compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
Mme Valérie Létard,
M. Jackie Pierre.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du 18 février 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le 19 février 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, de la loi relative au droit des étrangers en France.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
3
Commissions mixtes paritaires
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre les demandes de constitution de commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique et de la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
4
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération de l’outre-mer dans son environnement régional, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2015.
5
Dépôt de documents
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre :
- le rapport sur la mise en application de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile ;
- le rapport sur l’éligibilité à l’aide à l’équipement des foyers dégrevés de la contribution à l’audiovisuel public et ne recevant les services de télévision en clair que par la voie satellitaire sans abonnement ;
- la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de contournement Est de Rouen-liaison A28-A13, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement ;
- la contre-expertise de l’évaluation socio-économique du projet de ligne 15 Est du Grand Paris Express, accompagnée de l’avis du Commissariat général à l’investissement.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des lois, pour le premier, à celles de la culture, des affaires économiques et de l’aménagement du territoire et du développement durable, pour le deuxième, et à celles des finances, des affaires économiques et de l’aménagement du territoire et du développement durable, pour les deux derniers.
6
Décisions du Conseil constitutionnel sur quatre questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 19 février 2016, quatre décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
-la répartition des sièges de conseillers communautaires entre les communes membres de la métropole d’Aix-Marseille-Provence (n° 2015-521/528 QPC) ;
- l’allocation de reconnaissance III (n° 2015-522 QPC) ;
- la police des réunions et des lieux publics dans le cadre de l’état d’urgence (n° 2016-535 QPC) ;
- les perquisitions et saisies administratives dans le cadre de l’état d’urgence (n° 2016-536 QPC).
Acte est donné de ces communications.
7
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 24 février, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale et les articles 35 et 39 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire (Personnes détenues : droit de visite, vie familiale et recours effectif) (2016-543 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
8
Liberté de création, architecture et patrimoine
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (projet n° 15, texte de la commission n° 341, rapport n° 340, tomes I et II).
Avant de passer au scrutin public solennel, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Explications de vote sur l’ensemble
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à sept minutes le temps attribué à chaque groupe politique, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs n’appartenant à aucun groupe.
M. Robert Navarro. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi touche à de nombreux sujets : architecture, archéologie, audiovisuel, création, ou encore propriété intellectuelle.
Comme dans toute voiture-balai, on y trouve du bon et du mauvais. Puisque je vais le voter, j’ai choisi, dans mon explication de vote, de mettre l’accent sur les points positifs.
Tout d’abord, le projet de loi du Gouvernement ne mentionnait pas une seule fois le patrimoine immatériel de notre pays. Je viens d’un territoire où le patrimoine immatériel – la langue occitane, la gastronomie, la corrida, les joutes sétoises, ou encore le poulain de Pézenas – se vit pourtant au quotidien. Ce qui est vrai pour l’Hérault l’est dans toute la France ! C’est la raison pour laquelle je me félicite de l’introduction du patrimoine immatériel dans le texte. La France respectera ainsi la convention du 17 octobre 2003 de l’UNESCO.
Sur le sujet hautement sensible des éoliennes, je me félicite aussi du point d’équilibre trouvé : partisan des énergies renouvelables, je sais que celles-ci ont besoin, pour être développées, d’être acceptées par tous. L’obligation de recueillir l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France à propos des installations d’éoliennes qui sont visibles depuis un immeuble classé, un monument historique ou un site patrimonial protégé me semble participer à cet objectif d’équilibre.
Autre point positif, le renforcement du mécénat dans les territoires : l’autorisation, pour les communes et les intercommunalités qui le souhaitent, de permettre aux entreprises de déduire de leur cotisation foncière une fraction de leur don à des actions culturelles territoriales me paraît indispensable pour vivifier le territoire.
Enfin, il reste une importante interrogation, que les débats au Sénat n’ont pas levée : je veux parler de la taxation de ce qu’on appelle l’« informatique dans le nuage ». Je passe sur le pataquès qui a vu la suppression de la copie privée sur les stockages classiques : en l’état, les copies réalisées sur une clé USB ou un disque dur externe relèveraient du droit exclusif, exigeant ainsi une autorisation préalable des titulaires de droits. C’est risible !
Pour ce qui concerne la taxation de l’informatique dans le nuage, je considère qu’il n’est pas raisonnable d’étendre la redevance pour copie privée : on voudrait ruiner le cloud français et pousser les internautes à utiliser des services concurrents à l’étranger qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Et ce, alors même que les scandales qui ont visé la question de la protection des données personnelles aux États-Unis constituent un moment favorable pour renforcer les entreprises françaises et européennes.
Si la loi peut taxer les services français, l’informatique dans le nuage – c’est sa raison d’être ! – est accessible de partout ! La France doit cesser de croire qu’elle peut arrêter le nuage de Tchernobyl à ses frontières !
Je compte évidemment sur l’Assemblée nationale pour revenir sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du RDSE.
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un an après l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo, un an après les saccages successifs de l’œuvre d’Anish Kapoor, un mois seulement après l’agression de Combo, l’auteur de l’œuvre CoeXisT, il nous faut protéger les artistes et les lieux d’exposition artistiques et clamer haut et fort que nous faisons front commun pour préserver la liberté de création artistique.
Bien que largement symboliques, les dispositions proclamant les libertés de création et de diffusion n’en demeurent pas moins indispensables, car elles fixent à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics des objectifs ambitieux en matière culturelle. Il s’agit, pour ces politiques auxquelles nous souscrivons entièrement, de garantir notamment la diversité de la création, de veiller au respect de la liberté de diffusion artistique et d’élargir, dans les territoires, l’accessibilité de la création artistique aux publics qui en sont éloignés – les jeunes ou les handicapés, par exemple.
Il est important de défendre l’exception culturelle française et la politique de mise à l’abri de la production culturelle des lois du marché. Nous avons ainsi pu présenter un amendement tendant à supprimer la possibilité offerte au Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, d’accorder une dérogation aux seuils en matière de diffusion de titres francophones des radios. Dans cette perspective, nous voulions également inscrire dans la loi la notion de politique de service public en faveur de la création artistique, seule garante de l’accès de tous les publics à l’art, qui n’a malheureusement pas trouvé un écho favorable lors de la présente lecture.
Le projet de loi fixe plusieurs règles de partage et de transparence des rémunérations dans les secteurs de la création, règles que le Sénat a complétées et qui vont dans le sens de l’équilibre que nous appelions de nos vœux.
Toujours dans un objectif de transparence, nous avons permis l’adoption d’un amendement visant à rendre public le nom des bénéficiaires des aides accordées dans le cadre de l’utilisation des 25 % de la rémunération pour copie privée affectés au financement d’actions artistiques et culturelles.
Toutefois, nous regrettons quelques complexifications introduites dans ce projet de loi. C’est le cas, par exemple, de la mise en place obligatoire des commissions « culture » des conférences territoriales de l’action publique, alors que les modalités d’organisation devraient être tranchées librement par les conférences territoriales de l’action publique, ou CTAP.
Je regrette également, pour ma part, le sort réservé à l’archéologie préventive. Dans son rapport intitulé Pour une politique publique équilibrée de l’archéologie préventive, Martine Faure estime que les dysfonctionnements constatés sont liés à l’absence d’outils de régulation efficaces.
Lors de la discussion générale, j’avais ainsi évoqué la nécessité de renforcer le contrôle de l’État sur les opérateurs privés et ce, afin d’améliorer la qualité scientifique des fouilles. L’amendement déposé en ce sens n’a toutefois pas été retenu par le Sénat.
De la même manière, il semblait important, dans un souci d’intérêt général, d’entériner la distinction introduite à l’Assemblée nationale entre l’Institut national des recherches archéologiques préventives, l’INRAP, le rôle spécifique joué par les services archéologiques des collectivités territoriales et les opérateurs agréés. La commission du Sénat a néanmoins souhaité consacrer les opérateurs privés au niveau de l’opérateur historique et des services des collectivités territoriales, ce qui ne me paraît pas opportun.
À cela s’ajoute la possibilité pour ces opérateurs privés de bénéficier du crédit d’impôt recherche : un avantage fiscal qui, en plus d’être infondé, introduit surtout une concurrence déloyale contre laquelle la commission se faisait pourtant fort de lutter.
Je suis convaincue qu’on ne traite pas la politique scientifique de recherche archéologique comme n’importe quelle activité économique. Il s’agit d’une richesse patrimoniale et d’un savoir pour lesquels l’État, et à travers lui l’INRAP, doit jouer un rôle prépondérant.
La préservation du rôle de l’État concernant la réforme des abords des 43 000 monuments historiques emporte, en revanche, le soutien de mon groupe. La simplification voulue dans le texte original supprimait des verrous essentiels de protection de notre patrimoine national, protection que seul l’État est à même de garantir au-delà d’intérêts locaux parfois incompatibles.
De même, le régime des sites patrimoniaux protégés, auquel nous préférions toutefois une appellation un peu plus attractive, propose un équilibre approprié entre la volonté de simplification du texte original et la garantie de protection du patrimoine dans la durée.
Il était impératif que les collectivités territoriales – c’était d’ailleurs l’une de leurs inquiétudes – ne soient pas laissées en première ligne et que le patrimoine puisse compter sur une préservation durable. C’est l’objet du plan de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, ou PMVAP, qui se substitue au plan local d’urbanisme patrimonial et qui sera soumis à l’avis de la commission régionale et à l’approbation du préfet avant son adoption. Ainsi, l’État retrouve-t-il ses prérogatives.
Par ailleurs, nous nous réjouissons que la commission régionale du patrimoine et de l’architecture soit présidée par un élu et que les sites patrimoniaux soient dotés d’outils de médiation et de participation citoyenne. La protection du patrimoine est, en effet, l’affaire de tous.
Quant aux dispositions relatives à l’architecture, elles sont accueillies diversement au sein de mon groupe. Je salue, pour ma part, le désir d’architecture suscité par la loi. Rendre le recours à l’architecte presque banal, c’est aussi favoriser des constructions individuelles et collectives bien plus harmonieuses.
Je me félicite donc de l’adoption de notre amendement visant à rendre obligatoire l’affichage du nom de l’auteur du projet architectural en même temps que celui des autorisations d’urbanisme sur le terrain. Ce dispositif, qui n’entraîne aucun coût, non seulement permet de corriger certaines dérives, mais également met en avant les travaux conduits par les architectes. Le rétablissement du seuil de recours obligatoire à l’architecte en dessous de 150 mètres carrés pour les particuliers, hors constructions à usage agricole, est également une bonne chose eu égard à la complexité actuelle des modes de calcul.
Enfin, dans un souci d’équilibre, la version médiane trouvée par notre assemblée concernant l’élaboration du projet architectural, paysager et environnemental me semble de nature à répondre aussi bien à l’exigence de qualité pour les lotissements qu’aux préoccupations de certains professionnels du secteur qui craignaient d’être marginalisés.
Eu égard à l’ensemble des avancées permises par ce texte, le groupe du RDSE votera à l’unanimité en sa faveur, mais, à titre personnel, je resterai vigilante sur le sort réservé à l’archéologie en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme Françoise Férat, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Nous aussi !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Républicains.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis de nouveau pour nous prononcer sur ce texte au parcours plutôt chaotique.
Je tiens, en premier lieu, à féliciter les rapporteurs, qui se sont livrés à un travail approfondi et minutieux sur ce projet de loi. Retenant de ce large texte certaines avancées attendues par les acteurs du monde culturel, supprimant, à l’inverse, nombre de dispositions inutiles ou périlleuses, ils ont su trouver des équilibres et formuler des propositions qui permettent d’envisager une adoption sereine du projet de loi. Ainsi pouvons-nous réellement parler de « valeur ajoutée du Sénat ».
Dans la partie consacrée à la création, comme le projet de loi multipliait les mesures techniques, passés les deux premiers articles purement incantatoires sur la création et les politiques culturelles, le rapporteur Jean-Pierre Leleux est intervenu pour combler certaines lacunes, par exemple, l’absence de mention du mécénat, ou pour apporter des améliorations, notamment au nouveau dispositif de médiation de la musique ou au fonctionnement de l’enseignement artistique et des conservatoires.
Il a également supprimé des dispositions introduites par l’Assemblée nationale sans étude d’impact, comme l’extension aux webradios du régime de licence légale, du fait de réelles incertitudes sur les incidences d’une telle réforme.
Attentif aux demandes des musées et fondations, il s’est penché sur leur difficulté à pouvoir exploiter pleinement les droits légués.
Je rappellerai encore que plusieurs dispositions importantes sont venues étoffer le sujet, introduit par les députés, de la rémunération pour copie privée. Ces mesures visent notamment à prendre en compte l’essor du numérique et à garantir une juste rémunération des photographes et plasticiens auteurs d’œuvres reproduites par des moteurs de recherche.
Par ailleurs, alors que le présent texte était, à son arrivée au Sénat, muet sur la question de l’audiovisuel, le rapporteur, poursuivant la réflexion menée dans un récent rapport, a osé poser la question du financement des chaînes, qui sont aujourd’hui confrontées à la baisse de leurs ressources provenant de la publicité ou des abonnements. La réglementation actuelle en matière de production – elle a presque vingt ans – n’est manifestement plus adaptée à la révolution que vit l’audiovisuel.
Si nous ne nous faisons guère d’illusions quant à l’issue qui sera donnée à nos propositions sur le plan législatif, nous avons du moins la satisfaction d’avoir enclenché une dynamique qu’il appartient maintenant aux producteurs et aux diffuseurs de traduire dans les faits.
Mon groupe approuve l’ensemble des clarifications et des améliorations qui ont été ainsi apportées.
Selon moi, les apports du Sénat aux articles relatifs au patrimoine et à l’architecture sont également essentiels.
Concernant l’architecture, le Sénat a privilégié une approche pluridisciplinaire pour la réalisation des projets architecturaux, paysagers et environnementaux de lotissements.
D’une manière plus générale, mon groupe estime que la garantie de qualité architecturale doit impérativement s’accompagner d’une maîtrise des coûts, à un moment où particuliers, collectivités et professionnels chargés de ces projets sont tous fortement éprouvés par la crise. Nous poursuivrons en ce sens l’examen du texte.
Concernant le patrimoine, les modifications apportées par le projet de loi au système actuel nous ont semblé particulièrement risquées. Néanmoins, plutôt que de rejeter cette réforme, les rapporteurs l’ont abordée avec le souci constant d’obtenir un consensus.
Aussi le Sénat s’est-il attaché à conserver la simplification des procédures et la souplesse souhaitées par le Gouvernement, mais ce dans le respect de deux axes : la protection du patrimoine et celle des intérêts des collectivités.
M. Hubert Falco. Très bien ! C’est très important !
Mme Colette Mélot. En tant que représentants des territoires, nous avons donc profondément modifié le dispositif proposé en créant des sites patrimoniaux protégés, qui prennent la place des cités historiques, et en garantissant une unité de protection du patrimoine.
Notre principal point d’achoppement était en effet le recours au plan local d’urbanisme, ou PLU, document manquant de stabilité, alors que les décisions prises doivent s’inscrire dans la durée.
Nous avons également renforcé le rôle de la nouvelle Commission nationale du patrimoine et de l’architecture dans la définition des sites protégés, ainsi que celui de l’État dans l’élaboration des plans de sauvegarde et de mise en valeur, afin de toujours garantir cette unité de traitement et d’assurer l’accompagnement des collectivités. Cet accompagnement a été notre préoccupation constante au cours de l’examen du texte.
M. Hubert Falco. Les collectivités en ont besoin !
Mme Colette Mélot. Par conséquent, c’est un dispositif infiniment plus protecteur du patrimoine local qui sort de nos débats.
En ce qui concerne l’archéologie préventive, nous sommes intervenus pour éviter la mise à l’écart d’intervenants autres que l’INRAP dans le processus conduisant aux fouilles.
Certes, nous comprenons les objectifs de qualité scientifique des fouilles poursuivis par le Gouvernement. Toutefois, ceux-ci ne justifient pas le renforcement du contrôle de l’État sur les opérateurs publics ou privés qui risque de retirer en fin de compte aux aménageurs leur liberté de choix.
M. Éric Doligé. Bravo !
Mme Colette Mélot. Ce débat se poursuivra probablement en deuxième lecture, mon groupe faisant entièrement confiance aux capacités de conviction des rapporteurs.
Ainsi, le présent texte, s’il ne porte pas de réforme majeure, aura cependant son utilité.
Je tiens à souligner que nous n’oublions pas que ce projet de loi, censé porter une grande ambition du président Hollande pour la culture, succède à trois années de fortes restrictions budgétaires et à une baisse drastique des dotations aux collectivités territoriales, baisse dont la culture sera fatalement, en cette période de crise, l’une des premières victimes.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Colette Mélot. Le présent projet de loi est donc avant tout un texte d’affichage à la veille d’élections majeures.
Cette attitude aurait pu suffire à provoquer son rejet, mais mon groupe ne souhaite ni laisser plus longtemps nombre de professionnels dans l’attente d’un texte législatif ni voir adopter un texte qui ne soit pas totalement protecteur d’un patrimoine auquel nous tenons tant.
C’est dans cet esprit constructif et pragmatique que nous avons examiné et que nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis est paradoxal.
Il se voulait grande loi culturelle, mais déroule les mesures techniques.
Il brandit, à l’article 1er, l’étendard de la liberté de créer pour, à l’article 2, sinon l’étouffer, du moins l’affaiblir, sous le poids des définitions et des objectifs qui s’accumulent sans hiérarchisation.
Il s’affirmait étatique, par exemple en matière d’archéologie préventive – sujet qui a déjà été évoqué à plusieurs reprises –, mais ressort de nos débats plus ouvert à la liberté de choix des collectivités.
Il se voulait décentralisateur, dans la combinaison des dispositions d’urbanisme avec les règles du patrimoine, mais s’avère, au terme de cette première lecture, recentralisateur, poussé par les vents de la protection du patrimoine.
Voilà en effet, mes chers collègues, le péché originel de ce texte : il est trop large, sans colonne vertébrale ni définition claire et assumée d’un projet culturel. La technique ne peut pas tout et ne peut surtout pas remplacer l’idée directrice, le sens et les valeurs qui doivent former le cœur d’une démarche culturelle.
Alors, où est la lueur d’espoir ?
D’abord, dans le travail mené par la commission de la culture sous votre impulsion, madame Morin-Desailly, par les deux rapporteurs, Françoise Férat et Jean-Pierre Leleux, ainsi que par l’ensemble d’entre vous, mes chers collègues.
Ensuite, dans la réécriture minutieuse accomplie en séance et qui a permis des améliorations notables, ou encore le gommage d’inconvénients prévisibles.
Enfin, dans l’esprit d’ouverture que vous avez manifesté, madame la ministre. Vous avez accepté nombre d’amendements et évoqué à plusieurs reprises la poursuite d’un travail coopératif.
Le groupe UDI-UC, du fait de ses valeurs, de sa volonté humaniste et de la diversité intellectuelle des femmes et des hommes qui l’animent, attache historiquement beaucoup d’importance à la force d’un projet culturel pour la France. Notre vote sera favorable : le bilan des avantages et des inconvénients du texte nous semble en effet positif.
Mon groupe n’a pas qualité pour déterminer si le remaniement ministériel dont nous avons été les témoins involontaires a été ou non réussi. En revanche, il sera attentif, madame la ministre, à votre capacité à mettre en œuvre, jusqu’au bout de la deuxième lecture, l’esprit d’ouverture dont vous nous avez fait part. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour le groupe CRC.
M. Patrick Abate. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous y voilà ! Après un examen du texte pour le moins éprouvant, nous en arrivons enfin au vote.
Mon collègue Pierre Laurent, dans son intervention liminaire, avait lancé un appel à l’audace. Cela aurait bien été le minimum d’ambition pour un texte particulièrement attendu, qui devait constituer un grand rendez-vous avec le monde de la culture, du patrimoine et de l’architecture. Or cet appel ne nous semble pas avoir été véritablement suivi d’effet.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, même s’il nous laissait un sentiment mitigé, présentait des pistes intéressantes, notamment en matière de droit des artistes, d’archéologie préventive et d’architecture. Il était toutefois perfectible. Brigitte Gonthier-Maurin avait, lors de son examen en commission, employé l’image d’un gué, au milieu duquel le Gouvernement et les députés nous avaient laissés.
Le groupe communiste républicain et citoyen, dans un esprit constructif, a fait tout son possible pour enrichir le projet de loi : nous avons déposé une centaine d’amendements, dont cinq ont été retenus. Trop souvent pourtant, notre démarche allait à contre-courant des orientations de la majorité sénatoriale, alors même que le Gouvernement restait quant à lui plutôt figé au milieu de ce gué.
Exit, ainsi, les dispositions sur le 1 % culturel que nous contestions en l’état, mais que nous souhaitions amender ; exit les dispositions sur les webradios, sur le monopole de l’INRAP pour les fouilles subaquatiques, sur le cadre protecteur de l’État en matière d’archéologie préventive, sur le crédit d’impôt recherche, sur la politique incitative au recours aux architectes, ou enfin sur les concours d’architecture.
Bienvenue, en revanche, à une certaine ségrégation entre les artistes en matière de protection et à une certaine incitation au travail dissimulé pour les artistes amateurs. N’oublions pas non plus l’ouverture aux phénomènes de concentration accomplie par le truchement de la réforme de la production indépendante et par la dérégulation du secteur de l’archéologie préventive, pour ne citer que ces sujets.
J’aimerais d’ailleurs m’arrêter sur ce dernier point très brièvement. L’article 20 a été littéralement détruit au Sénat. Au motif que l’INRAP profiterait d’indus, ce que la Cour des comptes dément, la majorité sénatoriale a continué à ouvrir les vannes pour les opérateurs privés. Faut-il rappeler que, étude après étude, on constate une distorsion de concurrence en faveur de ces structures privées, ainsi que des pratiques plus que douteuses de sous-traitance ou de dumping social ?
Dans le même temps, la majorité sénatoriale a limité le contrôle de l’État sur la préservation du patrimoine architectural, bien commun de la Nation, et permis parallèlement la mise en concurrence des services locaux entre eux. L’État, dont les moyens de contrôle sont ainsi affaiblis, devra donc en outre déployer son filet de sécurité lorsqu’un opérateur privé aura failli à la tâche pour laquelle il est payé !
Un autre élément est assez révélateur : le sort réservé au médiateur de la musique. Ce conciliateur s’est vu consciencieusement vidé de sa substance et de son intérêt, au motif qu’il ne faut surtout pas contrevenir au sacro-saint secret des affaires. Ainsi, c’est tout l’intérêt d’un conciliateur capable de fournir des éléments jurisprudentiels qui a été supprimé, au point que le médiateur ne ressemble plus aujourd’hui qu’à un fantoche sans âme.
En parallèle de ces mesures, on peut regretter que toutes les déclarations de bonnes intentions, unanimement partagées, contre la concentration dans les arts et les médias, contre la marchandisation à outrance de la culture et pour le respect de l’exception culturelle n’aient pas tenu à l’épreuve de l’élaboration de la loi. En témoigne notamment l’introduction dans le texte d’articles réformant en profondeur et dangereusement la production indépendante.
Il me semble essentiel d’aborder un dernier élément : la question des architectes des Bâtiments de France, ou ABF. Nous déplorons que la majeure partie de la discussion du titre relatif à la préservation du patrimoine ait en fin de compte tourné au procès indirectement intenté aux ABF.
En tant qu’élus locaux, nous avons tous eu affaire à un ABF un peu tatillon. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Tout n’est pas parfait du côté des ABF. Mais il n’est pas juste de mener cette bataille à peine cachée contre 120 personnes qui, rappelons-le, ont à leur charge plus de 44 000 monuments et qui se sont révélées si utiles à la préservation de notre patrimoine. Nous regrettons à ce titre que nos amendements visant à instaurer des espaces de dialogue plus importants entre ABF et élus locaux aient tous été repoussés.
Nous étions certes sceptiques avant le passage du texte devant la Haute Assemblée, mais nous restions ouverts… Aujourd’hui, nous sommes plutôt déçus.
Nous déplorons que nous n’ayons pas pu profiter de l’examen de ce projet de loi pour défricher plus efficacement le chemin étroit que pourrait prendre notre société entre le chemin qui mène vers l’individu-consommateur, jamais assez flatté, et celui qui conduit vers l’individu-producteur, jamais assez bon marché… Je pense au chemin vers l’individu-citoyen, celui qui apprend, qui crée, qui s’émancipe, qui développe l’esprit critique, énergie essentielle au développement de la démocratie et au progrès de la société.
Plus concrètement, il se serait agi de prendre le parti d’un service public des arts et de la culture renforcé, mobilisant l’État et les collectivités, et qui protège les artistes et les auteurs, qui défende le patrimoine, qui incite à l’excellence architecturale, qui favorise le bien-vivre ensemble. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Et pour cause : la République libre, égale, fraternelle et laïque ne peut souffrir de l’assèchement culturel et artistique ni même de sa stagnation par manque d’ambition et de véritables moyens. En la matière, le progrès est un devoir, sauf à développer le terreau dont se nourrissent la méconnaissance, puis la défiance, puis la peur, puis la haine de l’autre.
Nous espérons pouvoir corriger le texte en profondeur et renforcer les dispositions qui nous semblent aller clairement dans le bon sens lors de la navette parlementaire.