elles, sont liées à la situation économique, sociale et géographique spécifique à chacun des départements, comme à chacun des territoires.
La question du niveau des péréquations, à la fois horizontale et verticale, se pose également. Fort de ma connaissance et de mon expérience, tant dans mon département qu’au sein de l’Assemblée des départements de France, je m’interroge sur le niveau et l’efficacité d’une mise en œuvre réelle de la péréquation horizontale.
Autant la péréquation verticale peut garantir le pacte républicain, en quelque sorte, car elle constitue une réponse financière de la Nation adaptée et au bénéfice de chacun de ces territoires, autant la péréquation horizontale est aléatoire, car les prélevés trouvent toujours de bonnes raisons à faire valoir pour ne pas l’alimenter eux-mêmes !
Avant toute réforme de la dotation globale de fonctionnement, il y a, à mes yeux, nécessité d’arrêter et de constater le plus objectivement et le plus impartialement possible la réalité de la situation de chacune des collectivités concernées ; il s’agit, en quelque sorte, de poser le bon diagnostic.
Par ailleurs, je considère que la réforme de la DGF – si elle veut être ambitieuse – ne saurait s’appuyer seulement sur un prélèvement opéré sur les uns au profit des autres.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, dans ce débat sur la DGF, on ne saurait négliger la question tout aussi fondamentale des dépenses prescrites par l’État, par exemple, toutes celles qui sont liées à la mise en œuvre de nombreuses normes actuelles ou à venir, et plus spécifiquement encore celles qui sont liées aux dépenses relatives aux allocations individuelles de solidarité, ces AIS qui, prescrites par la Nation, sont versées par les départements pour son compte.
Les départements subissent la double peine d’une hausse constante des allocations à verser et de moins en moins compensées par l’État. Pour ces allocations, en 2014 et 2015, la somme due aux départements est de 15, 3 milliards d'euros. Double peine, disais-je, puisque, dans le même temps, la baisse de la DGF représente 1,6 milliard d'euros.
Pour vous permettre de mieux appréhender ces chiffres, je veux vous citer l’exemple de mon département, les Ardennes. Sur cette même période, pour les AIS, les sommes dues par l’État y sont de 66,5 millions d'euros et la baisse de la DGF y est de 5,5 millions d'euros. Or un point de fiscalité dans les Ardennes rapporte à peine 500 000 euros…
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la situation de nos collectivités départementales est devenue plus que critique. En effet, à ce jour, dix départements ne peuvent faire face aux dépenses de l’exercice budgétaire en cours et quarante-deux départements ne pourront équilibrer leur budget de l’exercice 2016.
Au travers des départements, c’est le niveau même de solidarité à l’égard des plus fragiles de nos concitoyens qui est interrogé. Pour la Nation, c’est finalement sa capacité à préserver le pacte républicain, héritage historique du Conseil national de la Résistance, dont il est question.
Désormais, les départements ne peuvent plus se substituer à l’État à un tel niveau, et c’est une baisse importante de ces AIS qui va être inégalement, selon les départements, rendue obligatoire, à défaut d’une meilleure compensation par l’État aux départements.
Nous devons, dès maintenant, en mesurer les nombreuses conséquences, tant pour les publics aidés que pour les emplois de service à la personne et pour le pouvoir d’achat généré, sans parler de la crédibilité de nos institutions aux yeux de nos compatriotes.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, finalement, c’est l’ensemble des financements dédiés aux collectivités – à toutes les collectivités – qu’il faut repenser, au premier rang desquels se situe la DGF. Cela est devenu urgent, sans justifier pour autant qu’il y ait précipitation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de laisser Mme Lebranchu vous répondre sur la réforme de la DGF, je vais m’exprimer sur la baisse des dotations, qui a été abondamment évoquée, et c’est tout à fait légitime.
Cette baisse des dotations, je veux simplement la resituer dans le contexte que vous connaissez, celui de la baisse de la dépense publique et du plan d’économies du Gouvernement de 50 milliards d'euros sur trois ans.
Sur ce plan d’économies, il faut savoir que l’État va contribuer à hauteur de 18 milliards d'euros, le secteur social à hauteur de 21 milliards d'euros et les collectivités locales à hauteur de 11 milliards d'euros, ce qui fait 20 % du plan d’économies. Et, 20 %, c’est le poids de la dépense publique locale dans la dépense publique globale.
La dépense publique locale, en gros, ce sont 250 milliards d'euros – 243 milliards d'euros pour être précis – et la dépense publique globale, ce sont 1 250 milliards d'euros. La contribution de 11 milliards d'euros représente 1,6 % des recettes totales des collectivités locales, en moyenne. Je sais que, pour certaines collectivités locales, c’est beaucoup plus, mais c’est donc beaucoup moins pour d’autres.
J’ajoute que la seule revalorisation de 0,9 point des bases fiscales en 2015 a rapporté 950 millions d'euros aux collectivités locales. Les ressources fiscales des collectivités locales – en clair, les impôts -, qui représentent 62 % de leurs recettes réelles de fonctionnement, ont progressé de 2,4 % en 2014.
S’agissant des communes rurales, et singulièrement de celles de l’Ardèche, sachez, monsieur Genest, que nous les aimons tous beaucoup, et notamment ici, dans cet hémicycle ! (Sourires.)
M. Jacques Genest. Il faut des preuves d’amour ! (Nouveaux sourires.)
M. André Vallini, secrétaire d'État. Je vais vous les donner, monsieur le sénateur ! (Mêmes mouvements.)
L’effort moyen des communes de moins de 500 habitants est de 8 euros par habitant en 2015, alors qu’il est de 55 euros pour les communes de plus de 200 000 habitants.
Pour les petites villes, les bourgs-centres, l’effort moyen des communes de moins de 10 000 habitants est de 12 euros par habitant en 2015, alors qu’il est de 27 euros par habitant pour les communes de plus de 10 000 habitants.
Enfin, pour les 10 000 communes rurales les plus pauvres – certaines sont sûrement en Ardèche ! – et pour les 250 communes urbaines les plus pauvres, les dotations n’ont globalement pas baissé après la péréquation en 2015.
Sans vouloir minorer les difficultés que rencontrent les communes, j’ajoute que le nombre de communes inscrites dans le réseau d’alerte reste stable cette année. Elles sont 1 800 en 2015, contre 1 854 en 2013 et 1 837 en 2014. Elles sont donc un peu moins nombreuses en 2015.
En 2015, le nombre de saisines des chambres régionales des comptes par les préfets pour actes budgétaires en déséquilibre est le même qu’en 2014 : il est de 138. Pour 2015, il y a eu 46 saisines de chambres régionales des comptes pour comptes administratifs en déséquilibre, contre 71 en 2014.
Enfin, les demandes de subventions exceptionnelles à l’État de la part de communes en difficulté sont au nombre de 25 en 2015, contre 23 en 2014.
J’en viens maintenant à l’investissement. C’est un vrai souci que vous avez exprimé les uns et les autres et qui est partagé par le Gouvernement. Nous le savons tous, l’investissement public local représente 70 % de l’investissement public en France.
Personne ne le nie, la baisse de l’investissement public local est forte : il a diminué de 7,8 % en 2014 – 12,4 % pour le bloc communal –, et il semble que, cette année, la réduction sera encore plus sévère, si j’ose m’exprimer ainsi.
Conscient de l’enjeu que représente l’investissement, le Gouvernement a pris en 2015 des mesures qu’il va reconduire et accentuer en 2016. Vous savez que nous allons relever le taux de remboursement du FCTVA de 0,9 point.
Nous avons augmenté la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, de 200 millions d'euros, la portant à 800 millions d'euros, contre 600 millions d'euros en 2014.
Nous avons créé un fonds pour les maires bâtisseurs de 100 millions d'euros, ce qui représente 2 000 euros par permis de construire dans les zones tendues.
Je pourrais également citer les crédits des contrats de plan État-régions, qui sont à hauteur, pour l’État, de 12,5 milliards d'euros.
Au titre des mesures annoncées en 2015, dont certaines produiront des effets en 2016 et dont quelques-unes sont déjà effectives, je veux notamment mentionner le prêt à taux zéro de la Caisse des dépôts et consignations, qui permet d’anticiper le remboursement de la TVA. Je m’aperçois, comme vous, que cette mesure, très importante, est peu connue par les communes. Dans beaucoup de départements, les maires ignorent encore qu’ils peuvent obtenir, moyennant certes une attente qui dure souvent deux ans, ce remboursement anticipé de la TVA sur les dépenses d’investissement.
Ce remboursement de la TVA par le FCTVA va être étendu aux dépenses d’entretien des bâtiments publics et aussi, grâce au vote des députés, aux dépenses d’entretien de la voirie. Cette mesure, très importante, sera appréciée par les maires, qui l’attendaient depuis longtemps.
Nous avons également décidé de créer un fonds d’investissement de 1 milliard d'euros. Je me souviens que, lorsque le Premier ministre, Mme Lebranchu, M. Eckert et moi-même avons reçu, le 28 mai dernier, le bureau de l’Association des maires de France – M. Baroin, en particulier –, l’AMF avait alors exprimé un certain scepticisme à l’égard de ce fonds de 1 milliard d’euros.
Or il devient réalité, se décomposant en deux parties de 500 millions d'euros. La première partie est destinée à la réalisation de projets de priorité nationale – transition énergétique, logements fléchés sur les investissements locaux, répartis par les préfets de région et les préfets de département, en concertation, bien sûr, avec les élus locaux.
La deuxième partie, donc également de 500 millions d'euros, se décompose de la façon suivante : 200 millions d'euros, qui correspondent à la reconduction de l’augmentation de la DETR – 200 millions d'euros de plus en 2015, à nouveau 200 millions d'euros de plus en 2016 – et 300 millions d'euros pour les investissements dans les bourgs-centres et les petites villes.
Enfin, nous avons décidé d’alléger les normes comptables, ce qui va permettre aux collectivités de dégager plus de capacités d’autofinancement et, donc, de favoriser l’investissement en allongeant la durée de l’amortissement de certains investissements et en modifiant l’amortissement des subventions d’équipement que les communes versent aux associations.
Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de laisser la parole à Mme la ministre.
M. le président. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme il est bientôt minuit, je vous propose de prolonger notre séance pour terminer le débat.
Il n’y a pas d’observation ?...
Il en est ainsi décidé.
Vous avez la parole, madame la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends les critiques concernant la réforme de la dotation globale de fonctionnement. Nous sommes partis de principes simples, rappelés par un certain nombre d’entre vous, sur lesquels je reviendrai en répondant à chacun.
Comment supprimer les écarts de ressources injustifiés ? Comment programmer la disparition progressive de parts figées et leur substituer des parts attribuées en fonction de critères objectifs en sachant, par exemple, que l’outre-mer recevait 59 euros en moyenne par habitant, contre 153 euros par habitant en métropole, ce qui était totalement injuste ?
Comment accroître l’efficacité de la dotation globale de fonctionnement ? Comment concentrer davantage la péréquation sur les communes et les intercommunalités en difficulté ? Plus de 34 000 communes sur 36 000 bénéficiaient de la dotation de solidarité rurale, ou DSR, ce qui était sans doute un peu anormal.
Au cours des débats qui ont eu lieu depuis plusieurs années, il était également apparu que beaucoup d’entre vous s’inquiétaient de la situation des bourgs et des villes, évoquant des charges excessives. Ces constats importants figuraient dans différents rapports du Sénat.
L’idée était ensuite de renforcer la lisibilité en rendant possible un vrai débat démocratique, mais devant vous.
Nous pensions toutefois que s’en tenir aux parts figées, c’était signer la fin d’une histoire, l’histoire de ces échanges nombreux sur le point de savoir ce qui est juste ou injuste, ce qui est souhaitable ou non.
C'est la raison pour laquelle nous avons entamé ce processus de réforme que tout le monde me dit trouver très rapide. Non, mesdames, messieurs les sénateurs ! Je vous rappelle, sous le contrôle de M. le président Larcher, qu’après le changement de majorité intervenu au sein de la Haute Assemblée, nous avons sollicité un certain nombre d’entre vous pour désigner un ou deux représentants des groupes majoritaires du Sénat. Nous avons bien évidemment commencé par le président du groupe qui était encore à l’époque l’UMP et du président de l’UDI-UC. Il était normal de leur laisser du temps pour désigner leurs représentants.
La fin de non-recevoir nous est parvenue tard, c’était à la fin du mois de novembre, rappelez-vous. Certains ont argumenté sur le fait que leur groupe parlementaire pensait inopportun de travailler dans le cadre d’une mission parlementaire, au motif que cela risquait de les enfermer. Tel n’a jamais été le cas ! Quand on est membre d’une mission parlementaire, justement, et que l’on est en désaccord avec le rapport de celui qui porte la mission, on a le droit de faire mention par écrit de son avis divergent.
Nous avons donc perdu deux mois et demi puisque, du coup, c’est en janvier seulement que la mission a pu entamer ses travaux. Le choix s’est porté sur Jean Germain – je le salue là où il est –, qui a fait acte de candidature à l’époque, alors qu’il aurait, lui aussi, préféré qu’un représentant d’une autre famille politique soit désigné. Un tel pluralisme, gage d’une démarche irréprochable, aurait été de surcroît plus intéressant pour conduire les travaux de la mission, notamment les auditions.
Nous avons donc accepté de commencer ainsi ; nous n’avions de toute façon pas le choix. Le 16 juillet, nous avons présenté le projet de réforme au Comité des finances locales, plutôt qu’à votre commission des finances ; c’est, à titre personnel, le reproche que je pourrais me faire. Toujours est-il que cette présentation offrait un choix entre trois scénarios de réformes envisageables ; pour montrer l’impact de chaque scénario, nous avions réalisé des simulations sur un échantillon de 41 communes et leurs EPCI respectifs.
Ce document devait être discuté, mais le CFL a refusé ces simulations – c’est son droit le plus absolu – et ne les a pas fait distribuer. Je ne m’explique toujours pas ce qui s’est passé ce jour-là ; c’est un exemple des chaos de l’histoire.
Nous sommes donc repartis avec nos scénarios et nos simulations. Nous avons malgré tout continué d’en discuter avec les uns et les autres, nous avons réfléchi à ce que pouvait être une réforme de la DGF et nous avons finalement choisi de travailler sur le scénario n° 2, avec une DGF locale, dont les simulations donnaient les meilleurs résultats. Néanmoins, devant l’ampleur des remarques qui nous étaient faites, devant, parfois, des oppositions catégoriques, nous avons, en octobre, transmis tous les résultats, distincts de ceux qui avaient été inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016.
Cette réforme aurait pu être applicable dès cette année et je continuais d’ailleurs à défendre sa mise en place cet automne. En effet, il me paraissait important que, dans le cadre de la réforme intercommunale, ceux qui choisissaient les nouveaux périmètres des intercommunalités puissent le faire sur la base de la nouvelle épure de la DGF. Cela aurait été plus facile et plus sain que de mener des simulations à partir de la DGF actuelle et de parts figées qui, comme il a été rappelé, doivent évoluer.
Néanmoins, le Premier ministre a pris acte du fait que, à l’Assemblée nationale comme au Sénat et au sein de la plupart des associations d’élus, beaucoup estimaient qu’il était plus facile de fixer les périmètres d’abord, et d’appliquer la réforme ensuite.
Je m’engage d’ailleurs, avec André Vallini, à effectuer sur quelques cas des simulations doubles. Il serait juste, en effet, que nous puissions simuler à la fois l’ancienne DGF et la nouvelle, afin que les élus, comme M. Baroin le disait avec juste raison, aient une vision pluriannuelle. Je remarque cependant qu’au moment où l’on nous demande une telle vision pluriannuelle, on nous met dans l’impossibilité de la réaliser ; c’est un peu délicat. Nous-mêmes et nos services nous tiendrons toutefois à la disposition des élus pour cela.
D’ailleurs, une projection pluriannuelle sur trois ans, fondée sur une application de la réforme au 1er janvier 2017, avait été faite : nous avions pu ainsi prolonger nos estimations, à l’attention de ceux qui voulaient bien regarder les documents.
Pour autant, le Premier ministre, tout comme il l’avait fait devant le refus opposé par un groupe sénatorial de désigner un de ses membres pour travailler à la mission sur la réforme de la DGF, mais aussi lorsqu’il avait fait le choix, pour la loi NOTRe, d’aboutir par le débat à un texte de consensus, a entendu les parlementaires et a proposé de reporter cette réforme d’une année.
Le 14 octobre dernier, nous avons transmis les simulations aux intéressés, M. Baroin le premier. Elles différaient des précédentes sur un point : la DGF était abondée de 109 millions d’euros, ce qui correspond à la somme nécessaire pour que la métropole du Grand Paris – la MGP – et celle d’Aix-Marseille-Provence ne soient pas financées par la DGF des autres ; j’avais en effet pris devant vous cet engagement.
Le 21 octobre, à 9 heures 50, M. Mézard nous a effectivement demandé de lui communiquer ces simulations. Nous lui avons répondu à 11 heures 52 – nous avons tous les courriels –, mais il nous a fait savoir à 14 heures 40 qu’il les avait déjà. En effet, ces simulations étaient disponibles ici dans de nombreux bureaux ; M. Mézard avait donc pu se les procurer dans l’intervalle.
Le 30 octobre, nous avons refait ces simulations en détail pour les communes de la MGP, sans impact, bien sûr, pour les autres communes. Des fiches d’analyse ont d’ailleurs été transmises aux parlementaires pour leur permettre d’en prendre connaissance avant le débat ; elles ont été envoyées le vendredi soir à l’Assemblée nationale et le dimanche midi au Sénat, mais députés comme sénateurs les ont naturellement trouvées en revenant le lundi 2 novembre. Enfin, ces mêmes fiches d’analyse comprenaient également les résultats d’une variante pour les communes de la MGP.
Nous avions donc de quoi discuter. D’ailleurs, lors de la discussion de l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016, un vrai débat sera rendu possible par toutes ces simulations et, en particulier, celles qui ont d’ores et déjà été commentées par les uns et les autres.
Monsieur Baroin, vous êtes revenu sur la baisse des dotations ; André Vallini vous a répondu. Je tiens cependant à préciser que, contrairement à ce que vous avez déclaré, cet article 58 n’est pas le fruit d’un amendement nuitamment déposé. Non, monsieur le sénateur, il a été déposé le 15 juillet et a été publié dans le projet de loi de finances avec des variantes à la demande des uns et des autres, en particulier s’agissant des métropoles. Nous avons entendu les demandes de variantes, car il était important de répondre aux questions posées.
Dès le 16 juillet, tout était donc disponible, d’autant que nous avions aussi réuni alors l’instance de Dialogue national des territoires. Néanmoins, monsieur Baroin, vous n’aviez pas pu y assister, pas plus d’ailleurs que la plupart des présidents d’association d’élus qui nous avaient pourtant beaucoup demandé cette réunion ; un seul d’entre eux était présent, alors que nous étions trois membres du Gouvernement à la disposition des élus, avec nos fiches, nos simulations et nos projections. Cela a eu lieu le 16 juillet, et non nuitamment à l’Assemblée nationale. Je tenais à le redire à cette tribune pour que chacun soit correctement informé. Nous avions alors répondu aux questions à mon sens les plus importantes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette réforme est nécessaire : j’entends peu de parlementaires et peu de maires affirmer que tout va bien quant à la DGF.
Je rappellerai par ailleurs que les simulations sont effectuées par la Direction générale des collectivités locales, et non par Bercy. Il ne faut donc pas mettre au compte des uns les défauts des autres. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Nous assumons, pour notre part, les éventuels défauts de nos simulations. Vous-même, monsieur Baroin, qui avez été ministre du budget, savez à quel point la DGCL tient à ce travail : même si elle le partage avec Bercy, elle en est toujours propriétaire ; tel est son droit le plus strict parce que – pardonnez-moi l’expression – elle est là pour ça !
Cette réforme est donc juste. Certes, monsieur Baroin, on peut avoir un débat sans fin sur la baisse des dotations. Cela dit, un de vos collègues députés, membre du parti Les Républicains et occupant des fonctions éminentes à l’Assemblée nationale, nous a clairement fait savoir en commission des finances que votre parti, s’il revenait au pouvoir, ne reviendrait pas sur la baisse des dotations, qui constitue selon lui une nécessité absolue.
M. Pierre-Yves Collombat. Bien sûr ! Vous faites la même politique ! La droite l’a votée !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Dès lors, je constate que, si vous ne portez pas la baisse des dotations, du moins vous la défendez : c’est absolument transpartisan.
Pour autant, madame Beaufils, cette baisse des dotations n’est pas liée uniquement à ce qui nous est demandé par Bruxelles.
Je crois que la grande question qui nous est posée collectivement est celle de la souveraineté nationale. Nous avons la chance, aujourd’hui, de bénéficier de taux d’intérêt extrêmement bas, mais nous ne sommes pas certains qu’ils resteront aussi bas dans le futur. Il est vrai que la dette publique, qui a augmenté de 600 milliards d’euros, est celle de nos enfants et, surtout, de nos petits-enfants.
M. Pierre-Yves Collombat. Pitié ! Faites-nous grâce de cet argument !
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Collombat, je réponds à Mme Marie-France Beaufils. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont indéniablement très bas ; en revanche, vous ne pouvez pas savoir – personne ne le peut – ce qu’ils seront dans dix ou quinze ans. Il faut donc être prudent !
La question de la souveraineté nationale, qui pourrait d’ailleurs être plus souvent débattue, est donc ici cruciale. En effet, malheureusement, on a tendance à blâmer l’Europe en oubliant que la France elle-même a des questions à se poser.
M. Pierre-Yves Collombat. La souveraineté nationale ? Dites plutôt l’inféodation !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Vous avez mentionné très justement et avec force, madame Beaufils, les ghettos de la misère. M. Dallier a, lui aussi, évoqué cette hyper-richesse qui, dans la région parisienne, côtoie l’hyper-pauvreté, et ce de façon extrêmement violente. Nous occupant des collectivités locales, nous avons tous fait le tour de ces communes : il est en effet très pénible de constater cet énorme contraste et cette ghettoïsation à l’œuvre.
Le problème à résoudre n’est donc pas technique ; il est éminemment politique. À vrai dire, toute baisse de la dépense publique est toujours excessive : c’est le b.a.-ba de l’économie.
Vous avez rappelé, madame Beaufils, la baisse réelle des dotations perçues par vos communes entre 2011 et 2014. Certes, cette baisse doit être ramenée aux recettes réelles de fonctionnement ; néanmoins, il est vrai qu’elle n’est pas juste, alors que nous essayions précisément d’être plus justes.
Monsieur Raynal, vous avez rappelé la nécessité de réformer. Un amendement dont l’adoption nous obligerait à repartir de zéro n’aurait pas de sens, me semble-t-il, puisque nous avons maintenant sur la table tous les éléments pour débattre et réfléchir. Le choix est devant vous : soit totalement rejeter la réforme, mais beaucoup risquent de le regretter dans dix ans, soit l’adopter, y compris avec des ajustements. En tout cas, rejeter complètement cette perspective avec tout le travail effectué et mis à la disposition des parlementaires serait vraiment dommage.
Vous avez raison, monsieur Raynal, de parler de DGF négative ; cela peut effectivement conduire à des remboursements. Nous avons même envisagé de redonner des DGF à des communes riches pour qu’elles puissent participer à la péréquation, comme vous l’avez lu dans les documents.
Tout ce que vous avez dit est donc juste. La DGF, selon vous, est péréquatrice ; vous avez raison, mais les écarts croissants de ressources fiscales entre les collectivités doivent être aussi pris en compte.
Vous vous interrogez par ailleurs sur le fait que, pour la répartition de la dotation de centralité, l’indice de population est porté à la puissance 5. Dès le mois de juillet, vous aviez remarqué que la prise en compte des centralités secondaires faisait défaut lorsque la différence entre le nombre d’habitants était trop forte. Effectivement, c’est bien l’une des questions posées. Néanmoins, vous êtes élu dans une quasi-métropole où, par sa population, la commune centre relègue très loin derrière les autres communes. La détermination des charges pour les communes en question représente donc un réel problème. Nous nous retrouverons donc lors de ce débat, et vous déposerez peut-être des amendements.
En revanche, ce que vous dites sur la fin de l’État est un peu dur à entendre. On a besoin d’État, mais pas forcément de cette façon-là.
Il faudra aussi qu’un débat soit un jour organisé sur l’unicité de l’action publique. État, collectivités territoriales, hôpitaux publics, la fonction publique est une et constitue le socle solide de la Nation. Vous avez raison de poser le principe ainsi et il faudra que, partant de cette idée que nous avons en partage, nous trouvions des solutions pour la mettre en pratique.
M. Dantec était très naturellement attendu sur la COP 21, notamment par l’un de ses collègues. (Sourires.) Il a néanmoins également abordé dans son intervention le besoin de ressources des communes, l’idée de la solidarité, ainsi que la nécessité de bénéficier de marges de manœuvre pour assurer, par exemple, la transition énergétique. C’est tout le sens du milliard d’euros fléché, qui prend en compte notamment cette transition énergétique.
L’idée de budgets annexes est intéressante. Une proposition similaire a été formulée à l’Assemblée nationale, mais uniquement sur l’eau, l’assainissement et les déchets, afin que, dans les recettes réelles de fonctionnement, il y ait aussi des prestations. Il faut donc étudier ces idées ; c’est un exercice difficile, puisqu’aucune simulation n’atteste encore leur pertinence, mais nous nous engageons devant vous à continuer d’y travailler.
De même, nous nous intéressons à la réorientation de l’investissement public vers les équipements que vous qualifiez d’utiles, c’est-à-dire utiles à la planète, utiles à la vie, utiles à la proximité.
Nous essayons d’offrir aux communes rurales la possibilité de participer à ce mouvement, grâce, par exemple, à la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR.
Monsieur Mézard, vous qui attendiez M. Dantec sur le sujet de la COP 21, vous voulez surtout, pour reprendre votre image, éviter que l’on ne rajoute une couche à la pâte feuilletée des distorsions actuelles.
Pour ce qui est des simulations, monsieur Mézard, nous vous transmettrons tous nos courriels et vous pourrez constater, les heures d’envoi faisant foi, que, de fait, nous étions prêts. Je ne sais pas ce qui s’est produit ce jour-là entre 11 heures 52 et 14 heures 40, mais nous étions naturellement prêts à diffuser par courriel ces documents.
Une courte parenthèse est ici utile : nombreux sont ceux qui nous ont demandé l’ensemble des simulations. À l’échelle de 36 000 communes, cela représente un énorme pavé que nous ne saurions fournir à chacun. Nous tenons à votre disposition une clef USB par groupe politique, elle contient l’ensemble des simulations ; vous y avez d’ailleurs eu accès.
Monsieur Mézard, vous bénéficiez donc à présent d’une telle clef USB.
M. Pierre-Yves Collombat. On en fait quoi ? C’est illisible !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je viendrai la lire avec vous, monsieur Collombat, il n’y a pas de problème ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Bien volontiers, madame la ministre ! (Nouveaux sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Sur la hausse de la péréquation et la remise en cause juste des parts figées, monsieur Mézard, nous avons des préoccupations communes, mais je vois que je ne pourrai pas vous convaincre ce soir.
M. Jacques Genest. Ce n’est pas la peine !
M. François Bonhomme. Ce n’est pas la bonne heure ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Monsieur Guené, sur la méthode et le calendrier, vous avez été très critique, mais vous avez apprécié que les métropoles acquièrent une reconnaissance. Il est vrai que toutes ces modalités étaient difficiles à mettre en œuvre, mais nous sommes maintenant parvenus à un dispositif assez bien construit. Je retiens néanmoins vos remarques sur la nouvelle gouvernance.
M. Baroin a quitté l’hémicycle, mais je tiens à lui répondre. La principale difficulté a consisté à savoir s’il fallait une dotation globale de fonctionnement pour les intercommunalités. Faut-il reposer la question de la gouvernance des intercommunalités ? Faut-il ouvrir le débat, y compris pour les grandes métropoles, d’un suffrage universel pour les agglomérations ? Cette hypothèse reçoit une fin de non-recevoir absolue. Or qu’est-ce que la nouvelle gouvernance, sinon ?
C’est un grand sujet que celui de la gouvernance ; la question est aujourd’hui prématurée, mais je ne doute pas qu’elle sera posée de nouveau par les générations futures, ou peut-être même avant.
Monsieur Capo-Canellas, vous êtes également revenu sur la question de la ruralité et de la centralité et sur la fameuse strate 9 de la DGF, qui concerne les villes moyennes. La réforme était-elle favorable aux bourgs et aux petites villes ? Oui. L’était-elle aux grandes villes ? Oui. En revanche, beaucoup se sont demandé si les strates des 10 000-14 999 habitants et des 15 000-19 999 habitants ne posaient pas problème.
Vous le savez, un découpage par strates a été décidé, pour que les résultats soient les plus justes possible et que vous puissiez lire facilement les simulations. Je note avec vous que c’est sur ces strates que les difficultés se concentrent.
M. Pierre-Yves Collombat. Et la dotation forfaitaire ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. On ne peut pas parler d’« intercommunalités palliatives ». Ce n’est pas le mot juste.
M. François Bonhomme. C’est stigmatisant !
M. Pierre-Yves Collombat. Les communes aussi !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Seulement, je constate que, si tout le monde pose cette question, au moment de voter, il n’y a plus personne ! Dans cet hémicycle épars, mesdames, messieurs les sénateurs, dix d’entre vous peut-être seraient prêts à discuter d’une autre façon de lire les intercommunalités.
Les réglages se feront en temps réel. Je ne peux pas aller au-delà de ce qui semble acceptable par les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui se sont réunies et dont on connaît les positions.
Monsieur Botrel, comme beaucoup, vous avez insisté sur les simulations concernant les petites villes et avez proposé un coefficient effort fiscal/ revenu moyen – cela avait d’ailleurs été demandé par l’un de vos collègues qui siège au Comité des finances locales. Nous avons procédé à de telles simulations, elles ne donnaient pas du tout des résultats justes : pour les communes extrêmement riches, ce coefficient était beaucoup plus élevé que pour d’autres. Je dois avouer que nous avons nous-mêmes été surpris par le fait que cet effort fiscal rapporté au revenu moyen, qui serait le seul juste, révolutionnerait la dotation globale de fonctionnement et favoriserait des communes riches. Cela montre tout l’intérêt des simulations.
Monsieur Collombat, vous avez parlé de la fraction péréquatrice de la DGF, soulignant qu’elle servait à faire oublier ce qu'allaient y perdre certains. Oui, la ruralité a des charges. Pour ma part, j’avais demandé que ce que j’appelle les « mètres carrés précieux » – les terres agricoles, les espaces naturels, les périmètres de captage, le zonage NDs, Natura 2000, les parcs, etc. – soient pris en compte pour calculer la dotation globale de fonctionnement. On s’est alors aperçu qu’en rapportant le nombre d’habitants à la superficie on obtenait le coefficient de ruralité.
C’est pourquoi, après beaucoup d’hésitations, nous avons choisi ce ratio, qui donne la densité d’un territoire, c'est-à-dire la ruralité des communes de montagne ou des communes ayant des bois ou des grands périmètres de protection.
Vous avez dit que 75 euros, c’était beaucoup et que les communes de 3 500 habitants perdaient plus que les autres. Ces observations montrent bien que vous avez eu les simulations.
M. Pierre-Yves Collombat. J’ai fait le calcul !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Sur les bourgs-centres, permettez-moi de vous contredire. Monsieur Collombat, c’est dès la loi que nous avons empêché que les bourgs-centres, les anciens chefs-lieux de canton, ne perdent leur rang, si je puis dire. Cela a été voté d’emblée. Regardez les simulations, vous constaterez que c’est respecté. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Dans la réforme, la DSR « bourg-centre » restait inchangée. Les simulations le confirment. Par conséquent, on ne peut pas soutenir que ce sont les communes les moins peuplées qui sont gagnantes. Dans toutes les strates, il y a des gagnants et des perdants. D’ailleurs, il a été montré que, dans toutes les strates, pour des communes ayant le même nombre d’habitants, avec la même répartition en catégories socioprofessionnelles, le montant de DGF allait de 1 à 2.
Monsieur Dallier, vous attendez depuis vingt ans. Vous n’êtes pas le seul ! Moi aussi, j’ai attendu, tout comme d’André Vallini. Pour ma part, j’attends depuis 1995, date à laquelle j’ai été élue pour la première fois maire : j’ai tout de suite constaté l’étendue des injustices et estimé qu’elles étaient inacceptables. Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a deux injustices dont on parle toujours et auxquelles on ne remédie jamais : les valeurs cadastrales et la DGF.
M. Philippe Dallier. Oui !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. On ne peut pas conserver des parts figées qui correspondent à une histoire que personne n’est capable d’expliquer.
Cependant – l’un de vous l’a souligné –, à chaque fois que l’on veut remédier à cette situation, il y a des communes qui perdent. Certes, des corrections ont été apportées par l’Assemblée nationale, en particulier sur le FPIC. Vous le savez, la loi défendue à l’époque par Gilles Carrez à l’Assemblée nationale et le ministre chargé de ces questions n’a pas permis d’avancer suffisamment pour établir un équilibre entre DSU et DSR et mettre la dotation nationale de péréquation au service de la DSU et de la DSR.
Sur la DSU et la DSR, nous avons voulu casser l’effet de seuil.
M. Philippe Dallier. C’est bien !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. La suivante de la DSU cible perd trop, c’est totalement injuste, et je vous rejoins sur cette appréciation. L’idée, c’est d’avoir une courbe logarithmique. Vous l’avez maintenant entre les mains.
Désormais, les dotations de la politique de la ville, ce que l’on appelle les quartiers de la politique de la ville, ou QPV, seront prises en compte dans le fonctionnement. À cet égard, il faut arrêter de fustiger sans cesse le budget de fonctionnement. Nous avons besoin de services et d’autofinancement net positif. D’où l’intérêt, notamment pour les communes pauvres, au regard de la DSU, de faire entrer les dotations dans le fonctionnement.
Faire entrer une partie des dotations de la politique de la ville dans le fonctionnement permet aux communes d’appeler l’ANRU et d’investir. Ce n’est pas une mauvaise chose. Je crois qu’il faut y réfléchir ensemble d’ici au vote.
Mesdames, messieurs les sénateurs, même si l’heure est tardive, quand un débat est organisé, le ministre interpellé se doit de répondre, ou plus exactement de donner son avis, à tous les intervenants, au risque d’être un peu long.
M. Bonnecarrère a mentionné l’augmentation des charges.
Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, monsieur le sénateur. Votre idée d’un nouvel article 40 est complexe, même si j’en comprends l’esprit. C’est à ce travail que se consacre André Vallini, à travers l’allégement des normes et le « zéro charge nouvelle ».
Nous souhaitions confier cette tâche au Haut Conseil des territoires, dont certains pensent que le Gouvernement veut le ressusciter,…
M. Jacques Mézard. Vous en êtes bien capable !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … mais le HCT est bien mort ! Nous avons désormais instauré une autre façon de dialoguer avec les territoires et des études d’impact sont menées sous la conduite d’André Vallini avant toute prise de décision.
Ce travail intéressant nous a d’ailleurs permis d’aborder un certain nombre de questions avec la Commission consultative d’évaluation des normes, notamment lors du dernier Dialogue national des territoires, qui s’est tenu le 15 juillet, au cours duquel André Vallini a présenté des résultats intéressants. Certes, monsieur le sénateur, ce n’est pas l’article 40 tel que vous le souhaiteriez, mais on n’en est pas loin, en tout cas dans l’esprit.
J’en viens au coefficient de mutualisation que vous avez appelé de vos vœux. Vous vous souvenez sans doute que c’était ma demande.
M. René Vandierendonck. Oui !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. En comparant le coefficient de mutualisation et le coefficient d’intégration fiscale, nous nous sommes rendu compte que l’on arrivait à peu près à l’équilibre. Mais, comme les uns et les autres avaient tout fait pour que le CIF soit un petit peu plus haut, par exemple en intégrant les conventions de prestations de services, il nous était difficile de revenir à un coefficient de mutualisation qui exclue ces dernières, alors qu’elles permettent aussi une bonne mutualisation.
Au terme de la comparaison, le CIF nous a donc paru la bonne solution, et nous l’avons conservé.
Monsieur Patient, le rapport sur les pistes de réforme des finances des collectivités locales des départements et régions d’outre-mer que vous avez remis au Gouvernement au mois de septembre 2014 est excellent et nous avons essayé de nous en inspirer.
Certes, je vous l’accorde, tout n’est pas parfait. Les collectivités locales d’outre-mer sont mises à contribution, sauf Mayotte et les collectivités qui relèvent de l’article 74 de la Constitution. On a communément l’habitude de trouver cet équilibre juste. Il demeure, même si l'Assemblée nationale a cherché – très brièvement, il est vrai – à le remettre en cause.
Le projet de loi de finances pour 2016 a prévu un dispositif spécifique conduisant à minorer la contribution des régions d’outre-mer. Sur cette question aussi, tout s’est très correctement passé à l’Assemblée nationale.
Ainsi, la péréquation progresse : la dotation d’aménagement des collectivités d’outre-mer, au sein de la DGF, a augmenté de 17 millions d’euros en 2015 et le FPIC de 8 millions d’euros pour l’outre-mer. Malheureusement – je le dis en toute franchise –, la commission des finances du Sénat a rejeté cette progression. Je doute que ce soit une bonne idée, d’autant que les sommes en cause ne sont pas importantes.
À mon sens, il n’y a pas de raison objective de refuser cette mesure. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement déposera certainement un amendement visant à introduire de nouveau cette progression, si aucun parlementaire ne le fait ; mais peut-être votre commission des finances reviendra-t-elle sur sa position.
Les projections pour l’année 2016 aboutissent à des résultats comparables assez justes. Ainsi, la baisse de la DGF est proportionnelle aux recettes réelles de fonctionnement, ces RRF dont précisément l’outre-mer manque le plus ; c’est là sa fragilité. Il faut également un investissement spécifique local. Il est prévu un élargissement du FCTVA de 1 milliard d’euros – une part importante ira à l’outre-mer – ainsi qu’une augmentation de la dotation d’équipement des territoires ruraux et de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, LADOM.
Monsieur le sénateur, nous avons essayé de tenir compte des remarques qui figuraient dans votre rapport, même si nous ne sommes peut-être pas allés au bout cette année. Ainsi, la moyenne des parts figées de la DGF est de 59 euros par habitant pour les communes des DOM et de 153 euros par habitant pour la métropole. Chacun s’accordera à reconnaître qu’il y a là une injustice qu’il faut corriger, sinon les élus d’outre-mer ne réussiront pas rattraper des retards qui sont dommageables au pays tout entier. C’est ainsi qu’il faut parler des outre-mer.
Bien sûr, nous avons pris en compte les difficultés de la Guyane. Vous le savez, puisque nous avons déjà prévenu l’ensemble des parlementaires concernés.
Madame Cayeux, vous avez dit qu’il serait difficile de procéder à une réforme en un an. Ce sera difficile en effet, mais plus on prend du temps pour faire une réforme, plus on a du mal à la faire. Nous devons donc mettre en œuvre cette réforme en partant du principe – c’est un espoir que nous ne devons pas nous interdire – qu’il faudra pouvoir en corriger certains aspects l’année suivante si l’on se rend compte que certains dispositifs ne fonctionnent pas.
Je m’étais demandé, concernant les SDCI, si l’on ne pouvait pas projeter la DGF sur les futurs SDCI pour être dans le vrai de la discussion des schémas départementaux. Telle était notre position, mais elle a été rejetée tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, chacun pensant que ce n’était pas ainsi qu’il fallait procéder. On ne l’a donc pas fait, mais je ne suis pas sûre que l’on soit juste en faisant ce choix. Nous sommes prêts cependant, je le répète, à effectuer des doubles simulations.
Le retrait définitif de la réforme serait terrible. Je l’ai toujours dit, et je le répète aujourd'hui avec beaucoup de conviction, il faut créer des intercommunalités si l’on veut sauver les communes, comme nous le demandent la majorité des élus et des parlementaires – mais peut-être pas tous les citoyens –, car une commune de 500 habitants ne pourra jamais créer de service à la petite enfance.
M. Jacques Genest. Nous y sommes arrivés !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Or les femmes qui travaillent ont besoin d’un service à la petite enfance. Il n’est pas possible de mettre en place des services importants sans intercommunalité. Nous devons donc avancer dans cette voie, comme l’a dit notamment Jacques Genest.
M. Pierre-Yves Collombat. Il faut faire des regroupements autoritaires de villages !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il n’y a pas de regroupements autoritaires, il y a la loi, monsieur le sénateur !
On a prétendu que les préfets avaient reçu des ordres. Pour ma part, j’ai toujours dit aux préfets qu’il y avait la carte idéale – sans doute avez-vous une carte idéale, monsieur Collombat –…
Mme Marylise Lebranchu, ministre. … et puis la carte réelle, et qu’il allait falloir composer entre l’idéal et le réel. Des modes de calcul existent et, pour passer outre, les communes devront être dans une situation très difficile. De surcroît, pour une même intercommunalité, certains parlementaires veulent du blanc, d’autres du noir, alors qu’ils siègent dans le même groupe. (Sourires.) C’est donc compliqué. Une véritable discussion est nécessaire.
La loi fixe un seuil de 5 000 habitants. Bien sûr, entre 700 et 900 des 2 300 intercommunalités existantes vont bouger, et c’est tant mieux, mais nombre d’intercommunalités resteront à 5 000 habitants. J’en connais même une qui se situe juste en dessous du seuil, mais qui estime qu’il n’est pas nécessaire de bouger celle d’à côté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai effectué 256 déplacements dans les territoires de France et j’ai constaté que la carte intercommunale suscitait parfois un véritable enthousiasme dépassant toutes les espérances, y compris celles des préfets, qui n’en reviennent pas.
M. François Bonhomme. Où ça ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ainsi, les Côtes-d’Armor, qui comptaient 30 EPCI, n’en ont plus que neuf ou dix, à la demande des élus.
L’AMRF, l’Association des maires ruraux de France, a vivement protesté le jour où le report de la réforme de la DGF a été annoncé, parce que, selon elle, c’était la première fois qu’une dotation de base égale pour tous les habitants de France était envisagée, de 73 euros ou de 10 euros. Cette association fait un peu concurrence à l’AMF, même si ses membres ne sont pas très nombreux, me semble-t-il. (M. Jacques Genest proteste.) J’attendais votre réaction, monsieur le sénateur ! (Sourires.) L’AMF me dit que cette association n’est pas représentative, M. Baroin vous le confirmera ! (Protestations amusées sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
L’AMRF est pratiquement la seule association à avoir profondément regretté le report de la réforme, car elle considérait que, pour une fois, la ruralité était défendue. Lors de l’assemblée générale qu’elle avait organisée dans le jardin de mon ministère, faute de pièce assez grande, nous nous étions engagés à mettre en œuvre une dotation de base pour tous les Français, conformément aux préconisations du rapport de la mission parlementaire. Même si les grandes villes ne trouvaient pas forcément cela juste, tel était l’engagement que nous avions pris.
J’ouvre une parenthèse : je parle depuis maintenant trente-huit minutes ; vous avez parlé près de deux heures. Vous comprendrez qu’il me soit d’autant plus difficile de synthétiser mes réponses, mesdames, messieurs les sénateurs.
Monsieur Huré, vous avez raison, les départements. Sont, aujourd'hui, ceux qui, avec les allocations individuelles de solidarité, prennent en charge la solidarité nationale. Or les AIS ne sont pas et ne seront jamais compensées.
Je fais partie de celles et de ceux qui, comme vous, pensent qu’il faut ouvrir un débat national, en particulier sur le RSA. Si la crise devait malheureusement se prolonger un peu, nous ne pourrions pas continuer ainsi. Nous avons été le premier gouvernement à reconnaître publiquement que l’État n’a pas compensé les baisses de dotations. Le RSA représente en 2015 une dépense de 10 milliards d’euros, ce qui est énorme.
Le pacte de confiance et de responsabilité qui a été signé entre l’État et les collectivités locales n’a permis de compenser qu’une partie des baisses seulement, à hauteur de 1,6 milliard d’euros. Les plafonds des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, ont été relevés, afin de créer une solidarité entre les départements, certaines collectivités ayant des recettes très élevées, d’autres n’en ayant aucune. Cette péréquation est alimentée par la hausse de 0,35 point des DMTO, ce qui représente 536 millions d’euros, mais cela ne suffira pas, c’est vrai.
Cette année, de dix à treize départements bénéficieront d’une aide spécifique – cela figurera dans le projet de loi de finances rectificative, afin d’éviter les interrogations sur l’effet rétroactif, vous connaissez le droit –, mais, vous avez raison, le débat devrait être national.
Un groupe de travail va se réunir pendant trois mois. Je regrette que seuls soient concernés l’exécutif et l’Assemblée des départements de France, car cette question mérite un grand débat national, je le répète. Qui doit prendre en charge l’APA, la PCH ? Est-il juste que l’APA et le RSA soient aujourd'hui en grande partie financés par l’impôt local est les DMTO ? La solidarité ne devrait-elle pas s’écrire autrement ? Peut-être. Nous avons trois mois pour répondre à ces questions, au moins en ce qui concerne le RSA, et pour ouvrir le débat sur l’APA, mais avec nos concitoyens, parce que c’est leur vie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. - M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 18 novembre 2015 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
Proposition de loi relative à la protection des forêts contre l’incendie dans les départements sensibles (n° 10, 2015-2016) ;
Rapport de Mme Catherine Troendlé, fait au nom de la commission des lois (n° 137, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 138, 2015-2016).
Débat sur le thème : « Bilan et perspectives du rôle du bicamérisme dans nos institutions après la publication du rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions intitulé Refaire la démocratie ».
De dix-huit heures trente à vingt heures et de vingt et une heures trente à minuit :
Proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie (n° 574, 2014-2015) ;
Rapport de M. Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois (n° 135, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 136, 2015-2016).
Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 376, 2014-2015) ;
Rapport de M. Christophe-André Frassa, fait au nom de la commission des lois (n° 74, 2015-2016).
Résultat des travaux de la commission des lois (n° 75, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 18 novembre 2015, à zéro heure quarante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART