Article 2
Après le même article L. 225-102-3, il est inséré un article L. 225-102-5 ainsi rédigé :
« Art. 225-102-5. – Le non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4 engage la responsabilité de son auteur dans les conditions fixées aux articles 1382 et 1383 du code civil.
« L’action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne mentionnée au II de l’article L. 225-102-4 du présent code.
« Outre la réparation du préjudice causé, le juge peut prononcer une amende civile définie au III du même article L. 225-102-4. Cette amende n’est pas une charge déductible du résultat fiscal.
« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte. »
La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l'article.
Mme Évelyne Didier. Là encore, nous regrettons de ne pas avoir la possibilité de travailler et d’améliorer ce texte.
Comme cela a été souligné lors des débats à l’Assemblée nationale, la référence aux articles 1382 et 1383 du code civil risque d’être contreproductive. Nous proposions donc de la supprimer. La responsabilité de l’entreprise mère pourrait être recherchée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Cela permettrait de faire face à l’ensemble des situations.
En effet, l’esprit de la proposition de loi est aussi d’aller vers la mise en place progressive d’une responsabilité du fait d’autrui. Il est dès lors contradictoire de vouloir l’exclure de manière explicite.
Ce texte n’est qu’un premier pas, mais un pas très intéressant, vers la mise en place d’une véritable responsabilité des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre pour le manque de vigilance ou les fautes commises par leurs sous-traitants.
Nous savons – ce sont des mécanismes courants du droit des obligations – que ces dernières pourront toujours se retourner contre leurs sous-traitants. Il n’y a là rien de particulièrement scandaleux. C’est l’application simple de la théorie du risque-profit, qui complète la théorie du risque.
Cette théorie du risque, qui a été introduite une première fois en 1898 – cela ne date pas d’hier ! – avec la loi sur la sécurité du travail, prévoit qu’est responsable celui qui a commis une faute, mais également celui qui a créé un risque.
La théorie du risque-profit énonce simplement que celui qui tire profit d’une activité doit également assumer les responsabilités correspondantes, faute de quoi la situation serait évidemment inadmissible.
Il n’y a rien de scandaleux à faciliter les recours des victimes. Trop souvent, ces dernières n’ont pas les mêmes ressources que les entreprises donneuses d’ordre.
L’amendement n° 10 visait à assurer l’application du droit français en cas de conflit de lois et à répondre aux critiques sur le caractère inopérant du texte. La reconnaissance de la compétence des juridictions françaises doit s’accompagner explicitement de la reconnaissance de l’application du droit français en cas de mise en jeu de la responsabilité des sociétés ayant leur siège social en France.
Le règlement européen Rome II prévoit des exceptions en ce sens. Son article 7 donne à la victime d’une atteinte à l’environnement une option entre la loi du lieu du fait générateur et la loi du lieu où le dommage survient. Dans ce cas, le fait générateur du dommage est bien l’inexécution d’une obligation de vigilance. Il est localisé au siège de la société mère ou du donneur d’ordre. Notre amendement aurait permis simplement de montrer le caractère de « loi de police » de cette proposition.
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement tend à la suppression de l’article 2, par coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Monsieur le rapporteur, selon vous, il ne faudrait en aucune façon instaurer un devoir de vigilance pour les entreprises de plus de 5 000 salariés.
Expliquez-nous donc pourquoi la plupart de celles qui dépassent le seuil en France se sont engagées dans une démarche de cette nature ! Dites-nous pourquoi de grands groupes, comme Veolia ou Bolloré, soutiennent l’initiative lancée par l’ensemble des ONG, des syndicats et des différents partenaires de la plate-forme RSE !
Tout d’abord, ils considèrent que la compétitivité ne peut pas ignorer le respect des droits humains.
Mme Évelyne Didier. Bien sûr !
M. Didier Marie. Mais ces groupes ont une autre raison de souhaiter l’adoption du texte : l’importance qu’ils accordent à l’opinion des clients !
Ils souhaitent conforter leur réputation et protéger leur marque, en prenant toutes les dispositions de vigilance qui s’imposent et en soutenant les bonnes pratiques. Ils espèrent rétablir un équilibre concurrentiel entre eux, qui sont vertueux, et leurs concurrents, qui ne le sont pas, délocalisent, pratiquent le dumping social ou environnemental et ne respectent pas les droits humains.
Ces grands groupes pensent que leurs clients sont sensibles à une telle démarche. En privilégiant la prévention, les entreprises raisonnent en coût total, pérennisant et fiabilisant leur chaîne de production. Cela leur permet d’éviter les accidents, les pollutions, les éventuels conflits sociaux, les ruptures de la chaîne de production en raison de la défaillance d’un sous-traitant qui serait non performant.
Vous affirmez que le devoir de vigilance ne peut être qu’européen. Effectivement, c’est l’échelon le plus pertinent. C’est la raison pour laquelle la France doit montrer le chemin.
De surcroît, nous sommes assez étonnés que vous renonciez à notre souveraineté nationale. C’est votre majorité qui a instauré, lorsqu’elle était aux responsabilités, avec la loi NRE et le Grenelle II, l’obligation pour les entreprises cotées de faire part à la fois de leurs engagements et des conséquences sociales et environnementales de leur activité.
M. le président. Veuillez conclure !
M. Didier Marie. Cela a ouvert la voie à l’adoption de la directive sur le reporting non financier.
Nous vous proposons aujourd'hui de voter ce texte, afin que notre pays donne l’exemple à l’échelle européenne.
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. M. le président de la commission des lois a essayé de nous convaincre que les oppositions à ce texte étaient motivées seulement par des considérations juridiques. Or, de la motion préjudicielle aux arguments avancés ce soir, tout indique qu’il y a quand même un peu d’idéologie en l’occurrence !
La commission affirme que le texte est imprécis.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. C’est aussi vrai !
M. Jérôme Durain. Dans ce cas, améliorez la rédaction !
Si vous êtes sincères lorsque vous affirmez partager nos objectifs, contribuez à faire en sorte que ce texte puisse devenir réalité et prendre force de loi !
Nous ne sommes pas inconséquents. Nous sommes plusieurs à faire partie de la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Élisabeth Lamure. Nous parcourons tout le pays. Nous écoutons les chefs d’entreprise. Nous prenons connaissance de leurs difficultés. Nous discutons des améliorations législatives à apporter pour que les TPE et les PME puissent se développer. Or, en écoutant vos arguments, je n’ai pas eu l’impression que c’est cette économie-là qui vous intéressait.
D’ailleurs, il ne me semble pas que la politique industrielle de la droite ces dernières années ait été un grand succès.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous nous faites encore le coup du bilan !
M. Daniel Gremillet. C’est incroyable !
M. Jérôme Durain. Il a tout de même fallu attendre que nous revenions au pouvoir en 2012 pour retrouver un semblant de politique industrielle ambitieuse. Le made in France, c’est nous ! Le redressement productif, c’est nous ! Les trente-quatre plans d’avenir, c’est encore nous !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Vous voulez vraiment que nous parlions de bilan ?
M. Jérôme Durain. Nous n’avons donc pas de leçons de droit ou d’économie à recevoir !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Et nous de morale !
M. Jérôme Durain. En revanche, il me semble que nous pourrions vous donner quelques leçons d’humanité !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je reste profondément convaincu que les choses vont avancer. Le texte sera évidemment repris à l’Assemblée nationale. Le débat public national aura lieu, car la presse, je l’espère, jouera son rôle et animera le débat public. Il est important que la population puisse s’approprier ces questions et véritablement contrôler l’action des responsables politiques que nous sommes, avec toutes les responsabilités qui nous incombent.
Tant pis si mes propos ont été dérangeants ! Il y avait peut-être de l’émotion, mais elle était fondée sur une véritable conviction politique, partagée par une bonne partie de nos collègues ici ! Je ne prétends qu’il y aurait les bons d’un côté les bons et les mauvais de l’autre. Je constate simplement que nous ne vivons pas dans le même monde et que nous ne parlons plus le même langage.
Mais nous finirons bien par y arriver !
Mme Évelyne Didier. Quel optimisme ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 145 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 2 est supprimé, et les amendements nos 3, 8, 9, 10, 2 et 11 n’ont plus d'objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle les termes de ces amendements.
L'amendement n° 3, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 225-102-5. – Les sociétés visées à l’article L. 225-102-4 du code de commerce qui méconnaissent les dispositions du présent article ou les mesures de diligence qu’elles devraient mettre en œuvre sont solidairement tenues responsables avec la personne responsable de réparer le dommage que le plan de vigilance était destiné à prévenir.
L'amendement n° 8, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 225-102-5. – En cas de non-respect des obligations définies à l’article L. 225-102-4, la société est solidairement responsable des dommages causés par la réalisation des risques visés à cet article. La société mère ou l'entreprise donneuse d’ordre doit apporter la preuve qu’elle a pris toutes les mesures en son pouvoir pour assurer son obligation de vigilance.
L'amendement n° 9, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
dans les conditions prévues aux articles 1382 et 1383 du code civil
L'amendement n° 10, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, était ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
quel que soit le lieu de réalisation du dommage et du fait générateur
L'amendement n° 2, présenté par M. Labbé, Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, et l'amendement n° 11, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, étaient identiques.
Tous deux étaient ainsi libellés :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Il incombe à la société mère ou donneuse d’ordre de démontrer qu’elle a bien mis en œuvre les mesures en son pouvoir pour assurer son obligation de vigilance.
Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par Mmes Didier, Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 4612-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° De contribuer au suivi de la mise en œuvre des dispositions concernant la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs inclues dans le plan de vigilance mentionné à l’article L. 225-102-4 du code de commerce, dans les sociétés où ce plan existe. »
Compte tenu de la suppression des articles 1er et 2, cet amendement n’a plus d’objet.
Article 3
Les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce sont applicables dans les îles Wallis et Futuna.
L’amende civile encourue en application des mêmes articles est prononcée en monnaie locale, compte tenu de la contre-valeur dans cette monnaie de l’euro.
M. le président. L'amendement n° 16, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de conséquence.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet amendement de suppression était adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été supprimés. Il n’y aurait donc pas d’explication de vote sur l’ensemble.
Quelqu’un demande-t-il la parole pour expliquer son vote sur l’amendement ?...
La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Je regrette que nos collègues de la majorité sénatoriale aient fui la discussion, essayant à différentes reprises de l’escamoter, que ce soit en commission, en déposant une motion préjudicielle, ou en séance, en supprimant l’ensemble des articles.
Néanmoins, le texte poursuivra sa route, et il finira par être adopté. Je me réjouis donc que la France montre, dans quelque temps, la voie à suivre à l’échelle européenne, en mettant en œuvre un devoir de vigilance pour l’ensemble des grandes entreprises de notre pays et de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Je reste convaincu que le positionnement de la majorité sénatoriale s’explique par des pressions exercées par des organismes ne représentant pas le monde économique français dans sa globalité !
L’avenir est évidemment à l’éthique. À la veille de la COP 21, c’est seulement ainsi que l’on pourra envisager un avenir stable, durable et vivable !
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Lutter contre la sous-traitance en cascade est un objectif que nous défendons avec constance depuis de nombreuses années en raison de la dilution des responsabilités. Ainsi, à l’occasion de la rédaction de son rapport d’information sur les travailleurs détachés, notre collègue Éric Bocquet avait formulé une proposition qui s’applique d’ores et déjà en Allemagne – je le dis pour ceux qui craignent la concurrence faussée ! –, à savoir la limitation à trois du nombre de niveaux de sous-traitance.
Répondant aux critiques qui avaient été émises à l’encontre de cette idée, notamment au regard de la liberté d’entreprendre, nous proposons toujours une mesure de responsabilité sociale et environnementale : permettre aux donneurs d’ordre publics de préciser dans leurs appels d’offres, sur la base du volontariat, que la personne ou l’entreprise remportant le marché public devra limiter la délégation de ses missions, sans toutefois préciser un nombre précis de degrés de sous-traitance.
Mes chers collègues, tous les observateurs s’accordent à dire que chaque degré de sous-traitance supplémentaire s’accompagne d’une dégradation des conditions de vie, de rémunération et de travail des salariés, mais aussi d’une dégradation de la prise en compte des contraintes environnementales.
Nous le savons tous, la chaîne de sous-traitance peut parfois être complexe et atteindre huit ou neuf échelons ; c’est une réelle difficulté en matière de responsabilité. On comprend bien que l’obligation de vigilance à l’égard des sous-traitants puisse être difficile à mettre en œuvre. Comment engager ou prouver la responsabilité d’un donneur d’ordre pour le comportement fautif d’un sous-traitant au quatrième, au cinquième ou au sixième degré, voire au-delà ? Nous proposons donc de limiter à trois le nombre de niveaux de sous-traitance.
La proposition de loi dont nous venons de débattre aurait dû être l’occasion d’atténuer le caractère systémique et accidentogène de la sous-traitance en cascade. Nous ne pouvons que regretter une telle occasion manquée. Je tiens à vous faire part de notre incompréhension. Je ne suis pas du tout certaine que ceux qui se présentent habituellement comme les défenseurs des entreprises leur rendent service en défendant une position aussi archaïque, pour reprendre l’expression de notre collègue.
De plus en plus de fonds d’investissement réclament le développement de la notation extrafinancière ; certains, notamment des fonds suédois, ne veulent plus investir dans le carbone ou le pétrole. L’avenir est dans la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, et non dans ce qui est défendu aujourd’hui par certains groupes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Je dois avouer que je n’avais pas beaucoup regardé ce texte avant le début de son examen en séance. Depuis, je l’ai parcouru rapidement. J’ai aussi écouté les propos des uns et des autres.
À mon avis, le problème que soulèvent les auteurs de cette proposition de loi est réel ; il faudra effectivement nous y pencher.
Mais il est également vrai que la France aime bien donner des leçons et « laver plus blanc que blanc ». Or les enjeux sont d’une importance considérable, sur une véritable question.
Bien entendu, il convient de ne pas généraliser : toutes les entreprises ne sont pas dirigées par de vils exploiteurs qui se fichent de leurs responsabilités sociales, environnementales ou autres. Cela étant, je crois que nous devons traiter le problème. Après tout, nous sommes en Europe.
Mais, de grâce, n’essayons pas de laver plus blanc que blanc ! Nous risquerions d’en payer le prix.
Je crois qu’il ne faut pas abandonner l’idée envisagée ce soir. Nous devons la défendre, en nous efforçant de convaincre les pays comparables au nôtre d’un point de vue économique et industriel.
Il y a des moyens d’agir. En Europe, et plus particulièrement en France, nous avons souvent été en avance sur un certain nombre de réglementations environnementales ou sociales. Nous devons nous inscrire dans cette perspective. Mais ne nous tirons pas une balle dans le pied, comme nous risquerions de faire en adoptant ce texte !
Examinons le dossier complètement, sans nous isoler. Nous pourrons ainsi faire progresser la société et les entreprises. Combien de fois avons-nous dû subir les conséquences de notre prétention à éclairer le monde ? Ne refaisons pas les mêmes erreurs !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Cette proposition de loi est un texte sur les malheurs du monde et sur le prix qui est payé pour que nous puissions consommer des produits auxquels nous sommes tellement attachés, ces produits qui scintillent dans nos poches et devant nos yeux.
Or ils sont souvent fabriqués par des êtres humains dans des situations lamentables et misérables, quelquefois par des enfants dans des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité extrêmement précaires.
Je vous donne acte que des entreprises françaises ont des considérations éthiques et qu’elles veillent aux conditions de travail appliquées chez leurs sous-traitants. Mais enfin, ce texte est porteur d’une préoccupation éthique centrale pour l’avenir de l’humanité !
Cher Yves Détraigne, je vous entends lorsque vous dites qu’il ne faut pas « laver plus blanc que blanc ». Mais j’ai aussi entendu les propos de Nicole Bricq, Didier Marie et Jérôme Durain.
Ce dernier a fait allusion à Victor Schoelcher, qui siégeait ici même, à cette place où lui succéda Gaston Monnerville. Imaginez que l’on ait dit à Victor Schoelcher : « Ne lavons pas plus blanc que blanc ! Ce n’est pas l’heure ! Attendons ! Faisons en sorte que tous les pays avancent en même temps que nous ! » Il n’y aurait sans doute pas eu le texte que nous connaissons !
Je comprends les termes du débat. Mais ce qui me désole, c’est la réponse, assez terrifiante, du Sénat aux auteurs de cette proposition de loi. Article 1er ? Supprimé ! Article 2 ? Supprimé ! Article 3 ? Supprimé ! M. le président nous a même invités à prendre la parole dès maintenant pour expliquer nos votes, car nous ne pourrons pas le faire après, une fois que l’ensemble du texte sera supprimé.
Mes chers collègues, votre stratégie, c’est d’aboutir à zéro ! À rien !
Mme Évelyne Didier. C’est fait pour !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’allons même pas renvoyer un texte à l’Assemblée nationale, puisque la majorité du Sénat aura considéré qu’elle n’a rien à dire sur le sujet. Je le déplore ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le rapporteur, lors de la discussion générale, vous avez qualifié l’objectif, faire contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme, des normes sanitaires et environnementales, ainsi qu’à la lutte contre la corruption dans le monde entier, de « vertueux ».
Vous avez aussi reconnu que les grandes entreprises y avaient intérêt, leur réputation étant un atout commercial à préserver. Nous ne comprenons donc pas votre position, d’autant plus que, par nos amendements, nous avons répondu à vos interrogations sur l’extraterritorialité, sur la portée et la justesse de l’amende prévue dans la proposition de loi initiale, sur le fait que la rédaction actuelle du texte était très éloignée de la mise en place d’une responsabilité du fait d’autrui, au demeurant légitime à nos yeux.
Vous évoquez de nombreuses imprécisions, mais vous n’apportez aucune modification au texte. Or c’est pourtant le cœur du travail législatif, donc de notre mission ! Une telle posture nous semble éloignée de l’intérêt de l’entreprise.
Dans un jeu concurrentiel non faussé, les entreprises ont intérêt à faire preuve de la plus grande transparence et à mettre leurs valeurs en avant, comme autant d’atouts dans la compétition.
C’est l’insécurité juridique que veulent à tout prix éviter les acteurs du marché. Cette proposition de loi répond en partie à ces préoccupations. Si nous ne légiférons pas, c’est in fine la jurisprudence qui s’appliquera. Je ne suis pas sûr que cela corresponde aux attentes des entreprises !
Il est dommage que la majorité sénatoriale s’oppose à la modernité et refuse de faire de la France le fer de lance de cette nécessité, acceptée par les entreprises : l’inscription dans notre droit positif du devoir de vigilance.
Vous nous demandez d’attendre que l’Union européenne légifère. Nous vous répondons qu’il faut être à l’avant-garde. Soyons un moteur et un exemple ! Portons non des paroles de repli ou de frilosité, mais une ambition forte de modernité et de respect des règles élémentaires de décence au travail et d’honnêteté, une ambition forte pour maintenir la France au premier plan en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 16.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 145 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
Mes chers collègues, les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre n’est pas adoptée.