M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du RDSE.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les attentats qui ont endeuillé la Nation en 2015 et qui éclatent dorénavant de façon quasi quotidienne aux quatre coins du monde, et ce week-end encore en Côte d’Ivoire et en Turquie – je veux bien sûr avoir une pensée pour les victimes –, démontrent que nous sommes confrontés à une menace spécifique : des organisations terroristes militarisées, capables de conduire des opérations commando, et visant désormais des cibles indiscriminées.
Cela a conduit le Président de la République à solliciter le concours des forces armées sur notre sol, avec pour effet, inédit dans l’histoire récente de notre pays, de faire du territoire national le premier théâtre d’engagement de nos forces armées. Une telle situation exigeait un effort de définition du cadre d’emploi de ces dernières.
Oui, monsieur le ministre, dans de telles circonstances, il ne fait plus aucun doute que l’offensive terroriste rend nécessaire la participation des forces armées, en appui des forces de sécurité intérieure, à la protection des Français.
Pourquoi ? Tout d’abord, il est évident que la sécurité nationale repose désormais sur une articulation serrée entre défense extérieure et sécurité intérieure. Ceux qui nous attaquent sur notre sol sont les mêmes que nous combattons en OPEX.
Ensuite, Daech, à la fois armée terroriste exerçant une attraction puissante jusqu’au plus profond de nos campagnes et proto-État disposant de ressources considérables, est une menace d’une dangerosité sans précédent, qui requiert, monsieur le ministre, une réponse adaptée.
Pour que cette réponse soit la plus complète et la plus efficace possible, les savoir-faire et expertises particuliers de nos armées sont un atout indéniable ; ils permettent de couvrir un large spectre de risques radiologiques, chimiques ou nucléaires, ainsi que la « cybermenace » évoquée par M. le ministre, dont on sait qu’elle ne cesse de croître.
Nous avons d’ailleurs eu recours de longue date aux armées en situation de crise, comme réservoir de compétences spécifiques. Leur plus-value s’apprécie aussi dans leur capacité de planification et de mise en synergie d’équipements et d’aptitudes interarmées. Elles ont donc, incontestablement, à prendre leur part dans la stratégie globale de contre-terrorisme mise en œuvre sur le territoire.
Par ailleurs, il convient d’insister sur le fait que lorsque les armées interviennent sur le territoire national, exception faite des postures permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime, c’est en soutien des forces de sécurité intérieure, lesquelles restent, si je puis dire, « maîtresses en leur demeure », et dans le cadre de missions bien identifiées, telles que la sécurisation des sites stratégiques et des points d’importance vitale, ou encore la protection des structures essentielles de l’État.
Les armées assurent ainsi le volet militaire des opérations de sécurité intérieure, et non des missions dévolues à d’autres acteurs relevant, par exemple, du domaine judiciaire.
La militarisation de la réponse au terrorisme doit cependant être assortie des garanties que l’on est en droit d’attendre d’un État démocratique. Il m’apparaît, monsieur le ministre, que tel est bien le cas : je vous en donne tout à fait acte.
En effet, hors état de siège, l’intervention des armées sur le territoire national ne peut s’opérer que par voie de réquisition, et sous la responsabilité des autorités civiles. Il est en outre à souligner que les militaires ne jouissent, en matière d’usage de la force, que des prérogatives reconnues à tout citoyen, à savoir, essentiellement, la légitime défense et l’exigence d’absolue nécessité. La logique du plan Vigipirate, qui consistait en un appoint ponctuel d’effectifs, est donc dès à présent dépassée, au profit de ce qui s’apparente à une véritable « opération intérieure ».
Toutefois, cette refonte de la posture de protection, qui va indéniablement s’inscrire dans la durée, doit nous obliger à accélérer l’émergence d’un nouveau modèle d’armée, pour en assurer la soutenabilité.
En effet, ces derniers mois, la mobilisation exceptionnelle des forces sur le territoire national a entraîné des ajustements pour le moins importants. Elle a notamment exercé une forte tension sur l’outil de défense – le niveau d’engagement des forces a atteint sa capacité maximale, et même dépassé ce qui était prévu dans le contrat opérationnel initial – et fait naître un besoin accru en hébergement, qui s’est traduit par l’adoption d’un plan de travail plus ou moins ambitieux.
Cela a évidemment entraîné des surcoûts à due proportion, qui ont été financés pour l’instant par décret d’avance à hauteur de 171 millions d’euros, sans qu’aucune provision n’ait été inscrite en loi de finances initiale ! Il faut donc s’attendre à une réaffectation des ressources.
Toutefois, quelles en seront les conséquences, monsieur le ministre, notamment sur l’entretien programmé du matériel, qui avait été fléché comme prioritaire dans la discussion budgétaire ? Comment, de surcroît, continuer sur le long terme à soutenir de telles dépenses, et financer le renforcement nécessaire des capacités ?
Je ferai référence, pour ne prendre qu’un exemple, à la surveillance de nos approches maritimes, qui constitue un véritable défi, à l’aune de nos 19 000 kilomètres de côtes et de la continuité naturelle que représente la mer entre notre territoire et les théâtres des OPEX.
Enfin, et puisqu’il convient de ne pas « consommer » les forces en permanence, votre projet visant à faire de la réserve un instrument privilégié de protection de la Nation est intéressant et mériterait d’être précisé.
Je partage, monsieur le ministre, la conviction selon laquelle nous ne pouvons pas nous contenter d’augmenter le nombre de réservistes, ainsi que leurs jours d’activité.
Vous indiquez souhaiter développer des partenariats avec l’enseignement supérieur, les écoles de fonctionnaires ou encore les entreprises. C’est à mes yeux une excellente piste, mais comment comptez-vous favoriser l’attractivité d’un tel dispositif ?
Il sera en outre impératif de nous doter d’un véritable plan de formation, sans lequel nous ne parviendrons pas à atteindre l’objectif fixé, qui est de disposer, certes, d’un réseau de personnes mobilisables rapidement, mais avant tout de personnes qualifiées !
Il nous faut vraisemblablement nous habituer pour longtemps à la présence des militaires sur notre sol ; j’ai d’ailleurs tendance à penser qu’une telle présence rassure une partie de nos concitoyens.
J’ai pu lire dans le rapport que l’opération sera maintenue tant que la menace l’exigera ; mais je m’interroge, monsieur le ministre : jusqu’à quand ? En attendant, le groupe du RDSE vous accorde toute sa confiance et tout son soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Les Républicains.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, après les attentats de janvier 2015, l’exécutif a procédé à un déploiement massif et rapide des forces de sécurité. En trois jours, le ministère de la défense a su mobiliser 10 000 militaires.
Afin de rassurer nos concitoyens et de protéger les écoles, les lieux de culte, les grands magasins et tous les autres lieux dits « sensibles », gardes et missions se sont additionnées. Le résultat, aujourd’hui, consiste en un millefeuille de 1 300 sites dont la protection est assurée de façon différenciée, allant de la garde statique permanente, majoritaire, à la patrouille aléatoire.
L’affectation à l’opération Sentinelle de 7 000 militaires, et peut-être bientôt de 10 000, est, de fait, permanente. Elle dépasse les capacités de l’armée de terre, alors même que nos armées sont déjà en situation de surtension.
Certes, monsieur le ministre, la déflation des effectifs a été réduite, grâce à la révision de la loi de programmation militaire. Toutefois, les effets de cette décision ne se feront vraiment sentir qu’en 2017.
La situation est grave : nos militaires enchaînent plusieurs rotations, jusqu’à six dans l’année, au sein de Sentinelle, avec une semaine de préparation et six semaines de déploiement, et, pour les plus chanceux, une projection en OPEX.
Ce rythme ne permet plus à nos militaires de se régénérer. Il les prive de préparation opérationnelle indispensable, de formations classiques, et génère une réduction des permissions. Il affecte en outre fortement le moral de nos militaires, lesquels, pourtant, ne manquent ni de courage ni de professionnalisme.
Après la mobilisation et l’enthousiasme initiaux, l’usure, le manque d’intérêt opérationnel et l’éloignement croissant de la famille se font sentir.
Monsieur le ministre, nous avons reçu votre document. Il s’agit d’un bon bilan, bien présenté. Rappel historique, comparaisons internationales, évolution des menaces, cadre juridique, impact budgétaire : la méthodologie est bien là, mais pas les propositions. Le nouveau concept d’emploi se limite à quelques pages, dont une partie est consacrée à la posture permanente, en temps de paix… En réalité, ce document est un parfait état des lieux.
Premièrement, vous l’avez rappelé, Sentinelle résulte de la volonté du Président de la République, chef des armées.
Deuxièmement, l’emploi des forces armées sur le territoire national est encadré par une réquisition de l’autorité civile ; elles sont placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur et commandées – heureusement pour nous ! – par le chef d’état-major des armées.
Le rapport précise que « les militaires jouissent des prérogatives reconnues à tout citoyen en matière d’usage de la force » – nous sommes rassurés ! –, que « les capacités spécifiques de surveillance et observation […] à fins opérationnelles ne se confond[ent] pas avec le renseignement à fins judiciaires, qui ne relève pas des armées », et que « lors de la définition des effets à obtenir […], énoncés dans les réquisitions des préfets, la prise en compte par les autorités administratives des spécificités des armées permet d’en optimiser l’emploi ».
Nous sommes malheureusement dans l’incantatoire : les juristes seront certes rassurés, mais les armées restent, de fait, des supplétifs du ministère de l’intérieur.
Conscient que Sentinelle prive nos militaires de la préparation nécessaire à des projections extérieures de guerre, vous indiquez : « Déployées dans des zones peu fréquentées ou difficiles d’accès, en coordination avec les autorités administratives et les forces de sécurité intérieure, les unités peuvent travailler des savoir-faire utiles en OPEX ». Toutefois, la quasi-totalité des forces est déployée dans des zones urbaines denses ! De qui se moque-t-on ?
Rassurez-vous, monsieur le ministre, ce bilan renferme quelques points positifs : la posture permanente, en temps de paix, appliquée à l’armée de l’air et à la marine, sera étendue à l’armée de terre, au service de santé des armées, au service de soutien pétrolier et à la cyberdéfense.
Mes chers collègues, ce rapport est très en deçà de nos attentes, mais il pouvait difficilement en être autrement, car nous vivons sur un malentendu profond. Les plus hautes autorités de l’État, après les abominables attentats du 13 novembre, ont affirmé que la France était en guerre. Or il n’en est rien !
Le symbole est fort, mais la réalité, en termes militaires, est bien différente. Daech n’a pas envahi le territoire national, et des combats de rue n’ont pas lieu dans nos centres-villes. Notre pays subit certes des attentats perpétrés avec des armes de guerre ; mais ce n’est pas la guerre.
Contre le terrorisme, l’essentiel de la mobilisation doit porter sur le renseignement, l’infiltration des réseaux et l’action en amont, à l’extérieur et à l’intérieur du territoire ! Le reste n’est qu’accompagnement et réassurance politique. Toutes les forces déployées n’empêcheront pas d’autres attentats.
Cette menace va durer, d’autant qu’une partie importante des terroristes se trouve déjà en France ou dans les pays voisins. Ce volet-là du problème est primordial, et il est européen !
Sentinelle contribue à rassurer nos concitoyens, mais ceux-ci doivent connaître la réalité de la situation. Nous ne dissuadons par les terroristes, au contraire : nous les aidons à choisir leurs cibles – soit ils visent un site non protégé par nos armées, soit ils frappent d’abord les militaires avant de commettre l’attaque globale.
La réserve opérationnelle, dont vous avez raison, monsieur le ministre, de vouloir augmenter les effectifs, allégera, dans quelques années, l’engagement des militaires de carrière. Encore faut-il préciser que nos armées ont besoin, pour les états-majors et les OPEX, de réservistes confirmés possédant des compétences particulières. Ceux-là ne pourront assurer des gardes statiques.
Il faut donc innover et territorialiser cet embryon de garde nationale voulue par le Président de la République, et la construire avec des citoyens volontaires, mobilisés pour leur pays, près de chez eux. Mais il faut aller vite – pas dans un an : dans six mois !
Oui, l’exécutif peut difficilement baisser la garde. En même temps, la mobilisation de 10 000 militaires par Sentinelle altère fortement notre capacité opérationnelle, d’autant, nous le savons tous, que de nouveaux défis au nord du Sahel risquent de nécessiter des moyens qui ne sont déjà plus disponibles.
Il est grand temps d’adapter notre outil militaire et notre doctrine d’emploi des forces à la réalité du monde et de trouver un équilibre entre nos ambitions, nos capacités budgétaires et les menaces qui nous concernent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, d’emblée, je tiens à préciser que l’objet de ce débat n’est pas de procéder à un commentaire en règle du rapport très clair remis par le Gouvernement et largement exposé par M. le ministre tout à l’heure.
Il s’agit de faire mûrir nos analyses, de structurer notre travail et notre réflexion, alors que le tiers de l’exercice budgétaire a été accompli et que nous nous approchons de l’examen d’un collectif budgétaire important, puis d’un budget annuel encore plus indispensable pour la question qui nous préoccupe aujourd'hui.
La mutation constante, comme la plasticité des mouvements terroristes d’inspiration djihadiste, a induit une modification substantielle de la nature et de l’échelle de la menace visant le territoire national. C’était l’une des principales analyses du Livre blanc de 2013. Nous en mesurons toute la gravité aujourd’hui.
Nous sommes donc pris dans un véritable paradoxe stratégique : notre sécurité intérieure et notre défense nationale ont des moyens très contraints, alors que jamais autant de fronts n’ont été ouverts contre la France ces dernières décennies. C’est un paradoxe, monsieur le ministre, qu’il est urgent de résoudre à l’heure où le terrorisme international se joue des frontières nationales.
La situation actuelle a poussé notre pays à innover et à mettre en place un dispositif temporaire exceptionnel en supplément des actions menées chaque jour par les forces de sécurité traditionnelles sur notre sol. Cette innovation porte un nom : l’opération Sentinelle.
Comme le souligne le rapport, pour l’année 2015, jusqu’à 75 000 soldats ont concouru à assurer notre protection et la surveillance de plus de 1 300 sites sensibles, principalement en Île-de-France. Une mobilisation aussi exceptionnelle pose deux questions : son ciblage et sa soutenabilité.
Concernant son ciblage, son dimensionnement, je joins ma voix à celle de notre collègue Yves Pozzo Di Borgo, qui estime que, à Paris, il faut nous garder du saupoudrage des forces militaires pour mieux les concentrer sur les sites les plus sensibles, en particulier les écoles.
Au-delà, lors de notre visite au fort de Vincennes à la rencontre des soldats de l’opération Sentinelle, nous avons évoqué, avec Jean-Pierre Raffarin et plusieurs collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la problématique du bon équilibre entre le positionnement statique, qui s’accompagne d’une dimension psychologique rassurante, et le positionnement dynamique, qui permet de s’adapter à l’évolution de la menace. Telles sont des questions que nous avons actuellement à traiter.
Cependant, nous ne pouvons pas non plus céder aux sirènes du « tout militaire ». Nos forces armées ont certes vocation à assurer davantage notre protection. Cela ne signifie pas pour autant qu’elles ont les moyens de garantir notre sécurité quotidienne. D’autres forces de sécurité existent : la gendarmerie et la police au premier chef.
Inversement, dans un contexte marqué jusqu’en juillet dernier par une décrue des effectifs de notre armée, toute affectation considérable de nos hommes sur un théâtre d’opérations, même intérieur, représente autant de capacités que la France ne peut déployer sur le plan extérieur. Un dispositif tel que Sentinelle, de par son ampleur et sa durée, crée ainsi un certain nombre de défis d’ordre logistique, humain et financier.
Le présent rapport fait état d’une posture de protection des armées renouvelée, cela a été exposé tout à l’heure à travers tous ses aspects, compte tenu du nouveau contexte sécuritaire et de l’évolution des contraintes opérationnelles. Je salue certes cette nouvelle posture nécessaire, mais elle ne peut à elle seule répondre aux besoins que connaît actuellement la France.
Dans ce contexte de mobilisation exceptionnelle de nos armées, où il est nécessaire de faire des choix, il est désormais vital de rénover en profondeur notre politique de réserve et de définir des moyens innovants pour protéger le territoire national en cas de crise menaçant la sécurité nationale – il ne s’agit pas ici que de terrorisme, et le rapport décrit bien les différents types de crises –, sans saturer pour autant notre outil de défense. « Une réserve plus nombreuse et mieux intégrée à l’active est une nécessité opérationnelle », comme le souligne le général de Villiers.
Ainsi que vous le savez, les réservistes opérationnels et citoyens contribuent pleinement à entretenir le lien fondamental qui relie notre armée à notre nation, tout en diffusant au sein de la société cet esprit propre à notre défense nationale.
Cette composante de la défense, la réserve, a pourtant été trop souvent utilisée par le passé comme une variable d’ajustement budgétaire. Je le souligne avec beaucoup d’humilité pour avoir été moi-même aux responsabilités sur ces questions, à un moment où j’ai peiné à me faire entendre, comme d’autres avant et après moi. C’est une pratique que vous avez commencé à changer et à faire évoluer. Encore aujourd’hui, nos réservistes ne sont pas employés à la mesure de leurs compétences et de leurs savoir-faire. Cette situation est bien dommageable. Je crois, monsieur le ministre, que nous partageons sur ce point la même analyse que vous.
Je ne puis ainsi qu’être satisfait de vos récentes annonces faites la semaine dernière, à l’occasion des premières assises de la réserve à l’École militaire, auxquelles j’ai assisté avec certains de mes collègues. Je tiens à signaler les augmentations de budget déjà engagées par le Gouvernement depuis plusieurs années.
L’effort sera poursuivi durant la période 2016-2018, pour atteindre réellement – depuis le temps que l’on en parle ! – l’objectif des 40 000 réservistes opérationnels, avec une capacité permanente de déploiement de 1 000 réservistes par jour. Monsieur le ministre, vous venez d’évoquer ce point, qui a été mis en avant dans votre rapport. Ainsi, nous pourrons réaliser cet objectif ancien, sans oublier la question du statut du réserviste et celle du lien avec l’entreprise ou l’administration dans laquelle il travaille. Ce sont autant de freins que nous connaissons bien. C’est un objectif ambitieux, mais atteignable, auquel je souscris.
Le présent rapport détermine également l’objectif de pérenniser les réserves comme parties intégrantes du modèle de l’armée 2025. C’est une idée assez innovante, qui fait à l’heure actuelle l’objet d’un groupe de travail au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat que j’ai l’honneur de coprésider avec ma collègue Gisèle Jourda. Je veux parler, bien sûr, de la problématique de la « garde nationale ».
En effet, au regard de la montée en puissance des réserves, le concept de garde nationale, avancé par les sénateurs centristes depuis longtemps, mais défendu certainement pas d’autres aussi, et appelé de ses vœux par le Président de la République à Versailles, est particulièrement intéressant, car il ouvre une réflexion nouvelle en termes de défense du territoire. En outre, ce concept répond à la volonté d’engagement de nombre de nos concitoyens.
Pour l’heure, cette garde nationale suscite encore un certain nombre d’interrogations tant au regard de ses compétences propres que des moyens qui seront mis à sa disposition. S’agira-t-il d’un prolongement de la réserve ou d’un dispositif adjacent ? Ce point reste encore à déterminer.
Sur ces questions, Jacques Gautier a prononcé des mots justes et a évoqué les pièges qu’il convient d’éviter. Une réflexion doit être menée et poursuivie, afin de définir clairement les missions et les compétences qui seront attribuées à cette garde nationale, pour que le nouveau dispositif dispose de moyens à la hauteur de l’exigence que nous lui aurons imposée.
Nous allons contribuer, au sein de la commission - son président s’y est engagé -, à cette nécessaire réflexion, en étroite collaboration avec vous, monsieur le ministre, et avec les forces armées. J’espère que vous pourrez nous donner, aujourd'hui ou en d’autres occasions, l’état de vos réflexions, car c’est un sujet qui n’est pas défini, qui est évolutif et qui mérite d’être précisé. Il nous donne la possibilité, en tant que parlementaires, de nous impliquer pleinement dans une démarche conceptuelle au sujet de la nouvelle réserve qui est devant nous.
Ne ratons pas ce rendez-vous avec nos concitoyens, qui, sur ces questions, sont disponibles comme jamais, nous le constatons tous les jours. Ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Reiner applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord me féliciter de la tenue de ce débat. En effet, hormis lors de la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, nous n’avons pas eu de discussion ni de réflexion en séance publique sur les grands enjeux de notre défense.
Ces questions, pourtant essentielles et fondamentales dans la vie de la Nation, ne sont publiquement évoquées que par le biais des débats de politique étrangère sur nos interventions militaires à l’extérieur de nos frontières.
Or, depuis les attentats terroristes sur le territoire national même, la politique de défense de notre pays est interpellée et prend une nouvelle dimension, qui n’avait pas été appréhendée avec l’intensité d’une telle menace.
Monsieur le ministre, vous nous avez présenté les grandes lignes et les principes inspirant le rapport au Parlement que vous avez préparé sur les conditions d’emploi des forces armées sur le territoire national, conformément à l’article 7 de la loi de juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.
Après les attentats de janvier 2015, qui ont entraîné un déploiement massif et rapide de 10 000 militaires en dix jours sur le territoire national, il était urgent et nécessaire de redéfinir les modalités de leur emploi, ainsi que les missions qui leur sont assignées.
Cette posture de nos armées, si elle n’est pas fondamentalement nouvelle, est inédite par son ampleur. C’est la raison pour laquelle j’ai été très attentive votre présentation de ce qui me semble être un changement dans la conception des missions de nos armées, lesquelles, depuis leur professionnalisation, ont comme principale vocation de se projeter pour intervenir à l’extérieur de nos frontières.
Ce rapport se présente, me semble-t-il, comme une « feuille de route » donnée aux armées : il réaffirme et clarifie leur rôle sur le territoire national et rappelle leur légitimité à combattre, en France, des actions terroristes qui se jouent des frontières, qui menacent directement notre société et qui visent à en brouiller les repères.
La question, bien sûr, est de savoir si cette redéfinition de la doctrine d’emploi de nos armées sur le territoire national est justifiée et si les réponses apportées sont pertinentes.
Globalement, nous pouvons partager les principaux éléments de la réflexion que vous nous avez présentée. En matière d’antiterrorisme, il me paraît effectivement nécessaire de proposer de nouvelles missions de sécurité intérieure pour nos armées, sans changer le cadre légal de leur intervention. Il est essentiel de rappeler que ce sont les attentats du mois de janvier qui obligent à recentrer nos armées, en particulier l’armée de terre, sur leur mission première de protection du territoire national.
Ce cadre d’intervention était prévu dans le Livre blanc, avec 10 000 hommes à terre, ainsi que la protection de nos approches maritimes et la sûreté de l’espace aérien, soit 15 000 hommes au total.
Toutefois, comme vous le préconisez, il faut faire évoluer le premier dispositif mis en place après les attentats, mais – vous l’affirmez – sans modifier la Constitution ni la loi. Conformément à nos principes et à la tradition républicaine, l’emploi des armées doit bien entendu rester soumis à l’autorité civile, sous la forme de la réquisition.
De même, il est exclu naturellement de conférer aux militaires des pouvoirs de police judiciaire pour procéder à des fouilles ou à des contrôles d’identité, ou de les mettre en situation de participer à des opérations de maintien de l’ordre.
À cet égard, je suis très réservée sur les discussions en cours concernant les modifications du régime juridique d’utilisation de la force armée, qui relève actuellement exclusivement du régime de la légitime défense des policiers.
Dès lors que le régime aura été modifié pour les policiers, comme le prévoit le texte en discussion à l’Assemblée nationale, qu’en sera-t-il des conditions d’ouverture du feu pour les militaires ? Il pourrait y avoir là un enchaînement préoccupant. Pour notre part, nous nous y opposerons, à l’instar des collègues de notre groupe à l’Assemblée nationale, qui ont défendu un amendement visant à supprimer cette mesure pour les policiers.
À la lumière de l’expérience, il apparaît que le dispositif Sentinelle doit évoluer, car il a vite atteint ses limites. Nous sommes nombreux à nous interroger – ce débat en est le reflet – sur l’efficacité réelle de cette opération, ainsi que sur la pertinence qu’il y aurait à utiliser des unités combattantes, souvent très spécialisées, pour lutter en milieu urbain contre la forme de terrorisme que nous connaissons en France.
Je sais que le dispositif change pour des missions plus dynamiques. Il faut ainsi rétablir la dissuasion et la surprise, avec une armée qui soit en mesure d’appliquer sur le territoire national ce qu’elle sait faire à l’extérieur. Il faut lui confier les missions qu’elle connaît, au regard de son expérience sur les théâtres, comme sécuriser une zone, un quartier, un territoire, avec un objectif à atteindre. Toutefois, on doit la laisser s’organiser. C’est par exemple à elle de choisir le format nécessaire et le mode de déplacement, puis de les faire valider par le préfet. J’approuverai les mesures concrètes qui pourraient être prises dans ce sens.
Par ailleurs, depuis un an, nos armées sont pleinement mobilisées dans la lutte antiterroriste. Elles sont à la limite de l’usure, entre opérations extérieures et mission Sentinelle de protection de la population que les soldats enchaînent à une cadence inédite.
En 2015, plus de 70 000 soldats de l’armée de terre y ont participé, une situation sans précédent depuis la guerre d’Algérie, certains ayant cumulé jusqu’à cinq ou six déploiements. Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, ils ont été mobilisés jusqu’à 230 jours hors de leur garnison.
Nous avons 30 000 militaires mobilisés à l’intérieur et à l’extérieur ; certains d’entre eux en sont à huit mois d’absence. Avant les attentats, quelque 5 % du temps des soldats étaient mobilisés pour Vigipirate. Avec Sentinelle, ce taux est passé à 40 % ! M. Louis Gautier a tiré la sonnette d’alarme : il s’agit d’un rythme non compatible avec une action dans la durée. Or la durée, monsieur le ministre, c’est le grand mystère de notre débat.
En outre, cette situation pèse sur l’entraînement et la préparation opérationnelle, qui sont « l’assurance vie » de nos soldats en opérations extérieures. Et je n’insisterai pas sur les faiblesses logistiques et matérielles, notamment sur les conditions d’hébergement souvent très difficiles, surtout dans la durée. Je sais que vous y êtes sensible, monsieur le ministre, et que les choses devraient s’améliorer.
Enfin, je dirai un dernier mot concernant la rénovation de la politique des réserves militaires. Nous approuvons les efforts tant en matière budgétaire – ceux-ci doivent maintenant se concrétiser –, qu’en matière d’augmentation des effectifs, pour atteindre une capacité permanente de déploiement de 1 000 réservistes par jour, afin d’assurer les missions de protection sur le territoire national.
Avec des mesures visant également à augmenter le nombre de jours d’activité des réservistes salariés, à réduire le préavis d’information de leurs employeurs et à simplifier les démarches de gestion administrative, nous avons là un ensemble qui, je l’espère, renforcera enfin les liens entre nos concitoyens et leurs armées.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques appréciations que ce rapport m’a inspirées et dont je voulais vous faire part au nom du groupe communiste républicain et citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)