M. David Assouline. Dans le secteur de la musique, la question de l’observation se pose de manière spécifique, en raison du phénomène de convergence des métiers, allant du spectacle vivant à la musique enregistrée, qui conduit à prendre en compte l’ensemble de la filière.
Dans cet esprit, la récente mission de Marc Schwartz sur le partage de la valeur dans la musique en ligne a souligné l’importance de créer une instance commune permettant le dialogue entre les professionnels. Parmi les projets définis figure en priorité la création d’un observatoire de l’économie de la musique.
Cet amendement a donc pour objet de permettre la constitution, au sein du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, le CNV, d’un observatoire de l’économie de la musique compétent sur l’ensemble du champ de la filière musicale.
Il conviendrait de modifier le périmètre d’action du CNV pour y intégrer, dans le cadre de cette fonction d’observation, une action sur le terrain de la musique enregistrée, la législation actuelle limitant son action au seul périmètre du spectacle vivant ; notre rapporteur l’a indiqué en commission.
Rien n’empêchera le Gouvernement de modifier le décret statutaire du CNV pour prévoir les modalités de fonctionnement de l’observatoire de l’économie de la musique, la présence de professionnels de la musique enregistrée et des changements dans la composition de cette structure.
Je me demande également si l’observatoire de la musique, qui est aujourd’hui installé au sein de la Cité de musique-Philharmonie de Paris et qui suit notamment la production phonographique et sa diffusion audiovisuelle, ne pourrait pas être transféré au CNV, afin de contribuer à constituer ce nouvel observatoire de l’économie de la musique.
Lors de nos débats en commission, le rapporteur a objecté qu’il était impossible de créer un observatoire dont le périmètre serait étendu à la musique enregistrée au sein du CNV, cette structure ne comptant pas la musique enregistrée au rang de ses missions. Mais inscrivons cela dans la loi, et le Gouvernement pourra modifier par décret le champ du CNV. Ce serait une incitation bénéfique : aujourd’hui, la conception du spectacle vivant n’est plus indépendante de toute exploitation de la musique, y compris la musique enregistrée.
Voilà l’argument supplémentaire que je porte à votre connaissance pour faire prévaloir notre proposition, monsieur le rapporteur.
M. le président. L'amendement n° 383, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le cinquième alinéa de l’article 30 de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’observatoire de l’économie de la musique, placé auprès du directeur de l’établissement public, est chargé de l’observation de l’économie de la musique enregistrée et des spectacles de variétés. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Cet amendement vise à créer un observatoire de l’économie de la musique auprès du CNV.
Comme l’a souligné David Assouline, le secteur musical souffre d’un déficit de données économiques, préjudiciable tant aux pouvoirs publics qu’aux professionnels du secteur. L’ensemble des parties prenantes, dans la musique enregistrée comme dans le spectacle vivant, réclame cet observatoire. La création en est d’ailleurs prévue par le protocole d’accord du 2 octobre 2015 pour un développement équitable de la musique en ligne, signé tant par les acteurs de la musique enregistrée que par les acteurs du spectacle vivant.
Le rattachement de cet observatoire au CNV, qui est un établissement public, permettra d’en garantir la parfaite neutralité. J’ai entendu les réserves d’un certain nombre d’entre vous, ainsi que les attentes des professionnels ; ils souhaitent un observatoire qui soit doté de sa propre gouvernance et de son propre financement. Je suis extrêmement sensible à la préservation des équilibres de la filière, tels qu’ils s’expriment notamment au sein du CNV.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement, qui vise à placer l’observatoire auprès du directeur du CNV. Cela permettra de définir, en lien avec l’ensemble des professionnels, des modalités de gouvernance et de financement adaptées aux rôles et aux missions de cet observatoire.
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour donner l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 89 rectifié. Je partage l’ambition que ses auteurs ont exprimée. Simplement, la rédaction de notre amendement me semble plus conforme aux objectifs que nous nous sommes collectivement fixés. Je suggère donc à M. Assouline de retirer son amendement au profit de celui du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Le sujet revient régulièrement. L’observatoire de l’économie de la musique est une structure demandée et souhaitée par l’ensemble de la filière depuis de nombreuses années. On se rappelle les débats sur le centre national de la musique, qui a finalement été abandonné : il avait aussi une mission d’observation, en plus d’un système de financement intégré.
La commission est bien évidemment favorable au principe d’un observatoire ; un tel outil manque cruellement. Certes, les formes de cet observatoire méritent d’être précisées.
Au fond, les deux amendements ont le même objectif : créer cet observatoire. L’amendement de M. Assouline vise à modifier la structure du CNV, qui fonctionne bien, tandis que celui du Gouvernement vise à rattacher cet observatoire à la direction du CNV.
La commission privilégie plutôt la méthode progressive du Gouvernement, même s’il faudra ensuite trouver une gouvernance appropriée à la musique et aux industries musicales. C’est pourquoi elle demande le retrait de l’amendement n° 89 rectifié au profit de l’amendement n° 383, sur lequel elle émet un avis favorable.
M. le président. Monsieur Assouline, l'amendement n° 89 rectifié est-il maintenu ?
M. David Assouline. Non, je vais le retirer, monsieur le président.
Mon amendement et celui du Gouvernement ont bien le même objet, même si leur rédaction diffère. Pour une fois que le rapporteur se déclarait favorable à un amendement du groupe socialiste… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Je vous ai fait plus de cadeaux que vous, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
M. David Assouline. C’est le premier de la journée, en tout cas. (Mêmes mouvements.) Je suis heureux que nous soyons enfin parvenus à vous convaincre.
Mais je retire mon amendement au profit de celui du Gouvernement, qui a dû examiner les conséquences pratiques de l’exécution de la mesure pour proposer cette rédaction.
M. Dominique Bailly. Bravo !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quelle élégance !
M. le président. L'amendement n° 89 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 383.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 6.
Article 6 bis
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 90 rectifié est présenté par M. Assouline, Mmes Blondin, Monier et S. Robert, M. Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain.
L'amendement n° 237 est présenté par M. Abate, Mme Gonthier-Maurin, M. P. Laurent, Mme Prunaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 311 est présenté par le Gouvernement.
L'amendement n° 371 est présenté par Mmes Blandin, Bouchoux et les membres du groupe écologiste.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre IV du titre unique du livre II de la première partie du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° L’article L. 214-1 est ainsi modifié :
a) Après le 2°, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° À sa communication au public par un service de radio, au sens de l’article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. » ;
b) Au sixième alinéa, la référence : « et 2° » est remplacée par les références : « , 2° et 3° » ;
2° Au premier alinéa des articles L. 214-3 et L. 214-4, la référence : « et 2° » est remplacée par les références : « , 2° et 3° ».
La parole est à M. David Assouline, pour présenter l’amendement n° 90 rectifié.
M. David Assouline. Cet amendement important vise à réintroduire l’article 6 bis, dans lequel il était prévu d’étendre le système actuel de licence légale applicable aux radios hertziennes aux webradios, qui sont aujourd'hui en plein essor. Cet article, qui avait suscité des débats importants à l’Assemblée nationale, a été supprimé en commission après un débat très réduit. J’aimerais que l’on aille au fond du sujet.
À l’heure actuelle, les artistes-interprètes et les producteurs bénéficient d’une rémunération équitable pour l’exploitation de leurs œuvres et phonogrammes par les radios, y compris les radios numériques.
L’article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que les utilisations des phonogrammes publiés à des fins de commerce, quel que soit le lieu de fixation de ces phonogrammes, ouvrent droit à rémunération au profit des artistes-interprètes et des producteurs.
Le webcasting n’est plus anecdotique aujourd’hui ; le phénomène se développe. Tout le monde télécharge des playlists sur Spotify ou Deezer. Ce point n’a été traité que très partiellement dans les accords Schwartz, dans laquelle la question du moyen d’obtenir un partage équitable de la rémunération entre artistes et producteurs pour l’exploitation des œuvres en ligne n’a pas été abordée. Seul a été énoncé le principe du partage de rémunération entre ces deux titulaires de droits voisins, pour l’exploitation en ligne des œuvres.
Il me semble donc opportun de régler le problème sans délai. L’apport de l’Assemblée nationale doit être maintenu. Même si la solution trouvée n’est pas parfaite aux dires de certains, elle a au moins le mérite d’apporter des réponses face à un nouvel usage.
Le législateur doit être au rendez-vous et rendre applicable à l’ensemble des nouveaux usages résultant des innovations technologiques l’édifice législatif qu’il a construit patiemment si l’on ne veut pas assister à un dérèglement général, dans ce secteur comme dans d’autres.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour présenter l'amendement n° 237.
M. Jean-Pierre Bosino. Cet amendement vise à rétablir l’article 6 bis.
D’abord, grâce à l’extension de la licence légale pour les webradios, les artistes-interprètes pourront obtenir une rémunération pour l’exploitation de leur œuvre ; la rémunération du travail est, me semble-t-il, un principe de base.
Ensuite, si les radios en ligne ne représentent aujourd’hui que quelques centaines de milliers d’euros par an de chiffre d’affaires, loin derrière les radios hertziennes, à leur intégration dans le champ de la licence légale doit leur permettra d’accéder de manière plus aisée aux catalogues des producteurs, et ce en toute sécurité juridique. Une véritable chance de développement leur est donc offerte, grâce à la révolution numérique et au soutien du secteur musical.
En outre, le mécanisme de la licence, certes plus contraignant, pourrait se révéler bien plus pérenne que la voie contractuelle, habituellement utilisée.
Par ailleurs, et toujours pour les radios en ligne, cette ouverture ne serait qu’une reconnaissance de leur activité. Elle serait placée sous le coup de la neutralité technologique entre les radios hertziennes et elles.
Enfin, la mesure ne concerne que les radios en ligne, c’est-à-dire celles qui diffusent de la musique sans que l’utilisateur choisisse ce qui est diffusé. Ce critère est essentiel pour distinguer les webradios des services de musique à la demande.
Justice, reconnaissance, aide au développement : l’extension du mécanisme de licence légale aux webradios est aujourd’hui une mesure à la hauteur des enjeux en matière de diffusion de la création.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 311.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Cet amendement est identique à ceux qui viennent d’être présentés. Il vise à rétablir l’extension, votée par l’Assemblée nationale, de la licence légale aux services de radio diffusant leurs programmes uniquement sur internet.
Il paraît effectivement justifié, au titre de la neutralité technologique, de garantir qu’un même régime juridique s’applique à l’ensemble des services de radio, quel que soit leur mode de diffusion.
Le périmètre de la licence légale n’est étendu qu’aux radios diffusées sur internet en flux continu. Elle n’a donc pas vocation à s’appliquer aux webradios qui offrent aux internautes la possibilité d’accéder au moment de leur choix à un phonogramme donné. De même, les services radio qui sont diffusés par internet et qui sont excessivement thématisés – cela pourrait constituer une forme de contournement de l’exercice du droit exclusif ; je pense par exemple à une webradio qui serait consacrée à un seul artiste ou album – seraient également exclus de l’extension.
Cela étant dit, cet amendement étant identique à celui que vient de présenter M. Assouline, je le retire au profit du sien, lui-même ayant précédemment retiré l’un de ses amendements au profit d’un amendement du Gouvernement.
J’espère que M. le rapporteur sera sensible à cet argument de justice pour les artistes concernés et à celui de la neutralité technologique. Ce principe doit aujourd'hui s’appliquer à l’ensemble des secteurs concernés par la révolution numérique.
M. le président. L'amendement n° 311 est retiré.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter l'amendement n° 371.
Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement vise à instaurer la neutralité technologique et à prendre en compte l’essor, même si le phénomène est pour l’instant éparpillé, des radios numériques. Cette forme de radios étant appelée à devenir plus dominante qu’aujourd’hui par rapport au hertzien, le Parlement se doit d’anticiper une telle mutation en posant tout de suite des règles, afin que les créateurs, les artistes et les interprètes soient justement rémunérés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Madame la ministre, je suis très sensible non pas à vos arguments, mais au sujet.
Permettez-moi de commencer par un rappel juridique : la licence légale est une exception au droit exclusif. D’une manière générale, un producteur précise dans le contrat qu’il signe avec un artiste les pourcentages et les moyens. La licence légale interdit à l’artiste-interprète de s’opposer à la diffusion de son œuvre, moyennant une rétribution équilibrée, équitablement partagée entre le producteur et l’artiste-interprète. C’est très bien. C’est ainsi que cela se passe pour les radios hertziennes.
Je souhaite maintenant que l’on s’attarde sur l’argument, cher à la commission de la culture, de la neutralité technologique, car il est régulièrement invoqué.
Il y a une véritable différence entre une radio hertzienne et une webradio. Une radio hertzienne est limitée en capacités. Elle dispose d’un espace public, l’espace hertzien, qu’elle a obtenu, ce qui lui confère d’ailleurs des devoirs. Une webradio est beaucoup moins chère : en termes de matériel et de technique, cela coûte moins d’émettre sur le web que d’émettre en hertzien. On peut créer à moindre coût une, deux, dix, quinze, cent, mille, deux mille, un million de webradios ! On n’est donc pas tout à fait dans la neutralité technologique.
Dans une voiture, en province, on capte à peu près correctement une dizaine de radios au maximum. Par rapport au monde économique du web, on est dans une forme de rareté.
L’argument de la neutralité technologique est légitime quand il y a égalité. C’est d’ailleurs le cas lorsqu’une webradio diffuse en simultané exactement le même programme que sa radio hertzienne. Dans ce cas, on peut effectivement parler de neutralité technologique. Mais ce n’est pas le cas de toutes les webradios.
Le problème, c’est que nous ne connaissons pas les conséquences d’un tel dispositif, en particulier sur la rémunération des artistes et des producteurs. Il n’y a eu aucune étude d’impact, puisque l’article 6 bis a été ajouté à l’Assemblée nationale. Or nous aurions besoin d’une telle étude.
Les chiffres dont nous disposons à cet égard ne sont favorables ni aux artistes ni aux producteurs, car il y a une mutation. Comme vous le savez, la licence légale va « aplatir » les choses. Selon nos indications, la rémunération des artistes serait moindre.
Madame la ministre, apportez-nous une étude chiffrée et sérieuse sur cette question, et nous verrons si nous pouvons évoluer. Pour l’heure, même si je suis sensible à ce sujet, je ne dispose pas des informations me permettant de me prononcer en faveur du rétablissement de l’article 6 bis dans le projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Je souhaite formuler quelques remarques sur ces amendements identiques visant à rétablir l’article 6 bis.
Cet article, introduit à l’Assemblée nationale par le Gouvernement, prévoyait l’extension aux webradios du régime de la licence légale, comme c’est le cas aujourd’hui pour les radios hertziennes.
Il s’agit, selon le Gouvernement et les auteurs des autres amendements, de permettre aux webradios de se développer plus rapidement, en appliquant le principe de neutralité technologique.
J’estime pour ma part que ce développement ne doit pas se faire au détriment des artistes-interprètes et de leurs producteurs ! Ceux-ci nous ont alertés ; pour eux, la mesure n’est pas neutre.
Le régime de droit exclusif en vigueur leur permet, contrairement à ce que les auteurs de ces amendements prévoient, de négocier des rémunérations largement supérieures à celles qui s’appliquent à la licence légale. Remettre en cause le système existant aboutirait à un nivellement par le bas des rémunérations de l’ensemble des ayants droit. (M. David Assouline s’exclame.)
Nous souhaiterions que vos dénégations s’appuient sur des chiffres, comme vient de le dire M. le rapporteur. Or tel n’est pas le cas. En l’espèce, votre empressement à inclure une telle mesure, sans avoir réalisé d’étude d’impact au préalable, alors qu’elle aurait pu figurer dans le projet de loi initial, vous dessert.
À mon sens, il nous appartient – je ne parle pas seulement en tant que membre de la commission de la culture – d’assurer le maintien du dispositif actuel de rémunération des artistes, qui, jusqu’à preuve du contraire, reste le plus protecteur ! L’étude d’impact nous dira s’il faut le modifier.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Monsieur le rapporteur, vos craintes sur la neutralité technologique peuvent concerner tous les secteurs.
Lorsque nous avons voté ici la neutralité technologique pour la presse, y compris d’un point de vue fiscal, certains ont argué que la presse papier était plus chère à fabriquer que la presse numérique ; ils nous ont demandé pourquoi nous voulions appliquer le principe de neutralité technologique à ce secteur. Or ce principe s’applique aux titres de presse, qu’il s’agisse de la presse papier ou de la presse numérique. En adoptant cette loi, nous nous sommes dit qu’il y avait deux options : soit nous mettions des freins à la révolution technologique pour conserver les protections anciennes, auquel cas le pays mourrait, car il n’était plus tourné vers l’avenir ; soit nous conservions ces protections en regardant vers l’avant, en ne laissant personne au bord du chemin, pour faire accepter les révolutions technologiques !
L’argument que vous avez avancé – on peut créer mille webradios, mais pas autant de radios hertziennes – s’applique également à la presse papier ou à la musique : écouter un disque et télécharger de la musique, ce n’est pas la même chose ! Des intermédiaires disparaissent, et de nouveaux métiers se créent. Mais ne perdons pas de vue qu’il n’y a pas de musique sans artistes !
Je reconnais qu’une étude d’impact aurait été nécessaire. Mais, comme l’article a été introduit par amendement à l'Assemblée nationale, il n’y en a pas eu. Cela étant, rien ne nous empêche d’en demander une maintenant, voire de la réaliser nous-mêmes et d’en analyser ses résultats.
Mais, en tout état de cause, ayons à l’esprit que les « petits » artistes-interprètes sont sûrs de gagner plus avec la licence. Les artistes déjà puissants pensent que l’institution de ce régime aura pour eux l’effet inverse, en influant sur ce qu’ils peuvent négocier au cas par cas.
Je fais mon choix. Je ne pense pas que les plus puissants soient aujourd’hui ceux qui ont le plus de difficultés à percevoir des rémunérations et à vivre correctement de leur métier. En revanche, ceux qui sont aujourd’hui en extrême difficulté et qu’il faut protéger, ce sont les « petits » artistes-interprètes. S’ils nous demandent cette licence, ce n’est pas pour se faire du mal à eux-mêmes ; c’est parce qu’ils ont déjà évalué qu’elle leur permettrait de gagner plus !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. J’invoquerai le même argument, la neutralité technologique.
Le gouvernement français a d'ailleurs invoqué ce principe de la neutralité technologique auprès de la Commission européenne en matière fiscale s’agissant du livre et de la presse en ligne, deux sujets sur lesquels le principe s’applique. Il est évident, pour la presse comme pour le livre, que la réalité n’est pas totalement identique dans l’univers numérique et dans l’univers physique. Les coûts de production et de diffusion ne sont pas les mêmes. Néanmoins, même si ces univers ne sont pas totalement comparables, il a été décidé que le principe de neutralité technologique devait s’appliquer s’agissant de la réglementation, de la fiscalité ou de la taxation. On ne peut pas considérer que les univers doivent être totalement homothétiques ou comparables.
L’article 6 bis, qui a effectivement été introduit à l’Assemblée nationale, n’a été précédé d’aucune étude d’impact. J’attire toutefois votre attention sur le fait que c’est une commission paritaire, la commission de la rémunération équitable, qui détermine le taux de rémunération équitable. La rémunération qui pourrait être versée aux artistes dépend du taux qui serait fixé par cette commission. En toute logique, il faut donc d’abord légiférer pour rendre cette commission compétente, afin qu’elle puisse se prononcer sur le taux de rémunération qui sera effectivement appliqué aux artistes. Il est difficile de réaliser une étude d’impact avant que la commission ait pu délibérer sur le taux de rémunération applicable.
Je suggère par conséquent à la Haute Assemblée d’adopter ces amendements identiques – la commission de la rémunération équitable peut très bien produire les chiffres très rapidement – pour rassurer les artistes. Les craintes ne sont pas fondées, puisque la commission détermine le taux de rémunération. Nous aurions aussi un ordre de grandeur de ce que cela pourrait représenter en termes de revenus supplémentaires pour les artistes.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 90 rectifié, 237 et 371.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 6 bis demeure supprimé.
Article additionnel après l'article 6 bis
M. le président. L'amendement n° 292 rectifié ter, présenté par Mme Duchêne, M. Cardoux, Mme Di Folco, MM. Vogel, Milon, Laufoaulu, Mandelli, Laménie, Mayet et Kennel, Mmes Deromedi et Hummel, MM. Pellevat, G. Bailly et Chasseing, Mme Morhet-Richaud, MM. Chaize et Gournac, Mme Primas et M. Husson, est ainsi libellé :
Après l’article 6 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Aux premier et second alinéas de l’article L. 311-1, aux articles L. 311-2 et L. 311-3, aux premier et deuxième alinéas, aux deux occurrences du quatrième alinéa, aux première et seconde phrases du dernier alinéa de l’article L. 311-4, aux première, deuxième et dernière phrases du premier alinéa de l'article L. 311-4-1, aux deux occurrences du premier alinéa de l’article L. 311-5, aux premier, deuxième et dernier alinéas de l’article L. 311-7, au premier alinéa du I, au II, au second alinéa du III de l’article L. 311-8 et au 1° de l’article L. 321-9 du code de la propriété intellectuelle, le mot : « rémunération » est remplacé par les mots : « compensation équitable ».
La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne.
Mme Marie-Annick Duchêne. Dans ses articles concernant la copie privée, le code de la propriété intellectuelle emploie une expression inappropriée, que cet amendement vise à corriger, en remplaçant le mot : « rémunération » par les mots : « compensation équitable ». Cela mettrait également en adéquation le droit français avec la jurisprudence européenne.
En outre, dans son rapport sur le bilan et les perspectives de trente ans de copie privée, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale souligne que le complément obligatoire pour copie privée « n’a pas pour vocation de contribuer à un partage de la valeur entre ayants droit, fabricants et importateurs de supports et consommateurs, mais de compenser un préjudice subi par les ayants droit du fait de la reconnaissance de l’exception pour copie privée ». C’est donc un problème de sémantique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Le problème n’est pas que sémantique ; sa portée va au-delà.
Certes, je partage complètement l’idée que la copie privée est non pas une rémunération, mais une compensation. Il est donc vrai qu’il y a là une dimension sémantique.
Toutefois, je vais solliciter le retrait de cet amendement, à ce stade en tout cas, quitte à travailler davantage sur le sujet. En effet, le quart de la redevance pour copie privée est consacré au soutien à des actions culturelles. Ce n’est plus une compensation de risques.
Par conséquent, comme cet aspect n’est pas parfaitement approfondi, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, je serais au regret d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. La rémunération pour copie privée doit effectivement correspondre à la rémunération qu’auraient dû percevoir les titulaires de droits dans le cadre de l’exercice de leurs droits exclusifs.
Comme l’a précisé le Conseil d’État dans ses arrêts des 11 juillet 2008 et 17 juin 2011, elle est « une modalité particulière d’exploitation des droits d’auteur fondée sur une rémunération directe et forfaitaire qui doit être fixée à un niveau permettant de produire un revenu globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d’un droit par chaque auteur d’une copie privée s’il était possible de l’établir et de la percevoir ». Il s’agit donc d’une rémunération et non, comme le soutiennent les auteurs de cet amendement, d’une compensation versée au titre d’un préjudice civil.
Je relève enfin que la notion de rémunération pour copie privée est également présente en droit communautaire, au considérant 28 de la directive 2001-29 du 22 mai 2001.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.