M. Jean-Yves Leconte. Égalité des droits et refus de l’arbitraire !
M. André Reichardt. Dès lors, deux postures totalement différentes et frontalement opposées se font aujourd’hui face : d’un côté, la nôtre – nous l’avons voulue réaliste –, et, de l’autre, celle de la majorité gouvernementale, qui a fait le choix de refuser les plus importantes de nos propositions, au profit d’un échec de la commission mixte paritaire, pour rétablir en définitive les dispositions que l’Assemblée nationale avait votées en première lecture.
Que dire, en outre, des dispositions nouvelles introduites par l’Assemblée nationale sans lien direct avec le texte, ce qui, sur un plan constitutionnel, comme l’a dit M. le rapporteur, semble plutôt douteux ?
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne pouvons nous contenter d’analyser la question migratoire au seul prisme des titres de séjour réguliers, au demeurant délivrés par une administration saturée.
Certes, la question migratoire n’est pas franco-française : l’Europe entière connaît ce chaos. En 2015, l’Europe a enregistré 1,83 million de franchissements illégaux de ses frontières extérieures. Ce chiffre est six fois plus élevé que celui de 2014 !
Le contrôle aux frontières extérieures est, hélas, une fiction : dans les trois quarts des cas, nous le savons, il n’y a aucune prise d’empreintes, aucune vérification d’identité, aucun criblage dans aucun fichier de police d’aucune sorte. Cessons, dès lors, de croire que de simples gardes-frontières suffiront à endiguer les flux !
Issu d’un département frontalier, je mesure bien l’importance et l’intérêt de l’ouverture de l’espace Schengen. Mais cette ouverture ne peut avoir lieu au prix d’une simple gestion – voire d’une non-gestion ! – des flux, qu’ils soient réguliers ou irréguliers.
Madame la secrétaire d’État, je répète ce qu’ont dit les collègues de mon groupe tout à l’heure : votre texte ne répond pas aux exigences du moment. C’est pourquoi, comme le propose M. le rapporteur, je voterai la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet.
Mme Evelyne Yonnet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous le savons : les migrations constituent, pour les décennies à venir, des enjeux inévitables.
L’accord de la COP 21 prévoit certes une limitation de la hausse de la température terrestre ; la réalisation des prévisions internationales reste cependant inexorable. Plus de 250 millions d’hommes, de femmes et d’enfants, de tous horizons, seront contraints de chercher de nouveaux lieux de vie, dans des territoires différents et moins touchés par le changement climatique. Aucune frontière n’arrêtera cet exode d’une ampleur mondiale.
Entre 2011 et 2014, 83 millions de réfugiés climatiques ont été recensés ; ils sont déjà deux fois plus nombreux que les réfugiés de guerre, dont le nombre s’élève à 42 millions au cours de la même période.
Par ailleurs, comme vous le savez, de récentes études, à commencer par l’audit parlementaire de la politique d’immigration, ont démontré que les étrangers contribuent positivement à l’économie française.
Au-delà du seul facteur économique, quelle que soit leur provenance – nous sommes, au fond, tous issus de l’immigration –, les étrangers s’impliquent aussi dans le monde associatif et culturel. Leur présence nous ouvre sur le monde et, à l’heure où le repli sur soi est un danger pour notre pays, elle nous rappelle que nous ne sommes qu’une partie d’un tout.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après la réforme du droit d’asile qui permet aujourd’hui à la France d’étudier beaucoup plus rapidement un plus grand nombre de demandes – même si certaines améliorations restent à apporter au dispositif –, nous avons l’occasion de discuter de nouveau du projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
Le Gouvernement s’est déjà attelé, par deux circulaires des 28 novembre 2012 et 3 janvier 2014, à améliorer l’accueil de cette population en préfecture.
Tout d’abord, je tiens à remercier les députés, notamment le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, d’avoir repris le titre initial du projet présenté par le Gouvernement, Droit des étrangers en France, au lieu du titre Diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration, issu de notre bienveillante assemblée.
L’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, étant revenue aux équilibres du texte gouvernemental d’origine, le présent projet de loi comporte plusieurs avancées.
Je citerai, entre autres exemples, la création de la carte de séjour pluriannuelle de quatre ans et de la carte de résident permanent par principe, la suppression, en cas de changement de motif, de la carte de séjour temporaire comme préalable à l’obtention d’un titre pluriannuel, ou l’encadrement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur.
Néanmoins, nous aurions souhaité des améliorations sur plusieurs points : l’accès à l’AME et à la protection universelle maladie – il s’agit d’éviter la persistance de situations précaires sur le territoire ; la décision du transfert, des ARS, les agences régionales de santé, vers l’OFII, de la compétence d’évaluation de l’état de santé des étrangers demandant un droit de séjour pour raisons médicales ; les modalités d’accès au regroupement familial et à la carte de résident pour les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés qui restent très injustes vis-à-vis d’autres étrangers. Ces deux derniers sujets ont été largement évoqués par le Défenseur des droits.
Nous aurions également souhaité que soient discutées la possibilité d’une suppression définitive de la présence de mineurs, accompagnés ou non, dans les centres de rétention, ou encore l’opportunité du recours aux tests osseux, dont la fiabilité est largement remise en cause par la communauté scientifique – la marge d’erreur est de deux ans au minimum entre seize et dix-huit ans.
Si l’encadrement du recours à ces tests a été voté conforme à l’occasion de la discussion du présent texte, il est très probable que nous en reparlerons prochainement, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.
Enfin, introduite entre les deux lectures, à l’article 18, l’extension du recours à la force publique ne peut, en l’état, nous satisfaire.
Parvenir, sur ces quelques points, à un consensus témoignerait d’un plus grand respect des hommes et des femmes qui souhaitent partager leur avenir avec le nôtre, et contribuerait à leur inclusion.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, même si des points restent en suspens ou auraient pu être améliorés, ce projet de loi apporte, sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui, quelques réponses.
La majorité sénatoriale, une fois de plus, a décidé de les ignorer, en présentant une motion tendant à opposer la question préalable. Nous nous y opposerons, bien entendu.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, il va de soi que nous aurions souhaité qu’un nouveau débat ait lieu dans cette enceinte, pour que soient promus de nouveaux droits en faveur des étrangers. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la nouvelle lecture du projet de loi relatif au droit des étrangers en France témoigne de l’ampleur des difficultés d’intégration que rencontre notre pays, et de l’urgence à trouver des solutions pérennes pour endiguer les vagues d’immigration qui frappent la France.
La situation des étrangers à Mayotte – la plupart d’entre eux s’y trouvent irrégulièrement – appelle de ma part quelques observations, tant elle ne laisse plus personne indifférent.
Un récent rapport de la Cour des comptes, publié voilà quatre semaines, intitulé La départementalisation de Mayotte : une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire, nous rappelle la situation d’urgence qui règne sur ce territoire.
L’alerte est ainsi lancée, une fois de plus, en direction du Parlement souverain, afin qu’il légifère à l’aide de dispositifs adaptés aux réalités locales.
La Cour insiste sur « l’état d’impréparation [législative] dans lequel le département se trouve pour recevoir de nouvelles compétences », et appelle, avant toute autre action, à « une définition claire des étapes à franchir pour une départementalisation réussie », ainsi qu’à « un effort énergique pour combler les retards […], dans un esprit de responsabilité partagée entre le département et l’État. »
L’accueil et l’intégration des étrangers font partie de ces actions dont la gestion doit relever de la coresponsabilité.
L’ordonnance du 7 mai 2014, qui porte extension à Mayotte du CESEDA, ne prévoit que de simples ajustements techniques, nécessaires pour y rendre applicable le droit européen, conformément à la loi du 20 novembre 2012.
Lors de la discussion en première lecture du présent texte, j’ai présenté un amendement sur ce sujet à l’article 26 ; je regrette qu’il ait été rejeté par la commission des lois.
Le bilan global de la départementalisation de Mayotte se traduit par un constat d’échec, celui de mesures inappropriées pour aligner Mayotte sur le droit commun. La Cour des comptes vient de nouveau de le rappeler.
Or nous savons qu’il existe des outils de coopération avec les Comores. Ils seraient susceptibles de régler les problèmes qui, des deux côtés, sont liés aux flux migratoires, et étouffent l’île de Mayotte dans son élan économique ; mais ils sont mal déployés.
Par exemple, la charte commune-État-département, qui pose les bases d’un cadre stratégique de partenariat entre la France et les Comores, s’avère un excellent outil de régulation, mais n’apporte aucun résultat probant.
Sur ce point, on connaît les difficultés liées aux OQTF à Mayotte.
L’intégration à Mayotte des étrangers, qui sont généralement des ressortissants comoriens, est un sérieux problème que l’État se doit de résoudre avec les élus mahorais. Mais il faudrait, au préalable, que les autorités parviennent à mieux coordonner leurs politiques pour bien maîtriser les flux migratoires. Et cela relève avant tout d’une mission régalienne.
Je demande donc que le Sénat soutienne plus fermement la résolution de ce problème épineux. C’est pourquoi je voterai la motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. le rapporteur, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France (n° 339, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Mes chers collègues, je propose au Sénat de décider qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen du présent projet de loi.
Ce texte, dont la Haute Assemblée est saisie en nouvelle lecture, vise à revoir l’architecture des titres de séjour, en créant notamment un titre de séjour pluriannuel, et à améliorer les procédures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.
En première lecture, le Sénat avait adopté des solutions différentes de celles de l’Assemblée nationale, en maintenant notamment les équilibres de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
Il avait aussi fait le choix, s’agissant de certaines dispositions, de s’inscrire dans la logique du texte, en poursuivant les efforts de clarification et de simplification entrepris, et en proposant d’améliorer les mécanismes votés.
Ainsi, sans remettre en cause le principe d’une procédure accélérée de contestation des obligations de quitter le territoire français prises sur certains motifs, le Sénat avait circonscrit cette procédure aux seuls étrangers déboutés du droit d’asile, cette catégorie d’étrangers en situation irrégulière posant les difficultés les plus grandes en matière d’éloignement.
Par ailleurs, le Sénat, s’appuyant également sur la directive Retour, avait étendu la durée maximale des mesures d’interdiction de retour à cinq ans, au lieu des trois ans proposés dans le texte, sans durée maximale en cas de menace grave à l’ordre public. Au regard du contexte actuel de menaces, cette dernière mesure avait, me semble-t-il, toute sa justification.
La Haute Assemblée, constatant la volonté du Gouvernement de promouvoir l’assignation à résidence, avait créé deux mécanismes permettant d’accroître les exigences en matière de garanties de représentation : la validation par le maire de l’attestation d’hébergement et la possibilité d’un cautionnement par l’étranger.
Le texte adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale ne prend en compte aucune des préoccupations majeures exprimées par le Sénat à travers plusieurs amendements d’importance adoptés en première lecture. De manière plus surprenante, des dispositions qui avaient pour objet de garantir l’efficacité de mesures proposées par le Gouvernement lui-même ont aussi été écartées ! (M. Charles Revet acquiesce.)
En outre, des mesures nouvelles ayant des effets importants, notamment, sur le droit d’asile, mais aussi sur le service civique, sans relation directe avec les dispositions restant en discussion ont été introduites par les députés lors de l’examen du texte en nouvelle lecture.
Les députés ont ainsi adopté un amendement du Gouvernement tendant à modifier le code du service national, afin d’élargir les possibilités pour les étrangers d’accéder au service civique, ce qui conduit à une réforme d’ampleur du dispositif.
Ils ont également supprimé l’assignation à résidence sous surveillance électronique d’un étranger parent d’un enfant mineur ne disposant pas de garanties de représentation. Cette dernière initiative est contradictoire avec l’un des objectifs affichés dans le texte : éviter le placement en rétention, en particulier s’agissant des mineurs.
Enfin, l’Assemblée nationale a adopté, toujours sur l’initiative du Gouvernement, une disposition nouvelle en matière d’asile, permettant à l’autorité administrative d’opposer l’irrecevabilité à une demande d’asile formulée en rétention au-delà des cinq premiers jours de celle-ci. Cela crée une dérogation au principe affirmé dans la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, en vertu de laquelle seul l’OFPRA peut opposer l’irrecevabilité à une demande d’asile.
À propos de ces trois derniers points, qui me semblent particulièrement importants du point de vue des principes et des conséquences possibles, j’aimerais rappeler la jurisprudence du Conseil constitutionnel : en application de l’article 45 de la Constitution, les amendements adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire doivent être en relation directe avec une disposition du texte encore en discussion ou se justifier par la nécessité de coordonner des dispositions avec d’autres textes en discussion au Parlement, de permettre le respect de la Constitution ou de corriger une erreur matérielle.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Bien entendu !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Or, honnêtement, aucune de ces trois dispositions ne remplit les conditions requises pour pouvoir figurer valablement dans le texte voté par l’Assemblée nationale. Je pense donc qu’il y a un sérieux risque d’inconstitutionnalité à cet égard.
Sous le bénéfice de ces explications, je propose au Sénat d’adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable, afin de placer l’Assemblée nationale devant ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, contre la motion.
M. Philippe Kaltenbach. Nous sommes saisis d’une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
Axé sur l’accueil, l’attractivité et la lutte contre l’immigration clandestine, ce projet de loi était un texte équilibré et pragmatique lors de son arrivée au Sénat en première lecture. Malheureusement, la Haute Assemblée a choisi de le détricoter complètement et de le dénaturer, ce qui a d’ailleurs été très largement critiqué.
Cette opposition stérile, fondée sur des raisonnements simplistes et caricaturaux, a d’ailleurs abouti – mais qui s’en étonne ? – à une absence d’accord en commission mixte paritaire. Il est vrai qu’il est difficile de parvenir à une solution consensuelle lorsque l’une des parties agite des chiffons rouges…
Le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale a été corrigé ; « fort heureusement », serais-je tenté d’ajouter. Il retrouve ainsi à la fois son humanisme et sa fermeté, qui sont les deux principes conducteurs de l’action menée par le Gouvernement depuis le début de ce quinquennat en matière de droit des étrangers.
À ce titre, il convient de signaler que l’Assemblée nationale, dans sa sagesse, a supprimé – je sais que M. Karoutchi en est fort marri – le débat annuel sur l’immigration et l’établissement de quotas.
Mme Isabelle Debré et M. Michel Savin. C’est dommage !
M. Philippe Kaltenbach. Je vous le rappelle, voilà quelques années, M. Brice Hortefeux, alors ministre de l’intérieur, avait lui aussi défendu cette brillante idée…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Pas de polémique, s'il vous plaît !
M. Philippe Kaltenbach. … mais il l’avait enterrée après étude, convenant qu’une telle mesure serait inutile et contre-productive.
Depuis 1974, l’immigration économique est marginale, voire nulle. L’octroi d’un titre de travail à un étranger suppose d’avoir d’abord apporté la démonstration qu’aucun Français ne pourrait exercer la fonction en question.
Aujourd'hui, l’immigration autorisée concerne principalement le regroupement familial – il s’agit d’étrangers en règle faisant venir leur famille ou de Français épousant une personne étrangère –, les études et l’asile ; ce sont les voies d’accès officielles en France. Les quotas ont peut-être un sens dans les pays où il y a des besoins importants en matière économique, comme l’Australie ou le Canada, mais ils ne sont pas du tout adaptés à la France.
Le chiffon rouge agité n’avait donc pas d’utilité autre que d’affichage politique. Il fallait, me semble-t-il, dépasser ces débats stériles.
Les députés ont aussi fait preuve de fermeté. Certains amendements adoptés en témoignent. Je pense à la possibilité – certes, cela peut faire débat ; je sais que cette question n’est pas tranchée sur toutes les travées – pour l’autorité administrative de déclarer irrecevable une demande d’asile au-delà des cinq premiers jours de rétention, dans l’unique objet de faire obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement.
Autre mesure de fermeté adoptée par l’Assemblée nationale, la procédure accélérée de contestation des obligations de quitter le territoire français concernera tous les étrangers, et non les seuls déboutés du droit d’asile.
Nous avions eu des débats au Sénat. Il est vrai que nos échanges ont parfois été virulents. Mais je pense que la discussion méritait de se poursuivre.
Or la présente motion tendant à opposer la question préalable vise en fait à stopper tout débat. Il s’agit de nous empêcher de défendre nos convictions et d’essayer de convaincre, ce qui est précisément le rôle d’un parlementaire !
M. le rapporteur a invoqué deux arguments pour justifier sa motion : d’une part, l’Assemblée nationale n’a rien retenu du texte adopté par le Sénat ; d’autre part, elle a ajouté de nouvelles dispositions.
Sur le premier point, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer, beaucoup des amendements qui avaient été adoptés par la majorité sénatoriale à quelques jours des élections régionales relevaient du pur affichage politique. Il n’y avait aucun souci de pragmatisme ou d’efficacité.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il ne suffit pas d’affirmer ; il faut démontrer !
M. Philippe Kaltenbach. Je vais le faire, monsieur le président de la commission des lois.
Même M. Brice Hortefeux, que j’ai tout de même du mal à citer en exemple, avait reconnu que les quotas n’avaient aucun sens. Or c’était le principal chiffon rouge ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Ainsi que M. le rapporteur l’a rappelé, la majorité sénatoriale avait également supprimé l’un des éléments essentiels de la réforme. Le titre pluriannuel avait pour objet de mettre fin à ces interminables files d’attente d’étrangers en situation irrégulière devant les préfectures. Or vous proposiez de supprimer ce titre pluriannuel, ou d’en faire une exception, alors que c’est véritablement le cœur du dispositif.
Vous aviez également réduit le nombre de personnes concernées par de nouveaux droits et durci certaines mesures en matière d’interdiction de séjour, liant une nouvelle fois étranger et ordre public.
Évidemment, comme le Sénat était dans une démarche très politicienne, la réaction de l’Assemblée nationale a été – croyez bien que je le regrette ! – de refuser d’entrer dans le fond de la discussion avec nous sur ces questions.
Pour autant, je ne crois pas qu’il faille couper court à tout débat. Après tout, le fait d’être dans l’opposition sénatoriale depuis un moment déjà ne nous empêche pas de déposer des amendements et de chercher à convaincre, même si, j’en conviens, c’est rarement avec succès.
J’en viens au second point évoqué par M. le rapporteur. Les ajouts opérés par l’Assemblée nationale relèvent du bon sens.
Je ne comprends pas pourquoi vous êtes vent debout contre l’ouverture du service civique aux étrangers. Vous dites qu’il faut intégrer les étrangers. C’est l’une des priorités de l’action gouvernementale. Mais une telle ouverture n’est-elle pas justement un excellent facteur d’intégration ? À mon avis, cela mériterait au moins un vrai débat, au lieu d’être ainsi balayé d’un revers de main…
Nos échanges auraient pu permettre d’enrichir le texte sur de nombreux points, et parfois de manière assez large, comme sur le droit d’asile. Or, avec cette motion tendant à opposer la question préalable, vous voulez couper court à la discussion. C’est ce déni de débat que nous contestons aujourd'hui !
Le groupe socialiste et républicain votera contre cette motion. Voir une assemblée parlementaire refuser tout débat est toujours un signe extrêmement négatif. Nous avons été élus pour débattre. Sur un sujet comme celui-là, l’immigration et les droits des étrangers, les Français attendent que nous allions au fond des choses. À mon sens, ce n’est pas rendre service au Sénat que de le réduire à un rôle d’opposant systématique refusant la discussion sur un texte aussi important.
Au demeurant, et je tiens à le souligner, les débats au Sénat ne sont jamais inutiles. Certains des amendements déposés par le groupe socialiste et républicain qui n’avaient pas été retenus par la Haute Assemblée ont été repris par l’Assemblée nationale. C’est la preuve que, en discutant, en échangeant des arguments, on finit par obtenir quelques satisfactions.
J’ai été très heureux de constater que quatre mesures faisant l’objet d’amendements repoussés au Sénat avaient été adoptées par l’Assemblée nationale. Je pense à l’obtention de plein droit de la carte de résident lors du second renouvellement, à la possibilité pour l’étranger qui sollicite un titre pluriannuel dans le cadre d’un changement de statut de se voir délivrer le titre sollicité sans délivrance préalable d’une carte de séjour temporaire, à l’encadrement des cas de placement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur et à l’accès des associations humanitaires et de défense des droits des étrangers aux zones d’attente.
Le travail d’amendements finit donc par porter ses fruits. C'est d’ailleurs la raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain avait déposé dans cette enceinte huit nouveaux amendements. Nous voulions poursuivre le débat, pour essayer de convaincre nos collègues sénateurs et faire avancer nos idées à l’Assemblée nationale.
Ces amendements concernaient des sujets importants : la garantie de l’accès des victimes de traite ou de proxénétisme à la carte de séjour pluriannuel ; le fait de lier la compétence de l’autorité administrative à l’avis médical en cas de demande de séjour pour soins ; le délai de deux jours ouvrés pour permettre à la personne étrangère de faire appel à un avocat. À nos yeux, tous ces sujets méritaient que la discussion ait lieu.
Malheureusement, et sans vouloir étouffer par avance tout suspense, je crains que nous ne nous acheminions vers l’adoption de la présente motion, ce qui aura pour effet de mettre un terme au débat.
Nous voilà revenus à une opposition frontale entre deux visions du droit des étrangers. Cela ne me paraît pas souhaitable. Il faut toujours rechercher des compromis et essayer de trouver des solutions consensuelles. Ce ne sera pas le cas aujourd’hui.
Nous voyons bien que vous cherchez à instrumentaliser l’immigration en la présentant comme un danger. Malheureusement, vous courez derrière l’extrême droite, en alimentant sa thèse fallacieuse de l’envahissement du pays !
Pourtant, dans un monde globalisé, l’immigration est incontournable ; il faut en tirer le meilleur !
En première lecture, j’avais évoqué les nombreux Français d’origine étrangère qui œuvrent pour le pays et constituent des exemples.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Philippe Kaltenbach. Je pourrais aussi évoquer l’exemple américain ; le quart des prix Nobel a été attribué à des personnes issues de l’immigration.
Nous nous grandissons en accueillant les étrangers. Il faut que le débat se poursuive ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Je souhaite, à ce moment du débat sur la motion tendant à opposer la question préalable, dire quelques mots au nom du ministre de l’intérieur qui est retenu à l’Assemblée nationale par l’examen du projet de loi relatif à l’état d’urgence.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur, regretter que l’Assemblée nationale ait, d’un revers de main, balayé le texte que vous aviez adopté en première lecture. Le Gouvernement ne peut qu’être en désaccord avec cette affirmation.
Nous l’avons constaté au cours du débat, le texte du Gouvernement, tel qu’il a été amendé par les députés, et celui que le Sénat a adopté présentaient des divergences importantes. Les philosophies qu’ils traduisaient étaient difficilement conciliables sur certains points. Pour autant, et contrairement à ce que j’ai entendu dire, des apports significatifs du Sénat ont été conservés. Ceux-ci ont permis d’améliorer encore le texte lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale.
S’agissant des désaccords de fond que la commission mixte paritaire a mis en évidence, vous avez voulu, me semble-t-il, maintenir le statu quo et le contenu de la loi du 16 juin 2011. Or le Gouvernement avait précisément pour ambition de moderniser et d’améliorer le droit des étrangers, considérant que ce statu quo n’était pas satisfaisant.
Vous avez proposé de limiter à la portion congrue le titre de séjour pluriannuel et de maintenir, pour les étrangers qui résident dans notre pays, les tracasseries administratives dont chacun, ici, connaît les conséquences : dégradation des conditions d’accueil, précarisation du droit au séjour, limitation de l’immigration du talent et de la connaissance. Il était important que nous avancions sur ces questions.
Ensuite, je l’ai dit, vous avez revendiqué le statu quo s’agissant du régime du contentieux de la rétention issu de la loi du 16 juin 2011. Chacun sait pourtant que celui-ci réussit l’exploit d’être doublement insatisfaisant, sur le plan à la fois du respect des droits et de l’efficacité des procédures de reconduite à la frontière. Le Gouvernement a eu l’occasion de rappeler – et il le fera à chaque fois que cela sera nécessaire – que les échecs de la politique d’éloignement menée sous la majorité précédente avaient été dissimulés par des artifices statistiques. À un moment donné, il faut dire les choses !
Enfin, en première lecture, vous avez défendu des quotas annuels d’immigration. Nous avons eu l’occasion de souligner que ceux-ci n’étaient conformes ni à nos valeurs républicaines, ni à nos principes constitutionnels, ni à nos engagements internationaux.
Sur ces trois questions, les oppositions étaient trop profondes pour que nous puissions trouver un accord. Mais cela ne signifie pas que le travail du Sénat a été ignoré et qu’il n’en restera rien. Je vais essayer de vous en convaincre.
Sur bien des points qui ne sont pas mineurs, le Sénat a apporté des améliorations, qui ont été reprises et je tiens, monsieur le rapporteur, à vous en remercier.
L’Assemblée nationale a en effet maintenu l’article 8 bis A, que vous aviez introduit et par lequel vous aviez précisé les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à la réserve d’ordre public en matière de délivrance et de renouvellement des titres de séjour. Ces précisions sont tout à fait bienvenues et ne manqueront pas d’être utiles à l’application de la loi. Encore une fois, je tiens à remercier le Sénat de les avoir intégrées.
Dans le même esprit, les députés ont maintenu la possibilité, que vous aviez introduite en première lecture à l’article 15, de prolonger une interdiction de retour au-delà de cinq ans, dès lors qu’il existe une menace pour l’ordre public.
L’Assemblée nationale a également voté conformes les modifications que vous aviez apportées à l’article 16 portant sur le contentieux des obligations de quitter le territoire français prises outre-mer. Par ces ajouts, vous aviez en effet pérennisé le régime dérogatoire qui existe en Guadeloupe et à Saint-Barthélemy, tenant ainsi compte d’une réalité locale bien spécifique.
En outre, le Sénat est à l’origine de garanties nouvelles, qui ont été maintenues, et même précisées par l’Assemblée nationale. Vous avez ainsi, monsieur le rapporteur, introduit un article 22 bis A, qui reprend l’une des préconisations du rapport dont vous êtes le coauteur avec Mme Éliane Assassi. Aux termes de cet article, vous avez ainsi rendu obligatoire la délivrance aux étrangers qui font l’objet d’une assignation à résidence d’une information sur les modalités d’exercice de leurs droits – c’est un point important.
Enfin, sur l’initiative de Philippe Kaltenbach et du groupe socialiste et républicain du Sénat, dont je veux saluer la grande implication et la qualité des travaux, vous avez apporté un fondement législatif à l’accès des associations de défense des droits des étrangers aux zones d’attente : il s’agit de l’article 23 bis A.
Vous avez également adopté en première lecture un autre amendement du groupe socialiste et républicain visant à garantir que la rétention des familles avec enfant s’effectue toujours dans des locaux adaptés à leur accueil. Cette disposition nous paraît très importante.
Vos travaux auront aussi permis de proposer des pistes d’amélioration, approfondies en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. Ainsi, le Sénat a sécurisé la procédure d’escorte au consulat prévue par l’article 18 du projet de loi, en introduisant la possibilité d’entrer au domicile de l’étranger assigné à résidence en cas d’obstruction de sa part et après autorisation du juge des libertés et de la détention. Par la suite, cette mesure a été généralisée par l’Assemblée nationale à toutes les assignations à résidence prévues dans le CESEDA.
Je veux maintenant dire un mot au sujet des nouveautés introduites en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale. C’est dans un esprit de rigueur et d’apaisement que nous avons été amenés à préciser certaines questions. Je veux insister sur ce point, nous l’avons fait dans l’absolu respect de la procédure parlementaire.
Si les conditions d’accès des étrangers au service civique ont dû être précisées, c’est parce que la disposition de coordination qui avait été introduite en première lecture présentait des malfaçons et n’avait, à notre sens, pas été suffisamment travaillée. Les dispositions nouvelles adoptées en première lecture ont également rendu nécessaire l’introduction de mesures d’articulation avec la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, afin que nous puissions en préserver les équilibres. Là encore, c’était important.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le Gouvernement ne peut que déplorer le dépôt de cette motion tendant à poser la question préalable, dont il souhaite le rejet.
Je vous laisse, mesdames, messieurs les sénateurs, le soin d’apprécier ce que vous devez faire, tout en vous remerciant encore une fois des améliorations que vous avez apportées à ce texte, et qui demeureront en dépit du dépôt de cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)