M. le président. La parole est à M. Michel Billout, pour explication de vote sur l’amendement n° 11.
M. Michel Billout. Le groupe communiste républicain et citoyen votera cet amendement, mais il le fera sans illusions. (Exclamations amusées sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
La possibilité, offerte par l’article 1er, de renouveler autant de fois que souhaité la période d’état d’urgence constitue un accompagnement mal dissimulé de la possibilité d’établir un état d’urgence permanent. Le fait de limiter cette prolongation dans la durée ne change pas grand-chose au danger fondamental.
La constitutionnalisation de la possibilité de prolonger indéfiniment l’état d’urgence est d’autant plus regrettable que le droit d’interrompre cet état d’exception ne sera pas inscrit dans la Constitution, même si une loi d’application pourrait éventuellement le prévoir, ainsi que M. le rapporteur l’a évoqué.
Le pouvoir pour le Parlement – majorité ou groupe majoritaire comme groupe minoritaire ou d’opposition – de stopper un état d’urgence m’apparaît fondamental. Tout aménagement de la durée de l’état d’urgence sans introduire ce droit du Parlement restera anecdotique.
Nous voterons cependant la réduction de quatre mois à trois mois du délai maximal de la période d’état d’urgence, en précisant néanmoins que cela ne risque pas de nous empêcher de voter contre l’article 1er dans sa globalité. (Marques d’ironie sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Ce texte est justifié par les problèmes que pose le terrorisme et par les multiples attentats terroristes auxquels nous sommes confrontés.
Je comprends difficilement cet amendement, car j’estime que, face au terrorisme, il ne faut pas chipoter, il ne faut pas bricoler, il ne faut pas prendre de demi-mesures ni avancer de trois pas pour reculer de deux. Ce n’est pas de cette manière que l’on se battra contre le terrorisme.
À cet égard, vouloir faire passer de quatre mois à trois mois le délai maximal de prorogation de l’état d’urgence par le législateur, donc réduire la portée des mesures et les moyens des pouvoirs publics, c’est, comme je l’ai dit hier soir, un très mauvais signal qui est donné aux terroristes. Face au terrorisme, notre société ne doit pas faire preuve de faiblesse. Elle doit donner au Gouvernement et à l’ensemble des pouvoirs publics les moyens de réagir.
Au reste, cet amendement n’a pas de portée pratique énorme – comme, d’ailleurs, l’ensemble des dispositions dont nous débattons depuis hier. En revanche, sa dimension symbolique est importante et, de ce point de vue, il me semble regrettable. Je ne le voterai donc pas.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Bien évidemment, les membres du groupe du RDSE soutiendront cet amendement, qui constitue l’une des contributions les plus importantes du Sénat au développement des garanties que l’on peut apporter aux citoyens durant l’état d’urgence.
D’ailleurs, je remarque que, d’après le Gouvernement, la constitutionnalisation a pour objet d’augmenter les garanties. Cependant, on fait passer en douce la durée maximale de prorogation de l’état d’urgence par le législateur de trois à quatre mois… Curieuse façon de respecter le principe annoncé !
Pour faire écho aux propos de Jean Louis Masson, il m’est revenu qu’Hannah Arendt, que nous avons largement évoquée hier, soutient que les méthodes utilisées par les États totalitaires pour faire face aux problèmes qu’ils rencontrent survivent à leur défaite.
J’ai l’impression que vouloir régler des problèmes tels que le terrorisme uniquement en renforçant diverses contraintes, notamment policières, n’est pas la voie suivie par les démocraties. Certes, il ne faut pas se bercer d’illusions et il convient se doter d’outils d’exception pour faire face aux défis exceptionnels. Le problème réside précisément dans l’institutionnalisation de ces outils car, à partir de ce moment-là, c’est le régime ordinaire !
Le travail d’équilibre que nous essayons de réaliser est difficile. Son résultat est, à mon avis, insuffisant. On peut penser qu’il manque quelque peu de logique. Toutefois, sur le plan démocratique, il marque déjà un mieux par rapport au texte que nous a transmis l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. À la différence de certains collègues, nous ne considérons pas que la réduction de quatre à trois mois du délai de prorogation maximal de l’état d’urgence constitue une garantie parmi les plus consistantes, sachant que la loi actuelle de 1955 ne prévoit aucun délai et que l’histoire a connu des durées de renouvellement diverses. D’ailleurs, dès l’instant où la faculté est donnée au Gouvernement et, surtout, au Parlement de proposer un arrêt anticipé de l’état d’urgence, le choix de la périodicité de départ – trois ou quatre mois – n’est pas décisif.
Malgré tout, par souci de conciliation et pour montrer notre bonne volonté, nous voterons cet amendement, sur lequel nous aurons sans doute encore l’occasion de revenir au cours de la navette.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je ne comptais pas intervenir, mais je veux réagir aux propos de Pierre-Yves Collombat.
En effet, et je le dis avec tout le respect que j’ai pour notre collègue, qui est un grand républicain (M. Michel Mercier le confirme.), on ne peut pas constamment voir une espèce d’opposition entre, d’un côté, la démocratie et, de l’autre, l’ordre républicain.
L’ordre républicain, la sécurité républicaine, cela a du sens.
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Roger Karoutchi. L’autorité de l’État, c’est le fondement de l’égalité ; c’est le fondement de la sécurité des personnes.
Un État qui n’a pas d’autorité, qui ne peut s’appuyer sur aucune mesure, ni dans la Constitution ni dans la loi, pour régler l’urgence, c’est un État faible, qui ne peut pas rassurer les citoyens. C’est alors la porte ouverte à tous les excès, à tous les extrémismes, à toutes les organisations locales de type milices. (MM. Gérard Larcher et Bruno Sido opinent.)
Je préfère que, de manière républicaine, la représentation nationale et le gouvernement de la République organisent l’état d’urgence, prévoient un certain nombre de mesures, demandent à la police de la République, à l’armée de la République, à la gendarmerie de la République d’assurer l’ordre. Je préfère cet ordre républicain au désordre des extrêmes, lequel poussera à des communautarismes. (M. Gérard Larcher opine de nouveau.)
Je n’étais pas forcément favorable à l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution.
Toutefois, il est bon que l’état d’urgence existe en lui-même, que d’autres mesures, y compris dans la Constitution telles que l’état de siège, existent. Pouvoir exercer ces mesures, sous le contrôle du Parlement, c’est la force d’une démocratie. C'est la raison pour laquelle, sans aucun problème, je voterai cet amendement.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 42 rectifié n’a plus d'objet.
La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote sur l’amendement n° 53 rectifié bis.
M. Christian Favier. Nous voterons cet amendement eu égard à la dernière rectification intervenue.
À l’origine, l’amendement n° 53 conférait explicitement au seul conseil des ministres la possibilité d’interrompre, par décret, l’état d’urgence.
Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, nous avons demandé, depuis le 20 novembre dernier, lors du débat sur la première prorogation de l’état d’urgence, le droit pour le Parlement d’interrompre cet état d’exception. Comment parler d’un vrai pouvoir de contrôle s’il n’est pas accompagné d’un pouvoir de sanction ?
Nous avons déposé un amendement – l’amendement n° 60 qu’a défendu notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin voilà quelques instants – qui prévoit expressément la possibilité de voter une proposition de loi ayant pour objet de mettre fin à l’état d’urgence.
Il semblerait qu’un consensus se dégage sur cet amendement n° 53 désormais rectifié, ce qui marque un progrès significatif.
Toutefois, nous persistons à penser que le fait de ne pas inscrire précisément la possibilité d’interrompre l’état d’urgence par une proposition de loi risque de poser un problème d’interprétation, voire de limiter cette prérogative, dans le futur, aux seuls projets de loi. Nous aurions donc préféré que notre rédaction soit retenue, quitte à l’améliorer.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 60 et le sous-amendement n° 79 n'ont plus d'objet.
La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote sur l'article 1er.
Mme Françoise Laborde. Pour beaucoup d’entre nous, l’examen de ce projet de loi constitutionnelle est délicat.
Il a été présenté comme une réponse aux attentats de janvier et novembre 2015 – ce qu’il ne peut pas être –, dont le souvenir douloureux ne nous a pas quittés.
Différentes versions du projet de loi constitutionnelle se sont succédé. Aujourd’hui, c’est au tour du Sénat et de chacun des sénateurs d’assumer sa part de pouvoir constituant. Aussi, je tiens à faire connaître ma position et mon vote sur l’article 1er relatif à la constitutionnalisation de l’état d’urgence.
Mes chers collègues, j’ai fait le choix, comme d’autres membres de mon groupe, de voter en faveur d’un certain nombre d’amendements qui améliorent très nettement le texte transmis par l’Assemblée nationale, autant que faire se peut.
Il s’agit de modifications qui visent à apporter de plus grandes garanties à l’exercice des libertés individuelles et publiques, auxquelles je suis très attachée. Des garanties juridictionnelles, en aménageant un rôle plus important au Conseil constitutionnel, et surtout au juge judiciaire, véritable gardien des libertés individuelles. Des garanties procédurales également, par le renforcement des pouvoirs de contrôle et d’information du Parlement, comme rempart aux dérives autoritaires.
Une fois de plus, le travail du Sénat est synonyme d’amélioration et de protection des libertés. Mes votes sur plusieurs des amendements que nous venons d’examiner avaient pour principal objectif de le souligner.
Toutefois, il m’est impossible d’approuver maintenant l’article 1er, même profondément amendé et amélioré par notre Haute Assemblée.
En effet, je suis fermement opposée au principe même de cette entreprise constitutionnelle qui m’apparaît inutile et inefficace. Je fais partie de celles et ceux qui considèrent que les dispositions prévues à l’article 1er n’ont pas leur place au sommet de notre hiérarchie des normes.
Il me semble en effet que la rédaction actuelle de la Constitution nous permet d’emprunter le chemin des lois ordinaires pour apporter les réponses aux attentes de nos concitoyens, qu’il s’agisse du renforcement de leur sécurité, de la garantie de leurs libertés ou de la poursuite des responsables d’attaques terroristes.
À l’heure actuelle, l’état d’urgence est déjà une réalité juridique dans notre pays, en application de la loi du 3 avril 1955. J’ai d’ailleurs voté ici même pour son instauration, le 20 novembre 2015, puis pour sa prorogation, le 9 février dernier. Par conséquent, vous l’aurez compris, je voterai contre cet article 1er.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Comme je l’ai dit hier, ce qui est important, si l’on veut vraiment lutter contre le terrorisme, c’est de réagir très fortement et très durement contre tous les communautarismes.
Il importe en premier lieu que les responsables politiques locaux ne se servent pas du communautarisme musulman comme d’un fonds de commerce électoral (Exclamations sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.), ce qui est trop souvent le cas. J’entends quelques murmures,…
Mme Éliane Assassi. Ce sont plus que des murmures !
M. Jean Louis Masson. … mais, hier, sur les quatre terroristes présumés dont M. le ministre de l’intérieur a annoncé l’arrestation, l’un était franco-marocain et les trois autres franco-turcs ! Voilà qui prouve bien que j’avais raison en soulignant les problèmes liés à la binationalité, qui favorise le communautarisme et facilite dans ces milieux le recrutement par les terroristes et les extrémistes !
M. Pierre-Yves Collombat. Jawohl !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !
M. Jean Louis Masson. Cet article 1er, à mon avis, est tout à la fois insuffisant et symbolique. Je le voterai cependant, car il marque un pas en avant.
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.
M. Gaëtan Gorce. Pour ma part, je voterai cet article 1er.
Je considère, comme cela a été dit par plusieurs sur ces travées, que la République ne se conçoit pas sans ordre, un ordre démocratique, et elle doit bien sûr se donner les moyens de l’assurer.
Je voudrais simplement exprimer quelques réserves, dans l’esprit de ce que j’ai eu l’occasion de dire dans le cadre de la loi de prorogation de l’état d’urgence.
Je considère en effet que le climat dans lequel nous sommes amenés à débattre commence à poser indiscutablement des problèmes. Prenons garde de ne pas donner à cette poignée de criminels un rôle qu’ils ne méritent pas.
J’ai entendu le Premier ministre nous dire que leur intention était de détruire ce que nous sommes. Certes, mais ils n’en ont pas le pouvoir, et à aucun moment la République ne peut se sentir réellement menacée dans ce qu’elle a d’essentiel par ce qu’ils peuvent représenter.
Sans doute la sécurité de chacun d’entre nous, de chaque Français est-elle mise en cause par leur attitude et par la menace qu’ils représentent, mais la République elle-même en a vu d’autres et elle doit le dire.
Si j’exprime ces réserves, c’est aussi que je m’inquiète quelque peu du climat de peur et d’angoisse dans lequel ce débat répété peut nous enfermer. La crainte, la peur sont mauvaises conseillères ; elles encouragent le repli. Elles expliquent sans doute pour une part les réticences de nos concitoyens à l’égard du devoir de générosité que nous avons envers les réfugiés.
Nous devons au contraire tourner la France vers d’autres objectifs que simplement ramasser, remâcher cette menace, sur laquelle elle doit naturellement se montrer sans faiblesse et qu’elle doit frapper également sans faiblesse.
Mais la préoccupation des pouvoirs publics, notre préoccupation, doit être d’exprimer une vision plus ambitieuse, plus forte et tournée vers l’avenir, de ce qu’est la République. Elle n’a pas pour seule mission de sanctionner et de frapper. Elle a d’abord pour mission de rassembler et d’emmener les Français vers l’avenir. La République, c’est un projet avant d’être simplement un maintien de l’ordre, auquel nous sommes, les uns et les autres, parfaitement attachés. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe CRC.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour explication de vote.
M. David Rachline. À la lecture du texte et du rapport du président Bas, il n’apparaît aucune nécessité de constitutionnaliser l’état d’urgence.
Comme vous l’indiquez, monsieur le rapporteur, les récentes décisions du Conseil constitutionnel soulignent que les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sont parfaitement compatibles avec notre Constitution. Vous écrivez ainsi que la « constitutionnalisation de ce régime juridique ne s’imposait pas ».
Monsieur le rapporteur, vous justifiez votre approbation de la démarche non par une nécessité juridique, qui pourtant devrait être la seule qui compte lorsque l’on envisage de toucher à la Constitution, texte suprême dans notre droit, mais par un souci d’unité nationale.
Or cette unité nationale est bien artificielle quand on voit la violence des propos d’un certain nombre de ministres, par exemple, à l’égard des millions de Français qui ont voté pour notre mouvement lors des dernières échéances électorales.
En réalité, cette réforme de la Constitution est juste une affaire de communication pour masquer les errements du Gouvernement depuis des mois, et particulièrement durant les neuf mois ayant séparé les deux attaques tragiques qui ont touché notre capitale.
Pour être en sécurité, la France a besoin non pas de se chamailler sur un changement constitutionnel, mais d’une politique ferme, qui passe, je le rappelle une nouvelle fois, par des mesures fortes : contrôles systématiques aux frontières, arrêt de l’accueil des migrants, politique pénale forte, expulsion des délinquants étrangers, réforme du code de la nationalité, etc.
En clair, nous ne cautionnons pas cette nouvelle opération de communication et nous voterons contre cet article.
J’ajoute qu’il n’est pas besoin de réforme constitutionnelle pour expulser les imams salafistes radicaux, ce que vous ne faites pas. Il n’y a pas besoin de réforme constitutionnelle pour fermer les mosquées salafistes, ce que vous ne faites pas non plus, ou si peu – vous en avez fermé deux ou trois.
Bref, vous n’avez pas pris le taureau par les cornes. Vos réactions – particulièrement celle du Gouvernement – ne sont malheureusement pas du tout à la mesure des attaques que nous avons subies. D’ailleurs, l’immigration est toujours très importante dans notre pays. Il n’y a strictement aucun contrôle – je ne fais pas de lien direct –, ce que je déplore.
Bref, vous ne prenez pas les mesures à la hauteur de la situation et je le regrette.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Nous étions nombreux, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, à douter de l’intérêt d’une constitutionnalisation de l’état d’urgence.
Grâce aux travaux menés depuis quelques mois, aux auditions et aux analyses, nous avons acquis la conviction qu’il est nécessaire, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une simple péripétie, d’entourer le recours à l’état d’urgence de garanties inscrites dans la Constitution.
Nous avons, me semble-t-il, travaillé de façon particulièrement efficace, notamment hier soir : proportionnalité des mesures, prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle… Nous avons également su peaufiner, et même ciseler, le contrôle permanent du Parlement quant à l’exécution de l’état d’urgence.
Je crois sincèrement que le travail mené au Sénat depuis quelques heures, aboutissement d’un long travail en amont, nous honore. Il s’agit d’un véritable travail de constituant. Il me semble légitime que le plus grand nombre de sénatrices et de sénateurs possible, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, vote cet article 1er. (Mme Jacqueline Gourault et M. Bruno Retailleau applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’ai eu l’occasion d’exposer hier, lors de la discussion générale, les raisons de notre opposition à cet article 1er.
Je tiens cependant à rendre hommage au bon travail du président et rapporteur de la commission des lois, ainsi qu’à celui de l’ensemble de nos collègues. Il est vrai que certains des amendements que vous avez proposés, monsieur le rapporteur, tendent à améliorer ce texte, à l’instar d’autres amendements défendus par les sénateurs siégeant sur nos travées.
Cela étant dit, je le répète, nous sommes persuadés que cet article 1er n’est ni nécessaire ni utile et qu’il est même dangereux à maints égards.
Plutôt que de mal traiter notre Constitution, nous aurions mieux fait de dresser un état des lieux de l’arsenal législatif à notre disposition pour, peut-être, constituer un bloc législatif allant, pour une fois, dans le bon sens, c’est-à-dire conciliant le respect de la sécurité avec le respect des libertés, ce qui n’est pas le cas ici.
Le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas cet article 1er.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je reste sur la position personnelle que j’ai exprimée hier. Nous avons voté les excellents amendements de la commission des lois et du président Bas, mais je voterai contre l’article 1er.
Nous sommes une assemblée politique, et il est bon que nous le restions, mais que de postures… Ne soyons pas dupes.
Je me rappelle les propos de notre excellent collègue et ami le président Guillaume, selon lequel il ne peut pas y avoir de réforme constitutionnelle s’il n’y a que l’article 1er. Certains disent qu’il faut supprimer l’article 2. D’autres soutiennent que, s’il n’y a que l’article 1er, cela ne sert à rien. On ne saurait donc mieux démontrer que cet article 1er ne sert à rien ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
La question fondamentale n’est pas de savoir si l’état d’urgence doit ou non être appliqué – le Gouvernement prend ses responsabilités, sous le contrôle du Parlement –, mais de savoir s’il doit être constitutionnalisé. Nous, nous considérons, majoritairement et c’est notre approche – que cela ne sert strictement à rien, en dépit de tout ce que l’on a essayé de nous expliquer savamment en matière de droit.
Les symboles, c’est extrêmement intéressant, mais faisons plutôt du droit. Il est évident que la constitutionnalisation n’apporte rien. Et s’il ne restait que l’article 1er, cela servirait encore moins à quelque chose, je ne vous le fais pas dire.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je souhaiterais formuler trois observations.
La première porte sur l’état d’urgence. Nous avons entendu des critiques de fond sur ce mécanisme. Nous voterons bien évidemment l’article 1er, comme nous y a invité le président Zocchetto. En effet, nous pensons fondamentalement que l’état d’urgence, c’est encore l’état de droit, et qu’il n’y a pas d’opposition entre l’ordre public et les libertés publiques.
La Constitution et la loi ont prévu plusieurs dispositions : l’état de siège ; les pouvoirs exceptionnels de l’article 16. L’état d’urgence, quant à lui, a été défini par la loi de 1955.
Sur le fond, nous n’avons aucun problème à aborder ces questions. Nous l’avons d’ailleurs prouvé à deux reprises. À cet égard, je tiens à rendre hommage au travail rapide et remarquable effectué par le président de la commission des lois du Sénat et par l’ancien président de la commission des lois de l’Assemblée nationale lors de la première prorogation de l’état d’urgence, en novembre dernier. Je pense, monsieur Urvoas, que vous vous en souvenez parfaitement. Sur le fond, il n’y a donc pas entre nous la moindre divergence d’appréciation.
Ma deuxième observation concerne le travail effectué par la commission. L’état d’urgence ne se justifie, et c’est une tradition constitutionnelle de notre pays, que s’il est strictement nécessaire, proportionné, provisoire et contrôlé. Et sur l’ensemble de ces questions, comme nous l’avons vu hier, le travail de la commission a été beaucoup plus consensuel que certains ont voulu le faire apparaître. Je voudrais remercier les sénateurs, y compris des sénateurs des groupes de gauche, qui ont apporté leur voix à des amendements importants.
J’en viens à ma troisième observation. De prime abord, nous n’étions pas convaincus de la nécessité de constitutionnaliser l’état d’urgence. Le Conseil constitutionnel avait en effet rappelé que la loi fondamentale de 1958 n’avait pas abrogé la loi de 1955. Il n’y avait donc pas besoin de constitutionnaliser ce dispositif pour le faire fonctionner. Par ailleurs, la Constitution, dans ses articles 42 et 48, mentionne déjà l’état de crise, même si elle ne mentionne pas de l’état d’urgence.
Mais nous considérons que c’est aussi une main tendue, et le respect du pacte de sécurité proposé à Versailles par le Président de la République. Mes propos font écho à ceux qui ont été prononcés hier par le Premier ministre, qui a voulu, en provoquant notre Haute Assemblée avec des mots très durs, indiquer que nous avions fait un pas. L’article 1er en est un exemple : la constitutionnalisation de l’état d’urgence nous laissait perplexes, mais nous allons l’adopter. Je le répète, c’est une main tendue, après avoir entendu les propos du Président de la République et ses engagements devant le Congrès à Versailles. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Claude Luche et Hervé Maurey applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour explication de vote.
M. Claude Malhuret. J’ai déposé hier un amendement de suppression de l’article 1er et expliqué que cette révision constitutionnelle était à mon avis une mauvaise idée. C’est un mauvais coup de changer la Constitution pour une simple manœuvre politicienne, alors que, tout le monde le sait désormais, cela ne sert à rien.
J’ai cosigné voilà quelque temps, avec un certain nombre de mes collègues députés et sénateurs, une tribune dans un journal, où nous affirmions que nous ne voterions pas la révision constitutionnelle. J’aurais donc du mal aujourd'hui à voter en faveur de cet article 1er !
Je ne reprendrai pas les arguments développés tout à l’heure par M. Jacques Mézard, avec lequel je suis totalement d’accord. Ma conclusion diffère toutefois légèrement de la sienne. En effet, il faut bien le reconnaître, les votes intervenus dans le cadre de la discussion que nous avons eue hier soir et ce matin, ainsi que les efforts de la commission des lois et de son rapporteur ont amélioré la version issue de l’Assemblée nationale, en introduisant un certain nombre de garanties. Plusieurs de mes amendements ont même été repris, notamment s’agissant de la consultation des présidents des assemblées pour ce qui concerne les lois organiques. Le travail du Sénat a donc été tout à fait considérable.
Par conséquent, si je ne peux pas voter pour cet article, je ne peux pas non plus voter contre, ce qui reviendrait à dire que je préfère le texte de l’Assemblée nationale à celui du Sénat. Or, dans le cadre des navettes qui auront lieu, je ne veux pas affaiblir la position du Sénat. Je m’abstiendrai donc sur cet article.
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. J’interviendrai très brièvement. Notre groupe a de nombreuses raisons de voter en faveur de cet article 1er. En effet, nous étions tous convaincus que le fait d’insérer l’état d’urgence dans la Constitution, en le réglementant, c'est-à-dire en lui fixant des bornes, constituait un progrès de l’État de droit et qu’il était cohérent de conforter le pouvoir de la République de se défendre, mais en instaurant le maximum de sécurité s’agissant de la défense des droits individuels. De ce point de vue, l’objectif est atteint.
Le débat, d’autres orateurs l’ont dit, a permis aux uns et aux autres de voir des points de vue se rapprocher et le Gouvernement, là comme ailleurs, a adopté une attitude de dialogue et de recherche de rapprochement. Je ne crois pas, à la différence du président Retailleau, que cette attitude se limite à l’article 1er. Le Gouvernement, et le Premier ministre l’a expliqué avec beaucoup de clarté, cherche une solution qui rassemble des majorités dans les deux chambres du Parlement, donc en tenant compte des apports des uns et des autres.
C’est une bonne étape d’avoir franchi de façon constructive cette discussion sur l’article 1er. Il me semble que l’essentiel de ce qu’ont été les apports du Sénat, même si certains sont un peu formalistes et redisent des choses qui étaient déjà dans le texte – il n’est jamais souhaitable de trop alourdir un texte constitutionnel – recueillera un accord de l’Assemblée nationale.
Nous voterons donc collectivement, sans difficulté, cet article 1er.