M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je partage bien entendu, tout comme Mme la ministre de l’éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, l’ambition des auteurs de cette proposition de loi, qui est de sensibiliser les jeunes à l’histoire de notre pays, aux sacrifices de nos anciens et aux valeurs républicaines de la nation française. Nous avons tous, je pense, cette ambition chevillée au corps, que nous soyons élus, professeurs, parents ou citoyens.
Pour le secrétaire d’État en charge de la mémoire que je suis, c’est plus qu’une ambition : c’est un devoir, une responsabilité. Dès mon entrée en fonctions, et fort de mon passé d’enseignant, j’ai mesuré l’importance de ce travail de sensibilisation et de transmission. Tout d’abord, l’histoire et les mémoires de notre pays, la France, constituent une part de notre identité et de celle de nos enfants. Ensuite, c’est à la lumière du récit de nos anciens et des sacrifices consentis pour défendre l’héritage de nos libertés et de nos valeurs républicaines que les jeunes d’aujourd’hui, artisans de la nation de demain, sauront avancer vers l’avenir. Enfin, au lendemain du triste anniversaire des attentats de janvier et de la survenue des attentats du mois de novembre, nous devons entretenir auprès des jeunes, particulièrement touchés par ces drames, le souvenir des victimes et des rassemblements qui se sont organisés autour des valeurs simples mais fermes de notre République.
Une fois cette ambition rappelée se pose la question du meilleur moyen d’arriver à la satisfaire.
Je partage le constat selon lequel la présence des jeunes lors des cérémonies nationales est en baisse. Toutefois, cet élément ne peut être le seul indicateur de leur mobilisation. Dès lors, je m’interroge : les mémoires doivent-elles continuer de vivre et d’être transmises seulement devant les monuments aux morts ? Pour ma part, je ne le pense pas. Ce n’est pas suffisant.
La mémoire se vit et se transmet dans les écoles, sur nos lieux de mémoire, notamment au cours des grands anniversaires décennaux, qui sont autant d’occasions de se souvenir et de comprendre, comme cela sera le cas jusqu’en 2018.
À cet égard, permettez-moi de vous donner quelques chiffres significatifs. Sur les 3 000 projets actuellement labellisés dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, plus de 1 000 étaient des projets pédagogiques conduits par des élèves avec les équipes enseignantes.
Par ailleurs, le succès des concours scolaires témoigne de l’enthousiasme des plus jeunes concernant la mémoire. Ainsi, le concours « Les petits artistes de la mémoire » organisé par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre a concerné plus de 13 000 élèves de CM2 en 2015. Il s’agissait pour les élèves de choisir un nom sur le monument aux morts de leur commune et de s’interroger sur la signification d’un tel monument. Le concours national de la Résistance et de la déportation réunit quant à lui entre 30 000 et 40 000 participants chaque année. Le Président de la République souhaite d’ailleurs rénover ce concours et l’étendre à d’autres participants. Un rapport vient d’être remis à ce sujet, à ma demande et à celle de Mme la ministre de l’éducation nationale.
De grandes opérations mémorielles sont organisées au cours et en marge des cérémonies nationales par le ministère de la défense et ses opérateurs, notamment l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre et la Mission du centenaire, qui a en charge l’organisation du centenaire de la Grande Guerre.
C’est ainsi que la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la défense, dans le cadre d’un partenariat noué avec le ministère de l’éducation nationale depuis 2007, soutient chaque année 500 projets pédagogiques qui incitent 25 000 jeunes à réfléchir à la notion d’engagement. Elle soutient également plus de 300 voyages scolaires dans les anciens camps de concentration et d’extermination et, plus largement, dans nos lieux de mémoire.
Se recueillir devant un monument aux morts, entendre le récit d’un résistant ou d’un déporté, s’imprégner d’une émotion sur un ancien champ de bataille, est un enseignement complémentaire des manuels scolaires.
Le ministère de la défense accompagne aussi les enseignants, qui peuvent par exemple proposer à leurs élèves, à l’occasion des cérémonies nationales, une conférence délivrée par un agent du ministère sur le déroulé et le sens d’une commémoration.
Le ministère travaille également sur les nouveaux vecteurs de la mémoire, tels que le numérique, lequel a rencontré un immense succès dans le cadre des deux grands cycles commémoratifs du centenaire de la Première Guerre mondiale et du soixante-dixième anniversaire de la Seconde Guerre mondiale. Il permet notamment de construire des contre-discours face à la désinformation et à la falsification de l’Histoire dont nous sommes malheureusement trop souvent victimes sur internet.
Par ailleurs, le 11 novembre dernier, des reportages diffusés sur les réseaux sociaux ont par exemple permis de mettre en lumière la présence de lycéens venus d’Auvergne à Paris spécialement pour la cérémonie. L’événement a eu une très belle visibilité. Il a suscité plus de 30 000 « Vues » et près de 500 « J’aime » sur Facebook.
J’ai également participé aux Rencontres du Web 14–18 organisées par la Mission du centenaire le 10 avril 2015, lesquelles ont démontré l’émergence d’une véritable communauté de la mémoire sur le web.
Le ministère s’engage, enfin, dans le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme lancé par le Président de la République le 27 janvier 2015. En lien avec le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la culture, et sous la coordination de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, il met en œuvre l’action 32 du plan – « À chaque étape de la scolarité, un lieu de mémoire et une œuvre pour éduquer contre le racisme et l’antisémitisme », sur laquelle un point d’étape sera fait prochainement.
Pour ma part, je ne pense pas que la question de la transmission de la mémoire puisse être réglée par l’instauration d’une nouvelle journée nationale.
À cet égard, je rappelle que la journée du 27 mai, journée de la Résistance, instaurée en 2013 sur l’initiative de votre ancien collègue Jean-Jacques Mirassou, a précisément une vocation pédagogique. Le jour de mémoire que vous proposez, le dernier jeudi du mois de mai, entrerait donc en concurrence avec cette journée, voire, et ce serait pire, il créerait de l’indifférence vis-à-vis des cérémonies nationales.
Or en 2014, comme en 2015, cette journée fut l’occasion pour les enseignants, qui font un travail formidable en matière d’éducation à la citoyenneté, de consacrer une partie de leurs cours à la question de l’engagement, de la Résistance et de la déportation.
Le 27 mai dernier, à l’occasion de la panthéonisation de quatre grandes figures de la Résistance, les jeunes ont été associés à la préparation de la cérémonie et de nombreux établissements ont travaillé sur le parcours de l’une ou l’autre des quatre personnalités distinguées ce jour.
En outre, l’instauration d’un jour de mémoire tendrait à laisser penser que toutes les mémoires se valent et qu’elles peuvent être honorées d’un même élan. Cela créerait des confusions et gommerait les spécificités historiques de la France. Or vous savez combien le monde combattant est attaché, comme je le suis moi-même, à la singularité mémorielle de chacune de nos journées nationales.
Par ailleurs, je m’emploie depuis plus d’un an, avec force et conviction, à faire des scolaires non pas de simples spectateurs mais des acteurs de la mémoire pour en devenir des passeurs. Quand je dis « les scolaires », je pense aux élèves de tous les niveaux et de tous les établissements, qu’il s’agisse des établissements d’enseignement général ou technique ou des établissements situés en zone d’éducation prioritaire. Je ne pense pas seulement aux élèves de CM2, de cinquième et de seconde, contrairement aux auteurs de la proposition de loi !
Faire de nos jeunes des acteurs éclairés, des citoyens attentifs, dotés d’un esprit critique et nourris de l’engagement de leurs aînés est le meilleur moyen de préserver et de nourrir le lien intergénérationnel indispensable à toute société. C’est aussi le meilleur moyen de lutter contre les discours et les actes qui se nourrissent de la haine et des négationnismes et qui menacent notre socle républicain. C’est pourquoi je veux dépasser la seule ambition de conduire les jeunes en masse devant les monuments aux morts, même si cela est nécessaire.
J’ai rencontré et échangé avec des élèves d’écoles primaires, de collèges, de lycées, en France et à l’étranger, pour évoquer la figure du poilu, du combattant de 1940 ou encore du harki arrivé en France en 1962 et du soldat tombé en Afghanistan en 2011.
Je sais que les enseignants veillent à ce que leurs élèves réfléchissent aussi à l’actualité de notre histoire. Oui, je tiens à le redire, les enseignants font leur travail consciencieusement, à tous les niveaux d’enseignement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nos jeunes s’intéressent à la mémoire. Je le mesure chaque jour. Ils n’ont pas besoin de contraintes juridiques pour continuer de s’y intéresser. À nous de les accompagner ! À cet égard, les 22,2 millions d’euros consacrés à la politique de la mémoire dans le budget pour 2016 y contribueront en nous permettant de nous doter d’outils pédagogiques modernes et d’investir massivement les nouveaux vecteurs de la mémoire pour inscrire cette dynamique dans la durée.
C’est aussi de cette manière que nous pourrons rétablir « la République en actes », conformément au souhait du Président de la République.
La mémoire est un travail de tous les jours – nous en sommes tous d’accord –, qui requiert du courage, qui exige que nous renouvelions sans cesse notre pratique mémorielle, que nous développions des approches modernes et que nous soyons pleinement mobilisés autour de nos jeunes, non pas un jeudi du mois de mai, mais tout au long de l’année, comme le sont les enseignants.
Donnons-nous les moyens, comme l’espérait Jean Zay, de « donner à la jeunesse assez de doctrine offensive, assez de convictions intangibles, assez d’impératifs, assez d’armes pour affronter les dangers d’une époque, pour défendre par tous les moyens l’héritage de nos libertés ».
J’ai écouté attentivement les deux orateurs précédents. Monsieur le rapporteur – ce sera ma conclusion –, je suis effectivement sensible à votre proposition de renvoyer ce texte à la commission, même s’il faut laisser ce débat se dérouler, car l’intention est noble, nous devons poursuivre la réflexion sur ce sujet et, comme vous l’avez dit, travailler dans l’unité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Patrick Abate, Jean-Claude Requier et Antoine Lefèvre applaudissent également.)
(M. Hervé Marseille remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
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Candidature à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a fait connaître à la présidence qu’elle propose la candidature de Mme Laurence Cohen pour siéger, en qualité de titulaire, au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, en remplacement de Mme Annie David, démissionnaire.
Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 9 du règlement.
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Instauration d'un Jour de Mémoire
Suite de la discussion et renvoi à la commission d’une proposition de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre pays vient de commémorer les attentats de janvier 2015 et d’honorer la mémoire des victimes de ceux-ci, mais également de ceux du 13 novembre dernier. Désormais, un chêne, symbole de force et de la liberté, emblème de la République, en fixera le souvenir, s’il en était besoin, sur le lieu même de la marche du 11 janvier.
Notre pays, vous le rappeliez, monsieur le rapporteur, a besoin d’unité ; la mémoire collective doit y contribuer ; car faire nation implique non seulement l’adhésion à une communauté de destin, la volonté de vivre ensemble, mais également de se reconnaître dans un passé commun. Comme l’affirmait le maréchal Foch, « un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ».
La proposition de loi dont nous sommes amenés à débattre aujourd’hui interroge cette notion de mémoire et nous invite à réfléchir surtout sur la manière de transmettre cette mémoire nationale.
Je ne m’attarderai pas sur le caractère très peu législatif du dispositif présenté, notre collègue Claude Kern ayant largement développé cet argument dans le rapport qu’il a établi au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Permettez-moi cependant – je ne peux m’y soustraire – de relever la cocasserie que constitue le fait d’examiner en séance, sur l’initiative d’un sénateur UDI-UC, un texte qui ne relève pas du domaine législatif moins d’un mois après la discussion de notre proposition de loi sur l’accès à la cantine (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.) – rassurez-vous, je ne mets pas en parallèle l’importance du contenu de ces deux textes (Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame.), même si cela n’est pas sans intérêt – à propos de laquelle la majorité sénatoriale s’était interrogée sur l’utilité de « légiférer sur tout ou rien ».
Je dois également relever la contradiction intrinsèque de la présente proposition de loi : partir du constat d’une moindre fréquentation des journées commémoratives pour en rajouter une ! (Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame de nouveau.)
Je rejoins les orateurs qui en commission n’ont pas manqué de pointer les difficultés que cette proposition de loi soulève et que vous avez justement rappelées, monsieur le rapporteur. En effet, celle-ci pose plus de problèmes qu’elle ne paraît en résoudre, car elle méconnaît selon moi le fonctionnement de notre institution scolaire, les responsabilités de l’État en ce domaine, et le respect de la liberté pédagogique des enseignants, pour le moins !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Parlons-en !
M. Jean-Louis Carrère. Je serai votre interlocuteur quand vous le voudrez ! J’ai assez longtemps exercé le métier d’enseignant…
M. Loïc Hervé. Justement !
M. Jean-Louis Carrère. … pour savoir que la grande majorité des enseignants font le meilleur travail possible en ce domaine. Je ne comprends pas pourquoi vous m’interpellez sur ce sujet.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Ce n’est pas l’objet de ce texte !
M. Loïc Hervé. Ce n’est pas le débat !
M. Jean-Louis Carrère. Pour notre part, nous considérons l’injonction à commémorer sur laquelle elle se fonde contre-productive. Faisons confiance aux enseignants pour transmettre à leurs élèves la mémoire nationale, en coordination avec l’enseignement et le programme d’histoire, et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement.
Pour déployer tout son sens, s’enraciner dans les consciences et être efficace, le travail de mémoire doit en effet s’inscrire dans une démarche pédagogique construite et portée par les enseignants. Cela faisait dire, madame Goy-Chavent, à l’historien François Bédarida qu’au-delà du « devoir de mémoire » il y a un « devoir de connaissance » défini comme « la constitution d’un savoir seul apte à construire une mémoire vraie ».
Nous devons donc nous interroger sur la meilleure manière de susciter à la fois l’adhésion des enseignants et l’intérêt des élèves. En ce sens, les futurs enseignements pratiques interdisciplinaires, EPI, prévus dans la réforme du collège constitueront, dès la rentrée prochaine – ayez un peu de patience ! – un cadre tout à fait approprié pour développer de tels projets pédagogiques. (M. Michel Bouvard s’exclame.) Je pense notamment à la thématique des lieux de mémoire et monuments aux morts, qui pourrait être traitée à la fois sous le prisme de l’histoire bien sûr, de la littérature et de l’histoire de l’art, par exemple. (M. Michel Bouvard s’exclame de nouveau.)
D’ailleurs, l’an passé, pas moins de douze programmes d’actions éducatives organisées par l’éducation nationale portaient sur le thème « histoire et mémoire » (Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame.) – je le rappelle au cas où vous l’ignoreriez – ; deux d’entre eux étaient spécifiquement consacrés aux lieux de mémoire : le concours de la meilleure photographie d’un lieu de mémoire pour les collèges et lycées ainsi que le concours « Les Petits artistes de la mémoire » en direction des écoles. Les outils pédagogiques destinés à la transmission de la mémoire existent et sont mêmes nombreux ; le plus connu d’entre eux, le concours national de la Résistance et de la déportation, vous venez de le rappeler, monsieur le secrétaire d’État, existe depuis plus de cinquante ans. Il a concerné l’an passé, mes chers collègues, plus de 35 000 élèves du secondaire. L’éducation nationale et le ministère de la défense travaillent conjointement dans ce domaine. Ainsi, chaque académie est dotée d’un référent « mémoire et citoyenneté », chargé d’organiser les travaux du comité académique institué pour coordonner les actions mises en place dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale et du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ce calendrier particulièrement riche conduit à un renforcement de la politique mémorielle du ministère de la défense, avec une consolidation substantielle du pilotage et des moyens affectés à ces actions. (M. Michel Bouvard s’exclame.)
J’ajouterai que les maires, monsieur le maire de Massy et cher auteur du texte,…
M. Loïc Hervé. Bientôt, il n’y aura plus de texte !
M. Jean-Louis Carrère. Vous pouvez m’écouter !
… disposent eux aussi, dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires entrés partout dans les mœurs (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.), d’une capacité d’initiative (Même mouvement.)…
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Ce n’est pas vrai !
Mme Sophie Primas. Provocation !
M. Jean-Louis Carrère. Écoutez-moi au lieu de pérorer !
… et d’actions concrètes de promotion de la mémoire nationale, dans leur projet éducatif territorial. Voilà un axe sur lequel vous pouvez et devez vous appuyer ! (Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame.)
Chers collègues de la majorité, faites-leur donc confiance en ce domaine (Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame de nouveau.)… Madame Goy-Chavent, je vous en prie ! Si vous voulez la parole, j’accepte volontiers que M. le président vous la donne…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Finissez!
M. Antoine Lefèvre. Cessez les provocations, monsieur Carrère !
M. le président. Poursuivez, monsieur Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Faites-leur donc confiance en ce domaine comme vous avez souhaité leur faire confiance pour respecter l’égal accès de nos enfants à la cantine, ainsi que le défendait avec conviction Jean-Claude Carle il y a quelques jours !
Quant à la transmission des valeurs de la République, cette préoccupation n’a jamais été aussi forte qu’actuellement, avec la mise en œuvre de l’enseignement moral et civique, ainsi que le plan de la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République,…
M. Jacques-Bernard Magner. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère. … en réponse aux attentats de janvier 2015. Laissons donc le temps à ces nouvelles actions pédagogiques de prendre leur place,…
M. Alain Néri. Voilà !
M. Jean-Louis Carrère. … au parcours citoyen de se déployer dans tous les niveaux scolaires et prenons notre part à leur évaluation. Le Sénat, mes chers collègues, pourrait faire œuvre utile en ce sens, dans un travail commun aux commissions de la défense et, madame la présidente Morin-Desailly, de la culture, de l’éducation et de la communication. Vous comprendrez qu’en tant qu’ancien président de la première, je sois très attaché à cette approche commune.
J’avais déjà plaidé, en commission, monsieur le rapporteur, pour une démarche consensuelle sur ce texte, y compris avec nos partenaires des ministères de la défense et de l’éducation nationale, car, sur le fond, il est important et intéressant.
Je me félicite du fait que notre rapporteur s’inscrive, à son tour, dans cette démarche de recherche du consensus, en appelant au renvoi en commission. Cela me paraît correspondre à l’esprit de cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Michel Bouvard. Cette proposition de loi, on pourrait s’en passer !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte tend à instaurer un jour de mémoire au sein de l’ensemble des établissements scolaires. Il vise à sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de l’histoire de notre pays, aux sacrifices de nos anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.
Je pense que nous pouvons faire crédit aux auteurs de leurs intentions. Ils ont vraiment envie, comme nous, que les enfants, les adolescents prennent conscience de ce qui a été vécu, qu’ils s’émeuvent sincèrement en pensant aux jeunes conscrits qui ont été fauchés par les balles, qui ont été défigurés, qui ont été blessés. On a vraiment envie que les enfants soient partie prenante de cette réalité.
Nous comprenons la préoccupation des auteurs de cette proposition de loi, mais pouvons-nous dire qu’une journée de plus, telle qu’elle est prévue dans le texte, serait la solution ? Je ne le crois pas. Il faut réfléchir davantage.
Actuellement, un grand nombre de journées existent déjà : la journée du numérique à l’école, celle du sport scolaire, la journée de mobilisation pour dire « Non au harcèlement à l’école », la journée de la laïcité, la semaine du vélo, la semaine du goût, la semaine d’éducation contre le racisme et l’antisémitisme ou la semaine de la presse…
L’école croule sous les injonctions, des injonctions beaucoup trop cadrées parce que cela ampute les emplois du temps sans donner les moyens de vraiment réfléchir.
M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !
Mme Marie-Christine Blandin. Qui plus est, la loi du 28 février 2012 a fixé au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. La création d’une journée de plus risquerait d’être incompréhensible.
Les municipalités se mobilisent déjà pour que les enfants s’approprient la commémoration. Le concours national des « Petits artistes de la mémoire » qui se déroule chaque année, avant le 11 novembre, avec l’aide de l’Union nationale des combattants, en témoigne.
M. Bernard Accoyer, dans le rapport qu’il a établi en 2008 sur les questions mémorielles, disait très justement que « Si l’école ne peut ignorer la mémoire dont peuvent être porteurs les élèves ni s’abstraire de participer à la mise en œuvre du devoir collectif de mémoire, sa mission première, qui est une mission éducative, doit rester d’enseigner l’histoire. » Elle le fait déjà.
Transmettre le devoir de mémoire aux jeunes générations pour le faire perdurer est un impératif.
Toutefois, les initiatives permettant d’associer l’école à ce devoir de mémoire et aux commémorations ne peuvent se faire sans un travail progressif. Elles doivent comporter un tel travail pédagogique et une sensibilisation à la mémoire en interdisciplinarité avec le programme d’histoire.
Le rapport précité préconise d’ailleurs de donner un lendemain à ces initiatives en prévoyant que les travaux d’un groupe d’élèves sur un événement historique soient régulièrement enrichis par les recherches des classes qui se succèdent. Cette idée de continuité et de cohérence se retrouve pleinement dans le parcours citoyen sur lequel a travaillé le Conseil supérieur des programmes. La publication des propositions du Conseil est attendue pour le mois de février : il faudra en tenir compte !
La mise en place d’un parcours citoyen pour chaque élève de l’école élémentaire à la classe de terminale, qui impliquerait un enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information, ainsi que la journée défense et citoyenneté illustrent bien la notion de progressivité.
La transmission des valeurs républicaines à l’école est assurément perfectible.
M. Michel Bouvard. C’est le moins que l’on puisse dire !
Mme Marie-Christine Blandin. Les témoignages des enseignants nous donnent d’ailleurs des pistes pour l’améliorer.
À la suite des attentats de 2015, de nombreuses mesures ont été mises en place pour que cette transmission soit mieux assurée. Alors que la semaine dernière a été marquée par la commémoration des attentats, l’école a ainsi été associée aux hommages.
Par ailleurs, le site du ministère de l’éducation nationale propose plusieurs outils et un ensemble de ressources pédagogiques est mis en ligne sur le nouveau portail internet « Valeurs de la République » par le réseau Canopé.
Nous devrons prendre conscience de toutes ces nouveautés et les intégrer dans le cadre de votre proposition de loi, monsieur Delahaye. (M. Michel Bouvard s’exclame.)
La réserve citoyenne, encore balbutiante dans chaque académie, les comités départementaux d’éducation à la santé et à la citoyenneté qui associent les parents d’élèves, les nouvelles perspectives d’allongement de la journée défense et citoyenneté, l’amplification du service civique sont autant de lieux et de temps qui doivent croiser votre réflexion au profit d’un parcours citoyen généralisé à l’école, dans lequel la mémoire doit avoir toute sa place. À cet égard, de nombreux partenaires sont mobilisables, comme la Fondation de la Résistance.
Enfin, j’ajouterai que la prise en compte des témoignages locaux peut créer encore plus de ferveur. J’en veux pour preuve l’exemple de ces enfants – parmi lesquels on comptait des enfants issus d’autres pays que le nôtre – qui étaient présents le 17 décembre dernier pour fêter les fraternisations sur le lieu des tranchées de la guerre de 1914. Il faut souligner le remarquable travail pédagogique préalable qui a été accompli à cette occasion.
Monsieur le secrétaire d’État, vous étiez vous-même présent ce jour-là aux côtés du Président de la République et d’élus de toutes tendances politiques. Il y avait là un consensus, des jeunes émus et militant pour la paix ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yvon Collin applaudit également.)