Mme Sophie Primas. Oh !
M. Joël Labbé. … et qui sont victimes de tracasseries administratives et de contrôles excessifs, parce qu’ils ne sont pas dans les clous des normes sanitaires formatées par et pour l’agrobusiness. Ils doivent faire face à un amoncellement de normes sanitaires et environnementales complètement inadaptées à l’agriculture paysanne et aux métiers de l’artisanat de bouche. C’est pourtant toute cette activité de proximité qui permettra l’ancrage territorial de l’alimentation que nous appelons tous de nos vœux.
À ce propos, au détour d’une conversation, dimanche matin, j’ai appris que les agriculteurs bio doivent aussi suivre une formation certiphyto et obtenir un certificat, alors que, par définition, ils n’utilisent pas de produits phytochimiques ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Bien sûr que si !
M. Joël Labbé. Il est grand temps de se préparer à l’ère de l’après-pesticides.
Samedi, je participais à Rennes à un débat sur la biodiversité intitulé : « La COP 21…, et après ? », en présence de Gilles Bœuf et de Jean-Claude Pierre, notamment. J’ai écouté avec plaisir et grande attention la présentation de son exploitation faite par un paysan, M. Jacques Morineau du GAEC Ursule, en Vendée. J’ai d’ailleurs appris que vous aviez visité cette exploitation, monsieur le ministre.
M. Joël Labbé. Un système de polyculture et d’élevage, des rotations longues, toutes les parcelles entourées de haies bocagères et de bandes enherbées, des cultures le plus souvent associées ou mélangées, jamais sur des surfaces excédant cinq à six hectares, l’autonomie en fourrages et en protéines, la production de semences sur l’exploitation, la fertilisation par les matières organiques issues de l’élevage : tout cela, sans néonicotinoïdes, sans glyphosate, sans produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Il faudra bien que l’on sorte de toutes ces substances !
Parmi les nombreuses réponses alternatives qui nous ont été présentées samedi, je citerai l’exemple du petit pois. En culture pure, il est victime de la bruche, un coléoptère qui pond ses œufs sur le pois. Pour l’éviter, la culture du pois est mélangée à celle de l’orge, qui pousse plus haut : vu du ciel, les coléoptères n’aperçoivent que l’orge et vont voir ailleurs ! Cette agriculture-là, il faut la soutenir, elle le mérite !
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Joël Labbé. Pour conclure, je dirai que l’Union européenne définit la compétitivité comme « la capacité d’un État à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité ». Or la proposition de loi ne va pas dans le sens de cette définition humaniste d’une Europe capable du meilleur en intention et du pire en application. Aussi, au nom des écologistes, je ne voterai pas le texte. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
M. Jean-François Husson. Quel dommage…
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun d’entre nous, ici, connaît bien les difficultés dans lesquelles sont plongés beaucoup d’agriculteurs. Or, pour répondre au précédent orateur, on ne peut pas à la fois multiplier constamment les normes environnementales et déplorer ensuite leur existence parce qu’elles posent trop de problèmes aux agriculteurs. Soyons cohérents !
M. Daniel Chasseing. Ça, c’est bien vrai !
M. Jackie Pierre. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Dans nos campagnes, nous avons tous pu mesurer l’intensité d’une crise qui n’en finit pas de durer.
La situation est grave comme en atteste la baisse continue du nombre d’exploitations aux quatre coins de la France : 8 % sur les trois dernières années. Derrière ce chiffre, et bien d’autres que je pourrais citer relatifs à la baisse tendancielle des revenus agricoles, c’est un drame social et territorial qui se joue. En effet, des milliers d’hommes et de femmes qui ne ménagent pas leur peine voient leur échapper ce qui est bien souvent l’investissement de toute une vie. Des fermes disparaissent les unes après les autres, mettant en péril le fragile équilibre des territoires ruraux en les privant d’une dynamique essentielle à l’économie locale.
Aussi, monsieur le ministre, vous avez dû faire face depuis l’été dernier à la colère des agriculteurs, en particulier à celle des éleveurs très touchés par la chute des prix. C’est un point évidemment fondamental. Vous avez mis en œuvre une succession de plans d’urgence. Force est de reconnaître que les mesures que vous avez décidées vont dans le bon sens. Elles tendent en effet à relever le défi de la compétitivité, qui est un enjeu crucial dans le contexte du démantèlement des instruments européens de régulation.
Ce défi de la compétitivité, que ce soit celui de la compétitivité prix ou celui de la compétitivité hors prix, est également au cœur de la proposition de loi sénatoriale qui nous est soumise en deuxième lecture. Je m’étonne que les députés l’aient rejetée sans même l’avoir examinée.
M. Jean-François Husson. Nous aussi !
M. Antoine Lefèvre. Quel dommage !
M. Jacques Mézard. Devons-nous leur rappeler qu’il s’agit de l’avenir des 452 000 exploitations qui couvrent encore le territoire métropolitain ? Il ne faudrait pas que le dogmatisme l’emporte sur le pragmatisme !
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Jacques Mézard. Pourtant, plusieurs des dispositifs du texte et certains de ceux décidés à juste titre par le Gouvernement au cours de ces derniers mois convergent.
On nous appelle au compromis et au rassemblement pour la révision constitutionnelle. N’était-il pas tout aussi opportun et utile de parvenir au compromis et au rassemblement sur les difficultés du monde agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Très bonne remarque !
M. Antoine Lefèvre. C’était l’occasion !
M. Jacques Mézard. Parmi les propositions convergentes, je veux citer la baisse des charges de 7 points, annoncée par le Premier ministre au mois de février, et qui s’inscrit dans l’esprit de l’article 9.
Je citerai également l’article 7 sur l’extension du suramortissement aux coopératives ainsi qu’aux bâtiments et installations de magasinage et de stockage de produits agricoles, satisfait par la loi de finances pour 2016.
Le texte prévoit aussi un allégement des normes, une revendication forte et souvent justifiée de la profession agricole qui est abordée à l’article 8 sur l’aménagement du régime des installations classées d’élevage et qui rejoint l’annonce sur la création prochaine d’un régime d’enregistrement pour les élevages de bovins à l’engrais, ce dont je me félicite.
Enfin, le Gouvernement et le Sénat se retrouvent également sur l’assouplissement de la déduction pour aléas ou sur l’incessibilité des contrats laitiers.
Dans ces conditions, mes chers collègues, le RDSE, très majoritairement, ne voit aucun obstacle à l’adoption de ce texte, que nous avons d’ailleurs approuvé en première lecture. En outre, cette proposition de loi aborde plusieurs autres sujets qui complètent les plans d’urgence. Je pense, en particulier, aux quelques articles visant à améliorer la transparence des relations commerciales. Nous savons que la puissance d’achat et le degré de concentration de la grande distribution pressurent souvent les producteurs. Il faut renforcer l’encadrement de la contractualisation pour parvenir à remédier au déséquilibre contractuel.
La gestion des risques, à laquelle est attaché le RDSE, est également abordée. Je rappellerai que le Sénat avait examiné en 2008 notre proposition de loi tendant à généraliser l’assurance récolte obligatoire. Parce qu’il nous semble que celle-ci est un élément important de la solidité économique d’une exploitation, nous avons déposé un amendement de rappel en ce sens.
Je n’oublie pas le dispositif de clarification des règles d’étiquetage de l’origine pour les produits transformés. En première lecture, mon groupe avait demandé, au détour d’un amendement à l’article 3, que la pression soit exercée sur Bruxelles pour permettre un étiquetage obligatoire. La France a en partie obtenu satisfaction sur ce point – nous pouvons vous en féliciter, monsieur le ministre – et sur quelques autres ; je pense à la limitation temporaire de la production laitière. C’est une bonne décision, en tout cas sur le papier, car je m’inquiète toutefois de son caractère non contraignant qui pourrait la rendre insuffisamment efficace.
Monsieur le ministre, je sais que vous vous êtes saisi de la question : l’embargo russe doit cesser au plus vite, car il pénalise particulièrement les filières porcine et bovine.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous voterons une nouvelle fois cette proposition de loi. Nous souhaitons, pour l’avenir, une meilleure coexistence entre deux modèles d’agriculture, qui doivent non pas s’opposer mais se compléter. D’un côté, il faut continuer à promouvoir une agriculture très compétitive faite de grandes exploitations. De l’autre, il faut encourager le maintien d’une agriculture de petites structures à vocation nourricière animant des circuits courts et poursuivant son rôle d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le récent salon de l’agriculture a été l’occasion pour la profession agricole de dénoncer de nouveau le poids de notre réglementation sur la compétitivité du secteur.
Vous connaissez mon engagement, monsieur le ministre, pour la simplification des normes agricoles. C’est la mission première du groupe de travail dont je suis le rapporteur au sein de la commission des affaires économiques. La simplification exige de diagnostiquer, de supprimer, de réexaminer. Bien sûr, c’est moins spectaculaire que d’écrire une nouvelle loi, moins valorisant politiquement, mais cela ne coûte rien et redonne de l’oxygène à notre économie.
Nous avons tissé au fil des ans, parfois de façon inconsciente, un véritable corset réglementaire. Nous en portons tous et toutes la responsabilité. Desserrer ce corset est une véritable urgence, et c’est avant tout une question de volonté politique. Notre agriculture a besoin d’un véritable choc de simplification – pas d’un « choc mou » ! – qui soit massif, partagé, cohérent, assuré dans la durée et contrôlé.
Tout d’abord, ce choc de simplification doit être massif, afin de créer un véritable effet compétitif et relancer la confiance de nos agriculteurs. Il ne doit plus exister, dans les six mois à venir, de surtransposition de directives européennes. Nous devons réaliser un diagnostic global du stock de normes existantes. Nous devons également limiter notre créativité normative. J’ai, à ce sujet, déposé en première lecture un amendement, qui a été adopté, visant à instituer un principe selon lequel « pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure est abrogée ».
Ensuite, ce choc de simplification doit être partagé : il ne peut y avoir de nouvelle norme sans coconstruction avec les agriculteurs ; toute nouvelle norme doit être testée et expérimentée avant d’être généralisée.
En outre, ce choc de simplification doit être cohérent. On constate en effet de plus en plus souvent, et récemment encore, que des mesures législatives sont revisitées par l’administration lors de l’écriture des décrets, lesquels s’inscrivent en totale contradiction avec l’objectif de la loi. Je vous demande, monsieur le ministre, à vous qui portez la voix de l’exécutif, la plus grande vigilance sur ces questions. Vos services ou ceux d’autres ministères ne peuvent pas agir en contradiction avec la volonté du Parlement.
Je citerai un exemple. Dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique, votée il y a un an, nous avions prévu que les cultures intermédiaires, qui sont des pièges à azote, puissent être intégralement utilisées dans des méthaniseurs. Le Gouvernement a d’ailleurs prévu la construction de 1 000 de ces bioréacteurs. Or le ministère de l’écologie prépare actuellement un arrêté écartant du bénéfice de la nouvelle tarification de rachat d’électricité issue de biogaz les installations utilisant plus de 15 % de cultures intermédiaires. Tout cela est en totale contradiction avec la loi portée par le même ministère, et ce à un an d’intervalle ! Ce n’est qu’un exemple, mais je crois que nous serions surpris par le nombre de décrets ou d’arrêtés pris par ce gouvernement – et peut-être par d’autres – qui sont en contradiction avec la volonté du législateur.
Par ailleurs, ce choc de simplification doit être assuré dans la durée. La stabilisation des normes est un facteur rassurant pour tout acteur économique. Cette action, certes peu médiatique, doit se poursuivre d’année en année.
Voici un exemple récent : le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité impose, dans son article 34, de nouvelles normes culturales dans les zones prioritaires pour la biodiversité – j’y suis plutôt favorable –, mais ce sans garantie de compensation pour les agriculteurs. Aussi me permettrez-vous, monsieur le ministre, de poser la question suivante : le gouvernement auquel vous appartenez a-t-il réellement la volonté de simplifier ?
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Daniel Dubois. Enfin, cette simplification des normes doit être contrôlée, en particulier par le Parlement. Je souhaite donc que notre commission des affaires économiques puisse poursuivre cette mission de contrôle des différentes normes.
Le groupe UDI-UC soutiendra, bien entendu, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions précisé en première lecture, nous partageons les constats dressés par le rapporteur et les auteurs de cette proposition de loi, même si nous avons des divergences de fond sur les solutions proposées.
Ces divergences sont réelles puisque nous pensons que ce texte, malgré les intentions de ses auteurs, maintient l’agriculture française dans une logique d’échecs à répétition. Elles sont l’expression de visions distinctes de l’avenir de l’agriculture, de notre système de production et de consommation. La compétitivité ne peut, à elle seule, résumer nos actions en faveur du monde agricole. Or cette proposition de loi confirme le choix d’une agriculture fondue dans le moule de la compétition internationale, des marchés et de la finance, dont nous connaissons pourtant les effets dévastateurs. C’est à ce rouleau compresseur et à l’ouverture des marchés qu’il faut en priorité s’attaquer.
Il n’en demeure pas moins que nous reconnaissons certaines vertus à ce texte. L’article 1er, par exemple, aborde explicitement la problématique des prix d’achat aux agriculteurs, mais il ne traite que d’une partie du problème : celui de la hausse des coûts de production et de la nécessité d’intégrer des éléments concernant ces coûts dans la définition des contrats. Toutefois, le seul recours au contrat, sans définition de prix d’achat minimum ou de prix plancher, ne permet pas de renverser les rapports de force entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Il y a un constat que nous devrions partager : depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010 et les balbutiements de la contractualisation, les prix d’achat n’ont cessé de dégringoler, faute de régulation et de maîtrise des volumes de production.
Quant au stockage, il ne peut constituer la réponse pérenne, pas plus que l’année blanche. En effet, la suppression de toutes les mesures d’orientation des prix place les exploitants agricoles dans un face-à-face déséquilibré avec les opérateurs de marché, les transformateurs et la grande distribution. Nous pensons, au contraire, qu’il faut réhabiliter le principe d’une véritable régulation permettant de garantir un prix décent et rémunérateur.
Certains amendements proposés vont dans le bon sens, comme celui qui vise à introduire un élément de souplesse afin de permettre des cessions de contrats laitiers, dans le but de lutter contre leur marchandisation et d’effectuer une meilleure gestion des volumes. Reste que nous allons plus loin en prenant l’exemple du quantum mis en place pour le blé en 1945.
Ainsi, pendant des décennies, les 50 premiers quintaux de blé vendus par chaque exploitation étaient payés à un prix fort garanti par l’État, le reste obéissant aux lois du marché. Ce système, appelé « paiement différencié », a fonctionné en France pendant des années pour la production de jeunes bovins. Il persisterait aux États-Unis. Il s’agirait donc d’utiliser le budget consacré aux primes PAC pour un complément de prix. Il serait réservé à la première tranche de production chez chaque éleveur. Le quantum, le prix garanti aux producteurs, serait l’addition du prix du marché et du complément du prix.
Ce sont des pistes que nous aurions tout intérêt à approfondir aux niveaux national et européen si nous voulons véritablement sauver notre agriculture. C’est pourquoi l’argument d’une contradiction par rapport au droit européen n’est pas tenable. Il faudra le faire évoluer, et le plus vite sera le mieux.
« La France riche de son agriculture, ne laisse plus dépérir ses agriculteurs », affirmait François Mitterrand en 1981. C’était un bel objectif !
J’en viens à l’article 3 sur l’étiquetage, dont la rédaction initiale était trop restrictive, voire incompréhensible.
Comme nous l’avions souligné en première lecture, nous avions du mal à comprendre l’objectif de cet article. En effet, l’étiquetage de l’origine n’est pas un enjeu secondaire à géométrie variable. C’est un enjeu prioritaire dans la bataille que nous devons mener face à la libéralisation des échanges agricoles, car les agriculteurs comme les consommateurs savent bien que les conditions sanitaires, sociales, économiques et environnementales de production du bœuf américain, argentin ou polonais ne sont pas les mêmes que dans notre pays. C’est pourquoi nous avions déposé plusieurs amendements sur ce point en particulier. Aussi, nous saluons les avancées contenues dans la nouvelle rédaction de l’article 3 sur l’indication de l’origine des produits, demandée avec force par les consommateurs et les producteurs.
Pour le reste du texte, il n’y a pas eu de changements notables, même si quelques améliorations sont prévues au travers des mécanismes proposés à l’article 4, par exemple. Toutefois, les mesures concernant le financement et l’investissement agricoles ne s’attaquent pas aux problèmes essentiels. Pourquoi ne pas exiger que l’organisme bancaire ne puisse pas refuser le report de paiement demandé par l’exploitant agricole ? Pourquoi ne pas poser clairement le constat de la dérive financière du secteur bancaire, dont les conditions d’accès au crédit sont toujours plus strictes, et qui joue de moins en moins son rôle de financement du développement agricole et d’établissement de crédit pour le secteur productif agricole ? Les banques doivent être, avant tout, des outils au service des agriculteurs.
Enfin, les chapitres III et IV contiennent une série de dispositions qui portent en germe une refonte plus globale du système de sécurité sociale, sous les dehors toujours séduisants de l’allégement des charges. Sur ce point, nous sommes tout à fait opposés à la remise en cause des principes fondateurs de la sécurité sociale, à la multiplication des allégements et des exonérations de cotisations, notamment lorsque ceux-ci s’effectuent sans concertation préalable avec les partenaires sociaux et les gestionnaires des régimes.
Si nous ne nous attaquons pas au problème de la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières et aux prix d’achat aux agriculteurs, nous ne répondrons pas à leurs besoins et nous n’assurerons pas leur survie. Vous-même, monsieur le ministre, aviez déclaré à la radio le 26 février dernier : « Entre la grande distribution et les industriels, on ne sait jamais qui dit la vérité. Tout le monde se renvoie la balle, et c’est le producteur qui paie à la fin. » C’est tout à fait juste !
Pour toutes ces raisons, et non pour afficher une quelconque posture, tout en saluant le travail de M. le rapporteur et les progrès réalisés, au lieu de voter contre le texte, nous nous abstiendrons. (Exclamations réjouies sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Antoine Lefèvre. Il faut savoir reconnaître les progrès !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 décembre dernier, lors de la première lecture de cette proposition de loi, je vous avais dit combien j’étais choqué par la posture politicienne de son calendrier, entre les deux tours des élections régionales. Cette proposition de loi ficelée à la va-vite aurait mérité, comme l’ont dit certains de nos collègues députés, beaucoup plus de travail et de concertation. Nos agriculteurs valent mieux que ça ! Quelle occasion manquée de montrer que les élus sont capables de travailler ensemble ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Parole d’expert…
M. Henri Cabanel. Ce texte aborde le sujet de la crise agricole, mais avec des propositions essentiellement fiscales. Or, dans ce domaine, le poids de la fiscalité n’a jamais été aussi réduit que sous ce gouvernement. Je vous le rappelle, cela représente plus de 1 milliard d’euros par an jusqu’en 2017 !
Tenir compte des prix d’exploitation dans le prix de vente correspond, idéologiquement, à mes convictions de justice et de partage, mais cela se heurte aux principes du marché européen, lequel est basé sur une politique libérale de libre concurrence. Comme nous l’a confirmé M. Bigard, lors de la réunion organisée au Sénat par le président Larcher, la loi du marché reprend toujours le dessus.
Je vous mets encore une fois, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, face à vos propres contradictions. Vous faites des propositions très interventionnistes, en opposition avec votre idéologie libérale et celle de vos collègues qui dirigent les politiques européennes.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Sophie Primas. Nous ne sommes pas sectaires !
M. Henri Cabanel. Vous critiquez la gestion par le Gouvernement de la crise de l’élevage, alors que, en 2009,…
M. François Bonhomme. C’est vieux !
M. Henri Cabanel. … date de la première crise laitière, aucune réforme significative n’avait été engagée.
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Henri Cabanel. À l’époque, je vous le rappelle, vous gouverniez !
Ne tombez pas dans la surenchère : ne dites pas aujourd’hui comment résoudre des problèmes que vous n’avez pas su régler hier. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nos concitoyens en ont assez des postures politiciennes ! C’est aussi ce qui les éloigne des urnes.
Mme Delphine Bataille. Bien sûr !
M. Henri Cabanel. Depuis la première lecture de ce texte, des avancées significatives ont été obtenues, notamment le 14 mars dernier par Stéphane Le Foll.
Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture et au développement rural, nous avait assurés, lors d’une audition au Sénat, que la crise de l’élevage était franco-française. Lors de sa rencontre avec le ministre de l’agriculture, il a enfin reconnu à mots couverts l’étendue européenne de la crise.
Sur la base des propositions françaises, partagées par une majorité d’États membres, le commissaire s’est engagé à mettre en œuvre des mesures fortes. Il a ainsi acté la pertinence du déclenchement, pour la première fois, de l’article 222 permettant aux opérateurs de déroger au droit de la concurrence pour limiter temporairement la production et ainsi faire remonter les prix. Cette procédure était peu prisée jusqu’alors par les leaders ultralibéraux. Mais l’erreur politique de Phil Hogan est de ne pas la rendre obligatoire pour tous les États membres. De ce fait, si notre pays est le seul à l’appliquer, ce sera un coup d’épée dans l’eau.
Par ailleurs, la France a obtenu l’accord de principe de la Commission européenne sur l’expérimentation de l’étiquetage de l’origine des produits carnés et laitiers. C’était la demande des professionnels.
J’osais espérer que, le contexte de calendrier électoral redevenu, pour un temps, plus serein, nous pourrions aborder cette proposition de loi sur la compétitivité de notre agriculture de façon également plus sereine. Avec un minimum d’honnêteté intellectuelle, nous pourrions tomber d’accord sur un point : nous souhaitons tous que notre agriculture se construise pour sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve. Les solutions peuvent émaner de la gauche et de la droite. Et pourtant… Lorsque l’on voit la façon dont vous, membres de la majorité sénatoriale, avez fait échouer par vos manœuvres dilatoires la proposition de loi écologiste visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation, on peut douter de vos intentions. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Henri Cabanel. Nous étions tous d’accord pour décider que la restauration hors domicile devait utiliser 40 % de produits issus de l’agriculture durable. Vous avez exprimé, en revanche, votre refus total des 20 % de produits bio, alors même que le bio ne représente que 5 % de notre alimentation.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Henri Cabanel. Tot aco per pa gran causo, dirait-on en occitan : tout cela pour pas grand-chose !
Vous êtes allés contre une tendance forte des consommateurs. Selon un sondage récent, près de 65 % des Français mangent bio chaque mois, à tel point que l’offre peine aujourd’hui à satisfaire la demande.
N’avez-vous pas compris que notre agriculture était d’abord une agriculture familiale (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Éric Doligé. Nous ne comprenons jamais rien, c’est bien connu !
M. Henri Cabanel. … qui a pour seules issues la qualité, la diversité et les circuits de proximité ?
L’enjeu actuel de notre agriculture est de s’adapter, d’offrir une diversité et une qualité dans un marché hypersegmenté, mondialisé, où la politique du plus bas prix nous entraînera toujours vers le fond…
M. François Bonhomme. On y est !
M. Henri Cabanel. … si nous limitons nos stratégies aux prix et aux baisses de charges. Face à des pays émergents, la France aura toujours des coûts de production plus importants. Notre agriculture doit donc s’inscrire dans la montée en gamme des produits, la diversification des circuits commerciaux, les circuits courts étant à ce titre essentiels, dans la production d’énergies renouvelables et l’agritourisme.
Je suis persuadé que notre agriculture est aujourd’hui dépendante de la politique agricole commune. C’est pourquoi je me félicite de la fermeté du Président de la République dans les négociations. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Sans sa ténacité et celle de Stéphane Le Foll, nos budgets alloués à la PAC auraient été en baisse, et vous le savez. Lorsqu’une chose est bien faite, il faut le reconnaître ; et si je ne le fais pas, personne ne le fera ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)